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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 5, Avril 1829.

Date of first publication: 1829

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Dec. 23, 2022

Date last updated: Dec. 23, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VIII. AVRIL 1829. Numero V.

HISTOIRE DU CANADA.

CONTINUATION.

Le colonel Mark, commandant de la flotte anglaise, toucha, en s’en retournant, à Pescadoué et à Kaskebé, où sa nation avait des forts et des établissemens, et y apprit qu’on avait déjà commencé à faire des réjouissances à Boston pour la prise du Port Royal. Cette nouvelle l’obligea à rester à Kaskebé, d’où il écrivit au gouverneur général qu’il ne partirait point de ce poste qu’il n’eût reçu ses ordres; qu’il le suppliait de ne lui point imputer l’irréussite de son expédition, laquelle n’était dûe qu’à la mauvaise volonté et à la désobéissance de son armée, qui s’était soulevée contre lui, et avait refusé de livrer un assaut général.

Le colonel Mark reçut en effet l’ordre de demeurer où il était, de ne laisser débarquer personne, et d’attendre les résolutions qui seraient prises dans le conseil, et dont on lui ferait part quand il en serait temps. Le gouverneur fit assembler en diligence les membres du parlement provincial, et leur représenta que l’honneur des armes anglaises serait flétri, si on ne se hâtait de réparer l’affront que le colonel Mark venait d’essuyer devant le Port Royal. Il s’offrit d’y aller en personne, et assura qu’il périrait plutôt que de ne pas réduire l’Acadie sous l’obéissance de la reine.

L’assemblée générale crut qu’il suffisait d’augmenter la flotte de trois gros navires, portant cinq ou six cents hommes de renfort à l’armée, et d’y faire embarquer trois de ses principaux membres avec le fils du gouverneur général. Elle confirma dans le commandement le colonel Mark, qui fut pourvu par avance du gouvernement de l’Acadie.

Les préparatifs de cette nouvelle expédition se firent avec une diligence qui répondait aux espérances qu’on en avait conçues; et le 30 Août, la flotte anglaise parut dans le bassin, vers les 10 heures du matin. A deux heures de l’après-midi, elle était mouillée, rangée en bel ordre, hors de la portée des bombes. Une apparition si soudaine et si peu attendue jetta la consternation dans le fort, et quoique la garnison en eut été renforcée de l’équipage d’une frégate du roi commandée par M. de Bonaventure, M. de Subercase fut presque le seul qui ne désespéra point de triompher encore une fois. Son plus grand embarras fut de rassembler les habitans, dont plusieurs étaient éloignés de six à sept lieues; mais les Anglais, par trop de confiance dans leurs forces, lui en donnèrent le loisir. Ils attendirent au lendemain à faite leur descente, et le gouverneur, dans l’incertitude de l’endroit où ils la feraient, jugea à propos de retenir dans sa place non seulement toute sa garnison, mais encore les habitans, qui se rendaient par troupes auprès de lui.

Le 21, sur les 10 heures du matin, les Anglais firent leur débarquement, dans des chaloupes, du côté opposé à celui du fort. Ils se mirent aussitôt en marche, à travers le bois, et allèrent camper un quart de lieue au-dessus du fort, dont ils n’étaient plus séparés que par une rivière. Alors, M. de Subercase fit filer le long de cette rivière quatre-vingts sauvages et trente habitans, avec ordre de la passer une demi-lieue plus haut, et de s’embusquer dans les endroits d’où ils pourraient plus aisément tomber sur les détachemens qui se feraient pour ruiner les habitations, dont le plus grand nombre était de ce côté-là.

Les troupes débarquées restèrent tout le 22 dans leur camp pour s’y fortifier, et le 23 au soir, il s’en détacha sept à huit cents hommes, qui se mirent en marche, précédés d’une garde de dix hommes commandée par un lieutenant. Cet officier n’ayant pas pris les précautions nécessaires dans un pays couvert et inconnu, tomba dans une embuscade, où il fut tué avec huit de ses gens. Les deux autres furent pris et conduits au gouverneur, qui apprit d’eux que les Anglais avaient embarqué leur artillerie dans deux petits bâtimens, pour la faire passer par-devant le fort, à la faveur de l’obscurité de la nuit.

Sur cet avis, M. de Subercase donna ordre qu’on allumât des feux le long de la rivière, pendant tout le temps que la marée monterait, et cette précaution empêcha que l’artillerie ne passât. D’un autre côté, le détachement voyant sa garde avancée défaite, s’en retourna au camp, d’où personne ne sortit le 24, à cause des alarmes continuelles que donna la garnison du fort.

Le lendemain, les bombes obligèrent les Anglais à quitter leur camp, et ils allèrent se poster vis-à-vis du fort; mais le gouverneur leur y laissa encore moins de repos, parce qu’il s’était apperçu qu’ils voulaient y établir des batteries de canons et de mortiers. Le 26, ils décampèrent de nouveau, et allèrent se placer une demi-lieue plus bas: mais dès le lendemain Subercase commanda un détachement qui leur tua trois sentinelles, et les obligea à décamper pour la troisième fois, afin de se mettre hors de la portée des bombes.

Le 29, ils ne parurent occupés qu’à se retrancher; mais le 30, ils se rembarquèrent tous, sur les quatre heures du soir. Le gouverneur soupçonna que c’était pour faire une tentative de l’autre côté dé la rivière, et il la fit repasser à ceux de ses gens qui étaient au-delà. En effet, le 31, au lever du soleil, les troupes anglaises firent leur descente, à la faveur du canon de la flotte, et dès qu’elles furent débarquées, elles se mirent en marche. Elles avaient devant elles une pointe converte de bois, où le baron de St. Castin s’était placé en embuscade avec cent-cinquante hommes: il les laissa approcher jusqu’à la portée du pistolet, et fit alors sur elles trois décharges consécutives. Elles les soutinrent avec une intrépidité à laquelle St. Castin ne s’était pas attendu, et parurent déterminées à forcer le passage, à quelque prix que ce fût; mais elles s’arrêtèrent tout-à-coup, et peu de temps après, on vit cinquante chaloupes regagner les vaisseaux et tout le détachement faire sa retraite.

Alors le gouverneur fit sortir La Boularderie, enseigne de vaisseau, avec cent-cinquante hommes, pour renforcer la troupe de St. Castin, et lui-même le suivit de près avec cent-vingt hommes, pour le soutenir, laissant M. de Bonaventure dans le fort, où tout était en bon état. Remarquant que les Anglais défilaient vers leurs chaloupes, il donna ordre à La Boularderie de les suivre, et de les charger, s’ils faisaient mine de s’embarquer. Cet officier marcha trop vite, et commença l’attaque avec quatre-vingts hommes au plus. Il sauta dans un de leurs retranchemens, le força, et y tua beaucoup de monde. Animé par ce premier succès, il se jetta dans un second retranchement, où il reçut un coup de sabre au corps et un autre à la main. St. Castin et Saillant, autre enseigne de vaisseau, prirent sa place: on se mêla, on se battit avec acharnement à coups de casse-têtes et de crosses de fusils; et quoique les Anglais fussent au nombre de quatorze ou quinze cents, ils reculèrent d’au moins quinze cents pas vers leurs chaloupes.

Cependant quelques uns de leurs officiers, honteux de fuir devant si peu de monde, les ramèneront sur les Français, qui de leur côté se retiraient vers le bois, parce que St. Castin et Saillant avaient aussi été blessés, lesquels voyant revenir l’ennemi, firent volte-face, et le tinrent en échec. Les Anglais se contentèrent de faire quelques décharges de mousqueterie, et s’éloignèrent de nouveau. Subercase en profita pour retirer les blessés et faire reposer ses troupes. Au bout d’une heure, il commanda un habitant, nommé Granger, homme brave et intelligent, pour remener le détachement de La Boularderie contre les Anglais, qui ne l’attendirent point, mais coururent se rembarquer.

Le même jour, la plus grande partie de la flotte leva les ancres et alla les rejetter dans le bassin. Le lendemain, 1er. Septembre, tous les vaisseaux se joignirent et allèrent faire de l’eau et du bois une lieue en-dehors de la Baie Française. Enfin cette flotte mit à la voile quinze jours après être entrée dans le port, et sans avoir même osé attaquer le corps de la place. Les Français n’eurent que trois hommes de tués et une quinzaine de blessés. M. de Saillant fut le seul homme de marque qui y perdit la vie. Ils firent quelques prisonniers, de qui ils apprirent que les Bostonnais s’étaient épuisés pour cette dernière expédition; mais que néanmoins on ferait certainement au printemps suivant un plus grand effort, et que l’intention de la reine était de ne jamais rendre l’Acadie, si une fois elle en devenait maîtresse.

Il s’en fallait bien que l’on fût aussi attentif en France à la conservation de cette province, qu’on l’était en Angleterre aux moyens de la conquérir. Les vaisseaux du roi, qui arrivèrent au Port Royal peu de temps après la levée du siège, n’y apportèrent de marchandises ni pour les habitans ni pour les sauvages; ce qui n’embarrassa pas peu le gouverneur, en le mettant hors d’état de tenir les promesses qu’il avait faites, aux uns pour les retenir dans le devoir, et aux autres poux les engager à le secourir. Dans la lettre que M. de Subercase écrivit à ce sujet au ministre des colonies, il lui dit, qu’il n’y avait pas un moment à perdre, si l’on voulait faire un établissement solide en Acadie; que cette colonie pourrait devenir en très peu de temps la source du plus grand commerce du royaume; qu’il était parti, cette même année, de la Nouvelle Angleterre une flotte de soixante vaisseaux pour l’Espagne et la Méditerranée; qu’il en devait bientôt partir une plus nombreuse pour les Iles de l’Amérique, et que tout ce poisson se pêchait sur les côtes de l’Acadie. C’est à dire que les Anglais, dans le temps même qu’ils ne pouvaient réussir à se rendre maîtres de cette province, trouvaient le moyen de s’y enrichir, tandis que les Français n’en tiraient eux-mêmes aucun avantage.

Pour revenir aux quartiers de l’ouest, les Miamis ne pouvaient digérer qu’on eût pardonné au chef outaouais qui les avait si fort maltraités, et ne cessaient de demander sa tête au commandant du Détroit. Pour les amuser, M. de Lamotte fit venir Le Pesant au Détroit, et exigea qu’il s’y établît avec sa famille. Les Miamis, qui se crurent joués, tuèrent trois Français, et firent quelque dégat aux environs du Détroit. Le commandant fut même averti qu’ils avaient complotté de l’assassiner et de faire main-basse sur tous les Français. Cet avis lui fit prendre la résolution de faire la guerre à ses barbares, et il parut s’y disposer sérieusement; mais, au grand étonnement de tout le monde, tous ses préparatifs aboutirent à conclure un arrangement peu honorable pour lui et pour les Français.

Il en arriva ce qui arrive toujours quand on mollit avec les sauvages, surtout après qu’on les a menacés; les Miamis gardèrent mal les conditions du traité, et Lamotte-Cadillac se vit enfin obligé d’agir avec vigueur. Il marcha contr’eux à la tête de quatre cents hommes, partie Français et partie sauvages. Ils se défendirent assez bien; mais ils furent forcés dans leur retranchement, et n’ayant plus de ressource que dans la clémence du vainqueur, ils se soumirent à tout ce qu’il exigea d’eux.

Les Cantons iroquois continuaient à garder exactement la neutralité; mais le zèle et l’attachement des sauvages domiciliés pour les Français s’étaient beaucoup refroidis, comme on s’en apperçut à l’occasion d’un grand parti de guerre, qui se forma au commencement du printemps de l’année suivante 1708.

Cette expédition avait été résolue dans un grand conseil tenu à Montréal avec les chefs de tous les sauvages chrétiens établis dans la colonie. Elle se composa de quatre cents hommes, tant Français que sauvages: les premiers étaient commandés par MM. de St. Ours des Chaillons et Hertel de Rouville, et les derniers par M. Boucher de la Perriere. Il fut convenu qu’on se rendrait, par différentes routes, au lac Nikisipic, où les sauvages voisins de l’Acadie devaient se trouver au temps marqué, et le 26 Juillet on se mit en marche; mais étant arrivés à la rivière St. François, des Chaillons et Rouville eurent avis que les Hurons étaient retournés sur leurs pas, parce que l’un d’eux ayant été tué par mégarde, cet accident leur fit augurer que l’expédition serait funeste pour eux. Les Iroquois suivirent bientôt l’exemple des Hurons, sous le prétexte que quelques uns des leurs étaient malades, et que la maladie pourrait bien se communiquer à toute l’armée.

M. de Vaudreuil, à qui les commandans donnèrent avis de cette désertion, en lui demandant ses ordres, leur répondit que quand même les Algonquins et les Abénaquis de Békancour les abandonneraient aussi, ils ne laissassent pas de continuer leur route, et qu’ils fissent plutôt une excursion sur quelque endroit écarté que de revenir sans rien faire. Des Chaillons communiqua cette lettre aux sauvages, qui lui promirent de le suivre partout où il voudrait les mener. Ils se remirent donc en route, au nombre de deux cents, et après avoir fait cent-cinquante lieues par des chemins impraticables, ils arrivèrent au lac Nikisipic, où ils ne trouvèrent point les Abénaquis, qui avaient été obligés de tourner leurs armes ailleurs.

