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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VII, Numero 3, Aout 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Nov. 2, 2021

Date last updated: Nov. 2, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VII. AOUT, 1828. Numero 3.

HISTOIRE DU CANADA.

M. Levasseur traça aussitôt un fort, qui fut achevé le lendemain. On y enferma le magazin des vivres, les canots, et les bateaux, et la garde en fut confiée au marquis de Crisasi et à M. Desbergers, tous deux capitaines, auxquels on donna cent cinquante hommes choisis. On avait cru pouvoir surpendre les Iroquois, du moins quant au lieu de l’attaque, mais un transfuge du village de la Montagne, qui avait été détaché avec plusieurs autres du même village pour faire des prisonniers, les instruisit du véritable dessein des Français. Un autre avis que ce même transfuge alla ensuite donner au canton de Tsonnonthouan, qui était le sien, produisit un effet tout contraire à celui qu’il en attendait: M. de Callières, qui connaissait assez les sauvages pour s’attendre que quelques uns d’eux déserteraient, s’était avisé de dire assez haut, en partant de Catarocouy, qu’il ne fallait point être surpris de ce que les Outaouais n’arrivaient point, puisque M. de Frontenac les avait fait prier d’attaquer le canton de Tsonnonthouan, tandis qu’il marcherait contre celui d’Onnontagué. Le déserteur ne manqua pas d’aller porter cette nouvelle dans son canton; ce qui fut cause que tous les guerriers y restèrent pour le défendre.

Ce même soir, on apperçut une grande lueur du côté du grand village d’Onnontagué, et l’on jugea, comme il était vrai, que les sauvages y avaient mis le feu. On avait déjà découvert beaucoup de pistes de gens qui allaient à Goyogouin et à Onneyouth, et qui venaient de ces deux cantons; et l’on ne douta point que les Onnontagués n’y eussent envoyé toutes leurs bouches inutiles, et n’en eussent fait venir tous ceux qui étaient en état de porter les armes.

Le 3 Août, l’armée alla camper à une demi-lieue du débarquement, près des Fontaines sallées. Le lendemain, M. de Subercase la rangea en bataille sur deux lignes, et fit les détachemens nécessaires pour porter l’artillerie. M. de Callières commandait la ligne de gauche, et M. de Vaudreuil, celle de droite: le général était entre les deux, porté dans un fauteuil, environné de sa maison et des volontaires, ayant devant lui le canon.—Le chemin était très difficile, et l’on ne put arriver que le soir fort tard au village, que l’on trouva presque réduit en cendres: deux Français qui y étaient prisonniers depuis longtemps venaient d’y être massacrés.

Ce qui surprit davantage, c’est que les ennemis eussent ruiné un fort où ils auraient pu se défendre longtemps. On ne compre pas comment les Anglais, qui l’avaient bâti, l’eussent ainsi abandonné, et n’eussent fait aucun movement pour défendre leurs alliés. Quinze cents Iroquois, autant, on même moins d’Anglais, et quelques pièces d’artillerie, qu’on aurait pu facilement faire venir de la Nouvelle York, la proximité des bois, si propres aux ambuscades, et la facilité de défendre le Rigolet, auraient suffi pour mettre le comte de Frontenac en danger d’être battu, ou du moins dans la nécessité de s’en retourner sans avoir rien fait.

Le 5 au matin, on apprit de quelques captifs, qui s’étaient échappés, que tout ce qui n’était pas en état de porter les armes à Onnontagué, s’était réfugié à une lieue de là. Dans l’après diner, un soldat français, qui avait été pris avec le P. Millet, arriva d’Onneyouth, chargé d’un collier de la part des chefs de ce canton, pour demander la paix. Le général le renvoya sur le champ, avec ordre de dire à ceux qui l’avaient député, qu’il voulait bien recevoir leurs soumissions, mais à condition qu’ils viendraient s’établir dans la colonie; qu’au reste, il allait faire marcher des troupes de leur côté, pour savoir leur dernière réponse.

En effet, le chevalier de Vaudreuil partit le lendemain, pour ce canton, à la tête de six ou sept cents hommes. Il avait ordre de couper les bleds, de brûler les villages, et de recevoir six chefs en qualité d’otages, et au cas qu’on lui fît la moindre résistance, de passer au fil de l’épée tous ceux qu’il pourrait joindre.

Le 6, un prisonnier français, qui s’était échappé, donna connaissance de plusieurs caches de bled et de bardes: on s’en saisit, et l’on continua de ruiner le pays, les deux jours suivants.

Le 8, on prit à l’entrée des bois un Onnontagué âgé de près de cent ans, qui n’avait pu fuir avec les autres, ou qui ne l’avait pas voulu; car il parait, dit Charlevoix, qu’il y attendait la mort avec la même intrépidité que ces anciens sénateurs romains, dans le temps de la prise de Rome par les Gaulois. On eut la cruauté de l’abandonner aux sauvages de l’armée, qui sans égard pour son grand âge, déchargèrent sur lui le dépit que leur avait causé la fuite des autres. “Ce fut,” continue le même historien, un spectacle bien singulier de voir plus de quatre cents hommes acharnés autour d’un vieillard décrépit, auquel à forces de tortures, ils ne purent arracher un seul soupir, et qui ne cessa, tant qu’il vécut, de leur reprocher de s’être rendus les esclaves des Français, dont il affecta de parler avec le dernier mépris. La seule plainte qui sortit de sa bouche fut, lorsque par compassion, ou peut-être de rage, quelqu’un lui donna deux ou trois coups de couteau pour l’achever. “Tu aurais bien dû, lui dit-il, ne pas abréger ma vie; tu aurais eu plus de temps pour apprendre à mourir en homme. Quant à moi, je meurs content, parce que je n’ai aucune bassesse à me reprocher.”

Le 9, M. de Vaudreuil, après avoir brulé le fort et les villages d’Onneyouth, revint au camp, avec environ trent-cinq hommes, la plupart prisonniers français, dont il avait rompu les chaines. Ils étaient accompagnés des principaux chefs du canton, qui venaient se mettre à la discrétion de M. de Frontenac. Ce général leur fit un accueil favorable, dans l’espérance d’attirer les autres; mais il les attendit vainement. Il y avait dans cette troupe un jeune Agnier de qui M. de Vaudreuil avait appris qu’il n’y avait aucune apparence que les Anglais vinssent au secours de leurs alliés, et que la consternation régnait partout.

Sur cet avis, le conseil de guerre fut assemblé, et l’on y délibéra sur ce qu’il y avait à faire, pour mettre la dernière main à une expédition si bien commencée. M. de Frontenac opina d’abord qu’il fallait aller traiter le canton de Goyogouin comme on avait fait ceux d’Onnontagué et d’Onneyouth: non seulement cette proposition fut généralement applaudie; mais on ajouta qu’après avoir ruiné ces trois cantons, il était a propos d’y construire des forts pour empêcher les sauvages de s’y rétablir. Cette dernière proposition fut approuvée comme la première: le chevalier de Callières s’offrit à demeurer dans le pays, pendant l’hiver, pour exécuter ce projet, et son offre fut d’abord acceptée. M. de Maricourt et quelques autres officiers, la plupart Canadiens, furent nommés pour y rester sous ses ordres; mais on ne fut pas peu surpris, lorsque, dès le soir même, le général déclara qu’il avait changé de pensée, et qu’il fallait se disposer à reprendre la route de Montréal.

Ce fut vainement que M. de Callières et quelques autres voulurent lui faire des représentations, et que le mécontentement se manifesta même assez hautement, surtout parmi les Canadiens et les sauvages du Sault St. Louis: laissant murmurer les sauvages et tous ceux qui n’approuvaient pas sa résolution, il partit dès le même soir, et alla camper à deux lieues de son fort. Il s’y rendit le lendemain, et le fit raser. Il s’embarqua le 11, et arriva le 20, à Montréal, n’ayant perdu que six hommes dans son expédition.

Il est certain que le comte de Frontenac s’arrêta en très beau chemin, et qu’il lui eût été facile de réduire an moins les Goyoguins; et sa conduite en cette occasion donna lieu à divers soupçons, qui ne pouvaient pas être tous bien fondés. Charlevoix, en rapportant tout ce qui se dit alors sur son compte, réussit assez bien à le laver du reproche d’avoir voulu dominer, ou se rendre nécessaire aux dépens du repos de la colonie qu’il gouvernait, en n’humiliant pas les Iroquois autant qu’il l’aurait pu faire; mais il serait difficile de le disculper entièrement d’un sentiment de jalousie peu séant à un homme de son rang et de ses talens, s’il était vrai qu’on lui eût entendu dire, en donnant l’ordre du retour, “qu’on voulait obscurcir sa gloire,” ou plus explicitement, “que le gouverneur de Montréal était jaloux de sa gloire, et que c’était pour l’effacer qu’il voulait l’engager dans une entreprise dont le succès était incertain.”

Quoiqu’il en soit des motifs qui décidèrent le comte de Frontenac à la retraite, comme il savait que la disette des vivres n’était guère moins grande dans les cantons où il n’avait pas pénétré, que dans ceux qu’il avait ravagés, et que la Nouvelle York n’était pas en état de leur en fournir, il se flatta que pour éviter leur ruine, ils accepteraient la paix aux conditions qu’il lui plairait de leur imposer. Pour achever de les y contraindre, il résolut de continuer la guerre, et après avoir donné à ses troupes et aux milices le temps de se refaire de leurs fatigues, il en fit plusieurs détachemens, qui harcelèrent l’ennemi jusqu’à l’automne.

Après avoir donné ses ordres, le général descendit à Québec, où le Wesp, vaisseau du roi, arriva le 25 Août, avec l’ordre d’y embarquer incessamment des troupes et des Canadiens, sous le commandement de M. de Muys, capitaine, un des officiers les plus capables qu’il y eût alors dans la colonie. Le Wesp devait porter ce renfort droit à Plaisance, et y attendre M. d’Iberville, qui ne devait s’y rendre qu’après avoir enlevé aux Anglais le fort de Pemkuit; une place fortifiée an milieu des tribus abénaquises donnant lieu de craindre qu’à la fin ces sauvages, si utiles à la Nouvelle France, ou ne fussent accablés par les forces de la Nouvelle Angleterre, ou détachés de l’alliance des Français par le défaut de secours de leur part.

MM. d’Iberville et de Bonaventure, compagnons inséparables, il paraît, dans ces parages, étaient arrivés à la Baie des Espagnols, le 26 Juin: ils y trouvèrent des lettres du chevalier de Villebon, par lesquelles ils apprirent que trois vaisseaux anglais les attendaient à l’entrée de la rivière St. Jean; et ils remirent en mer, le 4 Juillet, pour les aller chercher.

Ils les rencontrèrent le 14, et d’Iberville ayant démâté le Newport, de 24 pièces de canon, s’en rendit maître, sans avoir perdu un seul homme. Cinquante Micmacs, qu’il avait embarqués sur son bord, contribuèrent beaucoup à sa victoire. Le lendemain, les deux vaisseaux français s’approchèrent de la rivière St. Jean, où Villebon les attendait avec cinquante sauvages. Ils y restèrent jusqu’au 10 Août, et y débarquèrent les munitions dont on les avait chargés pour le fort de Naxoat, qu’on avait substitué à celui de Jemset. Les cinquante sauvages de Villebon, qui étaient de la même tribu que ceux qui avaient suivi d’Iberville, s’embarquèrent sur le Profond, que commandait M. de Bonaventure. Le 7, ils mouillèrent à Pentagoët. Ils y trouvèrent le baron de St. Castin avec deux cents sauvages, Cannibas et Malécites. M. d’Iberville leur distribua les présens du roi, tant pour eux, que pour ceux des leurs qui étaient allés en guerre d’un autre côté. St. Castin et sa troupe s’embarquèrent dans leurs canots avec MM. de Villieu et de Montigny et vingt-soldats. Ils arrivèrent à la vue de Pemkuit, le 13, et ils l’investirent le 14. Le même jour, MM. d’Iberville et de Bonaventure mouillèrent à une lieue de la place: et ayant appris que St. Castin avait déjà dressé un canon et deux mortiers, ils envoyèrent sommer le commandant de se rendre. Cet officier répondit avec fierté que quand la mer serait couverte de vaisseaux français et la terre d’indiens, il ne se rendrait pas qu’il n’y fût forcé.

Sur cette réponse, les sauvages commencèrent à tirer: le fort fit aussi un assez grand feu de mousqueterie et tira quelques coups de canon. Sur les deux heures après minuit, d’Iberville descendit à terre, et fit travailler avec tant de diligence aux batteries, qu’à trois heures après midi, elles étaient toutes dressées. On tira alors quelques bombes, qui mirent l’alarme dans le fort. St. Castin, qui s’en apperçut, fit avertir les assiégés que s’ils attendaient l’assaut, ils auraient à faire aux sauvages, dont ils devaient savoir qu’ils n’avaient aucun quartier à espérer.

Cette menace eut son effet: la garnison, qui était de quatre-vingt douze hommes, obligea le commandant à capituler. Les conditions qu’il demanda furent que lui-même et ses gens seraient conduits à Boston, et échangés contre les Français et les sauvages qu’on y retenait prisonniers, et qu’on les garantirait contre la fureur des Indiens. Tout cela fut accordé: le commandant et sa garnison sortirent le soir même de la place, et Villieu y entra avec soixante Français. On y trouva quinze pièces d’artillerie montées et des munitions et des vivres en abondance.

