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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome VI, Numero 2, Janvier 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: Mar. 27, 2021

Date last updated: Mar. 27, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VI. JANVIER, 1828. Numero 2.

HISTOIRE DU CANADA.

A la fin pourtant, les députés iroquois se laissèrent gagner par les bonnes manières du gouverneur de Montréal, et lui présentèrent six colliers. Le premier marquait le sujet de leur retardement, causé, disaient-ils, par l’arrivée de députés outaouais dans le canton de Tsonnonthouan. Gagniegaton, en expliquant ce collier, dit que c’était ainsi qu’il fallait faire les choses, quand on voulait traiter du la paix; voulant donner à entendre que le gouverneur général aurait dû se rendre en personne à Onnontagué; ou en quelque autre endroit, dont on serait convenu, pour y parler d’accommodement.

Le second collier témoignait la joie qu’avaient eue les habitans d’Orange du retour d’Oureouharé et des autres chefs; ce qui marquait la bonne intelligence qui régnait entre la Nouvelle York et les Cantons iroquois. Par le troisième, le canton d’Onnontagué demandait, au nom de tous les autres, le prompt retour de tous les Iroquois revenus de France, afin qu’on pût prendre avec eux les mesures qui convenaient à la situation des affaires. L’orateur ajouta qu’on avait réuni dans le canton d’Onnontagué tous les prisonniers français faits par les Iroquois, et qu’on n’en disposerait que sur le rapport et de l’avis d’Oureouharé. Le quatrième et le cinquième parlaient des ravages faits chez les Tsonnonthouans, et de la trahison de Catarocouy, et disaient que quand le mal serait réparé et que les chemins seraient libres et sûrs, Téganissorens irait traiter de la paix avec Ononthio. Par le sixième, Gagniegaton donnait avis que dès le mois d’Octobre précédent, un parti d’Iroquois s’était mis en campagne; mais qu’il ne devait entrer en action qu’à la fonte des neiges, et que s’il faisait des prisonniers, on aurait soin qu’ils fussent bien traités. “Usez-en de même, continua-t-il, si vous prenez quelques uns des nôtres. J’avais huit prisonniers de la défaite de La Chine; j’en ai mangé quatre; j’ai donné la vie aux autres. Vous avez été plus cruels que moi; car vous avez fusillé douze Tsonnonthouans: vous auriez bien dû en épargner au moins un ou deux: c’est par représailles que j’ai mangé quatre des vôtres.”

Le gouverneur lui demanda pourquoi les Agniers étaient venus faire des hostilités contre les Français? Il répondit que les Mahingans ayant levé un parti de guerre de quatrevingt dix hommes, avaient engagé quelques Agniers et quelques Onneyouths à les accompagner; qu’on avait couru après les Agniers pour les rappeller; mais qu’on s’y était apparemment pris trop-tard.

M. de Callières ne pouvant rien tirer de plus de ces députés, les envoya au comte de Frontenac: mais ce général refusa de leur donner audience, par la raison qu’ils avaient à leur tête un homme dont l’insolence l’avait choqué. Il reçut néanmoins assez bien ceux de sa suite, mais il ne voulut traiter avec eux que par l’entremise d’Oureouharé, qui parut même toujours agir en son propre nom. Dès que les rivières furent navigables, le gouverneur leur fit dire qu’ils pouvaient s’en retourner, et Oureouharé leur remit huit colliers, qu’il leur expliqua de manière à leur faire entendre que le comte de Frontenac n’y entrait pour rien. Ils portaient en substance, qu’il priait les Cantons d’essuyer leurs larmes et d’oublier le passé; qu’il était charmé de la résolution que ses frères avaient prise d’épargner les Français qui tomberaient entre leurs mains, et qu’Ononthio lui avait promis d’en user de même, de son côté, jusqu’à ce qu’il eût reçu la réponse des cinq Cantons aux propositions qu’il leur avait faites; que, pour ce qui le regardait lui-même en particulier, il les remerciait de l’empressement qu’ils avaient témoigné d’abord de le revoir; mais qu’il ne voulait s’en retourner que quand on serait venu le chercher de la manière qu’il avait marquée; qu’il les priait de lui faire au plutôt cet honneur, afin qu’ils fussent témoins de la bonne volonté d’Ononthio pour toute la nation, et des bons traitemens que lui-même et ses neveux en recevaient tous les jours; qu’au reste, ils pouvaient s’en retourner en toute sureté; et qu’il se tenait pour assuré de n’être pas désavoué de la parole qu’il leur donnait, qu’on n’abuserait point de leur confiance.

