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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VII, Numero 5, Octobre 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Nov. 8, 2021

Date last updated: Nov. 8, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VII. OCTOBRE, 1828. Numero 5.

HISTOIRE DU CANADA.

Vers la fin d’Août (1697), le sieur de Lamotte-Cadillac, à qui M. de Callières avait fait savoir les bruits qui couraient d’un armement destiné à la conquête du Canada, arriva à Montréal, avec un grand nombre de Français et trois cents sauvages, Hurons, Outaouais, Sakis et Pouteouatamis, qu’il avait eu l’adresse d’engager à venir au secours de la colonie. Le comte de Frontenac se trouvait alors dans cette ville, et dans l’audience qu’il donna à ces guerriers, il leur témoigna beaucoup de satisfaction de leur zèle, et surtout de l’ardeur avec laquelle ils avaient poursuivi les Iroquois pendant toute cette campagne. Ils avaient en effet tué ou pris plus de cent Tsonnonthouans, depuis le printemps, et il venait de se passer une action de vigueur, où des sauvages de ces quatre tribus avaient eu part.

Les Iroquois s’étant mis en campagne pour aller joindre le Baron, qui était allé s’établir près d’Orange, avec trente familles de sa tribu, quatre de leurs découvreurs rencontrèrent Kondiaronk, ce fameux chef huron dont il a déjà été parlé. Il était à la tête de cent cinquante guerriers, et avait mis pied à terre dans le fond du lac. Deux des découvreurs iroquois furent tués; les deux autres furent faits prisonniers, et l’on apprit d’eux, que leurs gens n’étaient pas loin; qu’ils étaient au nombre de deux cent cinquante; mais qu’ils n’avaient de canots que pour soixante au plus.

Sur cet avis, Kondiaronk s’avança avec toute sa troupe vers l’endroit où on lui avait dit que les ennemis étaient campés: lorsqu’il en fut à une portée de fusil, il feignit d’être surpris et effrayé de leur nombre, et de prendre la fuite. Aussitôt soixante Iroquois se jettèrent dans leurs canots pour le poursuivre: Kondiaronk poussa au large et fit force de rames jusqu’à ce qu’il fût à deux lieues de terre. Alors il s’arrêta, se mit en bataille, essuya, sans tirer, la première décharge des Iroquois, qui ne lui tuèrent que deux hommes; puis, sans leur donner le temps de recharger, il fondit sur eux avec tant de furie, qu’en un moment tous leurs canots furent percés ou fracassés. Trente sept furent tués, quatorze furent pris, et les autres se noyèrent.

Kondiaronk avait rendu un autre service aux Français, en avertissant les Miamis de se défier du Baron, qui sons prétexte de vouloir faire alliance avec eux, ne songeait qu’à les trahir, et en empêchant ses compatriotes de suivre ce chef dans la Nouvelle York. Il était descendu à Montréal avec M. de Lamotte, et il eut la première part aux caresses du gouverneur général, suivant que s’exprime Charlevoix. Mais, continue cet historien, les sauvages ne se repaissent pas de fumée, et ceux-ci n’étaient point venus à Montréal pour recevoir des complimens, ni même uniquement pour faire la guerre aux Anglais.

M. de Frontenac, qui savait à peu près tout ce qu’ils avaient dans l’âme, leur déclara que s’il y en avait parmi eux qui eussent quelque sujet de se plaindre, ils pouvaient s’ouvrir à lui en toute liberté, qu’il leur ferait faire toute la satisfaction qu’ils pourraient souhaiter; mais il ajouta qu’ils devaient bien se garder de prendre le change, en s’affaiblissant mutuellement, et qu’il était de leur intérêt de continuer à pousser vivement les Iroquois, qu’il était lui-même bien résolu de ne point épargner.

Alors Onanguicé, chef des Pouteouatamie, prit la parole au nom de tous, et dit qu’on leur promettait ordinairement beaucoup plus qu’on n’avait apparemment dessein de leur tenir; qu’on les avait souvent assurés qu’on ne les laisserait pas manquer de munitions, et que néanmoins il y avait plus d’un an qu’on ne leur en avait point fourni; que les Anglais n’en osaient pas de même avec les Iroquois, et que si l’on continuait à les abandonner de la sorte, ils ne paraitraient plus à Montréal.

Le général leur réponpit qu’il était vrai qu’ils n’avaient pas reçu cette année ce qu’on avait coutume de leur fournir annuellement; mais qu’ils n’y perdraient rien; qu’il avait eu besoin de tout son monde pour un grand projet de guerre, dont il ne pouvait pas s’ouvrir à eux dans le moment; mais que dès qu’il pourrait disposer d’un certain nombre de Français, il s’empresserait de leur faire porter toutes les choses dont ils pourraient avoir besoin. Cette réponse parut satisfaire les sauvages, et M. de Frontenac les congédia, sans exiger d’eux aucun service, parce qu’apparemment on était rassuré alors au sujet des entreprises des Anglais contre le Canada.

Ce général était presque uniquement occupé de l’entreprise pour laquelle il avait au ordre de tenir ses troupes prêtes, et qui était encore un mystère pour lui, lorsque le 7 Septembre, M. des Ursins mouilla devant Québec. Cet officier lui remit une lettre du marquis de Nesmond, par laquelle il apprit qu’il s’agissait de la conquête de la Nouvelle Angleterre, dont M. de Pontchartrain avait formé le projet, mais que c’était une affaire manquée. Dans une lettre qu’il écrivit au ministre, le 15 Octobre suivant, le comte de Frontenac lui mande que ses préparatifs étaient si avancés, qu’il aurait pu se mettre en marche huit jours après avoir reçu les ordres qu’il attendait de lui.

D’après le plan de M. de Pontchartrain, le marquis de Nesmond, à qui l’on donnait une escadre de douze ou treize vaisseaux de guerre, devait, après avoir achevé de chasser les Anglais de Terre-Neuve, se rendre à Pentagoët, et de là détacher un vaisseau pour aller à Québec, donner avis au comte de Frontenac de sa marche, afin que ce général pût l’aller joindre avec les quinze cents hommes qu’il avait dû tenir prêts. Cette jonction faite, et les troupes embarquées, l’escadre devait aller à Boston, sans perdre de temps, et cette ville prise, ranger la côte jusqu’à Pescadoué, ruinant, suivant la manière de faire la guerre alors en Amérique, toutes les habitations le plus avant qu’il se pourrait dans les terres, de sorte que les Anglais ne pussent les rétablir de longtemps. Le grand âge du comte de Frontenac ayant fait douter qu’il pût conduire lui-même ses troupes et ses milices à cette expédition, on lui laissait la liberté, ou de marcher en personne, on de substituer à sa place le chevalier de Vaudreuil, qui, dans ce cas, serait subordonné en tout au marquis de Nesmond, au lieu que le comte de Frontenac, s’il venait, devait commander, sans dépendance, les troupes de terre.

Si après la prise de Boston et le ravage de la Nouvelle Angleterre, il restait encore du temps pour faire quelque autre conquête, la flotte avait ordre d’aller à Manhatte (New-York,) et après la prise de cette ville, y laisser les troupes du Canada, qui, en s’en retournant dans la colonie, ravageraient encore la Nouvelle York.

M. de Nesmond était parti trop tard de Larochelle, pour pouvoir exécuter tant et de si grandes entreprises; et il fut en outre retenu plus de deux mois sur mer par les vents contraires: de sorte qu’il n’arriva à Plaisance que le 24 Juillet.

Il tint un grand conseil de guerre pour délibérer s’il était à propos d’aller d’abord à Boston: tous opinèrent pour la négative, et leur principale raison fut que quelque déligence qu’on fit pour avertir le comte de Frontenac, les troupes du Canada ne pourraient arriver à Pentagoët avant le 10 Septembre; et qu’alors la flotte, qui n’avait que pour cinquante jours de vivres, ne serait plus en état de rien entreprendre. Sur cela, M. de Nesmond dépêcha le sieur des Ursins, à Québec, avec tous les bâtimens destinés pour le Canada, qui étaient venus à Plaisance sous son escorte. Il resta encore quelque temps dans ces parages, dans l’espoir de prendre au moins quelques vaisseaux anglais; mais il fut contraint de s’en retourner en France, sans avoir eu occasion de tirer un seul coup de canon.

Le Canada vit se former, cette année, un projet qui aurait eu sans doute un heureux succès, si celui qui en fut le principal auteur, avait été secondé autant qu’il méritait de l’être. Il y avait déjà plusieurs années que quelques négocians s’étaient associés pour établir des pêches sédentaires en Canada; mais ils n’avaient pu encore convenir d’un lieu sûr et commode pour une pareille entreprise. Le sieur Riverin, dont il a déjà été parlé, homme entendu, actif et entreprenant, et que les obstacles ne rebutaient point, vint enfin à bout, après bien des difficultés, de faire accepter le havre du Mont-Louis, situé sur la côte méridionale du fleuve St. Laurent, et à peu près à moitié chemin entre Québec et la pleine mer.

On ne pouvait choisir un endroit plus convenable sous tous les rapports, d’après la description suivante qu’en fait Charlevoix.

“Ce havre est l’embouchure d’une jolie rivière; le mouillage y est bon, et l’on n’y est exposé, dans la rade, qu’au seul vent du nord, qui souffle rarement en été. La rivière peut recevoir des bâtimens de cent tonneaux: ils y sont à l’abri de tous les mauvais temps, et à couvert des ennemis, (objet important alors), parce qu’on n’y peut entrer que quand la marée est haute; et que quand elle est basse, il n’y reste pas deux pieds d’eau, quoique dans la rivière même ils pussent être toujours à flot. D’ailleurs, cette entrée est facile à défendre, ayant, d’un côté, des montagnes inaccessibles, et de l’autre, une langue de terre qui fait une presqu’île d’une portée de mousquet de largeur au plus, et sur laquelle on peut construire un fort. Cette même langue de terre est aussi très propre à sécher le poisson, très abondant sur cette côte, depuis le Cap des Rosiers, qui est à l’entrée du fleuve, jusqu’à la rivière de Matane, c’est-à-dire dans l’espace de près de quatre-vingts lieues. On peut même faire la pêche des baleines encore quinze lieues plus haut. Pour ce qui est du terrain de Mont-Louis, il est propre à produire du froment, et toutes sortes de grains, et l’on y trouve de fort bons pâturages. Tous les navires qui montent à Québec passent à la vue de Mont-Louis, et l’on retirerait beaucoup d’utilité de ce poste, en le peuplant, pour secourir les bàtimens qui pourraient se trouver en peine, et manquer d’eau et de vivres, dans une navigation aussi longue et aussi périlleuse que celle du fleuve St. Laurent. Avec cela, on y avait découvert une carrière d’ardoise; il y a beaucoup de salpêtre, et un sauvage apporta, un jour, au sieur Riverin, un morceau de cuivre très pur, qu’il assurait avoir trouvé dans une ravine, entre deux montagnes. Enfin, quelques particuliers s’étant avisés d’aller pêcher dans ce havre y firent une pêche très abondante, quoiqu’ils manquassent de bien des choses nécessaires pour ce travail; et ce fut sur leur rapport que les associés du sieur Riverin consentirent à y faire leur établissement.”

Plusieurs habitans, étaient déjà partis en chaloupe pour s’y rendre, et un bâtiment chargé de sel et de toutes sortes de provisions était dans la rade de Québec, n’attendant qu’un vent favorable pour mettre à la voile, lorsque, vers la fin de Mai, le comte de Frontenac reçut l’ordre, dont il a été parlé, de se tenir en garde contre les Anglais, et de ne permettre à aucun vaisseau de descendre le fleuve. Il fallut obéir, et ce contretemps dégoûta entièrement les associés de M. Riverin. Il ne se rebuta pourtant pas lui-même: il sut encourager le petit nombre d’habitans qui étaient déjà à Mont-Louis; et l’année suivante, la pêche et la récolte y furent si abondantes, que tout le monde reprit cœur. Mais la suite ne répondit pas à cet heureux commencement.

Une bonne partie des troupes et des milices avait été sous les armes depuis le commencement du printemps jusqu’à la fin de l’automne, d’abord préparées à recevoir l’ennemi, qu’on attendait, ensuite à exécuter les ordres de la cour, quels qu’ils fussent; mais, remarque Charlevoix, si ces préparatifs ne servirent ni à repousser une seconde fois les Anglais de devant Québec, ni à faire sur eux des conquêtes, ils continrent du moins les Iroquois, et procurèrent aux habitans une tranquillité dont ils avaient presque perdu le souvenir.

Il ne restait plus, continue notre historien, qu’à humilier ces barbares de manière à les mettre entièrement et pour toujours hors d’état de troubler la colonie; et la chose paraissait facile avec les forces qu’on avait sur pied; mais avant de prendre sur cela une dernière résolution, M. de Frontenac voulait voir ce que produiraient les propositions qu’il avait faites, au mois de Novembre, aux quatre cantons supérieurs. Ces cantons lui avaient envoyé des députés pour lui demander la paix; et après leur avoir déclaré à quelles conditions il la leur accorderait, il leur avait donné jusqu’au mois de Juin de l’année suivante, pour prendre leur résolution, en les obligeant de lui donner des otages. Il projetta ensuite d’envoyer cinq à six cents hommes contre les Agniers, qui seuls n’avaient fait aucune démarché pour se reconcilier avec lui; mais lorsque tout était prêt pour cette expédition, il changea d’avis, sous le prétexte que les neiges n’étaient pas assez bonnes pour marcher dessus en raquettes.

