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Title: La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 16

Date of first publication: 1830

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Apr. 10, 2022

Date last updated: Apr. 10, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IX. 15 FEVRIER, 1830. Numero XVI.

HISTOIRE DU CANADA.

(CONTINUATION.)

Le conseil de guerre, assemblé pour prendre en considération les moyens de défendre plus efficacement la colonie, dans le cas où elle serait attaquée, fit, à la fin de Mai, le rapport des dispositions qu’il convenait de faire, et de la manière dont on devait combattre et agir dans tout le cours de la campagne. Ces dispositions, &c., devaient être, en substance, comme suit:

“La brigade de Québec, composée de trois-mille cinq cents hommes, et commandée par M. de St. Ours, campera sur la droite: la brigade des Trois-Rivières, forte de neuf cent vingt hommes, sous le commandement de M. de Borme, campera aussi sur la droite, à la gauche de la brigade de Québec: la milice de Montréal, consistant en onze cent cinquante hommes, sous les ordres de M. Prud’homme, campera à la gauche des forces de terre, et la brigade de la ville et de l’île de Montréal, forte de deux mille trois cents hommes, sous les ordres de M. Herbin, formera la gauche de la ligne. La réserve se composera de la cavalerie, (au nombre de trois cent cinquante hommes,) des troupes légères, composées d’un choix des troupes de la colonie et de quelques volontaires acadiens, formant mille quatre cents hommes, et des sauvages, au nombre de quatre cent cinquante; faisant un total de deux mille deux cents hommes, sous les ordres de M. de Boishébert. L’artillerie, les effets et provisions, sous la direction de M. Mercier, seront placés, ainsi que la réserve, dans les endroits qui paraîtront les plus convenables, selon qu’ils leur seront assignés. La milice de Québec, composée de six cent cinquante hommes, sera laissée en garnison dans la ville, sous le commandement de M. de Ramsay, lieutenant de roi. Les équipages des frégates échouées dans la rivière St. Charles, et des autres vaisseaux qui seront désarmés et deviendront inutiles, entreront dans la ville, pour y être employés aux batteries. Tous les vaisseaux, bateaux, &c., seront aux ordres de M. Vauguelin, commodore de la baie, qui les emploiera, de la manière qui lui paraîtra la plus avantageuse, d’après l’exigence des cas.”

Telles seront les dispositions pour s’opposera la descente: l’armée passera la rivière St. Charles: la droite, composée des brigades des gouvernemens de Québec et des Trois-Rivières, campera sur la plaine, depuis la redoute de la Canardière jusqu’à celle de l’embouchure de la petite rivière de Beauport. Ces deux brigades retrancheront le front de leur camp pour le mettre à couvert du canon de l’ennemi. Les troupes de ligne, formant le centre de l’armé, camperont sur les hauteurs de Beauport, et le long du chemin qui suit la petite rivière de ce nom. La gauche, composée des brigades de la ville et du gouvernement de Montréal, campera à la gauche de l’église de Beauport, et s’étendra le long du sommet de la grande escarpe, ou côte élevée qui règne sur les derrières de cette paroisse. La réserve se postera sur le niveau de la chûte de Montmorency, et étendra sa droite le long de la hauteur dont on vient de parler, afin de joindre la gauche de la ligne. Dans cette position, l’armée retranchera la totalité de son front, pour se mettre à l’abri du canon de l’ennemi: on fortifiera aussi les endroits qui paraîtront propres à servir de communication avec le corps principal, et où l’ennemi pourrait faire les plus grands effets.

Dans le cas où la retraite deviendrait nécessaire, après une défaite, l’armée principale devait retraverser la rivière St. Charles au pont de bateaux, et la réserve suivre le chemin de Charlebourg, et même se retirer jusqu’à Lorette, si elle était trop pressée par les ennemis, en tenant ferme à chaque défilé, afin de retarder leurs progrès. Tout ce qu’il y avait à faire, dans ce cas extrême est également détaillé dans le rapport du conseil de guerre, où l’on paraît avoir prévu tout ce qui sa pouvait faire de mieux avec le peu de forces que l’on avait, soit pour l’attaque, soit pour la défense, ou enfin pour la retraite. Le but principal était d’empêcher que Québec ne tombât au pouvoir des Anglais; car on était bien convaincu que du sort de la capitale dépendait celui de la colonie.

Ce n’était pas assez d’avoir fait, ou ordonné les meilleurs dispositions, et assemblé le plus de soldats et de miliciens qu’il avait été possible; il fallait encore trouver le moyen de nourrir ces troupes: c’était l’affaire de l’intendant, et il faut convenir qu’il y mit un zèle plus qu’ordinaire: pour rencontrer moins de difficulté dans l’achat du bled, il emprunta sur sa garantie, afin de le payer en argent et au prix du marché, au lieu de le payer en ordonnances et à un prix déterminé par lui, comme il avait fait précédemment. Il adressa une circulaire aux curés de campagne, pour les induire à rendre eux-mêmes ce qu’ils avaient reçu de bled pour dimes, et à exhorter leurs paroissiens à vendre ce qu’ils en avaient de reste, au gouvernement, au prix courant. Plusieurs Français et Canadiens se tirent un devoir de seconder l’intendant dans ses efforts, et particulièrement M. D’Eschambault, qui offrit généreusement tout l’argent qu’il possédait, et alla même en personne dans différentes paroisses, afin d’y acheter du bled et de la farine pour les troupes. Mais malgré le zèle des curés et de quelques particuliers, le gouvernement ne put s’en procurer qu’une assez médiocre quantité, soit parce qu’il y en avait en effet peu à vendre, ou que plusieurs des cultivateurs ne le voulussent pas vendre au prix courant, qui était de quinze à vingt livres, dans l’espoir d’en avoir, un peu plus tard, un prix plus avantageux.

L’escadre qui devait descendre le St. Laurent, avec les troupes destinées à mettre le siège devant Québec, avait fait voile d’Angleterre vers le milieu de Février, sous les ordres des amiraux Saunders et Holmes, Ils arrivèrent devant Louisbourg le 21 d’Avril; mais ils trouvèrent le port tellement embarassé de glaces, qu’ils se virent obligés de relâcher à Halifax, dans la Nouvelle Ecosse. De là le contre-amiral Durell, fut détaché avec une petite escadre pour le fleuve St. Laurent, qu’il devait descendre jusqu’à l’île aux Coudres, afin d’intercepter tous les secours ou approvisionnemens qui auraient pu être envoyés de France pour Québec: mais lorsqu’il arriva à l’endroit qui lui avait été assigné, une flotte de dix-sept navires, portant des effets militaires, des provisions de bouche et quelques recrues, était déjà arrivée à Québec, sous convoi de trois frégates.