Ils prirent alors le parti de marcher contre un village nommé Hewreuil, composé de vingt-cinq à trente maisons bien bâties, avec un fort. Ce fort avait une garnison de trente soldats, et il y en avait une dixaine dans chaque maison. Ces troupes ne faisaient que d’arriver dans l’endroit, et y avaient été envoyées par le gouverneur de la Nouvelle Angleterre, qui, sur l’avis de la marche des Français, avait fait partir de pareils détachemens pour toutes les bourgades de ce canton.

Les Français ne pouvant plus compter sur la surprise, crurent pouvoir y suppléer par la valeur, ils reposèrent tranquillement pendant toute la nuit, et le lendemain, une heure après le lever du soleil, ils se mirent en ordre de bataille. Rouville fit alors un petit discours aux Français pour exhorter tous ceux qui pouvaient avoir eu entr’eux quelque démêlé, â se reconcilier sincèrement et à s’embrasser. Ils firent ensuite leur prière, et marchèrent contre le fort. Ils y trouvèrent beaucoup de résistance; mais ils y entrèrent enfin l’épée et la hache à la main, et y mirent le feu.

Toutes les maisons se défendirent aussi très bien et eurent le même sort. Il y eut environ cent Anglais de tués dans ces différentes attaques; plusieurs autres qui attendirent trop tard à sortir du fort et des maisons, y furent brûlés; chose assez extraordinaire, si les Français ne les empêchèrent pas d’en sortir après y avoir mis le feu; et le nombre des prisonniers fut considérable, en y comprenant les femmes, et sans doute les enfans, à moins que ces derniers n’eussent péri dans l’incendie des maisons. Il n’y eut point de butin, parce qu’on n’y songea qu’après que tout eut été consumé par les flammes, et qu’on entendait déjà de tous les villages voisins le son des tambours et des trompettes. Après la terrible exécution qu’on venait de faire, il n’y avait pas un moment à perdre pour assurer la retraite. Elle se fit d’abord en bon ordre; mais à peine avait-on fait une demi-lieue, qu’on tomba dans une embuscade dressée par soixante-dix hommes, qui, avant de se découvrir, tirèrent chacun leur coup. Les Français essuyèrent cette décharge sans branler. Cependant tous les derrières étaient déjà remplis de gens de pied et de cheval, et il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de passer sur le ventre à ceux qu’on avait en tête. On le prit sans balancer: chacun jetta ce qu’il portait de vivres et presque toutes ses hardes, et sans s’amuser à tirer, ils en vinrent d’abord aux armes blanches. Les Anglais, étonnés d’une attaque si brusque, faite par des gens qu’ils croyaient avoir mis en désordre, s’y trouvèrent eux—mêmes, et ne purent se remettre; de sorte que la plupart furent tués ou pris.

Les Français n’eurent dans les deux actions, que huit hommes de tués et dix-huit de blessés: du nombre des premiers furent deux jeunes officiers de grande espérance, Hertle de Chambly, frère de Rouville, et Vercheres. Plusieurs des prisonniers faits à la prise d’Hewreuil se sauvèrent pendant le dernier combat. Tous les autres n’eurent qu’à se louer des bons traitemens qu’ils reçurent de leurs vainqueurs pendant la retraite. La fille du lieutenant de roi d’Hewreuil ne pouvant plus marcher, M. Dupuys, fils du lieutenant particulier de Québec, la porta dans ses bras ou sur ses épaules, une bonne partie du chemin “Singulier exemple d’humanité et de galanterie,” dit un historien, “et chose nouvelle dans les forêts du Canada.” Religieux ou dévots avant le combat, furieux et souvent barbares dans le fort de l’action, humains et bienveillants après la victoire, tels se montrent généralement les guerriers français et canadiens de ces temps-là.

Au reste, cette expédition, comme la plupart de celles qui l’avaient précédée, se borna à une conflagration barbare et à une tuerie cruelle, non seulement sans résultat utile, mais même sans but ou motif raisonnable. C’est en vain que Charlevoix dit que les “Français et les sauvages de leur parti n’exerçaient ces cruautés que par représailles;” le massacre de la Chine était déjà trop ancien, et avait été vengé trop de fois, pour qu’on pût se croire autorisé à le venger encore, au temps dont nous parlons: ç’aurait été mettre en principe que parce que l’ennemi avait été barbare une fois, on pouvait l’être toujours; outre que les Iroquois avaient exercé seuls les cruautés dont les Français pouvaient se plaindre; au lieu que ceux-ci n’en cédaient guère aux sauvages, et étaient presque toujours mêlés avec eux, dans celles qui s’exerçaient contre les Anglais. Aussi ne pouvons-nous nous empêcher de croire dans son droit le gouverneur d’Orange, dans ce qu’il écrit à M. de Vaudreuil, en réponse aux reproches que lui avait faits ce général, au sujet d’un collier qu’il avait envoyé aux Iroquois chrétiens, pour les engager à demeurer neutres.

“Il faut que j’avoue, dit M. Schuiller, que j’ai envoyé un collier aux sauvages, pour les empêcher de prendre parti dans la guerre qui se fait contre le gouvernement de Boston; mais j’y ai été poussé par la charité chrétienne. Je n’ai pu me dispenser de croire qu’il était de mon devoir envers Dieu et mon prochain, de prévenir, s’il était possible, ces cruautés barbares et payennes, qui n’ont été que trop souvent exercées sur les malheureux habitans de ce gouvernement-là. Vous me pardonnerez, monsieur, si je vous dis que je sens mon cœur se soulever, quand je pense qu’une guerre qui se fait entre des princes chrétiens, obligés aux lois les plus strictes de l’honneur et de la générosité, dont leurs nobles ancêtres leur ont donné de si beaux exemples, dégénère en une barbarie sauvage et sans bornés. Je ne puis concevoir qu’il soit possible de mettre fin à la guerre par de semblables voies, et je voudrais que tout la monde pensât comme moi sur ce sujet.”

Dans le cours de l’hiver, il y eut en Terre-Neuve une nouvelle expédition, où les Français se distinguèrent, à leur ordinaire, par leur bravoure. M. de St. Ovide lieutenant de roi de Plaisance proposa à M. de Costebelle, qui en était gouverneur, de faire la conquête de St. Jean, et de la faire même à ses propres dépens. Son projet ayant été approuvé, il assembla cent-vingt hommes, sauvages, habitans et matelots, auxquels se joignirent vingt soldats nouvellement arrivés de l’Acadie, sous la conduite du sieur Renou, lieutenant: M. de Costebelle lui en donna, encore vingt-quatre de sa garnison, aussi commandés par un lieutenant; et le sieur de La Ronde, qui s’était distingué à là défense du Port Royal, voulut l’accompagner en qualité de volontaire. Cette petite armée se mit en marche le 14 Décembre sur les neiges, et le 31, elle arriva à cinq lieues de St. Jean, sans avoir été découverte. On prépara alors tout ce qui était nécessaire pour attaquer en arrivant. On y mit une diligence incroyable, et dès le lendemain, deux heures avant le jour, St. Ovide se rendit, à la faveur d’un beau clair de lune, au fond du havre de St. Jean, d’où il put observer tout à son aise. Il marcha ensuite, conduit par des guides infidèles, qui ne cherchaient qu’à lui faire manquer son coup. Dès qu’il se lut apperçu de leur perfidie, il passa du centre, où il était, à l’avant-garde, où étaient les volontaires, et se mit à leur tête, laissant à la place qu’il venait de quitter le sieur Despensens, qui faisait l’office de major.

Il fut découvert à trois cents pas au fort qu’il voulait attaquer; de sorte que comme il approchait de la première palissade, on lui tira quelques coups de fusil. Quelques uns de ses volontaires l’abandonnèrent alors; ce qui ne l’empêcha pas de pénétrer jusqu’au chemin couvert, dont, heureusement pour lui, on avait oublié de fermer la porte. Il y entra en criant, “Vive le roi”, et ce cri, qui ranima le courage de ses gens, fit perdre cœur aux Anglais. Il laissa une quinzaine d’hommes à la garde du chemin couvert, traversa le fossé, malgré le feu de deux autres forts, qui lui blessa dix hommes, planta deux échelles contre le rampart, qui avait vingt pieds de hauteur, et y monta avec six hommes, dont trois furent dangereusement blessés en montant.

Dans ce moment, Despensens arriva avec le corps qu’il commandait, planta des échelles, monta le premier, et entra, lui troisième ou quatrième, dans le fort. Renou, Johannis, Duplessis, La Chenaye, d’Argenteuil et d’Aillebout, son frère, le suivirent de près: les uns sa rendirent maîtres du corps de garde, les autres de la maison du gouverneur; d’autres coururent au pont-levis, qui faisait la communication du bourg avec ce fort, qu’on appellait Fort William, et le gouverneur, qui allait y faire passer trois cents habitans, fut blessé de trois coups et renversé.

Despensens fit aussitôt abaisser le pont-levis et ouvrir le guichet. Alors tout le reste de l’armée entra, et les Anglais demandèrent quartier. Ainsi, en moins d’une demi-heure, les Français se trouvèrent maîtres de deux forts, dont chacun aurait pu arrêter longtemps, un corps de troupes beaucoup plus considérable que celui que commandait St. Ovide; car il y avait dans l’un dix-huit canons en batterie, quatre mortiers à bombes, vingt à grenades, et plus de cent hommes de garnison. Il y avait dans l’autre six cents habitans bien retranchés. Il en restait un troisième plus petit, à l’entrée du port, mais de l’autre côté: St. Ovide l’envoya sommer de se rendre: le commandent demanda vingt-quatre heures pour répondre, et on les lui accorda. Ce terme écoulé, il se rendit, quoiqu’il eût quatre-vingts hommes de garnison, une assez bonne artillerie, une voute à l’abri des bombes, et des vivres pour plusieurs mois.

Dès que St. Ovide se vit maître de St. Jean, il dépêcha un exprès à M. de Costebelle, pour l’informer de son succès, et recevoir ses ordres sur ce qu’il avait à faire. Costebelle ne jugeant pas qu’il fût possible de garder St. Jean sans dégarnir Plaisance, qui depuis plus d’un an était menacé d’un siège, et ne croyant pas la cour de France disposée à lui envoyer assez de troupes pour défendre en même temps sa place et se maintenir dans un poste éloigné et difficile à garder, manda à St. Ovide de faire démolir les forts, et de se rendre à Plaisance au plus tard à la fin de Mars. Il lui envoya en même temps une frégate pour embarquer le gouverneur, l’ingénieur et la garnison de ces mêmes forts, avec les munitions de guerre qu’on y avait trouvées en grande quantité. Les prisonniers et les effets qui ne purent être embarqués sur le vaisseau furent mis à rançon, et M. de St Ovide, qui ne demandait que cent hommes pour conserver sa conquête, et achever celle de toute la côte orientale de Terre-Neuve, eut le déplaisir de se voir contraint de tout abandonner.

On ne savait pas encore à Québec la prise de St. Jean, lorsqu’on y fut informé qu’il se faisait à Boston un grand armement, qui devait être fortifié d’une escadre d’Angleterre, pour attaquer le Canada, et qu’on assemblait dans la Nouvelle York une armée de deux mille hommes, qui devait d’abord s’emparer de Chambly, et tomber ensuite sur Montréal. Il y avait même déjà plus d’un an que le P. de Mareuil, missionnaire à Onnontagué, avait donné avis au gouverneur général que les Cantons étaient vivement sollicités de se déclarer contre les Français; mais cet avis n’avait pas trouvé créance auprès du marquis de Vaudreuil, trop prévenu en faveur des Iroquois. Cependant le traité fut conclu à Onnontagué même, et la guerre fut chantée dans tous les cantons, à l’exception de celui de Tsoanonthouan.

Le gouverneur général eut bientôt des nouvelles plus certaines des dispositions des Iroquois et des préparatifs des Anglais pour l’expédition de Chambly; ce qui l’obligea à monter à Montréal, au mois de Janvier, après avoir donné ses ordres pour mettre la capitale en état de défense, et pour faire mettre les troupes et les milices prêtes à marcher au premier signal. Il leva en même temps un parti de deux cent-cinquante hommes; qu’il envoya du côté du lac Champlain, sous La conduite de Rouville; mais cet officier n’ayant pas eu de nouvelles de l’ennemi, et n’ayant pas ordre d’aller plus loin, prit le parti de s’en revenir à Montréal.