Ce qui contribuait surtout à entretenir le comte de Frontenac dans l’espérance d’une paix prochaine avec les Iroquois, c’est qu’ils avaient essuyé plusieurs échecs dans la campagne précédente. Un parti d’Iroquois s’étant mis en campagne pour surprendre les Outaouais, fut découvert et entièrement défait par les Hurons. Un autre parti s’étant approché de Catarocouy, sous la conduite de la Chaudière-Noire, ce fameux chef Onnontagué dont nous avons déjà eu occasion de parler, fut surpris, près de la baie de Quinté, un parti d’Algonquins, qui en tua la moitié, parmi lesquels fut le chef lui-même, et prit sa femme et quelques autres prisonniers. Les Abénaquis s’étaient aussi rendus maîtres d’un fort situé à six lieues seulement de Boston.

Oureouharé arriva à Québec à peu près dans le même temps qu’on y apprenait ces nouvelles. Il assura que son canton de Goyogouin était sincèrement disposé à la paix. Peu de temps après son arrivée, ce chef tomba malade d’une pleurésie qui l’emporta en peu de jours. Il fut enterré avec les mêmes honneurs que l’on rendait aux capitaines des compagnies. Il fallait, dit Charlevoix, que ce sauvage eût dans le caractère quelque chose de fort aimable; car toutes les fois qu’il paraissait, soit à Québec, soit à Montréal, le peuple lui donnait mille témoignages d’amitié. M. de Frontenac le regretta d’autant plus, qu’il avait toujours compté sur son crédit pour, la conclusion de la paix avec les Iroquois. Oureouharé était chrétien depuis plusieurs années; et c’est de lui qu’on a dit, que son confesseur lui parlant, dans sa dernière maladie, des opprobres et des ignominies de la passion de Jesus-Christ, il entra dans un si grand mouvement d’indignation contre les Juifs, qu’il s’écria: “Que n’étais-je là! je les aurais bien empêché de traiter ainsi mon sauveur.”

Au mois de Février, quatre Anglais arrivèrent d’Orange à Montréal, apparemment pour traiter de l’échange des prisonniers; et ce fut par eux qu’on eut la première nouvelle de la paix entre les puissances de l’Europe. Cette nouvelle fut confirmée, au mois de Mai, par l’arrivée du colonel Schuiller, major d’Orange, et du ministre Dellius, qui ramenaient une vingtaine de prisonniers français. Ils présentèrent au comte de Frontenac une lettre du chevalier de Bellamont, gouverneur général de la Nouvelle York, laquelle était datée de New-York, le 22 Avril, et portait en substance:

Qu’il lui envoyait les articles de la paix qui avait été publiée à Londres, au mois d’Octobre; que MM. Schuiller et Dellius, porteurs de sa lettre, lui amenaient tous les prisonniers français qui s’étaient trouvés entre les mains des Anglais dans la Nouvelle York; que quant aux prisonniers qu’avaient faits les Iroquois, il enverrait ordre qu’ils fussent mis en liberté au plutôt, avec une escorte pour les mettre à l’abri de tout danger, s’il était nécessaire; qu’il ne doutait pas que, de son côté, M. de Frontenac ne fit relâcher tout ce qu’il avait de prisonniers, soit Anglais, soit sauvages sujets du roi de la Grande-Bretagne, tels qu’étaient les Iroquois.

M. de Frontenac lui répondit, par une lettre datée de Québec, le 8 Juin, que quoiqu’il n’eût pas encore reçu du roi son maître la confirmation de la paix, il ne ferait aucune difficulté de remettre à MM. Schuiller et Dellius les Anglais et les Hollandais qui étaient prisonniers dans son gouvernement, et qui voudraient bien s’en retourner; qu’il n’avait jamais refusé de faire ces échanges, même au fort de la guerre, malgré le mauvais traitement qu’avaient éprouvé de la part des Anglais le capitaine de Villieu et plusieurs autres prisonniers français; qu’il ne pouvait comprendre qu’il eût chargé ses envoyés de redemander les Iroquois prisonniers dans la Nouvelle France; en promettant de faire mettre en liberté les Français qui étaient captifs chez eux; que ces peuples étant, depuis l’automne dernier, en pourparler avec lui, et lui ayant laissé des otages, peur sûreté de leur parole, c’était à ceux qu’il avait à faire; qu’il était inutile de se donner la peine de se mêler de cette négociation, puisque les Iroquois avaient toujours été regardés comme sujets du roi de France, même avant que les Anglais fussent devenus maîtres de la Nouvelle York; qu’il avait des ordres si précis de ne se point départir de ce principe, qu’il ne pouvait se dispenser d’y obéir, jusqu’à ce qu’il en eût reçut de contraires; qu’au reste, il avait pris de bonnes mesures pour empêcher les sauvages domiciliés dans la colonie française de continuer leurs hostilités contre les habitations anglaises; qu’il avait donné le même avis aux Cannibas et autres sauvages de l’Acadie, mais que comme ils étaient fort, éloignés de lui, et fort irrités de ce qu’on retenait plusieurs de leurs gens prisonniers à Boston, il appréhendait qu’ils ne se portassent à quelque extrémité fâcheuse, si l’on ne se hâtait de les satisfaire sur ce point.

MM. Schuiller et Dellius partirent avec cette réponse. Environ deux mois après, des Iroquois du Sault Louis, qui avaient été voir leurs parens dans le canton d’Agnier, descendirent à Québec, et apprirent à M. de Frontenac des nouvelles qui lui firent beaucoup de plaisir. Ils lui rapportèrent que pendant le séjour qu’ils avaient fait dans leur pays, le chevalier de Bellamont y avait tenu un grand conseil, où avaient assisté les anciens des cinq cantons; que les Agniers avaient débuté par lui déclarer qu’ils étaient les maîtres de leurs terres; qu’ils y étaient établis longtemps avant que les Anglais y eussent paru; que pour lui faire voir que tous les lieux occupés par la nation lui appartenaient en propre, ils allaient jetter au feu tous les papiers qu’on leur avaient fait signer, en diverses occasions; ce qu’ils firent sur-le-champ. Ils proposèrent néanmoins à M. de Bellamont d’arrêter les sauvages du Sault St. Louis qui étaient chez eux, jusqu’à ce que le gouverneur du Canada leur eût renvoyé tous les Iroquois qu’il retenait. Il n’osa pas consentir à cette proposition, craignant sans doute que l’odieux de la perfidie ne retombât sur lui. Il leur dit même que pour avoir la paix avec les Français, ils devaient la demander par une députation générale de toute la nation; qu’il voulait bien les aider à obtenir cette paix nécessaire à leur conservation; mais que pour cela, il était à propos qu’ils lui remissent tous leurs prisonniers, qu’il se chargerait de faire conduire à Montréal. Il ajouta qu’il savait que de tout temps ils avaient fait la guerre aux tribus qui se disaient alliées des Français; qu’il leur laissait la liberté de la continuer ou dé faire la paix; mais qu’il leur défendait toute hostilité contre les Français ou les sauvages domiciliés parmi eux.

Sur ce que les sauvages lui ajoutèrent que les anciens avaient agréé la proposition du chevalier de Bellamont; de lui livrer tous leurs prisonniers, mais sans déterminer le temps où cela se pourrait faire, M. de Frontenac comprit que le gouverneur anglais et les Iroquois se ménageaient mutuellement et se défiaient les uns des autres; que les derniers étaient bien aises de s’appuyer du premier pour faire leurs conditions meilleures; et que le chevalier voulait profiter de l’occasion pour établir le droit de souveraineté de la Grande-Bretagne sur les Cantons. Il crut qu’il ne serait pas impossible de se servir de ces dispositions des uns et des autres pour les diviser; et que le moyen le plus probable d’y parvenir était de gagner les Iroquois, en leur persuadant que les Anglais voulaient disposer en maîtres de leur pays et de leurs personnes.

Dans cette vue, ayant appris que des Agniers étaient venus au Sault St. Louis, pour y visiter aussi leurs parens, non seulement il envoya recommander à ceux-ci de les bien traiter, mais il les fit même inviter à aller à Montréal, où, par son ordre, on n’oublia rien pour les bien régaler, et leur témoigner, le plaisir qu’on avait de les voir. “C’était, dit Charlevoix, quelque chose de bien flatteur pour ces sauvages, de se voir ainsi recherchés de deux puissances, dont chacune pouvait les détruire en moins d’une campagne, et dont ils avaient su mettre si utilement en œuvre la jalousie mutuelle, pour se faire craindre, et en quelque façon, respecter de l’une et de l’autre.”

Une seconde lettre du chevalier de Bellamont, datée de New-York, le 13 Août, confirma M. de Frontenac dans la pensée qu’il n’y avait rien de mieux à faire, dans les conjonctures où l’on se trouvait, que de travailler à inspirer aux Iroquois de la défiance des Anglais, ou plutôt à augmenter celle qu’ils avaient déjà, de telle sorte qu’elle les engageât dans quelque démarche convenable aux intérêts des Français.

(A continuer.)

DECOUVERTE DE L’AMERIQUE.

VOYAGE DE CHRISTOPHE COLOMB.

Du port de Palos, Colomb cingla droit aux Canaries, où il arriva après dix jours d’une navigation dont les moindres évèmens furent recueillis avec un intérêt que la grandeur de l’entreprise peut seule justifier. Le gouvernail de la Pinta se rompit des la seconde journée. Les matelots, gens d’un esprit faible, virent dans cet accident le présage d’un mauvais succès, et témoignèrent déjà les craintes les plus vives. Chacun, d’ailleurs, reconnut l’insuffisance des navires, pour un voyage supposé devoir être long et dangereux. Avant de se remettre en route, Colomb les fit soigneusement réparer et fortifier; il embarqua des provisions fraîches, et le 6 Septembre, partit de Gomera, la plus occidentale des îles Canaries. De là, faisant voile à l’ouest, et laissant de côté les chemins déjà frayés, il s’élança dans une mer jusqu’alors inconnue. Lorsque, le second jour, les matelots eurent perdu de vue la terre, ils s’imaginèrent ne jamais la revoir; les uns, découragés et abattus, regrettaient leur patrie, pleuraient leurs parens, et passaient leur temps à prier; d’autres, faisant entendre les accens d’un plus violent désespoir, adressaient de vifs reproches à Colomb, qu’ils rendaient responsable de leur vie, en l’accusant d’une ambition démesurée, dont ses compagnons seraient les déplorables victimes. Mais Colomb, par un mélange aussi heureux que rare, joignait aux talens d’un grand navigateur, les talens nécessaires pour commander aux hommes, et manier les esprits: tantôt insinuant et persuasif, tantôt ferme sans être impérieux, il dut à ses discours de parvenir à consoler, à apaiser, à maintenir ses subordonnés, qui, plus d’une fois, pendant le voyage, renouvellerent et leurs plaintes et leurs menaces. La gravité de son maintien, l’assurance qu’il montrait dans les dangers, inspiraient à ceux qui avaient dans l’âme quelque élévation, une confiance qui relevait leur courage; quant aux autres, plus nombreux, l’espoir des richesses qui les attendaient nourrissait leur cupidité, en prolongeant leur persévérance.

Colomb veillait à la fois, et sur tous les gens de ses équipages, et sur l’exécution de toutes les manœuvres: toujours placé sur le pont, il semblait se reprocher quelques heures que la fatigue le contraignait de donner au sommeil; sans cesse il observait le mouvement des marées, la direction des courans, le vol des oiseaux, les poissons, les plantes marines, et tous les corps flottant sur la mer. Ses compagnons, s’éloignant de plus en plus des terres, et ne voyant plus aucun signe qui pût en faire soupçonner le voisinage, ne cessaient de manifester leurs craintes. Colomb employait différents moyens pour les rassurer; entr’autres, il leur déclarait chaque jour, un nombre de lieues moindre que celui qu’ils avaient réellement parcouru. Mais l’effroi devint général, lorsque, le 14 Septembre, à la distance de près de trois cents lieues à l’ouest des Canaries, on s’apperçut que l’aiguille aimantée ne se dirigeait plus exactement vers l’étoile polaire; mais à un degré plus ouest, différence qui croissait à mesure qu’on avançait. Abandonnés du seul et précieux guide que la nature a donné à l’homme, pour l’aider à se diriger sur les mers, nos navigateurs se crurent perdus sans ressource, au sein d’un océan sans bornes. Dans cette circonstance, Colomb déploya autant de présence d’esprit que d’adresse; il rendit à l’espérance ses gens consternés, en donnant de cet effet une explication qui leur parut fort claire; tandis que lui-même ne pouvait s’en rendre compte. Ce phénomène, qui n’inquiète plus aujourd’hui, n’est pas encore expliqué.