Cependant l’amiral Saunders étant revenu à Louisbourg, pour embarquer les troupes qui n’étaient pas nécessaires pour garaisonner la place, fit voile pour le fleuve St. Laurent, qu’il descendit, sans accident jusqu’à l’île d’Orléans. Les troupes de terre, commandées par le major-général Wolfe, ayant sous lui les brigadiers Monkton, Townshend et Murray, débarquèrent sur cette île le 27 Juin, et aussitôt le commandant anglais fit répandre parmi les Canadiens un manifeste portant, en substance: “Que le roi son maître, justement irrité de la conduite du monarque français, avait fait un armement considérable pour humilier son orgueil, en lai enlevant les principales de ses possessions d’Amérique; que ce n’était point aux industrieux paysans, non plus qu’à leurs femmes, à leurs enfans et à leur religion qu’il prétendait faire la guerre; qu’au contraire, il leur offrait sa protection, et leur promettait de les maintenir dans la possession de leurs biens et dans le libre exercice de leur culte, pourvu qu’ils se tinssent tranquilles et ne prissent point part au différent qui s’était élevé entre les deux couronnes; que la neutralité était pour eux le parti le plus sage et le plus sûr, vu que les Anglais étaient maîtres du St. Laurent et pouvaient empêcher qu’il ne leur arrivât aucun secours de France, et qu’une de leurs armées, sous le général Amherst, les attaquerait bientôt, du côté de terre; que les cruautés exercées par les sauvages alliés des Français sur les sujets de sa majesté britannique, l’autoriseraient à user de représailles sur les habitans du Canada; mais qu’il espérait qu’ils ne l’obligeraient pas à en venir à des mesures violentes, en rejettant les avantages qu’il leur offrait.”

Ce manifeste ne produisit pas le moindre effet sur l’esprit des Canadiens; ils n’en furent ni moins disposés à affronter les périls et les fatigues de la guerre, auxquels ils étaient depuis longtems accoutumés, ni moins attachés à leur gouvernement, quelques injustices qu’ils eussent éprouvées de la part de quelques uns de ses employés. Il faut convenir aussi que l’exemple récent du traitement fait aux colons français de la Nouvelle Ecosse et de l’Isle St. Jean, n’était pas propre à inspirer à ceux du Canada beaucoup de confiance dans les assurances de protection du général anglais; et l’on ne doit pas être surpris, comme le paraît être Mr. Smith, qu’ils aient pour mieuxaimé abandonner leurs habitations et exposer leurs familles à la ruine, que d’adopter un plan qui devait leur paraître bien moins prudent que pusillanime, et indigne de toute leur conduite passée.

Le marquis de Montcalm avait posté un détachement avec du canon, à la Pointe Levy, dans la vue de harrasser la flotte anglaise, lorsqu’elle arriverait à la hauteur de cette place. Le commandant anglais n’eut pas plutôt été informé du fait, qu’il détacha le brigadier Monkton avec quatre bataillons pour aller déloger les Français. Monkton traversa la rivière de nuit, et fit son attaque dès la pointe du jour: les Français furent obligés de se retirer, et le poste fut aussitôt occupé par les Anglais. M. de Montcalm, craignant que le but des Anglais, en s’établissant en cet endroit, ne fût d’y ériger une batterie de mortiers et de canons, pour battre la ville, y envoya un détachement de seize cents hommes, pour attaquer et détruire les ouvrages de l’ennemi, avant qu’ils fussent achevés. Malheureusement, la confusion se mit parmi ces troupes; les soldats tirèrent les uns sur les autres, et le détachement retraversa le fleuve dans le plus grand désordre. La batterie de mortiers et de canons fut établie, et bientôt la basse ville ne fut plus qu’un monceau de ruines.

Les troupes anglaises n’eurent pas plutôt débarqué sur l’île d’Orléans, qu’il s’éleva une tempête furieuse; quelques uns des gros vaisseaux chassèrent sur leurs ancres; plusieurs bâtimens de transport perdirent leurs agrès, et un grand nombre de vaisseaux plus petits coulèrent à fond, ou se brisèrent l’un contre l’autre. Profitant de l’obscurité de la nuit et du désordre de la flotte ennemie, le général français fit partir huit brûlots pour la réduire en cendres. Hommes et vaisseaux eussent infailliblement péri, si l’opération avait été conduire avec le courage, le sang froid et l’intelligence qu’elle exigeait; mais ceux qui fil avaient été chargés, ne possédaient aucune de ces qualités, ou du moins ne les réunissaient pas toutes. Impatients d’assurer leur retour à terre, il mirent beaucoup trop tôt le feu aux bâtimens dont ils avaient la direction. Aussi les Anglais, avertis à temps du danger qui les menaçait, vinrent-ils à bout de s’en garantir, par leur audace et leur activité; ils touèrent les brûlots sur le rivage, où ils brûlèrent à fleur d’eau, et il ne leur en coûta que deux faibles navires.

Le 9 Juillet, le général Wolfe traversa de l’île d’Orléans sur la côte du nord, et campa à la gauche des Français, sur le rive gauche de la rivière Montmorency. Il espérait qu’en montant le long de cette rivière, il pourrait la traverser à gué, et attaquer le marquis de Montcalm avec plus d’avantage que dans ses retranchemens. Mais le général français, qui avait reconnu la rivière Montmorency, avait eu la précaution d’élever des retranchemens à l’endroit du gué, le seul qui offrît un passage praticable. Le détachement que Wolfe y envoya fut attaqué deux fois dans sa route, et contraint de s’en retourner, après avoir perdu une cinquantaine d’hommes.

Le général Wolfe voyant peu d’apparence de succès de ce côté, passa devant Québec, le 18 Juillet, avec quelques vaisseaux portant des troupes, afin de reconnaître les bords du fleuve du côté de cette ville, et voir s’il ne s’y trouverait pas un endroit favorable à la descente. Ayant trouvé partout la côte inaccessible, entre Québec et le Cap Rouge, il se contenta d’envoyer le colonel Carleton à la Pointe aux Trembles, où on lui avait dit qu’il y avait des magazins d’armes et de munitions, et s’en retourna découragé et désespérant presque du succès de l’entreprise contré la capitale du Canada.

(A continuer.)

MEMOIRES DE M. DE MONTLOSIER.

Nous avons signalé, il y a quelque temps, l’abus de ces Mémoires de fabrique, qui se font sous des noms de morts, avec des extraits d’autres Mémoires, amplifiés en style d’écolier. Mais le même jour et dans le même article, nous mettions soigneusement à part les Mémoires qui paraissent du vivant et sous la responsabilité de leurs auteurs. Si ceux qui livrent ainsi au public l’histoire de leur vie, et qui lui font confidence de leurs souvenirs, out joué un rôle politique, il arrive que leurs Mémoires sont d’excellens matériaux pour l’histoire; si de plus, comme écrivains et comme hommes d’esprit, ils ont acquis de la célébrité, il arrive que leurs Mémoires peuvent être déjà de l’histoire. C’est ce qu’on peut dire justement d’une publication qui doit intéresser vivement les lecteurs et qui se fait attendre en ce moment avez une grande impatience, la publication des Mémoires de M. de Montlosier.

