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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 3, Fevrier 1829.

Date of first publication: 1829

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Dec. 7, 2022

Date last updated: Dec. 7, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VIII. FEVRIER 1829. Numero III.

HISTOIRE DU CANADA.

CONTINUATION.

Par la mort du chevalier de Callières le commandement général tomba entre les mains du marquis (ci-devant chevalier) de Vaudreuil, gouverneur de Montréal. Il était fort aimé des sauvages, et la valeur qu’il avait fait paraître en plusieurs occasions, dans la dernière guerre, jointe à ses manières engageantes, lui avait acquis l’estime et l’affection de toute la colonie; aussi le demanda-t-elle unanimement pour gouverneur général. Il n’avait point d’ailleurs en Canada de concurrent sur lequel le place qu’il occupait, son expérience dans la guerre et la connaissance qu’il avait des affaires de la colonie, ne lui donnassent une grande supériorité, M. de Champigny, qui l’avait été du chevalier de Callières, étant retourné depuis peu en France, et ne songeant point à revenir en Amérique. Le marquis de Vaudreuil fut donc accordé aux prières de tous ceux qu’il devait gouverner, et la nouvelle de sa promotion fut reçue avec des applaudissemens d’autant plus sincères, que sa conduite pendant l’interrègne avait déjà confirmé tout le monde dans la pensée que personne n’était plus’ capable de remplir dignement la place à laquelle il venait d’être élevé.

M. de Vaudreuil avait fait accompagner les députés que les Tsonnonthouans lui avaient envoyés, peu de temps après la mort de M. de Callières, par le sieur Joncaire, qui lui amena un des principaux chefs de cette tribu. Ce sauvage remercia d’abord le commandant général de la bonté qu’il avait eue de promettre aux Tsonnonthouans sa protection contre tous ceux qui se déclareraient leurs ennemis; puis il parla ainsi:

“Ce que je vais te dire, nous ne l’avons jamais communiqué à personne. Jusqu’ici nous avons toujours prétendus être les seuls maîtres de notre terre, et c’est pour cela que nous avions d’abord pris la résolution d’être simples spectateurs de ce qui se passerait entre vous et les Anglais; mais voici un collier que je te présente sous terre, pour te déclarer que nous te donnons le domaine absolu de notre pays. Ainsi, mon père, s’il nous survient quelque affaire fâcheuse, et si nous avons besoin de ton secours, regarde-nous comme tes enfans, et mets-nous en état de soutenir la démarche que nous faisons aujourd’hui. Pour ce qui regarde les missionnaires, tu peux être assuré que je périrai plutôt que de souffrir qu’ils sortent de mon canton.” Il confirma cette promesse par un second collier, et il en donna un troisième pour obtenir que Joncaire allât passer l’hiver avec lui.

M. de Vaudreuil n’avait garde de refuser à ce chef une chose qu’il désirait pour le moins autant que lui. Teganissorens arriva peu de temps après à Montréal, et dans l’audience que lui donna le commandant général, il commença par témoigner une mauvaise humeur qui fit mal augurer du sujet de son voyage. “Les Européens, dit-il, ont l’esprit mal fait: ils font la paix entr’eux, et un rien leur fait reprendre la hache de guerre. Ce n’est pas ainsi que nous en usons, et il nous faut de grandes raisons pour rompre un traité que nous avons signé.” Il déclara ensuite que son canton ne prendrait pas de parti dans une guerre qu’il n’approuvait ni d’une part ni de l’autre. M. de Vaudreuil n’en demandait pas d’avantage, et pour oter aux Iroquois tout prétexte de rompre une neutralité si avantageuse au Canada, il résolut de ne point envoyer de parti contre les Anglais, du côté de la Nouvelle York. Il s’en fit un mérite auprès de Teganissorens, qui de son côté lui promit de retenir les missionnaires qui étaient dans son canton.

Ce que le commandant général faisait pour engager les Iroquois à demeurer neutres, le gouverneur de la Nouvelle Angleterre le voulut faire pour obtenir la même chose des tribus abénaquises; mais il s’y était pris trop tard: M. de Vaudreuil forma un parti de ces sauvages, auxquels il joignit quelques Français, sous la conduite du sieur de Beaubassin, lieutenant, et il les envoya dans la Nouvelle Angleterre. Ils y firent quelques ravages, et y tuèrent environ trois cents hommes. Mais le point essentiel était d’engager les Abénaquis de manière qu’il ne leur fût plus possible de reculer.

Sur la fin de l’automne, les Anglais, désespérant de gagner ces sauvages, firent des courses dans leur pays, et tuèrent tous ceux qui tombèrent entre leurs mains. Les chefs demandèrent du secours à M. de Vaudreuil, et il leur envoya, pendant l’hiver, deux cent cinquante hommes, sous le commandement du sieur Hertel de Rouville, lieutenant réformé, qui déjà remplaçait dignement son père, auquel son âge et ses infirmités ne permettaient plus de faire de grandes courses. Quatre autres de ses fils accompagnèrent Rouville, qui surprit à son tour les Anglais, leur tua beaucoup de monde, et fit cent cinquante prisonniers. Il ne perdit que trois Français et quelques sauvages; mais il fut lui-même blessé.

Cependant M. de Vaudreuil n’était pas sans inquiétude du côté des sauvages: les Hurons, qui étaient passés de Michillimakinac au Détroit, et qui avaient pour chef un homme mal affectionné, (que les Français appelaient Quarante-Sous), témoignaient assez ouvertement de l’inclination pour les Anglais. Les Outaouais, dont une partie était aussi venue au Détroit, et les Miamis paraissaient vouloir recommencer la guerre contre les Cantons. Les premiers eurent même la hardiesse d’attaquer jusque sous le canon de Catarocouy, une troupe d’Iroquois, qui ne se défiaient de rien, et en tuèrent plusieurs.

D’un autre côté, Peter Schuiller, gouverneur d’Orange, mettait tout en œuvre pour engager les Cantons à rompre avec les Français, et l’hostilité des Outaouais faite sur les terres et à la vue de ces derniers, pouvait bien suffire pour les y déterminer. M. Schuiller porta encore plus loin ses vues: il forma le dessein d’attirer dans son gouvernement les Iroquois chrétiens domiciliés dans la colonie française, et il vint à bout d’en ébranler plusieurs, qui engagèrent les chefs à promettre de s’aboucher avec lui. En vain, M. de Ramsay, le nouveau gouverneur de Montréal, fit tous ses efforts pour rompre ce coup; il aurait eu le chagrin de les voir partir pour cette conférence, si des Abénaquis, qui se trouvaient par hazard à Montréal, ne leur eussent fait honte d’une démarche qui aurait paru si étrange de leur part.

M. de Vaudreuil apprit en même temps de Joncaire, qu’il avait renvoyé de nouveau à Tsonnonthouan, avec le P. Le Vaillant, que le gouverneur d’Orange avait indiqué une assemblée générale de toute la nation à Onnontagué, et qu’il voulait, à quelque prix que ce fût, obliger les Cantons, 1º. à chasser les missionnaires; 2º. à empêcher les Abénaquis de continuer leurs hostilités; 3º. à contraindre les Mahingans, qui s’étaient établis depuis peu dans le canton d’Agnier, de retourner à leur ancienne demeure près d’Orange; 4º. à donner passage sur leurs terres aux tribus d’en haut, pour venir traiter avec les colonies anglaises.

On apprit en même temps que des sauvages du Détroit avaient été à Orange, et y avaient été fort fêtés par le gouverneur, et que d’autres avaient mis le feu au fort même du Détroit, qui aurait été la proie des flammes, si on n’y eût promptement porté remède. L’on ne savait donc plus sur qui compter, et l’on avait tout lieu de craindre que les anciens alliés de la colonie n’en devinssent bientôt les ennemis déclarés. Une nouvelle hostilité des Miamis contre les Iroquois vint encore ajouter aux craintes et aux inquiétudes du gouverneur général; mais il reconnut bientôt la vérité de ce que lui avait dit Teganissorens, que quand une fois les Iroquois avaient déposé les armes, il leur fallait de grandes raisons pour les reprendre.

Sur la nouvelle de la trahison des Outaouais près de Catarocouy, l’assemblée convoquée par le gouverneur d’Orange fut différée, et les Tsonnonthouans, qui étaient les seuls offensés, renvoyèrent le sieur Joncaire et le P. Le Vaillant à M. de Vaudreuil, pour lui faire leurs plaintes de cette infraction du traité de paix. Cette démarche rassura le gouverneur; il promit aux Tsonnonthouans une satisfaction entière, et leur fit dire qu’il serait bien aise qu’ils se trouvassent à l’assemblée d’Orange, pour empêcher qu’on n’y prît aucune résolution contraire aux intérêts des Français. Il s’était aussi assuré des Onnontagués: M. de Maricourt étant mort depuis peu, le baron de Longueil, son frère ainé, avait été envoyé dans ce canton, et y avait négocié fort heureusement. Il y était encore avec M. Joncaire et le P. Le Vaillant, lorsque le gouverneur d’Orange y arriva. L’assemblée eut lieu: Schuiller ne pût empêcher que les trois Français n’y assistassent; et ceux-ci manœuvrèrent si bien, qu’on se sépara sans avoir rien conclu.

Le gouverneur d’Orange ne se rebuta point, et ayant à son retour rencontré quelques Iroquois du Sault St. Louis dans le canton d’Agnier, il les engagea à force de présens à le suivre jusqu’à Corlar. Là, après leur avoir reproché qu’ils étaient les seuls auteurs de la guerre, il leur offrit des terres, s’ils voulaient s’établir dans son gouvernement, et leur donna un collier pour leur village, et deux autres pour ceux de la Montagne et du Sault au Récollet, par lesquels il les exhortait à demeurer au moins tranquilles, et à lier un commerce réglé avec lui. Non seulement les sauvages se chargèrent de ces colliers; mais ils furent acceptés dans les trois bourgades. M. de Ramsay, qui ne tarda pas à en être instruit, comprit qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour empêcher les suites de cette négociation. Heureusement les chefs et les anciens n’y avaient pris aucune part, et le gouverneur de Montréal n’eut aucune peine à faire renvoyer les colliers sans réponse. Il engagea même les trois villages à lever des partis de guerre contre les Anglais.

Quelque temps auparavant, des Abénaquis s’étant laissés surprendre par des Anglais, et ayant perdu quelques hommes, demandèrent du secours à M. de Vaudreuil. Ce général leur envoya le sieur de Montigny avec quatre ou cinq Canadiens. Il ne s’agissait que de les rassurer, dit Charlevoix, et Montigny suffisait seul pour cela. En effet, il eut bientôt assemblé une cinquantaine de guerriers de cette nation, et s’étant mis à leur tête, il alla chercher les Anglais, pilla et brûla un de leurs forts, et fit un grand nombre de prisonniers.

D’autres Abénaquis se trouvant trop exposés aux courses des Bostonnais, et se voyant en danger de mourir de faim, parce qu’ils n’étaient pas à portée de tirer des vivres des habitations françaises, et qu’ils ne pouvaient plus en avoir des Anglais, M. de Vaudreuil leur proposa de venir demeurer dans la colonie, et ils y consentirent. On les plaça sur la rivière de Békancour, dans le gouvernement des Trois-Rivières. Le but du gouverneur, en faisant cet établissement, était d’opposer une digue aux Iroquois, au cas qu’ils se laissassent persuadés de recommencer la guerre, ou même de les empêcher de prendre ce parti.

Ce général apprit en même temps avec plaisir que les Iroquois avaient été vengés de l’insulte qu’ils avaient reçue des Outaouais. Le chef du parti qui avait attaqué leurs gens près de Catarocouy, s’en retournant à Michillimakinac avec ses prisonniers, passa par le Détroit, et voulut engager ceux de sa nation qui étaient établis à ce poste, à se déclarer pour lui: il eut même l’insolence de faire parade de sa victoire à la vue du fort; mais le chevalier de Tonti, qui y commandait en l’absence de M. de La Motte, choqué de cette bravade, envoya le sieur de Vincennes à la tête de vingt soldats de la garnison, avec ordre de le charger, et quoique les Outaouais du Détroit fussent venus au nombre de trente, pour soutenir leurs compatriotes, Vincennes les attaqua avec tant de valeur, qu’il les contraignit de prendre la fuite et d’abandonner leurs prisonniers, qui furent remis entre les mains des Tsonnonthouans.

