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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome VI, Numero 3, Fevrier 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 17, 2021

Date last updated: May 17, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VI. FEVRIER, 1828. Numero 3.

HISTOIRE DU CANADA.

Chagriné par tant de nouvelles fâcheuses, M. de Frontenac appela Oureouharé, et après lui avoir exposé, en peu de mots, la conduite qu’il avait tenue avec sa nation, pendant sa première administration, et depuis son retour de France, il lui dit qu’il aurait cru pouvoir se flatter qu’au moins la reconnaissance des bienfaits dont il l’avait comblé lui-même en particulier, l’aurait engagé à faire ouvrir les yeux à ses compatriotes; et qu’il fallait ou qu’il fût bien insensible, à ses bontés, s’il avait manqué à ce devoir, ou que sa nation fît bien peu de cas de lui, s’il n’avait pu la faire entre dans des sentimens plus raisonnables et plus conformes à ses véritables intérêts.

Le chef fut d’autant plus mortifié de ces reproches qu’il savait ne les pas mériter: il sut pourtant se contenir; et sans laisser paraître la moindre altération, il pria le général d’observer qu’à son retour de France il avait trouvé les Cantons engagés dans une étroite alliance avec les Anglais, et tellement envenimés contre les Français, dont la perfidie les avait, pour ainsi dire, forcés à contracter cette alliance, qu’il avait nécessairement fallu attendre du temps et des circonstances une disposition plus favorable. Il ajouta que quant à lui, il n’avait rien à se reprocher, que le refus qu’il avait fait de retourner dans son canton, où il était passionnément désiré, devait avoir écarté tout soupçon contre sa fidélité; et que si malgré une marque si peu équivoque de son attachement pour les Français, on lui faisait l’injustice d’en former quelqu’un contre lui, il ne tarderait pas à le dissiper.

Une réponse si raisonnable et si satisfaisante fit presque repentir le gouverneur général de sa mauvaise humeur, et surtout de la méfiance qu’elle lui avait inspirée: il donna quelques marques d’amitié à Oureouharé, et travailla à se l’attacher de plus en plus, persuadé qu’il en pouvait tirer les plus grands services.

Le 10 Octobre, comme M. de Frontenac se disposait à retourner à Québec, un officier parti le 8 de cette capitale, lui remit deux lettres de M. Provôt, major de la place, et qui y commandait en son absence. La première était datée du 5, et portait qu’un Abénaquis, venu en douze jours de Pescadoué, dans l’Acadie, venait de lui donner avis que trente vaisseaux étaient partis de Boston, et qu’on assurait qu’ils étaient destinés à faire le siège de Québec. La seconde lettre de M. Provôt était datée du 7, et marquait que le sieur de Canonville l’avait averti qu’il avait apperçu, vers Tadoussac, vingt-quatre vaisseaux anglais, dont huit lui avaient paru fort gros. Le major ajoutait que, sur cet avis, il avait détaché le sieur de Grandville son beau-frère, avec une biscayenne et un canot bien armé, pour avoir des nouvelles plus certaines.

M. de Frontenac eut quelque peine à croire qu’une flotte si considérable fût si proche, sans qu’il eût seulement eu vent qu’on armait à Boston. Il s’embarqua néanmoins sur l’heure, avec M. de Champigny, dans un petit bâtiment, où ils pensèrent périr.—Le lendemain, vers trois heures de l’après-midi, un second courier de M. Provôt lui apprit que les demoiselles de Lalande et Joliet avaient été prises, auprès de Tadoussac, par une flotte de trente quatre voiles, qui pouvait bien être, dans le temps qu’il écrivait, à l’Ile aux Coudres, c’est-à-dire à quinze lieues seulement de la capitale.

M. de Frontenac savait que les Anglais étaient occupés en Acadie; et ne connaissant pas assez le mauvais état où était cette province, il avait cru qu’elle les arrêterait plus longtemps qu’elle ne fit.

On a vu plus haut que quatre bâtimens anglais avaient paru à la vue de Kaskebé, au moment où ce fort venait de se rendre à M. de Portneuf. On avait appris à Québec, quelque temps après, que ces bâtimens avaient tourné du côté du Port Royal; mais le gouverneur général ne s’était pas trouvé en état de secourir ce poste, au cas qu’il fût attaqué; et il ne le croyait pas, probablement, aussi dépourvu de troupes, de munitions et de vivres, qu’il l’était en effet. M. de Manneval, qui résidait ordinairement dans cette place, regardée comme la capitale de la province, n’y avait que quarante-six hommes de garnison, et quelques pièces de canon, qui même n’étaient pas en batterie, et l’on y manquait absolument de tout. Les autres postes étaient encore moins bien fortifiés et aussi mal pourvus.

Telle était la situation de l’Acadie, lorsque le 22 Mai 1690, on vint annoncer au gouverneur qu’il paraissait plusieurs vaisseaux étrangers à quelque distance du bassin du Port Royal. Il fit aussitôt tirer un coup du canon, pour avertir les habitans de se rendre auprès de lui. Le lendemain, l’escadre anglaise, composée d’une frégate de quarante canons, d’un bâtiment de seize, d’un autre de huit, et de quatre chaiches ou goëlettes, jetta l’ancre à une demi-lieue du Port Royal; et aussitôt William Phibs, le commandant de cette escadre, envoya sa chaloupe au fort, avec un trompette, pour sommer le gouverneur de lui remettre sa place, avec tout ce qui y était, sans capitulation.

M. de Manneval retint le trompette, et faute d’officiers, envoya M. Petit, prêtre du séminaire de Québec, au général anglais, pour tâcher d’en obtenir au moins des conditions tolérables; car il comprit d’abord, que ce serait bien inutilement qu’il se mettrait en défense, avec un si petit nombre de soldats, mal armés et découragés, sans un seul officier pour le seconder, et ne pouvant compter sur les habitans, dont trois seulement s’étaient rendus au signal d’appel.

Phibs déclara d’abord à M. Petit qu’il voulait avoir le gouverneur, sa garnison et tous les habitans à discrétion. L’ecclésiastique lui répondit que M. de Manneval périrait plutôt que de commettre une pareille lâcheté: l’amiral lui demanda alors s’il était chargé de lui faire quelque proposition; et la réponse fut, qu’il avait ordre de lui dire qu’on lui rendrait le Port Royal aux conditions suivantes: 1°. que le gouverneur et sa garnison sortiraient avec armes et bagages, et seraient conduits à Québec, dans un vaisseau qu’on leur fournirait: 2°. que les habitans seraient conservés et maintenus dans la possession paisible de leurs biens, et que l’honneur des femmes et des filles serait à couvert; 3°. que tous auraient le libre exercice de la religion catholique, et qu’on né toucherait point à l’église.

Ces conditions ayant été acceptées par Phibs, quoique sur sa parole seulement, aussitôt après le retour de son envoyé, M. de Manneval écrivit au général anglais, qu’il s’en tenait à ce qui avait été arrêté, et que s’il voulait bien lui envoyer sa chaloupe, le lendemain, il irait lui-même le trouver à son bord, pour lui donner une preuve convainquante de la franchise avec laquelle il traitait. La chaloupe fut envoyée; le gouverneur s’y embarqua, et la capitulation fut confirmée de bouche, en présence du sieur des Gouttins, écrivain du roi, faisant l’office de commissaire ordonnateur au Port Royal; et le général anglais ajouta qu’il laissait au choix de M. de Manneval d’être conduit, avec toute sa garnison, en France, ou à Québec.

A la vue de l’état où se trouvait la place que Manneval venait de lui remettre, Phibs parut fort étonné, et se repentit d’avoir accordé des conditions si honorables à des gens qui étaient si peu en situation dé se défendre: il dissimula néanmoins jusqu’à ce qu’il eût trouvé un prétexte de violer une capitulation, qu’il prétendait lui avoir été extorquée par surprise.

Il ne le chercha pas longtemps; car ayant su que tandis que le gouverneur était sur son bord, des soldats et des habitans ivres avaient pris quelque chose dans un magazin appartenant à M. Perrot, prédécesseur de M. de Manneval dans le gouvernement de l’Acadie, il déclara que ce qui avait été détourné étant au roi son maître, il ne se croyait plus obligé à rien tenir de ce qu’il avait promis. Il demanda à M. M. de Manneval et des Gouttins leurs épées, qu’il leur rendit néanmoins sur-le-champ, mais en leur signifiant qu’ils étaient ses prisonniers, désarma les soldats et les fit enfermer dans l’église, et livra toutes les habitations au pillage, prétextant que les habitans avaient caché ce qu’ils avaient de meilleur.

Le 14 Juin, le chevalier de Villebon, capitaine, un des fils du baron de Békancour, et dont la compagnie était en Acadie, arriva de France au Port Royal. Il y trouva M. Perrot, qui s’y était rendu avec M. Duclos, son commis, et un Canadien nommé M. Damour, après avoir échappé par un bonheur tout particulier à la poursuite des Anglais, et M. des Gouttins, qui y avait été laissé. Il apprit d’eux que l’amiral Phibs n’était resté que douze jours dans le port, après la reddition de la place; qu’il en avait emmené M. Manneval, un sergent et trente huit soldats, avec M.Petit et un autre prêtre nommé M. Trouvé; qu’avant son départ, il avait assemblé les habitans, et leur avait fait prêter serment de fidélité aux souverains de la Grande-Bretagne, Guillaume et Marie; qu’il avait établi son premier sergent, nommé Chevallier, pour commandant du Port Royal, et six des principaux habitans pour rendre la justice en qualité de conseillers.

Le chevalier de Villebon se trouva dans un grand embarras; il tint conseil avec M. M. Perrot et des Gouttins, et le sieur Saccardie, ingénieur, qu’il avait amené de France, sur ce qu’il y avait à faire, dans la conjoncture où il se trouvait, pour sauver le reste de la colonie, dont il était seul chargé, et pour mettre en sureté les effets du roi, qu’il avait apportés de France. Ce qui l’inquiétait le plus, c’est que les Anglais étaient encore dans le port de la Hève où, en moins de trois jours, ils pouvaient être instruits de son arrivée; et il n’était nullement en état, de leur résister, au cas qu’ils revinssent pour l’attaquer dans le Port Royal.

Après mûre délibération, on résolut unanimement de se retirer sur le rivière St. Jean, où le chevalier de Grandfontaine avait en un fort, en un lieu nommé Jemset; d’y transporter les effets du roi et ceux de la compagnie; d’y rassembler tout ce qu’on pourrait de soldats, dont plusieurs s’étaient tirés des mains des Anglais, ou avaient trouvé le moyen de n’y pas tomber; de mander au sieur de Montorgueil, lieutenant de la compagnie de Villebon, qui était à Chédabouctou, avec un détachement de quatorze soldats, de venir joindre son capitaine a Jemset; et quand tout cela serait exécuté, de construire un fort de pierre au même endroit, et d’envoyer de là le plus qu’on pourrait de se cours aux sauvages, afin de les encourager à continuer la guerre contre les Anglais.

En conséquence de cette délibération, l’ordre fut envoyé à Montorgueil d’évacuer Chédabouctou; mais cet officier n’était déjà plus dans son poste. L’amiral Phibs, après avoir fait quelque séjour à la Hève, s’était rendu à Chédabouctou; et ayant débarqué quatre-vingts hommes, il avait fait sommer le commandant de se rendre à discrétion. Montorgueil répondit qu’il aimerait mieux s’ensevelir sous les ruines de son fort que de le livrer ainsi aux ennemis de son roi. Phibs lui renvoya jusqu’à deux fois son trompette pour lui représenter l’inutilité de ses efforts contre des forces si supérieure, et il en reçut toujours la même réponse. Il fit faire une attaque, qui fut assez vive, mais qui ne réussit point. Cette résistance, à laquelle il ne s’était pas attendu, lui fit craindre d’échouer devant une bicoque défendue par une poignée de soldats. Il fit une quatrième sommation, et l’accompagna des menaces qu’il crut les plus capables d’intimider Montorgueil; mais elle fut aussi inutile que les précédentes.

Alors il fit jetter des fusées, qui mirent le feu à un endroit couvert de paille; et malgré tout ce que put faire la garnison, l’incendie gagna bientôt partout. Phibs prit ce moment pour faire une nouvelle sommation; et Montorgueil, qui ne pouvait plus empêcher sa place d’être réduite en cendres, crut pouvoir capituler; mais il le fit avec tant de hauteur, et témoigna une si grande résolution de faire payer bien cher aux Anglais leur faible victoire, s’ils ne lui accordaient des conditions honorables, qu’il obtint tout ce qu’il voulut. Il sortit à la tête de sa garnison avec armes et bagages, et fut transporté à Plaisance, en Terre-Neuve.