De grands services rendus à la liberté et à la monarchie, une vie politique répandue dans tous les événement qui ont eu lieu depuis quarante ans, un caractère singulièrement loyal, un style vif, heurté, plein de créations, une franchise austère de pensées et de paroles, recommandent à un haut degré le nom de M. de Montlosier. Nous avons sous les yeux quelques fragmens de ses Mémoires. C’est le même esprit, si vert dans sa vieillesse, si franc dans ses révélations, que nous avons remarqué dans ses dernières brochures.

Il y a dans ces Mémoires, à côté des souvenirs politiques, quelques récits de vie privée, qui plairont singulièrement par un choix piquant d’anecdotes, et un abandon plein de naïveté dans les aveux. M. de Montlosier est un habitant du désert; il vous parle quelquefois avec passion de ses vents frais de Randane, avec bonhomie de ses troupeaux, avec science et intérêt de ses excursions géologiques dans les âpres montagnes de l’Auvergne; cela repose agréablement des récits de sa vie politique. C’est un caractère original qui ne sent pas le cour, et qui la connaît mieux toutefois que beaucoup de ceux qui en ont le ton. C’est une figure singulière, quelquefois bizarre, qui plaît beaucoup, parce qu’on n’y est pas habitué dans notre monde, où il y en a tant d’une fade régularité.

Voici un passage de ces Mémoires qui nous ont été communiqués. Il en donnera une idée à nos lecteurs, et justifiera nos éloges, Ce sont quelques portraits frappans, que l’on pourrait détacher pièce à pièce de ces Mémoires, pour les transporter dans une histoire. Comme pensée et comme style, ils y tiendraient bien leur place. Il s’agit de quelques hommes éminens, qui ont paru avec éclat dans la révolution. Ce ne sont pas les premiers portraits qu’on en a faits; ce ne sont pas non plus les derniers: car chacun voit les hommes de la révolution à travers ses idées. Mais vus par M. de Montlosier, ceux-ci ont dû se livrer davantage, et laisser lire plus avant dans leur âme. Aussi leurs portraits paraîtront-ils tout neufs.

Après avoir tracé une sorte de statistique des partis dans l’Assemblée Constituante, M. de Montlosier passe en revue les principaux personnages qui figurèrent en tête de ces partis.

“Dans le parti qui croyait que la révolution pouvait se conserver par la monarchie, il faut compter en première ligne Mirabeau (si toutefois, en fait de parti, on peut compter Mirabeau pour quelque chose;) mais avec diverses nuances il se trouve MM. Bailly, Lafayette, Barnave, Duport, les deux Lameth, Thouret, Beaumetz, Freteau, Chapellier, les deux Larochefoucauld, et surtout le baron de Wimphen, qui, en prononçant le premier le mot de démocratie royale, acquit une sorte de célébrité.

“L’autre parti voulait conserver la révolution, mais non pas au moyen d’une apparence de constitution monarchique, qui ne lui présentait aucune solidité: il n’avait plus de force; si elle en avait, il croyait qu’elle s’en servirait pour elle-même et non pas pour la révolution. En conséquence, ce parti, quoiqu’avec des vues différentes, s’entendait à merveille avec ses rivaux, à l’effet d’aggraver la révolution, et arriver le plus tôt possible à la république.

“A la tête de ce parti, on trouvait dans l’intérieur de l’assemblée Pétion, Robespierre, et Buzot; en dehors, Marat, Garat, Condorcet, Brissot, Clavière et Camille-Desmoulins, armés de leurs journaux.

“Dans cet ordre d’alignemens, je n’ai compris, ni dû comprendre l’abbé Sieyes; de même, parmi les journaux, je ne comprendrai pas le Moniteur.

“Par suite d’une loi générale, le mouvement de la terre emporte, soit qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, tous les êtres qui sont à sa surface dans une direction donnée. Jeté dans le mouvement de la révolution, le Moniteur a eu pour principe de se laisser emporter de même dans toutes ses directions; il a eu ainsi, selon qu’elles se sont succédé, les teintes monarchique, constitutionnelle, girondine, jacobine, impériale; il s’est placé, en façon d’homme d’aile, qui n’a rien à faire que de répéter des signaux, ou comme un écho qui rend indifféremment tous les sons.

“Sieyes a eu pour système de suivre le même mouvement. Se jetant, par sa volonté, dans la première caverne qui s’est trouvée devant lui, il a continué de glisser dans toutes les cavernes qui ont remplacé successivement la première; à la différence du Moniteur, qui a rendu tous les tons, il n’en a rendu aucun. Il s’est fait remarquer à l’assemblée par son silence, comme les autres par leurs discours; ce silence fut dénoncé par Mirabeau comme une calamité publique. Heureux s’il l’avait gardé toujours!

“Parmi les quatre cents membres du côté droit, il y avait non seulement des hommes du premier talent, tels que Cazalès et Maury, rivaux et en quelque sorte la contre-partie de Mirabeau et de Barnave; il y en avait aussi, et presque sur la même ligne, tels que Clermont-Tonnerre, le marquis de Bennai, l’abbé de Montesquiou, l’archevêque d’Aix.

“Dans ce nombre je ne dois oublier ni Malouet, ni Dépréménil. Dans deux occasions, une surtout qui lui fut personnelle, je veux parier de l’accusation intentée par Glezen, M. Malouet s’éleva à la première éloquence. En général, sa manière était pâle, sa parole avait peur d’être forte; mais son attitude était si noble, ses idées étaient si justes, si marquées de cette intention droite qui appartient à l’honnête homme, qu’au premier moment il inspirait la confiance, il gagnait tout son auditoire pour lui, quand il ne le gagnait pas pour sa cause.”

A deux ou trois reprises, Dépréménil, avec sa belle voix argentine, la précision et le ferme de ses pensées a étonné et obtenu de l’assemblée une grande attention; je ne parle pas de la justesse de ses vues, je parle seulement de son talent.—Dans le temps des parlement, ses amis l’accusaient d’être trop parlementaire; depuis leur destruction il l’était devenu bien davantage. Il fallait inspirer beaucoup d’estime, et avoir beaucoup de talent, pour obtenir un peu d’attention avec des vues aussi absolues que les siennes, et qu’il ne dissimulait jamais.—Je crains de n’avoir pas assez parlé du projet de finances qu’il nous proposa un jour, projet pour lequel Charles de Lameth fit la motion de l’envoyer à Charenton, et que l’assemblée se contenta par décret de taxer d’extravagance. Ce projet, condamné comme extravagant, était fort sage en beaucoup de points; seulement il était peu applicable au moment, ce dont Dépréménil ne s’occupait pas du tout.