Le 17 et le 18 furent employés à le ruiner: ensuite d’Iberville envoya une partie de la garnison au gouverneur de la Nouvelle Angleterre, et lui fit dire que s’il voulait retirer le reste et l’équipage du Newport, il fallait lui remettre incessamment tous les Français et les sauvages qu’il retenait dans ses prisons. Il partit en même temps pour Pentagoët, où il attendit quelque temps la réponse du gouverneur; mais comme elle tardait à venir, et qu’il n’avait pas assez de vivres pour nourrir tant de monde, il renvoya le reste de ses prisonniers à Boston, ne retenant que les officiers, dont il confia la garde à Villieu.

Le 3 Septembre, il fit voile avec M. de Bonaventure et sa prise. Ils avaient à peine doublé les îles qui sont à l’entrée de a rivière de Pentagoët, qu’ils apperçurent au vent sept voiles, qui venaient à eux, et qui les tenaient entr’elles et la terre. D’Iberville cria aussitôt au sieur de Lauson, qui commandait le Newport, de se tenir le plus près de lui qu’il serait possible. Vers le soir, l’escadre anglaise étant déjà fort proche, d’Iberville fit revirer de bord et porter à terre: puis, après avoir fait en viron une lieue, il longea la côte en tirant vers les Monts Déserts. Alors les Anglais, désespérant de le joindre, ou n’osant s’approcher d’une côte qu’ils ne connaissaient peut-être pas bien, changèrent aussi route, et prirent celle de la rivière St. Jean. Le lendemain matin, d’Iberville ne les voyant plus, s’éleva au large, et courut ainsi jusqu’à l’Ile Royale; ce qui l’empêcha d’embarquer un assez grand nombre de sauvages, qui l’attendaient au port de la Hève, et qui devaient l’accompagnera Terre-Neuve, Il débarqua même dans l’Ile Royale, ceux qu’il avait embarqués à la Baie des Espagnols et à la Rivière St. Jean, à l’exception de trois, qui ne voulurent pas le quitter, et il mouilla dans la rade de Plaisance, le 12 Septembre, n’ayant perdu dans son expédition, que le jeune Dutast, garde-marine, qui servait d’enseigne sur son bord.

Cependant l’escadre anglaise qui avait manqué les trois vaisseau français, continua sa route vers l’Acadie, et jetta l’ancre vis-à-vis d’un établissement français appellé Beaubassin, où elle débarqua quatre cents hommes, parmi lesquels il avait cent cinquante sauvages. D’abord le commandant et ses gens parurent disposés à ne faire aucun mal aux habitans, qui au temps de la conquête de l’Acadie par le chevalier Phibs, s’étaient engagés à demeurer fidèles au roi d’Angleterre, et avaient été reçus sous sa protection. Mais une affiche contenant quelque reglement pour la traite, et signée du comte de Frontenac, ayant été montrée au commandant, il éclata en reproches contre les habitans, les traita de sujets rebelles, et leur église, leurs maisons, leurs granges, leurs bestiaux, leurs meubles, tout fut détruit ou réduit en cendres.

De Beaubassin l’escadre se rendit à la rivière St. Jean. Après y avoir découvert et enlevé quelques caches de munitions et de marchandises, que les Français y avaient faites, elle reprit la route de Boston. Elle n’avait pas encore fait beaucoup de chemin, qu’elle fut rencontrée par une frégate de 32 pièces de canon et deux autres petits bâtimens, commandés par un capitaine anglais nommé Sikik, qui, en vertu d’un ordre dont il était porteur, l’obligea de retourner à la rivière St. Jean, pour attaquer le fort de Naxoat. Ainsi la flotte ennemie, augmentée de trois vaisseaux et de deux cents hommes ne débarquement, reparut à l’entrée de la rivière St. Jean, lors qu’on la croyait proche de Boston.

Le chevalier de Villebon en reçut le nouvelle le 12 Octobre, par son frère, M. de Neuvillette, le plus jeune des fils du baron de Békancourt. Il avait écrit la veille, au P. Simon, recollet, qui gouvernait assez près de là une mission de sauvages, pour le prier d’engager le plus qu’il pourrait de ses néophytes à le venir joindre, et le 14, ce religieux lui amena trente-six guerriers. Il avait déjà mis son fort en assez bon état; il fit travailler à de nouveaux retranchemens, en quoi il fut parfaitement secondé par son frère, par M. de Gannes, un de ses officiers, par le sieur de Lacote, écrivain du roi, et par le sieur Tibierge, agent de la compagnie de l’Acadie. Le 17 au soir, il fit battre la générale; et toute sa garnison étant sous les armes, il lui fit une harangue pathétique, à laquelle on ne répondit que par le cri de Vive le Roi!

Dans le même temps, les sieurs de Clignancourt et Baptiste, flibustier, arrivèrent au fort avec dix Français. M. de Villebon leur commanda de se mettre à la tête des sauvages, pour disputer la descente aux Anglais, et de lui envoyer de temps en temps quelqu’un pour recevoir ses ordres.

Le 18, entre huit et neuf heures du matin, on avertit le commandant qu’il paraissait une chaloupe pleine de gens armés. Il fit aussitôt tirer l’alarme, et dans l’instant chacun prit son poste.—Deux autres chaloupes, armées comme la première, suivaient de près: on les laissa approcher jusqu’à la demi-portée du canon, après quoi on tira dessus; ce qui les obligea à se mettre à l’abri derrière une pointe, où elles firent leur descente, sans qu’il fût possible de les en empêcher, quoiqu’elles ne fussent guère qu’à la portée du mousquet, parce que la rivière était entre deux.

Un moment après, on les vit s’avancer en bon ordre jusque vis-à-vis du fort, où il commencèrent aussitôt à travailler à un épaulement pour se mettre à couvert du feu de la place. Ils dressèrent ensuite une batterie de deux pièces de campagne, qui furent en état de tirer au bout de trois heures. Ils arborèrent alors le pavilon d’Angleterre, et le soir, ils placèrent un troisième canon plus gros que les deux autres et plus près du fort; mais, comme il était à découvert, il tira peu.

Les deux premiers furent bien servis; mais ceux du fort le furent encore mieux. La mousqueterie de part et d’autre fit aussi un très grand feu, et les sauvages des deux partis s’étant un peu avancés sur le bord de la rivière, se battirent en braves. La nuit mit fin au combat. Le lendemain, dès la pointe du jour, le fort recommença à tirer. Les Anglais ne répondirent à son feu qu’entre huit et neuf heures, et ne le firent qu’avec les deux pièces de leur batterie. Une de ces pièces fut bientôt démontée, et l’on continua à faire un feu si terrible sur la seconde, qu’elle fut aussi abandonnée, peu de temps après. Vers midi, le sieur de Falaise arriva de Québec, ayant fait une diligence extrême pour avoir part à la défense de Naxoat, dont il avait appris le siège en chemin. On lui assigna aussitôt son poste, et le reste du jour, le feu de la place fut très vif.

Sur le soir, les Anglais allumèrent un feu qui occupait un grand espace, et l’on ne douta point qu’ils ne songeassent à décamper. En effet, quelque temps après, on les vit qui chargeaient leurs chaloupes. M. de Villebon voulut engager les sauvages que commandaient Clignancourt et Baptiste, à passer la rivière au-dessus du fort, pour tomber ensuite sur eux; mais il s’y refusèrent. Le lendemain, le camp des assiégeans se trouva vide. Neuvillette fut aussitôt détaché pour les suivre; mais après qu’il eut fait trois lieues, il les trouva embarqués dans quatre bâtimens d’environ soixante tonneaux, et descendant la rivière à la faveur d’un bon vent. Il tira beaucoup sur eux, pour leur faire croire que les sauvages étaient à leurs trousses; après quoi, il retourna au fort.

Tandis que les Anglais recevaient cet échec sur la côte de l’Acadie, une poignée de Français et de Canadiens entreprenait de les chasser des postes qu’ils occupaient dans l’île de Terre-Neuve. M. d’Iberville était arrivé à Plaisance, comme on l’a vu plus haut, le 12 de Septembre. Le gouverneur de cette place et de tous les établissemens français dans l’île, était un M. de Brouillan, homme brave et actif; officier habile et expérimenté; mais en même temps brusque, hautain, et avide de richesses autant ou plus que de gloire militaire.[1] Trois jours avant l’arrivée de d’Iberville, il était parti avec neuf vaisseaux, pour aller attaquer St. Jean, le plus considérable des établissemens anglais en Terre-Neuve. L’attaque se fit, mais ne réussit point, et M. de Brouillan revint à Plaisance, le 17 Octobre. Il y trouva M. d’Iberville, qui n’avait pu aller le joindre, faute de vivres. Il n’avait pas cependant perdu son temps; car, après plusieurs excursions pour reconnaître le pays, ayant reçu par le Wesp et le Postillon les secours d’hommes et les provisions qu’il attendait de Québec, il fit ses préparatifs pour aller attaquer Carbonnière, le poste anglais le plus reculé vers le nord. Il était sur le point de partir pour cette entreprise, lorsque M. de Brouillan débarqua à Plaisance: il lui communiqua son dessein; mais le gouverneur lui déclara nettement que ce projet n’était point de son goût; qu’il n’y consentirait jamais, et que s’il s’obstinait à le suivre, il empêcherait les Canadiens de l’accompagner. D’Iberville le connaissait assez pour craindre que, s’il entreprenait de lui tenir tête, il ne poussât les choses à quelque extrémité fâcheuse. Il crut donc qu’il valait mieux quitter la partie: il résolut même de repasser en France, et de laisser M. de Brouillan chargé seul d’une expédition dans laquelle il désespérait de pouvoir agir de concert avec lui. Mais les Canadiens n’eurent pas plutôt été informés de cette résolution, qu’ils déclarèrent tous unanimement qu’ils s’étaient engagés à lui seul, qu’ils avaient ordre de M. de Frontenac de le reconnaître pour leur chef, et qu’ils retourneraient plutôt à Québec que d’en accepter un autre.

“D’Iberville était Canadien,” dit ici Charlevoix, et personne n’a fait plus d’honneur à sa patrie; aussi était-il l’idole de ses compatriotes. En un mot, ces braves Canadiens était la dixième légion, qui ne combattait que sous la conduite de César, et à la tête de laquelle César était invincible. “D’ailleurs,” ajoute-t-il, “le gouverneur de Plaisance avait la réputation d’être dur et haut dans le commandement, et il n’y eut jamais de troupes avec lesquelles on réussit moins par la hauteur et la dureté, que les milices canadiennes, très aisées cependant à conduire, lorsqu’on sait s’y prendre d’une manière toute opposée, et qu’on a su gagner leur estime.”

M. de Brouillan voulant qu’on commençât par attaquer la capitale, il fut réglé qu’on se rendrait séparément à St. Jean; M. d’Iberville avec ses Canadiens, et le gouverneur avec ses troupes et ses milices; que quand ils se seraient réunis, M. de Brouillan aurait tous les honneurs du commandement; mais que le pillage (c’est l’expression de Charlevoix,) serait partagé de telle sorte entre les deux troupes, que d’Iberville, qui faisait la plus grande partie des frais de l’expédition, aurait aussi la meilleure part du butin.

M. de Brouillan s’embarqua sur le Profond, que commandait toujours M. de Bonaventure, qui, quoique Canadien et ami de d’Iberville, n’avait pris aucune part à ses démêlés avec le gouverneur de Plaisance. M. de Muys s’embarqua aussi avec ce dernier, qui avait trouvé le secret de s’attacher cet officier, en lui faisant espérer de le mettre à la tête des Canadiens, qui, (remarque encore Charlevoix,) dans toute autre occasion n’auraient fait aucune difficulté de marcher sous ces ordres.

D’Iberville partit le 1er. Novembre, par terre, avec tous les Canadiens, plusieurs gentilhommes et quelques sauvages. Après neuf jours d’une marche difficile, il arriva au poste appellé le Forillon. Le chevalier de Rangone, gentilhomme augoumois, l’y joignit le lendemain, venant de St. Jean, où M. de Brouillan l’avait envoyé avec quelque soldats, pour examiner en quel état se trouvait ce poste. Le 12, il alla seul à Rognouse, autre petit poste abandonné, où était le rendez-vous général, pour s’aboucher avec M. de Brouillan. Il y eut encore ici une nouvelle brouillerie au sujet du commandement et du butin à faire, et puis une nouvelle réconciliation due à la modération de d’Iberville. Les deux commandans partirent ensemble pour aller à la Baie de Toulle, sur le chemin de Rognouse à St. Jean. Ils rencontrèrent sur leur route le sieur de Plaine, gentilhomme canadien, que d’Iberville avait envoyé à la découverte avec douze hommes, et qui lui amenait douze prisonniers. On apprit d’eux qu’il y avait cent-dix Anglais à la Baie de Toulle, et que tous ceux qui avaient abandonné les postes conquis par le gouverneur de Plaisance, (dans son expédition contre St. Jean,) n’y avaient perdu que leurs maisons; qu’ils comptaient bien les rebâtir au printemps, et y faire leur pêche à l’ordinaire. Ces avis confirmèrent d’Iberville dans la pensée que c’était par les bois qu’il fallait attaquer les Anglais dans cette île; par la raison que de cette manière, on leur enlevait généralement tout ce qu’ils possédaient, et qu’ils ne savaient plus où se réfugier. C’est ce qui l’engagea à renvoyer le Profond en France, avec tous les prisonniers dont il croyait pouvoir disposer.