Les habitans de Chédabouctou, dont Montorgueil n’avait pas oublié les intérêts dans sa capitulation, ne furent point maltraités; mais l’Ile Parcée, où ils se transportèrent ensuite, n’eut pas un sort si heureux; Phibs n’y éprouva aucune résistance, et tout y fut livré au pillage.

Cependant l’établissement projetté de Jemset ne put avoir lieu: M. Perrot tomba en route entre les mains des Anglais; et M. de Villebon eut toutes les peines du monde à leur échapper, après la perte du vaisseau qui l’avait amené de France et des effets dont il été chargé. Se voyant hors d’état de rien entreprendre, cet officier assembla autour de lui tout ce qu’il put de sauvages, et les exhorta à continuer de venger sur les Anglais leurs propres injures et celles des Français. Ils lui promirent de faire de leur mieux, et il partit pour Québec, où il apporta les premières nouvelles des désastres de l’Acadie.

On y avait été informé plutôt du malheur arrivé à la petite colonie française de Terre-Neuve. M. de la Poype, après avoir été, pendant treize ans, gouverneur, ou commandant de Plaisance, avait eu pour successeur, en 1685, le sieur Parat, comme nous l’avons vu plus haut. Jusqu’alors l’établissement avait été extrêmement négligé et laissé sans moyens de défense: mais en 1687, on envoya de France au gouverneur vingt-cinq soldats, commandés par le sieur Paspour de Costebelle, avec des vivres, du canon, de la poudre, et tout ce qui était nécessaire pour ravitailler et fortifier la place. On y bâtit un fort et une platteforme à l’entre du port, et l’on arma les habitans, sur lesquels on comptait beaucoup plus que sur les soldats.

Mais en conséquence d’une négligence impardonnable, le 25 Février 1690, le gouverneur et son lieutenant furent surpris dans leurs lits, hors de leur fort, par quarante-cinq flibustiers anglais. Les soldats, qui par un effet de la même négligence, étaient aussi dispersés de côté et d’autre, furent pareillement pris et désarmés. Les habitans, qui avaient eu tout le loisir de se mettre en défense, se rendirent sur la menace que leur firent les ennemis de massacrer les prisonniers, si on leur opposait la moindre résistance. Les Anglais chargèrent sur leur vaisseau, tous les effets, meubles, ustensiles de pêche, vivres, armes et munitions, qui se trouvèrent dans le fort. Une partie du canon fut pareillement enlevée, une autre jettée à la mer, et le reste encloué; et après cet exploit, la liberté ayant été rendue aux prisonniers, la garnison et les habitans se trouvèrent, comme le remarque Charlevoix, à-peu-près dans le même état que s’ils avaient été jettés par un naufrage sur une côte déserte.

Le sieur Parat s’étant embarqué pour repasser en France, M. de Costebelle, resté commandant à Plaisance, crut devoir travailler de suite à s’y retrancher; mais les habitans, sur lesquels il avait compté pour l’exécution de ce dessein, semblèrent prendre plaisir à le contrarier.

(A continuer.)

PETITE BIOGRAPHIE des DEPUTE’S de FRANCE.

SIXIEME ET DERNIER EXTRAIT.

Perrier (Cassimir). Son éloquence, ses talens comme financier en font le plus redoutable adversaire des ministres, qu’il harcèle sans cesse. Pressé par les argumens de cet orateur, le président du conseil, malgré l’art qu’il possède de déplacer la question, fut plus d’une fois réduit au silence. M. Perrier est la terreur du centre et l’effroi des clôturiers, dont les clameurs ne peuvent l’émouvoir; une seule des épigrammes échappées à ce fidèle et spirituel mandataire a rendu plus de services à la France que le plus éloquent discours du plus éloquent ventru.

Petit-Perrin. C’est le plus silencieux des procureurs du roi: on assure que chez les ministres, il a toujours la bouche ouverte; mais on ajoute que ce n’est pas pour parler.

Petou. C’est un bon commerçant, qui parle mal et qui vote bien.

Payronnet (le Comte de). Avocat obscur et duelliste célèbre, M. de Peyronnet épousa, jeune encore, une des plus belles femmes de Bordeaux; mais cette union ne fut pas heureuse, et les deux époux ne tardèrent pas à se séparer. En sa qualité de crâne, il ce distingua à l’époque du 12 Mars: ce fut le commencement de sa fortune; il devint successivement procureur général, député, et enfin ministre de la justice. Jamais nomination ne parut plus extraordinaire; car non seulement M. de Peyronnet n’avait point parlé comme député, mais comme avocat il n’avait jamais produit un discours même passable. Son éloquence est d’une telle nature qu’il n’est jamais monté à la tribune sans être aussitôt accueilli par les éclats de rire de l’assemblée; les muets eux-mêmes sont forcés de se mordre les lèvres pour ne pas éclater. Il est vrai que rien n’est plus original que les harangues de sa grandeur, qui paraît persuadé qu’un ministre du roi de France n’est pas obligé de parler français. Qu’a donc fait M. de Peyronnet? Rien, s’écrient certains biographes. Ils sont dans l’erreur; M. le comté a fait peu de bien, beaucoup de mal, de fort mauvais discours et de très pauvres vers. Voici les premiers de son épitre à Zelmire sur l’indifférence:

Si l’on te dit que tu me plais,

Va, ne crois pas à ce langage;

Si l’on te dit que je te hais,

On te trompe encor davantage.

Pinteville de Cernon (le Baron de). Le nombre des inutiles est si grand parmi les députés, que nous ne savons plus quelle forme employer pour dire que le titre de membre de la Chambre est le seul que M. de Pinteville ait à la célébrité.

Poydavant. Il dort pendant le temps des séances, vole en bâillant, et ne se réveille que pour demander la clôture.

Quelen (le Comte de). C’est le frère du respectable archevêque de Paris, dont il possède toutes les vertus.

Raudot. Cet honorable a mérité le surnom d’introuvable. Comme le héros de M. d’Arlincourt, il est partout et nulle part, ce qui veut dire que lorsqu’il est quelque part, on ne s’en apperçoit pas.

Renouard de Bussieres. On a dit que ce député parlait peu à la Chambre; c’est une calomnie: nous pouvons affirmer qu’il n’y parle pas de tout.

Rotours (le Baron des). En sa qualité d’administrateur des Gobelins, il fait tapisserie à la Chambre.

Rougé (le Comte de). C’est un honorable qui a souvent joué la rôle di niais sur les théâtres de société, et qui ne peut parvenir à oublier ses premiers rôles.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Roux. Il en est à Pharamond pour la monarchie; mais lorsqu’il s’agit à la Chambre de pharmaciens et de drogues, M. Roux s’élevé à la hauteur de la discussion, et prend souvent la parole.

Royer-Collard. C’est un des hommes les plus instruits de la France, et l’un des meilleurs orateurs de la Chambre.—C’était l’âme du parti que l’on appelait doctrinaire, et qui s’est fondu dans l’opposition, où il ne cesse de défendre les libertés publiques.

Saint-Crico (le Comte de). Il a été longtemps directeur général des douanes. C’est le plus terrible ennemi des contre-bandiers, et le plus grand ami des ministres. N’y aurait il pas là quelque contradiction?

Sainte-Marie (de). Il s’appelait ja lis Rapine; mais comme il n’est pas ministériel, il a changé de nom, crainte de méprise.

Saint-Gery (le Marquis de). Il donne sa voix aux ministres, qui ne lui refusent rien: ces excellences sont si habituées à donner beaucoup pour peu!

Saint-Legier (le Comte de). On le dit indépendant, ce qui est possible; et très ignoré, ce qui est certain.

Salaberry (le Comte Yrumberry de.) La hache révolutionnaire lui ravit son père; on le vit toujours à la tête des troupes pour la défense de la royauté. Pourquoi cette noble ardeur s’étend-elle chez M. de Salaberry jusquà défendre un ministère repoussé par la nation?

Sanlot-Baguenault. C’est un homme de bien, et qui cherche partout à le faire. Malgré ces rares qualités, il a été renvoyé d’une mairie d’arrondissement de Paris. Nommé par les ministres, il n’obéit cependant qu’à la voix de sa conscience.

Thomassin de Bienville. Qu’il dorme ou qu’il veille, on ne s’aperçoit pas qu’il existe.

Tixier de la Chapelle. En sa qualité de juge de paix, il ne fait pas la guerre aux ministres.

Trezomain. Il a toujours été fidèle à la royauté; il est riche, il est bon ami, il est serviable, il est dans les haras.

Turmel. Il avait beaucoup promis; mais dès qu’il eut tenu la place de payeur, qu’il convoitait, il devint sourd pour ses commettans, et muet pour les ministres.

Vandœuvre. Ce député est procureur général; sa place dépend de son vote, et il tient à sa place.

Vassal de Monviel. C’est un représentant qui ne s’est jamais assis à la table des ministres. Il ne demande point de pinces, et pour voter, consulte sa conscience.

Villele (le Comte de). De simple régisseur d’un simple planteur, M. de Villèle est devenu successivement maire de Tolouse, député et enfin ministre. Henri IV disait; “Les Gascons viennent partout: il aurait pu ajouter, et quand ils viennent au ministère, ils y prennent racine:” M. de Villèle, qui a bien pris, est cependant grand partisan des réductions: lorsqu’il n’était que député, il voulait qu’on réduisît le budget; plus tard, il réduisit l’opinion publique avec de l’or; puis il entreprit de réduire les rentes de deux cinquièmes, et les rentiers à l’hôpital. En sa qualité de ministre des finances, son excellence a bec et ongles: elle possède un art merveilleux pour répondre toujours à côté de la question, et faire des phrases quand on lui demande des raisons. M. de Villèle est président du conseil des ministres, c’est-à-dire que les autres excellences ne sont que des excellences en sous ordre, qui ne font rien sans l’autorisation de leur chef de file.—Voici un quatrain qui courut tout Paris, lors de la représentation de Léonidas, tragédie:

Entre Léonidas et Monsieur de Villèle,

    Il est pourtant un parallèle:

L’un conduit ses trois cents à l’immortalité,

L’autre ses trois pour cent à la mendicité.

M. de Villèle est membre de la congrégation des Pénitens de Toulouse; mais comme ministre, il n’eu paraît pas moins disposé à mourir dans l’impénitence finale.

Wangen de Gerddseck (le Baron de). Ce nom si dur appartient cependant à un homme si doux, que les ministres en font ce qu’ils veulent.

Yver. Après avoir parlé de 429 personnages plus ou moins célèbres, plus ou moins ignorés, nous croyions avoir encore quelque chose à dire; mais par malheur, et aussi par la faute de l’ordre alphabétique, M. Yver se trouve le dernier de la liste: ce qui nous oblige à finir comme nous avons commencé, c’est-à-dire par un homme dont le nom est tout étonné de figurer dans un livre, bien qu’il se trouve très souvent sur la liste d’invitation de plus d’une excellence.

AGRICULTURE.

Note sur les Engrais, par un membre du Comité de la Société
d’Agriculture de Québec
.

Toute substance animale ou végétale, lorsqu’elle a subi un certain degré de décomposition, fait un bon engrais. Ce sont les substances dont étaient composés les corps des plantes et des animaux, qui décomposées et rendues à la terre, forment la principale nourriture d’autres plantes et d’autres animaux. Les laisser perdre, c’est laisser perdre ce qui forme la plus grande richesse de l’homme: c’est s’exposer à la misère par le manque des choses nécessaires. La décomposition rend souvent l’air, environnant désagréable et mal-sain; sourtout près des maisons, où ces substances se trouvent souvent en plus grande abondance. Ramassées par tas et mêlées avec de la terre, retournées de tems en tems pour les exposer à l’air, la décomposition se fait mieux; la terre imbibe ce qui autrement s’échappe et se perd et infecte l’air. Voila le secret de la formation des engrais artificiels.