Le 10 Mai, le sieur Vesch, qui en 1705, avait sondé tous les passages difficiles du fleuve St. Laurent, sous le prétexte de venir traiter à Québec de l’échange des prisonniers, arriva d’Angleterre à Boston, d’où il se rendit en poste à New-York, pour y presser la levée des troupes qui devaient agir du coté de Montréal. On en fut bientôt informé dans cette ville; on y apprit même que Vesch avait présenté à la reine Anne un mémoire fort ample, où il lui exposait la facilité de conquérir le Canada, et l’utilité que l’Angleterre et ses colonies retireraient de cette conquête; que sa majesté avait agréé ce projet, et avait promis à Vesch, s’il réussissait, le gouvernement de la Nouvelle France; qu’elle faisait armer dans ses ports dix gros vaisseaux et dix autres plus petits; que cette flotte devait porter six mille hommes de troupes réglées, qui seraient commandées par un officier de distinction; que deux mille Anglais et autant de sauvages devaient attaquer le gouvernement de Montréal, et que leur rendez-vous était marqué à la rivière du Chicot, à deux lieues du lac Champlain, où ils construiraient leurs bateaux et leurs canots pour descendre à Chambly.

Sur ces nouvelles, le marquis de Vaudreuil assembla un grand conseil de guerre, où il fut résolu de marcher incessamment vers la Nouvelle York, pour dissiper l’orage qui s’y formait, afin que la colonie, rassurée de ce côté-là, pût réunir toutes ses forces contre la flotte anglaise, si elle venait à Québec. M. de Ramsay offrit de se charger de l’exécution de ce projet, mais son offre ne fut pas acceptée d’abord, et, dit Charlevoix, on n’en peut apporter d’autre raison que le peu de concert qui existait entre lui et le gouverneur de Montréal: ce ne fut que deux mois après qu’il se rendit aux instances de M. de Ramsay, lorsqu’on eut appris que les Anglais avaient bâti des forts de distance en distance, depuis Orange jusqu’au lac du St. Sacrement. L’armée composée de quinze cents hommes, partit de Montréal le 28 Juillet. L’avant-garde, composée de cinquante Français et de deux cents Abénaquis, était commandée par Montigny, et soutenue par Rouville avec cent Canadiens. Après eux marchaient cent soldats des troupes du roi sous les ordres de M. de La Chassaigne. Le gouverneur de Montréal suivait à la tête de cinq cents Canadiens distribués en cinq compagnies commandées par MM. St. Martin, des Chaillons, des Jordis, de Sabrevois et de Lignery. Les Iroquois chrétiens faisaient l’arrière-garde, sous la conduite de Joncaire; des Algonquins et des Outaouais étaient sur les aîles.

L’armée fit, dans cet ordre, quarante lieues en trois jours; et il est indubitable, dit Charlevoix, que si elle fût allée jusqu’au camp des ennemis, elle en eût eu bon marché; mais le peu de concert entre le commandant et les officiers: le défaut de subordination dans les troupes, et de faux avis donnés à M. de Ramsay, firent échouer une entreprise dont le succès paraissait immanquable. Après qu’on eut mis en déroute un détachement de cent dix-sept hommes, qui s’étaient trop avancés, et dont le commandant fut tué, le bruit se répandit qu’un corps de cinq mille hommes n’était pas loin, et s’était bien retranché; sur quoi, les sauvages déclarèrent qu’ils n’étaient pas d’avis qu’on s’avançat d’avantage, et qu’il leur paraissait beaucoup plus à propos de défendre les postes avancés, que d’aller chercher si loin un ennemi qui avait eu tout le loisir de bien fortifier son camp, et qui pouvait en outre être secouru par toute la jeunesse d’Orange et de Corlar. Le conseil de guerre fut assemblé, et la résolution y fut prise de se retirer.

(A CONTINUER.)

HISTOIRE NATURELLE.

Animaux marins de la côte du nord-ouest de l’Amérique, et de
celle du nord-est de l’Assie.

La méditerranée entre le nord-ouest de l’Amérique et le nord-est de l’Asie parait être la principale résidence de plusieurs espèces de cétacées d’une nature trop curieuse pour que nous négligions d’en dire quelques mots.

De grands troupeaux d’ours marins se tiennent particulièrement entre les îles Kouriles et les Aleutes. Les plus grands de ces animaux ont quatre-vingt-dix pouces anglais de largeur, et pèsent jusqu’à dix-huit à vingt pounds. L’ours est le quadrupède auquel ils ressemblent le plus, excepté les pieds de aérant et la partie inférieure du corps, qui est d’une forme conique. Ce que cet animal a de plus extraordinaire, ce sont ses pieds garnis de nageoires, et munis en même temps d’articulations et de doigts. Cette conformation le met non seulement en état de marcher sur la terre, de se servir de ses pattes de différentes manières; mais il les emploie encore pour nager, par le moyen des membranes qui unissent les doigts du pied.

Ces animaux ont des mœurs et des usages qui leur sont tellement propres et si extraordinaires, que la description en passerait pour fabuleuse, si elle ne nous était attestée par un observateur aussi clair que véridique. Rien n’égale la tendresse des mères pour leurs petits, et c’est un spectacle agréable de voir comme elles tâchent de les amuser par toutes sortes de jeux. En les amusant on croirait qu’elles veulent même les excercer à combattre; l’un cherche à renverser l’autre; et quand le père arrive en grognant, il sépare les combattans; mais il essaie de faire tomber celui-ci par terre, et plus il éprouve de résistance, plus il lui témoigne de tendresse, tandis qu’au contraire il paraît mécontent de ceux qui sont lâches et timides.

Quoique la polygamie soit générale parmi les ours marins, puisqu’il y en a qui ont jusqu’à cinquante femelles, cependant ils en sont très jaloux, et deviennent furieux lorsqu’un autre les approche. Ils reposent souvent par milliers sur le rivage, mais sont toujours séparés par familles; et c’est aussi de la même manière qu’ils nagent en mer.

Quelquefois les ours marins se livrent des batailles sanglantes, occasionnées par leur jalousie, ou le choix du lieu où ils veulent s’établir. Si deux de ces animaux se réunissent contre un seul, d’autres viennent au secours du plus faible; et les spectateurs, élevant leur tête au-dessus de l’eau, regardent ainsi tranquillement le combat, jusqu’à ce qu’il trouvent des motifs qui les portent à y prendre part. Ces animaux dans leurs combats couvrent quelquefois le rivage l’espace de deux à trois verstes, et l’air retentit au loin de leurs affrayants rugissemens. Les oiseaux de proie voltigent autour du champ de bataille, en attendant la proie que ces guerres civiles leur promettent.

Les ours mâles excercent sur femelles une autorité souvent tyrannique. Si, à l’attaque des chasseurs, les femelles épouvantées abandonnent leurs petits, et que ceux-ci soient enlevés, on voit aussitôt les mâles cesser de poursuivre l’ennemi commun, et se tourner contre les femelles pour les rendre responsables de leurs pertes: ils les blessent à coups de dents, et les poussent contre les rochers, tandis qu’elles rampent aux pieds de leurs maîtres.

Depuis le mois de Juin jusqu’au mois d’Août, les ours marins viennent à terre pour dormir pendant trois mois, et se débarasser d’une graisse trop abondante; comme font en hiver les ours de terre. C’est le temps qu’on choisit préférablement à tout autre pour les attaquer. Ceux qui sont vieux, ou qui ont déjà acquis toute leur croissance, ne s’effraient pas aisément, et s’avancent vers l’homme avec beaucoup de courage.

La peau de l’ours marin a peu de valeur; son poil est noir, touffu et très hérissé. Le cuir est épais et pesant: il ne sert, ainsi que la peau du phoque, qu’à revêtir des coffres. Sous le long poil, il a, comme le castor, une laine plus fine, qui est d’un noir brillant. La peau des jeunes ours, qu’on trouve dans le ventre de la mère, est infiniment plus belle; les Sibériens en font des habits entiers, et y attachent une grande valeur.

Les loups marins ressemblent, à l’extérieur comme à l’intérieur, aux ours marins, mais ils sont beaucoup plus grands et pèsent le double: les mâles ont, outre cela, une crinière crépue autour du cou. La vue de cet animal est effrayante, et il se défend avec furie en cas de nécessité; mais il évite de combatte contre les hommes, et prend la fuite à leur approche, pour se précipiter dans la mer. C’est là qu’il est si dangereux de l’attaquer, qu’on cherche ordinairement à la surprendre à terre, pendant son sommeil. Quand un chasseur qui peut se fier sur sa vigueur et la rapidité de sa course, parvient à le trouver endormi, il s’en approche contre le vent, pour ne pas être découvert, lui perce les pieds de devant avec des dards crochus pendant que d’autres lient l’extrémité de la courroie à un pieu enfoncé dans la terre: alors on perce de flèches empoisonnées le loup marin, qui ne peut fuir aisément, ou on l’assomme à coups de massue. Souvent on cherche seulement à le blesser avec des traits empoisonnés, et on l’abandonne ensuite à son sort: comme la salure de l’eau augmente ses douleurs, il retourne bientôt sur le rivage, et devient, mort ou vif, la proie des chasseurs.

La tendresse des ours marins pour leurs petits contraste singulièrement avec la férocité des loups marins, qui traitent souvent les leurs d’une manière cruelle; mais l’on retrouve parmi ces derniers les combats sanglants de ceux-là. Ils se campent dans les mêmes lieux que les ours, qui leur abandonnent par crainte les meilleures places, et ne se mêlent jamais dans leurs querelles, quoique les loups marins le fassent à leur égard, toutes les fois qu’ils en trouvent l’occasion.

L’avantage que l’on retire de la prise de ces animaux est considérable; leur graisse et leur chair sont d’un fort bon goût, et les Kamtchadales font de leurs pieds une gelée qu’il trouvent délicieuse. On prépare leurs peaux, et on en fait des cuirs et des courroies qui servent pour la chasse de ces mêmes animaux, et pour la pêche des grands poissons de mer.

Le lamantin est la troisième espèce d’amphibies dont nous avons à parler ici. On le trouve sur les côtes orientales et occidentales de l’Amérique. Les plus grands de ces animaux ont quatre ou cinq toises de circonférence vers le nombril, qui est la partie où ils ont le plus d’épaisseur. Leur tête, qui ressemble à celle d’un buffle, tient au corps par un cou très court. Les pieds de devant sont formés de deux jointures dont l’extrémité a quelque ressemblance avec le pied du cheval: ils sont garnis par-dessous de plusieurs petites brosses, dont l’animal se sert pour arracher, d’entre les pierres, les herbes marines dont il se nourrit; son dos est comme celui d’un bœuf; son ventre énorme diminue tout-à-coup; sa queue, qui est très mince, se termine par une nageoire, qui lui tient lieu de pieds de derrière.

Ces animaux se plaisent dans des lieux humides et sablonneux; ils se tiennent ordinairement réunis en troupes sur les bords de la mer, à l’embouchure des rivières; et alors ils sont si familiers qu’on peut les caresser, et même les frapper sans danger. Les mâles paraissent n’avoir qu’une femelle: l’attachement des premiers pour les dernières est si vif, qu’ils s’exposent à une mort certaine quand elles sont prises, et se laissent souvent mourir de faim auprès de leurs cadavres.

On prend ce singulier animal avec de grandes lances de fer garnies de crochets, qui sont attachés à une longue et forte corde. Les pêcheurs s’avancent doucement, à la rame, vers une troupe de lamantins; un homme placé à la proue du canot, darde cette lance contre l’animal, et des gens à terre le tirent sur le rivage par le moyen de la corde: il faut pour cela au moins trente hommes, parce que le lamantin oppose la plus vive résistance. Alors le canot le suit, et les pêcheurs, cherchent à l’épuiser, en lui faisant différentes blessures. Aussitôt que les lamantins qui sont dans le voisinage s’apperçoivent du danger d’un de leurs camarades, ils accourent à son secours; quelques uns essaient de renverser le canot avec leurs dos; d’autres se placent sur la corde et s’efforcent de la rompre, ou ils frappent avec leur queue pour arracher le crochet de la peau de l’animal blessé, ce qui leur réussit aussi quelquefois.

Les Américains (naturels) emploient la peau épaisse et dure de cet animal pour faire des semelles de souliers et des ceintures. Les Tchoukthis l’étendent avec des bâtons, et elle leur sert de canots. La chair du lamantin est plus filandreuse que celle du bœuf; mais quand elle est cuite, elle lui ressemble beaucoup pour le goût, et a sur elle l’avantage de ne pas se corrompre promptement, même pendant les jours les plus chauds. La chair de jeune lamantin est infiniment plus tendre. La graisse se trouve sous la peau, à l’épaisseur de la main, tout autour du corps; elle est blanche et fluide; son odeur et son goût sont très agréables, et, quand elle est fondue, elle a un peu le goût d’huile d’amande.

