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Title: La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 20

Date of first publication: 1830

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Aug. 4, 2022

Date last updated: Aug. 4, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IX. 15 AVRIL 1830. Numéro XX.

HISTOIRE DU CANADA.

(CONTINUATION.)

Avant que les troupes se missent en marche, M. de Vaudreuil adressa aux capitaines de milice du gouvernement de Québec, une circulaire dans, laquelle il leur disait, que depuis le commencement de la dernière campagne, il avait toujours déploré la situation où les malheurs de la guerre avaient mis les habitans du gouvernement de Québec; que le mauvais traitement qu’ils avaient éprouvés de la part des commandans anglais, et en particulier du général Murray, joint à leur zèle pour le service du roi, et à leur attachement pour leur pays natal, avait augmenté le désir qu’il avait toujours eu de reprendre Québec; que c’était dans cette vue qu’il avait préparé toutes les choses nécessaires à un siège, et assemblé une puissante armée composée de troupes réglées, de miliciens et de sauvages, dont le zèle et l’ardeur lui promettaient un succès presque certain; que pour le bien du service, qui exigeait sa présence à Montréal, il avait remis le commandement en chef au chevalier de Lévis, dont le zèle et l’habileté leur étaient bien connus; qu’enfin il avait reçu l’assurance d’un prompt et puissant secours de France.

Cette puissante armée, dont parlait M. Vaudreuil, ne se composait que d’environ sept mille hommes, moitié troupes réglées, et moitié Canadiens et sauvages, et elle était très peu munie d’artillerie de siège. Malgré cela, l’entreprise contre Québec était, suivant nous, ce que les Français avaient de mieux à faire dans les circonstances où ils se trouvaient, et surtout dans l’attente où ils étaient de l’arrivée prochaine des secours qu’on leur avait fait espérer. La reprise de la capitale remettait tout le gouvernement de Québec sous la domination français, et mettaient les Anglais dans la nécessité d’assiéger de nouveau la place, en supposant qu’ils fussent entrés les premiers dans le St. Laurent: dans le cas contraire, les renforts de France trouvaient, à leur arrivée, où se loger et se poster avantageusement, ou des troupes prêtes à leur aider à se rendre maîtres de Québec, supposé que le siège de cette place eût traîne en longueur, ou eût été converti en blocus.

Vers le milieu d’avril (1760,) le fleuve s’étant débarassé des glaces, dans les environs de Montréal, on fit venir les frégates, les navires et autres bâtimens, qui avaient hiverné à Sorel et ailleurs, afin d’y embarquer les troupes, l’artillerie, les munitions et les vivres. Le 17, le chevalier de Lévis fit partir M. de la Pause, aide-maréchal général des logis, pour aller reconnaître les endroits propres au débarquement des troupes, et faire préparer à Jacques-Cartier et aux environs, tout ce qui était nécessaire pour que l’armée fût en état de marcher de suite en avant.

Les bateaux portant les troupes furent mis à l’eau le 20 et le 21; les frégates et les bâtimens de transport les suivirent de près. Les bateaux arrivèrent à la Pointe aux Trembles le 24, et les plus gros vaisseaux le lendemain. En arrivant à l’entrée du gouvernement de Québec, on trouva le fleuve encors plein de glaces; ce qui joint au grand froid qu’il faisait, semblait devoir arrêter l’armée. Mais le chevalier de Lévis sentant combien il importait d’arriver devant Québec avant que les Anglais fussent instruits de sa marche, fit surmonter tous ces obstacles. M. de la Pause fut envoyé en avant, pour voir jusqu’où l’on pourrait aller en bateaux, et reconnaître la position des Anglais, qu’on savait avoir établi des postes depuis la ville jusqu’à l’embouchure de la rivière du Cap Rouge, dont ils gardaient le passage. Il ne parut pas possible de tenter avec succès le passage au bas de cette rivière, ni de faire un débarquement entre le Cap Rouge et Québec. Il fut donc résolu qu’on gagnerait l’intérieur des terres, et qu’on traverserait la rivière du Cap Rouge à deux lieues de son embouchure, pour, après avoir passé par la Vieille Lorette, et traversé les marais de la rivière de la Suette, retomber dans le grand chemin et s’emparer des hauteurs de Ste. Foy.

On descendit, le 26, jusque vis-à-vis de St. Augustin, dans les bateaux, qu’on traina à terre sur la glace, et qu’on laissa dans l’endroit avec une garde, et les troupes s’acheminèrent avec une partie des vivres et des munitions et trois pièces de canon.

M. de Bourlamaque fut envoyé en avant avec un détachement de l’artillerie, les grenadiers et les sauvages, pour construire des ponts sur la rivière du Cap Rouge, et avertir quand il serait temps que l’armée se mît en mouvement.

Vers 2 heures de l’après midi, sur l’avis que reçut le général français qu’il y avait deux ponts de jettés sur la rivière du Cap Rouge, l’armée se mit en mouvement, et M. de Bourlamaque eut ordre de traverser la rivière, et de s’emparer des maisons qui couvraient le passage. La partie de l’armée qui arriva la dernière ne put traverser la rivière que durant la nuit, à la lueur des éclairs qui se succédaient à courts intervalles. Ayant appris que les Anglais s’étaient retirés de l’Ancienne Lorette à Ste. Foy, le chevalier de Lévis envoya à M. de Bourlamaque ordre de se porter en avant autant qu’il le pourrait sans se compromettre, et fit avancer les brigades à mesure qu’elles avaient traversé; mais l’artillerie n’ayant pu passer durant la nuit, il fut contraint d’attendre jusqu’à dix heures du matin pour la faire marcher ensemble à l’ennemi, qu’il se proposait d’attaquer de suite. Après avoir reconnu sa position, il ordonna à M. de La Pause de faire avancer l’armée, pour qu’elle pût se former, après avoir traversé la Suette.—Mais voyant les Anglais se renforcer et occuper tous les endroits accessibles, et ne pouvant faire déboucher son armée qu’à travers des bois marécageux, ni la former ensuite que sous le feu de leur artillerie et de leur mousqueterie, il résolut d’attendre la nuit pour avancer et les tourner par leur gauche.