M. de Brouillan n’attendait que ce départ pour lever le masque: il commença par déclarer qu’il prétendait que tous les Canadiens fussent à ses ordres, qu’il leur donnait M. de Muys pour commandant, et qu’il casserait la tête au premier qui refuserait de lui obéir. Il dit ensuite à M. d’Iberville qu’il pouvait aller où bon lui semblerait avec ses volontaires. Celui-ci s’apperçut alors, mais un peu tard, du piège que lui avait tendu le gouverneur de Plaisance, pour l’engager à renvoyer le Profond, et l’obliger par là à rester en Terre-Neuve les bras croisés, tandis que lui-même aurait tout l’honneur et le profit de la conquête de St. Jean. M. de Brouillan n’était pourtant pas sans inquiétude du côté des Canadiens: il comprenait qu’il allait allumer une guerre civile, où il ne serait peut-être pas le plus fort. D’autre part, d’Iberville n’était pas peu embarrassé lui-même par l’impuissance où on le mettait de remplir ses engagemens avec les Canadiens; et il craignait de n’avoir pas assez d’autorité sur eux, pour les empêcher de se faire justice par la voie des armes. Ces réflexions, faites de sang froid de part et d’autre, produisirent une troisième réconciliation: on se promit réciproquement de ne plus parler de rien.

(A continuer.)


En 1692, secondé du baron de Lahontan, capitaine réformé, le même dont nous avons des mémoires sur la Canada, et de quelques autres officiers, mais n’ayant que cinquante hommes de garnison, et à peu près autant d’habitans, M. de Brouillan repousa l’attaque d’une escadre anglaise formidable contre sa place, avec une vigueur et une habileté qui lui firent beaucoup d’honneur.

BIOGRAPHIE.

Clement (Jean Marie Bernard), né à Dijon, le 25 Décembre 1742, fut d’abord professeur au collège de cette ville; mais sur un mécontentement que lui causèrent quelques nouveaux règlemens, il quitta brusquement sa place, et vint à Paris, en 1768. Quoiqu’alors à peine âgé de 26 ans, il eut le courage d’attaquer les novateurs dans tout l’éclat de leur gloire, toute la force de leur puissance, et de se déclarer le défenseur du goût, dont tous ses écrits prouvent assez qu’il connaissait les vrais principes. Il les avait puisés à leur véritable source, dans une étude approfondie des chefs-d’œuvre de l’antiquité. “Peut-être, dit l’abbé Sabatier, M. Clément a-t-il excédé les bornes de la critique, non pas en s’écartant, comme on a voulu le faire croire, de la modération et de l’honnêteté, mais en mettant trop de sévérité dans ses décisions, et surtout en négligeant d’analyser les beautés, après avoir discuté les défauts. Cette espèce d’injustice a paru principalement dans ses observations à l’égard de la traduction en vers des Géorgiques de Virgile, par M. l’abbé Delille.”

Ce reproche n’est pas sans quelque fondement: on peut dire cependant pour la justification de Clément, qu’il était jeune alors et enthousiaste admirateur de Virgile. Chacun exaltait le nouveau traducteur; il avait égalé, disait-on, et plus d’une fois même surpassé l’original. Clément n’entendit pas de sang froid des éloges qui lui semblaient injurieux à la mémoire du plus grand des poëtes latins, et il se crut obligé, pour l’intérêt de la saine littérature, de démontrer que cette traduction avait souvent affaibli la haute poésie du modèle, et plus souvent encore substitué le bel, esprit aux images et au sentiment. Donner de l’esprit à Virgile était un crime impardonnable aux yeux du nouvel Aristarque. Il s’attacha donc aux défauts, que personne ne voulait voir, et négligea les beautés, que tout le monde voyait assez. Mais en lui-même il rendait justice à la brillante versification de l’abbé Delille, et au rare talent qui avait surmonté en partie les obstacles d’une traduction jusqu’alors jugée impossible.

Quelque parti que l’on prenne sur cette querelle littéraire, on sera toujours forcé de convenir que si les critiques de Clément sont armées quelquefois de trop de sévérité, jamais du moins elles ne portent absolument à faux, et dans un art où il n’est point de degré du médiocre au pire, l’excès de la sévérité est peut-être préférable à l’excès de l’indulgence. “Il est avantageux et même nécessaire au maintien de la république des lettres, dit encore l’abbé Sabatier, qu’il s’élève de temps en temps de ces esprits assez éclairés pour connaître les règles du bon goût, assez habiles pour démêler les usurpations du mauvais, et assez fermes pour en arrêter les progrès. La littérature est une espèce d’arène où les combattans sont soumis au jugement de chaque spectateur, qui a droit d’y aller combattre à son tour, et personne ne doit s’y engager, s’il refuse de s’assujétir aux lois établies, dont la première est la liberté.” Il eût donc été plus raisonable et souvent plus utile aux auteurs de faire tourner au profit de leurs talens les observations du critique, que d’employer leur crédit à persécuter sa personne.

Cette réflexion, qui est de l’auteur que nous venous de citer, nous conduit naturellement à parler du démêlé de St. Lambert avec Clément. St. Lambert, averti par l’infidélité d’un imprimeur, que la Critique de poëme des Saisons allait paraître, courut chez le lieutenant de police, se plaindre qu’on osât imprimer une critique de son poëme, dans laquelle on se permettait, disait-il, des personalités odieuses. A ses yeux cette critique était un libelle. Il parvint à faire enlever et séquestrer toute l’édition. Clément écrivit à St. Lambert, et sa lettre pleine de railleries, irrita tellement le poëte, qu’il fit agir tous ses amis, et obtint un ordre de M. de Sartine pour l’arrêtation de Clément, qui fut mis au fort l’Evêque. Il n’y resta que trois jours; Jean-Jacques, dit-on, contribua à son élargissement; car le philosophe genevois s’éleva fortement contre cet acte d’autorité. “Ne pourra-t-on plus, s’écria-t-il, dire que des vers sont froids et rampants sans s’exposer à une détention ignominieuse?” Une dame, devant laquelle il parlait ainsi, se hâta d’employer son crédit, et fit rendre la liberté au critique. A quelque temps de là, cette même dame lisant des vers récemment échappés à la plume de St. Lambert, demanda à Rousseau ce qu’il en pensait? “Le nouveau Philoxène, répondit-il, dira qu’on le ramène aux carrières.”—L’usage voulait alors, qu’après avoir été enfermé, on allât faire une visite à ceux mêmes qui avaient demandé l’ordre de détention. Clément se conforme à l’usage: il va voir l’auteur des Saisons. “J’espère, dit St. Lambert, que nous oublierons ce qui s’est passé.—Monsieur, répondit Clément, en le quittant aussitôt, c’est à vous à l’oublier.” Il avait raison: le souvenir de cette tracasserie despotique ne pouvait être pénible et honteux que pour St. Lambert.

Après l’aventure du fort l’Evêque, Clément poursuivit sa carrière littéraire. Au mérite de bien analyser un ouvrage, d’en faire connaître les défauts, et de donner des préceptes de goût toujours fondés sur la nature et la raison, il joignait encore le talent de la poésie. Plusieurs morceaux des satires qu’il a publiées sont restés dans la mémoire de ceux qui aiment les vers. Sa manière approche souvent de celle de Despreaux, soit pour le fond des choses, soit pour la tournure et le mécanisme de la versification. Son style est toujours simple et noble; et ses périodes enchaînées, ses repos ménagés avec art, prouvent qu’il avait reçu de la nature le sentiment de l’harmonie, et que sa muse, ennemie du clinquant et de la versification scintillante, ne recherchait que l’or pur des Racine et des Boileau.

Sa conversation était quelquefois gaie, souvent instructive, mais en général modeste et peu brillante; il avait besoin d’être excité. On connaît de lui cependant quelques saillies heureuses: nous citerons entr’autres celle-ci: Gilbert estimait son talent et lui demandait souvent des conseils; mais les deux satiriques se perdirent de vue pendant quelques mois. Clément était à la campagne; il revient à Paris, et rencontre sur le Pont-Neuf Gilbert vêtu d’un habit fort riche et d’une veste de drap d’or: “Eh! bonjour, mon ami, que je suis aise de vous voir! comment vous portez-vous? Pas mal, répondit Gilbert, ma santé est bonne, et depuis quinze jours ma fortune est devenue meilleure: l’archevêque de Paris m’a fait une pension. En effet, réplique aussitôt Clément, vous voila beau et paré comme un devant d’autel.”

Les ouvrages de Clément sont, I. Observations critiques sur la nouvelle traduction en vers français des Géorgiques de Virgile, et les poëmes des Saisons, de la Déclamation et de la Peinture. Genève, 1771, 1 vol. in 8°. II. Nouvelles observations critiques sur différents sujets de littérature. Paris, 1772, 1 vol. in 8°.—Cet ouvrage intéressant, où respire le goût de la saine littérature et de ses vrais principes, doit être lu et médité par tous ceux qui, avec des talens, se disposent à suivre avec fruit la carrière des lettres. III. Lettres à Voltaire, Paris, 1773 et 1774, 3 vol. in 8°. L’auteur de la Henriade indigné lui donna le surnom d’Inclément dont le célèbre critique riait souvent lui-même, et qui est devenu presque inséparable de son nom. IV. De la Tragédie pour servir de suite aux Lettres à Voltaire. Amsterdam, Paris, 1784, 1 vol. in 8°. V. Essai sur la manière de traduire les poëtes en vers; 1 vol. in 8°. Cet ouvrage et le précédent sont les chefs-d’œuvre de l’auteur, et les principaux titres qui le placent au premier rang des critiques et des législateurs littéraires. VI. Médée, tragédie en trois actes, Paris, 1779.—Elle n’obtint aucun succès à la représentation: on y rencontre cependant de beaux vers, de belles tirades; l’exposition est digne d’être admirée et d’être méditée par les poëtes tragiques. Nous croyons devoir transcrire ici une note écrite de la main de l’auteur sur un exemplaire de Médée trouvé chez lui après sa mort. “L’auteur n’avait que vingt ans, lorsqu’il fit en province cette esquisse dramatique. Plus de quinze ans après, sa pièce fut jouée à Paris et jugée avec une rigueur qu’il avait provoquée par ses critiques et ses satires; il ne s’en plaignit point, et se soumit de bonne grâce à la loi du talion.” On se rappelle cependant que le premier acte de la nouvelle Médée fut très applaudi; ce qui n’engagea point l’auteur à la faire reparaître au théâtre. Après avoir donné le précepte, il voulut donner l’exemple, et prit pour lui le conseil qui termine sa troisième satire. VII. Essai de critique sur la littérature ancienne et moderne. Paris 1785, 2 vol. in 8°. Ces essais pourraient devenir classiques; ils sont pleins d’apperçus neufs et d’observations fines, qui décrient le profond littérateur. VIII. Satires, 1 vol. in 8°. 1786. La troisième édition, qui est le plus correcte, se trouve dans dans le recueil des Satires du 18e siècle. IX. Traduction de plusieurs harangues de Cicéron. Paris, 1786 et 1787, 8 vol. in 12. X. Petit Dictionnaire de la Cour et de la Ville, Paris, 1788, 1 vol. in-12. Cet ouvrage, devenu rare, prouve que l’auteur possédait cet esprit d’observation qui, saisissant les rapports éloignés des objets, sait en faire resortir avec art les nuances les plus délicates. XI. Les Onze Journées, contes arabes, traduction posthume de Galland, revue et corrigée par Clément, Paris, 1798, 1 vol. in 12. XII. Amours de Leucippe et de Clitophon, traduit du grec d’Achille-Tatius, évêque d’Alexandrie. Paris, 1800, 1 vol. in 12. XIII. Journal Français, rédigé concurremment avec Palissot. XIV. Journal Littéraire, Paris, 1796 et 1797, 4 vol. in 8°. XV. Tableau annuel de la littérature française. Paris 1801, 1 vol. in 8°. XVI. Un nouvelle édition de J. B. Rousseau, avec des Commentaires par Clément; ouvrage qui n’a pas été continué. XVII. Jérusalem délivrée, poëme imité du Tasse. Paris, 1800, 1 vol. in 8°. L’auteur ayant appris que Laharpe promettait au public une traduction du Tasse, voulut devancer son rival, et publia sa Jérusalem avant d’y avoir mis la dernière main. On y rencontre beaucoup de négligences; on y trouve aussi de grandes beautés, de l’harmonie, de la force, de la richesse poétique, et des morceaux d’une grande facture, qui annoncent un poëte nourri dans la bonne école. Si un rédacteur d’Ornemens de la mémoire, si un compilateur éclairé voulait extraire de ce poëme, quelques uns des passages les plus dignes d’être retenus, ce travail ne contribuerait pas peu à enrichir l’esprit et former le goût de la jeunesse.

Clément mourut à Paris le 3 Février 1812. M. G. de la Madelaine, son ami, a fait pour lui cette épitaphe.

    Clément par ses vers et sa prose

Vengea le dieu du goût trop fréquemment proscrit,

Et luttant contre un siècle en proie au bel-esprit,

De l’antique bon-sens fit triompher la cause.

Il meurt, mais il échappe au néant des tombeaux;

    Et sur les hauteurs du Parnasse,

    S’en va pour jamais prendre place

    Entre Adisson et Despréaux.