M. de Frontenac fit partir le chevalier d’Eau, capitaine réformé, avec les députés iroquois. Il avait jugé à propos d’envoyer cet officier à Onnontagué, pour tâcher de gagner ce canton, en lui témoignant une confiance particulière, et pour être mieux instruit de ce qui s’y passait. Il savait d’ailleurs qu’il pouvait compter sur Garakonthié et sur Téganissorens, amis déclarés des Français; mais les négociations entre les Outaouais et les Iroquois, dont Gagniegaton avait parlé au gouverneur de Montréal, lui paraissaient un contre-temps fâcheux dans le circonstances où se trouvait la colonie; d’autant plus que c’étaient ces circonstances mêmes qui avaient amené ces négociations, et qu’elles pouvaient être d’un dangereux exemple pour les autres alliés des Français. Le peu de fruit que M. de Dénonville avait retiré de son expédition contre les Tsonnonthouans; l’abandon du fort de Niagara; les irruptions fréquentes des Iroquois dans la colonie; les démarches peu honorables qu’on avait faites pour obtenir la paix de cette nation; les hauteurs qu’on en souffrait, depuis longtemps, et l’inaction où l’on demeurait, malgré ses nouvelles hostilités, avaient enfin fait faire aux Outaouais des démarches directes pour se reconcilier avec un peuple dont ils avaient peu à espérer, il est vrai, mais beaucoup à craindre.—Ils avaient renvoyé aux Tsonnonthouans tous les prisonniers qu’ils avaient faits sur eux, et ils étaient convenus d’un rendez-vous pour le mois de Juin suivant.

M. de Frontenac, qui avait été informé des démarches des Outaouais, plusieurs mois avant l’arrivée de Gagniegaton à Montréal, par une lettre du P. Carheil, prépara un grand convoi pour Michillimakinac, sous la conduite du sieur de Laporte Louvigny, capitaine réformé, qui devait remplacer M. de Ladurantaye en qualité de commandant. Il était accompagné de Nicholas Perrot, chargé des présens du gouverneur pour les sauvages septentrionaux; de cent quarante-trois Français, dont plusieurs avaient des pelleteries dans les magazins de Michillimakinac, et de quelques sauvages domiciliés. Un détachement de trente hommes, commandé par M.M. d’Hosta, capitaine, et de La Gémeraye, lieutenant, eut ordre d’escorter ce convoi l’espace de trente lieues.

Ils partirent de Montréal le 22 Mai. Arrivés au lieu nommé Les Chats, sur la grande Rivière, ils découvrirent deux canots iroquois: M.M. d’Hosta et de Louvigny jugeant qu’ils n’étaient pas seuls, envoyèrent trente hommes par eau et soixante par terre, pour envelopper l’ennemi de toutes parts. Les premiers tombèrent dans une ambuscade, et essuyèrent d’abord un feu meurtrier, les Iroquois, qu’ils ne voyaient point, les choisissant et tirant sur eux à coups sûrs: aussi ne resta-t-il, après la première décharge, dans le canot de La Gémeraye, qui avait voulu aborder le premier, que deux hommes qui ne fussent pas blessés.