Leur détachement de Ste. Foy eût été tourné en effet et très probablement taillé en pièces, sans un incident des plus singuliers. Un canonier étant tombé à l’eau en voulant sortir de sa chaloupe, vis-à-vis de St. Augustin, un glaçon se rencontra sous sa main: il y grimpa, et se laissa aller gré du flot. Il fut porté ainsi jusqu’auprès de l’île d’Orléans et ramené devant Québec par le reflux. La sentinelle ayant apperçu un homme sur un glaçon, cria au secours. On court au malheureux, et on le trouve sans mouvement. Son uniforme l’ayant fait reconnaître pour un soldat français, on se détermine à le porter chez le gouverneur, où la force des liqueurs spiritueuses le rappelle un moment à la vie, et il recouvre assez de voix pour dire que l’armée du chevalier de Lévis est aux portes de la ville. Le général Murray expédie un ordre à la garde avancée de rentrer dans la place en toute diligence; ce qu’elle fit, après avoir mis le feu à l’église de Ste. Foy, où il y avait un dépot d’armes.

Dès que le feu fut apperçu, les gardes avancées, les grenadiers et la cavalerie eurent ordre d’avancer. Le corps d’armée suivit les avant-gardes, mais ne les joignit qu’à l’entrée de la nuit, près d’une maison fortifiée, d’où les Anglais tirèrent quelques coups de canon avant de l’abandonner.

M. de Lévis avait compté pouvoir aller prendre position de suite à l’anse du Foulon; mais le 28 au matin, ayant vu les Anglais, sortis de la place, s’avancer en force pour reprendre les redoutes qu’ils avaient abandonées pendant la nuit, et n’ayant pas de troupes à portée de soutenir les gardes qu’il y avait placées, leur fit donner l’ordre de la retraite. Il avait précédemment envoyé à l’armée l’ordre de se resserrer en avançant. Les ordres pour les positions sur le champ de batailles furent donnés avec une promptitude et une présence d’esprit qui nous paraissent faire beaucoup d’honneur au général français, dans les circonstances où il se trouva. La troisième des brigades qui devaient former la droite, débouchait encore, lorsque les Anglais, qui étaient formés, se mirent en mouvement pour les charger avec vingt-quatre pièces d’artillerie. M. de Lévis fit aussitôt reculer les deux premières brigades à l’entrée du bois qui était derrière, en attendant que les autres fussent formées et pussent les soutenir; ce qui s’exécuta dans le plus grand ordre, quoique sous le feu du canon et de la mousqueterie des Anglais. Pendant que la dernière brigade se formait, les Anglais marchèrent à la droite des Français, où les grenadiers occupaient la redoute dont il vient d’être question. Ces derniers furent forcés d’abandoner leur position; la brigade se retira un peu pour achever de se former, et remarcha aussitôt en avant pour soutenir les grenadiers qui se remparèrent de la redoute. M. de Bourlamaque en arrivant à l’aile gauche, où il devait commander, fut blessé et eut son cheval tué fous lui. Le chevalier de Lévis passa à cette aile pour y donner ses ordres, et repassa ensuite à la droite, entre les deux armées. Il s’était proposé de charger, les Anglais en flanc avec les brigades de la Reine et de Roussillon, qui débordaient les hauteurs dont ils s’étaient emparés; mais en conséquence d’un ordre mal rendu par un officier, la brigade de la Reine alla se poster dernière la gauche, où elle devenait inactive. Il prit sur le champ la résolution d’exécuter son mouvement avec le seul régiment de Roussillon, et le fit si à propos et si vigoureusement, que l’aile gauche des Anglais fut enfoncée en un instant. Le désordre se communiqua promptement à l’aile droite, et toute l’armée de Murray fut forcée de retraiter précipitamment, laissant sur le champ de bataille ses morts, ses blessés et toute son artillerie.

Le combat, ou la bataille de Ste. Foy, comme nous croyons pouvoir l’appeller, dura environ deux heures. Les Français et les Anglais y montrèrent une ardeur et une bravoure à peu-près égales. La perte des premiers en tués et en blessés fut de 800 à 900 hommes, et celle des Anglais de 1000 à 1200, sans compter un nombre assez considérable de prisonniers.[1] Cette perte aurait sans doute été beaucoup plus considérable, si le régiment de la Reine eût été à son poste et eût chargé avec celui de Roussillon, et si les troupes françaises n’eussent pas été excédées de fatigues, au point de ne pouvoir suivre les fuyards. Le nombre des combattans était d’environ quatre mille du côté des Anglais, et d’environ six mille de celui des Français; mais suivant les mémoires de M. de Lévis, environ quatorze cents de ces derniers n’eurent point de part à l’action, entre-autres le régiment de la Reine et la cavalerie.[2]

Quant aux sauvages, ils s’étaient retirés avant le combat; ce qui prouve la fausseté de l’assertion de Mr. Smith, qui prétend que la plupart des Anglais blessés laissés sur le champ de bataille furent abandonnés par les Français comme des victimes pour assouvir la rage de leurs barbares alliés.

La défaite du brigadier Murray fut le dernier triomphe des Français en Canada. Rentré dans Québec, ce général n’eut rien de plus pressé que d’augmenter ses moyens de défence, en garnissant les ramparts de canons, en élevant des cavaliers et autres ouvrages extérieurs. Le soir du même jour (28 Avril,) il émana un ordre général, portant que quoique la journée eût été malheureuse pour les armes britanniques, les affaires n’étaient pas dans un état désespéré; qu’ayant plusieurs fois éprouvé la bravoure des troupes qu’il commandait; il était persuadé qu’elles s’efforceraient de regagner ce qu’elles avaient perdu; qu’une flotte amenant des renforts ne pouvait pas tarder à arriver; qu’en conséquence il exortait les officiers et les soldats à supporter patiemment les fatigues d’un siège, et à en affronter bravement les dangers, comme les y obligeait leur devoir envers le roi, la patrie et eux-mêmes.

(A continuer.)


Raynal exagère sans doute, en disant que les Anglais laissèrent dix-huit cents des leurs sur le champ de bataille; mais Mr. Smith exagère encore plus et plus improbablement, quand, portant la perte du général Murray à mille hommes, il dit que les Français avouaient en avoir perdu dix-huit cents.

Pour un motif ou pour autre, Mr. Smith diminue d’un quart l’armée du général Murray, et augmente du double celle du chevalier de Lévis.

SYSTEME DU MONDE.

Nous entendons par systême une supposition; ensuite, quand cette supposition est prouvée, ce n’est plus un systême, c’est une vérité. Cependant nous disons encore par habitude le systême céleste, quoique nous entendions par là la position réelle des astres.