La loutre marine, que l’on appelle à tort loutre du Kamtchatka, ne diffère de la loutre de rivière que par son séjour dans la mer, parce qu’elle est moitié plus grosse, et que son poil est infiniment plus beau. Il paraît incontestable que cet animal est d’origine américaine, et étrangère sur les côtes de l’Asie. On le trouve dans la partie de l’océan Orientale que les Russes appellent vulgairement la mer des Castors, depuis le 50e jusqu’au 56e degré de latitude septentrionale. Il a ordinairement cinq pieds de longueur, et trois de circonférence dans la partie la plus épaisse: les plus grands de ces animaux pèsent de soixante-dix à quatre-vingts livres. Leur peau l’emporte beaucoup par la longueur, la beauté, la noirceur et l’éclat du poil, sur celle des castors. On la vend au Kamtchatka, vingt roubles; a Iakutsk, trente: à Irkoutsk, quarante et cinquante; et dans le commerce d’échange qu’on fait sur les frontières de la Chine; son prix augmente jusqu’à quatre-vingt et cent roubles. La chair de ces animaux est assez bonne, et, ce qui paraît contraire aux lois ordinaires de la nature, peu de temps après qu’elle a mis bas, la loutre de mer se nourrit de crabes, de coquillages, de petits poissons, de quelques herbes marines; elle mange même de la chair.

Les usages et la manière de vivre des loutres sont singuliers et divertissants: le mâle caresse la femelle avec ses pattes de devant, dont il se sert pour toutes sortes d’emplois avec une adresse étonnante: celle-ci joue avec ses petits et se défend des caresses du père avec une feinte indifférence. Ils ont une tendresse si grande pour leurs petits, qu’ils emploient les moyens les plus extraordinaires pour les sauver, et s’ils n’y réussissent pas, ils meurent souvent de regret. Quand ils fuient, ils prennent leurs petits entre leurs dents, et chassent ceux qui sont grands devant eux. S’ils ont le bonheur d’échapper à leurs ennemis, ils s’en moquent aussitôt qu’ils sont dans l’eau. Ils s’y tiennent perpendiculairement; ils jouent sur les flots, et posent leurs pattes devant leurs yeux, comme quelqu’un qui veut éviter de regarder le soleil: tantôt ils se couchent sur le dos, et se frottent le ventre avec les pattes de devant; tantôt ils lancent leurs petits dans l’eau et les reprennent. Si une loutre est poursuivie, et qu’elle ne voie aucun moyen d’échapper, elle souffle comme un chat qui est en colère; si elle est frappée, elle se prépare aussitôt à mourir, se couche sur le côté, retire ses pattes de derrière, et se couvre les yeux avec celles de devant. On tue les loutres avec des flèches, ou en les assommant sur la glace au moyen d’une massue, ou enfin dans des filets.

La chasse aux loutres sur la glace de l’océan est ordinairement accompagnée d’orages affreux et de tourbillions de neige; les chasseurs bravent même les nuits les plus obscures. Ils courent et s’élancent avec intrépidité sur ces glaces flottantes; tantôt ils sont engloutis dans les abîmes. Ils ont un couteau et une perche à la main, et ils portent des patins garnis de pointes, afin de pouvoir s’accrocher aux glaçons, surtout quand ils s’entassent les uns sur les autres. Les Kouriles et les Kamtchadales dépouillent les loutres de leur peau avec une promptitude incroyable et au milieu de mille dangers et des mugissemens de ces glaces flottantes. Si la fortune leur est favorable, ils rapportent leur butin à terre; mais souvent les glaçons sur lesquels ils se trouvent sont poussés bien avant dans la mer, et ils se voient forcés de tout abandonner pour ne s’occuper que des moyens de se sauver: les nageurs les plus exercés se fient sur leur adresse; les autres s’attachent à leurs chiens, qui les ramènent fidèlement sur le rivage.

La loutre est, de tous les animaux dont il a été question, le plus utile pour le commerce, sa belle peau est très chère à la Chine. (Beautés de l’Histoire Amérique.)

La Tortue.

Il y a des tortues de la largeur de la main, et d’autres de la grosseur d’un bœuf, et du pois de deux, trois, six, huit cents livres, dont l’écaille est large comme la porte d’une chambre. On en mange la chair, qui est verte et grasse, et a le goût de chair de poulet: elle est fort du goût des marins dans leurs voyages. Leurs écailles servent à faire une infinité d’ustensiles très jolis. Autrefois les Indiens se servaient des plus grandes en guise de boucliers, ou pour les canots, ou pour les toits.

Celle que l’on appelle Midas ou Géant est la plus grosse de toutes; son écaille est de la grandeur d’une porte de chambre, et son poids de sept à huit cents livres. Avec dix hommes sur le dos, elle peut marcher comme si elle n’avait rien, et le char le plus pesant peut passer sur elle sans l’écraser, ni même la faire plier. Cette espèce de tortue est l’animal le plus aisé à prendre: il n’y a qu’à épier le moment où le soir, elle sort de la mer, s’approcher par derrière une perche à la main, et la renverser avec sur le dos: elle est prise. Mais si l’on s’approche par devant, elle vous jette au visage une quantité de sable; et si elle peut même tenir son homme, elle l’écrase.

La tortue Géométrique est une des plus petites: elle n’a que la largeur de la main, et l’écaille très jolie, tachetée de noir et de jaune. Cette tortue a la couverture supérieure des plus bombées. Les couleurs dont elle est variée la rendent très agréable à la vue. Les lames qui revêtent les deux couvertures, et qui sont ordinairement au nombre de treize sur le disque, de vingt-trois sur les bords de la carapace, et de douze sur le plastron, se relèvent en bosse dans leur milieu. Elles sont fortement striées, séparées les unes des autres par des espèces de sillons profonds et la plupart à six côtés. Leur couleur est noire; le centre présente une tache jaune, d’où partent plusieurs rayons de la même couleur. Ces lames présentent ainsi une sorte de réseau de couleur jaune composé de lignes très distinctes, dessinées sur un fond noir, et ressemblant à des figures géométriques. C’est de là qu’a été tiré le nom qu’on donne à l’animal. On trouve cette tortue particulièrement en Asie.

Enfin, l’espèce nommée Tortue squammeuse, a l’écaille la plus belle et la meilleure, et son nom vient de ce que ses écailles, qui ont une palme de diamètre, sont posées les unes sur les autres comme celles des poissons. (Le Petit Buffon.)

MINES DE FER.

Parmi les différentes espèces de fer, qui s’élèvent au nombre de dix, celle à laquelle on a donné le nom de fer natif, est la plus rare. Des masses de ce fer ont été trouvées à Kamsdorf, à Libenstock, en Saxe, à Miedzinogora en Pologne, à Krasnoiarsk, près de Jemnisey, en Sibérie, et enfin à Ottumpa, dans la juridiction de Santo del Stero, dans l’Amérique Méridionale. La découverte de cette dernière masse a été faite sur la fin du dix-huitième siècle, par des Indiens dont l’occupation est de recueillir le miel et la cire qui se trouvent en grande abondance dans les bois qui environnent cette contrée.

Le vice-roi fut un des premiers instruit de la découverte de ces Indiens; mais il se refusa d’abord de croire à sa réalité, parce qu’elle lui parut d’autant plus singulière, qu’on ne rencontre aucune montagne de ce côté, et qu’on trouve à peine une pierre dans une étendue de cent lieues de circonférence. Cependant quelques particuliers, excités par l’appas du gain, se décidèrent à braver les dangers d’une telle entreprise, et se transportèrent, au risque de mourir de soif, ou d’être dévorés par les bêtes sauvages, qui sont très communes dans cette partie de l’Amérique, sur le lieu de la découverte. Le seul fruit qu’ils retirèrent de ce pénible voyage fut d’apporter à Lima et à Madrid quelques morceaux de la masse métallique, objet de leur cupidité, et de savoir que le métal qui la composait était très dur et très doux. Il n’en fut pas de même de l’assurance qu’ils donnèrent que la veine de fer avait plusieurs lieues d’étendue. Elle fut prise en considération par le vice-roi del Rio de la Plato, qui chargea don Celis d’aller examiner avec la plus scrupuleuse attention cette masse métallique, et même d’établir une colonie dans son voisinage, s’il jugeait qu’elle fût digne d’être exploitée.

Après avoir parcouru un espace de soixante-dix lieues, don Celis arriva, le 15 Février, à Ottumpa, et il trouva la masse de fer natif qui lui avait été indiquée.

Sa surface extérieure lui fit d’abord croire qu’elle était compacte; mais il n’en eut pas plutôt enlevé quelques morceaux qu’il s’apperçut qu’elle était intérieurement remplie de cavités, comme si la masse entière eût été primitivement dans un état liquide. L’impression des deux pieds et des mains d’un homme, ainsi que des pattes de quelques grands oiseaux, qu’il y remarqua, le persuadèrent d’abord que son assertion était fondée. Mais après un sérieux examen, il fut convaincu que l’impression qui avait frappé ses regards n’était qu’un jeu de la nature, ou que si la masse métallique l’avait reçue, ce ne pouvait être qu’en tombant sur la terre que cette impression aurait été primitivement laissée.

Des hommes armés de ciseaux furent aussitôt employés à couper cette masse; mais ils n’en eurent pas plutôt enlevé vingt-cinq ou trente morceaux, que leurs outils furent ébréchés au point de ne pouvoir plus servir. Il fallut alors enlever la terre qui la couvrait. Cette opération conduisit à faire remarquer qu’au-dessous du niveau de la terre, la masse ferrugineuse était recouverte d’une couche d’oxide, d’environ six pouces d’épaisseur, et que puisque la surface extérieure de cette masse n’en était pas couverte, il fallait en conclure que c’était à l’humidité de la terre qu’elle devait sa naissance. Vainement chercherait-on quelques signes de végétation dans ce lieu désert: ce n’est qu’à une distance de deux lieues du côté de l’est, qu’elle commence à se laisser appercevoir. Une herbe grêle, courte et menue croît en quelques places: le goût en est insupportable au bétail. Mais un peu plus loin, la nature redonne la vie à la terre, et tout y reprend insensiblement les symptômes de la fertilité.

De ces diverses circonstances particulières, tant à la masse métallique elle-même, qu’à la terre qui l’avoisine, don Celis a cru devoir tirer la conséquence que, puisque cette masse n’avait été ni produite par une opération quelconque de la nature, dans la place où elle a été trouvée, ni apportée par les hommes, il fallait nécessairement qu’elle y eût été lancée par quelque explosion volcanique.

Les immenses forêts de cette contrée offrent encore à la vue une autre masse ferrugineuse, qui a eu indubitablement la même origine. Elle est figurée comme un arbre avec toutes ses branches.

En creusant la terre, à une petite profondeur, on a trouvé des pierres de quartz, d’une très belle couleur rouge. Plusieurs ces pierres étaient mouchetées et couvertes de clous ressemblant à de l’or. On assure qu’une d’elles, pesant une once, a été travaillée par ordre du gouvernement, et qu’on en a tiré une drachme d’or.

La masse de fer découverte à Libenstock n’offre aucune particularité remarquable. Quant à celle de Krasnoiarsk, sa description peut être instructive. Son minerai, dont la pierre est constituée d’un sable mouvant, donne de place en place une efflorescence rouge. C’est un Cosaque, nommé Melvedec, forgeron de son métier, qui, étant à la chasse, a fait la découverte de cette masse, qui est isolée sur la cime d’une montagne, et dans le voisinage de laquelle on ne trouve, ni rochers ni cailloux. Frappé du pliant et de là blancheur du fer dans l’intérieur de la masse, ainsi que du sonore du minerai, ce Cosaque s’imagina avec raison que ce métal était plus fin que celui qu’on voit ordinairement, et se rappellent que les Tartares regardaient ce bloc ferrugineux comme sacré, et qu’ils croyaient qu’il avait été lancé des cieux, il se décida à l’enlever, et à le transporter à trente verstes de là, dans le petit village d’Obéiskaïa, qu’il habitait.

Transportée ensuite à Krasnoiarsk, cette masse a été soumise à plusieurs expériences. On a essayé d’en détacher des fragmens; mais le fer en est si dur et si compact, que dix ou douze hommes armés de cognées d’acier, n’ont pu eu obtenir qu’un morceau du poids de deux livres. Ce qui en reste est un fer doux, blanc dans ses brisures, et rempli de trous, comme une éponge grossière. Des larmes de verre, ou des prismes hyacinthiques de la plus grande pureté, d’une parfaite transparence, et possédant la fermeté et la couleur jaune de l’ambre, remplissent ces trous. Quoique la superficie en soit lisse, on y voit deux et souvent même trois facettes plates à leur extrémité, qui se trouve ou émoussée en rondeur, ou tenant à d’autres larmes. Cette texture et ces larmes sont de la grosseur d’un grain de chenevis, ou de celle d’un gros pois. Il y en a de plus fortes. Les unes sont d’un jaune pur, tandis que les autres tirent sur le brun et le vert; leur figure est généralement uniforme. Aucune trace de scories ne s’y fait remarquer, et rien n’indique qu’elles aient subi l’action du fer artificiel. Lorsqu’on brise ce fer, il en résulte un émail réduit en petits grains, avec lesquels on peut couper le verre, ou un émail en poussière qui ressemble à du verre pilé. Ces circonstances n’ont pas lieu dans les endroits où la masse se compose d’un fer un peu aigre.