Les substances quelconques dont on veut former un tas d’engrais doivent être ramassées, si elles sont des solides, en un quaré-long haut de 4 pieds. Les substances qui sont longues et difficiles à mettre par morceaux pour les mêler avec la terre, doivent être mises à part, aussi dans un quarré-long haut de 4 pieds, pour subir un certain degré de fermentation; lorsqu’elle a commencé, on doit jetter dessus une légère couche de terre pour imbiber ce qui autrement se mêlerait avec l’air et se perdrait; le tas peut se mêler avec de la terre ensuite, lorsque la décomposition a commencé. Les substances qui peuvent se mêler avec la terre, surtout s’il y a des substances animales, peuvent être couvertes d’une légère couche de terre à mesure quelles sont ramassées; tant que l’on sentira la moindre mauvaise odeur, il faut remettre sur le tas de la terre fraîche. Lorsque le tas est suffisamment grand et qu’il est resté assez de tems pour subir un certain degré de décomposition, on le retourne dans un tems où l’on a peu de chose à faire. Pour cela, on charie des voyages de terre que l’on verse le long des côtés du tas à petite distante. Si l’on peut avoir quelques voies de chaux pour y mettre, on la met le long de l’autre côté. On commence alors à un des bouts des tas de substances végétales et animales. On en ôte des pelletées du haut en bas, jusqu’à terre, en les brisant avec la pelle, s’il y a besoin, et on les dépose un peu plus loin, de même largeur que le tas et aussi haut qu’elles peuvent se tenir, alors on saupoudre de chaux depuis le haut jusqu’à la terre ce commencement de tas, du côté vis-à-vis le tas dont on l’ôte; on y jette sur la chaux de la terre; plus s’il y a de la mauvaise odeur. On continue de la même manière, tenant toujours un espace libre et net jusqu’à terre entre le tas d’où on ôte les pelletées et celui auquel on les met. Le tout fini, on saupoudre ce tas de chaux, et on y met une couche de terre, s’il y a mauvaise odeur. Ce tas peu rester sans être retourné jusqu’au printemps suivant: on le retourne alors, sans rien ajouter. Dans le tas pour former des engrais, il ne doit pas y avoir de morceaux de bois, de gros os, ni de pierres. Les os brisés et mis en poudre, forment un engrais des plus riches. Lorsqu’on veut employer ce tas, on eu charie et on le met dans les rangs en moindre quantité que le fumier; il est excellent pour les navets, bettes, carottes, choux, tabac, fêves, pois, enfin pour tout ce que l’on peut cultiver en rangs. Il dure plus que le fumier; il est aussi le meilleur engrais pour les prairies naturelles et les pacages.

Il doit toujours y avoir un tas de terre près des maisons, avec un trou dessus où l’on doit jeter toutes les eaux salés, lavures, urines, balayures, enfin tout ce qui se jette ordinairement près des maisons et se perd dans la terre, donne une apparence de mal propreté, et souvent infecte l’air et le rend mal-sain. Du moment que le premier trou est plein, parait malpropre, ou donne mauvaise odeur, on le couvre de ferre, et l’on en forme un autre à côté, et ainsi de suite. Ce tas de terre doit se former le printems en enlevant jusqu’à un, deux ou trois pouces de profondeur au-devant et autour de la maison, fournil, &c. On remplace ces terres, au besoin, avec des terres maigres et inutiles.—Ce tas doit rester tout l’été et être couvert d’une bonne couche de terre l’automne, et on continue à y jeter les eaux, &c., tout l’hiver, dans des trous formés au-dessus, dans la neige. La neige partie, on y jette tout de suite de la terre et on retourne ce tas, comme il est mentionné ci-dessus, en y mêlant de la terre ou de la chaux au besoin. Un pareil tas vaut, tons les ans, le fumier de plusieurs bêtes à cornes, sans compter l’avantage de la propreté autour des maisons et l’absence des odeurs nuisibles à la santé. Il y a des maisons où il se trouve, à l’entour, en mauvaises herbes et mal propreté, ce qui aurait doublé et triplé la récolte de plusieurs arpens de terre.

Pour la décomposition des bestiaux morts, le mieux c’est de les couper par morceaux, s’ils sont gros, et de les enterrer dans un tas de fumier qui chauffe. La décomposition se fait dans très-peu de tems.

Losque les tas de fumier chauffent trop fort, ils doivent être aussi rétournés. Il est bon aussi de jeter, de tems en tems, de la terre dessus, pour l’enrichir de ce qui s’échappe.

La mauvaise nourriture des animaux l’hiver, et le peu de litière qu’on leur donne, font que l’urine des animaux se perd et qu’on a peu de bon fumier. Il reste souvent mêlé avec la neige tard; une partie a trop chauffé lorsqu’on s’en sert, et l’autre n’a peut-être pas chauffé du tout, et se trouve remplie de mauvaises graines; un tas de fumier d’un an réduit en terroire, à déjà perdu plus de la moitié de la nourriture qu’il aurait fourni à la terre, s’il y avait été mis en bon état, c’est-à-dire, lorsqu’il a chauffé sans sécher, et a été couvert de terre à mesure qu’il était employé.

On peut dire que la richesse du sol du Canada et de ses habitant, est souvent emportée par les vents, et répandue sur les eaux et les pays déserts. Le cultivateur sage et industrieux sait profiter de ce qui se perd pour celui qui n’a pas ces qualités: il fait justice à la terre, qui le nourrit, en lui rendant soigneusement ce qui lui appartient, pour en profiter par la suite.

IVAN IV,

ou le Tyran Basilides.

Les cruautés d’Ivan IV, fameux sous le nom du tyran Basilides, offrent un terrible revers de médaille pour ses essais en industrie et en législation. Elles sont si affreuses, elles portent en même temps une telle empreinte de démense, qu’il reste difficile de comprendre comment elles ont pu sortir du cerveau d’un homme qui concevait des idées d’ordre, de justice, des plans vastes de civilisation et de perfectionnement.

Le nombre d’hommes, disons mieux, d’individus de tout sèxe et de tout âge, qu’Ivan IV fit périr dans les supplices passe l’imagination. Ce qui doit étonner bien plus encore, c’est qu’au milieu de tant de meurtres et de victimes, la nation désolée n’ait pas enfanté un vengeur, ni laissé un seul monument, un seul vestige d’indignation pour de si grands attentats.

Retiré dans la retraite menaçante et inexpugnable qu’il s’était fait bâtir au-delà de Moscou, nommée Alexandrova Sloboda, entourré de nombreux satellites, qu’il avait choisis dans les rangs les plus obscurs, pour devenir les tiges d’une nouvelle classe de familles puissantes, Ivan dispersait par tout l’empire les ordres sanglants qu’il traçait dans les entr’actes de ses orgies. Ces hommes, nommés opritchnikis, lâches agens provocateurs, allaient dans toutes les provinces exécuter les ordres qu’ils avaient arrachés par des délations, et se venger des haines qu’ils avaient fait naître par l’oppression et la terreur. Les dépouilles des victimes étaient pour eux. Une partie de l’ancienne noblesse périt par les calculs odieux des opritchnikis, et ces débris engraissèrent cette nouvelle aristocratie de boue et de sang, dont une secrète réprobation poursuit encore la honteuse origine.

Les habitans de Novgorod, qui se souvenaient toujours de la liberté qu’ils avaient perdue, furent soupçonnés, pendant la première guerre d’Ivan contre les Tatars de Crimée, de vouloir profiler des circonstances pour se donner au roi de Pologne, et cette antique et opulente cité fut presque dépeuplée par la vengeance du tzar. Ayant formé le dessein de se rendre dans cette ville, il commença par intercepter tonte communication entre Novgorod et Moscou. Des soldats ambusqués massacraient tous les voyageurs; ainsi nul avis salutaire ne pouvait parvenir aux infortunés dont la ruine était conjurée. Quand le tzar partit d’Alexandrova Sloboda, un corps de Tatars le précéda pour lui préparer par le fer et le feu, une route hérissée de ruines et humectée de sang.

Il arrive à Novgorod affamé de carnage, et commence par entendre la messe. Au sortir de l’église, il entre avec son fils dans une enceinte construite exprès pour servir de théatre à sa vengeance, et où les magistrats avec les principaux habitans avaient été renfermés. Tous deux, montés sur des chevaux vigoureux, ils se précipitent sur ces infortunés, la lance au poing, et tuent jusqu’à l’épuisement de leurs forces. Quand le fer leur tombe de la main, le reste des victimes est livré aux opritchnikis, comme les restes d’un festin sont livrés aux chiens ou aux esclaves. Ensuite les glaces du Volkof sont rompues, et l’on y précipite les habitans par centaines. Il ne se passait pas de jour qu’il n’y en eût au moins cinq ou six cents de condamnés.

Le massacre ayant duré cinq semaines, le tzar déclara qu’il se trouvait assez vengé; il fit rassembler ce qui restait d’habitans, leur ordonna de lui rester fidèles, et se recommanda à leurs prières.

Les villes de Pleskof et de Twer, également accusées d’être d’intelligence avec la Pologne, furent aussi chatiées avec rigueur. Sur le bruit de toutes ces fureurs et de tous ces meurtres, les malheureux habitans de Moscou attendaient le retour du tzar dans le silence de la consternation. Il arrive, il entre, et aussitôt quatre-vingt fourches patibulaires s’élèvent dans la place publique de la capitale; de nombreux instrumens de supplice y sont apportés; de grands feux sont allumés, et l’eau bouillonne dans de vastes chaudières d’airain. A cet appareil, chacun frémit du fond de son asile; mais bientôt trois cents citoyens, tous illustres par la naissance, et même des princes de la famille du tzar, sont tirés des cachots, et paraissent portant l’affreuse empreinte des tortures qu’ils ont déjà subies; trainés, poussés par des soldats cruels, ils arrivent à demi immolés sur le lieu de ces exécutions sanglantes. Les courtisans, devenus bourreaux, tirent non pas leurs glaives, mais leurs couteaux, et pièce à pièce emportent la première victime: c’était un secrétaire d’état qui venait d’être suspendu par les pieds à une potence. Après lui, un ancien trésorier de la couronne périt de la manière la plus horible, entre les mains du colonel de la garde et du général de la cavalerie, chargés conjointement de son exécution.

Des femmes, des enfans furent soumis à des tourmens divers. On nétoya la place de leurs cadavres; on rangea devant le prince deux cents accusés, et autant de courtisans leur tranchèrent la tête, en poussant des cris d’applaudissement et de joie. Enfin fut amené un vieillard vénérable, que le tzar parça lui-même de sa lance. Il se promena ensuite avec une tranquillité féroce: il examina froidement ses victimes, reconnut la tête du trésorier, l’insulta encore, et la trancha en deux de son épée. Lui-même se transporta dans les maisons des malheureux qu’il venait de faire périr, et fit appliquer devant ses yeux leurs femmes à diverses tortures, jusqu’à ce qu’elles eussent déclaré les trésors de leurs époux. Trois jours après, il fit encore trancher la tête à plusieurs personnages des mêmes familles; et portant encore sa fureur sur les restes inanimés de sa haine, il les frappa de sa hache. Les corps abandonnés sur la place furent déchirés, et les os dispersés par les chiens. Huit cents femmes furent noyées. C’était un jeu pour Ivan de voir lentement couper par morceaux, ou plonger à différentes reprises dans des chaudières bouillantes ceux qui lui étaient suspects.

Dans la guerre de Livonie, ayant pris d’assaut la ville de Vittenstein, il en fit passer les habitans au fil de l’épée; mais le commandant, et tous ceux qui avaient pu se soustraire à la première fureur du soldat, furent par son ordre embrochés à de lances et rôtis impitoyablement. Quelques années après, et dans la même contrée, il traita avec la même férocité les habitans de Venden, dont l’héroïsme eût désarmé tout autre vainqueur. Ils avaient mis le feu aux poudres pour s’ensevelir sous les ruines de leur forteresse. Ivan fit pendre tous ceux qui n’avaient pu périr dans ce commun désastre. Il assiéga Volmar; la place fut prise d’assaut, et tous les habitans périrent dans les supplices.

Lorsque les Polonais, sous la conduite de leur brave prince Etienne Bathori, reprirent Polotsk en Lithuanie, ils apprirent avec horreur les cruautés exercées par les soldats d’Ivan sur leurs prisonniers. Les uns avaient été déchirés en morceaux; aux autres on avait arrachés les entrailles: d’autres avaient été plongés dans des chaudières d’eau bouillante, les mains liées derrière le dos. C’est ainsi que suivant les mêmes auteurs, les Russes assiégés à Sokol remplirent de poudre et de poix le ventre des prisonniers, et qu’après y avoir mis le feu, ils les jettèrent dans le camp des ennemis.

Lorsque ce terrible prince parut ployé sous le fardeau des ans, les boyards et la nation entière jettèrent un regard d’espoir sur son héritier; ils osèrent même conjurer le tzar de remettre à son fils ainé le commandement des troupes qui allaient marcher contre la Pologne. Ce vœu, si imprudemment exprimé, devint l’arrêt de mort de l’inforiuné tzarewitch; son père le tua d’un coup de bâton ferré.... Bourrelé par le remords, il voulut, dit-on, se faire moine; il fit distribuer de l’argent à tous les monastères; il envoya même des sommes considérables aux patriarches de la Grèce. C’est cette combinaison de tous les instincts de la férocité et de toutes les faiblesses de la bigoterie qui l’a justement fait comparer à Louis XI.