Pour M. de Clermont-Tonnerre, si la faveur dont il a joui pendant quelque temps avait duré, il faudrait le compter au premier rang de nos orateurs, peut-être en tête; il a été, pendant tout le temps de sa faveur, le plus facile et le plus brillant de nos improvisateurs. Aussitôt que sa faveur a disparu, son talent d’improvisation a disparu de même; à la fin il ne lui a plus été possible de prononcer deux phrases sinon un cahier à la main. Chose bien extraordinaire, c’était la contrariété qui animait particulièrement l’éloquence de Mirabeau et celle de l’abbé Maury; l’âme ds ces deux hommes ne se lassait point atteindre à la première contradiction, celle dé Clermont-Tonnerre était abattue.

(La fin au Nº. prochain.)

LA FONTAINE.

Les fables attribuées à Esope sont toutes des emblèmes des instructions aux faibles, pour se garantir des forts, autant qu’ils le peuvent. Toutes les nations un peu savantes les ont adoptées. La Fontaine est celui qui les a traitées avec le plus d’agrément: il y en a environ quatre vingts qui sont des chefs-d’œuvre de naïveté, de grâce, de finesse, quelquefois même de poësie. C’est un des avantages du siècle de Louis XIV d’avoir produit un La Fontaine. Il a trouvé si bien le secret de se faire lire, sans presque le chercher, qu’il a eu en France plus de réputation que l’inventeur même.

Boileau ne l’a jamais compte parmi ceux qui faisaient honneur à ce grand siècle: sa raison ou son prétexte était qu’il n’avait jamais rien inventé. Ce qui pouvait encore excuser Boileau, c’était le grand nombre de fautes contre la langue et contre la correction du style; fautes que La Fontaine aurait pu éviter, et que ce sévère critique ne pouvait pardonner. C’était la cigale qui, ayant chanté tout l’été, s’en alla crier famine chez la fourmi sa voisine, qui lui dit, qu’elle la paiera avant l’août, foi d’animal, intérêt et principal; et à qui la fourmi répond: Vous chantiez, j’en suis fort aise; eh bien, dansez maintenant.

C’était le loup qui voyant la marque du collier du chien, lui dit: Je ne voudrais pas même à ce prix un trésor. Comme si les trésors étaient à l’usage des loups.—C’était la race escarbote qui est en quartier d’hiver comme la mormote.—C’était l’astrologue qui se laissa choir, et à qui on dit: Pauvre bête, penses-tu lire au-dessus de ta tête? En effet, Copernic, Galilée, Cassini, Halley ont très bien lu au-dessus de leur tête; et le meilleur des astronomes peut se laisser tomber sans être une pauvre bête.

L’astrologie judiciaire est, à la vérité, une charlatanerie très ridicule; mais ce ridicule ne consistait pas à regarder le ciel; il consistait à croire ou à vouloir faire croire qu’on y lit ce qu’on n’y lit point. Plusieurs de ces fables ou mal choisies, ou mal écrites, pouvaient mériter en effet la censure de Boileau.

Rien n’est plus insipide que la femme noyée, dont on dit qu’il faut chercher le corps, en remontant le cours de la rivière, parce que cette femme avait été contredisante.

Le tribut des animaux envoyé au roi Alexandre est une fable qui, pour être ancienne, n’en est pas meilleure. Les animaux n’envoient point d’argent à un roi; et un lion ne s’avise pas de voler de l’argent.

Un satyre qui reçoit chez lui un passant, ne doit point le renvoyer sur ce qu’il souffle d’abord dans ses doigts, parce qu’il a trop froid, et qu’ensuite, en prenant l’écuelle aux dents, il souffle sur son potage qui est trop chaud. L’homme avait très grande raison et le satyre était un sot. D’ailleurs on ne prend point l’écuelle avec les dents.

Mère écrevisse qui reproche à sa fille de ne pas aller droit, et la fille qui lui répond que la mère va tortu, n’a point para une fable agréable:

Le buisson et le canard en société avec une chauve-souris pour des marchandises, ayant des comptoirs, des facteurs, des agens; payant le principal et les intérêts, et ayant des sergens à leur porte, n’a ni vérité, ni naturel, ni agrément. Un buisson qui sort de son pays avec une chauve-souris pour aller trafiquer, est une de ces imaginations froides et hors de la nature, que La Fontaine ne devait pas adopter.

Un logis plein de chiens et de chats, vivant entr’eux comme cousins et se brouillant pour un pot de potage, semble bien indigne d’un homme de goût.

La pie-margot-caquet-bon-bec est encore pire; l’aigle lui dit qu’elle n’a que faire de sa compagnie, parce qu’elle parle trop. Sur quoi La Fontaine remarqua qu’il faut à la cour porter habit de deux paroisses.

Que signifie un milan présenté par un oiseleur à un roi, auquel il prend le bout du nez avec ses griffes?

Un singe qui avait épousé une fille parisienne et qui la battait, est un très mauvais conte qu’on avait fait à La Fontaine, et qu’il eut le malheur de mettre en vers.

De telles fables et quelques autres pourraient sans doute justifier Boileau: il se pouvait même que La Fontaine ne sût pas distinguer ses mauvaises fables des bonnes.

Madame de la Sabliere appellait La Fontaine un fablier, qui portait naturellement des fables comme un prunier des prunes. Il est vrai qu’il n’avait qu’un style, et qu’il écrivait un opéra de ce même style dont il parlait de Janot Lapin et de Rominagrobis. Il dit dans l’opéra de Daphné:

    J’ai vu le temps qu’une jeune fillette.

    Pouvait sans peur aller au bois seulette:

Maintenant, maintenant, les bergers sont des loups.

Je vous dis, je vous dis, filettes, gardez-vous.

        Jupiter vous vaut bien;

Je ris aussi quand l’amour veut qu’il pleure;

    Vous autres dieux n’attaquez rien,

Qui sans vous étonner s’ose défendre une heure.

        Que vous êtes reprenante,

            Gouvernante!

Malgré tout cela, Boileau devait rendre justice au mérite singulier du bon-homme, (c’est ainsi qu’il l’appellait,) et être enchanté avec tout le public du style de ses bonnes fables.