M. de Louvigny se désespérait de voir ainsi massacrer ses gens, sans pouvoir les secourir; car Perrot, à qui il avait ordre d’obéir pendant la route, ne voulait point lui permettre d’avancer, de peur de risquer les présens dont il était porteur, et avec eux le succès de la négociation dont il était chargé. A la fin pourtant, il se laissa gagner aux instances de cet officier de M. d’Hosta. Aussitôt l’un et l’autre se mirent à la tête d’une soixantaine d’hommes, et coururent sur l’ennemi: la charge fut si brusque et faite si à propos, qu’il y eut une trentaine d’Iroquois de tués, plusieurs de blessés, et quelques uns de pris, et que le reste eut bien de la peine à se rembarquer pour se sauver. Un des prisonniers fut envoyé au comte de Frontenac, qui le remit à Oureonharé; un autre fut mené à Michillimakinac, et livré aux Outaouais, qui, pour faire voir au nouveau commandant qu’ils ne songeaient pins a s’accommoder avec les Iroquois, le brulèrent. Leurs députés se disposaient à partir pour mettre la dernière main à un traité irrévocable avec la nation iroquoise: mais lorsqu’ils virent arriver les Français victorieux de tous leurs ennemi, (car on ne manqua pas de leur parler d’abord des expéditions dans la Nouvelle York et la Nouvelle Angleterre,) chargés de marchandises, et en assez grand nombre pour les rassurer eux-mêmes contre tout ce que pourraient entreprendre les Iroquois, et qu’ils eurent reçu les présens dont Perrot était porteur, et qu’il sut admirablement bien leur fair valoir, ils n’hésitèrent pas un moment sur le parti qu’ils avaient à prendre, et ne songèrent plus à la paix avec les Cantons.

Ce changement avait lieu fort à propos pour l’avantage de la colonie; car toute espérance de paix avec les Iroquois s’était évanouie. Ces barbares, loin d’écouter les conseils d’Oureouharé, avaient arrêté le chevalier d’Eau et tous les Français de sa suite. Ils avaient été plus loin; ils avaient brûlé deux de ses gens, et l’avaient envoyé lui-même à Manhatte, pour convaincre les Anglais qu’ils étaient bien éloignés de vouloir se réconcilier avec les Français. Des que le gouverneur général fut instruit de ces faits, il prit ses précautions pour n’être point surpris: afin de mettre en sureté les quartiers les plus exposés aux ravages des Iroquois, il fit deux détachemens de ses meilleures troupes. Le premier, destiné à protéger la côte du sud, du puis l’île de Montréal jusqu’à la rivière de Sorel, fut mis sous les ordres du chevalier de Clermont, capitaine réformé: le second, qui devait mettre le reste du pays en sureté jusqu’à la capitale, eut pour commandant le chevalier de Lamotte, autre capitaine réformé.

En arrivant au confluent, de la Rivière de Sorel et du St. Laurent, le chevalier de Clermont apprit que des enfans, qui y gardaient des troupeaux, avaient été enlevés par des Iroquois. Il se mit aussitôt à la poursuite des barbares, les atteignit, et délivra les enfans qu’ils emmenaient, à l’exception d’un seul, qu’ils avaient tué, parce qu’il ne pouvait pas le suivre.

Dans le même temps, un autre parti d’Iroquois étant descendu dans l’île de Montréal, par la rivière des Prairies, fut découvert par un habitant, qui alla en donner avis au sieur Colombet, lieutenant réformé. Cet officier assembla aussitôt vingt-cinq hommes, et courut chercher l’ennemi, qui fit la moitié du chemin pour le rencontrer. Les Iroquois, qui étaient fort supérieurs en nombre, chargèrent les Français avec résolution: M. Colombet resta sur le place, avec quelques uns de ses gens, mais les barbares perdirent vingt-cinq des leurs.

Quelques jours auparavant, une autre troupe de ces sauvages avait enlevé une quinzaine de personnes, femmes et enfans, près de la rivière de Békancour: on les pursuivit; mais tout ce qu on y gagna fut que ces barbares, pour fuir plus aisément, massacrèrent leurs prisonniers.