Ce prince si cruel était aussi très bouffon: autre rapport avec Louis XI; et l’art facile autant que méprisable d’amuser la table par de grossières saillies, fut à sa cour un moyen de parvenir. Mais ces avantagés étaient compensés par des risques fâchenx; et plus d’un bouffon en titre ayant manqué de justesse on de mesure, resta sous la table tué d’un coup de couteau; d’autres en furent quittes pour la perte d’une oreille. L’un d’eux, à qui le tyran venait d’imposer ce châtiment, se prosterna sans laisser échapper de plainte, et remercia son maître de cette marque de sa faveur.

Quelquefois, lorsque le tzar voyait une foule de peuple rassemblé, il faisait lâcher les ours les plus vigoureux et les plus voraces de sa ménagerie. Il riait avec son fils de l’effroi des malheureux poursuivis par ces animaux féroces, de la douleur des époux dont ils enlevaient les femmes, des cris des faibles mères qui voyaient étouffer et déchirer leurs enfans sans pouvoir les secourir. Si les parens des victimes de ce jeu barbare venaient se plaindre, on croyait leur faire grâce en leur donnant quelque argent, et en les assurant que le prince et son fils s’étaient bien divertis.

Souvent, dans sa maison de plaisance, il faisait couvrir de peaux d’ours les malheureux qu’il voulait punir, lançait sur eux des chiens d’Angleterre dressés à cette chasse cruelle, et voyait avec joie déchirer ces objets de sa vengeance.

Si le tzar commettait de sang-froid de telles horreurs, quels devaient être les excès de sa cruauté quand elle était animée par la haine ou par le soupçon?

Mikail Vokotinski, dont tout le crime était de posséder la principauté de Pronock, et de pouvoir sur ce domaine rassembler plusieurs milliers de soldats, périt dans les plus affreux supplices, et tous ses parens, toute sa race, furent exterminés avec lui. Lorsqu’il fut torturé, le tzar s’amusait à pousser lui-même des charbons ardents sous cet infortuné. Tel fut aussi le sort, et pour une cause pareille, d’un Cheremetef, seigneur de la ville de Kolomna. A défaut de griefs raisonnables et de motifs réels, on prétextait une conspiration contre la personne ou la puissance d’Ivan. C’était tantôt une opération de sorcellerie, tantôt quelques vagues discours dont on les accusait. Les témoins et les bourreaux étaient toujours ce qui manquait le moins pour consommer la perte des victimes, attendu que c’est parmi les courtisans qu’on les prenait.

Dans l’affaire du malheureux Cheremetef, la rage tzar ne se borna pas à lui. Apparemment il était aimé de ses vassaux, et les malheureux habitans de Kalomna furent enveloppés dans sa ruine. Après avoir massacré la multitude, on renferma les habitans les plus considérables dans une maison qu’on fit sauter avec de la poudre; leurs femmes et leurs filles furent déshonorées avant que d’être livrées à la mort. Les satellites du tzar dépouillèrent les femmes du peuple, et les chassèrent absolument unes dans un bois; là elles trouvèrent des hommes apostés, qui les poursuivirent et les déchirèrent à coup de fouet: la forêt retentissait des cris lamentables de ces infortunées. La veuve de Cheremetef fut renfermée dans un monastère, et toute sa famille fut détruite.

Arrêtons-nous: c’en est assez sans doute, mais ce n’est pas le quart de toutes les monstruosités que les historiens les plus impartiaux et les écrivains les plus tranquilles imputent à Ivan IV. La religion, la pudeur, la vieillesse, rien n’était sacré pour lui. Souvent les femmes de ses sujets qui avaient le malheur d’être belles, inopinément enlevées, après avoir servi à ses plaisirs, puis à ceux des commençaux du palais, étaient rendues à leurs maris, si pourtant elles n’avaient pas succombé aux excès les plus infâmes; mais la plupart étaient tuées ou noyées: quelquefois les cadavres de ces infortunées étaient suspendus à la porte de leurs maris, ou placés à table devant eux pendant plusieurs jours. Excès de cruauté et de résignation également effrayants, également difficiles à croire.

Quand il rencontrait quelque femme dans les rues, il lui demandait quel était son mari, d’où elle venait, où elle allait; et quand elle appartenait à un homme qui ne lui plaisait pas, il lui faisait attacher ses habits et jusqu’à sa chemise autour du cou, et l’obligeait à rester dans cette situation jusquà ce que lui-même, sa cour, sa garde et tout le peuple fussent passés.

Si ces fureurs étaient toutes seules dans la règne d’Ivan IV, s’il n’eût été qu’un monstre, on dirait qu’il fut un fou furieux, un insensé sanguinaire, et la dignité humaine au ait moins à souffrir de cet aveu; mais il faut reconnaître que toutes ces atrocités sortirent d’une tête qui n’était pas privée de logique, et assez vaste pour que toutes les idées pussent y entrer, même celles du bien. Ce sont les fruits du pouvoir absolu.—(Résumé de l’Histoire de Russie.)

MOIS DE FEVRIER.

On dérive le nom de ce mois, les uns de febris, fièvre, les autres de februs, sacrifices expiatoires qui se célébraient pour les morts. Chez les Romains, ce mois était sous le protection de Neptune. Ils le représentaient sous l’image d’une femme vêtue de bleu, dont la tunique est relevée par une ceinture. Elle tient entre ses mains un oiseau aquatique, et porte sur la tête une urne d’où l’eau coule en abondance, pour désigner que c’est le mois des pluies; ce qu’expriment encore le héron et le poisson qui sont à ses pieds. Cl. Audran l’allégorise ains: Dieu des eaux tenant en main son trident, est debout sou une grotte formée de cascades, surmontée de filets est autres instrumens de pêche, et des poissons, signe de ce mois. Au-dessous, sont représentés les chevaux de Neptune, et plus bas, un navire avec ses agrès. Le ornemens sont un mêlange d’oiseaux marins, de poissons, de coraux, et toutes sortes de riches coquillages.

SUCRE D’ERABLE.

Il se fait ici (dans la seigneurie de Beauport) une grande quantité de sucre d’érable, aussi bien que dans toutes les seigneuries adjacentes: on peut décrire en peu de mots le procédé qu’on met en usage pour l’obtenir. Au printemps, quand la sève commence à monter dans les arbres, les habitans se rendent dans les bois, munis de chaudières, d’auges, et de tous les ustensiles nécessaires pour conduite la manufacture, et ils y forment un campement passager: la sève se recueille en faisant dans l’arbre une incision dans laquelle on insinue un morceau de bâton mince pour servir de conducteur, et par où, une heure ou deux après le lever du soleil, la sève commence à dégoutter dans une auge placée pour la recevoir. Quand on a retiré de plusieurs arbres une quantité suffisante de cette liqueur, on la met dans une chaudière de fer, et on la fait bouillir, jusqu’à ce qu’elle prenne la consistance d’un sirop épais; ensuite on la fait refroider, puis après on la fait une autre fois bouillir et clarifier. Quand cette opération a été suffisamment répétée, à proportion du degré de pureté qu’on veut donner à la matière, on la met durcir dans des vaisseaux de différente grandeur, qui en contiennent depuis une demi-livre jusqu’à huit ou dix livres. Sa couleur offre toutes les nuances depuis un brun clair jusqu’à un brun foncé, suivant le soin qu’on a pris pour le clarifier. On pourrait même, en répétant le procédé, le rendre aussi blanc que le sucre rafiné commun. Comme ce sucre est extrêmement sain, l’usage en est général parmi les gens de campagne pour tous leurs besoins, et la consommation en est considérable dans les familles respetables pour les besoins ordinaires. Le prix en varie de trois sous et demi terling à six sous par livre.—(Topographie du Canada.)

RECHERCHES

SUR LES CAUSES QUI ONT RETARDÉ L’EDUCATION EN CANADA.

Dans le dernier numéro de ce journal, on a discuté au long les causes qui ont privé la province d’une branche importante du systême régulier d’enseignement dont elle jouissait autrefois. Dans le présent numéro, on se propose d’examiner une des principales causes qui tendent à retarder les progrès de l’enseignement public: ce sont la mésintelligence qui existe entre les membres des différentes croyances religieuses, et les efforts que fait chaque dénomination de chrétiens pour mettre sous sa direction exclusive les établissemens formés pour l’instruction de la jeunesse. Tandis que chaque parti s’évertue pour se conserver le pouvoir de prescrire le mode et la forme que doit prendre l’enseignement public, et de nommer les maîtres par qui il sera conduit, les institutions mêmes par lesquelles le bien devrait être opéré, sont nécessairement retardées dans leur commencement, et gênées par des restrictions nuisibles, dans leur progrès ultérieur.

Mais avant d’aller plus, il est nécessaire de combattre une opinion à laquelle plusieurs de nos frères protestants semblent tenir fortement, mais qui parait erronée et fondée sur ce qu’ils n’envisagent pas le sujet sous son vrai jour, et ne le voient qu’imparfaitement.

L’opinion dont nous voulons parler est que le clergé catholique est opposé à l’établissement d’écoles. Cette idée est assez généralement disséminée, comme on vient de l’observer, parmi nos frères protestants. Nous la croyons erronée, et conséquemment injurieuse à nos amis catholiques; et nous sommes persuadés que nous servirons les deux parties et la vérité, en prouvant qu’elle est sans fondement. Si nous ne réussissons pas à convaincre nos lecteurs, que c’est une erreur, nous espérons qu’ils voudront bien au moins accueillir notre exposé et notre opinion avec indulgence, et nous accorder cette liberté de jugement qu’ils reclament pour eux-mêmes, et que nous serons toujours disposés à leur accorder.

Pour prouver l’avancé que les catholiques sont opposés à la dissémination des connaissances, on nous dira peut-être que c’est une maxime de leur église, que l’ignorance est la mère de la dénotion.

Nous avouons volontiers qu’il est très probable que quelques catholiques aient pu poser une telle idée en principe, tant dans leurs discours que dans leurs écrits; mais nous soutenons, et croyons pouvoir prouver que ce n’est point la doctrine de cette église. L’assertion a été hazardée souvent par des individus de cette communion. Mais pour contrebalancer cette maxime, nous prenons la liberté d’en mentionner une qui n’est pas sortie moins souvent de la bouche de protestants; c’est que le meilleur moyen de gouverner les hommes est de les tenir dans l’ignorance.

Ces deux maximes sont les mêmes quant au principe, ne différant un peu que par les circonstances, nommément par le caractère de ceux qui les avançaient, et de ceux à qui elles étaient appliquées. Ce sont des maximes qui, sous une forme ou sous une autre, ont été, dans tous les siècles, familières à certaine sorte d’individus, savoir à ceux qui désiraient conserver par des moyens illégitimes, une supériorité que le hazard, ou peut-être même l’injustice leur avait donnée.

“L’ignorance est là mère de la dévotion.” “Le meilleur moyen de gouverner les hommes est de les tenir dans l’ignorance.” Comme ces deux principes reviendront souvent dans le cours de nos recherches, nous prendrons la liberté de les distinguer par la dénomination de maximes de ténèbres. Nos lecteurs verront aisément qu’elles sont les mêmes dans le fond, avec cette différence que la première a été employée plus souvent par des catholiques, et la dernière par des protestans.

Il y a sans doute dans la nature humaine quelque chose pour recommander, dans tous les temps, ces maximes et autres également pernicieuses, à l’attention et à la prédilection de certains individus. Il n’est pas douteux que la simplicité des ignorans de toutes les classes ne les rende plus traitables et plus servilement soumis au pouvoir existant, de quelque manière qu’il ait été acquis, et qu’il soit exercé, et probablement moins capables de découvrir, ou d’employer, après les avoir découverts, les moyens de se libérer. Si savoir et pouvoir sont synonymes, ignorance et faiblesse le sont aussi nécessairement. Tel est dans notre constitution le fait qui a produit et entretenu les maximes de ténèbres. Les ignorans sont simples et faibles, aisément déçus et aisément opprimés. Il n’est donc pas étonnant que des dominateurs injustes désirent que ceux qui leur sont soumis soient ignorants; comme, d’un autre côté, il est évidemment de l’intérêt de tous gouverneurs équitables que ceux qu’ils gouvernent soient éclairés, et capables d’apprécier la sagesse de leurs procédés.

Il paraît avoir échappé à l’observation des personnes en autorité qui ont adopté les susdites maximes de ténèbres, qu’en même temps que les ignorans sont simples, il sont aussi obstinés, et qu’ils sont violents, téméraires et têtus, à proportion qu’ils sont soumis et rampants. Plus ils sont humbles sous le tyran du jour, plus vite ils se précipiteront sur la trace du premier usurpateur qui obtiendra leur confiance. Quiconque donc fonde son pouvoir sur l’ignorance des gouvernes le fonde sur le sable.

Mais ce n’est pas seulement parce que le pouvoir fondé sur ces maximes n’est point assuré c’est parce qu’elles sont iniques, parce qu’elles sont incompatibles avec tout principe de justice, qu’elles doivent être en horreur à tout homme juste et honnête. Elles ne peuvent être adoptées que par ceux qui veulent gouverner pour leur intérêt particulier, sans égard à l’avantage des gouvernés.