Je crois avoir cru autrefois que Pythagore avait appris chez les Chaldéens le vrai systême céleste; mais je ne le crois plus. Cependant Newton, Gregory et Kell font honneur à Pythagore et à ces Chaldéens du systême de Copernic; et en dernier lieu, M. Le Monnier est de leur avis. J’ai la hardiesse de n’en être plus. Une de mes raisons, c’est que si les Chaldéens en avaient tant su, une si belle et si importante découverte ne se serait jamais perdue; elle se serait transmise de siècle en siècle, comme les belles démonstrations d’Archimede.

Une autre raison, c’est qu’il fallait être plus profondément instruit que ne l’étaient les Chaldéens, pour contredire les yeux de tous les hommes et toutes les apparences célestes; qu’il eût fallu non seulement faire les expériences les plus fines, mais employer les mathématiques les plus profondes, avoir le secours indispensable des télescopes, sans lesquels il était impossible de découvrir les phases de Vénus, qui démontrent son cours autour du soleil, et sans lesquels encore il était impossible de voir les taches du soleil, qui démontrent sa rotation autour de son axe presque immobile.

Une raison non moins forte, c’est que de tous ceux qui ont attribué à Pythagore ces belles connaissances, aucun ne nous a dit positivement de quoi il s’agit. Diogène de Laërce, qui vivait environ neuf cents ans après Pythagore, nous apprend que, selon ce grand philosophe, le nombre un était le premier principe, et que de deux naissent tous les nombres; que les corps ont quatre élémens, le feu, l’eau, l’air et la terre; que la lumière et les ténèbres, le froid et le chaud, l’humide et le sec, sont en égale quantité; qu’il ne faut point manger de fèves; que l’âme est divisée en trois parties; que Pythagore avait été autrefois Ætalide, puis Euphorbe, puis Hermotime, et que ce grand homme étudia la magie à fond. Notre Diogène ne dit pas un mot du vrai systême du monde attribué à ce Pythagore; et il faut avouer qu’il y a loin de son aversion prétendue pour les fèves aux observations et aux calculs qui démontrent aujourd’hui le cours des planètes et de la terre.

Le fameux Eusebe, évêque de Césarée, dans sa Préparation évangélique, s’exprime ainsi: “Tous les philosophes prononcent que la terre est en repos; mais Philolaus le péripatétitien pense qu’elle se meut autour du feu, dans un cercle oblique, tout comme le soleil et la lune.” Ce galimatias n’a rien de commun avec les sublimes vérités que nous ont enseignées Copernic, Galilée, Kepler, et surtout Newton.

Quant au prétendu Aristarque de Samos, qu’on dit avoir développé les découvertes des Chaldéens sur le cours de la planète de la terre et des autres planètes, il est si obscur, que Wallis a été obligé de le commenter d’un bout à l’autre pour tâcher de le rendre intelligible. Il est même fort douteux que le livre attribué à cet Aristarque de Samos soit de lui: il doit être d’autant plus suspect que Plutarque l’accuse d’avoir été de l’opinion contraire. Voici les paroles de Plutarque, dans son fatras intitulé: La Face du rond de la Lune, Aristarque le Samien disait que les Grecs devaient punir Cléanthe de Samos, lequel soupçonnait que le ciel est immobile, et que c’est la terre qui se meut autour du zodiaque en tournant sur son axe.

Mais, me dira-t-on, cela même prouve que le systême de Copernic était déjà dans la tête de ce Cléanthe et de bien d’autres. Qu’importe qu’Aristarque le Samien ait été de l’avis de Cléanthe le Samien, ou qu’il ait été son délateur, comme Skeirer a été le délateur de Galilée? Il résulte toujours évidemment que le vrai systême d’aujourd’hui était connu des anciens.

Je réponds que non; qu’une très faible partie de ce systême fut vaguement soupçonnée par quelques têtes mieux organisées que les autres. Je réponds qu’il ne fut jamais reçu, jamais enseigné dans les écoles; que ce ne fut jamais un corps de doctrine. Lisez attentivement cette Face de la Lune de Plutarque; vous y trouverez, si vous voulez, la doctrine de la gravitation; mais le véritable auteur d’un systême est celui qui le démontre.

N’envions point à Copernic l’honneur de la découverte. Trois ou quatre mots déterrés dans un vieil auteur, et qui peuvent avoir quelque rapport éloigné avec son systême, ne doivent pas lui enlever la gloire de l’invention. Admirons la grande règle de Kepler, que les carrés des révolutions des planètes autour du soleil sont proportionnels aux cubes de leurs distances. Admirons encore davantage la profondeur, la justesse, l’invention du grand Newton, qui seul a découvert les raisons fondamentales de ces lois inconnues à toute l’antiquité, et qui a ouvert aux hommes un ciel nouveau.—(Dict. Phil.)

TRAITÉ DU DROIT PENAL.

Par M. P. Rossi, professeur de droit romain à l’Académie de Genève.

On a fait dériver le droit de punir de sources très diverses. Les uns, à vrai dire, repoussent volontiers ce mot droit de punir. Un droit! disent-ils, c’est de l’idéologie pure que ce mot. On fait ce qui est utile au plus grand nombre, et voilà tout; on frappe, on retranche les individus nuisibles, comme on émonde un arbre pour qu’il en croisse plus vert et plus fort. La loi de l’homme, comme nous l’avons enseigné, c’est de chercher son plus grand plaisir; la loi de la société, c’est de chercher son bien-être, de prendre ses aises; et comme tout s’accorde dans notre systême; nous avons démontré également que le grand plaisir, ou, si l’on veut, le plus grand bien de chacun, était dans le plus grand bien du plus grand nombre. Que si quelqu’un ne le cherche pas là, qu’il entende son plaisir autrement, nous le châtions afin qu’il nous laisse en paix.

On reconnaît là la doctrine célèbre de M. Bentham, héritier d’Epicure; avant de passer par les mains pures de M. Bentham, cette doctrine avait fait son chemin, ne l’oublions pas, à travers les temps les plus corrompus de l’histoire; elle y a été pratiquée avec plus de rigueur, car elle a produit des crimes, et M. Bentham compte un peu ramener l’âge d’or avec elle. Y a-t-il un bien, y a-t-il un mal absolu? Questions vaines, disent les partisans de M. Bentham; dans ce monde, il y a avant tout le bien-être de la majorité. C’est le fondement de la loi. Malheur à ceux qui y mettront obstacle, car c’est pour eux qu’il faut dresser des échafauds, si on les conserve, et qu’il faut réserver les bagnes, bien que nous n’aimions guère les bagnes, ce qui est une question à part. Il semble que les utilitaires, comme on le voit, aient pris au sérieux la maxime un peu subalterne, primo vivere, vivre d’abord, et chercher après, par pure curiosité, le comment et le pourquoi.