Le 18 Août, dans le fort des alarmes causées par ces différentes irruptions, le sieur de La Chassaigne, commandait au fort de La Chine, fut averti qu’il paraissait une flotte de canots sauvages sur le lac St. Louis. Il envoya aussitôt une exprès à Montréal, avec cette nouvelle: on y crut d’abord généralement que c’étaient des Iroquois, et M. de Frontenac, qui y était monté depuis trois semaines, donnait déjà ses ordres pour avertir les habitans de la campagne de se retirer dans les forts, lorsque le sieur Tilly Delisle vint l’assurer que c’était un grand convoi venant de Michillimakinac. Ce convoi était composé de cent-dix canots, portant pour cent mille écus de pelleteries, et conduits par plus de trois cents sauvages des tribus septentrionales. La joie que l’on ressentit fut proportionnée à la terreur que l’on avait éprouvée. En arrivant dans le port de Montréal, la petite flotte fut reçue aux acclamations de toute la ville. Le 22, le gouverneur général donna publiquement audience à tous les chefs: ils parlèrent bien, et parurent être dans les dipositions les plus favorables par rapport à la situation présente des affaires. Le lendemain, la traite commença; mais elle fut bientôt interrompue par un Iroquois du Sault St. Louis nommé La Plaque par les Français, et neveu du grand Agnier. Il avait été envoyé à la découverte du côté d’Orange, et comme il revenait pour rendre compte de ce qu’il avait vu, il s’arrêta à un demi-quart de lieue de l’endroit où les Outaouais et les autres sauvages étaient campés et faisaient la traite; et se mit à faire plusieurs cris de mort: es sauvages, qui crurent l’ennemi proche, prirent d’abord les armes; mais comme au bout de quelque temps, ils ne virent rien, ils se rassurèrent, et recommencèrent leur traite.

Cependant La Plaque entra dans la ville, et alla dire à M. de Frontenac qu’il avait apperçu, sur les bords du lac du St. Sacrement, une armée entière occupée à faire des canots. Le général ne douta pas de la vérité de ce rapport, et crut ne devoir rien négliger pour mettre le gouvernement de Montréal en état de défense. Il songea d’abord aux moyens de retenir auprès de lui les sauvages alliés: il leur fit beaucoup de caresses, les régalà avec profusion, puis, les ayant assemblés, il leur dit qu’il était charmé de la disposition où ils les voyait de ne faire ni paix ni trêve avec les Iroquois; qu’ils ne pouvaient plus douter qu’il ne fût lui-même résolu de les poursuivre sans relâche, jusqu’à ce qu’il les eût réduits à lui demander humblement la paix, et qu’ils pouvaient être assurés qu’il ne la leur accorderait qu’à des conditions également avantageuses aux Français et à leurs alliés, puisque les uns n’étaient pas moins ses enfans que les autres. Il ajouta qu’il les croyait trop braves et trop attachés à sa personne, pour l’abandonner, à la vieille de le voir attaqué par une armée de leurs ennemis communs: et qu’il ne s’agissait plus que de délibérer si on irait au-devant de cette armée, ou si on l’attendrait de pied ferme. Et sans leur donner le temps de répondre, il fit la cérémonie de leur mettre en mains la hache, en disant qu’il était persuadé qu’ils s’en serviraient bien. Il ne crut pas même qu’il fût contre sa dignité de commencer à chanter, le casse-tête à la main, sa chanson de guerre; voulant leur montrer par là que son intention était de combattre à leur tête. Les sauvages furent enchantés de ces manières du comte de Frontenac et lui répondirent par des acclamations qui l’assuraient de lotir consentement.

Le 29, le chevalier de Clermont, qui avait eu ordre de remonter la rivière de Sorel, pour observer les ènnemis, vint apporter la nouvelle qu’il en avait vu un grand nombre sur le lac Champlain, et qu’il en avait même été poursuivi jusqu’à Chambly. Les signaux furent aussitôt donnés pour assembler les troupes et les milices. Le 31, M. de Frontenac passa, de grand matin, à la Prairie de la Magdeleine, où il avait assigné le rendez-vous général, et les sauvages, qu’il y avait invités, s’y rendirent fous, le soir. Le lendemain, le général fit la revue de son armée, qui se trouva composée de douze cents hommes. Dans l’après-midi, il y eut des conférences entre les chefs des diverses tribus, où les Outaouais rendirent raison de leur conduite, à la satisfaction, au moins apparente, du gouverneur, et des sauvages domiciliés, qui avaient provoqué ces explications.