Cette action de vigueur, et la résolution où paraissait être le gouverneur général de traiter en ennemi quiconque entreprendrait de troubler la tranquillité publique, déconcertèrent toutes les intrigues des Anglais, et retinrent dans le devoir ceux des sauvages alliés qui n’étaient pas bien intentionnés. Ce qui se passa dans le même temps en Terre-Neuve et en Acadie confirma toutes les tribus sauvages dans la pensée que les Français étaient en état de pousser la guerre avec vigueur et avec succès contre les Anglais.

Un partisan, nommé Lagrange, homme de tête et de résolution, habile navigateur, et qui avait appris la guerre dans la baie d’Hudson, sous M. d’Iberville, équippa, à Québec, deux barques, où il mit cent Canadiens. Il avait appris qu’il était arrivé des vaisseaux anglais à Bonneviste, en Terre-Neuve, et il y alla, dans l’espérance d’en surprendre quelques uns. Arrivé à douze lieues de ce fort, il quitta ses barques, pour n’être point découvert, poursuivit sa route sur deux charois, entrà de nuit dans le port, aborda un vaisseau de 24 canons chargé de morues, et s’en rendit maître, brûla deux navires de deux à trois cents tonneaux, coula à fond un autre petit bâtiment, et ce retira avec sa prise, et un grand nombre de prisonniers.

Il y avait dans le fort de Bonneviste six cents Anglais, qui parurent le lendemain sous les armes; mais il était trop tard; les Français étaient déjà à la voile, et ne craignaient plus d’être poursuivis.

M. de Brouillan, gouverneur de l’Acadie, avait eu des avis certains qu’il devait être attaqué; cependant, au lieu de se précautionner, comme il le devait, il ne songea qu’à porter la guerre chez ses ennemis, et il avait écrit à M. de Vaudreuil, pour en avoir son agrément; aussi fut-il surpris. Le 2 de Juillet, au lever du soleil, on vint l’avertir qu’il y avait des vaisseaux anglais dans le bassin du Port Royal; qu’ils avaient même déjà débarqué des troupes, enlevé la garde de l’entrée, qui n’était que de trois hommes, et pris plusieurs habitans.

Vers midi, le nombre des bâtimens anglais fut de dix, savoir, an vaisseau de cinquante canons, une frégate de trente, sept brigantins, et une galère portant douze pièces de canon; et ils étaient mouillés devant l’entrée du bassin, à deux lieues du fort. Le lendemain, M. de Brouillan apprit que les Anglais avaient envoyé sommer tous les habitans du Port Royal de se donner à eux, avec menace, s’ils refusaient, de ne leur faire aucun quartier, et qu’ils se disaient au nombre de treize cents hommes, sans compter deux cents sauvages. Le gouverneur n’avait de soldats que ce qu’il en fallait pour défendre son fort. Il fit d’abord avertir les habitans de mettre en sûreté dans les bois ce qu’ils avaient de plus précieux, et de faire tout leur possible pour s’opposer aux descentes. Mais quand il vit que la flotte n’approchait point, il envoya des détachemens qui arrêtèrent les Anglais partout où ils se présentèrent. Il marcha ensuite lui-même pour les soutenir, sans pourtant s’éloigner trop de sa place, d’où il observait les vaisseaux ennemis. Il y eut quelques actions assez vives, dans l’une desquelles les Anglais perdirent leur lieutenant-colonel, homme de tête et de main, et le seul sur qui ils pouvaient compter pour la réussite de leur entreprise.

Après plusieurs tentatives pour surprendre les habitans, et quelques excursions, tantôt d’un côté et tantôt d’un autre, l’amiral anglais, voyant que rien ne lui réussissait, fit rembarquer ses troupes, et la flotte sortit, le 21, du bassin. Il laissa à terre un de ses prisonniers, en lui recommandant de dire aux habitans que, s’ils voulaient demeurer neutres, on ne les inquiéterait point. Il donna aussi à entendre qu’il allait aux Mines, pour ruiner ce quartier; mais M. de Brouillon y avait envoyé du secours; ce qui obligea les Anglais à se porter sur un autre point, et ils tombèrent sur la rivière d’Ipiguit. Le 22, seize autres bâtimens anglais arrivèrent à Beaubassin, à la faveur d’un brouillard; mais on y était sur ses gardes, et ils n’y purent pas faire beaucoup de mal. Enfin tout le fruit de cette expédition se réduisit à une cinquantaine de prisonniers, et à un très petit butin, qui ne dédommagea pas les Anglais de ce que leur avait coûté un si grand armement, et encore moins du mépris que leur peu d’habileté et de résolution leur attira de la part des sauvages acadiens.

M. de Brouillan mourut l’année suivante, et eut pour successeur M. de Subercase, qui, pendant l’hiver, avait fait autant de mal aux Anglais de Terre-Neuve, que ceux de la Nouvelle Angleterre en avaient voulu faire aux Français de l’Acadie, quoiqu’il eût aussi manqué son principal objet. Cet officier, plein de vigilance et d’activité, avait formé le même dessein que MM. d’Iberville et de Brouillan avaient exécuté, en grande partie, quelques années auparavant, c’est-à-dire de chasser les Anglais de Terre-Neuve.

Il fit part de ce projet à la cour de France, qui l’agréa, et M. de L’Epinay, qui devait conduire en Canada le vaisseau du roi le Wesp, eut ordre d’embarquer des Canadiens à Québec, et de les conduire à Plaisance. Il y en embarqua en effet cent, y compris douze officiers, du nombre desquels était Montigny, le tout aux ordres de M. de Beaucourt. M. de Subercase reçut encore d’autres secours, et partit de Plaisance, le 15 Janvier 1705, à la tête de quatre cents hommes, soldats, Canadiens, flibustiers et sauvages, tous gens déterminés et accoutumés à marcher en raquettes. Chaque homme portait des vivres pour quinze jours, ses armes, sa couverture, et une tente tour à tour par chambrée.

Ce qu’il y eut de plus pénible dans cette marche, c’est qu’il se rencontra jusqu’à quatre rivières qui n’étaient pas encore entièrement gelées, et qu’il fallut traverser à gué, au milieu des glaces qu’elles charriaient, et que le courant entraînait souvent avec une extrême rapidité. Il tomba d’ailleurs, dans la nuit du 22, une neige si abondante, que l’armée fut contrainte de s’arrêter deux jours, pendant lesquels un violent vent du nord la fit beaucoup souffrir. Le 26, elle se remit en marche, tourna vers Rebou; et arriva, sur le midi, au milieu des habitations anglaises, où tout le monde demanda quartier. L’armée y trouva beaucoup de vivres, et après s’y être reposé encore deux jours, elle alla camper à trois lieues du Petit Havre, autre poste anglais qui n’était éloigné de St. Jean que de trois autres lieues. Elle y entra le lendemain, y laissa quarante hommes, pour y garder les prisonniers qu’elle avait faits à Rebou, et en partit le 21.

On ignorait à St. Jean que les Français fussent si près; peut-être même n’y savait-on pas qu’ils fussent partis de Plaisance; mais le peu d’ordre qu’ils gardèrent au sortir du Petit Havre, et le peu de soin qu’ils eurent de bien reconnaître la place dont ils voulaient se rendre maîtres, leur otèrent tout l’avantage de la surprise.

Il y avait alors à St Jean deux forts, dont l’un était beaucoup plus grand et mieux fortifié que l’autre. On commença par le premier: les Anglais s’y défendirent très bien, et firent sur les assiégeans un feu continuel de mortiers et de canons, qui fut soutenu avec toute l’intrépidité possible: cependant les Français n’eurent que quinze hommes tués ou blessés. Le chevalier de Lo, enseigne, fut du nombre des premiers. Il fallut enfin lever le siège, en conséquence de la résolution des assiégés, et parce que la poudre manqua aux assiégeans, une partie de celle qu’ils avaient aportée de Plaisance ayant été mouillée au passage des rivières. Mais ils ne se retirèrent qu’après avoir détruit tout ce qu’il y avait d’habitations aux environs de la place.

Le 5 Mars, l’armée décampa et marcha le long de la côte jusqu’au Forillon, dont les habitans firent d’abord mine de vouloir se défendre; mais ils se ravisèrent bientôt, et se rendirent prisonniers de guerre. Le bourg fut brûlé, après quoi, Montigny, qui avait amené à cette expédition son fidèle Nescambouit, fut détaché avec les sauvages et une partie des Canadiens, pour aller du côté de Bonneviste et de Carbonière, avec ordre de brûler et de détruire tout ce qu’il y avait d’habitations sur la côte; ce qu’il exécuta sans perdre un seul homme, tant la terreur était grande parmi les habitans. Son nom seul, dit Charlevoix, faisait tomber les armes des mains des plus résolus, et lui livra une quantité de prisonniers, qu’il n’eut que la peine de lier. Mais il fallut réserver pour une autre fois l’île de Carbonière, où il y avait trois cents hommes, et qui est, comme on l’a déjà dit, inabordable en hiver. Tout le reste se soumit. MM. de Villedonné, de Linctot et de Belestre secondèrent parfaitement Montigny, et Nescambouit se distingua à son ordinaire.

Les Anglais avaient été un peu dédommagés, l’automne précédente, du tort que leur fit cette expédition, par la prise de la Seine, vaisseau du roi, qui portait à Québec M. de St. Valier, successeur de M. de Laval, dans le siège épiscopal, un grand nombre d’ecclésiatiques, plusieurs riches particuliers, et une cargaison estimée à un million de livres tournois. La Nouvelle France se ressentit longtemps de cette perte, et M. de St. Valier demeura huit ans prisonnier en Angleterre. Cependant, ajoute Charlevoix, la prise de la Seine procura un véritable avantage au Canada. On ne s’y était pas encore avisé d’y faire de la toile: la nécessité y fit ouvrir les yeux sur cette négligence; on sema du chanvre et du lin, qui y réussirent au-delà de ce qu’on y avait espéré, et on en fit usage.

Il y eut cette année 1705, et la suivante, plusieurs pourparlers entre le marquis de Vaudreuil et M. Dudley, gouverneur général de la Nouvelle Angleterre, pour l’échange des prisonniers. Le général anglais fit les premières démarches et envoya à Québec un M. Livingston. Ce député commença par se plaindre des cruautés exercées sur les Anglais par les sauvages de l’Acadie; après quoi il parla d’affaires. M. de Vaudreuil lui dit qu’il ne refusait pas de traiter avec son maître; mais qu’il lui ferait proposer ses conditions par un de ses officiers. Il en chargea en effet le sieur de Courtemanche, qui accompagna l’envoyé anglais à Boston. La principale de ces conditions était qu’on ne renverrait aucun des prisonniers anglais, que tous les Français et sauvages alliés des Français qui étaient dans les prisons de la Nouvelle Angleterre, n’eussent été remis entre les mains du gouverneur de l’Acadie, et que l’on n’eût donné des assurances pour la liberté de ceux qui avaient été transportés en Europe ou dans les îles de l’Amérique.

M. Dudley traîna d’abord la négociation en longueur, puis il déclara qu’il ne pouvait rien décider sans le consentement des autres gouverneurs des colonies anglaises; sur quoi M. de Vaudreuil prit le parti de faire recommencer les hostilités dans la Nouvelle Angleterre.

(A continuer.)

BIOGRAPHIE.

Amherst (Jeffery, lord), commandant en chef de l’armée britannique, lors de la conquête du Canada en 1760, naquit à Kent, en Angleterre, le 29 Janvier 1717. Amherst manifesta de très-bonne heure son amour pour l’état militaire, et reçut sa première commission dans l’armée en 1731. Nommé aide-de-camp du général Ligonier en 1741, ce fut en cette qualité qu’il se trouva présent aux batailles de Dettingen, de Fontenoy et de Rocoux. Il devint ensuite aide-de-camp du duc de Cumberland, à la bataille de Lauffeld. En 1748, il reçut l’ordre de retourner en Angleterre. Etant désigné pour le service en Amérique, il mit à la voile à Portsmouth, le 16 Mars, en qualité de major-général, et commanda alors les troupes destinées à faire le siège de Louisbourg; il s’empara de cette ville le 26 Juillet suivant, et prit possession de l’île du Cap Breton.