A quatre cents lieues environ des îles Canaries, la mer offrit l’aspect d’une vaste prairie; les plantes qui la couvraient se trouvaient en quelques endroits si touffues, qu’elles arrêtaient la marche des vaisseaux. Ici l’explication de Colomb parut aux matelots perdre toute sa clarté; ils pensèrent être arrivés au terme de toute navigation possible, et qu’infailliblement ils allaient périr. L’amiral mit, au contraire, un motif d’encouragement dans ce qui faisait le désespoir de ses gens; selon lui, ces herbes épaisses étaient le signe certain du voisinage de quelque terre. Les navigateurs s’efforçaient de partager la sécurité de leur chef, lorsqu’un vent frais vint heureusement les dégager de ces plantes importunes. On apperçut en même temps, et pour la première fois, quelques oiseaux étrangers voltiger autour des vaisseaux, et diriger leur vol vers l’ouest. Chacun reprit courage, et l’on convint de la justesse des conjectures de l’amiral. Mais cette favorable disposition des esprits ne devait pas subsister longtemps.

Colomb, d’après ses calculs, se trouvait, le 1er. Octobre, à sept cent soixante-dix lieues à l’ouest des Canaries: selon son usage, il n’en déclara que deux tiers environ à ses gens. Malgré cette précaution, il ne put empêcher le terreur de s’emparer de tous les équipages. On se croyait, plus que jamais, dans l’impossibilité de faire quelque découverte; les pronostics tirés du vol des oiseaux et d’autres circonstances, ne s’étaient point réalises; les assurance donnés par l’amiral avaient été trompeuses; enfin tout espoir s’était évanoui à l’aspect d’une mer incommensurable, qui ne semblait promettre qu’une navigation infinie et des dangers sans nombre. Les murmures s’accrurent de jour en jour; les discours des plus résolus entraînèrent les plus timides, et bientôt les trois vaisseaux furent en rébellion ouverte contre l’amiral, traité de misérable aventurier, qui, pour exécuter un plan chimérique, conduisait à une perte certaine les infortunés sujets d’un prince crédule, dont il avait usurpé la protection. On alla jusqu’à proposer de se débarrasser de Colomb, en le jettant à la mer. Sa mort, disait-on, donnerait la liberté de penser au retour, tandis que les vaisseaux se trouvaient encore en état de tenir l’eau. Toutefois, l’avis général fut que l’amiral serait contraint de prendre un parti qui assurât le salut de tous.

Colomb n’ignorait pas le complot qui se tramait contre lui; mais il affectait de n’en avoir aucune connaissance: l’air calme, le visage gai, mais l’agitation dans l’âme, il s’entretenait des succès qu’il avait obtenus, de ceux qu’il espérait: il parlait à chacun selon son caractère, adressant a celui-ci des consolations, à celui-là des reproches; il exagérait aux yeux des uns, l’opulence qui, bientôt, serait leur partage; aux autres, il rappellait leurs promesses faites devant Dieu et le roi.

Pendant qu’il s’occupait ainsi de comprimer leurs clameurs, quelques indices du voisinage des terres firent renaître quelques espérances, qui ne tardèrent pas à être suivies de nouvelles alarmes. La rébellion éclata enfin avec violence. On s’assembla tumultueusement sur le pont; on se livra à des menaces. Colomb tenta vainement de calmer les esprits; ses discours furent accueillis par des cris d’impatience et de rage, qui ne manifestaient que trop l’oubli du respect et de la subordination.

Contraint de composer avec les rebelles, Colomb conserva cependant assez de pouvoir sur eux, pour en obtenir un délai, qui suffit à l’accomplissement de son projet. Il leur promit solennellement de se conformer à ce qu’ils exigeaient de lui, à la condition qu’ils continueraient de le suivre et de lui obéir encore trois jours: passé ce terme, il s’engageait à abandonner son entreprise, et à les ramener en Espagne. On écouta sans murmurer sa proposition, et l’on n’eut pas lieu de s’en repentir. Dès ce moment, parurent, en grandes quantités, des troupes d’oiseaux: on put même en remarquer d’espèces habituées à ne point s’écarter de terre. Un matelot de la Pinta apperçut un roseau flottant, qui semblait fraîchement coupé, et une pièce de bois travaillée de main d’homme. Les gens de la Nigna trouvèrent une branche d’arbre avec des baies rouges très fraîches. L’air devenait plus doux, plus chaud: les nuages, autour du soleil, offraient un aspect différent; pendant la nuit le vent était inégal et variable. Tous ces signes, remplis de charmes et d’intérêt pour Colomb, ne lui permirent plus de douter qu’il ne fût très près de terre. Le soir du 11 Octobre, après une prière générale, il fit carguer les voiles, tenir les trois vaisseaux en panne, et veiller toute la nuit, de peur d’être poussé à la côte. Vers dix heures, appercevant dans le lointain une lumière, il appelle deux de ses principaux officiers, et tous trois reconnaissent que cette lumière, en mouvement, était portée d’un lieu à un autre. A minuit, on entendit crier de la Pinta: Terre! terre! terre!

Il est impossible de peindre la satisfaction, le bonheur que portèrent ces cris dans l’âme de nos navigateurs; ils allaient enfin voir cette terre désirée, et leurs tourmens étaient oubliés. Toutefois, après tant d’espérances trompées, quelques uns n’osaient encore se flatter d’un véritable succès; mais toutes les inquiétudes se dissipèrent avant la nuit. Au point du jour, on vit distinctement, à deux lieues au nord, une île plate et verdoyante, garnie de bois, arrosée de plusieurs ruisseaux, et présentant l’aspect d’un pays délicieux. Aussitôt la sécurité régna dans tous les cœurs: on se félicitait mutuellement; on s’embrassait, en versant des larmes de joie. Unis par les mêmes sentimens, les trois vaisseaux rendirent au ciel des actions de grâces dans un Te Deum chanté avec l’expression de la reconnaissance. Colomb devint ensuite l’objet de tous les hommages. On lui devait de grandes réparations: aussi, passant d’une extrémité à l’autre, ses gens, qui naguère l’avaient outragé, ne mirent plus de bornes à leur admiration; ils le regardèrent comme un homme inspiré par la divinité, et seul capable d’accomplir un dessein au-dessus des vues humaines. Se jettant à ses genoux, ils sollicitèrent de sa bonté un pardon qu’ils promirent de mériter par leur respect, leur soumission et la sincérité de leur repentir.

A ces démonstrations touchantes succède un tableau d’un autre genre: toutes les chaloupes garnies d’hommes, et dans un appareil militaire, s’avancent vers l’île, enseignes déployées, au son d’une musique guerrière. Attirés par la nouveauté de ce spectacle, les naturels accourent en foule sur la côte, et, par leurs gestes, par leurs regards, expriment à la fois leur étonnement et leur admiration. Colomb, richement vêtu et l’épée à la main, débarque, et le premier respire dans le Nouveau-monde. Ses compagnons le suivent: tous, à l’exemple de leur chef, se prosternent et baisent la terre; on élève un crucifix, et de nouvelles actions de grâces sont adressées à Dieu. Colomb procède ensuite, par un acte solennel, et en sa qualité de grand-amiral de la couronne de Castille et de Léon, à la prise de possession de l’île, au nom du roi Ferdinand son maître: il la nomme San-Salvador (Saint-Sauveur,)[1] et prend, en conséquence de son traité, le titre et l’autorité de vice-roi. (Beautés de l’Histoire d’Amérique.)


Les naturels la nommaient Guanahani. Dans ce premier voyage, (car il en fit encore trois ensuite), Colomb découvrit plusieurs autres des îles Lucayes, ou de Bahama, et celles de Cuba et d’Hayti. Il nomma cette dernière Hispaniola (Petite Espagne): elle a été plus connue ensuite sous le nom de Saint-Domingue, qui était celui de sa première et principale ville.—(Note de l’Editeur.)

TOPOGRAPHIE.

Lettre d’un des individus du parti qui a exploré le Saguenay et le pays adjacent jusqu’au lac St. Jean, datée de Tadoussac, Septembre 1828.

Je vous ai déjà transmis les renseignemens précieux et exacts qui m’ont été communiqués par Mr. Gauvreau, de la Malbaie, nu sujet des havres et de la navigation du Saguenay, ainsi que des terres et particularités des bords de cette rivière, et qui s’accordent presque en tout avec ce que j’ai observé de mes propres yeux. Je vais maintenant vous informer du résultat de mes observations immédiates et de mes opinions, à l’égard de l’étendue de pays qui vient d’être explorée, depuis le poste de Chicoutimy sur le Saguenay, jusqu’à celui de Metabitschouan sur le lac St. Jean, et tout autour de ce beau lac. Et pour, commencer par Chicoutimy, je vous dirai que, selon moi, ce poste est si éminemment propre à devenir un des principaux entrepôts d’une population étendue, dans la colonisation future de cette partie du Bas-Canada, et d’une importance essentielle pour la ville et le district de Québec, tant à cause de la quantité de terres fertiles qui se trouvent dans les environs, qu’à cause de la facilité de communiquer par eau dans toutes les directions, encore augmentée par la marée, qui s’élève à ce poste à près de vingt pieds, que quiconque est capable d’apprécier la valeur et l’avantage de telles ressources (à peine à cent milles de la capitale et du boulevart du pays par un chemin sur terre facile à pratiquer), ne peut qu’être étrangement surpris de voir qu’un si beau territoire, qui l’emporte en étendue et en fertilité sur plusieurs des états souverains de l’Europe (en Allemagne et en Italie), ait été jusqu’à présent entièrement négligé, et pour ainsi dire sacrifié, pour la misérable somme d’environ mille louis, ou au plus, et tout compté, de moins de deux mille livres, courant, de rente annuelle, en faveur d’une compagnie de coureurs de bois (Indian traders).

L’homme impartial, capable de se former une juste idée de la valeur et de l’importance future de cette belle et sûre rivière, de cette seconde, sinon de cette principale clef du Bas-Canada, ne saurait se rendre raison du peu de cas qu’en a fait jusqu’à présent le gouvernement local, ou doit en chercher l’explication dans la sagacité et l’adresse de la compagnie de traitans qui a joui jusqu’à cette heure exclusivement des profits provenant de la traite des pelleteries avec les sauvages, et dans l’influence qu’on sait que cette compagnie possédait, au temps de son opulence et de sa splendeur.

Les histoires merveilleuses et étonnantes que l’on débitait sur le Saguenay, comme inaccessible et innavigable, étaient bien propres à faire croire qu’il était destiné, comme autrefois, Carybde et Scylla, à être éternellement la terreur et l’effroi de tous les navigateurs. Le Saguenay, suivant ce qu’on nous disait, de même que l’infernal Acheron, n’avait point de fond à mille brasses de profondeur: ses tempêtes étaient des ouragans; ses écueils étaient plus dangereux que ceux de Scylla et d’Eddystone, que Tuskar et le Rocher Terrible; ses mascarets et ses tourniquets ressemblaient à celui de Maelstrom; ses joyeux marsouins et ses onctueux veaux de mer étaient autant d’affreux kracken des mers de Norvège. Les vaisseaux ne trouvaient point d’ancrage (parce qu’ils n’en cherchaient point), mais étaient obligés de s’attacher avec des cables aux énormes arbres des rivages; tandis qu’il est maintenant connu qu’en dépit et à la face de toutes ces prétendues horreurs, un parti nombreux, tout composé de marins de rivière, et dont une ou deux divisions se sont confiées à de frêles canots d’écorce, usés de vieillesse et faisant eau, de dix-huit pieds au plus de longueur, avec deux pagayeurs seulement pour les conduire, a exploré tout récemment, et parcouru en tout sens, ce noble bras de mer, (peut-être le véritable Bras-d’Or futur de ce pays).

Je ne prétends point par cette remarque blâmer aucunement la conduite des présents locataires ou fermiers de ces postes, de qui je dois dire, pour leur rendre la justice qui leur est dûe, qu’ils ont fourni au parti en question trois canots neufs, grands et solides. Mais le fait dont je viens de parler fut la conséquence de la nécessité où nous fûmes de nous partager en cinq différentes divisions, pour nous mettre en état d’explorer tout le pays dans un temps donné. Il est vrai qu’en remontant cette étonnante rivière, sur sa rive septentrionale, la nouveauté, la grandeur, la sublimité sauvage de ses paysages et de ses hauteurs hardies, combinées avec les effets décourageants d’un avant-goût particulièrement désagréable, provenant du temps horriblement mauvais que nous avions essuyé, dans les premières nuits de notre campement mal choisi sur le rivage, ne tendaient pas à nous désabuser des idées défavorables que nous nous étions faites sur le sujet; mais une connaissance plus intime de ses ressources, en cas de danger ou de difficulté, combinées avec la fréquence, la distance et l’inaccessibilité de ses lieux de refuge et de sureté, a entièrement dissipé toutes terreurs vaines et mal fondées. La rive méridionale surtout a d’excellents havres pour des vaisseaux de toutes sortes, comme on le peut voir par la description qu’en fait Mr. Gauvreau.