Quant au fer commun, il n’en est pas de supérieur, pour la fabrication de l’acier, à celui qu’on retire des mines de Suède. Le minerai, plus pur que celui des mines d’Angleterre, donne un fer moins fragile, et par conséquent plus propre à recevoir la cémentation. La plus considérable de ces mines est celle qu’on nomme Taberng. Elle est située dans une montagne de sable. En voyant ce qu’elle peut produire encore, ou a peine à croire qu’elle est exploitée depuis plus de trois siècles.

Mais la plus riche est celle de Danmora, dans la province d’Upland. Elle occupe une vaste étendue de pays, et son minerai est le plus beau de l’Europe. Ses produits forment une des branches les plus essentielles du commerce de la Suède, et la plus grande partie des revenus du roi. Elle n’est pas creusée comme les autres mines. On la déchire à son sommet par le moyen de la poudre à canon. Cette brisure a lieu chaque jour à midi, et produit une explosion qu’on ne peut mieux comparer qu’à un tonnerre souterrain, ou plutôt à une décharge d’artillerie qu’on ferait sous terre. L’effet en est effrayant, et la commotion si forte, qu’indépendamment des pierres qui sont lancées à une hauteur considérable du lieu où l’on fait jouer la mine, les rochers et la terre environnante en sont ébranlés. C’est à travers les ouvertures qui sont ainsi pratiquées, que le minerai est transporté à la surface de la terre, dans des tonneaux fixés à de gros cables, qui se roulent et déroulent sur l’axe d’une machine que des chevaux font mouvoir.

Ce n’est que lorsque l’explosion est entièrement terminée, que les curieux visitent l’intérieur de la mine. Ils se placent pour cela dans des tonneaux faits exprès, et dont la capacité est assez grande pour contenir jusqu’à trois personnes. Il faut être fait à une semblable manière de voyager pour ne pas ressentir quelque effroi de se voir ainsi suspendus au-dessus d’un précipice dont on ne trouve la fin qu’après avoir descendu pendant neuf ou dix minutes. Mais aussi, ce trajet une fois effectué, on est grandement dédommagé par les sensations qu’on éprouve. Ici, c’est de l’étonnement et de l’admiration, en voyant des hommes assez hardis pour se tenir debout sur une poutre étroite, qui traverse le précipice, et y travailler de sang-froid, à pratiquer dans le roc des trous où l’on puisse faire jouer la mine. Là c’est du ravissement causé par l’effet des flambeaux allumés, qui, jettant, au milieu de l’obscurité, une lumière éclatante, sur les figures des ouvriers, les font ressembler aux compagnons de Valcain, ou aux Titans, quand ils voulurent escalader le ciel. Plus loin, c’est de la pitié qu’inspire le spectacle de quelques misérables, qui, rangés autour d’un grand feu, font un chétif repas, auquel ils vous invitent, de la meilleure grâce du monde, à prendre part, et que l’on rend heureux en payant leur politesse avec quelques pièces de monnaie. Ajoutez à cela le mouvement continuel de près de trois mille cinq cents ouvriers, qui passent là la plus grande partie de leur vie, sans voir le jour, et on aura une idée assez exacte de cette sombre et triste demeure, dont l’austère richesse se répand ensuite sur toute la surface de la terre. (Merveilles du Monde.)

SUR L’AGRICULTURE EN CANADA.

En envisageant l’état de plusieurs terres étendues dans ce pays, qui sont défrichées depuis longtems, un fermier anglais ou écossais sera surpris de voir le manque d’amélioration qui s’y trouve. Il verra la surface de champs étendus, d’ailleurs de valeur par leur sol et leur exposition, toute couverte de pierres presque toutes détachées; il la trouvera remplie d’inégalités, de creux et de buttes, et d’obstructions qui arrêtent la charrue, et empêchent de labourer de la manière convenable: il verra qu’on a fait peu d’attention aux égouts, et que les fossés n’ont pas été conduits jusqu’à des débouchés, de manière a empêcher l’eau de croupir à la surface. Enfin il n’y trouvera rien de ce qu’on appelle amélioration dans la Grande-Bretagne.

L’observateur le moins attentif trouvera évident que le manque d’attention à ces différents objets d’amélioration doit causer des pertes sérieuses au cultivateur qui se rend coupable d’une telle négligence. Lorsqu’on laisse les pierres étendues sur la surface et qu’on n’ôte pas les obstacles qui empêchent de labourer, ou qu’on laisse sur la terre des morceaux improductifs, faute des améliorations convenables, la perte s’accumule de plus d’une manière. De grandes portions des terres en différents endroits de ce pays sont encore sujettes à être submergées par les débordemens du printems et de l’automne; et une plus grande partie encore de ces terres offrent des marques évidentes qu’elles ont été autrefois ensevelies sous l’eau. Des arbres arrachés par les racines et tombés dans les rivières et de grosses pierres dans des masses de glase, y ont été entrainés et déposés; et très souvent on les a laissé demeurer sur ces terres, et les espaces qu’ils occupent, ainsi que d’autres obstructions, sont autant de perdu pour le cultivateur, qui n’y recueille rien. Mais la quantité de terre qu’il perd de cette manière ne constitue pas toute sa perte; tout obstacle qui empêche de labourer, ou augmente la difficulté de le faire, use ses harnois, expose ses instrumens d’agriculture à un plus grand risque de se briser, et l’assujétit à un surcroît de dépense et conséquemment de perte. Dans ce pays, où le prix du travail est haut, le fermier fait faire, autant qu’il peut, son ouvrage à la pièce ou à l’entreprise, ou comme on dit en Angleterre, à la tâche. Lorsqu’il y a des parties de sa terre qui ne portent point, il est clair qu’il est exposé à payer plus qu’il ne faut; car comme il n’y a pas de déduction de faite pour ces morceaux perdus, il est obligé de payer pour plus d’ouvrage qu’il n’en a été fait; et c’est le cas, quelque soit le genre de l’ouvrage, s’il le fait faire à la tâche, soit qu’il s’agisse de labourer, de semer, de sarcler, de faucher, ou de couper; de là il arrive que par le manque des améliorations convenables, il s’assujétit à payer plus cher trois fois, pour la même récolte. Telles sont une partie des pertes auxquelles le cultivateur s’expose par la négligence de cette partie de l’économie rurale; et si l’on met ensemble la perte que lui occasionnent les morceaux de sa terre dont il ne peut tirer partie, le surplus de dépense qu’il est oblige de faire pour réparer ou renouveller ses instrumens usés ou brisés, et ce qu’il est obligé de payer pour un travail qui ne s’est pas fait, on trouvera que la somme couvrirait au moins les frais qu’il lui faudrait faire pour débarasser la surface de son champ de ces obstructions.

Comme je parlais de ce sujet à un de mes voisins, il y a quelques jours, et lui recommandais d’ôter les pierres de son champ, il me demanda tout naturellement qu’est-ce qu’il en ferait? C’est donc là le point à considérer présentement.—L’économie dans chacune des branches de la vie champêtre doit être la première étude de l’agriculteur, tant pour les améliorations à faire que dans les autres parties de ses travaux. J’ai déjà montré qu’en laissant les pierres étendues dans ses champs, le cultivateur éprouve une perte directe, et s’il peut en tirant parti de ces pierres, diminuer ce qu’il en doit coûter pour les enlever, il doit le faire sans doute: mais que ce soit ou ne soit pas le cas, ce doit être pour lui un sine qua non, de les ôter de dessus son terrain. Pour s’assurer à quelles fins les pierres peuvent être employées avec avantage sur une terre, il faut avoir recours à l’expérience des agriculteurs intelligents, et se guider dans le choix des plans qu’ils recommandent par la situation locale de la terre.

1º. Les pierres qu’on ôte de dessus la surface d’un terrain peuvent être employées avec avantage à faire des clotures, l’expérience constante ayant prouvé que par leur durée, les clotures de pierres sont préférables à celles de bois, de toute espèce, ainsi qu’aux haies, là ou il faut des divisions permanentes entre les champs 2º. S’il arrive qu’il y ait de grandes cavités dans quelque partie de la terre, elles peuvent être remplies de pierres à dix-huit pouces au-dessous du niveau du reste du terrain, et puis recouvertes à une profondeur suffisante pour empêcher que la charrue ne les atteigne.—3º. Les petites pierres, ou même les grosses, si elle sont concassées, peuvent être employées à faire des chemins privés ou publics sur la terre ou aux environs, qui par leur plus grande durée et l’avantage d’être toujours secs, seront une épargne pour le fermier, en ce qu’ils exigeront peu de réparations et le mettront en état de charger en tout tems ses voitures complètement. 4º. Si la terre est entrecoupée ou bornée par une petite rivière ou une ravine, sujette à devenir un torrent, dont les rives soient emportées durant les inondations du printemps et de l’automne, les pierres peuvent être employées utilement pour empêcher que les bords ne soient entamés par l’eau, et le terrain diminué d’autant. 5º. Dans les endroits où le bois est cher, et dans tous les cas où la chose se peut faire, les pierres doivent être employées à la construction des bâtimens sur la terre, et il en coûte beaucoup moins de les prendre à la surface du sol que de les tirer des carrières. 6º. Enfin si les circonstances empêchent qu’elles soient employées de quelqu’une de ces manières, on peut les amasser en tas dans quelque endroit aussi écarté et aussi peu utile que possible, où elles occuperont toujours moins d’espace que lorsqu’elles sont éparses dans le champ, et causeront moins de tort. Pour pouvoir ôter et transporter les grosses pierres, il y a des fermiers qui les cassent au moyen de la mine ou autrement; mais quand il en coûte trop de temps et de frais, on peut creuser un trou à côté de la pierre et l’y jetter, en prenant soin qu’elle soit à une assez grande profondeur pour que le soc de la charrue n’y puisse toucher. Après que les pierres sont recouvertes, on doit étendre la terre restante sur la surface du sol, afin d’en préserver le niveau.

F. G. C.

M. CURATEAU; LE COLLEGE DE MONTREAL, &c.

Extrait du Spectateur Canadien du 12 Février 1825.

La génération actuelle ignore peut-être déjà jusqu’au nom de l’ardent et infatiguable M. Curateau, auquel nous devons la naissance du Collège de Montréal, et un si grand nombre d’hommes de talens, de mérite, de vertus, dans tous les rangs et dans tous les états.

A-t-il été jamais question de rendre à la mémoire de ce respectacle prêtre l’honneur qui lui est dû? Qu’il me soit permis de rappeller ici à ce sujet pour l’instruction de la génération actuelle, quelques traits bien remarquables qui se sont renouvellés si souvent ici à l’égard de ceux qui forment quelqu’entreprise utile, surtout si elle a le bien public pour objet. Je veux dire que chacun de ceux qui en sont les témoins, peut-être même les objets, déchirent celui qui en est l’auteur. On le tourne en redicule, au lieu de se réunir à lui pour lui fournir des secours, ou pour l’encourager dans cette pénible carrière. M. Curateau voyant les difficultés que l’on éprouvait à faire faire des études complèttes aux jeunes gens, qu’il fallait, à cette époque, envoyer à Québec, ce qui occasionnait surtout aux parens des dépenses auxquelles la modicité assez générale des fortunes ne leur permettait pas de subvenir, songea à commencer à former une espèce de petit Collège dans la cure où il se trouvait alors. Il se procura quelques maîtres pour l’aider dans cette œuvre méritoire, et il se trouva bientôt un nombre assez considérable de jeunes gens, qui donnèrent quelque réputation à son pensionnat. Ses succès nourrirent son zèle et activèrent le désir qu’il avait d’étendre la sphère du bien qu’opérait cet établissement. Il l’augmenta à la Longue-Pointe en se genant dans son presbytère, en y logeant les écoliers en aussi grand nombre que le local et les bâtimens qui en dépendaient lui en fournissaient les moyens. Son Collège devint enfin l’objet de l’attention des citoyens, et on finit par le seconder, de manière à lui faire produire les fruits heureux que nous avons depuis vu éclore et mûrir pour l’avantage de notre pays.

Il faut maintenant dire que pendant qu’il travaillait à mettre la dernière main à un projet si digne d’éloges, il était l’objet des railleries et des sarcasmes d’une foule de personnes sages et prévoyantes alors, comme il s’en est trouvé depuis, chaque fois qu’il a été question de quelques autres entreprises de cette nature, ou autres propres à donner de l’importance ou du relief aux Canadiens, et à consolider leurs établissemens.