Après cet évènement, il succéda à Abercrombie dans le commandement de l’armée de l’Amérique du Nord. En 1759, le vaste projet de la conquête du Canada fut formé; trois armées devaient attaquer, presque dans le même temps, toutes les forteresses et les positions des Français dans cette contrée. Ces armées furent soumises aux ordres de Wolfe, d’Amherst et de Prideaux. Au printemps, le général Amherst transporta son quartier général de New-York à Albany; mais ce ne fut que le 22 Juillet qu’il put arriver à Ticonderago, place contre laquelle il devait agir. Cette ville (ce fort) se rendit le 27 Juillet, les Français l’ayant abandonnée. Bientôt après, il s’empara du Point Couronné (Crown Point, ou la Pointe à la Chevelure), et mit ses troupes en quartier d’hiver, à la fin de l’automne.

En l’année 1760, il marcha contre le Canada, et s’embarqua sur le lac Ontario, d’où il descendit le fleuve St. Laurent. Le 8 Septembre, M. de Vaudreuil capitula, et rendit Montréal et toutes les autres places, avec le gouvernement du Canada. Jeffery continua de commander en Amérique jusqu’en 1763, d’où il revint en Angleterre. En 1771, il fut nommé gouverneur de Guernesey, et en 1776, créé baron d’Amherst de Holmsale, dans le comté de Kent, et en 1778, nommé commandant de l’armée d’Angleterre. En 1782, il reçut du roi le bâton d’or; mais lors du changement dans l’administration, le commandement de l’armée et la dignité de lieutenant-général des armées furent confiés à d’autres mains. En 1787, il fut nommé à la pairie, sous le nom de baron Amherst de Montréal. Le 22 Janvier 1793, il fut de nouveau rappelé au commandement général de l’armée de la Grande-Bretagne; mais le 10 Février 1735, cet officier si respectable fut remplacé par le duc d’York second fils du roi, qui n’était âgé que de 31 ans, et qui n’avait jamais fait un service actif. Ce vénérable vieillard accepta, en Juillet 1796, le grade de feld-maréchal. Il mourut dans son château de Kent, le 3 Août 1797, âgé de 80 ans. (Dictionnaire biographique.)

L’ÉTENDARD DU PROPHÉTE.

L’étendard sacré (sandjaki—chérif,) qui ne se déploie jamais que lorsqu’un péril imminent menace l’empire du croissant, a été porté par le sultan Mahmoud au camp de Ramis-Tchifflick, sous les murs de Constantinople, où il fait maintenant sa résidence; on ne l’a point encore sorti du fourreau dans lequel il est renfermé. Il faudrait pour cela que l’armée d’invasion russe eût dépassé Andrinople.

Nous recueillons, et nous avons cru intéressant pour nos lecteurs de publier sur ce palladium des Musulmans, la note historique ci-après:

“C’est un article de foi pour les Turcs de croire que le sandjaki—chérif fut porté par les mains victorieuses du prophète Mahomet lui-même, ainsi que par les califes, ses premiers successeurs, qui le transmirent à la dynastie des Ommiades, à Damas, l’an de l’hégire 661, et l’an 750 de la même ère aux Abaïssides, à Bagdad et au Caire.

“Lorsque Selim 1er fit la conquête de l’Egypte, en 1517, et renversa le califat, cet étendard passa à la maison des Osmanlis. Depuis, il est pour l’Etat l’arche du salut. Dans le principe, le sandjaki était sous la garde du pacha de Damas, en sa qualité de chef conducteur de la caravane annuelle du pélegrinage de la Mecque. En 1515, il fut apporté en Europe sous la responsabilité du grand-visir Sinan-Pacha, et porté dans la guerre de Hongrie comme le talisman qui devait ranimer le courage des Musulmans, et rétablir la discipline entièrement perdue dans leurs rangs.

Mahomet III confia ce saint drapeau à une garde de trois cents émirs, de l’an 1595 jusqu’à 1603, sous la surveillance de leur chef Nakibol-Eschrof; depuis les tems modernes, quarante porte-enseignes, chargés de le porter tour à tour, sont choisis parmi les portiers du sérail, et il est confié à la garde de tous les Musulmans armés. Les quatre divisions de cavalerie, désignées sous le nom spécial de Bultki-Erbaa (comme qui dirait les gardes-du-corps du Roi) sont préposés particulièrement à sa défense.

“L’étendard sacré du prophète est enveloppé de quarante couvertures de taffetas vert et renfermé dans un fourreau de drap vert qui contient également un petit Coran, écrit de la main même du calife Omar et les clés d’argent de la Kaaba, que Sélim 1er. reçut du chérif de la Mecque. L’étendard a douze pieds de longueur; dans l’ornement d’or (une main fermée) qui le surmonte, se trouve un autre exemplaire du Coran, écrit par le calif Osman, troisième successeur de Mahomet. En tems de paix, ce précieux drapeau est gardé dans la salle du noble vêtement; c’est ainsi qu’on nomme l’habit porté par le prophète. Dans cette salle sont encore gardées, avec cette tunique, les autres reliques vénérées de l’empire, les dents sacrées, la barbe sainte, l’étrier sacré, le sabre et l’arc de Mahomet, et les armes et armures des premiers califes.

“A la guerre, on dresse une tente magnifique pour recevoir l’étendard sacré, qui y est attaché par des anneaux d’argent à une lance de bois d’ébène; coutume qui rappelle le petit temple où était déposé l’aigle des légions romaines, suivant le récit de Dion Cassius.

“A la fin de chaque campagne, le coupon sacré de soie verte qui forme cet étendard est replacé avec beaucoup de solennité dans un coffre très richement orné.

“Jusqu’à notre tems, cet étendard n’a point cessé d’être pour les Turcs un talisman réel pour rassembler les défenseurs de l’islamisme et exciter leur courage au combat contre les chrétiens.

“En 1648, à l’avenement de Mahomet IV au trône, le grand-visir n’eut qu’à planter le sandjaki pour ranger à ses intérêts le corps des janissaires. Récemment en 1826, le sultan Mahmoud l’a fait déployer pour dissoudre cette garde formidable.

“D’ailleurs cette sainte bannière n’est déployée qu’en tems de guerre à toute extrémité; c’est le signal de mettre à l’instant tout en œuvre pour sauver l’empire.

“Au reste, il est interdit à tout chrétien d’arrêter, de hasarder même un regard profane sur ce gage vénéré de salut. Le 27 mars 1769, quand Achmet III déclara la guerre à la Russie, et qu’à cette occasion la cérémonie d’arborer le sandjaki-chérif eut lieu, pour en devenir témoin caché, l’internonce de la cour d’Autriche à Constantinople avait retenu une chambre chez un mollah, à un prix très élevé; en trouvant une autre ailleurs, il s’y rendit. Pour se venger, le mollah alla dénoncer la curiosité de cet ambassadeur aux janissaires, qui, transportés d’une rage fanatique, coururent à la maison qui recelait l’imprudent spectateur et sa famille, cachés derrière une jalousie. Les furieux enfoncèrent les portes; et, s’ils n’osèrent mettre la main sur la personne sacrée du ministre, qui représentait Joseph II, le rang, le sexe et l’âge n’imposèrent point à leur brutalité. Ils maltraitèrent cruellement l’épouse et les filles de l’internonce, M. de Brognart, et massacrèrent dans la rue grand nombre de chrétiens tout-à-fait innocents de cette indiscrétion. Le divan chercha, par de riches présens, à réparer cet attentat, et le cabinet de Vienne rappela son plénipotentiaire.

“Rien de pareil n’a eu lieu dernièrement. Aucun Européen ne s’est fait voir dans les rues lors du départ du sultan; mais l’œil de la malveillance aurait pu surprendre plus d’un profane retranché derrière les persiennes de certaines maisons.

“En tout, les tems sont bien changés.”

LES SAVANS ANGLAIS.

L’amour-propre national est une vertu qui conduit souvent à l’injustice: les théâtres de Paris et de Londres en font foi: mais, il faut le dire à notre louange, lorsque tous les vices sont sur la scène anglaise l’apanage de notre nation personnifiée et traduite à la barre de John Bull, notre délicatesse nous a fait une loi de ne jamais déverser que le ridicule sur nos voisins d’outremer. Bien plus, ce n’est guère que nos vaudevillistes qu’on a vus se livrer à ce genre de caricatures; dans nos hautes comédies, au contraire, dans nos romans surtout, dès qu’il s’est agi d’un héros parfait, c’est du paquebot que nous l’avons fait descendre: serait-ce là une des causes du peu de naturel que les Anglais reprochent à nos compositions romanesques?

La nationalité a aveuglé les savans de la Société royale de Londres comme elle a égaré les auteurs de Drury-Lane et de Covent-Garden. Orgueilleux, mais non satisfaits, des nombreuses découvertes dues aux génies de leur nation, les Anglais enlèvent d’un trait de plume à notre pauvre France les inventions dont elle peut se faire honneur. Mais nous laisserons-nous arracher ces palmes qui décorent notre Institut? Non; armé de science et de patriotisme, un homme de génie saura briser les plumes anglaises prêtes à nous déshériter notre gloire scientifique, si les mains courageuses nous ont jadis manqué pour retenir nos trophées d’Italie dans nos musées et sur nos arcs de triomphe.

Dans l’Annuaire que le bureau des longitudes publie tous les ans, se trouvent des notices sur les machines à vapeur, par M. Arago. C’est à sa vaste science que nous allons être redevables d’un fleuron que les Anglais avaient déjà enlevé à notre couronne.

“La machine à vapeur, dit M. Arago, a déjà rendu de trop grands services à la navigation et à l’industrie pour qu’il faille s’étonner de l’empressement qu’on a mis à rechercher la part que diverses nations peuvent s’attribuer dans une invention aussi admirable ... Consultez le membre de la Chambre des Lords et le plus simple artisan de la Cité, que ses brillantes spéculations ont conduit dans toutes les régions du monde, et le fermier qui n’a jamais dépassé les limites de son comté; parcourez les immenses manufactures de Birmingham, de Manchester, de Glasgow, et le plus simple cottage, partout on vous dira que le marquis de Worcester est le premier inventeur de la machine à vapeur; partout on citera à la suite de ce nom les noms tout anglais de &c., &c., &c.”

Ainsi donc, c’est sous Charles II que fut inventée la machine à feu par Edward Summerset, marquis de Worcester, que la France reçut en fugitif, et qui, revenu à Londres par l’ordre de Charles, y fut découvert et enfermé dans la tour d’où il ne sortit qu’à la restauration. C’est à ses malheurs qu’il dut sa renommée, car ses idées sur la vapeur furent dit-on, éveillées pendant sa détention, par le soulèvement subit du couvercle de la marmite dans laquelle cuisaient ses alimens. Heureuse captivité! dans son palais, loin de ses fourneaux culinaires, il eût vécu tranquille, mais serait mort sans gloire, et son marmiton ou son cuisinier, par leur position auprès de la célèbre marmite, auraient peut-être conquis cette immortalité dévolue à leur maître.

Il est vraiment dommage d’enlever à ce hazard singulier l’honneur d’une telle découverte; mais c’est en 1663 que parut l’ouvrage de l’illustre Anglais, et Salomon de Caus en avait publié un autre en 1615, dans lequel il donne les moyens de se servir de la force élastique de la vapeur comme agent mécanique. Que faire à cela? remplacer à l’avenir le nom illustre de l’Anglais Worcester par le nom modeste du Français Salomon de Caus.

Les savans anglais ont joué de malheur en lisant les ouvrages de sciences publiés chez nous. Leurs doigts inhabiles tournent souvent deux feuillets au lieu d’un, et, par cette fatalité inexplicable, n’ont aucune connaissance des passages qui les condamneraient; ou bien encore, ils sont assez malheureux pour n’avoir jamais trouvé dans leurs bibliothèques tels ouvrages français qui n’y sont pas rares cependant. Ainsi, au sujet de la première machine à vapeur, ils affirment que Papin, notre compatriote, n’a aucun droit au partage dans son invention. Son ouvrage, disent-ils, n’a paru qu’en 1707, neuf ans après celui de Savery, Anglais d’origine, comme on doit s’en douter. Mais quand on apprend, grâce à M. Arago, qu’en citant l’ouvrage de 1707, ils en oublient un autre du même auteur, beaucoup plus volumineux, dont il a paru deux éditions en 1695, on aperçoit le bout de l’oreille. Vaincu par une telle preuve, modeste, on devrait dire alors: “Je ne la connaissais pas;” mais l’orgueil britannique aime mieux affirmer hardiment “qu’elle n’existe pas.” C’est tranchant, j’en conviens. Le docteur Robinson sait combien un air d’assurance en impose à la multitude.