Le jour suivant, les découvreurs revinrent et assurèrent qu’ils n’avaient rien vu; sur quoi l’armée fut licencié jusqu’à nouvel ordre. Deux jours après, un parti d’Iroquois tomba sur un quartier nommé La Souche, éloigné seulement d’un quart de lieue de celui où l’armée avait campé, et y tua ou enleva quelques soldats, et quelques habitans occupés à couper des bleds. Ce parti, qui n’était qu’un détachement, de l’armée qui avait été découverte par La Plaque, ne s’en serait pas probablement tenu là, si un secours considérable, venu de Montréal, ne l’eût oblige à regagner les bois.

Le jour même de cette aventura, c’est à dire le 4 Septembre, le comte de Frontenac congédia ses alliés, après leur avoir renouvellé les recommandations et les promesses qu’il leur avait déjà faites, au sujet des Iroquois. II accompagna son discours de nouveaux présens, et les sauvages partirent très contents de lui et de tous les Français.

Peu de jours après leur départ, les Iroquois reparurent en plusieurs endroits, et surprirent encore les Français, quiles croyaient bien loin. Le sieur Desmarais, capitaine réformé, qui commandait dans le fort de Chateauguay, étant allé dans la campagne, avec son valet et un soldat, tomba dans une ambuscade que lui avaient dressée trois de ces sauvages, qui choisissant chacun leur homme, les tuèrent tous trois. A peu près dans le même temps, le chevalier de Lamotte, et le sieur Murat, lieutenant, furent attaqués par un parti plus nombreux que celui qu’ils commandaient; ils le repoussèrent néanmoins, mais les sauvages étant revenus à la charge, dans le temps que ces officiers les croyaient en fuite, le premier fut tué sur la place, et le second enlevé, et probablement massacré ensuite, car on ne put jamais apprendre ce qu’il était devenu.

(A continuer.)

PETITE BIOGRAPHIE des DEPUTE’S de FRANCE.

CINQUIEME EXTRAIT.

Marchant-Collin.—Si l’almanach royal négligeait d’apprendre à la France qu’elle possède un député de ce nom, tout le monde l’ignorerait.

Martignac (de). C’est le commandant de la grosse artillerie ministérielle. Dans les batailles législatives, c’est toujours lui qui commence l’attaque; calme et impassible, il dispute le terrain pied à pied, et longtemps après la victoire, il tonne encore sur l’ennemi. Ses campagnes ont été brillantes, et les récompenses proportionnées aux services: M. de Martignac est maintenant ministre d’état, directeur général de l’enregistrement, commandant de la légion d’honneur, &c., &c.

Martin de Villers. C’est un orateur dont le Moniteur recueille exactement les discours; ce qui ne les empêche pas d’être complètement ignorés.

Mechin (le Baron). Il n’avait pas vingt ans lorsque la révolution éclata, et il embrassa avec ardeur les nouvelles doctrines. Les divers gouvernemens qui se succédèrent le chargèrent de plusieurs missions, dont il s’acquitta avec honneur. Sous l’empire, il fut successivement préfet de plusieurs départemens. Destitué, lors de la restauration, il n’a cessé de défendre les libertés publiques.

Merlin de Beaugrenier. La bonhomie semble être héréditaire dans la famille de M. Merlin: mais ce député possède cette qualité à un degré si élevé, que quelques mauvaises langues ont osé lui donner une autre qualification. Bien que ce personnage vote pour les ministres, nous ne sommes pas tout à fait de l’avis des mauvaises langues.

Mestadier. Inaccessible aux séductions ministérielles, cet honorable député n’obéit qu’à sa conscience; il a souvent combattu les projets du ministère, et quelquefois avec avantage.

Maynard (le Chevalier de). Respectable magistrat, qui à traversé avec honneur les temps orageux de la révolution; il siégeait à la convention, lors de la condamnation de Louis XVI; il vota pour l’appel au peuple, et comme son discours excitait les murmures de l’assemblée, il s’écria: “Taisez vous!.... ce ne sont pas vos cris que j’écoute, mais la voix de ma conscience.” Un tel homme ne peut être soupçonné de dépendance.

Mieulle (de). C’est un petit homme qui a fait son petit chemin, et qui, grâces à son petit savoir-faire, possède une petite fortune de deux millions. Il fait quelquefois de petits discours, et propose de petits amendemens; ce qui ne l’empêche pas d’être le petit serviteur des ministres.