On verra par la communication de ce monsieur, fortement corroborée, comme elle l’est, et authentiquée en quelque sorte, par le journal de Mr. Proulx (l’arpenteur), qu’on trouverait peu de difficulté à ouvrir un chemin du fond de la baie des Ha-ha (excellent havre et beau site pour un établissement), jusqu’à la rivière des Aulnais, et conséquemment jusqu’à la Belle-Rivière, (qui sont toutes deux, comme vous savez, navigables pour des canots et des bateaux), au lac St. Jean. Par ce moyen, on éviterait la totalité, ou du moins une grande partie des portages et des rapides de cette belle chaine de lacs, et les produits futurs de cette vaste étendue de pays seraient amenés à ce poste avec facilité, et de là transportés par eau, et avec la marée, à Québec, ou ailleurs, suivant les circonstances.

Il est, dans le fait, évident qu’on pourrait, avec la plus grande facilité, pratiquer un chemin d’hiver direct et commode, pour cette communication éminemment utile, même dans les premières années d’un certain nombre d’établissemens. Ce serait un moyen puissant d’ouvrir un débouché aux ressources de ce beau district et d’y envoyer de Québec tous les articles de nécessité; d’où il résulterait un grand avantage pour la communauté entière.

C’est un fait notoire qu’en cette année 1828, la récolte du bled, au-dessus de Québec, y compris le district de Montréal et le Haut-Canada généralement, jusqu’à présent regardés comme les principales ressources pour les céréales, a presque entièrement manqué, le grain ayant gâté par la nielle; tandis que depuis la Malbaie, en descendant, même jusqu’au poste sur le lac St. Jean, le bled s’est trouvé d’une bonne qualité généralement. Il est vrai qu’il n’en a été semé à ce poste qu’une petite quantité, mais il s’est trouvé d’une très bonne qualité. Ç’a été également le cas à la Pointe ou au Port au Persil, à environ sept lieues au-dessous de la Malbaie; et j’ai dans les mains des preuves incontestables de ces deux faits.

Certainement cette circonstance devrait être un motif de plus pour induire à promouvoir rétablissement et à hâter la culture de ce beau pays, si récemment exploré. On a trouvé que les côtes et les rivages du lac St. Jean abondaient en carrières inépuisables de pierre à chaux et en couches étendues de belle marne, ces deux principes bien connus de fertilisation.

Ajoutez à cela qu’il y a une variété d’autres considérations importantes qui demandent l’attention prompte et immédiate d’un gouvernement vigilant et d’une législature sage et libérale, sur ce sujet. Les ports de Tadoussac et du Saguenay seuls méritent bien qu’on s’en occupe, comme étant capables d’admettre les plus gros vaisseaux, en toute sûreté, et plus tard l’automne, et comme étant situés au-dessous des grands dangers et difficultés de la navigation du fleuve, avec l’avantage d’avoir en vue, de jour et de nuit, le phare de l’Ile-Verte, (qui, dans l’opinion de juges compétents, serait beaucoup mieux placé sur l’Ile-Rouge), en même temps qu’on y est à l’abri de tout danger jusque tard en Décembre.

L’établissement et la culture des beaux districts en question, pourrait, à quelque époque future de l’histoire du pays, dans le cas possible, sinon probable, où une armée ennemie se serait rendue maîtresse du pays intermédiaire entre Québec et Montréal, fournir des approvisionnemens considérables, tant par terre que par eau, et en parfaite sûreté, à la garnison de Québec, et par là sauver la colonie; car il est à peine possible que l’un ou l’autre de ces canaux de communication pût être interrompu par une force ainsi située au-dessus; et le promontoire ou l’isthme du Rocher, qui se trouve entre deux, et qui commande en même temps et le port de Tadoussac et l’étroite entrée du Saguenay, paraît susceptible d’être rendu à peu près imprenable.

L’écrivain qui appuie sur les avantages importants et manifestas qu’offrent ces beaux districts, auxquels jusqu’à présent les voyageurs et autres semblent n’avoir fait aucune attention, et sur la nécessité impérieuse de les occuper et de les coloniser promptement, court sans doute le risque d’être regardé comme un visionnaire bâtisseur de châteaux en Espagne; et comme un rêveur d’El Dorado et de Pays de Cocagne, s’il se hazarde à pronostiquer l’importance future de ces vastes contrées. Il est néanmoins manifeste et très évident que la Grande-Bretagne a peu connu jusqu’à présent l’immense valeur, l’étendue et l’importance de ces colonies, non plus que la facilité démontrable de les gouverner et de se les attacher par les plus forts et les plus indissolubles de tous les liens, ceux de l’intérêt, de la commodité et de la sûreté mutuels.

La fertilité et la diversité du climat et du sol de ces provinces sont si parfaitement analogues et semblables à ce qui se voit en Russie, qu’il n’est pas besoin d’un grand effort d’imagination pour s’attendre, qu’à quelque époque future, les grandes sommes d’argent que l’Angleterre donne annuellement à ce pays, pour chanvre, filasse, fer, bois, grain, suif, toile, &c. pourront passer par ce canal plus naturel, pour l’avantage mutuel de tous les sujets britanniques; et il paraît extrêmement probable que les districts nouvellement explorés auront leur part proportionnée des heureux effets qui résulteront de ces échanges. Qui sait si les siècles futurs ne verront pas un nouveau Petersbourg dans Québec, une Riga dans Tadoussac, une Moscou sur le lac St. Jean, Une Odessa dans Montréal, et un Astracan dans Kingston, ou quelque ville future sur la rivière des Outaouais ou le canal de Welland.

Ces jeux d’imagination sont sans doute hors de la portée des espérances ou des vœux que pourrait former le présent siècle de les voir réalisés; mais de plus grandes improbabilités sont renfermées dans le sein du temps.

LES POMPIERS INCOMBUSTIBLES.

Le célèbre professeur Aldini, membre de l’institut de Milan, vient de découvrir un moyen de préserver les pompiers de l’action des flammes. Cette importante découverte a été constatée par des expériences publiques: nous souhaitons qu’elle reçoive en France une prompte application, et c’est dans le dessein de la recommander à l’attention de nos savans et de nos administrateurs que nous croyons devoir publier les détails qu’on va lire. L’intérêt en fera excuser la longueur; nous en garantissons l’exactitude, car nous la puisons dans une relation circonstanciée écrite par l’inventeur lui-même. Son témoignage est le plus respectable de tous ceux que nous puissions invoquer.

L’étude de la physique et de la chimie appliquée aux arts a conduit M. Aldini à se convaincre que les hauberts ou jaques de mailles, dont nos aïeux faisaient usage à la guerre, avaient la propriété d’intercepter l’action directe de la flamme; mais cette propriété était insuffisante, car les mailles métalliques ne peuvent empêcher la communication de la chaleur, qui dans un vaste incendie acquiert assez d’intensité pour mettre la vie en péril à une certaine distance du foyer. Il a fallu combiner les mailles avec des substances cohibantes du calorique. L’amiante est de toutes ces substances celle qui est le plus puissamment douée de cette qualité. M. Aldini a donc fait fabriquer des armures complètes en mailles formées de métal et d’amiante.

Restait à éprouver l’efficacité de ce préservatif. M. Aldini en a fuit l’expérience dans son laboratoire à Milan, en présence d’une députation municipale, de plusieurs membres de l’Institut impérial et de plusieurs officiers du génie ainsi que du capitaine des pompiers. Cette expérience a eu lieu le 3 décembre 1827, et il en a été dressé un procès-verbal dont l’original est déposé dans les archives de la ville. Ce procès-verbal constate que les pompiers vêtus de l’armure exposèrent impunément leurs mains, leurs pieds, même leur visage, à l’action de la flamme, sans ressentir la moindre gène dans la respiration, sans même éprouver une augmentation sensible de chaleur. Ils demeurèrent au milieu du feu pendant cinq minutes, espace de tems suffisant pour sauver un homme et mettre en sûreté des objets précieux. On employa dans cette expérience des gants, des bottes et des bonnets mis en articulation par des mailles de métal combinées avec de l’amiante. On vit des pompiers manier des braises, des corps ardents, marcher pendant cinq minutes sur une grille de fer sous laquelle étaient des fagots enflammés. Ainsi les lois de la physique donnent l’explication de l’heureux résultat de quelques-unes de ces épreuves aux-quelles la barbarie du moyen âge soumettait les accusés.

Les mailles construites par les soins de M. Aldini sont légères, flexibles, et articulées de manière à laisser au pompier la liberté et la célérité de ses mouvemens. Il peut, au besoin, s’en dépouiller, et les suspendre à l’ouverture d’une chambre incendiée pour empêcher le passage du feu et la communication de la chaleur dans les pièces voisines.

Au moyen d’une préparation particulière donnée à l’amiante, M. Aldini a obtenu d’un morceau de ce singulier minéral, long d’un décimètre seulement, des fils aussi déliés que ceux de la soie et longs d’un mètre. Il ne peut cependant se dissimuler que des tissus de cette nature sont fort coûteux; il a donc cherché à substituer à l’amiante d’autres substances rendues incombustibles au moyen de divers procédés chimiques, et il espère pouvoir bientôt résoudre ce problème.

L’auteur de cette belle découverte a aussi trouvé que les réseaux métalliques n’ont pas seulement la propriété d’arrêter le passage des flammes, mais encore de les éteindre.

Une maladie grave interrompit les travaux auxquels l’illustre savant se livrait sans relâche. Cependant, le 29 mars dernier, il renouvela ses expériences dans sa propre maison. Précédemment, il avait été obligé de se lancer le premier au feu, malgré son grand âge, pour encourager les pompiers. Cette fois les pompiers le dispensèrent de cette épreuve, et s’y soumirent sans hésiter. L’un d’eux traversa trente fois de suite les flammes, au milieu d’une épaisse fumée, qui, dans une chambre voûtée, incommodait fort les spectateurs, parmi lesquels se trouvaient M. de Champ-la-Garde, consul général de France à Milan; M. Magnacaretto, lieutenant des pompiers, et M. Mylius, directeur de l’Académie impériale de Petersbourg.

D’autres expériences eurent lieu à Pavie les 31 mars et 1er avril derniers, non plus dans un endroit fermé, mais en plein air; elles furent exécutées par le corps des pompiers de cette ville. Un d’eux traversa les flammes douze fois de suite, un autre vingt-quatre fois. Ce dernier entra dans le feu, tenant à la main une cage, afin d’y faire des expériences sur les animaux à sang chaud. La cage fut déposée au milieu du feu pendant une minute entière, et reprise par le pompier, dans le dernier trajet, sans que les animaux qui y étaient renfermés eussent éprouvé la moindre souffrance. L’espace enflammé qu’il fallait traverser était à peu près de sept mètres de longueur, et la flamme s’élevait quelquefois au-dessus de deux mètres. Cette expérience a été faite dans le local de la clinique, en présence du maire, des professeurs et des étudians de l’université. Les professeurs MM. Hildebrand et Platner examinèrent l’état physiologique des pompiers après les épreuves, et reconnurent qu’aucun trouble n’avait été porté dans l’économie animale. Le célèbre professeur M. Scarpa examina très attentivement les armures, et indiqua plusieurs changemens à faire dans la construction du masque d’amiante, et dans la forme des lunettes qui y sont adaptées.

M. Aldini a fait plusieurs applications utiles de son appareil calorifuge; il a perfectionné la lampe de sûreté de Davy et en a tellement simplifié la construction, qu’elle pourra désormais être livrée à un prix modique, et employée aux usages les plus vulgaires. Quatre Mémoires lus à l’institut de Milan contiennent la description de plusieurs modes d’application du même système, tels qu’un tabouret isolateur du calorique, lequel doit être posé sur des corps enflammés, et un bouclier angulaire garni d’un réseau métallique pour détourner la direction des flammes, sans dérober au pompier la vue des objets qu’il rencontre.

L’illustre savant se rend lui-même un témoignage qui ne sera pas contesté. “Je me flatte, dit-il, qu’on se persuadera que je ne cherche pas à m’attirer une admiration stérile, et que je n’ai d’autre but que de me rendre utile à la société.”

LE GYMNOTE ELECTRIQUE.

Parmi les animaux les plus dignes de fixer l’attention du physicien, le gymnote, auquel on a donné jusqu’à présent le nom d’électrique, doit occuper un des premiers rangs. L’explication des effets remarquables qu’il produit, dans un grand nombre de circonstances, se lie nécessairement avec la solution de plusieurs questions des plus importantes pour les progrès de la physiologie et de la physique proprement dite.