Substituons donc encore à l’avenir, au nom anglais de Savery, le nom français de Papin, que la révocation de l’édit de Nantes força de quitter Blois, sa patrie, et abordons maintenant avec M. Arago l’histoire des bateaux à vapeur. Le débat de priorité s’est établi seulement entre l’Angleterre et l’Amérique du nord. La France, comme toujours, a été mise hors de cause. Les Américains en attribuent l’application à Fulton; les Anglais produisent les écrits fort antérieurs de Jonathan Hull et de Patrick Miller. “L’argument est sans réplique pour Fulton; mais n’existe-t-il pas des ouvrages encore plus anciens que celui de Jonathan Hull, et dans lesquels les idées de ce mécanicien se trouveraient déjà consignées?” Là-dessus recherches sur recherches, et, malheureusement pour la gloire britannique, résultats sur résultats.

Le titre des Anglais est de 1737; mais Papin avait imprimé en 1695 qu’on pouvait appliquer son invention (celle de la machine à vapeur) à tirer l’eau des mines, à jeter des bombes, à ramer contre le vent; et il indiquait divers moyens, tous inconnus, comme l’ouvrage de 1695, à la Société royale de Londres tout entière.

“Ainsi donc, dit M. Arago, toutes les académies du monde auraient décidé d’un commun accord que Worcester a proposé le premier de pousser l’eau par la force électrique de la vapeur, qu’il n’en resterait pas moins établi que l’idée appartient à Salomon de Caus, car 1615 a précédé 1663: tant qu’on n’aura pas prouvé de même que l’année 1695 a suivi 1736, Papin malgré l’autorité de tous les rapports présents, passés et futurs, aura le mérite d’avoir propose les bateaux à vapeur, quarante deux uns avant Jonathan Hull, son compétiteur.”—(Le Figaro.)

JOURNAUX BOHEMIENS.

C’est une chose remarquable que la Bohème au milieu de l’Allemagne, que cette population slave subsistant au sein des populations germaniques. Il faut qu’il y ait eu dans ce peuple une grande énergie de vitalité nationale pour qu’il n’ait pas été absorbé par la civilisation étrangère qui le presse de toutes parts, et qui dans tout le reste de l’Allemagne a triomphé. Le Meklembourg, la Poméranie, le Brandebourg, la Silésie, une partie de la Saxe, ont aussi été possédés par des peuples slaves; des slaves ont fondé et nommé Dresde et Berlin. Mais ces pays sont tous devenus allemands: il n’est resté de traces de l’ancienne langue que dans les noms de lieux; les souvenirs nationaux ont péri avec la langue. En Bohème, au contraire, la langue est restée; tous les gens lettrés la savent; souvent les gens du peuple n’en savent pas d’autres: même à Prague, dans une grande ville au cœur de l’Allemagne, sur le chemin de Dresde à Vienne, on est tout étonné de rencontrer dans les rues des gens dont on se ferait mieux entendre en russe qu’en allemand; et, si on ne sait demander son chemin qu’en cette langue, on risque de ne pas le trouver sans peine. La Bohème a produit une littérature écrite dont l’histoire forme un ouvrage considérable, une poésie populaire dont la richesse se renouvelle incessamment. Il y a à l’Université de Prague un cours de littérature indigène qui se fait dans l’idiome du pays; une fois par semaine, on donne sur le théâtre de cette ville une représentation en langue bohème. Cette langue a été l’objet de persécutions bien opposées: tantôt c’étaient les jésuites qui allaient dans les villages, brûlant à cause d’elle les livres nationaux; tantôt c’était Joseph II, qui par un désir tyrannique de civilisation mal entendue, en proscrivait impitoyablement l’usage. Maintenant le gouvernement, plus sage en cela, en exige la connaissance de la part des employés de l’administration et de la justice. Lés savans et les littérateurs, par un louable sentiment de patriotisme, s’occupent à en conserver les monumens. A la tête des travaux entrepris dans ce but, il faut compter ceux de la Société du muséum national. Cette société, formée il y a neuf ans à Prague, reçut cinq ans après la sanction impériale. Le 1er janvier 1827, elle a commencé la publication de deux journaux littéraires: l’un, en langue bohème, paraît tous les trois mois; l’autre, en allemand, forme une publication mensuelle; c’est celui-ci que nous annonçons.

“La tendance de ces journaux, disent les rédacteurs, doit avant tout être une tendance toute patriotique; tout ce qui peut intéresser les Bohèmes doit s’y trouver exprimé avec liberté et sagesse. Cette feuille, s’il est possible, doit être une feuille vraiment nationale.” Le Journal de la Société du Museum national contient donc: 1º. des recherches sur l’histoire de la Bohème, des publications, des discussions de tous les genres de monumens concernant cette histoire; 2º. des observations sur l’histoire naturelle du pays; 3º. des échantillons de poésies nationales.

On remarque dans les numéros qui ont déjà paru plusieurs morceaux traduits de l’ancienne langue bohème et qui éclaircissent quelques points des annales du pays, entre autres l’Abrégé d’une chronique contemporaine du siège du Prague par les Suédois en 1648, où les événemens de ce siège mémorable sont racontés, heure par heure, par un témoin oculaire. Un morceau fort curieux est l’extrait du Journal du voyage des envoyés de George, roi de Bohème, à Louis XI. Ce George avait eu la pensée fort extraordinaire pour son temps d’une espèce de haut tribunal formé par les différents monarques de l’Europe, devant lequel chacun d’eux pourrait porter sa plainte soit contre les prétentions de ses propres sujets, et, ce qui semble surtout avoir occupé George, contre celles de l’église. Il voulait que Louis XI se mît à la tête de cette espèce de confédération. Le récit naïf des bons envoyés bohèmes montre au lecteur, beaucoup plus clairement qu’ils ne l’ont vu eux-mêmes, l’âme tortueuse de Louis XI. Après les avoir tracassés quelque temps, il finit par les éconduire en homme dont la politique ne tendait pas précisément à établir la paix entre les puissances de l’Europe. La peinture des dangers et des obstacles à travers lesquels ils exécutent ce voyage, maintenant si facile, retrace vivement l’état de la civilisation à cette époque. Les guet-à-pens auxquels ils échappent à grand’peine, l’hospitalité un peu chanceuse de laquelle ils dépendent, la manière dont ils sont parfois rançonnés et la naïve humeur qu’ils en témoignent, font voir comme on respectait alors le droit des gens et le caractère sacré d’ambassadeur.

“Le mercredi après Sainte-Sophie (le 16 mai,) à la treizième heure (l’heure italienne,) nous partîmes de Prague, et par Beraun et Tilzon nous fûmes gagner Tachau, où nous passâmes le jour de Pâques chez le sire de Burian. Les moines de Valdsassen nous reçurent avec beaucoup d’hospitalité. Un demi-mille avant le couvent, nous rencontrâmes un gros de croisés allemands qui s’en allaient guerroyer contre les Turcs païens. A Wunsiedel, ville du margrave de Brandebourg, on nous regarda de travers: on y garde les balles d’arquebuse que les Bohèmes ont autrefois jetées dans la ville dans la guerre des Hussites, et qui sont suspendues à des chaînes dans l’église comme des reliques. Sur notre route de là à Baireuth, nous déjeunâmes à Fars, où un prêtre nous vendit le vin, la bière, le pain, le foin, à la livre et fort cher; de sorte qu’il nous fallut payer deux ducats de Hongrie. Notre septième coucher fut à Graefeuberg, petite ville démantelée, que deux bourgeois de Nuremberg tiennent en fief de la couronne de Bohême. A Nuremberg, on nous fit présent de douze brocs de vins de France, d’Italie, et autres; on nous montra la ville et le château. Un prêtre traversait le marché avec le corps du Seigneur, et personne ne le suivait; dans la même rue chevauchait un homme qui voulait représenter Saint Urbain, dont c’était la fête. Hommes et femmes le suivaient en foule avec un drapeau, et personne ne faisait attention au prêtre et ne ployait le genou. Mais on buvait à force dans les auberges. A Anspach, où le margrave de Brandebourg tenait sa cour, nous dinâmes à la table du prince. Le seigneur Kotska et Antonio (les autres envoyés) montèrent à cheval avec le margrave pour aller à la chasse. Il nous mena aussi dans les appartemens de sa femme, ce qu’il ne fait pas pour tout le monde. Le margrave nous donna une escorte pour nous conduire jusqu’à Suttgard, chez le comte de Wurtemberg. Là beaucoup de belles femmes et jeunes filles nous invitèrent à les visiter. D’autres vinrent avec des ceintures et des bourses qu’elles offraient de nous vendre, si bien que le sire de Bawer regrettait d’être marié. Nous obtînmes une escorte pour aller jusqu’à Pforzheim, d’où nous partîmes pour Baden, où nous arrivâmes le 3 juin. Le margrave nous envoya du vin et du gibier, et nous invita le jour suivant à sa table, où lui et la margrave, sœur de l’empereur (Frederic IV,) nous firent beaucoup d’honneurs. Nous nous baignâmes dans les eaux thermales, et nos compagnons dansèrent avec la princesse et ses filles, et au coup de l’Ave Maria, tous se mettaient à genoux, chacun avec sa danseuse.

“De là, avec notre escorte et une recommandation du margrave, nous allâmes à Strasbourg, où les fiers seigneurs de la ville (die Stolzen Stadt-Herrem) nous souhaitèrent la bienvenue et s’informèrent de la santé de notre gracieux roi et seigneur, et ils dirent au sire Kotska que nous ne pouvions aller plus loin sans danger, soit que nous voulussions descendre le Rhin jusqu’à Cologne, soit que nous voulussions le remonter; et ils nous offrirent 50 ou 100 cavaliers, qui devaient nous escorter dans les passages périlleux. Ils nous donnèrent avis surtout du comte Jean d’Eresbourg, qui, comme nous l’apprîmes depuis à Constance, nous guettait dans les montagnes. Mais grâce à notre prudence, il ne put nous prendre.”

Enfin les envoyés atteignirent, le 22 juin, le roi à Saint-Pol. Il leur assigna une audience à Abbeville, où il devait se trouver au plus tard le mercredi 27.

“Il n’y fut que le 10 juillet, dit le même narrateur, et il n’a jamais rien fait de ce qu’il nous avait annoncé, comme aussi sa promesse de nous expédier en 6 jours, qu’il n’a point tenue.” En attendant cette audience, la discussion s’était établie vivement entre les envoyés de Bohême et le chancelier du roi. Celui-ci disait “que le roi de Bohême ne pouvait rien faire sans l’assentiment du pape et de l’empereur;” à quoi le sire de Kotska répondait: “Certes nous prenons en considération ce qui est dû au saint père et à la majesté impériale; mais il est étonnant, ajoutait-il, qu’il vous soit désagréable à vous autres prélats que nous, laïques, nous fassions quelque chose de bon par nous-mêmes; mais tout devrait se faire par votre pouvoir et votre influence, et vous, seigneurs spirituels, il faut que vous vous mêliez de toutes les choses temporelles!”

Le roi reçut les ambassadeurs, parla de son attachement au roi de Bohême, puis suscita des lenteurs, les chicana sur les formes de leurs lettres de créance, sur le titre de duc de Luxembourg que prenait leur souverain, et enfin, après avoir été encore quelque temps promenés d’un lieu à un autre, ils retournèrent chez eux sans avoir rien obtenu.

La traduction et la publication de cette pièce est dûe, ainsi qu’un grand morceau d’histoire sur le grand interrègne en Bohême (de 1439 à 1453,) qui mériterait d’être traduit dans son entier, à M. F. Palacky, jeune homme plein de talent, qui se voue avec un grand zèle a la recherche et à l’examen des sources d’où peut sortir une histoire de Bohème: il voit dans cette histoire une lutte continuelle des Bohèmes pour conserver, au milieu des populations étrangères qui les environnent, leur individualité nationale (Bohemikhtuns.) Selon lui, la question pour la race bohème dans la guerre des Hussites, dans les guerres de lu réformation, était une question d’existence. L’histoire politique de la Bohème présente aussi plusieurs particularités remarquables, comme l’importance très ancienne du tiers état. Là, la féodalité semble n’avoir jamais été oppressive. Si haut qu’on remonte, on trouve les bourgeois des villes formant un ordre indépendant et représenté. A aucune époque, au contraire, le clergé ne forme un ordre distinct, et les évêques ne jouissent d’aucun droit politique. Au commencement du seizième siècle, les quatre onzièmes des terres sont dans des mains non aristocratiques. Enfin les souvenirs de la guerre de 30 ans sont vivants à Prague: on montre encore aujourd’hui dans la cathédrale un boulet que les Suédois y ont lancé, et de la ville on aperçoit la Montagne blanche (Weissemberg) où était le camp de Wallenstein.