Bien donc qu’il soit vrai qu’il y a dans notre constitution des faits qui peuvent porter les esprits inconsidérés à adopter ces principes détestables, il y a aussi d’autres faits qui doivent engager encore plus fortement les hommes prudents et réfléchis à les regarder comme la peste de la société, comme le fléau et la perte des états où on leur permet d’opérer.

Notre but, en appuyant sur ces faits, est de prouver que tous les hommes sont sujets à se laisser entraîner aux principes erronés dont nous venons de faire mention, aux maximes de ténèbres, et de démontrer que nul âge, nulle secte, nul parti, nulle dénomination de chrétiens ne sont exempts de son influence. Conséquemment, les connaissances ont toujours été vues d’un œil jaloux par tous ceux qui désiraient faire un mauvais usage de la puissance. L’arbre de la science a été proscrit par le grand et le petit tyran de tous les siècles.

De là se sont élevées si généralement d’abord dans la Grande-Bretagne les préventions contre les écoles de Lancaster et de Bell; de là est provenue l’opposition aux écoles du Dimanche, et à toutes les autres inventions pour communiquer l’instruction d’une manière efficace et peu coûteuse. Et toute cette opposition été manifestée par des protestants.

Qui n’a pas entendu répéter mille fois que la basse classe n’a pas besoin d’intruction; que les gens de travail n’ont que faire d’éducation, et que les ouvriers n’en faraient pas mieux leur ouvrage, après toutes les connaissances qu’on pourrait leur donner? Mais surtout on a avancé, et nous osons dire que tous nos lecteurs ont entendu l’assertion, que plus on instruit ceux qui vivent de leur travail manuel, plus ils deviennent intraitables: l’on a même cité les paroles d’un grand poëte, pour prouver qu’un petit savoir est une chose dangereuse, et qu’il faut conséquemment puiser profondément, ou ne point puiser du tout à la source piérienne. Tout cela a été dit par des protestans qui ne remarquaient pas que le poëte (quand même ses paroles auraient eu l’autorité de inspiration,) ne parlait que de la poésie, au sujet de laquelle il veut nous apprendre que le poëte ne doit pas connaître son art à demi; que si ce principe est appliqué à l’art de lire, il signifie que l’enfant ne doit pas apprendre à connaître seulement les lettres, mais à les assembler de manière à en former des mots, et à faire avec ces mots des phrases; et que si on l’applique de la même manière à l’art d’écrire, il signifie que l’écolier doit savoir non seulement former des lettres, mais encore les joindre ensemble en mots et phrases lisibles.

Toutes ces pernicieuses erreurs ont circulé dans un public protestant, ont été applaudies par des assemblées protestantes, et accuillies favorablement par des hommes d’état, et quelquefois par des législateurs protestants. Cessons donc d’imputer à nos frères catholiques le tort de s’opposer à la dissémination des connaissances; reconnaissons notre propre faute, ou celle de plusieurs d’entre nous, et au lieu de jetter le blâme sur d’autres, revenons de notre égarement, et promouvons de toute notre influence la marche de la vérité, qui est lu gloire de notre siècle, et qui, soit que nous l’avancions ou que nous la retardions, ne peut maintenant être arrêtée.

Il y a deux circonstances qui ont probablement contribué à confirmer parmi les protestans l’opinion que clergé catholique a été opposé à l’instruction générale du peuple. La première, c’est que la religion catholique a subsisté durant les siècles d’ignorance, où il est naturel de supposer que des opinions déraisonnables, et mal fondées, et particulierement les maximes de ténèbres déjà si souvent mentionnées, devaient prévaloir beaucoup plus que dans le siècle éclairé où nous vivons. L’opinion que le savoir était accompagné de danger pour l’état et pour la religion, n’a pas été l’erreur d’une église particulière; elle été l’erreur de la masse des hommes, avant que leurs esprits aient été éclairés par la science, et leurs jugemens rectifiés par la communication mutuelle de leurs sentimens. Si l’église luthérienne, l’église calviniste, ou toute autre église quelconque eût existé dans ces siècles barbares et ténébreux, elle aurait emprunté, comme l’église romaine (ou quelques membres de cette église,) cette opinion à la grossièreté des temps, et aux méprises générales du genre humain.

L’autre circonstance qui a fait naître l’opinion erronée que nous combattons, c’est le fait incontestable, que ni la charité ni la délicatesse ne nous permet de dissimuler, que le protestantisme s’est élevé et s’est avancé avec le progrès des sciences et la dissémination des lumières. Comme ce fait était évident, nous ne doutons point que quelques catholiques d’un esprit moins étendu que d’autres, n’aient envisagé le sujet avec un certain degré d’anxiété, et n’aient regardé d’un œil jaloux et soupçonneux, une opération de l’intellect, qui leur paraissait liée à des conséquences si désastreuses. C’est ainsi que dans les différentes églises, des personnes pieuses ont regardé comme suspecte et dangereuse l’étude de la philosophie, parce qu’elle leur a paru conduire quelquefois à l’incrédulité; tandis qu’aux yeux de ceux qui envisagent le sujet sous un point de vue plus étendu, il ne paraît pas y avoir de meilleur remède à ce mal que cette même étude de la philosophie dans tout ce qu’elle peut comprendre.

En même temps donc que nous prions instamment nos frères protestants de se défaire d’une opinion qui parait être non seulement contraire à la charité, mais encore injuste envers les membres d’une autre église, nous conjurons de même nos frères catholiques de nous pardonner d’avoir laissé cette opinion se repandre si généralement parmi nous. Les deux circonstances mentionnées ci-dessus suffisent pour rendre raison de l’existence de cette opinion parmi un grand nombre d’entre nous, et quand nous renonçons à notre erreur, nous pouvons raisonnablement espérer qu’on nous pardonnera d’en avoir été imbus. Et si quelques uns d’entre les protestans ne sont pas encore convaincus, que les circonstances qui expliquent leur erreur soient regardées charitablement comme leur excuse.

Mais la meilleure preuve de la disposition favorable du clergé catholique à promouvoir l’éducation se trouve dans les nombreuses institutions qu’il a formées pour cet effet, dans le cours d’un petit nombre d’années. Le collège de Québec ne fut originairément fondé que pour l’instruction de la jeunesse dans la théologie; mais par la libéralité de ses directeurs, il a été accommodé aux besoins du public, de manière à pouvoir procurer sans distinction aux jeunes gens, une éducation libérale et classique. Les bâtimens en ont été tellement aggrandis, depuis peu, qu’on y peut recevoir maintenant un très grand nombre d’étudians. Le dernier évêque de Québec a fondé, presque par sa seule influence, à Nicolet, un collège qui est présentement dans un état très florissant. Il a été établi un séminaire d’éducation à Yamaska, et un autre à Chambly. Par tout le pays, il a été établi un grand nombre d’écoles, par l’influence du dernier et du présent évêque, ainsi que par les curés des différentes paroisses.

Ces faits prouvent, mieux que ne feraient des volumes, que le clergé catholique n’est point opposé à l’éducation.—(Quebec Star.)

MERVEILLES DE LA NATURE ET DE L’ART.

PONT DE ROCHER DANS LA VIRGINIE.

Ce pont, ouvrage de la nature, est une de ses merveilles. Situé dans le comté de Rockbridge, sur le sommet d’une colline qui paraît avoir été séparée en deux, dans toute sa longueur, par quelque tremblement de terre, son élévation est de deux cent treize pieds, sa largeur de cinquante dans la partie inférieure, et de quatrevingt-dix dans la supérieure; son épaisseur, au sommet de l’arche, est de quarante pieds, et la longueur du pont est d’environ soixante. De grands arbres l’ombragent. L’arche a la forme demi-elliptique. Le parapet, qui est coupé dans le roc même, est assez large pour que cinq ou six personnes puissent s’y promener de front. Lorsqu’on regarde du haut en bas, pendant quelques secondes, la vue est si effrayante, qu’il est peu de monde à qui la tête ne tourne. Mais si, placé au bas de la colline, on porte ses regards sur son sommet, on ne peut se défendre d’éprouver une espèce de ravissement, à l’aspect d’une arche si belle, si élevée, et aussi régulière que si elle était l’ouvrage des hommes.

Ce pont sert de passage sur la vallée, qu’on ne pourrait traverser ailleurs qu’à une distance considérable.

LE VENT DU PAS.

A quelques centaines de pas du village de Blaud, dans le département de l’Arriège, s’élève une montagne appellé Puy de Till. Cette montagne est percée de plusieures cavités extrêmement profondes, desquelles il sort continuellement un vent connu à Blaud sous le nom de Vent du pas. Sa force est plus ou moins grande, selon le saison. En été, et particulièrement quand le temps est serein, il souffle avec une telle violence qu’il déracine les plus gros arbres. En hiver, au contraire, et surtout lors qu’il pleut, ils fait à peine sentir. Une, particuliarité qui le distingue encore c’est que tant qu’il fait jour, il reste comme enchainé dans les cavités qui le renferment. Mais aussi, dès que la nuit vient, il s’élance avec furie, et demeure en cet état jusqu’au lever du soleil. Malgré ses fréquentes boutades, les habitans du petit valon sur lequel il domine ne s’en plaignent pas; il y entretient une température presque uniforme, qui exerce la plus heureuse influence, tant sur le règne végétal que sur le règne animal. La terre y est on ne peut pas plus fertile, et les hommes, exempts des infirmités si communes dans d’autres contrées, y arrivent à une grande vieillesse. Il n’est pas rare d’en voir qui parviennent jusqu’à l’âge de cent ans, et qui même assez souvent le dépassent.

ARC-EN-CIEL LUNAIRE.

La seule différence qui existe entre l’arc-en-ciel lunaire et l’arc-en-ciel solaire, c’est qu’il s’apperçoit rarement à cause de la faiblesse des rayons de la lune.

Le 25 Décembre 1710, à huit heures du soir, on en vit un à Clapwell, dans le Derbyshire, qui avait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel solaire, et dont la grandeur n’était pas moindre que celle qu’il laisse voir ordinairement. La lune était dans son plein, et la soirée avait été pluvieuse; mais au moment où l’arc-en-ciel lunaire fut visible, tous les nuages étaient dispersés.

Le 24 Octobre 1801, à sept heures du soir, on en apperçut un autre à Edinbourg dont la beauté charma les regards des habitans, et excita l’admiration des astronomes. Les couleurs en étaient bien distinctes. Sa durée fut d’une demi-heure.

LA GRANDE MURAILLE DE LA CHINE.

Cette muraille doit être considérée comme une merveille de l’art. Son étendue, en y comprenant les divers détours qu’on lui a fait prendre, n’a pas moins de cinq cents lieues. Elle passe sur le sommet des plus hautes montagnes de la Chine, à travers de profondes vallées, et sur de larges rivières. De distance en distance, il y a une tour ou un ouvrage fortifié. Lorsque le passage est mal défendu par la nature, elle est doublée et même triplée; mais dans les endroits qui se protègent d’eux-mêmes, elle ne consiste qu’en un rampart de terre. A Koupekou, son élévation est de trente-cinq pieds, et sa largeur, sur son sommet, de quinze. Parmi les tours dont elle est flanquée, il y en a quelques unes qui sont carrées, et dont la hauteur est de quarante-huit pieds, et la largeur de quarante. Les fondations et les angles sont de gros granit. Quant aux matériaux qui composent le reste, ce sont des briques cuites unies ensemble avec un mortier remarquable par sa blancheur et sa dureté.

Quelques auteurs ont prétendu que cette fameuse muraille, qui borde la Chine au nord, avait été bâtie par l’empereur Tsin-Chi-Wang-Si, deux cent vingt-trois ans avant la naissance de J. C., afin de protéger les provinces de Pecheli, de Chan-Si et de Chensi contre les irruptions des Tartares. Mais il en est d’autres, et notamment M. Bell, qui a résidé pendant quelque temps en Chine, et dont les voyages sont généralement estimés, qui assurent que ce n’est que vers l’en 1160 que cet étonnant ouvrage a été élevé par un des empereurs chinois, dans la vue de prévenir les fréquentes incursions des Tartares, dont la nombreuse cavalerie ravageait les provinces, et avait le temps de s’enfuir avant qu’une armée pût leur être opposée. Renaudot observe judicieusement qu’aucun géographe oriental dont les écrits remontent à trois cents ans, n’en fait mention. Mais quand de telles autorités ne suffiraient pas pour démentir l’origine reculée qu’en veut, à toute force, donner à cette muraille, il serait difficile de comprende comment il se serait fait que Marc-Paul, qui a résidé pendant très longtemps dans le nord de la Chine, eût gardé le plus absolu silence sur un monument si vieux et si digue d’admiration?