Montmarie (le Comte de). Ce général trouvant les droitiers trop gauches, et les gauchers trop faibles, a cherché le terme moyen, et s’est placé au centre.

Montmorency-Tancarville (Anne-Louis-Christian, Prince de). Ce député, très célèbre par ses ayeux, ne l’est guère par ses actions. Son fils s’est distingué dans la dernière guerre d’Espagne. Il a mérité lé titre du grand d’Espagne; c’est son père qui le porte.

Mostuejouls (le Comte de). Il n’a encore rien dit; on assure que son premier discours sera un chef-d’œuvre.

Mousnier-Buisson. On ne sait pas encore au juste si ce député est ministériel ou indépendant. Il paraît cependant qu’il est l’un et l’autre; c’est à dire qu’il vote avec les ministres pour garder sa place de procureur général, et contre les ministres pour remplir son mandat.

“Il est avec le ciel des accommodemens.”

Nicod de Ronchaud. C’est un conseiller de préfecture qui voudrait devenir préfet. Passons.

Nicolaï (le Marquis de). Préfet du département qui l’a envoyé à la chambre, c’est un lion avec ses administrés et un agneau avec les ministres. A la tribune, ce n’est pas un aigle.

Ollivier. Lors de la nomination de ce député, il courut une pièce de vers qui finissait ainsi:

Et plantons l’olivier au milieu de la France.

Planté, non pas précisément au milieu de la France, mais au milieu de la chambre, M. Ollivier n’a pas tardé à planter là le ministère.

Pardessus (Jean Marie). Voici une mauvaise plaisanterie, qui n’a même pas le mérite d’être neuve, mais qui peint merveilleusement ce député: on a dit de lui: Par-dessus, par-dessous, par-devant, par-derrière,.... de quelque côté qu’on le tourne, on le trouve toujours ministériel.

Pavy. Lourd, long, lent, laid, ce député est en outre le plus ennuyeux des orateurs, et le plus pauvre logicien de la chambre.

(A continuer.)

INDUSTRIE.

Note sur la manière de faire des chapeaux de paille semblables à ceux de Livourne; par un nombre du Comité de la Société d’Agriculture de Québec.

Ces chapeaux de Livourne (Leghorn) qui sont si beaux, si forts, si durables, qui se vendent de dix piastres à cent piastres, et que tant de dames portent sur leurs têtes, ne diffèrent de nos chapeaux de paille que dans la qualité de lu paille, (ce qui dépend de la manière de la cultiver et préparer) et dans la manière de la tresser et coudre. Ils sont de paille de bled, comme les nôtres, et chacun peut en avoir tant qu’il en voudra. Le bled qui fournit la paille la plus blanche, et la plus difficile à casser, est le meilleur.

Mais la paille dont nous nous servons est coupée lorsque le bled est mur. Celle des chapeaux de Livourne est coupée quand le bled est vert, c’est-à-dire, lorsque le bled est en fleur, lorsque la tige qui porte l’épi est suffisamment dure pour que le bout d’en bas, qui s’arrache avec l’épi, soit ferme de manière à ne pas s’écraser plus facilement que le haut. Les Italiens ont eu l’esprit de se servir de leur paille lorsqu’elle est jeune, souple et forte; nous nous en servons lorsqu’elle et roide et cassante par l’âge.

Culture.—Pour avoir la paille plus fine, on sème le bled fort, peut-être dix fois plus fort que d’ordinaire, sur une terre forte, pas trop engraissée. On pourrait même se servir de la paille du bled tel que semé ordinairement, en prenant les endroits où il se trouverait semé le plus fort, et où la paille serait lu plus fine et la plus nette.

Coupe.—On la coupe à la faucille comme le bled, mais lorsqu’elle est en fleur, comme il est dit plus haut. On secoue les poignées, en les tenant à la main, contre les épis, pour en faire sortir l’herbe, etc., et on les attache ensuite par petites poignées.