La Fontaine n’était pas né inventeur; ce n’était pas un écrivain sublime, un homme d’un goût toujours sûr, un des premiers génies du grand siècle; et c’est encore un défaut très remarquable dans lui de ne pas parler correctement sa langue: il est dans cette partie très inférieur à Phedre; mais c’est un homme unique dans les excellents morceaux qu’il nous a laissés: ils sont en grand nombre; ils sont dans la bouche de tous ceux qui ont été élevés honnêtement; ils contribuent même à leur éducation; ils iront à la dernière postérité; ils conviennent à tous les hommes, à tous les âges; et ceux de Boileau ne conviennent guère qu’aux gens de lettres.

Dict. Phil.

VARIETÉS.

La Cour et la Ville sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, ou Révélations historiques tirées des manuscrits inédits, et publiées par F. Barrière. Un volume in-8o, chez Dentu, Palais-Royal.

C’est une bonne fortune assez rare aujourd’hui que des anecdotes authentiques, La falsification est devenue un genre de littérature; on fait hardiment les Mémoires des personnages célèbres morts depuis deux ou trois cents ans. Nous avons ceux des maîtresses des Rois de France, depuis Gabrielle d’Estrées. La collection deviendra volumineuse, si toutes les maîtresses d’Henri IV y prennent place; et si nous remontons jusqu’à François Ier, il faudra faire élargir nos bibliothèques.

Dans le commencement, la fraude avait encore quelque scrupule: elle semblait vouloir sauver les apparences. Aujourd’hui, les libraires n’y mettent plus tant de façons; ils ne proposent pas de faire voir les manuscrits prétendus inédits; ils disent qu’ils ont trouvé ces Mémoires; où? peu importe. Il ne s’agit pas ici de prouver l’authenticité des ouvrages, il s’agit de les vendre; il s’agit de suffire à la consommation des cabinets de lecture; car les cabinets de lecture consomment annuellement tant de romans, tant de Mémoires inédits; c’est chose presque régulière, comme la consommation des œufs et du beurre à Paris. Du reste, les cabinets de lecture ne sont point difficiles: ils ont plus d’appétit que de goût; ce qu’ils aiment surtout, c’est le scandale et l’horreur: en effet, la philosophie, la politique, l’histoire, la poësie, il faut pour goûter toutes ces choses un peu de réflexion et d’étude; mais le scandale et l’horreur, une aventure de libertin ou de revenant, tout le monde goûte cela, car tout le monde a des sens, et toute cette littérature, à dire vrai, ne s’adresse qu’aux sens.

Dans un pareil état de choses, c’est un bonheur, et surtout un bon exemple, qu’une publication d’anecdotes historique qui ne sont pas inventées d’hier, qui ne visent pas au scandale, mais à l’instruction du lecteur; qui, tout en nous amusant, nous donnent, sur les mœurs de nos pères et de nos aïeux, mille renseignemens nouveaux, et qui nous font connaître plus intimement la société d’autrefois. Tel est le livre que vient de publier M. Barrière: nous avons vu les manuscrits d’où sont tirées ces piquantes révélations historiques, et nous pourrions témoigner de leur bonne foi, si cette bonne foi avait besoin d’être prouvée. Mais le nom de l’éditeur suffit. Le public sait que M. Barrière ne donne rien que d’authentique et de piquant, et il a en lui la double confiance que mérite un homme d’esprit et un homme de bonne foi.

Parcourons rapidement ce Recueil. Une collection d’anecdotes est comme une sorte de musée antique. Ce sont aussi des antiquités arrachées à l’oubli, déterrées, en quelque sorte, et qui, disposées dans un ordre chronologique, nous font connaître les mœurs et les usages de nos dévanciers. Nous trouvons d’abord les Anecdotes historiques et litteraires, extraites des manuscrits du président Bouhier. M. Barrière explique très bien ce que c’étaient que ces recueils d’anecdotes et d’histoires particulières qui se conservaient autrefois dans les familles, et nous ne pouvons mieux faire que le laisser parler lui-même. Cette citation donnera une idée des avant-propos ingénieux que M. Barrière met aux extraits qu’il publie. Ces avant-propos sont nécessaires au lecteur: ils lui donnent une connaissance préliminaire du siècle dont il va lire quelques particularités. Sans cela, il risquerait de ne point retirer de sa lecture le plaisir et le profit qu’il doit.

“Encore quelques années, dit M. Barrière, et la génération qui s’élève ne pourra plus avoir la moindre idée de la société d’autrefois. C’est pour nous véritablement aujourd’hui que la renommée vole, et qu’elle a cent bouches. La diplomatie n’a plus de mystères; la cour n’a plus de secrêts: les princes et les ministres doivent tous être des hommes bien vertueux; car on dirait qu’ils habitent des palais transparens et sonores. Tout ce qui s’y fait se voit; tout ce qui s’y dit se répète:

Tota fremit, vocesque refert iteratque quod audit.

“Le besoin de parler est, pour ainsi dire, plus impatient que celui d’apprendre: les résolutions prises le matin dans les conseils sont imprimées le soir dans les journaux; ces particularités piquantes qui peignent de grands personnages par leurs ridicules ou leurs faiblesses, sont révélées deux mois plus tard au public, dans des Mémoires plus ou moins indiscrêts. Le présent dérobe l’avenir, qui n’aura plus rien à connaître. Il n’en était pas de même autrefois.

“Nouvelles politiques et nouvelles de cour étaient fruits défendus, que les contemporains n’avaient presque jamais dans leur primeur. Les hommes qui connaissaient les secrêts du cabinet ou ceux des ruelles, comme on disait alors, se gardaient bien d’une indiscrétion qui pouvait les perdre, eux et leur famille. Les Mémoires ne paraissaient guère que cinquante ans après la mort du prince qu’ils faisaient connaître et de l’audacieux qui les avait tracés. Qui voulait s’instruire devait aller chercher dans leur solitude des vieillards dont la jeunesse s’était autrefois passée à la cour, dans les affaires, et qu’un grand âge disposait depuis à plus d’épanchement. Dans l’absence de toute nouvelle politique, on avait de plus longs entretiens; on s’écrivait beaucoup plus. Les faits curieux restaient cachés dans la secret des correspondances, ou se conservaient dans la tradition des hommes instruits, jusqu’à ce que l’éloignement des temps permît enfin de les écrire ou de les publier sans danger. C’est ainsi que furent recueillies par l’abbé de Choisy, qui en convient lui-même, une partie des anecdotes si piquantes dont il composa ses Mémoires; c’est ainsi qu’ont été rassemblés par le président Bouhier les faits qu’on va lire.”

Je choisis dans le recueil du président une anecdote qui m’a frappé. Le cardinal Mazarin envoyant un homme à Cromwell pour quelques négociations importantes, insistait sur toutes les considérations qui pouvaient déterminer le Protecteur à se rapprocher de lui. Il termina en disant à l’envoyé: “Ne manquez pas encore de lui répéter ceci: le cardinal est heureux!”