Il suffit d’avoir vu Prague avec son immense enceinte, trop vaste pour sa population d’aujourd’hui, ses larges rues bordées de palais, ses vieilles églises, les deux villes qui la composent et qui plusieurs fois se sont fait la guerre au moyen âge, pour comprendre qu’il y a eu là un passé mémorable. En regardant, des hauteurs qui la dominent, cette double cité, cette foule de dômes qui lui donnent quelque chose de l’aspect majestueux et monumental de Rome, ce beau pont couvert de statues jeté sur un fleuve magnifique, tout cet appareil d’une grandeur déchue dont les traces sont partout, on ne peut se défendre de partager l’intérêt qui attache les savants bohèmes à leurs souvenirs nationaux et anime leur érudition d’un zèle patriotique. Espérons que malgré la difficulté où les place la position actuelle de leur pays, les membres de la Société du Museum national poursuivront leur œuvre avec la même ardeur.

LADY STANHOPE.

La plupart des voyageurs européens qui ont récemment visité la Syrie, n’ont pas manqué de parler de lady Stanhope et de l’établissement où elle a résolu de finir ses jours. Sa résidence est à Mar-Eldas, dans le Liban, à une heure et demie de marche de Seide. Un couvent couvrait autrefois l’emplacement de son habitation, située sur le sommet d’une colline; une partie de ce monastère, jointe à quelques augmentations qu’y a faites lady Stanhope, forme actuellement sa demeure. Il y a peu d’arbres à l’entour de la maison, qui est fort découverte, et derrière laquelle sont plusieurs rangs de collines nues; maie pardevant elle a une vue magnifique sur les jardins de Séide et sur la baie qui est au-dessous.

Le voyageur Carne se présenta chez lady Stanhope; par une faveur extraordinaire, il eut peut-être été admis chez elle, s’il n’eût oublié à Séide une lettre de recommandation d’un des plus intimes amis de cette dame, lettre qui devait lui servir d’introduction. Il était porteur d’une autre lettre; mais celle-ci lui fut inutile, et après qu’il eut attendu quelque temps dans un appartement où était suspendue une lance d’une longueur immense, à la manière de celles dont les Arabes font usage, lady Stanhope lui fit faire des excuses, par la seule femme de chambre anglaise qu’elle ait gardée auprès d’elle, en lui exprimant combien elle regrettait de ne pouvoir enfreindre la règle qu’elle s’était imposée de ne recevoir aucun voyageur anglais. C’est, dit-on, la conséquence du mauvais procédé d’un seigneur de son pays, qui avait passé quelque temps chez elle. Après qu’il l’eut quittée, il s’avisa de tourner en ridicule sa manière de vivre. Ces propos étant parvenus en Angleterre, et de là à lady Stanhope, elle résolut de ne plus s’exposer au même danger, et d’interdire l’entrée de sa maison à tous ses compatriotes.

Elle a témoigné quelquefois le même éloignement à d’autres étrangers. Un baron allemand, qui passait pour grand connaisseur en chevaux, et qui se faisait beaucoup valoir pour ses connaissances en ce genre, ayant demandé à avoir avec elle une entrevue, elle se contenta, pour toute réponse, de donner à son valet d’écurie l’ordre de faire sortir tous ses chevaux et de les montrer au baron.

Lady Stanhope n’a à son service, à l’exception de la fille dont il a déjà été question, que des domestiques arabes, ayant congédié tous les serviteurs anglais qu’elle avait et qui ne pouvaient vivre en paix avec ses Arabes. Elle jouit d’une grande considération parmi toutes les autorités du pays, et l’on a vu les pachas les plus absolus accorder sur-le-champ tout ce qu’elle leur demandait par un simple billet. C’est par un pur hasard qu’elle s’est déterminée à demeurer dans le Liban. Le navire sur lequel elle était passagère ayant fait naufrage sur cette côte, elle fut si frappée des beautés du pays, qu’elle prit le parti de s’y fixer.

Il semble, du reste, que le goût pour la vie aventurière soit naturel à sa famille, car M. Carne avait vu à Constantinople, dans le palais de l’ambassadeur britannique, lord Strangford une jeune sœur de lady Stanhope, nouvellement arrivée de Perse par la Géorgie, et qui avait fait la plus grande partie de cette route à cheval. A Tauris, on lui avait offert de l’introduire dans le harem du prince Abbas-Mirza, mais elle n’avait pas jugé à propos d’accepter cette proposition.

M. Carne étant à Beirout, y trouva un Anglais qui, par une suite de quelques circonstances particulières, avait été admis chez lady Stanhope, et avait eu avec elle une conversation de plusieurs heures. Elle était entièrement habillée à la manière des Turcs, et se montra, dans le cours de la conversation, très au courant des affaires du Levant, de la situation du gouvernement ottoman et de sa politique. S’étant mise ensuite à parler de la politique de la Grande-Bretagne à l’époque où elle était dirigée par son oncle, dont elle honorait la mémoire avec un respect religieux, elle s’anima extraordinairement, et parla pendant près de deux heures sans interruption.

Elle emploie la plus grande partie de la nuit à lire ou à écrire; sa correspondance est très considérable; elle ne se retire guère pour prendre son repos, que vers cinq heures du matin.

On sait qu’elle fut proclamée reine par les Arabes de Palmyre, auxquels elle avait donné une fête au milieu des ruines de cette ville. Les Bédouins de ce canton ne parlent d’elle qu’avec la plus grande vénération. Le seul acte de souveraineté qu’elle ait exercé sur eux ne pouvait manquer de la recommander fortement à des Bédouins, et il n’est pas surprenant qu’ils s’y soumettent constamment; car elle a remis au grand cheikh de ces Arabes, qui se regardent comme les propriétaires de ces magnifiques ruines, un papier écrit de sa main, par lequel elle lui enjoint d’exiger mille piastres de tout voyageur que le désir de visiter ces restes de l’antique splendeur de la capitale de Zenobie attire dans ces déserts.

Lady Stanhope, par une faiblesse assez extraordinaire dans une femme de ce caractère, paraît mettre beaucoup d’importance aux rêveries de l’astrologie, et accorder une confiance absolue aux prédictions d’un diseur de bonne aventure qui flatte son amour-propre, et qui s’est fait une très-grande réputation dans ce pays, en annonçant un an avant l’événement, le tremblement de terre, qui, il y a quelques années, a presque anéanti la ville d’Alep.

LA FATA MORGANA.

Ce phénomène, généralement connu sous le nom de Fata Morgana, est particulier au détroit de Messine; mais il ne s’y manifeste que rarement. Voici la description qu’en a donnée un témoin oculaire:

“Etant à ma fenêtre, je vis la mer qui baigne les côtes de Sicile, se gonfler et prendre, sur une étendue de dix milles, l’apparence d’une chaine de montagnes sombres; tandis que les eaux, du côté de la Calabre devinrent calmes et unies comme un miroir. Sur cette glace, on voyait peinte, en clair obscur, une chaine de plusieurs milliers de pilastres, tous égaux en élévation, en distance, et en degré de lumière et d’ombre; et en un clin d’œil, tous ces pilastres perdirent la moitié de leur hauteur, et parurent se replier en arcades et en voutes, comme les aquéducs romains. On vit ensuite une longue corniche se former sur le sommet, et on aperçut une quantité innombrable de châteaux tous parfaitement semblables. Bientôt ils se fendirent et ne formèrent plus que des tours, qui disparurent pour ne laisser voir qu’une colonade, puis des fenêtres, et finalement des pins, des cyprès, &c. semblables et égaux.” Mais pour qu’une illusion aussi agréable que celle qui vient d’être décrite se produise, il faut un concours de circonstances qui ne se trouvent dans aucun autre site: il faut que le spectateur tourne le dos à l’est, et se trouve placé dans quelque lieu élevé, derrière la ville, pour qu’il voie le détroit dans toute son étendue. Les montagnes de Messine s’élèvent comme une muraille, et obscurcissent tout le fond du tableau. Il faut qu’il n’y ait pas un souffle de vent, que la surface des eaux soit absolument tranquille, que la marée soit à la plus grande hauteur, et que les eaux mêmes, poussées par des courans, s’élèvent, au milieu du canal, à une certaine élévation. Lorsque toutes ces circonstances se trouvent réunies, et aussitôt que le soleil s’élève au-dessus des montagnes qui sont à l’est derrière la ville, et forment avec la mer un angle de quarante cinq degrés, tous les objets qui se meuvent dans Reggio sont répétés un million de fois sur ce miroir marin, qui, par son mouvement d’ondulation, semble être taillé à facettes. Toutes ces images se succèdent rapidement, à mesure que le courant avance et qu’il chasse les eaux.

C’est de cette manière que les différentes parties de ce tableau mouvant disparaissent dans un clin d’œil. Quelquefois l’air se trouve tellement chargé de vapeur dans ce moment là, et si peu troublé par les vents, que les objets sont réfléchis dans l’air environ trente pieds au-dessus du niveau de la mer; et dans les temps lourds et nébuleux, ils paraissent, à la surface même des eaux, bordés des plus belles couleurs du prisme. (Merveilles du Monde.)

POLITIQUE.

Lettre du Marquis d’Anglesea, lord lieutenant d’Irlande, du
Primat catholique romain.

“Phœnix Park, 23 Décembre 1828.

“Très révérend monsieur, Je m’empresse de vous accuser réception de votre lettre du 22, renfermant celle que vous avez reçue du duc de Wellington, du 11 courant, ainsi qu’une copie de la réponse que vous y avec faite.

“Je vous remercie de la confiance que vous avez placée en moi.

“Votre lettre me donne connaissance d’un sujet du plus haut intérêt. Je ne connaissais pas d’une manière précise les sentimens du duc de Wellington, sur l’état actuel de la question catholique.

“Les connaissant, je me hasarderai à offrir mon opinion sur la marche que doivent suivre les catholiques.

“Pleinement convaincu que ce n’est qu’en s’entendant définitivement et sincèrement sur cette grande question, que l’on peut parvenir à procurer la paix, l’union et la prospérité à toutes les classes des sujets de Sa Majesté dans ce royaume, je dois reconnaître combien je suis désappointé d’apprendre qu’il n’y a pas d’apparence qu’un tel résultat ait lieu durant la prochaine session du Parlement. Je trouve, néanmoins, quelque consolation à remarquer que Sa Grâce n’est pas entièrement opposée à cette mesure; car s’il peut-être amené à la proposer, il est celui de tous les hommes qui a la plus grande facilité pour la faire réussir.

“Si cette opinion est juste, il s’ensuit qu’il est très important de rendre le duc de Wellington favorable; de ne jetter dans son chemin aucun obstacle qu’il soit possible d’en écarter; de supprimer toute insinuation personnelle offensante; et de faire enfin une ample part aux difficultés de sa situation.

“Cette situation est difficile sans doute, car il a à surmonter les préjugés bien grands et les motifs intéressés de plusieurs personnes de la plus haute influence, aussi bien qu’à calmer les alarmes réelles d’un grand nombre des plus ignorants Protestans.

“Je diffère d’opinion avec le Duc, sur ce qu’on pourrait essayer d’ensevelir la question dans l’oubli” pendant un court espace de tems; d’abord parce que la chose est entièrement impossible; et ensuite parce que si la chose était possible, je craindrais qu’on ne prit avantage du relâche, en le représentant comme une terreur panique causée par la récente et violente réaction, et en proclamant que si le gouvernement se prononçait une fois et péremptoirement contre la concession, les Catholiques cesseraient de s’agiter, et toutes les misères qui ont affligé l’Irlande pendant les dernières années seraient soumises à une réaction.

“Ce que je recommande, c’est que la mesure ne soit pas perdue un instant de vue, que l’anxiété continue à se manifester, et que tous les moyens constitutionnels (distincts de ceux parement légaux) soient employés pour avancer la cause; mais qu’en même tems, la patience la plus endurante, l’obéissance la plus soumise aux lois soient observées, qu’aucun langage personnel et offensant ne soit tenu envers ceux qui s’opposent à la réclamation.

“Les personnalités n’offrent aucun avantage, elles n’effectuent aucun bien; au contraire, elles offensent, et confirment une aversion déjà existante. Que le catholique se fie à la justice de sa cause, aux principes libéraux qui se répandent parmi l’humanité. Malheureusement elle a perdu quelques amis, et vu se renforcer ses ennemis, depuis six mois, par une violence excessive et inutile. Elle réparera bientôt la stagnation actuelle de ses affaires par une conduite plus modérée, et par la confiance dans la législature pour obtenir redressement.