LE PANTHEON A ROME.

Ce monument existe encore dans toute sa majesté: des barbares ont pu le dépouiller de tous ses ornemens, et des mains avides enlever l’or, l’argent et le bronze qui y étaient employés avec une profusion extraordinaire; mais il n’a rien perdu de sa dignité. Bravant toutes les vicissitudes qu’ont amenées les siècles, il s’est conservé jusqu’à nos jours pour exciter notre étonnement et notre admiration. La Rotonde, dont les murs sont incrustés de marbre, est dans son entier. Son diamètre est de vingt-deux toises, sans y comprendre les murs, qui ont dix-huit pieds d’épaisseur. Sa hauteur est en parfaite harmonie avec sa largeur. Aucune fenêtre ne l’éclaire, et la seule lumière qu’elle reçoit lui vient d’une ouverture pratiquée au-dessus de la coupole. L’intérieur est décoré par quarante-huit colonnes de marbre, tandis que seize autres, d’une seule pièce de granit, forment, à l’extérieur, un portique majestueux. Ce fut Agrippa qui dédia le Panthéon aux dieux. On l’a consacré depuis à la mémoire des hommes qui se sont illustrés dans la carrière des arts.

CRITIQUE

SUR LE JOURNAL DE PARIS.

Air: De tous les capucins du monde.

 

A ce journal je m’intéresse,

Disait une vieille comtesse,

Mais c’est un abus sans pareil,

Et dont tous les matins j’endève,

D’y marquer l’heure où le soleil

Pour ces petits bourgeois se lève.

 

Pourquoi, du coucher de la lune,

Disait un filou, sur la brune,

Ces messieurs font-ils mention?

D’une police trop perverse

C’est seconder l’intention,

Pour écraser notre commerce.

 

Morbleu! disait le chantre Arsène,

A quoi bon mesurer le Seine?

Quand les flots en seraient haussés,

Je suis bien sûr que la rivière

Ne montera jamais assez

Pour pouvoir entrer dans mon verre.

 

Ils devraient bien, ces journalistes,

Disaient les quinze-vingts tout tristes,

Oter, pour nous faire leur cour,

Deux articles peu nécessaires;

Celui des époques du jour,

Avec celui des réverbères.

 

Il ne faudrait jamais permettre,

Disait un grave géomètre,

Tous les im-promptu nouveaux-nés,

Qu’en tête du journal on trouve;

Car fussent-ils des mieux tournés,

Qu’est-ce au fond que tout cela prouve?

 

Mais, dit un libraire, on nous berne,

Quand de quelque écrivain moderne

On nous y vante les travaux:

N’est-ce donc pas une sornette

D’annoncer les livres nouveaux?

Ce sont les vieux seuls qu’on achète.

 

Article, traits de bienfaisance,

Dit Harpagon, quelle imprudence

De m’oublier directement!

Moi qui, dans mainte circonstance,

Recommande sincèrement

Les pauvres à la providence!

 

Tout en vacillant sur son siège,

Un cocher disait, tromperai-je

Maintenant mon maître au besoin?

Hélas! après l’extrait des livres,

En indiquant le prix du foin,

Le journal nous coupe les vivres.

 

A tant d’annonces de spectacle

Un sourd dit, je veux mettre obstacle;

Je n’entends rien à tout cela;

Mais simplement je leur accorde,

Pour remplir cette page-là,

De parler des danseurs de corde.

 

De tous les payeurs de la ville

Je soutiens la liste inutile,

Disait un jeune Cadédis,

Et la preuve en est évidente,

Car mes amis et moi, sandis!

Nous n’avons pas un sou de rente.

 

Quant aux nouvelles funéraires,

S’écriaient certains légataires,

Nous les trouvons trop empressés;

Nous hériterions seuls peut-être,

S’ils accordaient aux trépassés

Quelques jours pour se reconnaître.

 

Du journal, par antipathie,

Chacun critique une partie:

En est-ce ainsi du rimailleur

Dont on y condamne les pièces?

Non, son Apollon férailleur

Mettra toute la feuille en pièces.

 

M. de Piis.

LE CASTOR,

D’APRES M. J. C. BELTRAMI.

Il est difficile qu’un voyageur publie ses voyages sans parler du castor, quand même il n’aurait voyagé qu’en Afrique, où il n’y en a pas. Je voudrais éviter des répétitions; mais je ne me rappelle aucunement ce que ces messieurs en ont dit, chacun en particulier, pas même Buffon, de son cabinet. Je vous communiquerai, comtesse, ce que j’ai vu moi-même sur les lieux, et ce que j’ai appris touchant cet animal étonnant. Si j’en dis les mêmes choses que les autres, cela servira à vous confirmer davantage dans ce que vous en saviez déjà: s’il y a du nouveau, vous me saurez gré d’avoir ajouté à vos connaissances.

Du côté de l’ouest, on voit descendre dans le lac (auquel l’auteur donne le nom de Torrigiani, et qui se trouve assez près des sources du Mississippi,) une petite rivière. Les castors en ont barricadé l’embouchure, au moyen d’une chaussée, qu’un régiment d’ingénieurs n’auraient pu mieux faire. L’eau reflue et forme un étang où ils ont bâti leur quartier. Il faut observer qu’ils savent que cette rivière ne tarit jamais; car autrement, ils ne l’auraient pas choisie.

Les pieux plantés dans la terre, et les troncs d’arbres, qui les traversent, sont d’une grosseur et d’une longueur considérables. Il est incroyable comment de si petits animaux peuvent transporter des pièces si énormes; mais ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’ils ne se servent jamais des arbres abattus par le vent, ou par les hommes; mais ils choisissent eux-mêmes et coupent ceux qui leur semblent plus utiles pour leur bâtisse.

Ils les coupent toujours sur les bois des lacs ou des grandes rivières, pour les transporter plus a sément au moyen du flottage.

Tandis que cinq ou six d’entr’eux coupent, ou rongent de leurs dents, le pied de l’arbre, un antre se tient au milieu de la rivière, et les avertit, ou d’un sifflement, ou en frappant de sa queue sur l’eau, quand il en voit pencher la cîme, pour que tout en continuant à travailler, ils y mettent de la précaution et se tiennent sur leurs gardes. Notez, comtesse, qu’ils ne rongent jamais l’arbre du côté de la terre, mais toujours du côté de l’eau, pour qu’il ait absolument à tomber de ce même côté.

Toute la tribu alors réunit ses efforts, et le flotte à l’endroit désigné. Là, de leurs dents, ils aiguisent les pieux; de leurs griffes, ils font des trous profonds dans la terre, et de leurs pattes, les plantent et les enfoncent. Ils mettent des branches d’arbres à travers contre ces pieux; ils en bouchent ensuite les interstices avec du mortier, que les uns préparent, pendant que les autres coupent les arbres, ou sont occupés à d’autres travaux; car la tâche est distribuée de manière qu’aucun d’eux ne demeure oisif. Ce mortier devient plus dur et plus solide que le meilleur ciment connu chez les Romains.

Quand la chaussée est achevée, et qu’ils l’ont éprouvée, pour savoir si elle répond à leurs fins, ils pratiquent au bas une ouverture, en guise d’écluse, qu’ils ouvrent et qu’ils ferment au besoin, pour laisser encore couler la rivière, et ils commencent à bâtir leur maison au milieu du terrain destiné à former l’étang. Jamais ils ne bâtissent la maison avant la chaussée, de crainte que celle-ci ne réussisse pas à leur gré, et qu’ils ne perdent ainsi leur temps et leurs peines.

Leur maison, bâtie également en bois et mortier, est de deux étages, et double. Elle est longue en proportion du nombre de la tribu qui doit l’habiter.

Le premier étage leur sert en commun de magazin à vivres, et demeure sous l’eau; le second leur sert de chambres à coucher, où chaque famille a son appartement, et il est hors de l’eau.

Sous les fondemens de la maison, ils pratiquent une quantité d’issues, au moyen desquelles ils entrent et ils sortent, sous terre, sans être apperçus, pas même du sauvage le plus vigilant: elles aboutissent toutes loin de la maison et à la partie du terrain qui forme l’étang, ou aux lacs, aux rivières, près desquels ordinairement ils s’établissent, pour avoir le choix de cette direction qui leur est plus commode, ou moins dangereuse, dans les différents incidens de leur vie.

Les castors sont distribués en tribus, et parfois, en petites bandes seulement, dont chacune a son chef; et l’ordre et la discipline y règnent, beaucoup mieux peut-être que parmi les sauvages, et même que parmi les nations civilisées.

Leurs magazins sont toujours, sans faute, approvisionnés en été, et aucun n’y touche avant que la disette de l’hiver ne se fasse sentir; à moins que des circonstances extraordinaires n’en fassent sentir une nécessité absolue; mais jamais, dans aucun cas, aucun n’y entre sans l’autorisation et sans la présence du chef. Leurs vivres consistent en géneral, en écorces d’arbres, et principalement de saules, et de tous les arbres qui appartiennent à la famille du peuplier. Quelquefois, lorsque l’écorce ne se trouve pas en quantité suffisante, ils en ramassent aussi le bois, et dans ce cas, ils le coupent en morceaux avec leurs dents.

Chaque tribu a son territoire. Si quelque étranger est surpris en maraude, il est traduit devant le chef, qui, à la première fois, le châtie ad correctionem, et à la seconde, le prive de sa queue; ce qui est la plus grande disgrâce qui puisse arriver à un castor; car la queue est la charrette sur laquelle ils transportent les pierres où il en faut, le mortier, les vivres, &c. et elle est aussi la truelle, dont elle représente précisément la forme, dont ils se servent pour bâtir. Cet attentat à leur droit des gens est considéré parmi eux comme un si grand outrage, que toute la tribu du mutilé prend fait et cause pour lui, et part immédiatement pour en aller tirer vengeance.

Dans cette lutte, le parti vainqueur, usant du droit de la guerre, chasse le vaincu de son quartier, s’en empare, y place une garnison provisoire, et finalement y établit une colonie de jeunes castors. A ce propos, une autre particularité de ces animaux admirables ne vous paraîtra pas moins étonnante.

La femelle du castor met bas ordinairement dans le mois d’Avril, et elle fait jusqu’à quatre petits. Elle les nourrit et les instruit soigneusement, pendant une année, c’est-à-dire jusqu’à ce que la famille soit à lu veille de prendre un nouvel établissement, et alors ces jeunes castors, obligés de ceder la place, bâtissent une nouvelle loge à côté de la maison paternelle, s’ils ne sont pas en grand nombre; autrement ils sont obligés d’aller, avec d’autres, former ailleurs une autre tribu, un autre établissement. Si donc, dans ce temps, l’ennemi est chassé de son quartier, les vainqueurs y installent leurs petits de l’année, s’ils sont déjà en état d’être émancipés, c’est-à-dire, de se gouverner d’eux-mêmes.

Les sauvages m’ont raconté, d’une manière positive, un autre trait de ces animaux; mail il est si extraordinaire, que je vous laisse libre d’y croire, ou de le rejetter.

Ils prétendent, et il y en a qui soutiennent en avoir été témoins oculaires, que les deux chefs de deux tribus belligérantes vident quelquefois la querelle par un combat singulier, en présence des deux armées ennemies, comme les peuples du Médiève, ou trois contre trois, comme les Horaces et les Curiaces de L’antiquité.

Les castors se marient, et la mort seule les sépare. Ils punissent sérieusement les infidélités de leurs femelles, jusqu’à les tuer.

Quand ils sont malades, ils sont soignés entr’eux attentivement. Les malades ont aussi leurs cris plaintifs, comme les hommes. Les sauvages les chassent delà même manière que vous les avez vus chasser le rat musqué dans notre sixième promenade. Le rat musqué est un castor de second ordre. Il en a la figure en petit, et plusieurs de ses qualités, quoique son poil soit beaucoup inférieur en beauté et en finesse. De plus, en hiver, les sauvages font des trous dans la glace qui cenvre les étangs qui environnent la maison des castors: ils les guettent an moment qu’ils sortent leur tête pour prendre l’air, et lés tirent.

Le Grand-Lièvre (chef sauvage,) au Lac Rouge, voulut me faire croire qu’étant survenu à une bataille, que deux tribus de castors venaient de se livrer, il en avait trouvé, sur le terrain, une quinzaine ou morts ou expirants; et d’autres sauvages, et Scioux et Cypawais, m’ont également assuré en avoir fait quelquefois une très bonne prise dans la même circonstance. Il est vrai que quelquefois ils en prennent sans queue: j’en ai vus moi-même. Enfin ces animaux sont si extraordinaires, aux yeux mêmes des sauvages, qu’ils les supposent des hommes devenus castors par la transfiguration; et entes tuant, ils croient leur rendre un très grand service; car ils disent qu’ils les rendent à leur premier état.