Ce qui les a trompés, sans doute, c’est qu’à la pratique du bien, de l’ordre, enfin, est attaché, même dans le cercle étroit de ce monde, ce qu’ils appellent l’utile; ils ont conclu qu’utile et juste pouvaient se prendre l’un pour l’autre. C’est un peu là leur excuse, quoique, dans leur insouciance des principes, ils ne l’expriment bien nettement nulle part. Mais ne disputons pas sur les mots: utile veut dire le bien-être matériel, ou ne signifie rien du tout. Car, si l’on prétend disputer, distinguer, en venir à des finesses de langage, faire rentrer l’utile dans le juste, ce n’était pas la peine d’écrire de gros livres sur une question de grammaire, d’élever une école, de traiter ses adversaires d’insensés et d’esprits étroits. Maintenant, quel est l’homme de bon sens, à commencer par M. Bentham, qui ne frémirait pas des conséquences rigoureuses de son systême? Tout le monde a lu le Lépreux de la cité d’Aoste; il n’est personne qui n’ait été profondément ému en le lisant. Ce malheureux vit dans une épouvantable solitude, parce que le gouvernement craint pour les autres la contagion de son mal. Assurément, s’il y a une mesure d’utilité générale, impérieusement commandée, c’est d’arrêter cette horrible contagion. Mais un lazaret ne ferme pas si bien que la peste n’en puisse sortir. Ne laissez donc pas à ce malheureux le dernier asile que lui accorde une commisération mal entendue; il est plus sûr qu’il meure; demandez-le plutôt à un médecin: qu’il meure donc de la main des utilitaires, ou bien les voilà inconséquens.

Qu’ils ne demandent pas le crime de ce malheureux. Son crime, c’est d’être un péril pour la société. Ils n’en reconnaissent pas d’autre. Il n’est pas nécessaire d’épuiser contre ce terrible système les argumens sous lesquels il est tombé tant de fois; c’est la domination du matérialisme.

Cependant, nous avons hâte de le dire, aucun des hommes qui ont propagé ces doctrines de notre temps n’ont ni accepté ni même entrevu les redoutables conséquences qu’elles portent avec elles. Ils sont pour la plupart des hommes dévoués à la cause de l’humanité, des esprits indépendans, irrités souvent des prétentions hyprocrites qui se glissent dans les systêmes opposés. Nous hésitons aujourd’hui surtout à les attaquer quand la mort vient de frapper un de leurs défenseurs les plus distingués, M. Dumont de Genève. Il est mort en méditant sur le bien qu’il pourrait faire aux hommes par ses travaux. Il aura la récompense de ses erreurs, parce qu’elles lui ont été inspirées par de nobles sentimens. M. Royer-Collard a dit, en parlant de Leibnitz: “Ses erreurs doivent être comptées au nombre des titres de l’intelligence humaine.” On petit dire de M. Dumont que ses livres, tout pleins de principes périlleux, exposés avec art par un esprit habile, sont pour lui des titres à la reconnaissance publique, car il a voulu le bien, et il l’a voulu comme peu le veulent, avec persévérance et avec courage.

Un autre systême sur lequel on a voulu fonder le droit criminel, c’est celui qui établit que la société se défend comme un individu, pour son propre compte, et qu’elle peut tout faire pour sa conservation. Ce n’est pas, comme chez les utilitaires, la loi faite au profit du plus grand nombre; c’est quelque chose de plus subtil, ou de plus confus si l’on veut. “C’est une personnification toute mystique, une abstraction qui dit, comme Louis XIV; l’état, c’est moi.” A entendre quelques auteurs de définitions du corps social, on le prendrait volontiers pour un grand animal qui vit de sa propre vie, et qui est armé pour sa conservation d’une foule de droits tout à fait étrangers aux relations des hommes entre eux. Après tout cependant, la société n’est pas autre chose qu’une collection d’hommes qui reconnaissent chacun le devoir d’être juste envers les autres, même à ses dépens. Serait-il donc vrai que ces devoirs ne fussent plus obligatoires pour nous, quand ils l’étaient pour chacun? On ne peut pas l’admettre un seul moment. Il est bien vrai qu’un parterre a dans son ensemble plus d’esprit que chaque individu qui le compose; mais il n’est pas tout à fait aussi certain que vingt personnes, par le seul fait de leur réunion, se trouvent subitement plus de droits et moins de devoirs que seul à seul, ou plutôt qu’elles soient affranchies de tout devoir, c’est-à-dire pouvant ne consulter que leur intérêt. C’est le systême de l’utilité moins sa franchise, avec un petit entortillage philosophique de plus.

On a dit enfin: Mais la société exerce paisiblement le droit de défence individuelle, elle régularise ce qui serait trop violent. Voyons cependant s’il est bien question de la défence privée dans l’administration de la justice. Un homme est tué au coin d’un bois; les tribunaux font saisir l’assassin, et le condamnent à mort. Direz-vous qu’ils défendent celui qui a été frappé. Il est dans son cercueil depuis six mois. La justice publique exerce si peu le droit de défence individuelle, que quand un assassin est blessé, rendu incapable de nuire par celui qu’il attaquait, elle vient le prendre, le guérir, et le frappe une seconde fois pour son compte.

C’est qu’en effet, comme M. Rossi le démontre avec une clarté merveilleuse, après avoir réfuté les systêmes dont nous venons de parler, c’est qu’en effet la mission de la justice humaine est plus haute et plus noble que tout cela. Ce n’est ni plus ni moins qu’une portion de l’œuvre de la Providence elle-même qu’elle remplit ici-bas. Dans des limites plus étroites, elle punit comme Dieu punit; la peine du coupable, la peine proportionnée au délit moral, ou plutôt n’excédant jamais cette mesure, sous quelque prétexte que ce puisse être. Mais doit-elle punir tous les délits moraux? Non certes; car qui ne voit qu’elle n’est là que pour protéger le libre développement, le développement régulier de tous les membres de la cité? Elle doit respecter la liberté de l’individu quand ses fautes ne peuvent retomber que sur lui-même, car c’est le rapport des hommes entre eux qu’elle est chargé de maintenir paisible, et pour y arriver, elle emprunte, pour ainsi dire, à la Providence la portion de châtiment légitime qui devient nécessaire pour le maintien de l’ordre.