“La force brute, elle en doit elle assurée, ne peut rien faire. C’est la législature qui doit décider cette grande question: et mon plus grand désir est qu’elle se présente devant le Parlement sous les circonstances les plus favorables, et que les opposans à l’émancipation catholique soient désarmés par la patience endurante aussi bien que par la persévérance infatigable de ses défenseurs.

“Mon désir ardent de servir les intérêts généraux de ce pays est le motif qui m’a engagé à donner une opinion et à offrir un conseil. J’ai l’honneur, &c.

Signé     ANGLESEA.

“Au très-Révérend Dr. Curtis, &c., &c.”

AGRICULTURE.

Lettre de M. Chs. F. Grece, à l’Editeur de la Gazette de
Québec, datée de Montréal, le 22 Août 1818.

Mr. Neilson.—Votre papier du 9 Juin contient un extrait du New-York Evening Post, signé Wm. Cobbett. Comme j’ai lieu de croire que ce n’est là qu’un extrait, et que je ne possède pas en entier l’original, il paraitra peut-être présomptueux de ma part d’entreprendre la réfutation d’une pièce que je n’ai vue qu’en partie; cependant comme ce qu’elle contient peut porter préjudice à l’avancement de l’agriculture en ce pays, je me hazarde contre la proposition de Mr. Cobbett, au sujet du ruta baga, ou navet suédois, connu ici sous le nom de navet jaune, qui est autre que le navet de Russie, du moins par rapport à ce pays. Je me flatte que dans la suite ce monsieur ne lui donnera plus ce nom, qui peut induire en erreur. Dans cette proposition, M. C. nie positivement qu’on puisse engraisser des bœufs avec des pommes de terre (patates), et ses preuves il les tire de ce qui se fait en Angleterre. Quelques grandes que soient les autorités qu’il cite, il doit faire attention que nous vivons dans un autre hémisphère, qui n’est pas toujours susceptible de similitudes. Que Mr. C. fasse un tour dans les Etats de New-York et de Vermont, qu’il vienne en ce pays, il trouvera des bœufs engraissés avec des pommes de terre, qui donnent autant de suif, et dont la chair a tout aussi bon goût que si on ne leur avait donné que des navets. Mr. C. s’étend ensuite sur les avantages du ruta baga, qui, dit-il, produit beaucoup plus, n’exige pas une terre si grasse, et coûte moins de soins et de dépenses que les pommes de terre. Ces avantages, je l’avoue, sont grands; mais qu’ils s’accordent peu avec les expériences qu’on a faites en ce pays. D’abord les navets de toute espèce exigent une terre grasse, et ne réussissent que rarement. De cinq années que vous en aurez semé, ils failliront quatre. Peut-on après cela se reposer sur une récolte de navets pour la nourriture des troupeaux? Plus loin, M. C. nous dit qu’ils demeurent moins longtemps en terre, et ne demandent point tant de dépenses. Voyons avec quelle justesse tout cela s’applique à ce pays-ci. Le ruta baga se sème vers le milieu de Mai, et se cueille à la fin d’Octobre. Il occupe donc la terre cinq mois et demi: c’est-à-dire, au moins un mois plus long-tems que les pommes de terre; ensuite la préparation qu’exige la terre pour recevoir cette racine est beaucoup plus dispendieuse que pour les pommes de terre; il faut de plus les sarcler au moins trois mois, quelquefois quatre. Les patates, il est vrai, coûtent plus à arracher, mais en revanche, c’est une récolte qu’on ne manque presque jamais; au lieu que l’autre, quoique plus assurée dans les terres neuves, est très incertaine dans les vieilles terres. Elles ont même l’avantage de pouvoir résister aux hivers de ce climat sans être endommagées. On en mit en 1807 dans une grange où elles passèrent l’hiver sans en souffrir le moindre tort. L’application du plâtre sur les navets ne m’a paru d’aucune utilité; du moins par les expériences que j’ai pu faire jusqu’à présent. Il paraît que ses effets varient selon les climats. Les pommes de terre se conservent jusques dans le mois d’Août; un arpent produit quelques fois 400 minots, ce qui suffit pour engraisser quatre bœufs. Quoique cette quantité paraisse extraordinaire, plusieurs personnes néanmoins en ont eu une aussi grande l’an passé. Un Mr. Burk, sur la Rivière des Outawas, eut en 1806, 700 minots de ruta baga sur un arpent de terre. Mais c’est une circonstance unique. Enfin, Mr. Cobbett assure que si une personne coupait un morceau de ruta baga, et un autre de pomme de terre, et les présentait à un mouton, l’animal préférerait le navet. J’ai éprouvé le contraire en ce pays; mais les pommes de terre purgent trop.

Maintenant que doit conclure le cultivateur de ce que je viens de dire? Que les navets offrant une récolte trop incertaine, il vaut mieux semer autant de pommes de terre qu’il lui en faut pour engraisser ses bestiaux. Pendant le dernier mois on les nourrira de bled d’Inde, d’orge moulu, de pois ou d’aveine; ou enfin de ces trois derniers grains mêlés ensemble et moulus pour cet effet.

Quand on trouve que les pommes de terre purgent trop les bestiaux, on peut y remédier en ne leur donnant que deux repas de pommes de terre, et le troisième d’aveine dans la paille.

DE LA POLITESSE.

Cette politesse si recommandée, sur laquelle on a tant écrit, tant donné de préceptes, et si peu d’idées fixes, en quoi consiste-t-elle?

La politesse est l’expression ou l’imitation des vertus sociales; c’en est l’expression, si elle est vraie, et l’imitation, si elle est fausse: et les vertus sociales, sont celles qui nous rendent utiles et agréables à ceux avec qui nous avons à vivre.

Mais comment arrive-t-il qu’un homme d’un génie élevé, d’un cœur généreux, d’une justice exacte, manque de politesse, tandis qu’on la trouve dans un homme borné, intéressé, et d’une probité suspecte?....C’est que le premier manque de quelques qualités sociales, telles que la prudence, la discrétion, la réserve, l’indulgence pour les défauts et les faiblesses d’autrui.—(Une des premières vertus sociales est de tolérer dans les autres ce qu’on doit s’interdire à soi-même.) Au lieu que le second, sans avoir aucune vertu, a l’art de les imiter toutes. Il sait témoigner du respect à ses supérieurs, de la bonté à ses inférieurs, de l’estime à ses égaux, et persuade à tous qu’il en pense avantageusement, sans avoir aucun des sentimens qu’il imite.

On n’exige même pas toujours ces sentimens, et l’art de les feindre est ce qui constitue la politesse de nos jours. Cet art est souvent si ridicule et si vil, qu’il est donné pour ce qu’il est, c’est-à-dire, pour faux.

Les hommes savent que les politesses qu’ils se font, ne sont qu’une imitation de l’estime: ils conviennent en général que les choses obligeantes qu’ils se disent, ne sont pas le langage de la vérité; et pourtant, dans les occasions particulières, ils en sont les dupes. L’amour-propre persuade grossièrement à chacun que ce qu’il fait par décence, on le lui rend par justice.

Quand on serait convaincu de la fausseté des protestations d’estime, on les préférerait encore à la sincérité, parce que la fausseté a un air de respect dans les occasions où la vérité serait une offense.

Un homme sait qu’on pense mal de lui, cela est humiliant; mais l’aveu qu’on lui en ferait serait une insulte; on lui ôterait par là toute ressource de chercher à s’aveugler lui-même, et on lui prouverait le peu de cas que l’on en fait.

Les gens les plus unis, et qui s’estiment à plus d’égards, deviendraient ennemis mortels, s’ils se témoignaient complètement ce qu’ils pensent les uns des autres.

Il y a un certain voile d’obscurité qui conserve bien des liaisons, et qu’on craint de lever départ et d’autre.

Je suis bien éloigné de conseiller aux hommes de se témoigner durement ce qu’ils pensent, parce qu’ils se trompent souvent dans les jugemens qu’ils portent, et qu’ils sont sujets à se rétracter bientôt, sans juger ensuite plus sainement. Quelque sûr qu’on soit de son jugement, cette dureté n’est permise qu’à l’amitié; encore faut-il qu’elle soit autorisée par la nécessite et l’espérance du succès.—Les opérations cruelles n’ont été imaginées que pour sauver la vie, et les palliatifs que pour adoucir les douleurs.

On ne corrige les particuliers qu’en leur prouvant de l’intérêt pour eux, et en ménageant leur amour-propre.

Quelle est donc l’espèce de dissimulation permise,—— (ou plutôt).

Quel est le milieu qui sépare la fausseté vile de la sincérité offensante?

Ce sont les égards réciproques: ils forment le lien de la société, et naissent du sentiment de ses propres imperfections, et du besoin qu’on a d’indulgence pour soi-même.

L’usage n’est qu’un jargon fade, plein d’expressions exagérées, aussi vides de sens que de sentiment.

“La politesse,” dit-on, “marque cependant l’homme de naissance: les plus grands sont les plus polis....” J’avoue que cette politesse est le premier signe de la hauteur, un rempart contre la familiarité. Il y a bien loin de la politesse à la douceur et plus loin encore de la douceur à la bonté. Les grands qui écartent les hommes à force de politesse sans bonté, ne sont bons qu’à être écartés eux-mêmes à force de respect sans attachement.

“La politesse,” ajoute-t-on, “prouve une éducation soignée, et qu’on a vécu dans un monde choisi; elle exige un tact si fin, un sentiment si délicat sur les convenances, que ceux qui n’y ont pas été initiés de bonne heure, font dans la suite de vains efforts pour l’acquérir, et ne peuvent jamais en saisir la grâce....”

Premièrement, la difficulté d’une chose n’est pas une preuve de son excellence. Secondement, il serait à désirer que des hommes qui, de dessein formé, renoncent à leur caractère, n’en recueillissent d’autre fruit que d’être ridicules; peut-être cela les ramenerait-il au vrai et au simple.

D’ailleurs cette politesse si exquise n’est pas aussi rare que voudraient le persuader ceux qui n’ont pas d’autre mérite. Elle produit aujourd’hui si peu d’effet, la fausseté en est si reconnue, qu’elle en est quelquefois dégoûtante pour ceux à qui elle s’adresse, et qu’elle a fait naître à certaines gens l’idée de jouer la grossièreté la brusquerie pour imiter la franchise, et couvrir leurs desseins. Ils sont brusques sans être francs, et faux sans être polis....

Ce manège est déjà assez commun, pour qu’il dût être plus reconnu qu’il ne l’est encore.

Il devrait être défendu d’être brusque à quiconque ne ferait pas excuser cet inconvénient de caractère par une conduite irréprochable.

Ce n’est pas qu’on ne puisse joindre beaucoup d’habileté à beaucoup de droiture; mais il n’y a qu’une continuité de procédés francs, qui constate bien distinction de l’habileté et de l’artifice.

On ne doit pas pour cela regretter les temps grossiers où l’homme, uniquement frappé de son intérêt, le cherchait toujours, par un instinct féroce, au préjudice des autres. La grossièreté et la rudesse n’excluent ni la fraude, ni l’artifice, puisqu’on les remarque dans les animaux les moins disciplinables.

Ce n’est qu’en se polissant que les hommes ont appris à concilier leur intérêt particulier avec l’intérêt commun; qu’ils ont compris que, pur cet accord, chacun tire plus de la société qu’il n’y peut mettre.

Les hommes se doivent donc des égards, puisqu’ils se doivent tous de la reconnaissance. Ils se doivent réciproquement une politesse digne d’eux, faite pour des êtres pensants, et variée par les différents sentimens qui doivent l’inspirer.

Ainsi, la politesse des grands doit être de l’humanité; celle des inférieurs, de la reconnaissance, si les grands la méritent; celle des égaux, de l’estime et des services mutuels.

Loin d’excuser la rudesse, il serait à désirer que la politesse qui vient de la douceur des mœurs, fût toujours unie à celle qui partirait de la droiture du cœur.

Le plus malheureux effet de la politique d’usage, est d’enseigner l’art de se passer des vertus qu’elle imite. Qu’on nous inspire, dans éducation, l’humanité et la bienfaisance, nous aurons la politesse, on nous n’en aurons plus besoin.

Si nous n’avons pas celle qui s’annonce par les grâces, nous aurons celle qui annonce l’homme et le citoyen: nous n’aurons pas besoin de recourir à la fausseté.