Adressé à un usurpateur par un ministre qui était lui-même un parvenu, le mot est sublime d’adresse et de tact. Tous ceux qui out fait une fortune merveilleuse, Cromwell, Bonaparte, César, tous croient et doivent croire à la fortune, au sort, à la prédestination, et le mot qui doit faire sur eux le plus d’effet, celui qui doit les déterminer dans leurs alliances, c’est le mot de Mazarin: “le cardinal est heureux.”

Après les anecdotes du président Bouhier, vient un morceau curieux sur les intrigues qui causèrent l’exil de Mlle. Choin, en 1694. Mlle. Choin fut comme on sait, l’épouse secrète du grand dauphin, la Maintenon en quelque sorte de ce prince, qui vécut et mourut dans une espèce d’obscurité royale, que sa médiocrité naturelle lui fit supporter aisément. Ce morceau nous fait connaître toutes les petites intrigues de boudoir et de confessionnal qui occupaient souvent le grand Roi. C’est une note à ajouter aux Mémoires de Saint-Simon.

Des intrigues de la cour de Louis XIV, nous arrivons aux amusemens des grands seigneurs du dernier siècle, et aux parades de Collé. Ces amusemens et ces parades, dont tout le mérite était le cynisme et le ton poissard, me semblent peu piquans. Ces bagatelles n’ont plus aujourd’hui qu’un intérêt historique. C’est de cette façon aussi que M. Barrière les considère dans l’excellent morceau qu’il a mis avant cette farce. C’est là qu’il nous fait connaître quels étaient les acteurs, tous princes et ducs, de ces parades. Quant à Collé, M. Barrière cite de lui quelques pages plus curieuses, selon moi, que ses farces, sur les désagrémens qu’il éprouvait en travaillant pour les grands seigneurs, et en s’enducaillant, c’est son mot, comme il l’avait fait.

“J’appris, dit Collé, qu’à un souper chez M. Lallemant de Betz, les comédiens seigneurs, aussi reconnaissais que les comédiens ordinaires du Roi, y avaient mis en pièces leurs deux auteurs, et les avaient guillochés de ridicules. Ils avaient traité Duclos de bavard impérieux, d’homme de café. Pour moi, qui n’avais pas voulu parler et qui n’avais pu chanter (dans la représentation d’une de ses parades,) parce que j’avais la poitrine échauffée et qu’à souper je ne me nourrissais que de lait, ils disaient que quand on faisait l’honneur à des gens de ma sorte de les admettre en bonne compagnie, ils étaient faits pour avoir de la complaisance et de la santé ... Je fus trouver sur le champ Duclos, à qui je racontais tout, à qui je prouvais tout, et qui ne s’émut de rien. Il tenta de me calmer; il tâcha vainement de me persuader qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de mépriser de pareils propos ... Je ne fus, parbleu! pas de cet avis; je courus au contraire, en le quittant, chez M. le duc de Vaujours, à qui je fis la plus vigoureuse sorti sans manquer aux égards que, je lui devais, mais sans manquer à ce que je me devais à moi-même.”

Cet égoïsme de grands seigneurs qui veulent qu’on ait de la santé pour les amuser, cette colère de bourgeois qui fait une vigoureuse sortie sans manquer aux égards, tout cela me semble plus vraiment comique que les amours de Mlle. Manon et de M. de Lafleur. J’avoue cependant que j’aurais ri de bon cœur à voir jouer les Deux Gilles, car cette parade ne manque ni de verve, ni de gaîté, et surtout à les voir jouer par des acteurs ducs et pairs. Le contraste était piquant. Aussi c’était là surtout, j’imagine, ce qui amusait les grands seigneurs: le ton poissard les délassait de la cour et de l’étiquette des belles manières. Or, quelque austères que nous soyons de nos jours, nous pardonnerons à ces amusemens, si nous réfléchissons que rien n’est si naturel à l’homme que de vouloir, dans ses plaisirs, sortir des habitudes de son état.

Des parades de Collé, nous passons à un morceau d’un genre bien différent: c’est le récit de l’évasion d’un officier royaliste, après l’affaire de Quiberon. Certes la transition est brusque. Cependant, si nous voulons y regarder, dans l’histoire, le passage n’est pas moins brusque, et la cour passa des plaisirs et des fêtes à la fuite et à la proscription d’une façon presque aussi soudaine.

Il nous reste peu de temps; nous passons, sans nous y arrêter, sur les souvenirs de Mme. de .... Quelque intéressans, quelque curieux qu’ils soient, et nous arrivons à la porte de ce que M. Barrière appelle son cabinet réservé. Qu’est-ce que ce cabinet réservé? Je ne puis mieux faire, pour indiquer ce que c’est, que de citer la fin de la préface ingénieuse de M. Barrière.

Il y a, dans le Musée de Naples, un cabinet des objets réservés. On n’y peut être admis sans une permission particulière. Dès qu’on y est entré, la précaution ne paraît pas superflue; car on y voit d’étranges choses. Le gardien de ce cabinet ne contait qu’un Anglais un jour eut l’imprudence d’y amener sa femme. A peine eut-elle jeté les yeux sur un des groupes, continua le gardien, quelle s’approcha de moi. “Jurez-moi sur l’honneur, me dit-elle, que d’autres femmes sont entrées avant moi dans ce cabinet—Je lui en donnai l’assurance.—Eh bien, qu’importe que d’autres y soient entrées? reprit-elle: ce n’est pas, pour une Anglaise, une raison d’y rester.”

“Il y avait peut-être dans ce mouvement, d’ailleurs honnête, autant de fierté britannique que de cette pudeur charmante qui, chez des femmes, est de tous les pays. Quoi qu’il en soit, dans ce volume, j’aurai, comme au Musée de Naples, mon cabinet des objets réservés. J’en préviens d’avance les Italiennes, les Russes, les Espagnoles, et même, au besoin, les Anglaises. Qui de ces dames posera le pied dans ce cabinet ne saurait donc s’en prendre à moi. J’ai mis l’écriteau sur la porte, et je ne donne point de permissions particulières.”

Nous imiterons la réserve de M. Barrière. Seulement, pour amortir la curiosité qu’aurait peut-être excitée sa discrétion tant soit peu malicieuse, nous dirons qu’ayant vu les deux cabinets réservés, celui de Naples et celui de M. Barrière, les objets qui s’y trouvent m’ont semblé plus étranges qu’intéressans. L’art ne peut rien gagner à étudier les monumens réservés de Naples; l’histoire et la science des mœurs ne peuvent guère profiter non plus des anecdotes du nouveau cabinet. Après cet avertissement, il n’y a que ceux qui s’intéressent à autre chose encore qu’à l’histoire et à la science des mœurs qu’iront chercher ces anecdotes dans l’endroit où M. Barrière le a cachées.