LE PHARE D’EDDYSTONE.

Les rochers d’Eddystone, sur l’un desquels le phare de ce nom est placé, sont situés, près du sud-sud-ouest du détroit de Plymouth, distant de quatorze milles du port de cette ville, et près de dix milles du promontoire appellé Ramhead. Comme il se trouvent précisément près de la place où les vaisseaux font le cabotage, il est tout naturel de penser que les dangers qu’ils présentaient étaient des plus grands, avant que le phare fût établi. Leur situation est telle qu’ils sont en butte à toutes les houles qui viennent du sud-ouest, houles que tous les marins s’accordent à trouver plus grandes et plus effrayantes que toutes celles qu’on voit ordinairement dans les autres mers.—Il est utile d’observer, qu’en sondant la mer, du côté d’Eddystone, on trouve qu’elle a de quatre-vingt à quarante brasses de profondeur; d’où il résulte que toute la mer du sud-ouest vient incontestablement se briser contre ces masses inébranlables, qui s’étandant à travers le canal, dans une direction nord et sud, augmentent nécessairement la hauteur et la force des vagues qu’un vent frais, au défaut d’un orage, pousse également avec la plus grande violence.

Tout le monde en Angleterre était persuadé de la nécessité d’établir un phare sans ces parages; mais personne n’osait se charger d’une entreprise qui offrait de si grandes difficultés dans son exécution. Cependant un habitant de Littleburg, dans le comté d’Essex, nommé Henry Winstanley, ayant obtenu du gouvernement les pouvoirs nécessaires pour construire sur les rochers d’Eddystone, un édifice qui donnât les résultats désirés, il le commença en 1696, et le termina dans l’espace de quatre ans. Satisfait de son ouvrage, il ne douta pas de sa solidité, et sur quelques observations qui lui furent faites, à ce sujet, il répondit qu’il était si tranquille sur ce point, qu’il désirait que pendant le séjour qu’il comptait encore faire dans l’édifice qu’il venait d’élever, une tempête horrible survînt, afin de confondre ses envieux, et de prouver à ses concitoyens que sa confiance était fondée. Jamais vœu ne fut plus téméraire; car le 25 Novembre 1703, tous les vents s’étant déchainés avec une violence dont on n’avait pas encore eu d’exemple, la mer devint furieuse, et la nuit suivante, les vagues s’élevèrent à un hauteur si considérable, qu’elles firent disparaître le phare, ainsi que toutes les personnes qui l’habitaient. Quelques recherches que l’on fit, on ne put jamais parvenir à découvrir le corps de Winstanley, ni de ceux de ses compagnons d’infortune, et l’on ne retrouva de tout l’édifice, que la barre de fer qui avait servi à le fixer sur le rocher.

Six ans après ce désastre, un négociant nomme John Rudyerd, construisit un nouveau phare en bois, qui brava tous les élémens pendant l’espace de près d’un demi-siècle, et fut renversé de fond en comble, en 1755. Alors, M. Simeaton, aussi habile mécanicien que savant ingénieur, fut choisi comme étant la personne la plus capable de refaire cet important ouvrage, et de lui donner la stabilité nécessaire. En effet, tous les soins se tournèrent d’abord vers ce but, et le fruit de ses réflexions et de sa longue expérience dans les arts qu’il professait, le conduisit à se convaincre qu’un édifice en pierre était, sous plusieurs rapports, et particulièrement sous celui de la solidité, préférable à un de bois. Ce projet trouva un grand nombre de contradicteurs; mais la constance de M. Simeaton ayant enfin triomphé de tous les obstacles qu’on lui opposait, il ne s’occupa plus qu’à chercher qu’elle pouvait être la forme la plus convenable à donner à un édifice destiné à être situé dans une position aussi critique. En conséquence, il trouva qu’en élargissant la base du bâtiment, sans augmenter pour cela les dimensions de la partie qui se trouverait entre le sommet du rocher et celui de son ouvrage, il gagnerait en force ce qu’il oterait de la résistance à opposer au pouvoir destructeur qu’il avait à combattre.

Toutes ses idées étant fixées, et son plan définitivement arrêté, il posa la première pierre de son édifice, le 2 Avril 1757, et le 4 Août 1759, il fut entièrement terminé. Il a quatre-vingts pieds d’élévation, et est divisé en quatre étages, au-dessus desquels est une galerie où le fanal se trouve placé. Chacun de ces étages n’a qu’une seule chambre voûtée. Ce phare, que tous les connaisseurs regardent comme une des merveilles de l’art, a résisté, jusqu’à présent, à toutes les attaques des élémens réunis.

LA CAROTTE A MOREAU.

Le morceau suivant, quoique déjà un peu ancien, nous a paru digne d’être inséré et conservé dans ce recueil, à cause des renseignemens et des avis utiles qu’il contient.

“Le soussigné a été appellé en grande hâte, Lundi dernier, au secours de trois enfans de la paroisse de St. Antoine, qu’on disait avoir été empoisonnés par la Carotte à Moreau. Lorsque j’arrivai, un des trois enfans, âgé de cinq ans, était déjà mort: un autre âgé de 7 ans, mourut dans les convulsions les plus horribles, quelques minutes après que je l’eus vu. Le troisième enfant, soit qu’il eût moins mangé de cette racine vénéneuse, ou qu’il en ait mangé après les deux autres, en est revenu. Les deux premiers furent trouvés dans le chemin, dans un état semblable à celui que cause l’ivresse: le troisième se rendit tout de suite à la maison, et dit à sa mère qu’il avait mangé de mauvaises carottes, qui avaient rendu son frère et l’enfant du voisin bien malades. Avec une présence d’esprit peu ordinaire aux parens, elle lui fit avaler abondamment de l’eau chaude et du lait, ce qui le fit vomir très copieusement. On distingua clairement la carotte à moreau dans ce qu’il avait rendu. Ce qu’il y a de singulier, c’est que le pouls de cet enfant n’était point du tout altéré, bien que son système nerveux fût dans le plus grand engourdissement, et que les prunelles de ses yeux fussent extrêmement dilatées.”

Cette plante délétaire, la carotte à moreau, ainsi que l’appellent les paysans, est, comme je l’avais toujours soupçonné, la cigûe vénéneuse, (cicuta virosa) de Linnee. On m’a montré l’endroit où la catastrophe dont je viens de parler, est arrivée, et j’ai vu les restes des différentes racines que ces infortunés enfans avaient mangées. Ces racines croissaient dans un fossé tout plein d’eau, à côté du chemin; et c’est là une des propriétés distinctives de la cigûe vénéneuse; d’où vient que les anciens l’apellaient cigûe aquatique (cicuta aquatica) et que les Anglais lui ont donné le même nom (water hemlock). Les Athéniens se servaient, dit-on, du jus, ou du suc exprimé de cette plante, pour mettre à mort leurs criminels d’état: c’est avec cette funeste liqueur qu’ils ôtèront la vie à Socrates. Il y a trois espèces de cigûes: 1°. la cigûe bulbeuse (cicuta bulbifera;) 2°. la cigûe tachetée, (cicuta maculata;) 3°. la cigûe vénéneuse, (cicuta virosa,) qui est celle dont il a été parlé plus haut. Cette dernière est, comme son nom l’indique, beaucoup plus venimeuse que les deux autres, et surtout dans le printemps, lorsque la tige commence à se montrer; et c’est pour en avoir mangé dans cette saison, que ces enfans sont morts si promptement: le premier ne vécut guère plus d’une heure après en avoir mangé, et le second une heure et demie. Il arrive si souvent des accidens de cette nature, qu’on est étonné de voir des parens assez négligents pour laisser croître la carotte à moreau si près de leurs maisons. Il y a trois ans, deux enfans de la même paroisse sont morts pour en avoir mangé: et il y a dix ou douze ans, dans la paroisse de St. François, le père, la mère et sept enfans moururent tous dans la même après-midi, ayant fait cuir une quantité de ces racines, qu’ils avaient prises pour des carottes ordinaires.

Il est étonnant qu’on puisse s’y tromper si souvent; car il y a entre ces deux plantes, une différence frappante. La carotte potagère croît dans un sol léger, sec et sablonneux; elle est de figure conique, diminuant graduellement à partir de la tête, et se terminant par une fibre: elle a de six à douze pouces de longueur, et est de couleur rouge, jaune ou orangée: la carotte à moreau, au contraire, croît dans l’eau ou dans un terrain extrêmement humide; elle est bulbeuse, ou en forme de cruche, étant plus grosse à un ou deux ponces au-dessus de la tête; elle est noueuse, se termine abruptement, et a rarement cinq pouces de longueur. Chaque tige a plusieurs racines, qui forment presque, en divergeant, des angles droits: elle est de couleur blanchâtre ou jaunâtre, et a une très mauvaise odeur; lorsqu’on la mâche, elle remplit aussitôt la bouche d’une saveur désagréable, quoi qu’aromatique; et cette sensation reste quelque temps sur la langue. Comme je l’ai observé plus haut, il y a trois espèces de cigûes: celle dont on se sert en médecine, la cicuta maculata ou conium maculatum, est la plus douce des trois. S’il fallait ajouter foi aux histoires étonnantes que rapporte le Dr. Storck, de Vienne, ce serait une panacée, un spécifique infaillible pour toutes ces affections glanduleuses, qu’on pourrait appeller herculéennes, et qu’on a toujours regardées comme l’opprobre de la médecine. Le docteur ne fait point scrupule de la donner même pour un remède infaillible pour le cancer. Mais hélas! le spécifique est tombé dans l’oubli avec celui qui l’a découvert.—Il faut pourtant avouer que c’est une bonne médecine dans certains cas; mais alors on l’emploie presque toujours avec le mercure, soit sous une forme ou sous une autre. Dans la coqueluche et dans les affections spasmodiques de l’estomac, elle donne quelquefois du soulagement. Les feuilles broyées et appliquées sur les ulcères cancéreux, produisent un bon effet; mais elles répandent une odeur que bien des malades ne peuvent pas supporter.

Medicus.

Rivière Chambly, 28 Avril, 1818.

CHANSON

Faite pour un diner donné à Benjamin Franklin, à Paris.

Sur l’air: Lampons, lampons.

Que l’histoire sur l’airain

Grave le nom de Franklin;

Pour moi, je veux, à sa gloire,

Faire une chanson à boire.

    Le verre en main,

Chantons notre Benjamin.

 

En politique il est grand;

A table, joyeux et franc:

Tout en fondant un empire,

Vous le voyez boire et rire.

    Le verre en main, &c.

 

Comme un aigle audacieux,

Il a volé jusqu’aux deux,

Et dérobé le tonnerre

Dont ils effrayaient la terre.

    Le verre en main, &c.

 

L’Américain indompté

Conserve sa liberté:

Moitié de ce bel ouvrage

Est encor de notre sage.

    Le verre en main, &c.

 

On ne combattit jamais

Pour de plus grands intérêts:

Ils veulent l’indépendance

Pour boire des vins de France.

    Le verre en main, &c.

 

L’Anglais, sans humanité,

Voulait les réduire au thé:

Franklin fait, à l’Amérique,

Boire du vin catholique.

    Le verre en main, &c.

 

Ce n’est point mon sentiment

Qu’on fasse un débarquement:

Que faire de l’Angleterre?

On y boit que de la bière.

    Le verre en main,

Chantons notre Benjamin.

IMPRIMERIE.

C’est la découverte la plus favorable à la civilisation et aux progrès des sciences et des arts: grâce à elle, on peut espérer que ce qui a été appris jusqu’à présent ne sera point perdu, et que désormais les lumières de l’homme ne pourront que s’accroître.

Plusieurs villes se sont disputé l’invention de l’imprimerie; il parait cependant que l’honneur en doit rester à celle de Mayence, dans la personne de Jean Guttemberg, l’un de ses citoyens.[1]

Il était d’une famille noble du nom de Sorgenlock, dont les différentes branches avaient des surnoms pris des enseignes qui distinguaient les maisons qu’elles habitaient, tel que celui de Guttemberg, qui était le nom de la sienne. Ce gentilhomme, réfléchissant au temps considérable qu’il fallait pour faire plusieurs copies d’un livre, imagina de graver sur des planches de bois des pages entières, que l’on imprimait ensuite autant de fois que l’on voulait. Ce fut là le premier pas vers la découverte de l’imprimerie. C’était beaucoup; mais ce n’était pas passez encore: il fallait un travail immense pour graver ainsi un seul ouvrage; et Guttemberg voulait abréger le temps: il mit en œuvre un nouveau moyen: il sculpta en relief des lettres mobiles ou sur bois, ou sur métal. Ces lettres se plaçaient les unes à côté des autres, enfilées par un cordon, comme les grains d’un chapelet. On présume qu’il fit ce second essai à Strasbourg, en 1440.

Ces tentatives lui réussirent peu dans le commencement, et épuisèrent toute sa fortune. Il se vit obligé, vers 1444, de retourner à Mayence, et de s’associer avec un orfèvre de cette ville, appellé Faust. Ce dernier ne paraît avoir contribué à la nouvelle invention qu’en donnant les fonds nécessaires. On admit dans la société un écrivain de profession, homme industrieux, nommé Pierre Schoeffer, natif de Gernzheim, en Allemagne. Ce fut lui qui acheva la découverte de l’imprimerie, en trouvant le secret de jetter en fonte les caractères, que jusqu’alors on avait sculptés un à un. Cette nouvelle invention, qui ne laissait plus rien à désirer que la perfection, eut lieu en 1452.