Au lieu d’être artificieux pour plaire, il suffira d’être bon; au lieu d’être faux pour flatter les faiblesses des autres, il suffira d’être indulgent.

Ceux avec qui l’on aura de tels procédés, n’en seront ni énorgueillis, ni corrompus; ils n’en seront que reconnaissants, et eu deviendront meilleurs.

LECTURE.

On the Medical Systems which have existed in France since the beginning of the present century. By F. O. DOUCET, M.D. &c. New-York 1829. pp. 26 in-8vo.[1]

Il ne nous conviendrait pas de faire l’analyse ou la critique de l’ouvrage annoncé par le titre ci-dessus: cette tâche ne peut appartenir qu’à un médecin de profession. Nous nous contenterons de dire que la courte mais savante production de Mr. le Dr. Doucet nous a paru de nature à intéresser vivement tous ceux qui entendent quelque chose à la science de la médecine; et afin de donner à quelqu’un de nos savants et laborieux médecins l’idée de traduire et de publier en français ce petit ouvrage d’un compatriote, pour l’avantage de ceux de la profession qui n’entendent pas parfaitement la langue anglaise, nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs la traduction de ce qui en peut-être regardé comme l’introduction, et peut-être entendu facilement de tout le monde.

“Si la médecine avait eu une base fixe et permanente, la théorie en aurait toujours été la même, et la pratique en serait demeurée invariable d’un siècle à l’autre. Les médecins, tant anciens que modernes; ceux de tous les pays et de toutes les écoles, se seraient accordés sur tous les sujets importants; mais nous sommes loin de posséder cet avantage dans la science dont nous nous occupons. En effet, elle ne nous offre qu’une série de systêmes depuis le temps de son origine jusqu’à ce jour. Y a-t-il une génération médicale qui n’ait pas eu une théorie favorite et dominante, un systême annoncé et soutenu sous les prétendus auspices de la vérité, lequel a néanmoins paru absurde et pitoyable aux générations suivantes? Les arcades des différentes écoles ont retenti pendant trois mille ans des discours des faiseurs de systêmes, qui tous prétendaient avoir pénétré dans le sanctuaire de la nature, et en devaient proclamer le secrets pour le bien de l’humanité. C’est ce qui s’est fait aux premières époques de la science, ce qui se fait de nos jours, et ce qui se fera probablement dans la succession des siècles à venir.

“La médecine est aussi ancienne que l’homme: l’époque de sa première apparition et l’histoire de son développement se perdent dans l’obscurité des temps et dans l’incertitude des fables. Cultivée d’abord dans l’Orient, elle passa de là en Egypte, puis en Grèce, et finalement dans l’Europe occidentale. Absurde et mystérieuse parmi les Egyptiens: empirique et superstitieuse parmi les Grecs, elle acquit finalement le titre et la dignité d’une science sous Hippocrate, qui, en établissant sa doctrine, y renferma le germe de tous les systêmes, et des plus incohérentes discordances.

“Déjà les dogmatiques veulent parvenir à la vérité par des hypothèses; les empiriques désirent bannir de la pratique tous les raisonnemens; Asclepiade crée une médecine fondée sur la philosophie des corpuscules; Thémison réduit toutes les maladies à trois formes; les pneumatiques attribuent la vie à l’air qui circule dans les vaisseaux; Galien rétablit la crise et la coction; les Arabes transportent dans la médecine les formules et les abstractions d’Aristote; les alchymistes brulent les livres des anciens, et ne cherchent qu’un seul remède pour tous les symptômes.

Van-Helmont ajoute à la doctrine de l’archæus ses agens chimiques; les géomètres cherchent à démontrer toutes les fonctions de la vie par des signes algébriques; les philosophes n’y voient rien qu’attraction, cohésion, élasticité, force, contre force, &c.: les mécaniciens n’y voient que leviers, points d’appui, &c. Hoffman, malgré son systême de solides vivants, appelle à son aide une foule d’idées mécaniques; son contemporain Stahl soutient que l’âme raisonnable de l’homme veille à la préservation de son existence. Boerhaave unit dans son systême la pathologie humorale d’Hippocrate, les atômes d’Asclépiade, le solidisme de Thémison, le mécanisme de Bellini, et la théorie chimique de Van-Helmont, qui termine ainsi la première série des révolutions qui ont agité le berceau de la médecine.

“Le nom de Boerhaave a cessé de retentir dans le monde médical, et sur les ruines de son systême se sont élevés des noms imposants dans les différents pays de l’Europe. Le temps est passé où un grand nom subjuguait tous les esprits et enchainait à sa volonté les opinions des contemporains. Chaque pays a possédé des hommes du premier mérite; chaque branche de l’art de guérir a eu ses chefs; Camper et Gaubius en Hollande, Stahl en Allemagne, Fontana et Spallanzani en Italie, Halier et Tissot en Suisse, Paquier en Espagne, Cullen et Hunter en Angleterre, Bordeu, Barthez, Lorry et Vicq d’Azir en France, ont semblé aspirer chacun à une prééminence distincte.”

Le reste est, comme le porte le titre, l’histoire raisonnée des révolutions que la médecine a éprouvées en France depuis le commencement du siècle. Il nous paraît, nous le répétons, à désirer que quelqu’un de nos médecins en fasse la traduction pour la mettre sons les yeux de ses compatriotes, et surtout de ses confrères. Nous sommes persuadés que tous liraient l’ouvrage avec intérêt, et plusieurs avec profit.


C’est-à-dire, Lecture sur les Systemes de Médecine qui ont existé en France depuis le commencement de ce siècle.

DANGERS DES VOYAGES CHEZ LES ARABES.

Lorsque le général Bonaparte commandait l’armée française en Egypte, il fit présent au monastère du mont Sinaï de deux pièces de canons; mais les moines n’en font aucun usage pour éloigner les Arabes qui viennent souvent les mettre à contribution, et auxquels ils sont obligés de donner du pain, afin de se débarasser de leurs menaces toujours accompagnées de quelques coups de fusil.

Le voyageur anglais Carne qui était pour quelques jours dans ce couvent, fut pris avec deux de ses compatriotes dans une excursion hors de l’enceinte, par un parti d’Arabes. Après trois jours de marche, on arriva au camp, dont le chef se nommait Hasan. Les Européens, ayant laissé leurs armes dans le monastère, ne purent faire aucune résistance. Les Arabes étaient au nombre de douze, parmi lesquels il y avait trois cheikhs; ils conduisirent leurs prisonniers au pied des murs du couvent, espérant sans doute obtenir des moines une bonne rançon: ils crièrent et menacèrent longtemps sans qu’on leur répondît. A la fin, un moine parut à une fenêtre très-élevée, et il y eut entre les Arabes et lui une courte conversation qui n’amena aucun résultat. La nuit étant proche, les Arabes firent un grand feu, et furent assez civils pour partager leur café avec leurs captifs. On passa la nuit dans ce lieu, et le lendemain de grand matin, la troupe montée sur des chameaux, se mit en marche pour se rendre au camp de Hasan, qui était à deux ou trois journées de distance. Un des trois prisonniers, sachant un peu l’arabe, leur servait d’interprète, et ils furent instruits par son moyen, du serment que fit Hasan, en levant la main au ciel, qu’il ne souffrirait pas qu’il leur fût fait aucun mauvais traitement aussi longtemps qu’ils seraient en son pouvoir. Après trois jours de marche, on arriva au camp de Hasan, qui se composait de quatorze tentes. Les prisonniers n’y furent point maltraités; car c’était plutôt aux moines du mont Sinaï que les Arabes en voulaient, qu’aux voyageurs que la trahison de leur guide avait mis au pouvoir de ces habitans du désert.

Les Arabes détestaient ces moines, “parce qu’ils mangent, disaient-ils, sans aucune fatigue, du pain blanc à l’abri des murs de leur couvent, tandis que nous sommes réduits à manger un pain noir.”

Une autre cause de leur haine, c’est qu’ils croient et assurent que les moines possèdent et gardent dans leur couvent le Livre de la destinée, et qu’ils le tiennent, pendant la plus grande partie de l’année, enfoui dans la terre. Suivant eux, lorsque ce livre était ouvert et exposé au grand air, il avait le pouvoir d’attirer la pluie sur la terre, ce qui réjouissait leurs cœurs et procurait du rafraîchissement à leurs déserts. Mais les prêtres par une suite de leur méchanceté envers les Arabes, le tiennent en général profondément enfoui dans la terre; et, en conséquence, les Arabes n’obtiennent que rarement le bienfait d’un peu de pluie.

Mais la captivité de M. Carne et de ses compagnons ne devait pas durer longtemps. A leur passage à Suez, ils avaient été bien accueillis par l’aga qui commandait dans cette place; et l’un d’eux avait donné a un jeune chef arabe, nommé Ibrahim, qui était malade, un remède qui l’avait soulagé. Un heureux hazard ayant amené Ibrahim dans le voisinage du camp de Hasan; il y fut rencontré par l’un ces prisonniers de qui il apprit ce qui leur était arrivé. Ibrahim était frère de Saleh-cheikh, que tous les Arabes de ce territoire reconnaissaient pour leur chef, et il se hâta d’aller le trouver et de l’informer de tout. Le lendemain matin, Saleh et Ibrahim arrivèrent de bonne heure au camp de Hasan; les cheiks voisins, au nombre de plus de trente, furent convoqués, et s’assemblèrent pour délibérer sur le sort des prisonniers. L’influence de Saleh eut bientôt amené tous les cheiks à opiner pour leur mise en liberté. Hasan seul et sa famille se refusèrent à y consentir, et ce ne fut qu’après deux jours de délibérations qu’ils se rendirent au vœu commun, et qu’il fut résolu que les voyageurs partiraient dès le lendemain matin. Hasan se chargea lui-même de leur conduite. Saleh pria les voyageurs d’écrire une lettre aux autorités du Caire, pour rendre compte de sa conduite, et de l’intention où il était de punir les téméraires qui avaient attenté à la liberté des étrangers.

(Letters from the East, by J. Carne.)

VERTUS MEDICINALES DE L’ORTIE.

C’est depuis longtemps mon opinion que les dons les plus vulgaires de la providence sont souvent les plus utiles, les plus salutaires et les plus précieux. Pour prouver que cette opinion n’est pas mal fondée, je l’appliquerai, pour le moment, à un seul cas, dont je puis parler avec confiance.

L’ortie commune et piquante, plante en apparence aussi inutile et même aussi nuisible à l’homme qu’aucune de celles auxquelles on a donné le nom de ronces, est une des plus précieuses médecines que nous fournisse le règne végétal. Dans la forme de décoction ou d’infusion forte, prise dans la quantité d’une pinte par jour, c’est un excellent restaurant, dans une relaxation générale ou particulière; en celle d’infusion ou de décoction faible, c’est un altératif et un désopilatif admirable, dans les impuretés du sang ou les obstructions des vaisseaux; et en celle de sucs exprimés pris par cueillerées, selon l’exigeance des cas, c’est le plus puissant astringent connu, dans les saignemens internes. Appliquée extérieurement en forme de fomentation ou de cataplâme, elle fait décroître l’inflammation d’une manière surprenante, et résout les tumeurs. Dans l’enflure de gorge ordinaire, cette plante commune sera assurément d’un grand secours, si on l’applique intérieurement en forme de gargarisme. J’ai été plusieurs fois témoin de sa grande efficacité dans cette maladie.—Eng. Magazine.

DERNIERES NOUVELLES DE LAPÉROUSE.

Le Moniteur publie, dans son numéro de ce jour, l’extrait d’un rapport fait par M. Dumont d’Urville sur les opérations de la corvette l’Astrolabe, chargée d’aller explorer les îles sur lesquelles le capitaine Dillon a retrouvé des traces du naufrage de Lapérouse. Suivant ce rapport, l’Astrolabe, parti le 5 janvier 1828 de Hobart-Town, arriva le 10 février devant Tikopia, et se mit aussitôt en communication avec les naturels.

Après de vaines tentatives pour engager un Prussien nommé Buchert, et le lascar dont a parlé le capitaine Dillon, à le suivre à Vanikoro (et non Mallicolo,) il partit pour cette île, emmenant avec lui deux Anglais, déserteurs d’un navire baleinier, qui résidaient à Tikopia, et cinq naturels de Vanikoro, où il arriva le 14 au matin.

Les renseignemens que M. d’Urville a pu se procurer à Vanikoro sur le naufrage de Lapérouse sont fort incomplets à cause des difficultés que les habitans ont faites de répondre à ses questions. Voici cependant ce qu’il a pu retirer des dépositions de quelques-uns d’entr’eux.