On le voit, la règle de la justice humaine, c’est le rapport du délit à la peine qu’elle ne peut jamais excéder quand elle frappe; sa limite pour agir, pour frapper, c’est l’utilité sociale qui peut en résulter; quand l’utilité dit c’est assez, le reste du châtiment c’est Dieu qui l’infligera. Ainsi la société n’est plus hors loi morale, comme dans les théories dons nous parlions tout à l’heure; elles sont à l’aise et dans le vrai; on n’y voit plus ce contraste choquant d’une législation brutale régissant des êtres moraux. A la longue, la foule elle-même comprend quoique confusément, le principe de la législation pénale qui la régit. Si elle n’y voit que le droit du plus fort, du plus grand nombre, érigé en dogme, elle sent je ne sais qu’elle hostilité contre la loi qui lui fait prendre intérêt au coupable, et fait presque moins redouter à chacun de le devenir. Le législateur doit faire comme Moïse: c’est sur la montagne sainte qu’il doit aller chercher les tables de sa loi. On raconte que le drame des Brigands, de Shiller, excita une foule de jeunes Allemands à aller attendre les passans sur les grandes routes; c’est que Shiller avait montré la société comme une fores égoïste et violente, et qu’il avait excité par là contre elle une sorte de mépris et de colère qui pousse quelquefois au crime.

On aurait tort de craindre que M. Rossi se soit égare dans les applications, en descendant de si haut. Il faut avoir foi dans les conséquences des principes que l’intelligence ne peut pas méconnaître. Il faut, il est vrai, beaucoup de force et de sagacité d’esprit pour suivre la route de ces principes à travers la complication des faits; on craint quelquefois de ne plus les retrouver, de ne les pouvoir suivre. Mais qu’on se confie hardiment à eux: il en est comme de ces fleuves qui dans leur cours cheminent un moment sous la terre, et qui en resortent à quelques pas aussi purs et aussi brillants qu’à leur source.

Entre les questions traitées par M. Rossi, la tentative occupe une assez grande place non sans raison. Il a tracé avec beaucoup de netteté les divers degrés de culpabilité qui s’y rencontre. C’est une alyse délicate, et pourtant pleine de réalité, de ce qui se passe au fond de la conscience de l’homme qui commence l’exécution d’un crime. Un crime ne s’accomplit pas tout à la fois, en une seconde, d’un seul coup. Il y a comme des pas de géant à faire dans ces momens rapides de lutte entre la conscience et la passion. Chaque pas change la nature de la culpabilité: le bras levé n’est pas encore le coup frappé, il n’y a pas encore là un meurtrier. Qu’il s’arrête de lui-même où qu’on l’arrête, sans doute la loi doit en faire la différence; mais le crime est imparfait dans les deux cas.

Cependant notre Code pénal dit (art. 2) toute tentative est considéré comme le crime même. C’est plus tôt dit et plus tôt fait sans doute; on donne par là moins d’embarras aux tribunaux. Toute la raison que donne M. Treilhard de cet article de la loi, c’est que l’auteur de la tentative a commis le crime autant qu’il était en lui de le commettre. Sans doute les probabilités sont pour le législateur, mais envoyer à l’échafaud, sur quelque probabilité que ce soit, est un peu leste. Qui sait les saintes terreurs qui veillent entre le moment où l’arme est levée et celui où elle donne la mort?

On voyait, il y a quelques années, dans une église de Rome, de longues tresses de cheveux noirs attachées à la muraille, par la pointe d’un poignard. Ces cheveux étaient ceux d’une jeune fille qui, dans un accès de jalousie, allait frapper son amant d’un coup de poignard, quand subitement elle crut voir l’image d’une sainte qui la retenait. Toute pleine d’une religieuse terreur, elle coupa ses cheveux, accourut les suspendre auprès de l’autel, et se jetta dans un couvent.

Ainsi, toujours des voix de plus en plus terribles détournent l’homme du crime quand le moment approche. Si la pente devient plus rapide à mesure qu’il avance, la force qui le retient s’accroît aussi. Qu’on ne renferme donc pas, pour faciliter l’administration de la justice, des degrés de crime si divers dans une formule grossière. M. Rossi insiste pour que des adoucissemens soient apportés à nos lois sur ce point. On en sentira tôt ou tard la nécessité.

Chaque nuance de la vérité négligée amène bientôt un mal. En pratique, et les tribunaux le savent, la loi qui devrait retenir les coupables, les excite en ce cas à accomplir le crime. Quand ils sentent qu’il n’y a plus de grâce pour eux, puisque la peine sera la même, ils veulent recueillir le fruit du crime.

Nous voudrions nous arrêter plus long-temps sur le livre de M. Rossi; mais il n’est pas possible de résumer une série d’idées si habilement et si finement déduites les unes des autres, sans leur ôter ce qu’elles out d’originalité, de force et d’étendue.

X.

FRAGOLETTA.—NAPLES ET PARIS EN 1799,

PAR M. DELATOUCHE.

Il y a deux choses à considérer dans ce livre, la fable du roman et l’époque historique dans laquelle l’auteur l’a encadrée. L’idée première de l’ouvrage, c’est-à-dire la nature même du personnage principal que M. Delatouche a mis en scène, cet être équivoque qu’il appelle Fragoletta, cette même personne qui affecte tour à tour l’un et l’autre sexe, devait paraître une conception neuve et hardie. Traduire au sein des réalités de nos mœurs modernes une des fantaisies de la sculpture antique, esquissée déjà, il est vrai, par la poésie élégante d’Ovide, mais sans quitter le domaine de la mythologie, cela pouvait sembler un tour de force, une de ces témérités qui ne peuvent être heureuses qu’à force de talent, et le succès l’avait justifiée. Mais l’imagination et l’esprit fabricans de notre siècle vont si vîte qu’il n’y a pas de conception si audacieuse qui le lendemain matin ne se trouve dépassée.

Le bicéphale, Ritta-Cristina est venu au monde, et voilà qu’il passe par la tête d’un journaliste de nous raconter les passions et l’histoire morale de cet être double; et pour que rien ne manque au roman, il arrange le mariage de Ritta-Cristina avec les jumeaux siamois. Aussitôt d’autres écrivains ramassent le gant, et adressent des lettres aux journaux pour prendre date, et réclamer la priorité de l’invention. Et comme, depuis encore, il a plu à la nature de faire naître le tricéphale, Pierre, Paul et Jean, de Harlem, Dieu sait où s’arrêteront nos littérateurs en quête de monstruosité, à la suite de M. Geoffroy St-Hilaire.