MONNAIE.

C’est une pièce de métal qui a une valeur numérique quelconque, et qui est ordinairement marquée au coin et aux armes d’un prince ou d’un état.

Dans les commencemens, le commerce se faisait par le moyen des échanges: l’un donnait à l’autre ce que celui-ci ne possédait pas, pour en recevoir lui-même des choses que la nature lui avait refusées. On ne sait pas quel est celui qui inventa le premier lu monnaie: la plus ancienne preuve que nous ayons du trafic fait avec des pièces de métal, se trouve dans la Genèse, ch. 13, où il est dit qu’Abraham acquit le lieu de la sépulture de Sara pour quatre cents circles d’argent. Le même livre nous parle de mille pièces d’argent, dont Abimelech, roi de Gerara, fit présent à Abraham. Quand Jacob envoya ses fils en Egypte pour acheter du bled, il leur donna de l’argent. Tout cela prouve qu’alors on commerçait avec de l’or et l’argent; mais il ne parait pas que ces deux métaux fussent convertis en pièces de monnaie frappées au coin: il est probable qu’on les donnait au poids; car le sicle, le talent, le gera, le beka, sont des noms de poids.

Si nous en croyons Herodote, ce sont les Syriens qui ont, les premiers, fait battre de la monnaie d’or et d’argent. Strabon s’appuie du témoignage d’Elien, pour dire que ce fut dans l’île d’Egine que l’on frappa la première monnaie, par l’ordre de Phœdon, et que de là ces pièces furent appellées Eginettes. Les Grecs comptaient par drachme, par mine et par talent.

La première monnaie des Romains fut frappée sous la règne de Servius Tullius; elle était de cuivre, et on la marqua d’un bœuf ou d’une brebis, d’où est venu le mot pecunia, parce que ces sortes d’animaux étaient du nombre de ceux que l’on appellait pecus. La monnaie de cuivre des Romains consistait en différentes pièces appellées as, semis, ou semissis, triens, quadrans, sextans.

L’as était une grosse pièce qui, dans le commencement, pesait une livre; la valeur du semis ou semissis était la moitié de celle de l’as; le triens en représentait le tiers, le quadrans la quatrième partie, et le sextans la sixième.—L’argent ne commença à être monnayé chez les Romains que l’an de la république 485, cinq ans avant la première guerre punique, et l’or, soixante-deux ans après que l’on eut commencé à frapper l’argent.

La plus ancienne monnaie d’or connue en France est celle que fit frapper Theodebert, roi de Metz, fils de Thierri, petit-fils de Clovis, En 1262 sous Saint Louis, il y avait plus de quatre-vingt seigneurs particuliers qui pouvaient faire battre monnaie en France; mais il n’y avait que le roi qui eût droit d’en fabriquer d’or et d’argent.

Charlemagne ordonna, en 758, que l’on fît vingt-deux sous d’une livre pesant d’argent. A ce compte, un sou vaudrait aujourd’hui environ trois francs trente centimes de notre monnaie. Le denier était la douzième partie du sou, et l’obole la moitié du denier.

La livre d’or se taillait en soixante-douze sous d’or, dont chacun vaudrait quinze francs de notre monnaie. Un son d’or valait quarante deniers d’argent.

La valeur réelle de ces monnaies s’altéra presque de règne en règne, en partant de celui de Philippe 1er, et de l’époque de la première croisade.

De toutes les anciennes dénominations de nos monnaies, il ne nous reste plus que le franc, monnaie de la valeur de vingt sous, frappée, pour la première fois, sous le roi Jean.—(Petit Dictionnaire des Inventions, &c.)

LES SYMPTOMES DE L’AMOUR,

CHANSON PASTORALE.

Sur l’air: Vous qui toujours suivez mes traces.

 

Lorsque d’un cœur l’amour est maître.

Malgré soi l’on est indiscret;

On veut n’en rien faire connaître,

Et chacun lit notre secret.

 

Des soupirs, une langueur tendre,

L’air pensif qu’on ne peut cacher;

C’en est trop pour faire comprendre

Que l’amour a su nous toucher.

 

Dans le hameau je vis Tytire,

Et crus l’aimer sans qu’il le sût;

Mais du goût qui vers lui m’attire

Bientôt le berger s’apperçut.

 

Je dansais un jour au village;

J’y vois arriver mon vainqueur:

A son aspect, sur mon visage,

Je sens le feu de la pudeur.

 

Il m’aborde, mon cœur palpite;

Son hommage que je reçois,

Me rend encor plus interdite;

Tout lui parle, excepté ma voix.

 

Sous le voile épais du mystère,

Belles, cachez vos feux naissans;

Au dieu qu’on adore à Cythère

Offrez en secret votre encens.

 

A l’amant qui vous examine,

Déguisez ce qu’il apperçoit:

Un amour qu’à peiné il devine,

Lui plaît plus que celui qu’il voit.

SENTENCES DE JUSTICE.

Extrait du Voyage de Valentin Pulsini au pays des Telapoins.

Un boulanger avait donné un soufflet à sa femme, parce qu’elle s’était disputée chez sa voisine, et qu’elle avait scandalisé tout le quartier. La boulangère cita son mari en justice, prétendant qu’il avait outrepassé les droits conjugaux, et qu’il devait lui demander publiquement pardon. Malheureusement cette femme ne connaissait que les lois qui la favorisaient; le juge la condamna, contre son attente, à recevoir un second soufflet, en vertu d’un certain article du code, qui prescrit aux hommes de souffletter leurs femmes sur les deux joues, quand elles se disputent hors de chez elles, et qui donne le même pouvoir aux femmes, si les époux sont dans le même cas. Nous trouvâmes cette loi singulière.

Un jeune homme s’étant enivré, avait fait tapage dans la chambre de sa sœur, et s’était amusé à lui déchirer quelques robes. Quand il eut reprit son bon sens, sa sœur le pria de réparer ses sottises; mais il s’excusa sur son état d’ivresse, et dit que tout le mal survenu ne le regardait point; que sa sœur le voyant ivre, devait serrer ses robes; que, d’ailleurs, cette petite leçon lui apprendrait à ne point laisser les choses en désordre dans sa chambre; et qu’enfin, il n’était pas responsable du mal qu’il faisait sans mauvaise intention. La sœur se plaignit en justice. Le juge prononça qu’il y avait mauvaise intention quand on s’ennivrait; qu’on ne pouvait pas s’excuser sur un état de folie volontaire; que sa sœur était libre de mettre de l’ordre ou du désordre dans sa chambre. Il condamna donc le frères, qui était un célibataire aisé, à payer tout le dégât qu’il avait fait; à compter, en outre, une somme de cent pièces d’argent à sa sœur, pour les désagrémens et le mauvais exemple qu’il avait donnés; et enfin à payer une amende assez considérable, pour avoir osé défendre une cause injuste et scandaleuse. Ce jugement nous parut assez sage.

Un paysan n’ayant rien à manger avec sa pâte de maïs, avait dérobé une botte de raves. Le jardinier à qui on avait fait tort assigna le paysan en justice. Le juge condamna celui-ci à payer la botte de raves: et comme les frais de justice montaient à quatre pièces d’argent, qui valaient quarante fois l’objet du vol, il condamna les parties à les payer par moitié.... Nous applaudîmes à ce jugement, qui nous rappellait la loi si sage d’un petit état d’Italie, où l’on condamne à la huée publique les plaideurs sans cause.

PARABOLA

Ex antiquà Sermonum collectione extracta.

Homo quidam erat diversarum villarum advocatus, immisericors, avarus, faciens graves exactiones in sibi subditos. Die quâdam quùm propter exactionem faciendam ad villam unam properaret, diabolus in specie hominis se illi in itinere sociavit; quem tàm ex horrore, quàm ex mutuâ collocutione diabolum esse intellexit. Ire cum eo salis timuit; nullo tamen modo, neque orando, neque se cruce signando, ab eo separari potuit: Quùmque simul pergerent, occurrit eis homo quidam pauper porcum in laqueo ducens. Quùmque porcus huc illucque diverteretur, iratus homo clamavit: Diabolus te habeat. Quo verbo audito, advocatus sperans se tali occasione à diabolo liberari, ait illi: Audi, amice, porcus ille est tibi datus: vade, tolle illum. Respondit diabolus: Nequaquam mihi illum ex corde donavit; et ideo illum tollere non possum. Deindè transeuntes per aliam villam, quùm infans fleret, mater in foribus domus stans turbidâ voce dicebat: Diabolus te habeat; quid me fletibus tuis inquietas? Tunc advocatus dixit: Ecce benè lucratus es animan unam; tolle infantem, quia tuus est. Cui diabolus, ut priùs: non mihi illum dédit ex corde; sic talis est consuetudo hominibus loquendi quùm irascuntur.—Incipientibus autem appropinquare loco ad quem tendebant, homines à villâ longé videntes, et causam ejus adventus non ignorantes, omnes unâ voce clamabant, dicentes: Diabolus ie habeat, ac diabolo venias. Quo audito, diabolus caput movens, cachinnans ait advocato: Ecce isti dederunt te mihi ex intimo corde, et ideo meus es. Ac rapuit cum in ipsâ horâ diabolus, et quid de eo jecerit ignoratur.

CRANOLOGIE.

Rien de nouveau sous le soleil, pas même les extravagances des gens à systêmes. Celui du docteur Gall, qui fit tant de bruit en 1807 et 1808, et dont on ne parlait plus en 1809, n’est pas aussi neuf et aussi moderne que bien des gens l’ont cru, et ce médecin allemand n’est probablement pas le premier qui se soit imaginé que l’on pouvait juger des vertus, des vices et des talens d’un individu quelconque, par la conformation de son crâne. Lisez le passage suivant, tiré du journal historique de l’Étoile, année 1591.

“Le 29 (Avril) notre M. Cœuilly, curé de St. Germain l’Auxerrois, alla trouver M. de Grammond, pour s’excuser à luy du rapport qu’on luy avoit fait, que pendant le siège de Chartres, où le dit seigneur étoit enfermé, il l’avoit presché en pleine chaire comme traître et politique, dont le dit Grammond s’étoit fort offensé, et avoit demandé à luy parler: mais aussitôt qu’il l’eut vu, et considéré la forme de sa teste, il luy demanda seulement; est-ce vous qui estes le curé de St. Germain? Je sais tout ce que vous me voulés dire; je vous pardonne tout; car je vois bien à vostre teste que vous n’estes guère sage, et que tout ce qu’on m’a dit de vous est vray.” (La Récolte de l’Hermite.)

INVENTIONS.

Typographie Microscopique.—La typographie française a produit des chefs-d’œuvre dans les grands formats. Pour contraster avec les plus belles éditions de luxe, ces magnifiques in-folio qui garnissent le bas des bibliothèques, et qu’on n’ouvre jamais, voici une édition microscopique, qu’on n’ouvrira peut-être pas davantage, mais que se procureront les bibliophiles qui apprécient les difficultés vaincues. Mr. Henri Didot qui s’est déjà fait honneur par ses procédés de fonderie polyamatype, vient d’imprimer les Maximes de Larochefoucauld en caractères, d’une finesse extraordinaire: dans la gravure de ces caractères, il a dépassé le terme de réduction que les typographes anglais n’ont point osé franchir; et cependant il n’a altéré ni la pureté, ni l’élégance des formes. Pour peu que M. Henri Didot continue ses travaux en ce genre, les amateurs pourront se procurer une bibliothèque qui tiendra toute entière dans la poche.

Canne-fusil.—Mr. Henry Pratt, de Dedham, a confectionné une canne très curieuse dont la douille est comprimée par un ressort. Il suffit d’ôter la douille, et la canne se convertit soudain en un joli fusil de chasse, qu’on fait partir en pressant une petite vis près du pommeau delà canne. Un choquet à percussion, placé dans l’intérieur au-dessus de la lumière, met le feu à la pièce. Il n’y a rien dans l’apparence de cette canne qui puisse en faire soupçonner l’usage, et ce qui en augmente encore le prix, c’est que sa construction particulière rend toute explosion accidentelle impossible. Mr. Pratt ne reclame point l’honneur de l’invention, ayant vu une canne du même genre dont on demandait cent piastres. Mais il ne lui fut pas permis de l’examiner: il existe d’ailleurs une différence essentielle entre les deux pièces, la batterie de celle de Mr. Pratt n’étant pas extérieurement visible. Mr. Pratt croit pouvoir fabriquer ces cannes-fusils pour vingt-cinq ou trente piastres.—Gazette de Baton Rouge.