St.-M.

MONUMENS DE MONTREAL.

Une collection de Vues des édifices publics les plut remarquables de la ville de Montréal, et d’autres objets frappants des environs, nous a été montrée dernièrement par un Monsieur de cette ville, (J. Viger, écr.) Les différents édifices sont dessinés avec beaucoup de fidélité, et l’on peut dire que les dessins sont les portraits en miniature des originaux. L’ancienne Paroisse, la nouvelle Eglise paroissiale, l’Eglise épiscopale, le Masonic-Hall, le Théâtre, de Palais de Justice, la Prison, la Colonne de Nelson, sont représentés très correctement, avec partie des rues où ils se trouvent situés, ainsi que plusieurs autres bâtimens que nous ne pouvons citer de mémoire, mais qui sont exécutés avec autant de fidélité que ceux que nous venons d’énumérer.

Les vues des environs de Montréal sont principalement celles d’anciennes maisons, moulins, &c. bâtis dans les commencemens de l’établissement du pays, lorsque la maison de chaque habitant était son château-fort, non dans le sens civil, mais dans un sens strictement militaire, les relations entre les nouveaux colons et les naturels du pays étant telles que les premiers devaient construire leurs maisons de manière à y trouver non seulement un abri contre les injures du temps, mais encore une espèce de rampart contre les attaques des derniers. La vue du château (ou fort) de Longueil est une de celles de la collection, et elle doit paraître d’autant plus précieuse que le bâtiment est maintenant détruit, et qu’elle fournit un échantillon de la manière de bâtir, à l’époque dont nous parlons. Les tours des angles et les hautes et étroites fenêtres rappellent à l’esprit les anciennes maisons baroniales qui existent encore, en ruines vénérables, dans différentes parties de l’Angleterre. Nous apprenons que le possesseur de cette collection se propose de la publier, s’il rencontre un encouragement suffisant. Nous souhaitons fort qu’il puisse mettre son dessein à exécution; car nous sommes persuadés que l’ouvrage ne pourrait manquer d’être intéressant non seulement pour les habitans de Montréal, mais encore pour tous ceux qui ont résidé ou voyagé en cette province.

Mercury.

Ayant eu le plaisir de voir la collection en question, nous sommes entièrement de l’avis de l’éditeur du Mercury, et nous regretterions que le manque d’encouragement mît obstacle à une publication qui ferait honneur aux talens de l’artiste, ainsi qu’au zèle patriotique et à l’esprit public du Monsieur qui l’a employé.

DISSERTATION,

Sur le Canon de bronze trouvé dans de St. Laurent, en 1826.

Par A. Berthelot, Ecuyer.

A. Berthelot, écuyer, dont les connaissances historiques font probablement connues de plusieurs de nos lecteurs, vient de publier une courte Dissertation sur le canon de bronze trouvé en 1826, dans les bas-fonds du St. Laurent, vis-à-vis de la paroisse de Champlain, dans le district des Trois-Rivières, et maintenant dans le musée de Mr. Chasseur.

La découverte faite par hazard de ce canon par des gens qui poussaient un train de bois, ou cageux, qui s’était échoué, a donné lieu à des observations très intéressantes de la part de M. Berthelot. Nous croyons que les recherches de ce Monsieur ont ébranlé et rendu plus que problématique la persuasion où l’on était généralement, que Jacques Cartier fut le premier qui découvrit le Canada, et qu’elles prouvent, presque jusqu’à l’évidence, que Verazani, qui fit son dernier voyage sous les auspices de François I, roi de France, en 1525, fut le premier Européen qui remonta le St. Laurent, et qu’il y trouva la fin tragique dont on a ignoré, jusqu’à présent, et la genre et le lieu.

Il est hors de doute que c’était une tradition parmi les habitans du Canada, que dans la première moitié du dix-septième siècle, il y avait eu un naufrage d’hommes blancs au-dessus de Québec. Charlevoix, qui paraît avoir souvent écrit à la hâte, dit que le vaisseau se perdit sur “la roche de Jacques Cartier,” à l’embouchure de la rivière qui porte présentement ce nom; il a évidemment confondu cette rivière avec celle de St. Croix, appellée présentement St. Charles, qui tombe dans le St. Laurent, à Québec. Il se trompe également quand il dit que le vaisseau naufragé était un des trois que commandait Jacques Cartier. Il est de fait que Jacques Cartier ne retourna en France qu’avec deux de ses vaisseaux; mais il est également certain que le troisième vaisseau se brisa dans la rivière St. Charles, près du présent pont de Dorchester, où il avait hiverné, et où le scorbut, (dont tous ses équipages auraient été les victimes, sans la tisanne de sapinette dont les naturels lui enseignèrent l’usage comme remède,) lui avaient enlevé un si grand nombre d’hommes, qu’il fut contraint de l’abandonner.

Après ses opérations contre les établissemens espagnols de la Floride, on peut voir Verazani cinglant vers le golfe de St. Laurent, et l’on trouve même dans des relations historiques qu’il remonta ce fleuve. Le canon en question correspond exactement avec la description de l’artillerie alors en usage parmi les Espagnols, et ressemble aux pièces qu’on a vues tout récemment en la possession de quelques uns des patriotes de l’Amérique Méridionale. Il est à peu près de la grandeur d’un canon de six livres, de bronze, avec une chambre mobile, où la charge est mise, lorsqu’elle est tirée du canon, et ensuite replacée et fixée avec un coin. Il mérite d’être examiné. Aucun canon de cette sorte n’avait été vu auparavant Canada.

La tradition d’un naufrage, la découverte de cette pièce d’artillerie et les erreurs où Charlevoix est évidemment tombé, ont porté à conclure que ce fut sur le St. Laurent, au-dessus de Québec, que Verazani termina ses nombreux exploits. S’il a été mangé ou massacré par les sauvages, comme on l’a affirmés; s’il s’est noyé, ou s’il est mort du scorbut, dont son successeur pensa être la victime, c’est probablement ce qu’on ne saura jamais; mais nous pensons que M. Berthelot a rendu aussi indubitable qu’il était possible de le faire, que ce fut sur le St. Laurent qu’il termina sa carrière.

(Gazette de Québec.)

ANTIQUITÉS.