Le véritable talent est inséparable de ce tact qui sait reconnaître les limites où l’art doit s’arrêter, même dans ses tentatives les plus hardies. La Fragoletta de M. Delatouche, cette jeune fille qui a tous les goûts et l’allure résolue d’un jeune garçon, n’a rien dans ses bizarreries qui passe la vraisemblance. On peut regretter que l’auteur ait esquivé une des difficultés de son sujet, en supprimant la transition nécessaire entre l’état de libre innocence où il nous montre d’abord la petite fille, et l’ironie passionnée qui caractérise ensuite le jeune homme. Toutefois le mystère qui entourre Fragoletta et l’espèce de fatalité qui pèse sur elle, ont excité au plus haut degré la curiosité des femmes. Aussi plusieurs éditions de l’ouvrage ont déjà constaté sa réussite complète.

Que si nous passons à l’intérêt historique, il ne le cède en rien à l’intérêt romanesque. L’auteur a mis en regard la révolution de Naples en 1799, et le 18 brumaire, qui livra la révolution française aux mains d’un soldat. D’un côté, le roi Ferdinand, véritable Cassandre couronné, jouant devant ses sujets le rôle de Polichinelle; la reine Caroline, se partageant entre des amours impudiques et des vengeances sanguinaires; l’amiral Nelson déshonorant ses victoires par la lâche exécution du vieux Caracciolo; le fanatisme des lazzaroni mis en jeu par le cardinal Ruffo; la malheureuse tentative des patriotes et le jeune Hector Caraffa, s’écriant avec ses camarades proscrits; “Pauvre terre de Naples! c’est ainsi que dès qu’elle produit cent hommes dignes de la liberté, l’Europe entière se rue sur elle et ne lui donne pas le temps de fonder un peuple!” De l’autre côté, le Directoire, gouvernement déconsidéré, prolonge à grande peine son agonie; l’épicurien Barras se console, dans ses orgies voluptueuses, de la perte d’un pouvoir qu’il est prêt à vendre au plus offrant; l’énergie républicaine vit encore dans quelques âmes, mais dans leur lutte contre les besoins de servitude d’une génération corrompue, elles sont au moment de succomber sous la faction militaire; enfin, au milieu des partis, le jeune conquérant de l’Italie, déserteur de l’Egypte, prépare son usurpation sur la liberté. Voilà des contrastes, voilà des tableaux faits pour saisir les esprits.

Un mérite dont il faut savoir gré à M. Delatouche, c’est de n’avoir pas renié la gloire de la république, c’est d’avoir rendu justice à l’héroïsme, au dévouement, à toutes les vertus qui éclatèrent dans ces temps orageux, c’est enfin de n’avoir pas reculé devant ces mots de liberté et d’égalité, symbole du nouvel ordre social et de l’affranchissement du monde. Il a en même temps imprimé la flétrissure sur les bourreaux et les satellites du pouvoir absolu, sur les Guidobaldi, les Vanni, etc. Le premier, il a signalé de nos jours un diplomate auquel l’incorruptible histoire assigne un rôle odieux dans les pages sanglantes de la contre-révolution napolitaine.

A ces traits principaux joignez une foule de détails piquants, étincelants d’esprit, des conversations animées, qui font revivre une époque perdue, et qui pourraient former un chapitre pour l’histoire des mœurs pendant la république. Là paraissent comme dans une lanterne magique, toutes les célébrités contemporaines, Ouvrard et Lucien Bonaparte, Fouché et Talleyrand, Bernadotte et Cambacérès, Mme de Staël et Mme Récamier. Ces noms seraient un attrait pour la curiosité, si la composition n’avait déjà de quoi plaire et attacher par elle-même, indépendamment des accessoires.

LE PAYSAN ET LA RIVIÈRE.

FABLE.

Je veux me corriger, Je veux changer de vie,

Me disait un ami: dans des liens honteux

  Mon âme c’est trop avilie;

J’ai cherché le plaisir guidé par la folie,

Et mon cœur n’a trouvé que les remords affreux,

C’en est fait, je renonce à l’indigne maîtresse

Que j’adorai toujours sans jamais l’estimer;

Tu connais pour le jeu ma coupable faiblesse,

  Eh bien! je vais la réprimer;

  Je vais me retirer du monde;

Et, calme désormais, libre de tous soucis,

  Dans une retraite profonde,

Vivre pour la sagesse et peur mes seuls amis.

  Que de fois vous l’avez promis!

  Toujours en vain, lui répondis-je.

Ça, quand commencez-vous?—Dans huit jours, sûrement.

—Pourquoi pas aujourd’hui? Ce long retard m’afflige.

  —Oh! je ne puis dans un moment

  Briser une si forte chaîne;

Il me faut un prétexte; il viendra, j’en réponds.

  Causant ainsi, nous arrivons

  Jusque sur le bords de la Seine;

  Et j’aperçois un paysan

  Assis sur une large pierre,

Regardant l’eau couler d’un air impatient.

—L’ami, que fais-tu là?—Monsieur, pour une affaire

Au village prochain je suis contraint d’aller:

Je ne vois point de pont pour passer la rivière,

Et j’attends que celte eau cesse enfin de couler.

 

Mon ami, vous voilà, cet homme est votre image:

Vous perdez en projets les plus beaux de vos jours:

Si vous voulez passer, jetez-vous à la nage;

  Car cette eau coulera toujours.

ACADEMIE DES SCIENCES.

M. Delpech, chirurgien en chef de l’hôpital de Montpellier, communique un travail qu’il a publié, il y a plus de 25 ans, sur les acouchemens laborieux, et particulièrement sur les moyens de réduire le volume de la tête d’un fœtus mort; il s’etonne qu’un auteur ait, dans un Mémoire lut dernièrement à l’Académie, donné comme nouveau ce qui est connu depuis si long-tems. La lettre de M. Delpech est renvoyée à la commission chargée d’examiner l’instrument de M. Bandelocque neveu. M. Guérin fait hommage de son monographie du règne animal, et de la quatrième livraison d’une monographie d’un genre particulier de crustacés. M. Deshayes, qui s’est particulièrement occupé de l’étude des coquilles fossiles du bassin de Paris, dépose un ouvrage dans lequel il a décrit douze cents espèces bien distinctes de la classe des mollusques; il se met sur les rangs pour le prix légué par M. de Monthyon aux perfectionnemens apportés à l’histoire naturelle. L’Académie reçoit la carte de l’île Vanikoro, exécutée sous la direction de M. Dumont-d’Urville; le 8e. et dernier volume du Précis de Géographie universelle, par Malte-Brun; plusieurs numéros du Bulletin de M. de Férussac; un ouvrage sur l’art de vérifier les dates, par M. le marquis de Fartia; des Considérations sur la détermination géognostique des terrains marains tertiaires, par M. Reboul, l’un des plus anciens correspondans de l’Institut; une Histoire générale et particulière des épidémies qui ont régné en Europe depuis le quatorzième siècle jusqu’à nos jours.