Quoique l’épithète d’électrique ait déjà été donnée à cinq poissons d’espèces très différentes, le gymnote, que nous allons décrire, est celui qui a le plus frappé l’imagination du vulgaire, excité l’admiration du voyageur et étonné le physicien. Quelle a dû être en effet la surprise des premiers observateurs, lorsqu’ils ont vu un poisson, en apparence très faible, assez semblable, d’après le premier coup d’œil, à une anguille ou à un congre, arrêter soudain, et malgré d’assez grandes distances, la poursuite de son ennemi ou la fuite de sa proie, suspendre à l’instant tous les mouvemens de sa victime, les dompter par un pouvoir aussi invincible qu’irrésistible, les immoler avec la rapidité de l’éclair, au travers d’un très large intervalle, les frapper comme par enchantement, les engourdir et les enchainer, pour ainsi dire, dans le moment où ils se croyaient garantis par l’éloignement, de tout dans danger et même de toute atteinte.

C’est surtout auprès de Surinam qu’habite le gymnote électrique; il paraît même qu’on n’a encore observé le véritable gymnote que dans l’Amérique méridionale, dans quelques parties de l’Afrique occidentale et dans la Méditerranée. Cet animal parvient ordinairement jusqu’à la longueur d’un mètre, un ou deux décimètres (un peu plus de trois pieds,) et la circonférence de son corps, dans l’endroit le plus gros, est alors de trois à quatre décimètres: il a donc onze ou douze fois plus de longueur que de largeur. Sa tête est percée de petits trous ou pores très sensibles, qui sont les orifices des vaisseaux destinés à répandre sur sa surface une liqueur visqueuse: des ouvertures plus petites, mais analogues, sont disséminées, en très grand nombre, sur son corps et sur sa queue. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit enduit d’une matière gluante très abondante. Sa peau ne présente d’ailleurs aucune écaille facilement visible. Son museau est arrondi; sa mâchoire inférieure est plus avancée que la supérieure; ses dents sont nombreuses et acérées, et l’on voit des verrues sur son palais, ainsi que sur sa langue, qui est large. Les nageoires pectorales sont très petites et ovales; celles de l’anus s’étendent jusqu’à l’extrémité de la queue, dont le bout, au lieu de se terminer en pointe, parait comme tronque. Quant à la couleur du gymnote électrique, elle est noirâtre, et relevée par quelques raies étroites et longitudinales d’une nuance plus foncée.

Lorsqu’on touche cet animal avec une seule main, on n’éprouve pas de commotion, ou on n’en ressent qu’une extrêmement faible; mais la secousse est très forte lorsqu’on applique les deux mains sur le poisson, et qu’elles sont séparées l’une de l’autre par une distance assez grande; ainsi que dans les expériences électriques. Le coup reçu par le moyen des deux mains peut-être assez fort pour donner aux deux bras une paralysie de plusieurs années. Mais, pour que le gymnote jouisse de tout son pouvoir, il faut qu’il se soit, pour ainsi dire, progressivement animé. Les premières impressions qu’il fait éprouver ne sont pas ordinairement les plus fortes; elles deviennent plus vives à mesure qu’il s’évertue, s’agite, s’irrite: elles sont terribles lorsqu’il est livré à une espèce de rage.

Cependant on assure que certaines personnes, et particulièrement les femmes qui ont une fièvre nerveuse, peuvent toucher un gymnote électrique sans ressentir de secousses; et d’après les observations faites dans la Caroline méridionale, par un célèbre physicien, Henry Collins Flag, il est constant que plusieurs Nègres, plusieurs Indiens, et d’autres personnes, n’ont pu arrêter le cours de la vertu électrique ou engourdissante du gymnote de Surinam, ni interrompre une chaine préparée pour son passage, tandis que cette interruption a été produite par une femme qui était atteinte d’une maladie à laquelle plusieurs médecins donnent le nom de fièvre hectique.

Les métaux, l’eau, les corps mouillés, et toutes les autres substances conductrices de l’électricité, transmettent la vertu engourdissante du gymnote. Voila pourquoi on est frappé au milieu des fleuves, quoiqu’on soit à une assez grande distance de l’animal: voila pourquoi encore les petits poissons, pour lesquels cette secousse est beaucoup plus dangereuse, éprouvent une commotion dont ils meurent à l’instant, quoiqu’ils soient éloignés de plus de cinq mètres de l’animal torporifique.

Nous croyons ne pouvoir mieux terminer cet article, qu’en citant un fait arrivé tout récemment, au jardin du roi, où un gymnote avait été apporté d’Amérique. Plusieurs savans s’étant plu à répéter sur cet animal, le premier qu’on eût encore vu en France, les expériences du célèbre voyageur, M. de Humbold, et tous ayant éprouvé des secousses plus au moins sensibles, M. le docteur Janin de St. Just voulut voir si, en saisissant et pressant l’animal avec les deux mains, l’effet qu’il produirait sur lui serait plus ou moins considérable. Mais à peine eut-il commencé cette épreuve, qu’il ressentit plusieurs commotions d’une force extraordinaire, et telles que la pile de volta n’en fit jamais éprouver à personne. Mais une circonstance remarquable et qui lui fit éprouver un danger réel, c’est qu’il lui devint impossible de rendre la liberté à l’animal, dont les mouvemens ébranlaient toute son organisation. Une contraction involontaire le lui faisait même serrer avec une force bien supérieure à celle qui lui est naturelle, et plus il serrait, plus les secousses électriques devenaient violentes; elles lui arrachèrent même des cris qui effrayèrent tous les assistans, au nombre desquels se trouvaient MM. Alibert, Geoffroy-St. Hilaire, Serre et Larrey. On craignait pour sa vie, et il n’est pas douteux que si cet état se fût prolongé, il n’eût amené bientôt la mort. On ne savait quel secours porter au docteur Janin: Lâchez! lâchez! lui criait-on; mais il n’était pas maître de suivre ce conseil. Heureusement il lui vint dans l’idée de replonger le gymnote dans son baquet; ses mains ne furent pas plutôt mouillées, que le contact de l’eau, excellent conducteur du fluide électrique, lui rendit la liberté de se débarrasser de son ennemi.

C’est ainsi que le docteur a échappé à une mort certaine, s’estimant trop heureux d’en être quitte pour de vives douleurs dans toutes les parties du corps, et particulièrement dans les épaules. Ces douleurs ont duré plusieurs jours, et ont même rendu impossible, pendant vingt-quatre heures, tout mouvement du bras droit, lequel était douloureux au toucher, comme s’il eût été atteint d’un violent rhumatisme.—(Merveilles du Monde, 1825.)

LANGUE MUSICALE.

L’Académie royale des Beaux-Arts vient de publier un rapport sur la langue musicale, inventée par M. Sudre. Ce musicien a développé la méthode de sa langue musicale devant la commission chargée d’en faire l’examen. M. Sudre l’a parlée sur son violon, l’a écrite avec des signes musicaux, et la traduction en a été faite à l’instant par son élève Deldevez, âgé de onze ans. Plusieurs expériences ont été réitérées; toutes ont réussi; l’enfant a toujours traduit ce qui lui était transmis musicalement par son maître, et cette traduction a été toujours conforme à ce que plusieurs membres de l’institut avaient dicté. La commission, dont les membres étaient MM. Cherubini, Lesueur, Berton, Catel, Boyeldieu, de Prony, Arago, Fourier et Raoul-Rochette, a reconnu que l’auteur avait parfaitement atteint le but qu’il s’était proposé, celui de créer une véritable langue musicale. La commission a donc pensé, qu’offrir aux hommes un nouveau moyen de se communiquer leurs idées, de se les transmettre à des distances éloignées et dans l’obscurité la plus profonde, était un service rendu à la société, et que surtout dans l’art de la guerre, l’emploi de ce langage, pourrait, en certains cas, devenir très utile, et servir de télégraphe nocturne, dans les circonstances où les corps militaires ne peuvent se communiquer les ordres nécessaires à l’exécution de tels ou tels mouvemens. Plusieurs instrumens à vent seraient propres à l’emploi de ce moyen; je pense pourtant qu’un jeu d’orgue portant seulement une gamme du jeu de clairon donnerait les résultats les plus satisfaisants.

Il n’est pas d’état-major dans lequel on ne rencontre un officier sachant la musique, et dix leçons suffisent à un musicien pour parler, écrire et traduire la langue de M. Sudre. L’officier recevrait l’ordre de son général, le traduirait musicalement, et le ferait transmettre d’une rive ou d’un camp à l’autre, par un des musiciens de son corps. Cette expérience a été faite, à minuit, du pont des Arts au pont Royal, et elle a parfaitement réussi; il est inutile de dire qu’en rase campagne, ou sur des hauteurs, la portée du son serait infiniment plus longue. Par le moyen des différentes combinaisons des sons et des valeurs, il sera très facile d’obtenir des variétés de transmissions de ce langage, afin de prévenir les inconvéniens d’une transmission donnée en signes dont tout le monde aurait l’intelligence.

L’invention de M. Sudre est ingénieuse et simple; j’ai parlé d’un jeu de clairon renfermant une octave; cette petite échelle est plus que suffisante pour exprimer tout ce que l’on voudra faire entendre: je pense même que les trois sons, ut, mi, sol offriraient assez de combinaisons au moyen de l’immense variété de rhythmes que l’on pourrait introduire dans les phrases télégraphiques.—Journal Français.

THEATRE.

Comedie.—Nous devons la comédie aux Grecs, ou pour mieux dire, nous leur devons toute notre littérature: ce sont eux qui nous ont servi de modèles, et nous ne pouvions mieux choisir. On fait remonter la naissance de la comédie aux poëmes informes que chantaient les vendangeurs, dans l’Attique: déguisés en satyres, en silènes, et montés sur les charriots qui allaient du pressoir à la vigne, ces vendangeurs se tournaient mutuellement en ridicule et adressaient des injures aux passans. Ces jeux grossiers donnèrent à quelques poëtes l’idée de composer des ouvrages propres à faire rire, et d’aller de village en village les réciter, élevés sur des charriots ou sur des tréteaux. La licence de ces poëmes força les magistrats à défendre l’entrée des villes à ces nouveaux acteurs; cette défense fut cause que la comédie était encore inconnue à Athènes, dans le temps même où la tragédie avaient déjà atteint sa perfection. Enfin, on l’admit dans cette ville, et même du temps de Pericles, on proposa des prix aux acteurs et aux poëtes comiques. Cet encouragement lui fit prendre une face nouvelle: elle devint un poëme régulier, à l’imitation de la tragédie; mais elle conserva sa première licence, et au lieu de peindre les mœurs en général, elle s’attaqua aux principaux citoyens et aux magistrats eux-mêmes.

Ce genre de pièces comiques, qui s’appelle l’ancienne comédie, subsista jusqu’au temps où Alcibiade gouverna la république. Il fut alors défendu aux auteurs de nommer dans leurs ouvrages aucun homme vivant. Pour se conformer à la loi, les poëtes choisirent en effet des noms supposés, mais ils désignèrent si bien les personnes qu’ils voulaient livrer au ridicule, et ils firent faire des masques si ressemblants, que le public ne manquait jamais de prononcer le nom que l’acteur n’avait pas le droit de faire entendre. Ce nouveau genre fut appellé la moyenne comédie. Il fallut encore réprimer cette licence; et, heureusement pour l’art, les auteurs furent obligés d’étudier et de peindre l’homme en général: ce fut alors que la comédie exista véritablement.

Les Romains imitèrent la comédie des Grecs, et ce fut Livius Andronicus qui, le premier, l’an 514 de la fondation de Rome, fit représenter des pièces régulières. Avant cette époque, on n’avait d’autre spectacle comique que les vers fescennins, chansons grossières et satiriques, que l’on accompagnait de danses et de postures indécentes. Plaute, qui vint après Livius Andronicus, porta la comédie à un haut point de perfection. Terence fit mieux encore: ses pièces sont plus châtiées et mieux écrites; mais elles ont moins de comique et de force.

En France, l’origine de la comédie, ou plutôt dû théâtre, peut remonter jusqu’à Charles V. Le premier essai s’en fit à St Maur, bourg des environs de Paris; et comme le sujet était la passion de Jésus-Christ, les acteurs prirent le titre de confrères de la passion. Ils obtinrent pour leur établissement des lettres en date du 4 Décembre 1402. François I confirma leurs privilèges en 1518. Ces pièces religieuses eurent de la vogue pendant un siècle et demi: on commença alors à jouer des sujets profanes et des bouffonneries. Etienne Jodelle est le premier qui traita les sujets sérieux, à là manière des Grecs et des Romains, sous Charles IX et Henri III. Jean Baif et Laperuse marchèrent sur ses traces. Garnier, qui vint après, les surpassa sans cependant aller bien loin. Ce fut Corneille qui donna sa véritable forme à la comédie, et Moliere, qui vint après atteignit à un tel degré de perfection, qu’il semble aux meilleurs poëtes qu’il n’est plus possible que d’approcher plus ou moins de cet inimitable peintre de l’homme.