On tournait cette entreprise en ridicule; elle ne pourrait, disait-on, réussir. N’était-ce pas plus qu’il en fallait déjà, d’un Collège, dans un pays pauvre et dont la population était si faible? L’établissement de celui-ci nuirait à l’autre. Cette entreprise était celle d’un cerveau creux, d’un cœur bouillant qui excluait la prévoyance. L’auteur de cette entreprise ne voyait pas, disait-on, que tous ses efforts avaient un bût tout au moins inutile, s’il n’était pas dangereux. Je n’irai pas plus loin et n’entrerai point dans les détails. Il me suffira de dire que l’on a en effet reproché à M. Curateau un zèle un peu ardent. Peut-être ce reproche n’était-il pas absolument dénué de fondement. Il est nécessaire d’observer en même temps que, soit jalousie, soit incapacité de s’élever nu niveau de ceux auxquels la nature a donné le courage et l’activité nécessaires pour faire quelque chose de grand, les hommes médiocres ne voient que de l’extravagance ou même du crime dans toutes les entreprises qui sont au-dessus de leurs conceptions, ou qui dépassent les bornes de leurs idées rétrécies. D’un autre côté, avouons que dans un pays où il est difficile de trouver des co-opérateurs dans des entreprisse importantes, il faut bien pardonner des faiblesses à ceux qui mettent dans leur conduite un zèle par fois un peu brulant, mais sans lequel, ils se décourageraient bien vite dans la carrière épineuse dans laquelle ils se trouvent engagés.

Mais enfin les succès couronnèrent la constance de M. Curateau, quand les uns purent se persuader que leurs espérances ou leurs craintes de voir tomber son établissement ne se réalisaient pas, et quand les autres virent enfin de quelle utilité il pouvait devenir.

La Fabrique de Montréal, qui se trouvait avec quelque fonds, au milieu de la pénurie générale qui avait succédé aux richesses éphémères qui s’étaient répandues immédiatement avant la conquête, fit l’achat de la maison qu’avait bâtie M. le gouverneur de Vaudreuil, et l’offrit à M. Curateau, pour s’y loger avec ses écoliers, Il donna à cette maison le nom de Collège de St. Raphaël. Il a subsisté jusqu’à l’incendie de la maison, et a été remplacé à cette époque par la superbe bâtisse du Petit-Séminaire, dont nous n’apprécions peut-être pas assez l’importance.

Ce Collège ferait honneur à une grande ville d’Europe, et est supérieur de beaucoup à plusieurs établissemens de la même espèce qui ont de la réputation chez nos voisins des Etats-Unis.[1]

Je voudrais, pouvoir m’étendre davantage sur M. Curateau. Je reviendrai peut-être dans quelqu’autre occasion, si des circonstances favorables, et surtout quelque loisir me fournissent le moyen de payer ce tribut dû à la mémoire d’un homme qui a mérité à si juste titre de voir son nom gravé des mains de la reconnaissance dans le tableau des progrès de l’éducation en cette province. Je dois me contenter en ce moment de signaler quelques évènemens du même genre de date moins éloignée dignes de l’attention de tout citoyen ami de son pays, qui doit nécessairement désirer de voir l’éducation s’y répandre, de voir reconnaître les nobles services, les travaux généreux de ceux qui ont contribué à la faire naître ou à la faire fleurir parmi nous.

Nous devons à la libéralité de M. Brassard, qui fut Curé dans le district des Trois-Rivières, les biens avec lesquels on a commencé à élever le Collège de Nicolet. Depuis l’époque où on a commencé à l’établir, le zèle et la munificence de l’Evêque Catholique de Québec ont enfin consolidé cette utile, cette respectable fondation. Je dois encore dire au sujet de cet établissement, que j’ai entendu blâmer les efforts employés pour y parvenir, avec la même amertume que l’on en avait mise à censurer l’entreprise de M. Curateau. C’était les mêmes craintes, sur ses dangers, les mêmes criailleries sur son inutilité: c’était surtout le mal qui en résulterait, disait on, pour les maisons de là même espèse déjà montées sur un pied respectable, qui ne pouvait manquer de frapper tous ceux qui étaient capables, de prévoyance. Ces Collèges ne pourraient désormais s’alimenter: celui-ci absorberait les sujets qui autrement auraient été placés dans les autres. Mais les heureux résulats de cet établissement ont enfin imposé silence à la malveillance.

Les anciens Collèges n’ont rien souffert de l’établissement de celui de Nicolet. Et sans celui-ci une foule d’individus qui n’auraient jamais eu même l’idée de ce que c’est qu’une éducation de collège, ont été formés là pour le sacerdoce où d’autres professions qui exigent de la science et des lumières, et ont déjà rendu en effet des services signalés.

Il est un troisième établissement de cette espèce, auquel le respectable M. Girouard à consacré les économies de trente années d’une vie laborieuse autant qu’apostolique. Si quelqu’un s’est acquitté dans ce pays des obligations attachées a la jouissance des revenus qui sont consacrés au soutien des Ministres de la Religion, c’est assurément ce respectable Curé de St. Hyacinte.

Le Collège qu’il a bâti est à peu près le plus grand établissement formé par un seul particulier, dans cette province, depuis beaucoup plus d’un siècle, et même peut-être qu’aucun autre formé de même avant cette époque dans le pays. Le nombre des écoliers que l’on y reçoit est déjà presque aussi grand que celui du Collège de Montréal, à l’époque où il était encore tenu dans la maison qui avait appartenu à M. de Vaudreuil, et jusqu’à l’incendie qui a obligé de le transférer ailleurs. Quoique je n’aie pas le temps de m’arrêter aux détails, je croirais manquer à la justice que de ne pas ajouter que M. Girouard a trouvé, depuis quelques années, dans la générosité et l’activité, dons l’esprit public de plusieurs curés et citoyens des environs, des secours qui contribuent à soutenir et même à faire fleurir cet établissement.


Ce n’est pas une des singularités les moins étonnantes, et dont le souvenir se présente naturellement à l’esprit dans ce moment, que l’on ait assez récemment encore osé mettre en question l’existance légale du Séminaire dont celui-ci fait partie, et le droit de jouir des biens qui sont attachés à cette maison. Et c’est après un siècle et demi qu’elle existe publiquement et qu’elle est restée en possession, et plus de soixante ans après la conquête, qu’en a mis au jour cette idée! Quelles découvertes on peut faire dans le Bas-Canada! Quelle connaissance du droit public et civil! D’un autre côté, quel respect pour des établissemens qui ont pour objets l’instruction publique, l’enseignement civil, moral et religieux!

EXPEDITION SCIENTIFIQUE.

Extrait d’une lettre de M. Ch. Lenormant, du
8 Novembre 1828.

Dans ma lettre de Béni-Hassan, je vous annonçais que nous y resterions une huitaine de jours, et nous en avons passé quinze entiers. J’ai profité de ce retard du mieux que j’ai pu. J’ai rédigé une description détaillée des grottes de Béni-Hassan. L’examen minutieux que j’ai été à portée d’en faire m’a révélé une foule de détails curieux, dont un examen rapide n’aurait pu me donner l’idée. Il y a surtout un de ces hypogées que l’on peut considérer comme un des monumens les plus intéressants de l’Egypte sous le rapport de la peinture. Comme il appartient à une époque comparativement moderne (le neuvième siècle avant notre ère,) j’ai pu y trouver un développement et un perfectionnement relatifs, qui ne peuvent appartenir aux monumens du grand style. De cet examen est résulté, pour moi, un rapprochement singulier, mais que bien d’autres faits me font regarder comme incontestable; c’est que la peinture égyptienne poussée à ce point de mouvement et de pittoresque fort extraordinaire pour elle, se trouvait juste arrivée au même degré que notre peinture au moyen âge, et que notre école de vitreaux avant Jean Cousin. Cette idée forme la base d’un assez grand nombre de déductions, capables, je crois, de jeter quelque jour sur l’organisation intellectuelle du peuple égyptien, et sur ses rapports avec la grande individualité humaine.


Tandis que nos dessinateurs étaient occupés dans les grottes, je m’étais chargé de la partie des reconnaissances; et, prenant la felouque du maach, muni de provisions pour la journée, je montais ou redessendais le Nil, et parcourais tous les recoins de la montagne, percée comme je l’ai dit, d’une quantité innombrable de carrières d’hypogées. Les premiers jours, mes recherches ne furent pas heureuses; je ne recueillis qu’un certain nombre de mauvaises inscriptions coptes, et j’avais fini par prendre un tel dégoût pour ce genre de découvertes, que les Arabes qui m’accompagnaient, jugent à mon ton que copte et rien c’était la même chose, ne manquaient pas de dire, toutes les fois qu’un hypogée n’avait ni ornemens ni inscriptions, “c’est chose copte.” Enfin l’un de mes favoris, Ali vint me dire tout joyeux qu’il avait vu dans un ravin quelque chose de beaucoup plus beau que les grottes où l’on travaillait alors, qu’il y avait des pierres écrites, et qu’enfin je serais content. Ce ravin est fort large, et ses parois taillées à pic me rappellèront aussitôt cette montagne surmontée d’un château que nous avons vue ensemble près d’Orange. Une quantité de petites chambres étaient taillées dans ses parois. Quelques portes architecturalement décorées commencèrent à me faire battre le cœur. J’entrai d’abord dans un tombeau dont les peintures étaient malheureusement effacées; puis dans une suite d’appartemens, sur la porte desquels je reconnus le cartouche d’Alexandre, mais dont je ne compris pas d’abord la destination. Enfin j’arrivai devant une façade composée de huit énormes pilliers sur deux lignes, et les grands bas-reliefs religieux que je vis sur le mur m’apprirent aussitôt que c’était un temple souterrain dédié par le roi Mandoueé, l’un des ancêtres de Sesostris, à Bubastis, la déesse des Chats. Or, Bubastis était pour les Grées la même que Diane, et le lieu voisin de ce temple est nommé dans les itinéraires les grottes de Diane. Il y a mieux, le nom Egyptien de cet endroit, qu’on retrouve dans les inscriptions du temple était Abenni, d’où il suit que le nom moderne de Béni-Hassan, malgré sa phisyonomie arabe, n’est, comme presque tous ceux de l’Egypte, qu’un ancien nom égyptien corrompu.


Nous avons eu la douleur de trouver Antinoé rasée jusqu’au sol. Achmounein, Autæopolis et Elephantine ont péri pour faire de la chaux! Lœuqsor est vendu à un salpétrier. Le théâtre, les deux grandes rues à portique, l’arche de triomphé d’Antinoé ont disparu: le portique colossal d’Achmounéin a été transformé en portes de canal et en raffinerie de sucre. Jugez de l’impression que nous a laissée notre visite à la place d’Antinoé. Quant à Achmounein, nous n’avons pas même voulu descendre, trop certains de la perte irréparable que les arts et l’archéologie avaient faite. Mais le bon-Dieu nous réservait pour le soir une consolation: il existe, sur la rive droite du Nil, à environ deux lieues au sud d’Antinoé, une ville pharaonique tout entière, avec ses rues, ses maisons et ses édifices; un motif inconnu l’a fait abandonner un jour par ses habitans. C’est, comme par toute l’Egypte ancienne et moderne, un système uniforme de constructions, l’emploi de briques simplement séchées au soleil, mais dont on reconnaît l’antiquité à la dimension et à la forme plus ou moins soignée de chaque pièce. Avec une matière si fragile, les Egyptiens, servis par leur climat, ont construit des monumens immenses et indestructibles, tels que l’enceinte sacrée de Sais, que nous avons vue avant le Caire. Il y a de même à Psinaula (c’est le nom ancien du Pompéi égyptien) une enceinte de briques qui renfermait un temple aujourd’hui entièrement détruit. Ce qui est plus curieux, et que j’ai vu avec une émotion d’antiquaire bien profonde, ce sont les restes de la décoration intérieure de plusieurs maisons, et particulièrement des traces de peinture en soubassement autour de plusieurs chambres, aussi fraîches que si elles venaient d’être tracées. Ces murs de briques séchées étaient seulement passés à la chaux, ainsi que le pratiquent encore les Arabes. La peinture était tracée sur cet enduit de l’épaisseur la plus tenue, et elle est restée intacte jusqu’à nos jours. Ce sont des espèces de grecques ou de franges d’un bon goût, et qui sentent le bien-être malgré l’exiguité des enceintes qu’elles décorent.

ANTIQUITÉS.

M. Raoul-Rochette vient de communiquer à l’académie des Inscriptions et à l’Académie des Beaux-Arts, des nouvelles d’un grand intérêt, extraites d’une lettre de Pompéi, en date du 15 janvier, concernant les fouilles les plus récentes d’Herculanum et de Pompéi. Voici cette communication que nous nous estimons heureux de pouvoir offrir textuellement à nos lecteurs.

“Les fouilles qui se paursuivent à Herculanum et à Pompéi produisent de jour en jour les résultats les plus importants, et donnent lieu à des espérances encore plus brillantes pour la suite de cette opération. On est en train de découvrir à Herculanum une habitation magnifique, dont le jardin, entoure de colonades, est le plus grand qui ait encore été trouvé. Quelques-unes des peintures, dont ce portique est décoré, sont aussi du plus haut intérêt. On y distingue, entre autres sujets mytologiques, Persée, qui tue Méduse avec le secours de Minerve; Mercure, occupé à endormir Argus, pour lui ravir la belle Io, sujets infiniment rares sur les monumens de l’art; Jason, le Dragon et les trois Hespérides. Mais ce que cette maison a offert de plus remarquable, ce sont quelques bas-reliefs d’argent, fixés sur les tablettes elliptiques de bronze, et représentant Apollon et Diane. Une foule d’autres objets, de meubles et d’ustensiles d’un goût exquis, ajoutent encore à l’intérêt qu’offre la découverte de cette belle et riche habitation.