Bateau Plongeur.—Nous avons déjà entretenu nos lecteurs d’un bateau plongeur de l’invention de Mr. Beaudouin fils ainé, des Andelys. Le succès que nous ne faisions qu’augurer alors vient de se réaliser. M. Beaudouin a fait, le 9 de Mai l’essai de son bateau, dans le lit de la Seine, devant le Petit Andely, eu présence du président du Tribunal, du Procureur du Roi, du Maire, de l’Adjoint et de plus de huit cents personnes attirées sur les bords du fleuve, par une expérience aussi curieuse qu’importante pour ces résultats à venir. A sept heures précises du soir, descendu dans son bateau en forma de tonneau oblong, il a cessé de recevoir l’air extérieur; treize minutes après, il a opéré sa descente au fond de la Seine, où il a navigué à dix-huit-pieds de profondeur, pendant quarante-sept minutes, et où il n’a vécu que par de l’air dont il avait fait provision. Une salve applaudissemens, aidée d’une détonation de fusils, a appris aux habitans des deux villes, le réapparition de leur intrépide et habile compatriote. Il regrettait de n’être pas encore resté plus longtems dans le liquide séjour: il n’en avait été arraché que par la terreur publique, qui avait exigé que l’on usât des cordages attachés à cette barque d’un nouveau genre, pour la ramener au point de départ. Soixante minutes de privation d’air extérieur donnaient les plus violentes inquiétudes à la foule attentive qui ne voyait rien revenir. M. Beaudouin, à la sortie de sa nacelle, assurait qu’il aurait pu rester encore une heure sans compromettre son existance.

Le succès d’une telle épreuve a fait une grande sensation dans les Andelys. On se rappelle avoir vu Blanchard y taire ses premiers essais, y préluder à des ascensions qui ont étonné le monde. Cette nouvelle découverte, non moins étonnante et qui promet de bien autres résultats, mérite toute l’attention de notre gouvernement. On dit que déjà avant ce succès elle avait fixé celle d’une puissance voisine. Espérons que toute notre industrie ne s’exportera pas à l’étranger. Les Anglais n’ont pas dédaigné de couvrir la Manche de leur flotte pour la traversée aérienne de Douvres à Calais de Blanchard des Andelys. Les Anglais nous ont ravi l’immortel Brunel, qui s’est signalé par tout d’inventions heureuses, qui creuse le passage sous le Tamise, et que les Andelys réclament comme un de leurs enfans. Celui-ci sans doute (Beaudouin,) ne sera point délaissé par sa patrie, et n’ira point porter sur des bords étrangers le fruit de ses méditations.—Journal du Hâvre.

ANECDOTES.

Un chirurgien hollandais, qui s’était fixé à Moscou, jouait du luth dans les momens que sa profession lui laissait libres. Des strélitz, en passant dans la rue, s’arrêtèrent à la porte du chirurgien pour le mieux entendre; l’un d’eux, plus curieux que les autres, regarda pas le trou de la serrure; et s’étant apperçu qu’un squelette suspendu derrière le chirurgien était agité par le vent qui venait de la fenêtre, il fut ri effrayé qu’il prit la fuite aussitôt, en criant que cette maison était habitée par un sorcier. Les autres strélitz, qui avaient partagé la frayeur de leur camarade, répandirent partont que ce sorcier faisait danser les morts au son du luth. La cour et le patriarche nommèrent trois personnes pour vérifier le fait: on assembla ensuite le conseil, et le pauvre chirurgien fut condamné à être brulé vif avec sou squelette.

Heureusement, un seigneur, plus instruit que le conseil, représenta au czar que dans les pays où la chirurgie avait fait des progrès, on avait des squelettes qui servaient à l’étude, et fit sentir combien il était ridicule de condamner un chirurgien au feu parce qu’il gardait un squelette chez lui. Cette explication ne fut pas admise sans peine: la seule grâce que le seigneur russe put obtenir, ce fut de faire commuer la peine du feu en un bannissement perpétuel.

Quant au squelette, on continua de le regarder comme complice des crimes du chirurgien; il fui condamné à subir la peine qui avait été prononcée; on le traina dans les rues de Moscou, et on le brula ensuite.

Aux conclaves de 1740 et de 1758, le cardinal Passionei traitait très familièrement, et quelquefois avec hauteur et dureté le cardinal Rezzonico, qui le précédait immédiatement dans le Sacré College. Ce dernier ayant été élu Pape en 1758, sans le concours de la faction à la tête de laquelle se trouvait le cardinal Passionei, celui-ci refusa longtemps de souscrire à son élection, que cependant il lui fallut enfin reconnaître. Après l’adoration, le cardinal Passionei présenta au Pape les bulles qui le nommaient aux places qu’il occupait, et lui dit: “Très Saint-Père, je remets à votre Sainteté les titres des places dont ses deux prédécesseurs m’ont honoré. Votre Sainteté, qui ne me doit rien peut en gratifier quelqu’un qui en soit plus digne que moi.” Le Pape reçut les bulles, et après y avoir jetté les yeux, il les remit au cardinal, en lui disant d’un ton plein de bonté: “Cardinal Passionei, peut-être vous dois-je plus que vous ne pensez; mais quand je ne vous aurais aucune obligation, l’Eglise vous doit beaucoup. Agréez donc de sa main, si vous avez quelque scrupule de la recevoir de la mienne, la confirmation des grâces de mes prédécesseurs; et, ajouta-t-il en souriant continuez-moi vos avis avec cette franchise et cette candeur dont j’ai souvent fait l’expérience.”

L’abbé Raynal, comme l’on sait, promena sa gloire dans les différentes cours d’Allemagne. Le grand Fredéric, qui ne jouait pas un beau rôle dans la première édition de l’Histoire Philosophique, le fit venir à Postdam; et l’entretînt assez longtemps. L’Histoire du Stathoudérat se trouve sur la table; “Voila,” dit le monarque, “un excellent ouvrage, et qui fait vraiment honneur....” L’auteur ne répondit rien. Le monarque recommença ses éloges; alors l’abbé lui répondit avec une modestie littéraire: “Sire, c’est l’ouvrage de ma jeunesse, j’ai fait moins mal, et mon Histoire Philosophique a eu quelque succès: Je ne vous en dirai rien, répliqua le roi, je n’en ai jamais entendu parler.” Voila comme se venge un grand homme, ou plutôt comme il châtie un écrivain inconsidéré.

Du temps du fameux système de Law, un nommé Pecoil, qui avait fait fortune en commençant par les plus bas emplois de la gabelle, ne songeant qu’à accumuler de nouvelles richesses, fit construire, dans l’endroit le plus retiré de sa maison, un caveau qui fermait à trois portes, dont la dernière était de fer.

Il y allait de temps en temps jouir de la vue de son trésor; et quoique ce fût le plus secretement qu’il pût, sa femme et son fila en eurent enfin connaissance.

Un jour qu’il y était allé de grand matin, et qu’on la croyait sorti, sa famille ne l’ayant pas vu rentrer le soir, fit enfoncer, le lendemain, les portes du caveau, et ouvrir celle de fer, dont la clef était restée en dehors: elle y trouva le malheureux vieillard étendu entre ses coffres, les deux bras rongés, et une lanterne à côté de lui, dont la chandelle était éteinte.

Le baron des Coutures ayant appris que ses créanciers avaient obtenu une sentence contre lui, et qu’ils avaient dessein de faire exécuter ses meubles, les fit enlever une nuit, sans que personne s’en apperçût. Un huissier vint le lendemain, et ne trouvant personne, fit ouvrir la porte par un serrurier, en présence du commissaire; mais ils furent très étonnés de ne voir que les murailles, sur une desquelles était écrit ce quatrain, en gros caractères:

Créanciers, maudite canaille,

Commissaires, hussiers, recors,

Vous aurez bien le diable au corps,

Si vous emportez la muraille.

Le baron de Guern, dont la fortune était délabrée, fut nommé ministre de Frédéric; il eut entre les mains une caisse considérable, dont il se servit pour rétablir sa fortune, et avec laquelle il prétendait acheter la couronne de Pologne. Il fut épié, dénoncé, jugé, et condamné à avoir la tête tranchée. On apporta la sentence au roi, qui sauva le coupable par ce calembourg, qu’il écrivit au bas: “Comment voulez-vous faire couper la tête à un homme qui n’en a jamais eu.” Néanmoins il fut condamné à être enfermé pour toute sa vie à Spandaw.

“Vous êtes si habile dans l’anatomie,” disait quelqu’un à M. Petit, “que vous devriez guérir toutes les maladies.” “Cela est vrai,” répondit le célèbre docteur; “mais malheureusement, nous sommes comme les portefaix de Paris, qui connaissent bien toutes les rues, mais qui ne savent pas ce qui se passe dans les maisons.”

Au moment où le Mariage de Figaro ou la folle Journée, était à la soixante et onzième représentation, qui n’avait pas l’air d’être la dernière, un plaisant fit la boutade suivante:

Pourquoi crier tant haro

Sur l’éternel Figaro?

Chez nous, la folle journée

Doit être au moins d’une année.

PUBLICATIONS FRANCAISES.

Le Courier des Etats-Unis, journal Français, Politique et Littéraire; Le Journal des Sciences Naturelles; tels sont les titres de deux journaux en langue française qui doivent se publier prochainement à New-York.

On pourra juger de ce que sera le Courier des Etats-Unis par le résumé suivant du Prospectus: Les Editeurs n’exclueront de leur feuille aucun des objets qui, dans l’un et l’autre hémisphère, seront dignes d’attirer l’attention et d’exciter l’intéret du public. Ils mettront sous les yeux de leurs lecteurs tous les faits remarquables qui auront lieu dans le domaine de la politique, des sciences, des arts, de la littérature. Les évenemens politiques viendront en première ligne. L’article consacré à la France occupera une place importante dans leur feuille: ils y mentionneront les actes de son gouvernement, les discussions de ses chambres les décisions de ses tribunaux, &c.

Les Editeurs du Courier des Etats-Unis, hautement et invariablement attachés à la cause de la liberté civile et religieuse sur toute l’étendue du globe, écarteront cependant avec soin toute espèce d’exagération; les effervescences de parti, les animosités personnelles seront également bannies de leurs colonnes: en avouant avec franchise, en exposant avec fermeté, leurs propres opinions, ils traiteront avec égard celles d’autrui.

Le Courier des Etats-Unis contiendra encore, un apperçu des travaux des sociétés savantes, litttéraires et philanthropiques; des extraits analytiques des écrits périodiques et autres, sur les sciences, les arts, l’histoire, la morale, la politique, la statistique, l’industrie, &c.; enfin un recueil des jugemens portés dans tes revues et les journaux français ou autres, sur les ouvrage publiés en Europe et en Amérique.

Nous n’avons pas vu le Prospectus du Journal des Sciences Naturelles, mais nous apprenons que cet ouvrage doit être rédigé et publié par notre compatriote, le Dr. Xavier Tessier, déjà avantageusement connu dans ce pays, comme Editeur du ci-devant Journal de Médecine de Québec et Secrétaire-général de la Société de Québec pour l’encouragement des Sciences et des Arts en Canada.

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

Le 5 du courant, à Kamouraska, Mr. R. A. Piuze, à Dlle. M. Sophie Claire Varin, tous deux de l’endroit;

Le 11, Joseph Lozeau, écuyer, delà Baie du Febvre, à dame veuve Belleau, née Menard, de Québec;

Le 12, à Terrebonne, Mr. Germain Raby, à Dlle. Zoé Major, tous deux de l’endroit;

Le 18, Mr. Toussaint Decary, à Dlle. M. Josephte Poirrier, tous de la paroisse de Montréal;

Le 19 à St Roch, Mr. François Renaud, Notaire, à Dlle. Therese Chatillon.

DÉCÉDÉS:

A Québec, le 8 du courant, Mr. Louis Henri Chaussegros de Lery, âgé de 15 ans;

A Chateauguay, le 16, J. B. Braguier, écuyer, Capitaine de milice, âgé de 45 ans. Le Capitaine Bruguier commandait une compagnie de chasseurs au combat de Chauteauguay, où il se distingua, et où il fut blessé.

Le 27, Mr. Patrice Adhemar, âgé de 46 ans et 11 mois, ci-devant Lieutenant au 5e bataillon de la milice incorporée;

Le même jour, à St. Eustache, J. B. Feré, écuyer, ex-capitaine de milice, âgé de 60 ans.

Les Gazettes du mois ont aussi annoncé, en particulier, la mort du Dr. Poynter, Evêque in partibus, depuis plusieurs années Vicaire apostolique du District de Londres; de Mgnr. Ambroise Mareschal, Archevêque de Baltimore, depuis 1817; et de l’honorable De Witt Clinton, Gouverneur de l’Etat de New-York; homme éminemment recommandable par son patriotisme, ses talens et ses connaissances en littérature et en politique.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[Fin de La Bibliothèque Canadienne, Tome VI, Numero 3, Fevrier 1828. édité par Michel Bibaud]