Tragedie.—La tragédie ne fut, au commencement, qu’un hymne que l’on chantait, en dansant, en l’honneur de Bacchus. Les Athéniens introduisirent dans cette cérémonie des chœurs de musique et des danses réglées. Thespis y fit entrer le premier, un acteur qui récitait quelques discours pour donner le temps aux musiciens et aux danseurs de se reposer. On nomma les récits de cet acteur épisodes. Peu à peu ces épisodes frimèrent la tragédie, et les chœurs n’en furent plus que les accompagnemens. Environ cinquante ans après Thespis, Eschyle mit deux acteurs dans les épisodes, en leur donnant des masques, des habits convenables aux personnages qu’ils représentaient, et des cothurnes ou chaussures élevées. Sophocle et Euripide vinrent ensuite. Ils perfectionnèrent encore la tragédie et en firent un spectacle touchant, par la manière dont ils surent mettre en jeu les plus grandes passions et les plus grands sentimens qui puissent occuper le cœur de l’homme.

Les Romains ne connurent la tragédie qu’environ l’an de Rome 514, c’est-à-dire 160 ans après Sophocle et Euripide. Leurs premiers poëtes tragiques ne furent que les traducteurs des pièces grecques. Quintilien parle avec beaucoup d’avantage de la Médée d’Ovide; mais de toutes les tragédies des Romains nous n’avons que celles de Seneque.

Nos premières tragédies, quoi qu’imitées des auteurs grecs, n’étaient que des ouvrages informes et sans esprit. Ce fut Corneille qui tira notre théâtre de la barbarie, et il le fit briller d’un vif éclat, lorsqu’il donna le Cid, en 1643. Cette pièce, qui ne pouvait être comparée avec rien de ce que nous possédions dans notre langue, devint l’objet de l’admiration générale; bientôt on dit, par forme de proverbe, “cela est beau comme le Cid.” Cependant Corneille pouvait s’élever plus haut encore, et il le prouva en donnant Cinna, Rodogune et Polyeucte. En ouvrant la carrière, il semblait n’avoir laissé aucun espoir à un concurrent; Racine se présenta, et se plaça bientôt à côté du vainqueur. Ses moyens étaient différents: il peignit sur le théâtre les passions avec un art et dans des termes qui firent de ces pièces l’école du bon goût en tous genres. Corneille avait été sublime, mais incorrect; Racine eut de l’élévation et de la grandeur, quand il en fallut, et fut toujours pur et harmonieux. Crebillon, qui vint ensuite, quoique d’un mérite bien inférieur à ces maîtres de la scène, eut aussi ses beaux momens; et si son but fut de rendre la tragédie terrible, il y réussit au moins d’une manière qui lui fut glorieuse. Surpasser de tels hommes était un honneur auquel il eût semblé téméraire de prétendre; cependant Voltaire se plaça au-dessus de Crébillon, et mérita quelquefois d’être comparé à Corneille et à Racine.

Opera.—L’opéra prit naissance à Venise, et nous fut apporté à Paris, en 1669, par l’abbé Perrin. Lulli et Quinault, l’un par l’agrément de sa musique, et l’autre par la beauté de ses poëmes, portèrent nos opéras à un haut point de perfection.—(Petit Dictionnaire des Inventions &c.)

SUR LE SALON DES TABLEAUX DE 1777.

Il est au Louvre un galetas

Où, dans un calme solitaire,

Les chauves-souris et les rats

Viennent tenir leur cour plénière.

C’est là qu’Apollon, sur leurs pas,

Des beaux-arts ouvrant la carrière,

Tous les deux ans tient ses états,

Et vient placer son sanctuaire.

C’est là, par un luxe nouveau,

Que l’art travestit la nature:

Le ridicule est peint en beau;

Les bonnes mœurs sont en peinture,

Et le bourgeois en grand tableau

Près d’Henri quatre en miniature.

Chaque figure, à contre-sens,

Montre une autre âme que la sienne;

St. Jérôme y ressemble au Tems,

Et Jupiter au vieux Sylène.

C’est là qu’un commis ignoré.

Narcisse épais et subalterne,

Croit dans un beau cadre doré

Nous montrer l’homme qui gouverne.

C’est là qu’on voit des ex-voto,

Des Amours qui font des grimaces,

Des caillettes incognito,

Des laiderons qu’on nomme Graces,

Des perruques par numéro,

De beaux pantins sous des cuirasses,

Des inutiles du haut rang,

Des importans de bas mérite;

Plus d’un Midas en marbre blanc;

Plus d’un grand homme en terre cuite;

Jeunes morveux bien vernissés,

Vieux barbons à mine enfumée...

Voila les tableaux entassés

Sous l’angar de la Renommée;

Et selon l’ordre et le bon sens,

Tout s’y trouve placé de sorte,

Qu’on voit l’abbé Terray dedans,

Et que Sully reste à la port.

 

               M. DE VILLETTE.

MES PENSÉES.

Les pensées, ou plutôt les réflexions qui suivent, ne datent pas d’aujourd’hui, mais d’il y a environ dix ans. Quoique j’en doive dire ce que j’en disais alors, que les unes n’offrent rien de neuf, et les autres rien de bien saillant, j’espère qu’on ne trouvera pas mauvais que je les transporte, du moins en partie, dans un journal qui est probablement destiné à vivre un peu plus longtemps que celui où elles ont été publiées originairement. Mais, pourra-t-on me dire, si parmi ces réflexions, quelles qu’elles puissent être, il y en a qui n’offrent rien de neuf, comment pouvez-vous dire qu’elles vous appartiennent? Il y a deux manières de posséder, en propre, ou exclusivement, et en commun. Ce qui est dit ici pour la première fois n’appartient qu’à moi; ce qui a déjà été dit par d’autres, sans que je le sache, m’appartient aussi sans cesser d’être la propriété de mes devanciers. On dirait peu de chose à présent, si l’on voulait ne dire que ce qui n’a jamais été dit, et je ne vois de véritable plagiaire que celui qui copie, le livre à la main, ou de mémoire, et sans citer. Enfin, si pour si peu de chose, je pouvais me croire auteur, je citerais les vers suivants d’un poëte dont je ne me rappelle pas le nom:

Dis-je quelque chose assez belle,

L’antiquité toute en cervelle

Me dit: Je l’ai dit avant toi.

C’est une plaisante donzelle:

Que ne venait-elle après moi?

J’aurais dit la chose avant elle.

Et qu’un poëte Canadien a rendus ainsi en vers latins:

Scripsero si quid, vel si quid dixero pulchrum,

   Illa statim objiciunt dicta fuisse priùs.

Dixére antiqui. . . . Dixissem at ego priùs, ævo

   Hi si vixissent posteriore mihi.

Il est des choses qui, considérées en grand ou en gros, paraissent admirables; mais qui, examinées dans leurs détails, font horreur ou pitié; comme il est des objets difformes et sans proportions, qui, vus de loin, paraissent beaux et réguliers.

Il est assez ordinaire de voir des gens condamner une chose par la seule raison qu’on en peut abuser; il n’est peut-être pas moins ordinaire d’en rencontrer qui s’imaginent, ou qui feignent de s’imaginer, que quand on réforme l’abus, on retranche la chose.

De tous les vices qui déshonorent l’espèce humaine le plus affreux et le moins excusable, à mon avis, c’est la cruauté.

L’amour de la vengeance est naturelle à l’homme; sans cela, le pardon des injures ne serait pas une vertu; mais cet amour est poussé à un excès révoltant chez l’homme incivilisé; et les annales des peuples barbares présentent un tissu d’horreurs qui font dresser les cheveux.

Il fut un peuple chez qui l’homicide involontaire était une souillure dont il fallait se purifier au plutôt: il en est un ou deux présentement chez qui le meurtre prémédité et l’assassinat de guet-à-pens semblent être regardés comme des délits d’un ordre inférieur.

Il y a cette différence entre le suicide et le duelliste, que l’un est un fou qui se tue, et l’autre un fou qui veut se faire tuer on se faire pendre.

Injuriez publiquement un homme méchant, il deviendra pire; attribuez à ce même homme des vertus qu’il n’a pas, il en prendra les dehors. Il ne faut donc pas toujours condamner les orateurs et les poëtes qui ont quelquefois loué des hommes qui paraissaient être, au contraire, très blâmables. Si Horace et Ovide eussent reproché à Auguste ses proscriptions, ils l’eussent peut-être fait redevenir Octave: quand Ciceron veut sauver Marcellus, il loue Jules-Cesar de sa grande clémence. Il y a à peu près la même différence entre l’écrivain qui loue à propos, et celui qui flatte à tout propos, qu’entre un bienfaiteur et un malfaiteur.

Quand on ne voit pas fleurir un état envers lequel la nature n’a pas été tout-à-fait ingrate, il y a probabilité que cet état est mal gouverné; mais quand ce même état a prospéré, la probabilité se change en certitude. Ainsi, dès qu’on sait que l’Espagne a été autrefois un royaume florissant, et qu’elle est aujourd’hui le plus misérable des pays de l’Europe, on peut conclure, sans craindre de se tromper, que le régime politique y est souverainement mauvais, ou que les administrateurs y sont souverainement imbécilles.

Il fut un temps, qui n’est pas encore bien éloigné, où les Français tenaient à gloire d’être gouvernés par le monarque le plus absolu de l’Europe; c’est à dire, où ils se glorifiaient d’être le peuple le plus serf de ce continent.

Un journaliste anglais disait dernièrement, d’un ton emphatique, qu’encore que ses compatriotes ne jouissent pas de la plénitude de la liberté, ils étaient néanmoins infiniment plus libres que les peuples esclaves du continent de l’Europe. Si ce journaliste eût dit que les Anglais étaient plus libres que les peuples les plus libres de l’Europe, il aurait eu au moins l’air de dire quelque chose.

Un grand-juge d’Angleterre, ou d’Ecosse, disait, il y a quelques années, qu’un sujet britannique était l’être le plus noble qu’il y eût sur la terre. (A british subject is the noblest being on earth.) Je souhaiterais fort, comme sujet britannique, que ce grand-juge eût dit la vérité, et que tout le monde en fût bien persuadé; car quand même je serais réduit à exercer le métier de décrotteur de bottes, ou de ramonneur de cheminées, je pourrais toujours aller de pair avec un archiduc d’Autriche ou un grand-duc de Russie; et même, suivant la force des termes, avec quelque chose de mieux.

J’ai lu dernièrement que les professeurs d’une université d’Angleterre ont refusé d’admettre dans leur corps un savant botaniste, parce qu’il n’était pas de leur religion. Ces messieurs étaient apparemment persuadés que la religion et la botanique sont étroitement liées entr’elles; ou que pour bien enseigner la botanique, il faut être d’une certaine religion.

Les Anglais s’expriment d’une manière assez singulière, lorsqu’ils parlent de la fortune de quelqu’un: pour dire qu’un homme est riche de tant; ils disent qu’il vaut tant, comme s’ils ne le prisaient qu’à proportion des richesses qu’il possède, et comptaient pour rien toutes ses autres qualités: un tel vaut 20,000 louis; cet homme ne vaut pas 10 louis. Combien valez-vous, disait un officier de justice à un de nos paysans? Je ne me vends pas, monsieur; je ne suis pas un nègre.—Je vous demande combien vaut votre bien.—Ah! ah! reprend le rustre, il me semble que ce n’est pas la même chose!

Les Français, avant la révolution qui a changé presque toutes leurs idées pour le mieux, avaient un préjugé qui n’était guère moins ridicule. Quelques richesses, quelques talens, quelque mérite qu’eût un homme, s’il ne pouvait montrer sur un parchemin un titre de noblesse, c’était un homme de rien. Louis XIV ne voulut pas, dit-on, donner l’évêché de Beauvais à Bossuet, de peur de faire duc et pair un homme de noblesse récente. Le bon Fenelon lui-même croyait la noblesse titrée et privilégiée si nécessaire dans un état, qu’il la transporte avec ses attributs, ses grades, et quelque chose de plus marqué encore, au sein d’une colonie naissante, du temps de la guerre de Troie.

De tous les auteurs qui ont fleuri en Europe, depuis le 5e jusqu’au 15e. siècle, il n’en est aucun qui présentement pût passer pour un grand écrivain. La nature s’est-elle donc reposée pendant mille ans? Non, mais, durant tout ce temps, elle a semé dans un terrain hérissé de ronces et d’épines, qui ont arrêté l’essort et le développement du génie et des talens. Ce ne sont pas les talens qui ont manqué aux siècles; ce sont les siècles qui ont manqué aux talens. Rabelais, né au dix-huitième siècle, eût été un Voltaire: Voltaire, né au quinzième, n’eût été qu’un Rabelais.