“Mais en fait de peintures antiques, il paraît que rien n’approche du mérite de celles qui ornent la maison découverte en dernier lieu à Pompéi. La certitude acquise par les feuilles précédentes, que la partie où l’on travaille actuelement, est le plus beau quartier de cette antique cité, se trouve confirmée, au-delà de toute attente, par l’ampleur de l’habitation dont il s’agit, par l’abondance et la perfection des peintures dont elle est décorée; en voici la description succincte. On trouve d’abord sur le devant l’atrium toscan, membre ordinaire, et pour ainsi dire obligé des habitations de Pompéi. Cet atrium est entouré de petites chambres très agréablement décorées, d’où l’on passe dans un petit jardin, autour duquel sont pareillement disposés des appartemens à l’usage des hôtes de la maison. A la gauche de l’atrium se trouve un passage qui conduit à d’amples portiques, soutenus par des colonnes peintes en rouge et embellis jusqu’à profusion de tout ce que l’antique peinture nous a conservé de plus exquis et de plus gracieux.

“Parmi ces tableaux on remarque surtout les compositions suivantes; Médée méditant le meurtre de ses enfans qui jouent innocemment aux dés, tandis que leur pédagogue, trop éclairé sur le danger qui les menace, semble, à peu de distance, gémir du sort qui les attend; les fils et les filles de Niobé, assaillis des traits vengeurs d’Apollon et de Diane, composition pleine de mouvement et de variété; Méléagre partant pour la chasse du sanglier de Calidon: Persée délivrant Andromède; une bacchante; des muses; et parmi ces objets tragiques ou sévères, des représentations grotesques telles que celles d’un pygmée qui fait danser un singe, et des peintures de fruits et d’animaux, exécutées avec un goût exquis.

“Ces portiques servaient uniquement pour les promenades; ils enferment un petit jardin, au centre duquel est un bassin où l’on nourrissait des poissons, et dans le fond se trouve un vaste triclinium. Le gynécée, ou partie de l’habitation réservée au femmes, consiste en un péristyle, pareillement ceint de portiques, entouré de petits appartemens, où se déploie un luxe de peintures, toutes du premier ordre. Castor et Pollux, dieux hospitaliers, sont dépeints de chaque côté de la porte d’entrée; les autres principaux sujets qui s’offrent ensuite sont: Echo et Narcisse; Endymion; Achille enfant, plongé dans le Styx par sa mère Thétis; Mars et Vénus; Saturne; Orphée; Cérès; Mars pacifique; Jupiter hospitalier, et un groupe d’un Satyre et d’un Hermaphrodite, peinture classique.

“L’Exèdre qui est le membre le plus important de l’habitation, est décoré d’admirables peintures représentant des bacchantes d’une beauté incomparable; Achille tirant le glaive contre Agamemnon et retenu par Minerve, sujet qui semble avoir eu, pour les habitans de l’antique Pompéi, un intérêt tout particulier, puisqu’il s’est déjà rencontré, mais exécuté d’une manière médiocre, parmi les peintures du temple de Vénus sur le forum; Achille déguisé en femme, et reconnu par Ulysse à la cour de Lycomède; Ulysse mendiant, recevant les secours du fidèle Eumé. Il parait que le style de ces derniers tableaux est supérieur à tout ce qu’on connaît de la peinture antique. On passe enfin dans un troisième jardin, aussi entouré de colonnes peintes en rouge, et décoré des peintures suivantes; Phèdre découvrant à Hypolyte sa passion incestueuse; diverses scènes trafiques et comiques; la fable d’Ætra et d’Ægée; Apollon et Daphné changée en laurier. Une petite niche ou sacrarium est en face de ce jardin, duquel on passe dans un troisième péristyle, qui paraît avoir servi à l’habitation de quelque affranchi de la famille. Parmi les objets mobiliers trouvés dans cette maison, on cite aussi une cassette, enrichie d’élégants ornemens de bronze, et encastrée dans un angle du gynécée, laquelle renfermait quarante-deux monnaies impériales d’or, et six d’argent.

“On ne peut parler de découvertes si intéressantes, sans ajouter qu’elles sont dues principalement au zèle infatigable du jeune marquis de Ruffo, directeur des arts au ministère de la maison du roi, qui trouve dans la longue expérience du respectable Arditi, directeur des musées royaux, et dans les talens et l’activité de l’architecte des fouilles, C. Bonucci, la plus utile assistance. On doit tout attendre des progrès d’une opération confiée en de telles mains; et sans doute les vœux qui se forment d’un bout à l’autre de l’Europe savante, pour l’entier déblaiement de Pompéi, et pour la continuation des fouilles d’Herculanum, n’ont jamais été plus près d’être exaucés, ni dans le cas d’être plus heureusement accomplis, que depuis que la direction de cette grande entreprise est remise à un homme tel que le marquis de Ruffo, qui paraît vouloir attacher la gloire de son nom à l’illustration des monument antiques de sa patrie.”

MINES D’OR DANS LA CAROLINE DU NORD.

L’extrait ci-dessous, d’une lettre écrite par un cultivateur digne de foi, établi à Charlotte, dans la Caroline du nord, fuit voir que chaque jour on découvre dans cet Etat de nouvelles mines d’or.

“J’espère que dans peu de temps la renommée de nos mines d’or contribuera au crédit de notre Etat, et sera un soulagement pour la détresse des cultivateurs de Mecklenburg. Tout fermier qui, dons le voisinage de ce village, possède quelque terrain élevé et stérile, est sûr d’y trouver de l’or. Des pierres à fusil, de couleur blanche, indiquent la présence de ce métal, de manière qu’un cultivateur, qui trouve sur sa propriété une de ces pierres, demande et obtient pour prix d’un champ autant de mille dollars qu’autrefois il aurait demandé de dollars. Plusieurs compagnies du sud et du nord, et même des étrangers s’occupent à faire de ces sortes d’acquisitions. Ils ont établi des usines marchant à l’aide de la vapeur, de chevaux et de l’eau, et leurs affaires réussissent très bien.” (National Gazette.)

LE MARIAGE D’UNE MARQUISE, OU LE
CONTRE-TEMS.

Les futurs époux, les parens et les amis allaient se rendre à la mairie pour signer l’acte de mariage.... Les hommes étaient en grande tenue; les dames rivalisaient entre elles par l’éclat de leur toilette; le mari réfléchissait en promenant ses doigts sur son front, et la jeune mariée, parée d’une robe blanche, symbole de la candeur et de l’innocence, attendait que les chevaux fussent attelés.... Tout-à-coup survient un étranger, un monsieur d’un extérieur fort poli et qui pouvait passer pour un parent. Le jeune homme suppose que c’est un membre de sa nouvelle famille, et chacun de se confondre en politesses vis-à-vis ce mystérieux personnage, qui s’assied gravement, entr’ouvre son habit et fait paraître une écharpe.... Un commissaire! s’écrie-t-on de toutes parts; l’incognito était terminé. L’homme à l’écharpe se met à la fenêtre, et par un signe d’intelligence fait arriver dans l’appartement un de ses agens. “Messieurs, dit-il alors, des billets de banque et un rouleau de pièces d’or ont été volés ... On a su que l’individu accusé de cette soustraction n’était pas inconnu à mademoiselle la marquise.”—Ce n’est pas probable, disent alors tous les témoins que l’aristocratie avait expédiés à cette cérémonie.—“Probable! non, répond le commissaire, mais possible, oui; que personne ne quitte cet appartement;” la porte se ferme, on verbalise; les figures se rembrunissent, le futur époux est pâle de surprise et de terreur; la demoiselle pour terminer tonte explication, improvise un évanouissement, une attaque nerveuse, et pendant que les odeurs s’évaporent à ses côtés, le commissaire, impassible comme la loi, consulte ses notes et son adjoint; bientôt, tout en promenant les mains sur la cheminée, il soulève une boîte à thé dont le poids lui paraît inexplicable ... Il l’ouvre et sent sous une légère couche de thé des papiers et un corps dur; il écrase la boîte sous ses pieds; les billets de banque et les pièces d’or sortent de leur retraite. Mademoiselle la marquise, qui jouait une crise nerveuse, prend enfin le parti de revenir à la vie, et bientôt elle peut juger aux regards qui tombent sur elle que son crime est découvert ... Le mari en proie au plus violent désespoir, semble remercier le ciel et M. le commissaire de lui avoir évité une honte qui, quelques heures plus tard, entrait dans la communauté.... Les parens et les amis demandent à se retirer; les voitures défilent; il ne reste à la porte de l’hotel que la voiture de madame la marquise, et la malheureuse mère y voit monter sa fille qu’elle ne pourra plus revoir désormais qu’entre les grilles des Medelonnettes ou de St-Lazare.

(Historique, Paris, 1829.)

COMMENT ON GOUVERNE SON MARI.

CONSEILS A UNE JEUNE FEMME.

“N’écoutez pas les hommes, ma chère enfant, ils ne donnent jamais aux jeunes filles que de mauvais conseils. Je pourais vous permettre encore ceux des jeunes gens; il n’est pas impossible que ceux-ci soient désintéressés, car un mauvais conseil n’est un bon moyen que pour celui qui n’en a pas de meilleur à employer. Quant aux autres, ne vous y fiez pas. D’ailleurs, jeunes ou vieux, les hommes peuvent-ils s’entendre à nous donner de bons conseils? Ils nous donneront peut-être de belles règles de conduite, calculées d’après leur caractère, à nous qui ne nous conduisons jamais que par l’instinct du nôtre; ils nous instruiront, je le veux, de leurs mouvemens les plus secrets, et c’est des nôtres que nous devons nous méfier. Comment? il y en a un, me dites-vous, qui veut vous apprendra comment on gouverne son mari, comme si cela s’apprenait. Eh! bon dieu! où en savaient les femmes? Il y en a si peu qui aient le goût de l’instruction et de la réflexion! Quand à moi, ma jeune amie, il y a dix ans que je fais faire ma volonté à mon mari, sans avoir jamais pensé à la manière dont je m’y prenais. N’allez pas au moins lui dire qu’il fait ma volonté; il ne faut pas qu’il s’en doute. Je ne m’en doutais pas non plus, si l’on ne m’en eût fait apercevoir; cela allait tout seul, pour ainsi dire, sans que je m’en mêlasse, du moins sans que je fisse rien exprès pour cela; mais c’était le résultat naturel de toutes mes actions. Apparamment qu’il est dans ma nature qu’on fasse tout ce que je veux ... Savez-vous qu’on eut grand tort un jour de m’avertir de mon empire? Heureusement que je suis une femme raisonnable; je n’en usai pas davantage, et me contentai de faire faire comme auparavant, ce qui me plaisait: une autre à ma place aurait peut-être été tentée de faire faire même ce dont elle ne se souciait pas.”

Mme. Guizot.

RECHERCHES HISTORIQUES.

ENTREE DES REINES DE FRANCE DANS PARIS.

L’histoire nous a conservé le détail de celle d’Isabelle de Bavière, que Charles VI épousa en 1385. Elle fit son entrée dans Paris le 22 août 1389. Le lendemain, Guillaume de Vienne, archevêque de Rouen, assisté de deux évêques, fit la cérémonie du couronnement dans la Sainte-Chapelle.

La fête préparée pour son entrée était brillante, et offrait toute la délicatesse des mœurs de ce tems-là. On avait élevé, à la Porte-aux-peintres, rue Saint-Denis, un ciel nué et étoilé; les trois personnes divines y étaient représentées, et une troupe d’enfans habillés en anges y exécutaient des concests. “Quand la reine passa dans sa litière découverte, sous la porte du Paradis, deux anges descendirent, tenant de leurs mains une très-riche couronne d’or, garnie de pierres précieuses, et l’assirent tout doucement sur le chef de la reine, en chantant ces vers:”

Dame enclose entre fleurs de lys,

Reine êtes-vous du paradis,

De France et de tout le pays,

Nous en rallons en paradis.

Le roi se déguisa, pour être témoin de la pompe qui accompagnait cette entrée, et dit à Savoisy: “Savoisy, je te prie que tu montes sur mon bon cheval, et monterai derrière toi, et nous nous habillerons tellement qu’on ne nous connaisse point, et allons voir l’entrée de ma femme....”

“Ils allèrent donc par la ville, en divers lieux, et s’avancèrent pour venir au Châtelet à l’heure que la reine passait, où il y avait de peuple grand presse, et y avait foisson de sergens à grosses boulaies, lesquels, pour défendre la presse, frappaient de leurs boulaies bien fort, et s’efforçaient toujours d’approcher le roi et Savoisy; et les sergens qui ne connaissaient ni le roi ni Savoisy, frappaient de leurs boulaies dessus, et en eut le roi plusieurs horions sur les épaules bien assies; et un soir, en la présence de dames et demoiselles, fut la chose rescitée, et on commança à en bien farcer, et le roi même se farçait des horions qu’il avait reçus.”