Les trois associés paraissent avoir travaillé ensemble jusqu’en 1455, et il est probable que ce sont eux qui ont mis au jour une bible sans date et sans aucune indication du nouvel art qui l’avait produite, et dont les caractères sculptés en bois et mobiles attestent une antiquité plus reculée que la bible connue de Faust et Schoeffer, imprimée en l’an 1462, en caractères de fonte. Il ne nous est parvenu de cette première bible que le second volume, qui existait à la bibliothèque mazarine: le titre, les sommaires et les lettres initiales ont été ajoutés à la main.

Guttemberg se sépara de ses associés vers 1155, et mourut en 1468. Il était depuis 1465, attaché à l’électeur de Mayence, Adolphe de Nassaw, en qualité de gentilhomme, avec des appointemens annuels.

C’est donc de Mayence que l’art typographique sortit pour se répandre par toute la terre. Ce fut ce même Adolphe de Nassaw, qui accueillit si honorablement Guttemberg, qui en même temps forçait les imprimeurs à abandonner la ville que l’on pouvait appeller leur patrie. Ayant surpris Mayence, et usant du droit du vainqueur, il lui ôta ses libertés et ses privilèges; et l’industrie souffrit de ce despotisme: les ouvriers s’en fuirent, et les imprimeurs se dispersèrent en différentes contrées de l’Europe.

Udalric, Han, Suvenheim et Arnold Pannaris se rendirent à Rome, où on les logea dans le palais des Maximes. Ils y imprimèrent, en 1467, la Cité de Dieu de St. Augustin, une bible latine, les Offices de Ciceron, et quelques autres livres. A Venise, Jean de Spire et Vaudelin publièrent en 1476 les Epitres de St. Cyprien; et dans la même année, Sixtus Rusurger fit paraître à Naples quelques ouvrages de piété. A Milan, Philippe de Lavagna mit au jour un Suétone, en 1475. Dès 1468, Londres avait vu sortir un livre de ses presses.—Strasbourg était célèbre par les beaux caractères de fonte de Jean de Cologne et de Jean Mautheim. Lyon, Rouen, Bâle, Louvain, Séville, Florence, Genève, et les autres grandes villes de l’Europe eurent bientôt des imprimeries: Abbéville même fit paraître en 1486, une traduction de la Cité de Dieu, en 2 vol. in folio.

Ce fit vers 1469 que l’imprimerie commença à s’exercer dans la capitale de la France. On doit son établissement aux docteurs de la maison de Sorbonne, qui appellèrent à Paris trois imprimeurs de Mayence, Ulric Gering, né à Munster, canton de Lucerne; Martin Crantz, et Michel Friburger. On les plaça d’abord dans la maison même de la Sorbonne. Le premier livre qu’ils publièrent fut les Epitres de Gaspard Rinus Pergamensis. Le caractère dont ils se servirent pour l’impression de cet ouvrage est rond, de gros-romain. Il s’y rencontre souvent des lettres à demi-formées, des mots achevés à la main, des inscriptions manuscrites, les lettres initiales en blanc, pour donner le moyen de les peindre en azur ou en or. Le papier est fort et collé sans être bien blanc. Gering amassa de grands biens par la pratique de son art; et en reconnaissance de ce qu’il devait à la maison de Sorbonne, il lui légua une partie de son héritage, pour être employé à l’instruction de la jeunesse. C’était faire un noble usage de la fortune qu’il devait aux moyens mômes qui répandent les sciences.

La stéréotypie est un procédé d’imprimerie de l’invention de M. M. Didot et Herhan. Il consiste à imprimer avec des caractères fixes: ce qui met à même de faire plusieurs réimpressions d’un même ouvrage, sans renouveller la composition et la correction. On peut, par ce moyen, donner au public des livres d’une correction finie et à bien meilleur compte.—(Petit Dictionnaire des Inventions, &c.)


Quoique l’invention de l’imprimerie soit attribuée â beaucoup de personnes, dont les plus connues sont Jean Guttemberg, de Strasbourg; Jean Faustus, de Mayence; Conrad et Arnaud, frères, de la même ville; Pierre Schoeffer, Pierre Gernshiem, Thomas Pieterson et Laurent Gerson, la ville de Harlem n’en réclame pas moins l’invention pour Laurent Coster, qui naquit dans ses murs. Aussi fait on voir dans la maison de ville de Harlem, un livre intitulé: Speculum humanœ salvationis, que l’on assure être le premier qui ait été imprimé. Il est rempli de figures et conservé sous une enveloppe de soie, dans un coffre d’argent. On voit aussi dans le même lieu, la statue de Laurent Coster. Voici l’inscription et les vers qui furent mis sur la porte de sa maison:

MEMORIÆ SCARUM.

Typographia, ars artium omnium conservatrix,

  Hic primùm inventa, circa annum 1440.

 

Vana, quid archetypos et prœla, Maguntia, jactas?

  Horlemi archetypos prœlaque nata scias.

Extulit híc, monstrante Deo, Laurentius artem.

  Dissimulare verum, dissimulare Deum est.

LA CHASSE DES CHEVAUX.

Les naturels du haut de la rivière Columbia, à partir des rapides, diffèrent essentiellement par le langage, les mœurs et les habitudes, de ceux dont il a été parlé dans les chapitres précédents. Ceux-ci n’habitent point dans des villages, mais sont errants, comme les Tartares et les Arabes du désert: leurs femmes sont plus industrieuses, et leurs filles plus retenues que celles des peuplades du bas de la rivière. Ils ne vont point nus, mais portent des habits de peaux de daim, qu’ils ont soin de frotter avec de la terre blanche, pour les tenir propres. On les voit toujours à cheval: ils sont en général bons cavaliers: ils poursuivent le daim, et pénètrent jusqu’au Missouri, pour tuer le bœuf illinois, dont ils font sécher le chair, qu’ils apportent sur leurs chevaux, pour en faire leur principale nourriture durant l’hiver. Ces voyages ne sont pas pour eux sans dangers; car ils ont beaucoup à appréhender de la part des Pieds-noirs, leurs ennemis. Comme cette tribu est puissante et féroce, les Serpens, les Nez-percés ou Chahaptins, les Têtes-plates, &c. font cause commune, et se liguent contre elle, lorsqu’il s’agit d’aller faire la chasse à l’Est des montagnes. Ils partent avec leurs familles, et souvent la cavalcade se monte à 2000 chevaux.—Quand ils ont le bonheur de ne pas rencontrer l’ennemi, la chasse est ordinairement bonne: ils chargent une partie de leurs chevaux de la venaison, et s’en retournent chez eux, pour passer tranquillement l’hiver. Quelquefois, au contraire, ils sont tellement harrassés par les Pieds-noirs, qui fondent sur eux de nuit, et leur enlèvent leurs chevaux, qu’ils sont contraints de s’en revenir sans avoir fait de chasse: et alors ils n’ont que des racines pour nourriture, durant tout l’hiver.

Ces sauvages sont passionnés pour les courses de chevaux: les paris qu’ils font en ces occasions vont quelquefois jusqu’à les dépouiller de tout ce qu’ils possèdent. Les femmes vont à cheval comme les hommes. En guise de bride, ils se servent d’une corde faite de crin de cheval, qu’ils attachent à la bouche de l’animal. La selle est un coussin très propre à l’usage auquel il est destiné, blessant rarement le cheval, et ne fatiguant pas le cavalier autant que nos selles européennes. Les étriers sont des morceaux de bois fort, ingénieusement travaillés, repliés, et de même forme que ceux dont on se sert dans les pays civilisés. Ces morceaux de bois sont recouverts d’une pièce de peau de chevreuil posée humide, et qui, en séchant, se roidit et devient dure et ferme.

Ils se procurent leurs chevaux parmi les troupeaux de ces animaux marons qui se rencontrent quelquefois au nombre de mille à quinze cent. Ces chevaux viennent du Nouveau Mexique, et sont de race espagnole: nous en vîmes qui avaient été étempés par des Espagnols. Quelques uns de nos gens, qui avaient pénétré au sud, me dirent qu’ils avaient vu des brides dont les mords leur avaient paru d’argent. La forme des selles dont les femmes se servent prouve qu’ils ont pris modèle sur les selles espagnoles destinées au même usage.

Comme la manière de prendre les chevaux marons ne doit pas être généralement connue de mes lecteurs, je la rapporterai ici en peu de mots. Le sauvage qui veut prendre des chevaux, monte sur un de ses meilleurs coursiers, muni d’une longue corde faite de crin de cheval, et dont un des bouts est en nœud coulant: arrivé près d’un troupeau, il se jette au milieu, et lançant sa corde, il la passe adroitement sur la tête du cheval qu’il veut prendre; puis tournant promptement son coursier, il tire la corde après lui: le cheval se sentant étrangler, fait peu de résistance: le sauvage s’approche alors, lui attache les deux pieds de devant, et le laisse, jusqu’à ce qu’il en ait pris ainsi le nombre qu’il veut emmener. Il les conduit ensuite devant lui, et les dompte au besoin.—(Voyage de Franchère.)

ANCIEN ETAT DE LA GRECE.

Extrait de l’Histoire de Thucydide.

Jusque vers le temps de la guerre du Péloponèse, le pays qui porte aujourd’hui le nom de Grèce, ne fut point habité d’une manière constante; mais il était sujet à de fréquentes émigrations, et ceux qui s’arrêtaient dans une contrée, l’abandonnaient sans peine, repoussés par de nouveaux occupans, qui se succédaient toujours eu plus grand nombre. Comme il n’y avait point de commerce, que les hommes ne pouvaient sans crainte communiquer entr’eux, ni par terre, ni par mer; que chacun ne cultivait que ce qui suffisait à sa subsistance, sans connaître les richesses; qu’ils ne faisaient point de plantations, parce que n’étant pas défendus par des murailles, ils ne savaient pas quand on viendrait leur enlever le fruit de leur labeur: comme chacun enfin croyait pouvoir trouver partout sa subsistance journalière, il ne leur était pas difficile de changer de place. Avec ce genre de vie, ils n’étaient puissants ni par la grandeur des villes, ni par aucun autre moyen de défense. Le pays le plus fertile était celui qui éprouvait les plus fréquentes émigrations: telles étaient les contrées qu’on nomme à présent Thessalie, la Béotie, la plus grande partie du Péloponèse, dont il faut excepter l’Arcadie, et les autres enfin, en proportion de leur fécondité: car dès que par la bonté de la terre, quelques peuplades avaient augmenté leur force, cette force donnait lieu à des séditions qui en causaient la ruine, et elles se trouvaient d’ailleurs plus exposées aux entreprises du dehors.—L’Attique, qui, par l’infertilité de la plus grande partie de son sol n’a point été sujette aux séditions, a toujours eu les mêmes habitans, et ce qui n’est pas une faible preuve de l’opinion que j’établis, c’est qu’on ne voit pas que des émigrations aient contribué de même à l’accroissement des autres contrées. C’était Athènes que choisissaient pour refuge les hommes les plus puissants de toutes les autres parties de la Grèce, quand ils avaient le dessous à la guerre, ou dans des émeutes: ils n’en connaissaient point de plus sûr, et devenus citoyens, on les vil, même à d’anciennes époques, augmenter la population de la république: on envoya même dans la suite des colonies en Ionie, parce que l’Attique ne suffisait plus à ses habitans.

Sans défence dans leurs demeures, sans sûreté dans leurs voyages, les Grecs ne quittaient point les armes; ils s’acquittaient armés des fonctions de la vie commune, à la manière des barbares. Les endroits de la Grèce où ces coutumes sont encore en vigueur, prouvent qu’il fut un temps où des coutumes semblables y régnaient partout. Les Athéniens les premiers déposèrent les armes, prirent des mœurs plus douces, et passaient à un genre de vie plus policé.

Sparte n’est pas composée de bâtimens contigus, mais la population y est distribuée par bourgades, suivant l’ancien usage de la Grèce.

Tel j’ai trouvé l’ancien état de la Grèce: il est difficile d’en démontrer l’exactitude par une suite de preuves liées entr’elles: car les hommes reçoivent indifféremment les uns des autres, sans examen, ce qu’ils entendent dire sur les choses passées, même lorsqu’elles appartiennent à leur pays.

Remarques par M. de Volney.

En lisant tous ces articles, il n’est pas une ligne dont on ne puisse faire l’application aux sauvages de l’Amérique, à l’exception de ce qui concerne l’Attique.