Les personnes qui n’ont pas étudié sont très portées à croire que les savans leur en imposent, quand ils leur disent des choses qui leur paraissent extraordinaires. Cependant ces personnes auraient souvent les moyens de connaître par elles-mêmes qu’on ne les trompe pas, du moins autant qu’elles auraient pu se l’imaginer. Prenons pour exemple la grosseur du soleil: quand on dit devant un homme qui n’a pas fait d’études, ou quand il lit sur un almanac, ou ailleurs, que le soleil est un million de fois, (pour me servir d’un nombre rond,) plus gros que la terre, il traite d’absurde ce qu’il entend ou ce qu’il lit; ou le plus grand effort qu’il puisse faire, c’est de feindre de le croire. Pour rendre un tel homme un peu moins incrédule, je lui apprendrai comment je le suis devenu moins moi-même, avant que j’eusse ouvert un seul livre d’astronomie, ou que je fusse en état d’y rien comprendre. Me trouvant un jour, de grand matin, sur le bord du fleuve St. Laurent, je vis le soleil se lever derrière une grande maison, de l’autre côté, et il me parut en déborder les pignons. Voila donc déjà pour moi le soleil plus grand qu’une maison. Une autre fois, je le vis se lever derrière la montagne ronde qui est à quelques lieues au-delà de la rivière Richelieu. J’en conclus sans peine que d’un lieu plus élevé, l’on pouvait voir le soleil derrière une montagne beaucoup plus grosse que le Mont-Johnson, et conséquemment, que ce luminaire devait être d’autant plus grand qu’il était plus éloigné; ou généralement, qu’il ne faut pas juger de la grandeur des objets par leur apparence, mais par leur plus ou moins d’éloignement.

Un ancien philosophe (Anaxagore, à ce que je crois), avançait que le soleil était à peu près de la grandeur du Péloponnèse. Le peuple riait sans doute de voir qu’il le fit si grand; tandis que les savans d’aujourd’hui rient de ce qu’il le faisait si petit. Un écrivain du moyen âge, dont j’ai oublié le nom, donnait au même luminaire la grandeur d’un climat. Celui-ci, sans rencontrer plus juste que l’autre, s’exprimait plus mal encore. Cependant ces hommes n’étaient peut-être ni aussi ridicules ni aussi empyriques qu’on serait tenté de le penser; ils calculaient sans doute la grosseur du soleil d’après l’idée erronée qu’ils s’étaient faite de sa distance.

La plus grande absurdité qui se soit dite en physique, est sortie de la bouche du plus grand physicien de l’avant-dernier siècle. Newton a dit, à l’occasion du passage d’une certaine comète auprès du soleil, que sa chaleur avait dû être deux mille fois plus intense que celle du fer rouge incandescent. S’il eût dit deux fois, au lieu de deux mille, il y aurait encore eu de l’absurdité. La comète en question n’était pas engloutie dans le feu du soleil, qui ne doit pas être différent du nôtre; et quand même elle y eût été ensevelie, elle n’aurait pas pu devenir plus chaude que le fer rouge incandescent, fans être réduite en cendre, ou sans s’en aller en fusion. Si Newton prouvait son assertion par un calcul, ce calcul était aussi concluant que celui par lequel on prouve qu’Hercule n’aurait pu atteindre à la course une tortue qui aurait eu sur lui quelques pas d’avance.

Si les Grecs modernes pouvaient redevenir ce qu’ils étaient autrefois, en morale, en politique, et rapprendre à parler leur ancienne langue, ils surpasseraient probablement bientôt dans les sciences tous les autres peuples de l’Europe; ou du moins les savans seraient beaucoup plus nombreux parmi eux que chez toute autre nation. La raison qui me porte à penser ainsi, c’est que les Grecs ne seraient pas, comme les Français, les Anglais, &c. obligés d’apprendre, pour ainsi dire, une langue scientifique avant de se livrer à l’étude des sciences. Presque tous nos termes de géométrie, d’astronomie, de médecine, d’architecture, de géographie, &c. sont des mots grecs. Ces mots qui, parmi nous ne sont entendus que des savans, sont populaires chez les Grecs. Nous n’apprenons la signification de ces termes que par l’étude, et au moyen de définitions. Le mot trigonométrie, par exemple, ne porterait à mon esprit aucune idée, si l’on ne m’avait appris que par ce mot l’on entend la science qui a pour objet la mesure des triangles. Au contraire, le mot trigônometria, prononcé pour la première fois devant un Grec, qui sait que trigônos veut dire triangle, et metron, mesure, ou metriô, je mesure; le mot trigônometria, dis-je, lui donnera de suite une idée claire, celle de la mesure des triangles. Rien de plus clair et de plus populaire pour un Grec, même ignorant, que les mots de cosmographie, de mythologie, d’hémisphère, d’exagone, &c. et même ceux de nouvelle invention de microscope, de pyromètre, de télégraphe, &c. parce qu’il en connaît les racines et l’étymologie.

Il y a deux ou trois siècles, tous les savans, ou plutôt tous les érudits, avaient la manie d’écrire en latin: s’ils avaient écrit en grec, du moins lorsqu’il s’agissait de sciences, je ne les trouverais ni pédants ni ridicules. S’il était bon qu’il y eut une langue universelle, au moins pour les savans, il serait sans doute à désirer que ce fût la plus belle et la plus facile à manier, si l’on veut bien me passer l’expression, qu’il y a jamais eu, et qu’il y aura probablement jamais.

La langue grecque est douce et harmonieuse autant qu’on peut le désirer; mais cette douceur et cette harmonie ne lui ôtent rien de la force nécessaire pour exprimer le grand, le sublime et le pathétique au suprême degré. Qu’on lise, par exemple, l’Apocalypse en grec, après l’avoir lu en français; et ce livre, qu’on aura dû trouver terrible dans la dernière de ces deux langues, le paraîtra bien davantage dans la première. Le son grave et tonnant de l’ôn précédé du t, si souvent répété de suite, porte à l’âme une espèce de terreur religieuse qu’aucune traduction ne saurait inspirer au même degré.

Dans ce qui concerne l’art oratoire, la grammaire, &c. nous avons plus emprunté des Latins que des Grecs; mais la plupart des mots qui n’ont pus de racines françaises ou celtiques sont encore étrangers pour le peuple. Parlement, action de parler, est entendu de tout le monde; mais élocution ne l’est pas de même, parce qu’on ne dit pas en français éloquer. Manducation est encore pour le peuple un mot barbare; parce qu’on ne dit pas manduquer: mangement, ou mangeaison seraient les seuls dérivés français et populaires, si l’usage les avait consacrés. Le peuple sait ce que signifie le mot éducation, parce qu’on l’a souvent à la bouche; mais il croit qu’il vient d’éduquer, et qu’on peut aussi se servir de ce dernier.

Pourtant en fait de mots scientifiques et oratoires, nous sommes plus avancés que les Anglais: nous avons au moins donné aux nôtres une terminaison française; au lieu qu’une grande partie des leurs sont purement grecs ou latins.

Un certain Albutius, né a Rome; s’attacha tellement aux manières grecques; dans un voyage qu’il fit à Athènes, qu’il ne voulut plus passer pour Romain. Quelques Romains, pour se moquer de cet imbécille, ne lui adressaient la parole qu’en grec. Combien y a-t-il parmi nous d’Albutius qui n’ont pas été chercher leur manie au-delà de la mer! J’ignore si ces gens ont honte de leurs compatriotes; mais je suis que leurs compatriotes ont bien sujet de se moquer d’eux.

L’empereur de Russie exhorte les seigneurs de son empire à affranchir leurs paysans. Un de nos journalistes attribue cette démarche d’Alexandre au voyage qu’il a fait en Angleterre. N’y a-t-il que l’Angleterre où les paysans soient libres? Ne sont-ils pas tels en France, en Suisse, en Hollande, en Suède, &c?

La prophétesse Krudener vit tranquillement sur ses terres en Livonie, et répand librement sa doctrine: nouvelle preuve, ajoute-t-on, de l’entière liberté de conscience et de la tolérance générale qui règnent en Russie. Cette tolérance générale est-elle aussi le fruit du voyage d’Angleterre?

Quelques journalistes américains avouent que l’infortuné Ambrister était attaché à la tribu des Séminoles par les liens d’époux et de père, sans cesser de le croire digne du sort qu’il a éprouvé. Ces écrivains sont apparemment persuadés que la nature a abandonné ses droits pour étendre ceux de leur nation.

Quand le souverain et le peuple ne parlent pas naturellement la même langue, est-ce au peuple à apprendre la langue du souverain, ou au souverain à apprendre la langue du peuple? Je n’en sais rien; mais je crois que Charles-Quint parlait flamand à Gand, français à Besançon, allemand à Vienne, et espagnol à Madrid; je crois que Napoleon parlait français à Paris et italien à Milan; que le roi de Sardaigne parle italien à Cagliari et à Turin, mais français à Chambéry; que le roi des Pays-Bas parle hollandais à Amsterdam, et flamand ou français à Bruxelles; je crois enfin que le roi d’Angleterre parle français dans les îles de Jersey et Guernesey.

Les professions en apparence les plus utiles sont celles qui spéculent davantage sur les maux du genre humain: le procureur compte, pour faire fortune, sur le plus grand nombre de querelles et de procès; le médecin sur celui des maladies. Comment vont les affaires, disait quelqu’un à la femme d’un ancien bedeau d’une de nos paroisses? Assez mal, monsieur; répondit-elle ingénuement; il ne meurt personne.

Un des membres de notre chambre d’assemblée, avocat de profession, disait, il y a quelques années, qu’un juge qui insulte un avocat lui paraissait plus coupable qu’un voleur de grand chemin qui assassine un passant. Ce qu’il y a de plus étonnant, ce n’est pas qu’un avocat ait pu faire une telle exagération, mais c’est qu’une assemblée, qui n’était pas toute composée d’avocats, ait pu garder son Sérieux en l’entendant.

Un auteur anglais regrette qu’on ait changé sans nécessité les noms de Sorel et d’Ile St. Jean en ceux de William Henry et d’Ile du Prince Edouard: ce que je regrette surtout, moi, c’est qu’on ait donné à la plupart de nos comtés des noms que ceux qui les habitent ne peuvent pas prononcer. Comment des hommes qui ne savent pas un mot d’anglais pourraient-ils prononcer comme il convient les noms pour eux barbares de Warwick, d’Effingham, de Huntingdon, de Northumberland et de Buckinghamshire?

M. D.

LE LANGAGE DES FLEURS.

Octobre.

Capillaire.Discrétion. Jusqu’à ce jour, les botanistes ont en vain étudié cette plante, qui semble dérober à leurs savantes recherches le secret de ses fleurs et celui de ses fruits. Elle ne confie qu’au zéphyr les germes invisibles de sa jeune famille. Ce dieu choisit seul le berceau de ses enfans; il se plaît quelquefois à former, de leurs ondoyantes chevelures, le sombre voile qui dérobe aux regards l’antre où dort, depuis le commencement des siècles, la naïade solitaire; d’autres fois, il les porte sur ses ailes, et les fait rayonner en étoiles de verdure au sommet des tours d’un vieux château, ou bien il les dispose en légers festons, et en décore les lieux frais et ombreux aimés des bergers. Ainsi la fougère met en défaut la science; elle cache sa secrète origine aux yeux les plus pénétrants; mais elle s’empresse de répondre, par des bienfaits, à la main qui l’interroge.

Geranium ecarlate.Sottise. Madame la baronne de Staël se fâchait toutes les fois que l’on tentait d’introduire dans sa société un homme sans esprit. Un jour, un de ses amis risqua pourtant de lui présenter un jeune officier suisse, de la plus aimable figure. Cette dame, séduite par l’apparence, s’anima, et dit mille choses flatteuses au nouveau venu, qui d’abord lui sembla muet de surprise et d’admiration. Cependant comme il l’écoutait depuis une heure sans ouvrir la bouche, elle commença à se méfier un peu de son silence, et lui adressa tout à coup des questions tellement directes, qu’il fallut bien y répondre. Hélas! le malheureux n’y répondit que par des sottises. Madame de Staël se tourna alors, fâchée d’avoir perdu sa peine et son esprit, vers son ami, et lui dit: En vérité, monsieur, vous ressemblez à mon jardinier, qui a cru me faire fête en m’apportant, ce matin, un pot de géranium; mais je vous préviens que j’ai renvoyé cette fleur, en le priant de ne plus l’offrir à mes regards. Eh! pourquoi donc, demanda le jeune homme, tout ébahi.—C’est, monsieur, puisque vous voulez le savoir, que le geranium est une fleur bien vêtue de rouge: tant qu’on la regarde, elle plaît aux yeux; mais lorsqu’on la presse légèrement, il n’en sort qu’une odeur importune. En disant ces mots, madame de Staël se leva et sortit, laissant, comme on pense bien, les joues du jeune sot aussi rouges que son habit, ou que la fleur à laquelle il venait d’être comparé.

Belle de nuit.Timidité.

Solitaire amante des nuits,

Pourquoi ces timides alarmes,

Quand ma muse an jour que tu fuis

S’apprête à révéler tes charmes?

Si, par pudeur, aux indiscrets

Tu caches ta fleur purpurine,

En nous dérobant tes attraits,

Permets du moins qu’on les devine.

 

Lorsque l’aube vient éveiller

Les brillantes filles de Flore,

Seule tu sembles sommeiller

Et craindre l’éclat de l’aurore.

Quand l’ombre efface leurs couleurs,

Tu reprends alors ta parure;

Et de l’absence de tes fleurs

Tu viens consoler la nature.

 

Sous le voile mystérieux

De la craintive modestie,

Tu veux échapper à nos yeux,

Et tu n’en es que plus jolie.