Le lendemain de cette entrée, la ville de Paris, selon l’usage, fit son présent au roi et à la reine. Les députés sétant mis à genoux, dirent: “Très-cher et aimable Sire, vos bourgeois de Paris vous présentent ces joyaux; (c’étaient des vases d’or bien travaillés.) Grand merci, bonnes gens, répondit le roi, ils sont beaux et riches.” Ils allèrent ensuite chez la reine, à qui deux hommes déguisés, l’un en ours, et l’autre en licorne, effrirent des présens encore plus riches.

FABLE POPULAIRE.

La Limace. Une limace marcha cent ans pour traverser un pont de pierre de plusieurs arches. Lorsqu’elle fut au bout, la dernière arche s’écroula. “Ce que c’est que d’être habile! dit-elle en se retournant; un peu moins de vitesse, et je périssais dans les décombres.”

Un sot mit cinquante ans à composer un sot ouvrage. C’était une dissertation sur les repas des anciens. Il compulsa huit mille volumes, et visita une foule de monumens antiques. La mort vint enfin. “Ce que c’est que d’être actif! dit-il; si j’eusse perdu une semaine, mon immortel ouvrage serait resté imparfait.” ... Lauteur est mort il y a vingt-cinq ans: le livre qui devait nous apprendre la manière de manger chez les anciens n’a point paru; et les modernes n’en dinent pas moins bien, quoiqu’il ne sachent pas si les Hébreux mangeaient de la main droite ou de la main gauche.

J. A. S. C. de P.

ORIGINES.

Orgues—Etoffes de soie—Epingles—Cravattes.

L’usage des orgues dans les églises eut lieu pour la première fois à Compiègne, en 757. On croit que ce fut un présent que le célèbre Aroun Alraschid, Calife de Bagdad, fit de cette machine harmonieuse, à Charlemagne, qui y donna lieu. D’autres auteurs pensent que cet intrument de musique à vent, dont ils attribuent l’invention à David, fut envoyé par Constantin Copronyme, à Pepin; le Prince, disent-ils, était alors à Compiègne, et en fit présent à l’église de Saint Corneille de cette ville.

La fabrication des soies fut introduite en Europe en 1536 Deux moines étant venus des Indes à Constantinople, apprirent aux habitans de cette ville à ourdir ce tissu. Cet art se répandit dans la Grèce. De là, il passa en Italie et dans les autres pays de l’Europe. Gènes conserve une grande réputation ce genre; et dans France, les villes de Tours et de dans Lyon.

—Les épingles parurent pour la première fois en 1543. Elles furent faites en Angleterre. Les dames sa servaient auparavant de brochettes de bois.

—L’usage des cravattes venait d’Allemagne, et devint une mode en 1636. La première invention en est attribuée aux Croates, qu’on appellait communément Cravattes.

OBSERVATIONS SUR LA FABRICATION DU SUCRE
DE BETTERAVE.

M. Martin officier du génie, qui dirige momentanément les premiers travaux d’une fabrique de sucre indigène, près de St. Omer, vient d’y faire quelques observations importantes sur la diversité des altérations dans la betterave et la manière dont elles doivent modifier le travail. Comme elle sont de nature à intéresser les nombreux amateurs de cette nouvelle industrie, il s’est empressé de nous les communiquer. Voici un extrait de son mémoire à ce sujet:

“1º. Avec des betteraves non altérées, sortant d’une terre de qualité ordinaire, j’obtenais un jus parfaitement neutre, en ne donnant à la dose de chaux que quelques grammes d’excès sur celle de l’acide.

“2º. Avec des betteraves non altérées, sortant de terrains très-fumés et salpêtrés, il ne m’a fallu que 160 grammes de chaux pour neutralliser 200 grammes d’acide.

“3º. Avec les premières betteraves composées pour la gelée et la fermentation, il m’a fallu jusqu’à 400 grammes de chaux sur 200 grammes d’acide pour arriver à la neutralité.

“4º. Avec les secondes betteraves altérées de la même manière, il m’est arrivé de ne mettre que 125 grammes de chaux sur 200 grammes d’acide, pour obtenir aussi la neutralité.

“5º. Toutes les fois que j’ai changé de betteraves ou de magasin dans le cours de la fabrication, j’ai remarqué des variations analogues dans le dosage.

“6º. A chacune de ces variations, j’ai fait l’analyse de la betterave, et j’ai trouvé des sels tantôt à excès de base, tantôt à excès d’acide, qui annihilaient complètement les résultats de l’expérience.

“D’après ces observations, il est de toute évidence qu’en faisant le dosage de la chaux au poids, on ne peut jamais savoir quel est l’excès que l’on donne à l’alcali dans la dessiccation, et que l’on doit souvent tomber dans de graves erreurs. C’est ce qui m’est arrivé dans le principe.

“Un moyen bien simple d’éviter cet inconvénient, et qui m’a parfaitement réussi, est de faire le dosage au papier de tournesol le plus sensible. On modifie la dose d’acide selon la nature de la betterave; on verse la chaux jusqu’à neutralité, et l’on peut alors régler avec précision l’excès d’alcali que l’on juge convenable.”

M. Martin après de nombreuses expériences, a aussi trouvé un moyen bien facile de travaille ses sirops d’égouttage par les cuites, de manière à en tirer du sucre qui ne diffère en rien de celui des premiers sirops, tant pour la qualité que pour la quantité. Il fait maintenant des expériences réitérées pour perfectionner un procédé d’après lequel on retirera 85 à 90 pour 100, en jus, du poids de la betterave. Son appareil est beaucoup plus simple et moins coûteux que ceux que l’on s’employés jusqu’à ce jour.

Le Propagateur.

PHENOMENE REMARQUABLE.

Nous venons d’avoir avec un monsieur du comté de Camberland une conversation dans laquelle il nous a appris qu’en perçant un rocher pour obtenir de l’eau salée, on a atteint à la profondeur de 130 pieds, une fontaine de pétrole d’huile volatile (petroleum or volatile oil). Quand on a retiré la tarière, l’huile à jailli à 12 ou 14 pieds au-dessus de la terre, et on croit que par minutes, il en sortait 75 gallons, qui formaient un fort courant et allaient se jeter dans la rivière de Camberland. Cette fontaine avait été ouverte quatre ou cinq jours avant le départ de la personne de qui nous tenons le fait, et au moment de son départ, la quantité de pétrole qui s’échappait n’était pas sensiblement diminuée. Et se jettant dans la rivière, l’huile volatile en couvrait le courant jusqu’à plusieurs milles au-dessous. Si on y eût mis le feu, elle eût présenté un spectacle magnifique, si ce n’est effrayant.

L’huile anglaisé dont on fait un grand usage en médecine, est composé de pétrole.

Nous avons vu de l’huile de cette fontaine; elle brûle facilement, et produit une flamme aussi belle que celle du gaz hydrogène.

Celui qui nous a donné ces détails, raconte que dans le voisinage de cette immense fontaine de pétrole, le docteur Croghan est parvenu, en perçant à une profondeur de plus de 200 pieds, à obtenir un jet d’eau salée, qui s’élève à 25 pieds environ au-dessus du niveau de la rivière de Camberland.

(Louisville (Ky.) Advertiser.)

VERS.

L’avocat exclu des enfers.

 

  Un avocat venait de trépasser,

  Au bord du Styx bientôt son âme arrive;

  Voit un bateau, demande à traverser;

  Le vieux Caron le passe à l’autre rive.

  Après avoir parcouru maints déserts,

  Son âme arrive aux portes des enfers.

  Lors, averti par les cris de Cerbère,

  Vient le portier... son nom n’importe guère,

  A l’étranger les guichets sont ouverts.

  Or curieux, le portier lui demande

    Quel fut au monde son état;

    Il répondu, je suis avocat,

    Et je viens rejoindre la bande

  Des avocats du manoir de Pluton.

  Vade retrò, repartit le démon,

  Il en est trop déjà parmi les ombres;

  Fuyez, fuyez de ces royaumes sombres,

    Pluton vous en défend l’accès;

Pour vous et vos pareils cette porte est fermée;

Car depuis qu’ici bas on leur donna l’entrée,

    Tout le Tartare est en procès.

 

M. J. Q.....l.

L’argument sans répliqué.

 

En ce chauffant dans le café Procope,

Sire Moncade un jour sa tourmentait

A démontrer le tout est bien de Pope.

Par aventure un bossu l’écoutait.

Bravo, bravo! certes, mon camarade,

Votre système est plaisamment conçu,

Je suis donc bien, moi, dit-il à Moncade.

Oui, mon ami, fort bien pour un bossu.

 

Pons.

L’amateur.

 

    Dans notre siècle on ne fait rien qui vaille,

Disait un amateur tenant une médaille,

    Qu’il retournait d’un et d’autre côté.

        Ma foi, vive l’antiquité!

        Oui, oui... cette tête est divine;

Rome fut son berceau; qui la voit le devine...

D’Eglé dans le moment, il vante les appas;

    Mais celle-ci finement lui réplique:

        Et! monsieur, vous n’y pensez pas;

        Me prenez-vous pour une antique?

 

H. de St. Remy.

Le Service reciproque.

 

Griphon, rimailleur subalterne,

Vante Siphon le barbouilleur;

Et Siphon, peintre de taverne,

Vante Griphon le rimailleur.

Or en cela certain railleur

Trouve qu’ils sont tous deux fort sages;

Car sans Griphon et ses ouvrages

Qui jamais eût vanté Siphon?

Et sans Siphon et ses suffrages

Qui jamais eût prôné Griphon?

 

J. B. Rousseau.

REPRESENTATIONS THEATRALES.

Mutato nomine, de te Fabula narratur.—Terar dùm prosim.

Le 24 de ce mois, Messieurs les Amateurs Canadiens, et le 28, Messieurs les Amateurs de Montréal, ont donné, les premiers, Le Malade Imaginaire et Giles Ravisseur, et les seconds, L’Avare et Le Retour Imprévu.

La Minerve a rendu de ces deux représentations un compte que nous ne pourrions que répéter, du moins en partie, si nous entreprenions d’en parler au long. Nous remarquerons seulement, que si les Amateurs Canadiens ont rempli l’attente du public, les Amateurs de Montréal ont du la surpasser, vu la difficulté de la tâche qu’ils s’étaient imposée. Dans l’une et l’autre représentations, plusieurs des acteurs ont montré des talens dramatiques qui ne demanderaient qu’un peu d’étude et d’exercice pour devenir parfaits. Tous ont paru faire leurs efforts pour satisfaire les spectateurs, et nous croyons pouvoir dire qu’ils ont généralement réussi. Tout ce qu’il paraît y avoir à regretter, c’est que l’auditoire ait été, chaque fois, trop peu nombreux, pour que les intentions bienveillantes et charitables qu’ils avaient annoncées pussent être remplies. “Il est pénible,” dit le journal précité, “de voir ces messieurs obligés de sacrifier leur argent, après avoir sacrifié leurs veilles et leur temps; ils devraient être autrement récompensés de leur empressement à secourir les pauvres.”

NECROLOGIE.

Le 26 du présent mois d’Avril, le Bas-Canada a perdu un de ses hommes marquants, un Canadien qui a fait honneur à sa patrie par ses vertus, ses talens et ses connaissances, l’honorable Pierre Bedard, Juge provincial du district des Trois-Rivières.

M. Bedard se distingua pendant longtemps comme avocat, au barreau de Québec, et plus encore dans la Chambre d’Assemblée, où il fut, dans plusieurs sessions consécutives, un des premiers orateurs et des plus forts raisonneurs, et, pour ainsi dire, l’âme du parti populaire. On lui attribue aussi une partie des écrits politiques qui parurent dans le journal intitulé Le Canadien, de 1807 à 1809, et qui se font remarquer par l’énergie du style et la force du raisonnement.

En conséquence de ces écrits et de son opposition aux vues de l’Exécutif, dans la Chambre d’Assemblée, M. Bedard devint l’objet du soupçon le plus étrange, et la proie du pouvoir arbitraire mis aux mains du Gouverneur par la Législature. Il fut arrêté et incarcéré, avec plusieurs autres Canadiens de marque, et ne fut élargi qu’après une longue détention. Comme par dédommagement de la persécution injuste et cruelle qu’il avait essuyée sous l’administration du Chevalier Craig, il fut fait Juge provincial des Trois-Rivières, sous celle de son successeur, Sir George Prevost; et nonobstant une accusation portée contre lui par un des avocats de cette ville, on peut dire qu’il se conduisit uniformément dans ce poste élevé, de manière à donner une satisfaction générale.

M. Bedard était ami de la littérature et des sciences, et surtout des mathématiques, pour l’étude desquelles il avait, dit-on, une sorte de passion. Il est mort âgé de 67 ans, laissant une veuve, plusieurs fils et plusieurs frères, et un grand nombre d’amis, pour déplorer sa perte.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[Fin de La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 5, Avril 1829. edited by Michel Bibaud]