L’on ferait un ouvrage extrêmement instructif, si l’on considérait et si l’on représentait sous ce point de vue de comparaison l’histoire de l’ancienne Grèce et de l’ancienne Italie. L’on y apprendrait à évaluer, à leur juste prix, une foule d’illusions et de préjuges dont on égare, dont on fausse nos jugemens, dans l’enfance et l’éducation. L’on y verrait ce qu’il faut penser de ce prétendu âge d’or où les hommes erraient nus dans les forêts de l’Hellas et de la Thessalie, vivant d’herbes et de glands: l’on sentirait que les anciens Grecs furent de vrais sauvages, de la même espèce que ceux d’Amérique, et placés presque dans les mêmes circonstances de climat et de sol, puisqu’alors la Grèce, couverte de forêts, était beaucoup plus froide qu’ajourd’hui. L’on en induirait que ces Pélasges, crus un seul et même peuple, errant et répandu depuis la Crimée jusqu’aux Alpes, n’ont été probablement que le nom générique des hordes sauvages des premiers indigènes, vagabonds à la manière des Hurons et des Algonquins, des anciens Germains et des Celtes; et l’on supposerait avec raison que des colonies d’étrangers plus avancés en police, venus des côtes d’Asie, de Phénicie, et même d’Egypte, en s’établissant sur celles de la Grèce et du Latium, ont eu avec ces indigènes des rapports, tantôt hostiles, et tantôt conciliants, de la nature de ceux des premiers colons anglais dans la Virginie et dans la Nouvelle Angleterre. Par ces comparaisons, l’on expliquerait et les mélanges et les disparitions de quelques uns de ces peuples; les mœurs et les coutumes de ces temps inhospitaliers, où tout étranger était un ennemi, où tout brigand était un héros; où il n’existait de loi que la force, de vertu que le courage guerrier; où toute tribu était une nation, toute réunion de baraques une métropole; l’on verrait dans cette époque d’anarchie et de désordre de la vie sauvage, l’origine de ce caractère d’orgueil et de jactance, de perfidie et de cruauté, de dissimulation et d’injustice, de sédition et de tyrannie, que montrent les Grecs dans le cours entier de leur histoire: l’on y verrait la source de ces fausses idées de gloire et de vertu, accréditées par les poëtes et les rhéteurs de ces temps farouches, qui ont fait de la guerre et de ses lugubres trophées le but le plus élevé de l’ambition humaine, le moyen le plus brillant de la renommée, l’objet le plus imposant de l’admiration de la multitude ignorante et trompée: et parce que dans ces derniers, temps surtout, nous avons pris à tâche d’imiter ces peuples, et que nous regarderons leur politique et leur morale, à l’égal de leurs arts et de leur poésie, comme le type de toute perfection, il se trouve, en dernier résultat, que c’est aux mœurs et à l’esprit des temps sauvages et barbares que notre culte et nos hommages sont adressés.

TANT PIS,—TANT MIEUX.

CONTE DIALOGUE.

Eh! bonjour donc, compère Etienne.

—Ah! c’est toi, mon ami, Lubin!

Te voila de retour enfin?

—Oui; la santé?—Bonne; et la tienne?

—Pargué! la mienne est bonne aussi.

Quoi de nouveau, compère, ici?

—J’ai perdu ma tante Bastienne.

—Hélas! tant pis.—Tant mieux, plutôt:

J’étais sans maison, aussitôt,

J’allai m’établir dans la sienne.

—Tant mieux, en ce cas.—Non, ma foi!

La maison, un peu trop ancienne,

Une nuit s’écroula sur moi.

—Tant pis.—Mais non; vaille que vaille,

J’en courrais les risques encor:

Dans les débris d’une muraille,

Ami, je découvre un trésor.

—Un trésor?—Oui; le richard Blaise,

Qui faisait tant le renchéri,

Me pressa, quand je fus guéri,

D’épouser sa fille Thérèse.

—Tant mieux.—Eh! non, c’est un lutin,

Qui me rompit d’abord la tête;

Je suis bon, mais un peu mutin,

Et le lendemain de la fête,

Je la rossai dès le matin.

—Tant pis, vraîment.—Non pas, compère:

Dès qu’une fois martin-bâton

Eut accouru, la ménagère

Devint plus douce qu’un mouton.

—Alors, tant mieux.—Tant mieux? eh! non:

Thérèse, depuis cette aubade,

Ne but, ni mangea, par boutade;

Et pour me ruiner, je crois,

Elle devint exprès malade.

—Tant pis.—Tant mieux; en moins d’un mois,

Ma femme, heureusement, est morte.

—Ah! tant mieux.—Le ****** m’emporte,

Si tu n’as dit vrai cette fois.

DE L’INFLUENCE DES NOMS.

Il est incontestable que les noms produisent de singuliers effets sur l’imagination. Moliere quitta le nom de Poquelin; Crebillon, celui de Jolyot; Voltaire, celui d’Arouet.—C’est déjà une preuve de goût dans un homme qui se montre au public, que de prendre un nom qui soit agréable, s’il n’a qu’un nom ridicule; et ceux qui gardent un nom trivial, comme font plusieurs écrivains d’aujourd’hui, se flattent vainement de l’illustrer: ils prouvent seulement qu’ils sont doublement sots, d’abord par leur orgueil, ensuite en s’obstinant à conserver un nom qui préviendra toujours mal en leur faveur.—Le nom de famille du pape Sergius était Grouin: il fit sagement de le quitter.—Barbier n’est connu aujourd’hui que sous le nom de Dancourt.—Madame de Gomez conserva le nom de son premier mari, pour ne pas prendre celui du second, qui se nommait Bonhomme.—Le poëte Théophile Viaut supprima, en homme d’esprit, son nom de famille.—Un savant, qui se nommait Bout-d’homme, latinisa ce nom, et se fit appeller Virulus.—Dorat se nommait Dinemandi, mot limousin, qui signifie Dine-matin. Il prit le nom de la ville où il demeurait, lorsqu’il vint à Paris. La fille de ce poëte épousa, malgré lui, un homme de lettres qui s’appellait Goulu, et qui est resté dans l’oubli.—Du temps de Cromwell, le long parlement, qu’on nommait par raillerie Croupion, fut présidé par un homme qui s’appellait Maigre-échine; et ce malheureux nom augmenta le ridicule jetté sur le parlement. Akakia et Melanchthon traduisirent leurs noms en grec, parce que le premier s’appellait, en italien, Sans-malice, et le second, en allemand, Terre-noire. Un des plus aimables poëtes de l’Italie changea son nom de Trapasso en celui de Metastase.[1]

D’un seul nom quelquefois le son dur et bizarre

Rend un poëme entier ou burlesque ou barbare.

(Dictionnaire de la Folie et de la Raison.)


Le directoire exécutif envoya en Suisse, en 1797, un commissaire nommé Rapinat, qui avait pour adjoints deux hommes, dont l’un se nommait Forfait et l’autre Grugeon. On fit alors sur M. Rapinat le quatrain suivant:

Un bon Suisse, que l’on ruine,

Voudrait bien que l’on décidât

Si Rapinat vient de rapine,

Ou rapine de Rapinat.

LE ROCHER FENDU.

Dans le township de Willsborough (Etat de New-York) est un rocher fendu fort curieux. Une pointe de montagne, qui s’avançait d’environ cinquante verges dans le lac Champlain, paraît avoir été brisée par quelque violente secousse de la nature. Cette pointe est éloignée du rocher ou de la montagne principale d’environ vingt pieds, et les deux côtés opposés se conviennent si exactement, qu’il n’est point besoin d’autre chose pour prouver qu’ils ont été autrefois unis. La pointe rompue ou détachée contient environ un demi-acre de terre, et est couverte de bois. La hauteur du rocher de chaque côté de l’ouverture est d’environ douze pieds. Au tour de cette pointe est une baie spacieuse, mise à l’abri des vents de sud-ouest et de nord-ouest par les collines et les bois environnants. Du côté de l’ouest sont quatre ou cinq fermes extrêmement bien cultivées, qui ensemble, à certaines saisons et dans certaines positions, forment un des plus beaux paysages que l’on puisse imaginer. Lorsqu’on navigue le long de celte côte, plusieurs milles avant d’arriver au Rocher Fendu, des montagnes nues et stériles semblent être suspendues sur la tête du voyageur et le menacer de la destruction. Une surface liquide, dont il ne voit pas le terme, se déploie devant lui. L’homme alors sent sa petitesse, et l’infidélité même rend un hommage involontaire au créateur. A l’instant et inopinément, la scène change; et regardant d’un œil curieux et avide par la fente du rocher, la nature offre à sa vue un bassin d’argent, une plaine verdoyante, une humble chaumière, une moisson dorée, une forêt majestueuse, une montagne élevée, un ciel d’azur, s’élevant l’un au-dessus de l’autre, “dans la juste gradation de l’étonnant ensemble.”—(Dr. Morse.)

LES SAUTERELLES.

Le premier récit des ravages commis par les sauterelles, se trouve entre les plaies infligées à l’Egypte, lorsque Pharaon, après en avoir reçu l’ordre du Seigneur, refusa de laisser partir le peuple de Dieu.

Dans l’année 591, une armée infinie de sauterelles d’une grandeur extraordinaire causa des ravages excessifs dans une partie de l’Italie; et ayant à la fin été précipitées dans la mer, l’infection qu’elles causèrent occasionna une peste qui fit mourir près d’un million d’hommes et de bêtes.

Dans le territoire de Venise en 1478, on dit aussi qu’il périt plus de 30,000 personnes, dans une famine occasionnée par ce terrible fléau.

En 1650, on en vit entrer une multitude dans la Russie par trois endroits différents: de là elles passèrent dans la Pologne et dans la Lithuanie, où l’air fut obscurci par leur grand nombre. Dans quelques endroits, on les trouvait mortes, entassées les unes sur les autres à la profondeur de quatre pieds; en d’autres places, elles couvraient la terre comme un drap noir; les arbres étaient affaissés sous leur poids, et le dommage qu’elles causèrent excéda toute computation.

Dans le Languedoc, à une époque plus récente, lorsque le soleil commença à avoir de la force, les sauterelles se mirent à voler, et se jettèrent sur le bled, dévorant la tige et les feuilles aussi bien que l’épi, et cela avec tant de célérité, que dans trois heures de temps, elles avaient consumé un champ entier. Après avoir mangé le bled, elles attaquèrent les vignes, les légumes, les saules, et à la fin le chanvre même, malgré son amertume.

En 1747, de vastes essaims firent des ravages infinis dans la Valachie, la Moldavie, la Transilvanie, la Hongrie et la Pologne. L’un de ces essaims, dans le mois d’Août, avait plusieurs centaines de toises de large, (un à Vienne avait trois milles de large), et était d’une si grande longueur, qu’il employa quatre heures pour passer au-dessus de la Tour Rouge: et telle était sa densité, qu’il interceptait totalement la lumière du soleil, et que lorsqu’il volait un peu bas, le monde ne pouvait pas se reconnaître à la distance de vingt pas.

Le major Moore, dans son récit du détachement du capitaine Little, lorsqu’il était à Pounah, fut témoin d’une armée immense de sauterelles qui ravagea le pays des Marattes, et que l’on supposa être venue de l’Arabie. On disait que la colonne avait 500 milles d’étendue, et elle était si compacte que lorsqu’elle était au vol, semblable à une éclipse, elle cachait complètement le soleil; de sorte qu’aucun objet ne donnait de l’ombre, et des tombes fort élevées, qui n’étaient pas à plus de deux cents verges de sa résidence, étaient entièrement invisibles.

Mr. Barron rapporte un exemple encore plus frappant des ravages des sauterelles dans les parties méridionales de l’Afrique: il rapporte qu’on pouvait dire à la lettre qu’une étendue de terre de près de deux milles quarrés en était couverte. Lorsqu’elles furent chassées dans la mer par un vent de nord-ouest, elles formèrent sur le bord de la mer, dans l’espace de cinquante milles, un banc de quatre pieds d’épaisseur, et lorsque le vent était sud-est, l’infection en était si forte, qu’elle se faisait sentir à une distance de 150 milles.

De 1778 à 1780, l’empire de Maroc fut dévasté par les sauterelles, d’une manière terrible; toute espèce de verdure fut mangée, sans épargner même l’écorce si amère des orangers et des grenadiers. Il s’en suivit une famine épouvantable. On voyait les pauvres errer çà et là dans les campagnes, soutenant leur existance avec les racines des plantes; des femmes et des enfans suivaient les chameaux, et recueillaient dans leur fumier les grains d’orge qui n’avaient pas été digérés, et les dévoraient avec avidité. En conséquence, il en périt un nombre immense, et l’on rencontrait dans les rues et sur les chemins, les cadavres des morts restés sans sépulture.

En 1799, avant la peste, la surface de la terre, depuis Mogadore jusqu’à Tangiers, fut couverte de sauterelles.—Toute la contrée depuis les confins du Sahara, fut ravagée par elles: mais de l’autre côté de la rivière Elchos, on n’en voyait pas une, quoiqu’il n’y eût rien pour les empêcher de voler de l’autre bord. Tout le pays au nord d’El-Arich était plein de légumes, de fruits et de grains, offrant le contraste le plus frappant avec la désolation du district voisin.—Enfin elles furent toutes précipitées dans l’océan occidental par un violent ouragan; le rivage, comme dans les exemples précédents, fut couvert de leurs carcasses, et l’horrible infection qu’elles jettaient, causa une peste; mais lorsque le mal cessa, leurs dévastations furent suivies d’une récolte fort abondante.

Un Monsieur qui résidait à Smyrne, visitant Ephèse en 1824, raconte dans une lettre à l’écrivain, qu’il a voyagé au travers d’une armée de sauterelles, qui étaient en si grand nombre, que l’air en était obscurci: elles offraient l’apparence d’une grosse tempête de neige, (excepté pour la couleur, qui était d’un jaune foncé au lieu d’être blanche,) et elles étaient si voraces, que quelques morceaux de pain jettes à terre furent dévorés à l’instant. Non seulement l’air était rempli de ces insectes, mais la terre en était couverte, de sorte que son cheval en avait écrasé des centaines. Et il dit qu’on n’aurait pas même pu jetter un schelling par terre sans qu’il tombât sur une sauterelle. Elles avaient environ deux pouces de long, et étaient d’une couleur de nankin pâle.