On cherche, on aime à découvrir

Le doux trésor que tu recèles:

Ah! pour encor les embellir,

Donne ton secret à nos belles.

 

               Constant Dubos.

VARIETÉS.

Lithographie perfectionnée, ou Lithochromie.—La perfection de la lithographie a été regardée, pendant quelque temps, comme se bornant à produire de très belles imitations de dessins à la craie et au crayon. En Allemagne, il y a quelque temps, M. Boissiere a produit des peintures à couleurs mêlées, par l’application successive de différentes pierres: mais dernièrement, M. Malapeau, de Paris, a fait une amélioration importante dans cet art, qui fait des progrès rapides. Par un procédé facile et peu coûteux, (mais qui n’est pas connu du public,) il fait avec la pierre des gravures avec des couleurs à l’huile qui possèdent un degré considérable de beauté et de correction. Tout ce qui a transpiré concernant le procédé, est que plusieurs rouleaux avec différentes couleurs à l’huile sont passés successivement sur la pierre, quelquefois au nombre de vingt-sept, et qu’alors l’impression est faite. Les peintures sont offertes à des prix plus bas que ceux que l’artiste le plus humble mettrait à ses productions les plus hâtives, eté l’on peut se procurer pour une somme très modique des galeries de peintures exécutées de cette manière. Il se fera sans doute par la suite des améliorations; et s’il en est ainsi, l’invention contribuera beaucoup à étendre le goût des arts.


Peinture sur verre.—Ainsi qu’on l’a déjà dit, les procédés de la peinture sur verre n’étaient pas un secret perdu; il ne fallait que daigner s’en occuper. On peut, depuis quelques semaines, voir dans l’église de Ste. Elisabeth, rue du Temple, cinq beaux et grands vitreaux ainsi exécutés, sous la direction de l’un de nos amateurs les plus distingués, M. le comte de Noé, d’après les cartons de M. Abel de Pujol, qui ne le cèdent en rien pour la beauté des couleurs, et sont, comme de raison, supérieurs de beaucoup, par l’adresse de l’exécution, à ce que faisaient nos pères.

Ces vitreaux sont un don de la ville de Paris: M. le comte de Chabrol, auquel nous devions déjà d’avoir fait revivre, en France, l’art beaucoup plus important de la fresque, s’est plu à encourager aussi la peinture sur verre.—Nous savons déplus qu’on s’occupe, en ce moment, de grands essais sur ce genre d’industrie, à la manufacture de Sèvres. Si l’art du peintre-verrier a encore des progrès à faire, c’est là sans doute qu’il se perfectionnera.

On lit dans le Dictionnaire des Arts du Dessin, publié il y a moins de trois ans, que les peintres habiles ont depuis longtemps renoncé à la peinture sur verre; ce qui était vrai encore alors, et ne l’est déjà plus, tant est rapide ce singulier mouvement qui, nous agitant en tous sens, nous ramène aux vieilles choses avec la même vitesse qu’il nous porte vers de nouvelles, semblable aux flots d’une mer houleuse.


Nouvelles récentes de l’Astrolabe.—Nous avons déjà eu l’occasion d’annoncer à nos lecteurs que des nouvelles heureuses de l’Astrolabe étaient arrivées en Europe, et de calmer les justes inquiétudes que les amis des sciences devaient concevoir sur le sort de l’expédition commandée par le capitaine Durville. Aujourd’hui nous pouvons donner quelques détails sur les richesses scientifiques recueillies par cette expédition. Les lettres parties de l’Astrolabe sont datées de Hobart-Town, Terre de Van-Diemen, 21 décembre 1827.

M. le capitaine Durville adresse à l’Académie des Sciences une suite d’expériences sur les températures de la mer à différentes profondeurs. Ces expériences ont été faites avec les thermométrographes de Bunten, dont nos navigateurs n’ont qu’à se louer. Tous les instrument de Bunten, disent-ils, sont excellents. Ces expériences de températures sont poussées jusqu’à des profondeurs considérables, telles que 4, 5, 7 et même 820 brasses. “Je tâcherai,” dit le capitaine, “d’en avoir au moins une à 1000 brasses, s’il se présente une occasion favorable pour la tenter.”

MM. Quoy et Gaymart adressent à l’Académie un troisième envoi contenant des observations zoologiques faites pendant l’année 1827. Il est composé d’un atlas de 213 planches in 4o, formant plus de 1400 dessins d’animaux de toute espèce dont les couleurs, les formes, et la nature même, étaient susceptibles de s’altérer par la conservation. Tous ont été décrits et dessinés vivans ou peu d’instans après leur mort.

Les mollusques testacés ont spécialement fixé l’attention de nos naturalistes. Les zoophytes pélasgiens les ont fait augmenter d’un tiers le nombre des médusaires connues, et ont porté à onze genres la famille des diphides établie par eux.

C’est surtout à la Nouvelle-Guinée et aux Moluques que nos naturalistes ont fait les plus précieuses rencontres. Le port de Dorey leur a offert les genres paramele et kanguroo; et à L’île d’Amboine, ils ont obtenu quelques renseignemens sur l’animal de l’argonaute.

Sans les dangers qu’a courus l’Astrolabe, les richesses scientifiques seraient encore bien plus considérables.[1] Pourtant les objets envoyés en Europe sont contenus dans plus de 700 bocaux.

“Nous prions l’Académie, disent MM. Quoy et Gaymart, de vouloir bien conserver dans ses archives cet envoi, qui, joint aux précédents, forme un ensemble de 267 planches, et de plus de 1050 dessins.”

Outre les lettres adressées à l’Académie entière par le capitaine Durville et par MM. Quoy et Gaymart, il est donné lecture de quelques autres lettres adressées à des particuliers, MM. Cuvier, Geoffroy-St.-Hilaire, et de Blainville, donnent lecture de celles qui leur ont été adressées.

Celle de M. Geoffroy-Saint-Hilaire contient des détails sur les dangers que l’Astrolabe a courus depuis la relâche au port de Jackson. “Cinq fois, disent les auteurs, nous avons vu de près la perte de l’expédition, et trois fois notre destruction totale, tant est difficile la géographie des lieux que nous avons parcourus! Mais ces contrariétés font trouver plus agréables les relâches qui les suivent, &c.”

Dans la lettre à M. Blainville, les jeunes naturalistes chargent leur ancien professeur, dans le cas où ils ne reviendraient jamais en Europe, du soin du recueillir et de publier leurs observations. l’Académie entend ces dispositions avec des marques d’un vif intérêt.—(Journal Français.)


Découverte de la quadrature du cercle.—Ce problème important, qui occupe les savans depuis près de quatre mille ans, a enfin été résolu par un jeune garçon de treize ans, nommé James Graham, qui demeure à Mount-charles, comté de Donegal. Cette découverte a été rigoureusement examinée par plusieurs messieurs d’une éminente habileté, et ils l’ont trouvée aussi complète et aussi bien établie qu’aucun problème scientifique jusqu’à présent connu, d’après les principes les plus clairs de la géométrie d’Euclide. Cette découverte extraordinaire formera une nouvelle époque dans la science de la géométrie, et mettra au jour des merveilles qui étonneront les savans de l’Europe. Il est fort à désirer que quelque seigneur, ou quelque monsieur, d’une disposition d’esprit libérale, ou quelqu’une des sociétés formées pour avancer et encourager les connaissances utiles, prenne cet enfant par la main, et obtienne pour lui la récompense dûe à un mérite si extraordinaire, et fasse publier ce phénomène scientifique pour satisfaire la curiosité du monde savant.—(Journal Irlandais.)


Bronchotomie.—Il y a quelques semaines, à Tryeburg, Maine, un petit garçon, dans la trachée-artère duquel s’était introduit un trognon de pomme, a été sauvé par l’opération appellée bronchotomie, et qui consiste à ouvrir la trachée-artère.

A Stockbridge, Massachusetts, il y a quelques jours, un trognon de pomme a été tiré de la trachée-artère d’une petite fille, par le Dr. Brewster. Il fit une incision d’un pouce de longueur dans la partie charnue du cou, et ouvrit la trachée-artère: il inséra au-dessous de l’obstruction un tube par lequel l’enfant put respirer: le trognon de pomme fut ensuite extrait au moyen d’une éponge attachée par une fiscelle au bout d’une sonde, qui entra dans la trachée-artère au-dessus du tube et sertit par la bouche. Sans cette opération, l’enfant n’aurait pu vivre que quelques heures: il y a maintenant tout lieu de croire qu’elle sera bientôt guérie.—(Journal Américain.)


Musique.—Traité Elémentaire de Musique, particulièrement adapté au Piano Forté: par T. F. Molt.

Nous avons vu avec beaucoup de plaisir un ouvrage sous le titre ci-dessus, en forme de dialogues, dans les langues anglaise et française, par un maître de musique qui réside parmi nous depuis un nombre d’années, et qui est avantageusement connu du public comme un professeur très expert dans cet art enchanteur.

Dans ce traité, c’est une mère qui entreprend d’enseigner la musique à son enfant. Le dialogue préliminaire explique les premiers principes d’une manière satisfaisante, dans un langage clair, simple et familier, et qui rend l’ouvrage supérieur, sous ce rapport, à tous ceux du même genre que nous avons vus. Dans le second dialogue, l’enfant commence à copier sur une ardoise les différents symboles, caractères, &c. au lieu de les apprendre machinalement à mesure qu’ils se présentent; et par ce moyen elle les grave plus profondément dans sa mémoire.

La théorie et la pratique vont de pair sans devenir fatiguantes; l’émulation de l’enfant est réveillée, et le style est soutenu de dialogue en dialogue, dans le progrès des principes simples et préliminaires à des choses plus abstraites d’elles-mêmes. L’auteur a consulté, dans la compilation, un nombre d’ouvrages des premiers maîtres, et en ajoutant à leur expérience celle qu’il a acquise lui-même à un haut degré, il a non seulement atteint le but qu’il s’était proposé en composant son livre; mais il a encore présenté à ceux qui ont déjà fait quelques progrès dans ce bel art, un ouvrage d’une grande utilité, en autant que plusieurs sujets y sont traités d’une manière absolument neuve, et que d’autres serviront éminemment à rafraîchir la mémoire.

Ce traité, par sa grande simplicité, a l’avantage de mettre les familles en état d’apprendre les premiers principes de la musique à leurs enfans, sans le secours d’un maître.

Nous ne pouvons passer sous silence la partie typographique de l’ouvrage: le papier et l’impression sont excellents, et les planches, au nombre de douze, sont extrêmement bien exécutées.

Il ne nous reste plus qu’à souhaiter à l’auteur tout le succès que son habileté et sa diligence lui méritent à si justes titres.—(Gazette de Québec.)


Il est consolant de penser que ces dangers et la perte d’ancres qui en fut le résultat n’ont pas nui à la géographie générale de l’expédition ni empêché de faire le vaste archipel de Vité (Fidjé des géographes), les îles Loyalty, le sud de la Nouvelle-Bretagne, et tout le nord de la Nouvelle-Guinée, c’est-à-dire un développement de côtes de 900 lieues, et le reconnaissance de 70 à 80 îles nouvelles.

LA NOUVEAUTÉ,

Aux lieux où règne la folie,

Un jour la nouveauté parut:

Aussitôt chacun accourut;

Chacun disait: Qu’elle est jolie!

 

Ah! madame la nouveauté,

Demeurez dans notre patrie;

Plus que l’esprit et la beauté

Vous y fûtes toujours chérie.

 

Lors, la déesse à tous ces fous

Répondit: messieurs, j’y demeure;

Et leur donna le rendez-vous

Le lendemain à la même heure.

 

Le jour vint. Elle se montra

Aussi brillante que la veille:

Le premier qui la rencontra;

S’écria: Dieux! comme elle est vieille!

 

Offman.

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

Le 1er. du présent mois d’Octobre, à Québec, F. H. Fisher; écuyer, de Londres, à Dlle. Louise Sophie Desbarrats, fille de feu P. F. Desbarrats, écuyer;

Le 6, à St. Thomas, Rivière du Sud, Mr. Raymond Bourdages, à Dlle. Clarisse Boucher, fille de L. Boucher, écuyer;

Le 9, à La Prairie, Edmond, Henry écuyer, à Madame veuve Raymond.

DÉCÉDÉS:

A Batiscan, le 1er de ce mois, Jean Guillet, écuyer, âgé de 68 ans;

A St. Jacques, le 3, Mr. François Allard, Notaire, âgé de 98 ans;

A la Petite Rivière, près Québec, le 7, Madame Lee, épouse de Thomas Lee, écuyer;

A Québec, le 15, Dlle. Josephte Hamel, âgée de 54 ans;

Aux Trois-Rivières, le 21, à l’âge de 40 ans, P. J. Godefroy de Tonnancour, écuyer, Avocat, Coroner pour le district, et Lieutenant Colonel de milice;

A Montréal, le 25, Lauréat Viger, écuyer, Avocat, âgé d’environ 29 ans.

TRANSCRIBER NOTES

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[The end of La Bibliothèque canadienne, Tome VII, Numero 5, Octobre 1828. edited by Michel Bibaud]