L’Abeille du Nord a publié une lettre d’Erzeroum, dans laquelle on remarque les détails suivans:

“Au nombre des édifices remarquables à Erzeroum, appartient un ancien couvent grec, situé près de la Porte orientale, dans l’intérieur de la forteresse, dont l’existence, au dire des habitans, remonte à l’antiquité la plus reculée, et qui, dans les derniers temps, servait de magasin à poudre et d’arsenal aux Turcs. Parmi les différens objets de matériel d’artillerie dont les cellules étaient encombrées, on a trouvé avec surprise des choses rares et dignes de fixer l’attention des antiquaires; c’étaient des boucliers, des casques, des arcs, des flèches, des hallebardes et des lames de glaives semblables aux espadons des cuirassiers; les boucliers sont faits de planches minces, recouvertes de cuir; ils sont grands, quadrangulaires, et peints de couleurs d’une composition particulière, recouverts d’un vernis qui leur a fait conserver toute leur fraîcheur; la plupart de ces boucliers sont peints en biais, de raies de différentes couleurs; quelques uns seulement portent des aigles noires aux ailes déployées et aux serres étendues, d’autres seulement des ailes terminées par des serres, d’autres encore des glaives tenus par une main d’or, ou un croissant avec une étoile, &c. Les casques sont ce qu’il y avait de plus remarquables; ils étaient tous rouillés, et il a fallu avoir recours à des procédés chimiques pour les nettoyer; l’un de ces casques était tout couvert d’or, et d’un dessin très fini; la plus grande partie des autres l’étaient en argent, avec des inscriptions syriaques; leur forme est très variée; ils sont d’une seule pièce du meilleur acier, sans soudure, damasquinés en or et en argent, avec des visières, mentonnières et hauberts. On ne peut s’abstenir d’admirer, d’après ces monumens, la perfection dans les arts, la force physique et l’esprit chevaleresque des anciens conquérans de l’Asie. Il n’y a point de doute que tous ces objets n’aient appartenu aux Arabes du temps des kalifes. Plus de cent des plus beaux casques, et quelques boucliers vont être transportés à Tiflis, d’où ils seront sans doute envoyés à Pétersbourg et à Moscou, pour satisfaire la curiosité des antiquaires. On a transporté également à Tiflis le seul canon de bronze qui soit sorti de la fonderie que les Turcs avaient établie dans l’église arménienne d’Erzeroum.”

MÉDECINE.

—Le Notizie del Giorno, journal de Rome, donne des détails circonstanciés de plusieurs expériences faites sur diverses personnes de tout âge et de tout sexe de cette capitale, et qui ont en le succès le plus heureux. Il ne s’agissait de rien moins que de guérir radicalement de la goutte, du rhumatisme et de la sciatique, maladies réputées jusqu’alors incurables. Le remède consiste à administrer au malade 48 doses d’eau très-chaude, chaque dose du poids de huit onces, qu’il faut prendre, de quart d’heure en quart d’heure, dans le paroxisme de la maladie. Le résultat de cette boisson, dont l’effet est diurétique et excite la transpiration, commence à se remarquer à la dixième ou onzième dose, et quelquefois à la première. Les docteurs affirment que, bien que cette quantité de boisson occasione des nausées et provoque le vomissement, on ne doit pas néanmoins diminuer les doses. Ce remède, qui est rafraîchissant et anti-plogistique, est conforme à la doctrine des docteurs Rasori et Tomassini.

NÉCROLOGIE, &c.

Décédés:—A Kamouraska, le 27 Janvier dernier, Damé Reine Perrault, épouse de François Gauvreau, écuyer;

A Montréal, le 28 Mr. James O’Connell, Architecte, âgé de 52 ans;

A St. Vincent de Paule, le 27, Dlle Elisabeth Lagarde, âgée de 78 ans;

A Québec, le 30, Dlle Amelia Young, fille de feu l’hon. John Young et sœur de T. A. Young, écr. M. P.;

A St. Roch le même jour, à l’âge de 18 ans, Dlle Josephine Charlotte d’Orsonnens;

A Québec, le 3 du présent mois, Dame Sazanne Bourassa, épouse de Joseph Lagueux, écuyer;

A Montréal, le 5, Missire Michel Candide Lesaulnier, Prêtre du Séminaire et Curé d’office de la paroisse. Nous traduisons la notice suivante du Montréal Gazette:

Michel Candide Lesaulnier naquit en 1758, dans le diocèse de Coutance, province de Normandie, en France. Il étudia a l’université de Caen en 1775, et deux ans après, il se rendit à Paris, où il étudia la théologie, et devint licencié de la Sorbonne. En 1782, il fut agrégé au Séminaire de St. Sulpice, et fut envoyé à Toulouse, l’année suivante. Au commencement de la révolution française, il se retira dans l’île de Jersey, d’où il passa en Angleterre, et il arriva en 1793, a Montréal, où il a rempli les devoirs de son état pendant trente-cinq ans, jusqu’à sa mort, qui a eu lieu vendredi dernier, après une longue et pénible maladie. Affable, prudent, éloquent, il a rempli tous ses devoirs de prêtre avec exactitude et fidélité, et a fait honneur à la place qu’il occupait par sa conduite et l’intégrité de ses principes. Il a fait ériger plusieurs écoles pour les pauvres dans les limites de la paroisse, et il a puissamment contribué de parole et d’action, à l’érection de ce superbe édifice, la nouvelle église paroissiale. Sa bienfaisance s’étendait à tous, sans distinction de langue, de patrie et de religion. Ses rares talens lui avaient acquis le respect de tous les habitans de cette province, théâtre de ses fonctions pastorales, et sa correspondance étendue avec les membres éminents de l’église catholique prouve combien il était estimé au-dehors.

Ses funérailles ont eu lieu le 8, en présence d’un concours aussi nombreux qu’il a coutume de l’être aux grandes solennités. Le service a été célébré par M. Roque, grand-vicaire, et Mgnr. l’Évêque de Telmesse présent à la cérémonie, a dit l’Introit et fait l’Absoute. Sa Grandeur avait pour assistans M. Hubert, du Séminaire, et M. Turgeon de Québec.

A Montréal, le 8, à l’âge de 80 ans et 6 mois, Dame Marie Geneviève Berthelet, veuve de feu Dominique Hubert Lacroix, écuyer;

Au même lieu, le 9, Dlle Jeanne Moureau, âgée de 18 ans et 6 mois;

Au même lieu, le 12, Dlle Charlotte Perrault, âgée de 42 ans.

Dernièrement, à la Côte St. Léonard, paroisse de la Longue Pointe, Madame veuve Allard dite Longpré, âgée de 100 ans, 8 mois et quelques jours.

L’automne dernier, dans l’île du Prince Edouard (St. Jean), à l’âge de 107 ans, Dame Mary Gibbons, native de Hollande;

Dans l’île de la Jamaïque, le 24 de Novembre dernier, Dame Judith Crawford, âgée, dit-on, de 151 ans.


Marié:—A St. Grégoire, le 9 du présent mois, par M. Demers, Aug. Leblanc, écuyer, à Dlle Julie Hébert.


Commissioné:—Mr. Louis Jannot, Notaire public.

TRANSCRIBER NOTES

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[The end of La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 16 edited by Michel Bibaud]