Le bruit que font les sauterelles, lorsqu’elles sont occupées à l’œuvre de destruction, a été comparé au pétillement d’une flamme poussée par le vent, et l’effet de leurs ravages a été comparé au feu.

Les sauterelles ne paraissent pas formées pour voler bien loin; cependant il est rapporté d’après une autorité digne de foi, que le 21 Novembre 1811, le navire Georgia, capitaine Stokes, dans un moment où les îles Canaries (qui étaient les terres dont il était le plus près) étaient éloignées d’environ 200 milles, étant tout à coup surpris par un calme, après avoir eu une bonne brise du sud-est, éprouva ensuite un vent fort léger du nord-est: il tomba d’un nuage apparent un nombre immense de grosses sauterelles, tellement que le pont, les cordages et toutes les parties du vaisseau sur lesquelles elles pouvaient se poser, en étaient couvertes. Elles ne paraissaient pas le moindrement épuisées: au contraire, lorsqu’on tentait de se saisir de quelques-unes d’entre elles, elles sautaient immédiatement, et s’efforçaient de s’esquiver. Ce calme, ou un vent très léger, dura une heure entière, et pendant tout ce temps, ces insectes continuèrent à tomber sur le vaisseau et à l’environner; celles à la portée desquelles il était, tombaient dessus, mais il en tomba dans la mer un nombre immense, que l’on voyait flotter en masse de chaque côté.—(Religious Magazine, de Philadelphie.)

Les sauterelles ont quelquefois, par leur immense multitude, causé de grands ravages en Canada, dans la chaude saison. Un exemple de cette nature a eu lieu dans l’île d’Orléans, il y a quelques années, pendant deux étés consécutifs. On dit que le nombre en était si prodigieux, qu’après avoir détruit toutes les productions végétales de l’île, elles furent forcées de l’abandonner par la crainte de mourir de faim; et après s’être assemblées sur l’eau en grands essaims, elles descendirent avec le reflux jusqu’à Québec, passèrent par la ville, dépouillèrent les ramparts, &c. de l’herbe qui s’y trouvait, et gagnèrent la campagne au sud en colonnes séparées. Plusieurs périrent dans le voyage, ce qui éclaircit un peu leurs rangs, et comme les autres se dispersèrent sur un grand espace de terre, le dégât qu’elles y firent ne fut pas aussi considérable que celui qu’elles avaient fait d’abord dans l’île d’Orléans.—(John Lambert.)

INSTITUT DE FRANCE.

SUR LA COMETE DE 1832.

L’Académie des Sciences reçoit la lettre suivante, signée de M. G***, professeur à Paris.

“Quelques journaux allemands prédisent, pour l’année 1832, l’apparition d’une comète qui doit faire périr notre globe. Quelques journaux français les ont copiés, J’ose demander a l’Académie si elle ne croit pas de son devoir de démentir au plus tôt cette ridicule astrologie.

“Les terreurs populaires ont de graves inconvénients. Plusieurs des membres de l’Académie peuvent encore se souvenir des accidents et des désordres qui suivirent une pareille menace imprudemment communiquée à l’Académie des Sciences par M. Delalande, en mai 1773. Des personnes faibles moururent d’effroi, des femmes avortèrent, et certains hommes surent trop bien exploiter à leur profit la terreur qu’inspira cette prétendue comète; ils vendirent fort cher des places en paradis. L’annonce de la comète de 1832 pourrait produire les mêmes effets, si l’autorité de l’Académie n’y portait un prompt remède, et beaucoup de bons esprits implorent en ce moment sa salutaire intervention.”

Comme il est extrêmement probable que l’Académie ne fera aucune réponse à cette lettre, nous entrerons ici dans quelques détails, qui montreront combien les terreurs populaires que redoute M. G*** seraient dépourvues de fondement.

La comète qui doit paraître en 1852 est la comète de 6 ans ¼, dont l’orbite a été calculée en France par un de nos astronomes les plus distingués (M. Damoiseau,) membre de l’Académie des Sciences. Tout ce qu’on a dit en Allemagne sur cette comète est fondé sur les résultats obtenus à Paris. Or ces résultats sont si loin d’être inquiétants, qu’ils ne laissent pas la moindre possibilité d’un accident. La comète de 1832, dans sa plus courte distance de la terre, en restera éloignée de plus de seize millions de lieues. Elle s’en approcherait mille fois davantage, qu’il n’y aurait rien à en redouter. En 1770, une comète approcha à 750,000 lieues (environ neuf fois plus loin que la lune.) Lalande évalue à 13,000 lieues la distance où une comète pourrait produire sur la terre des désordres sensibles.

D’où vient donc l’erreur des journalistes dont parle l’auteur de la lettre? Sans doute uniquement de ce que cette comète passera très près de l’orbite de la terre (à 4 diamètres et demi, treize à quatorze mille lieues;) de sorte qu’en effet si la terre se trouvait au point de son orbite qui sera un instant voisin de la comète, il pourrait en résulter quelques phénomènes inquiétants. Mais ce cas encore une fois est loin d’être possible pour l’année 1832.

Il est inutile de dire qu’une méprise aussi grossière que celle que nous venons de signaler n’a été commise par aucun astronome. La seule publication respectable faite à ce sujet en Allemagne est une Lettre de M. Olbers, dans laquelle ce savant rend compte des résultats obtenus par M. Damoiseau; et c’est sans doute parce que des personnes peu instruites ont vu dans cette Lettre qu’une comète approcherait en 1832 très près de l’orbite de la terre, qu’elles se sont persuadé que la terre serait rencontrée par elle.

La lettre de M. G*** contient relativement à Lalande une assertion que nous croyons devoir relever. Cet astronome ne fut que la cause bien innocente de la terreur générale qui se répandit dans le public, en 1773. Voici comment les choses se passurent.—Newton, en parlant des suites que pourrait avoir la rencontre d’une comète qui viendrait choquer la terre, avait dit que la providence avait tout disposé pour rendre cette rencontre impossible.

Lalande ne partageait pas cette opinion. On ne connaissait, il est vrai, aucune orbite qui rencontrât celle de la terre; mais les attractions planétaires peuvent altérer sensiblement les orbites. D’ailleurs on était bien loin de connaître les orbites de toutes les comètes. N’y avait-il pas de la témérité à donner comme certain qu’aucune des orbites jusque-là non calculées ne rencontrerait l’orbite de la terre, et que, parmi celles qu’on connaissait, aucune ne serait jamais dérangée de manière à la couper? Il n’y avait rien que de très juste dans toutes ces remarques de Lalande; le temps les a confirmées, puisque l’orbite de la comète de six ans trois quarts passe si près de celle de la terre que la moindre perturbation pourrait déterminer leur intersection. Mais, pour qu’un désastre arrive, il ne suffit pas que les orbites se rencontrent: il faut encore que les astres se trouvent en même temps au point d’intersection, et les probabilités pour qu’une pareille rencontre n’est pas lieu sont immenses.

C’est ce que pensait Lalande. Il avait composé sur ce sujet un mémoire pour une rentrée publique de l’Académie; mais, se trouvant placé au dernier rang dans l’ordre des lectures, le temps manqua, et son mémoire ne fut pas lu. Le titre, Réflexions sur les comètes qui peuvent approcher de la terre, annonçait une question faite pour intéresser le plus grand nombre des auditeurs. On se demanda ce que contenait ce mémoire; on apprit qu’on devait y voir les effets que pourrait produire une comète qui viendrait choquer la terre. Le bruit se répandit que la comète allait arriver, qu’elle était prédite par Lalande. Maupertuis, dans ses Lettres sur le même sujet, avait disserté d’une manière bien plus positive et bien plus effrayante, et personne n’y avait pris garde; mais Maupertuis n’était pas connu positivement comme astronome; il n’avait pas fait d’almanachs, il n’était pas en possession d’insérer dans les journaux l’annonce de tous les phénomènes astronomiques. L’alarme que fit naître cette prédiction prétendue fut si générale, que le lieutenant de police voulut lire le Mémoire; il n’y trouva rien qui pût motiver les terreurs qu’on avait conçues, et il en ordonna la prompte publication. Quand il fut imprimé, personne ne voulut y croire: on prétendit que l’auteur en avait supprimé la fatale prédiction, pour ne pas effrayer par l’annonce d’une catastrophe à laquelle il n’y avait aucun moyen de se soustraire. Les mêmes terreurs se renouvellèrent à plusieurs époques, mais avec moins de force; et toujours on en faisait honneur à Lalande, qui n’en avait pas dit un mot.

Aujourd’hui les comètes ne sont plus un objet d’effroi aussi général. A mesure que la masse de la population s’instruit davantage, les terreurs superstitieuses de tous les genres deviennent moins à craindre. Les conjonctions des planètes, qui ont autrefois causé des terreurs bien plus générales et bien plus déraisonnables encore, les éclipses, qui ont partagé si longtemps avec les comètes le droit d’épouvanter les peuples de la terre, ont été reconnues incapables de produire aucun des effets qui leur étaient attribués. De toutes ces terreurs, il ne reste, relativement aux comètes, qu’une possibilité si peu vraisemblable qu’aucun homme raisonnable ne peut concevoir de crainte à ce sujet.

Une chose, au surplus, qu’il ne faut pas omettre de noter relativement aux comètes, c’est que les nouvelles données obtenues sur leur constitution sont de nature à modifier beaucoup les idées qu’on se faisait des accidens que pourrait occasionner leur choc. Ces astres en effet, auxquels on supposait une densité qui pouvait aller jusqu’à surpasser plusieurs milliers de fois celle de la terre, sont en général formes de matières si légères qu’on peut appercevoir des étoiles de première et de seconde grandeurs qui se trouvent derrière elles. La rapidité du mouvement des comètes est encore une circonstance bien propre à rassurer sur les désastres qu’elles pourraient occasionner, puisqu’il en résulte que le temps pendant lequel elles pourraient agir sur nous serait nécessairement très court, et n’excéderait jamais, comme Dionis Dusejour l’a prouvé, deux ou trois heures. Au reste, tout ce qui regarde cette matière se trouve développé dans le dernier volume de l’Histoire de l’Astronomie, par Delambre, publié récemment par M. Mathieu.—(Journal Français.)

ANNALS OF THE LYCEUM OF NATURAL HISTORY.

ANNALES DU LYCE’E D’HISTOIRE NATURELLE, DE NEW-YORK.

Nous avons reçu les numéros ix, x et xi de cette intéressante collection, formant le cahier de novembre 1827. Ce cahier est rempli en très-grande partie par une exposition de la partie systématique de l’ornithologie du nord de l’Amérique, par M. Ch.-L. Bonaparte, sur laquelle nous aurons plus d’une occasion de revenir. Les autres articles sont aussi très importans pour les sciences: M. Aug. Smith a disséqué le protée des lacs (menobranchus), et fait des observations sur la sirène intermédiaire (siren intermedius). Le naturaliste américain n’adopte pas l’opinion de M. G. Cuvier que les protées et les animaux de même organisation sont des larves qui ne changent point d’état; mais ses objections sont faibles, et prouvent seulement qu’il n’a point compris la pensée du célèbre naturaliste français. M. Mitchell continue ses travaux ichthyologiques et décrit une espèce de diodon qui paraît nouvelle; elle a été pêchée entre les Bermudes et Terre-neuve. Mais ce qui, dans ce cahier, attirera principalement l’attention, ce sont les découvertes géologiques. Il est prouvé maintenant que le mégathérium de l’Amérique du sud et le bœuf musqué, relégués vers le nord, ont vécu sous la latitude moyenne des Etats-Unis, où les roches conservent leurs dépouilles. On voit aussi que, parmi les amphibies, quelques espèces éteintes sont communes aux deux continens. Les faits se compliquent à mesure qu’ils se multiplient; ils serait peut-être encore imprudent de les classer dans un ordre qu’il faudra changer pour faire place aux futures découvertes.—(Revue Encyclopédique.)

LE VIRTUOSE AMBULANT.