M. Dutrochet ayant répété quelques expériences publiées par un observateur sur la germination des graines dans le mercure a trouvé tous les résultats annoncés inexacts; mais, sur la remarque de M. le président, que l’auteur de cette prétendue découverte a lui-même reconnu son erreur, et qu’il a retiré son Mémoire, il n’y a point lieu de donner suite à la lettre de M. Dutrochet. Une machoire d’anoptotherium commun, espèce perdue de l’ordre des pachydermes, dont M. Cuvier a décrit cinq variétés que l’on ne retrouve que dans le bassin de Paris, est mise sous les yeux du bureau. Cette machoire a été recueillie dans la couche des terrains tertiaires des carrières situées auprès de Nanterre.

On lit une lettre de M. Gay-Lussac, qui annonce qu’en même temps qu’il se forme de l’acide oxalique par l’action de la potasse sur les matières végétales, il se produit aussi de l’eau et de l’acide acétique. Le savant chimiste se propose de lire incessamment un Mémoire sur ces expériences curieuses.

M. Geoffroy-Saint-Hilaire communique deux lettres de M. Bery de Saint-Vincent, dont voici des extraits. La première est datée de Naxos, 7 septembre. “Ici tout est mort, dit le voyageur; les plantes sont grillées par l’ardeur du soleil; la mer n’offre ni fucus, ni polypiers, ni poissons; je n’ai jamais vu une telle pauvreté; mais la géologie est aussi variée que celle du Péloponèse est misérable. J’ai profité de l’occasion pour visiter les antiques carrières d’où l’on tirait les marbres de Paros, et la célèbre grotte d’Antiparos. Après avoir vu les volcans de Santorin et de Milo, j’irai en Argolide voir celui de Métana.”

La deuxième lettre, écrite de Milo, le 20 du même mois, contient les détails suivans: “Je viens de visiter Santorin, c’est-à-dire l’île la plus curieuse de la Méditerranée, sous les rapports géologiques, mais où, comme dans le reste de l’Archipel et de la Morée, il n’est plus question de zoologie et de botanique; vous ne sauriez vous figurer une pareille destruction par les chaleurs d’été; la pauvreté de nos hivers n’en approche pas; la mer elle-même est sans vie; il n’y existe pas trois espèces de fucus et six conferves, partout peu ou point de poissons; mais les volcans ont étalé toutes leurs richesses; et il ne tardera pas à s’en ouvrir de nouveaux; je me suis fait conduire à un point de la rade où le fond augmente tous les jours; cette année surtout il semble vouloir sortir des eaux; il n’y a plus que trois brasses, et le fond est sensiblement chaud.”


M. Dubuc, de Rouen, le même qui a emporté, en 1829, le prix Monthyon pour le perfectionnement d’un art ou d’un métier, adresse à l’Académie un Traité sur les paremens et encallages les plus propres aux tisserands. On se rappelle que c’est en ajoutant du chlorure de chaux à la colle que M. Dubuc lui conserve une humidité convenable, sans qu’il soit besoin de travailler dans les caves, dont le séjour est nuisible à la santé des ouvriers.


M. Cordier fait un rapport sur les Collections géologiques, recueillies par MM. Quoy et Gaimard, pendant le voyage de l’Astrolabe. Il entre dans des détails techniques que nous ne pouvons rapporter ici, et il finit par accorder les plus grands éloges au zèle de ces deux naturalistes, qui ont enrichi la science de beaucoup de faits nouveaux.


M. Duméril rend un compte favorable des instrumens proposés par le jeune docteur Rigail, pour broyer les calculs dans la vessie. La nouvelle sonde, destinée à redresser et à dilater sans effort le canal de l’urètre, nous a surtout paru fort ingénieuse. Au lieu d’introduire de prime abord une sonde droite, ce qui ne se fait guère sans difficulté et sans inconvénient, M. Rigail fait pénétrer une sonde de gomme élastique qui ne diffère des sondes ordinaires que parce qu’elle renferme dans son intérieur une hélice en fil de fer très fin qui ne lui ôte rien de sa flexibilité; lorsqu’elle est parvenue dans la vessie, en s’accommodant à toutes les courbures du canal, M. Rigail, au moyen d’un mandrin droit, sur lequel est pratiqué une vis dont les pas répondent exactement aux spirales de l’hélice que renferme la sonde, parvient à redresser progressivement et sans effort le canal de l’urètre. Ce procédé a sans contredit de grands avantages pour disposer le conduit à recevoir les instrumens lithotriteurs; ceux que l’auteur a soumis à la commission paraissent aussi répondre au but qu’il s’est proposé, de réduire promptement les calculs en fragmens assez minces pour pouvoir être entrainés facilement par les urines.


MM. Dupuytren et Sanson montrent le dessin d’une pièce anatomique fort curieuse, sur laquelle on a trouvé presque tous les vaisseaux lymphathiques, ainsi que les veines auxquelles ils correspondent, injectés d’un sang pur.

Al. D.

VEINES DES OS.

Il n’y a guère plus de vingt ans que l’existence des veines dans les os a été constatée. On les apperçut alors pour la première fois sillonnant le systême osseux en forme de tubes à parois ou côtés osseux, et l’on découvrit, non sans étonnement, que le sang circulait dans ces veines, sans aucune action concomitante de leurs côtés, mais par la seule propulsion du sang artériel dans les veines, ou par une espèce de force absorbante inhérente au dernier ordre de vaisseaux. On ne découvrit à cette époque que les reines des os plats du crâne, des épaules, du pelvis et des os longs des extrémités. M. Breschet, anatomiste français, a porté son attention sur le sujet, et a suivi les veines dans les autres parties du systême osseux, dont toutes les veines, grâce à ses recherches et à ses découvertes, sont présentement aussi bien connues que les artères, et peut-être mieux. M. Breschet a aussi étudié et reconnu la nature des veines qui lient celles des os avec le systême veineux généralement. Il a été fait à l’Académie des sciences un rapport très favorable des labeurs de ce savant et de l’ouvrage qui en donne le détail, par une commission nommée pour examiner le sujet.—Literary Gazette.