A la suite d’une nuit très obscure, et durant laquelle le vent de S. E. soufflait avec violence, le matin, les insulaires virent tout-à-coup sur la côte méritionale, vis-à-vis le district de Tanema, une immense pirogue échoué entre les rescifs, où elle fut promptement démolie et disparut entièrement sans qu’on en put rien sauver par la suite. De ceux qui la montaient, une trentaine seulement purent s’échapper dans un canot et aborder sur l’île. Le jour suivant, les sauvages aperçurent encore une pirogue semblable à la première, échouée devant Païou; celle-ci, sous le vent de l’île, moins tourmentée par le vent et la mer, d’ailleurs assise sur un fond régulier de 15 à 18 pieds seulement, resta long-tems en place sans être détruite. Tous ceux qui la montaient descendirent à Païou, où ils s’établirent avec ceux de l’autre navire et travaillèrent sur-le-champ à construire un petit bâtiment des débris de celui qui n’avait point coulé.

Les Français, qu’ils nommèrent Mara, furent, disent-ils, toujours respectés par les naturels, qui ne les approchaient qu’en leur baisant les mains (cérémonie qu’ils pratiquaient envers les officiers de l’Astrolabe.) Cependant il y eut de fréquentes rixes, et dans une d’entre elles, les naturels perdirent cinq hommes dont trois chefs, et les Français deux des leurs. Enfin, après six à sept lunes de travail, le petit bâtiment fut terminé et tous les étrangers quittèrent l’île, suivant l’opinion la plus répandue. Quelques-uns affirment qu’il en resta deux, mais qu’ils ne vécurent pas long-tems; à cet égard il ne peut rester aucun doute, et leurs dépositions unanimes prouvent qu’il ne peut exister aucun Français ni à Vanikoro, ni dans les îles Ourry et Edgiasmeba (Toupoua dans leur langue,) ni même à Sainte-Croix (Intendi,) ou dans les îles voisines; il n’y a à Ste.-Croix (Intendi,) qu’un seul blanc provenant d’un baleinier.

Quant à la route que durent prendre les Français, à leur départ de Vanikoro, M. d’Urville pense qu’ils se dirigèrent vers la Nouvelle—Irlande pour gagner les Moluques ou les Philippines par le nord de la Nouvelle—Guinée, et que c’est sur la côte occidentale des îles Salomon qu’on pourrait peut-être trouver par la suite quelques traces de leur passage, l’état clans lequel ils se trouvaient n’ayant pu leur permettre de se hazarder par le détroit de Torrès.

Les instructions de M. d’Urville lui prescrivaient de se diriger vers ce détroit; mais l’état déplorable dans lequel se trouvaient alors l’équipage de l’Astrolabe, dont plus de quarante hommes étaient sur les cadres, celui de l’état-major, qui n’offrait plus que deux officiers en état de faire le quart, la fièvre qui dévorait le commandant lui-même, enfin des vents forcés qui ne permettaient point de gagner le sud, durent faire renoncer à prendre cette direction, et forcèrent M. d’Urville à se rendre à Guam, où il espérait trouver le moyen de faire reposer son équipage et de rétablir la santé des malades, dont le nombre augmentait tous les jours. Ainsi, après une nouvelle tentative pour trouver l’île de Taumako, et qui n’eut pas plus de succès que la première, l’Astrolabe partit le 26 mars pour se rapprocher des Mariannes. Sa navigation ne fut pas encore exempte de contrariétés, ni infructueuse sous le rapport scientifique, et la partie des îles voisines que M. Duperrey n’avait pu visiter fut reconnue par les officiers de l’Astrolabe. Enfin, le 2 mai, la corvette fut mouillée devant le havre d’Umata sur l’île de Guam.

Après diverses relâches, l’Astrolabe est arrivée le 29 septembre à l’île Maurice, d’où elle reviendra à Toulon, après avoir laissé prendre à son équipage le repos dont il avait besoin après une campagne aussi fatigante.

M. d’Urville, avant de s’éloigner de Vanikoro, a élevé sur cette île un monument portant cette inscription:

A LA MEMOIRE DE LAPÉROUSE ET DE SES COMPAGNONS!

 

L’ASTROLABE, XIV MARS MDCCCXXVIII.

ANECDOTES.

On lisait, sur la porte de la riche abbaye d’Asello, le vers suivant:

Porta, patens esto. Nulli claudaris honesto.

Ce qui signifiait que la porte en devait être ouverte, et l’hospitalité accordée à toute personne honnête. Robert devint l’abbé de cette abbaye; il était avare et brutal: avec ces vices, la coutume de recevoir du monde dans le monastère lui déplut; il s’imagina de l’écarter en faisant transporter après le mot nulli le point qui se trouvait après le mot esto. La transposition de ce point donnait en effet un sens absolument contraire au vers. Le pape ayant appris le procédé de l’abbé Robert, le priva de son abbaye. On remit ensuite la ponctuation du vers, et on y souscrivit celui-ci.

Ob solum punctum caruit Robertus Asello, qui signifiait que pour un seul point Robert avait perdu son abbaye d’Asello, et qui a donné lieu au proverbe. Pour un point Martin perdit son âne, qu’on applique communément à ceux qui perdent beaucoup pour peu de chose.


Maximilien I, empereur d’Allemagne, étant malade, manda plusieurs médecins, plus pour s’en divertir que pour suivre leurs ordonnances. Il demanda à chacun d’eux en particulier: Quot? Ils demeuraient confus, ne concevant pas l’idée du prince. Un vieux routier d’entr’eux, comprenant que le monarque, par ce monosyllable, demandait combien ils avaient fait mourir de personnes suivant les règles de l’art, prit à pleine main sa barbe, et lui dit: Tot, voulant signifier qu’il avait fait mourir autant de malades que sa barbe avait de poils. Cette réponse spirituelle lui mérita un favorable accueil, et l’empereur l’écouta avec toute la confiance que méritait sa rare sincérité.


Don Sanche, second fils d’Alphonse, roi de Castille, étant à Rome, fut proclamé roi d’Egypte par le pape. Tout le monde applaudit, dans le consistoire, à cette élection. Le prince, entendant le bruit des applaudissemens, sans en savoir le sujet, demande à son interprète, qui était à ses pieds, de quoi il était question. “Sire, lui dit l’interprète, le pape vient de vous créer roi d’Egypte. Il ne faut pas être ingrat, répondit le prince; lève-toi, et proclame le saint-père calife de Bagdad.”


Un valet de chambre de M. d’Amblerieu, conseiller au parlement de Grenoble, refusa d’épouser une nommée Bailli, fille d’un pauvre corroyeur, parce qu’il lui arriva de lâcher un vent indiscret en sa présence. Le conseiller voulut consoler la prétendue d’un pareil affront, et il en fut ensuite tellement amoureux, qu’il prit la place de son domestique, et qu’il devint réellement son mari. Elle n’était rien par la naissance, mais elle avait des yeux superbes, mais elle avait une taille de nymphe, mais elle était ravissante pour le caractère et l’esprit. Tout le parlement fit rage, tout Grenoble murmura: elle n’en fut pas moins madame d’Amblerieu, femme extremement intéressante pour la conduite et la manière de penser.

An bout de cinq ans, le conseiller mourut en faisant son épouse sa légataire universelle. On cria à l’injustice, des parens avides réclamèrent la succession; procès intenté, et procès perdu. L’aimable veuve en appela au conseil, vint à Paris, y connut, par le plus grand hazard, le maréchal de l’Hopital, et finit par l’épouser.

On aurait cru, à voir son extraction, qu’elle ne pouvait aller plus loin; mais la fortune, qui la conduisait par la main, lui donna Jean Casimir, roi de Pologne, pour dernier époux.


Stackelberg, l’un des ministres de feue Catherine II, impératrice de Russie, avait de l’esprit et surtout de la hauteur: il la déploya surtout en Pologne. M. de Thugut y ayant été envoyé par l’empereur, fut, le jour de son audience chez le lâche Poniatowsky, introduit dans un salon, où, voyant un homme gravement assis, entourré de seigneurs polonais, respectueusement debout devant lui, il le prit pour le roi, et commença son compliment. C’était Stackelberg, qui ne s’empressa pas de le tirer d’erreur. Thugut, instruit de sa méprise, en fut honteux et piqué. Le soir, faisant sa partie avec le roi et Stackelberg, il joue une carte en disant: Roi de trèfle! “Vous vous trompez, lui dit-on, c’est le valet.” L’Autrichien, feignant de s’être mépris, s’écria, en se frappant le front: “Pardon! c’est la seconde fois qu’il m’arrive aujourd’hui de prendre un valet pour un roi.”


Lorsque Rameau fit répéter son premier opéra (Hypolithe et Aricie), cette musique, qui avait alors un caractère tout neuf, effraya les exécutans. L’auteur, né très vif et très sensible, s’agitait et criait de son mieux, pour faire entendre ses intentions au directeur, qui, ce jour là, conduisait l’orchestre. Ce dernier perdit patience à la multitude de choses que le compositeur lui recommandait d’observer, et, dans un moment d’humeur, il jetta le bâton de mesure sur le théâtre. Ce malheureux bâton vint frapper les jambes de Rameau, qui, du plus grand sang-froid, le repoussa du pied jusque sous le nez du directeur: “Apprenez, monsieur, lui-dit-il fièrement, que je suis ici l’architecte, et que vous n’êtes que le maçon.”


Louis XV allant visiter l’hôtel de la guerre, s’arrêta dans les bureaux. Il trouva des lunettes sur une table. Voyons, dit-il, si elles valent les miennes. Il les essaya, et prit un papier qui sans doute y avait été mis exprès. A peine eut-il les yeux dessus, qu’il y vit des éloges outrés. Sur le champ, il quitta les lunettes, et dit en souriant: “Les miennes sont meilleures; celles-ci grossissent trop les objets.”


Lorsque Frankin alla trouver le roi de Prusse, et lui demanda des secours pour l’Amérique: “Dites moi, docteur, reprit le souverain, à quoi les emploieriez-vous? A conquérir la liberté, répliqua le philosophe; cette liberté qui est le privilège naturel de l’homme.” Le roi, après avoir réfléchi un instant, lui fit cette réponse digne de remarque. “Issu de famille royale, je suis devenu roi; je ne veux pas employer mon pouvoir à gâter le métier: je suis né pour commander, et le peuple pour obéir.”


Voltaire faisait un jour l’éloge du savant médecin Haller devant un flatteur, qui vivait aussi avec cet homme célèbre. Le flatteur dit sur-le-champ: “Il s’en faut bien que M. Haller parle de vos ouvrages comme vous parlez des siens.” Voltaire répliqua: “Il peut se faire que nous nous trompions tous deux.”

VERS.

Le bonheur de l’indigence.

 

  Un financier sortant d’un bon repas,

Et d’indigestion pris selon sa coutume,

  S’en retournait pénétré d’amertume

  De n’avoir pu goûter à tous les plats.

  Un malheureux se jette à sa portière:

  Ah! monseigneur, vous paraissez humain:

  Daignez, hélas! soulager ma misère;

  Depuis deux jours, je meurs faute de pain.

  Bonté du ciel! dit Richard en colère,

  Que ces gueux-là sont heureux d’avoir faim!

Le gascon d’assez bonne maison.

 

De noblesse à noblesse on sait la différence,

    Disait quelqu’un; sans me vanter,

    Dans ma maison je puis compter

Jusqu’à douze bâtons de maréchaux de France:

    C’est bien honnête.—Eh! qu’est-ce là?

    Dit un Gascon, belle vétille!

    Depuis cent ans, et par-delà,

    Ce n’est qu’avec ces bâtons-là

    Qu’on se chauffe dans ma famille.

Les pretendus amis.

 

Ainsi que les oiseaux, au retour des frimats,

Délaissent à l’envi les côteaux et les plaines,

Les prétendus amis, si vous avez des peines,

Loin de les partager, s’éloignent à grands pas.

Le sourd volontaire.

 

Si l’on en croit l’avare Urbans,

C’est un défaut de la nature,

Accru par le nombre des ans,

Qui lui rend l’oreille si dure.

Erreur: elle est, je le soutiens,

Selon le cas, mauvaise ou bonne,

Il entend quand on lui dit: Tiens;

Il est sourd quand on lui dit: Donne.

TRANSCRIBER NOTES

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[Fin de La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 3, Fevrier 1829. edited by Michel Bibaud]