Avant-hier, au café des Variétés, l’habile violoniste Boucher était assis en dehors avec quelques-unes de ses connaissances, lorsqu’un enfant de six ou sept ans s’arrêta devant la porte et se mit à racler une ouverture. A près avoir exécuté son morceau, le virtuose imberbe fit sa tournée financière et arriva progressive—à M. Boucher, qui lui répondit qu’entre camarades on ne se devait rien. L’enfant répondit d’un ton futé: Bah! vous êtes donc musicien?—Probablement. Le petit secoua la tête, et répliqua: C’est pour ne rien donner que vous dites ça—Quel est ton professeur, demanda l’artiste.—C’est papa; mais à présent j’en sais plus que lui.—Il n’est donc pas musicien, ton papa?—Non, il est cordonnier.—As-tu des frères et sœurs?—Je n’ai plus qu’un petit frère, mais il n’a que 4 ans!—Quel âge as-tu donc toi?—Oh! moi, j’ai déjà 6 ans passés; je peux aider papa et maman à gagner leur vie.—Et tu aides déjà tes parens avec ce que tu gagnes ainsi?—Pardine! certainement, et c’est pour eux tout.—Comment! tu n’achètes pas quelques gâteaux et des friandises par-ci par la, avant que de leur donner le reste.—C’est mal, ce que vous dites-là.—Je ne te dis pas de le faire, je te demande si tu le fais?—Non, jamais, parce que papa et maman n’ont pas toujours d’ouvrage, et que papa ne joue pas assez bien du violon pour gagner comme moi.—Aimes-tu jouer du violon?—Certainement, puisque je joue déjà onze ouvertures, sans compter tout le reste.—Voudrais-tu en mieux jouer?—Oui, je le voudrais bien, mais papa ne peut pas m’en apprendre plus.—Veux-tu que je t’enseigne moi?—Bah! vous voulez rire, vous n’êtes peut-être pas musicien seulement; laissez-moi aller à d’autres qui seront plus généreux que vous.—Loin de t’en empêcher, si je t’enseignais, ce serait pour que tu gagnasses davantage.—Vrai! est-ce pour tout de bon, et cela ne m’empêcherait pas de jouer mes ouvertures et tout ce que je sais?—Non, pourvu que tu ne racles pas et que tu fasses tout ce que je te dirai.—Oh! je les sais bien mes ouvertures, tenez, voulez-vous que je vous les joue? si c’est vrai que vous êtes musicien, vous verrez bien? Et il se remit à jouer. M. Boucher l’interrompit dès les premières mesures pour lui faire quelques observations; l’enfant extrêmement intelligent, les comprit tellement, qu’il ne laissait même pas le temps au virtuose de les lui expliquer entièrement. Il prouvait ainsi qu’il les concevait toutes, lorsque cet intéressant bambin s’arrêta pour lui dire: Avez-vous un crayon?—Pourquoi faire?—Pour m’écrire votre adresse. M. Boucher, charmé que cela vînt de l’enfant même, écrivit son adresse et la lui donna; il lui dit: Tiens, voici mon adresse, surtout ne la perds pas, et viens me voir tous les matins de sept à neuf heures; je te donnerai plus que des bonbons en t’enseignant, de même que mes fils, à acquérir du talent pour secourir plus utilement ton papa et ta maman, et par la suite, quand ton frère sera grand comme toi, tu pourras l’instruire à ton tour, et un jour suffire à l’existence de toute la famille; mais pour cela, il faut toujours bien aimer tes père et mère, leur donner tout ce que tu gagneras, et beaucoup travailler, afin qu’ils soient plus heureux. A demain, je t’attends, ne l’oublie pas, et dis bien tout cela à ton papa et à ta maman; ne leur cache jamais rien.

En s’en allant, on entendit l’enfant dire: Il est drôle, ce monsieur, si ce n’est pas pour de rire! C’est égal, il a l’air d’un bon homme. Les personnes qui étaient présentes lui dirent de ne pas manquer cette heureuse occasion; ils lui expliquèrent ce qu’est M. Boucher, et lui firent comprendre que cette aventure était ce qui pouvait lui arriver de plus avantageux.

C’est ainsi que Jarnowick commença; peut-être M. Boucher fera-t-il du petit garçon du calé des Variétés, un Paganini! Ce charmant enfant a de l’esprit naturel; on a pu en juger d’après toutes ses réparties: il est possible qu’il devienne un des artistes les plus distingués de son époque; et pour cela, il n’a fallu qu’un moment à un grand artiste pour nous révéler peut-être un grand talent dans l’avenir.—(Papier de Paris.)

ANECDOTES.

Hommage délicat rendu à l’Agriculture.

En 1779, un peu avant la saison des semailles, leurs Altesses Royales le Prince de Galles et le Prince Evêque d’Osnabruk demandèrent et obtinrent, dans les jardins royaux de Kew, un petit enclos de terre qu’ils bêchèrent eux-mêmes: ils l’ensemencèrent ensuite en froment, qu’ils cultivèrent avec grand soin, le sarclèrent jusqu’à trois fois; le coupèrent, l’engrangèrent; battirent, vannèrent et amoncelèrent. Cette opération étant la dernière, du ressort de l’Agriculture, la Reine amena adroitement les princes à la réflexion que suggérait naturellement la variété compliquée de leurs travaux: elle saisit cette occasion de leur faire sentir combien était précieuse à la société cette classe d’hommes obscurs que l’on appelle généralement Fermiers; à combien de fatigues ils sont assujettis, combien ils ont de droit à la protection et à la bienveillance des chefs de la société. Le bled recueilli et déposé dans le grenier des jeunes cultivateurs, après leur avoir donné une première leçon, leur en préparait une seconde; il fallait essayer d’en faire du pain. Les princes en passèrent par tous les procédés de la boulangerie: un moulin à bras leur donna une idée de tous ceux qui ont pour moteur l’eau, le feu et le vent. On sassa ensuite la farine, on la sépara du son, on en fit de la pâte: on étudia la nature du levain, on conçut sa nécessité; l’on finit par chauffer le four, et par en retirer une demi-douzaine de beaux pains bien dorés, bien appétissants, bien sains, d’un goût exquis, dont se régalèrent les jeunes boulangers, et toute la famille royale, particulièrement la reine qui, sans qu’on s’en apperçut, ayant dirigé toutes les opérations, recueillait pour ainsi dire le fruit de ses propres travaux.

Cette anecdote est du petit nombre de celles qui excluent tout ornement d’emprunt: ce n’est point aux imaginations brillantes, mais aux cœurs tendres, qu’elle se recommande dans sa touchante simplicité.—(L’Abeille Canadienne.)

Hindous, Preneurs de Serpens.

Le 28 Juillet, 1826, un preneur de serpens, qui avait été mordu par un cobra-capella énorme, me fut amené; il était presque dans un état d’insensibilité. Le poison avait agi trop puissamment pour pouvoir être expulsé; il mourut en une demi-heure. Néanmoins ses compatriotes crurent qu’il serait rendu à la vie: le lendemain ils placèrent son corps dans un canot, le conduisirent à Ramnagor, située à 16 milles plus bas, et le portèrent chez un dévot personnage qui avait la réputation de faire revivre les hommes morts par ces sortes d’accidens; mais le troisième jour, l’état de putréfaction du cadavre les força de le rapporter.

Toute la ville de Chenarghour sait que ce fakir, preneur de serpens, prétendait posséder un charme qui prévenait les effets du poison. Quelques heures avant sa mort, il fut invité à aller chez un marchand, où l’on avait vu un serpent dans un appartement intérieur. On dit que le serpent s’entortilla autour de son corps, mais il paraît que, tandis qu’ils cherchait à s’en débarrasser sans être vu, le reptile le mordit tout près de la hanche. A l’instant le poison commença ses ravages; la honte néanmoins empêcha le fakir de révéler ce qui venait d’arriver; il se plaignit seulement de l’excès de la chaleur, et courut chez lui; il fit tout ce qu’il put pour neutraliser l’effet du poison, mais inutilement; ce fut alors qu’il demanda à être mené chez le docteur européen.

Les Hindous sont devenus très méfiants au sujet de ces hommes, sachant qu’ils ont l’habitude de lâcher des serpens qu’ils tiennent cachés, et prétendent avoir trouvé ceux qu’ils cherchaient.—(Journal de Révérend Wm. Bowley, missionnaire à Chenarghour.)

VARIETÉS.

Le public apprendra sans doute avec plaisir que le Dr. Tessier de Québec, qui est maintenant dans cette ville, est occupé à traduire en anglais le système de Thérapeutiques de M. Begin, qui est un traité pratique de la nouvelle doctrine française, auquel le traducteur a ajouté des notes et des observations sur l’application qui en doit être faite au climat et aux maladies de l’Amérique septentrionale. On nous dit que l’ouvrage est prêt pour la presse, et qu’il sera publié dans cette ville. Le numéro de Mai du Southern Review parle avec le plus grand éloge du mérite de l’original; et l’on peut compter sur l’habileté du traducteur, qui a reçu une partie de son éducation professionnelle dans nos écoles, et qui est un écrivain médical expérimenté. Quand on considère que la pratique française s’étend tant dans les Etats-Unis que dans la Grande-Bretagne, et qu’aucun ouvrage du même genre n’a encore paru en langue anglaise, on ne peut douter de l’utilité et du succès de la publication du Dr. Tessier.—(N. Y. Statesman.)


M. Smillie, le jeune, bien connu ici, il y a environ 12 mois, pour un jeune graveur ingénieux, est revenu d’Ecosse, où il a eu l’avantage d’étudier sous les meilleurs maîtres. Il a gravé quelques vues des environs de Londres, (qu’on peut voir au bureau de ce papier,) qui montrent très certainement, que la pratique en fera un maître en son art.—(Gazette de Québec.)


A St. Paul de la Valtrie, le 20 Août, vers les six heures du matin, la terre a tremblé. Il y a eu trois secousses consécutives, semblables à des coups d’un tonnerre lointain, et assez fortes pour faire tinter les vîtres; après lesquelles le tremblement de terre s’est fait entendre comme un vent souterrain, en partant du bas de la paroisse et gagnant le nord, le long du côté est de la rivière Naquouarau et de la Rivière Rouge, (rivière de St. Paul, qui se décharge dans le Naquouarau.) Ce tremblement s’est aussi fait sentir le long du ruisseau St. Pierre, qui passe près de l’église de St. Paul, et en général dans toute l’étendue de cette paroisse, jusque dans le township de Kildare. Il a duré environ une minute et demie. Il y a trois ans, un pareil tremblement eut lieu pendant la nuit, dans la même paroisse.

P. S.—On a rapporté depuis, que le tremblement du 20 Août s’est fait sentir à Ste. Elizabeth, paroisse voisine de St. Paul.—(Spectateur Canadien.)


Dans le township de Beverly, district de Gore, Haut-Canada, près de l’auberge de Mr. Bliss, sur le chemin de Waterloo, se trouve l’arbre plus beau peut-être qu’il y ait an monde. C’est un chêne dont le tronc à trente pieds de circonférence, et qui s’élève en une colonne parfaite de cinquante pieds sans branches.—(Gore Gazette.)


Un correspondant de lu campagne nous écrit ainsi:

Monsieur l’Editeur,—Vous avez sans doute entendu parler de l’insecte que nous appellons puces des bleds, ou simplement puces, et des ravages qu’il fait parmi les bleds dans cette province, et dans certaines paroisses du district de Montréal en particulier. Celles qui en souffrent le plus et depuis plus longtemps sont peut-être St. Denis, la Présentation, St. Hyacinthe, et, à ce que j’entends dire, Soulanges. N’étant point naturaliste, je ne sais pas quel nom les savans donnent à ces insectes, qu’ils doivent connaître sans doute, s’il en existe ailleurs que dans ce pays-ci: c’est pourquoi je ne réussirai peut-être pas dans mon dessein, qui est d’apprendre de vous ou de quelqu’un de vos abonnés quelque recette ou moyen de détruire, ou du moins de diminuer cette vermine dévastatrice, de manière à ce que le dégât soit moins sensible et moins préjudiciable. Il y a des recettes pour détruire ou chasser les pucerons, les mouches jaunes, les mouches bleues, les vers à choux, &c., pourquoi n’y en aurait-il pas pour détruire les mouches à bled? En m’adressant par la voix de votre journal (si vous voulez bien accueillir ma production), à des centaines de personnes à la fois, je prends du moins le moyen le plus sûr et le plus prompt pour parvenir au but que je me suis proposé, qui est, comme je viens de le dire, de trouver le moyen de nous délivrer, autant que possible, de la vermine qui dévore notre bled en herbe presque tous les étés. La personne qui indiquera une méthode pour obtenir sans trop de frais l’effet désiré, rendra, suivant-moi, un grand service à ses compatriotes, et aura droit aux remercimens de votre serviteur,

Agricola.

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

A Québec, le 5 Août courant, par Monseigneur le Coadjuteur, Bernard Murray, écuyer, Médecin et Chirurgien, à Dlle. Julie Dorion, fille de feu Mr. Pierre Dorion, de Québec;

A Kamouraska, le 9, par Messire Varin, François Gauvreau, écuyer, à Dame Reine Perrault, veuve de feu Martin Chinic, écuyer;

A St. Pierre Lesbecquets, le 12, Louis Demers, écuyer, à Dlle. Angélique Malhiot, tous deux de l’endroit.

DÉCÉDÉS:

Le 6, à La Prairie, Dlle. Jovite Lanctot, âgée de 16 ans;

Le 8, à Vaudreuil, Dame Justine Mélanie Pambrun, épouse de Mr. L. M. G. Dubrul, N. P.;

Le 10, à Montréal, Charles Turgeon, écuyer, Arpenteur, âgé de 59 ans;

Le 16, à Contrecœur, J. D. Poulin, écuyer, âgé de 55 ans;

Le 17, à l’Islet, J. F. Couillard Després, écuyer, Major de milice, âgé de 54 ans;

Le 22, (par accident) Mr. Benoît Xiste Bender, enfant de F. X. Bender, écuyer, âgé de 11 ans et 5 mois;

Le 23, à la Rivière-Ouelle, Nicholas Bouchard, écuyer, Capitaine de milice, âgé 78 ans;

Le 27, à Montréal, Mr. J. Bte. Allard, âgé de 70 ans;

Le même jour, à Ste. Anne du Bout-de-l’île, Mr. Alexander Fraser, fils aîné de Simon Fraser, écuyer, âgé de 21 ans;

Le 29, à Woodlands, Pointe du Lac, Louis Duniere, écuyer, âgé de 74 ans.

TRANSCRIBER NOTES

Printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La Bibliothèque canadienne, Tome VII, Numero 3, Aout 1828. edited by Michel Bibaud]