INDIGO DE MANILLE.

Le Registre Mercantil de Manille contient la description, publiée par la Société Economique, d’une nouvelle espèce d’indigo découverte dans cette île. De temps mémorial elle a été connue, sous les noms de paranguit et aranguit, des naturels, qui s’en sont servi pour produire une belle couleur bleue, particulièrement dans les provinces de Camarines et d’Albay; mais elle avait échappé aux observations des savans jusqu’à l’année 1827, qu’elle attira l’attention du père Mata, membre correspondant de la Société économique de la province de Samar. Il la soumit à diverses expériences, et la forma, comme l’indigo, en pierres ou pains, avec lesquels il teignit en bleu des pièces de coton, de soie, de toile et de drap. Frappé de la beauté et de la force de cette teinture, qui ne lui parurent pas inférieures à celles de l’indigo, il résolut de communiquer sa découverte à la Société, à laquelle il présenta des échantillons des pains qu’il avait fabriqués et des étoffes qu’il avait teintes. En conséquence, la Société pria quelques uns de ses membres correspondants dans les provinces sus-mentionnées, de répéter les expériences du père Mata. Ils obtinrent tous le même résultat, et envoyèrent à Manille une grande quantité de feuilles, de pains et la plante elle-même. Il fut nommé un comité de marchands pour déterminer, après une analyse chimique de cette matière colorante, si son identité avec l’indigo était suffisamment constatée pour en justifier l’introduction dans le commerce sous ce nom, et si elle devait être offerte au même prix que l’indigo. Les marchands et les chimistes ont décidé ces questions dans l’affirmative, et ont déclaré qu’elle possédait toutes les qualités de cette célèbre substance colorante.

ANECDOTES ET BONS-MOTS.

Des jaunes gens de l’armée de Pyrrhus, étant en débauches, avaient fait plusieurs railleries de ce prince; Pyrrhus les fit venir devant lui, et leur demanda d’un ton sévère; si tout ce qu’on lui avait raconté d’eux était vrai. Seigneur, répondit l’un d’eux, nous en aurions bien dit davantage, si le vin ne nous eût manqué.

Pepin, premier roi de la seconde race, se divertissait à voir avec ses courtisans, dans l’abbaye de Ferrières, un taureau qui était aux prises avec un lion, et allait devenir sa proie. Il demanda quel était celui qui aurait le courage de préserver ce taureau du sort funeste qui le menaçait: comme personne ne répondait à ce défi, Pépin descendit de l’échafaud, et déchargea son sabre avec tant de force sur la tête du lion, qu’il l’abattit a ses pieds. Eh bien, messieurs, dit-il, suis-je à présent digne de vous commander? Ce fut l’indignation qui lui suggéra ces paroles, parce qu’il savait qu’on le méprisait à cause de la petitesse de sa taille.

François 1er. étant prisonnier en Espagne, joua si heureusement avec un grand, qu’il lui gagna une somme immense. Le grand, piqué de son malheur, dit en payant le roi: Garde cela pour ta rançon. Ce prince, à qui l’on ne manquait pas pas de respect impunément, donna un si rude coup d’épée sur la tête de ce grand, qu’il mourut peu de jours après cette blessure. Les parens de ce seigneur espagnol demandèrent justice à Charles-Quint, qui ayant appris ce qui s’était passé, leur dit: François 1er. a bien fait; tout roi est roi partout.

Un gascon, durant les plus grands froids de l’hiver, se promenait sur le Pont-neuf, avec un surtout d’étamine bien léger. Le roi passa par là en carosse, se cachant le nez dans son manteau de velours; mais levant les yeux, il apperçut le gascon, et fut si étonné de le voir sa promener ainsi vêtu, qu’il le fit venir, et lui demanda s’il n’avait point froid. Il répondit que non. Comment peux-tu faire, dit Henri IV.; car je suis tout gelé, quoique je sois bien vêtu. Sire, répondit le gascon, si vous faisiez comme moi, vous n’auriez jamais froid. Comment, dit le roi? Si votre majesté, ajouta le gascon, portait, comme je fais, toute sa garde-robe sur elle, elle n’aurait jamais froid. Le roi trouva cette raison si plaisante, qu’il lui fit donner un habit complet.

L’empereur de Maroc ayant envoyé un ambassadeur à Louis XIV, le chargea de quelques présens qui occasionnèrent la raillerie de quelques seigneurs de la cour de France, attendu que ces présens ne consistaient qu’en plusieurs peaux de tigres et de lions et en quatre douzaines de peaux de maroquin rouge; mais sa réponse en releva la valeur et fit admirer son esprit: Le monarque que je représente, dit-il, n’a pas regardé à la quantité des présens, ni à leur qualité, parce que tout ce qu’il y a de plus précieux est au-dessous de la grandeur du roi.

On refusait un bénéfice à un abbé sous le prétexte qu’il était trop jeune. C’est, dit-il, un défaut dont je me corrige tous les jours.

RÉGISTRE PROVINCIAL.

Décédés.—A Kamouraska, le 16 mars dernier, Dame Élise Tasché, épouse de Thomas Cazeau, écuyer;

A Québec, le 27, M. J. Bte. Garneau, marchand;

Aux Trois-Rivières, le 30. dans un âge avancé, Mr. Louis Cadieux, père de Mr. le Grand-Vicaire et Curé du lieu;

A St. Jean Baptiste, le 1er. avril courant, Philippe Byrne, écuyer, âgé de 67 ans;

A Montréal, le 11, Mr. Louis Tribotte dit Lafricain, âgé de 71 ans;

Au palais épiscopal de St. Jacques, Montréal, le 13, à l’âge de 60 ans, Messire Charles Berthelot, Prêtre, un des Secrétaires de sa Grandeur, ci-devant Chapelain des Urselines des Trois-Rivières, et anciennement Curé de St. Jean, dans l’île d’Orléans.


Commissionnés:—George Manly Muir, écuyer, Procureur et Avocat.

MM. Joseph Antoine Thérien, et Césaire Germain, Notaires Publics.

David Ross, Jean Marie Mondelet, et R. Lester Morrogh, écuyers, Commissaires pour administrer le serment aux personnes en office;

J. M. Mondelet, D. Ross, Louis Guy, J. D. Lacroix et F. A. Quesnel, écuyers, Commissaires pour l’érection la réparation des églises, dans le District de Montréal.

TRANSCRIBER NOTES

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[The end of La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 20 by Michel Bibaud]