Ebouillanter la paille.—On met dans une grande cuve ou autre vaisseau net, autant de poignées de la paille verte et attachée comme il est dit ci-dessus, que la cuve peut tenir; on verse dessus, à les couvrir entièrement, de, beau bouillante, bien nette, et on en retire les poignées attachées, dans une dixaine de minutes, pour les porter aussitôt à l’endroit où on veut les faire blanchir. A chaque cuvée, il faut se servir d’eau nette: et il faut ébouillanter la paille en entier, comme elle a été coupée.

Faire blanchir la paille.—On étend les poignées sur l’herbe rase, une prairie ou verger fauché, par exemple. On l’étend bien claire, et elle peut y rester sept à huit jours, en la revirant chaque jour, jusqu’à ce qu’elle soit d’une belle couleur. On la ramasse par un tems sec; on l’attache par poignées ou petites gerbes, pour être serrée dans un endroit bien sec et propre, pour s’en servir au besoin.

Trier la paille.—On la trie à loisir comme on trie la paille ordinaire pour les chapeaux. Il n’y a que la partie entre l’épi et le joint le plus proche, qui serve. On l’assortit ensuite, pour être tressée lorsqu’on en a le tems.

Tresser et coudre.—La tresse des chapeaux de Livourne ne diffère pas beaucoup de celle de nos chapeaux de paille. La couture est différente, en ce que les tresses des nôtres dépassent l’une sur l’autre, tandis que celles de Livourne sont comme si elles étaient collées l’une contre l’autre. On dirait qu’elles sont toutes d’un morceau. Elles sont cependant cousues avec un fil qui prend un brin des Jeux tresses qui se joignent. Un morceau de vieux chapeaux de Livourne, servira de modèle tant pour la tresse que pour la couture; et il n’est pas à croire que nos femmes et filles qui font de beaux chapeaux de paille, ne soient pas en état de faire ce qui se fait par toutes les femmes, filles et enfans en Italie; ce qui a fourni tant de millions de piastres à ce pays-là par an.

On disait en Angleterre et dans les Etats-Unis (quoiqu’il s’y fît de beaux chapeaux de paille ordinaire, mais qui n’avaient ni la beauté ni la durée de ceux d’Italie) que les femmes et filles de ces pays ne pourraient jamais en faire d’aussi beaux que celles d’Italie. Elles y ont réussi cependant; et elles en font même de foin coupé vert, ébouillanté, blanchi, trié, tressé et cousu comme ci-dessus, plus fins et plus beaux que tous ceux qui viennent d’Italie.

Si nos femmes et filles pouvaient faire des chapeaux de paille pour remplacer ceux qui nous viennent des pays étrangers, elles gagneraient des sommes immenses d’argent qui sortent du pays, et cela sans fatigue, et dans un tems où elles ne peuvent guère faire d’autre ouvrage. Tout le monde ne les en aimerait que plus; elles seraient plus riches et non moins belles et vertueuses.  Les italiennes envoient la paille toute prête à tresser, et aussi toute tressée, en Angleterre, où elle se vend bien cher. Pourquoi nos femmes et filles de la campagne n’en enverraient-elles pas dans les villes, et pourquoi celles des villes ne s’amuseraient-elles pas quelquefois à se faire de beaux chapeaux à la mode, qui nous coûtent quelquefois si cher?

MOIS DE JANVIER.

Les Romains regardaient Junon comme la divinité tutélaire de ce mois, quoiqu’il fût consacré à Janus. Le 2e et le 6e jour étaient au nombre des jours malheureux, et le 7e on célébrait la venue d’Isis à Rome. On personnifiait ce mois par un consul qui jette sur le foyer d’un autel des grains d’encens en l’honneur de Janus et des Lares; un coq près de l’autel annonce que le sacrifice s’est fait le matin du premier jour. On l’a représenté aussi sous la figure de Janus, avec deux visages, dont l’un, âgé, désigne l’année écoulée, et l’autre, jeune, l’année commençante. Gravelot lui donne une robe blanche, qui désigne la neige, une fourrure, des ailes, comme à toutes les divinités du temps, et le signe du Verseau entourré de glaçons; un enfant se chauffe à un vase rempli de charbons allummés, et dans le fond du tableau se voit un loup, par ce que c’est alors que cet animal est le plus redoutable. On le désigne encore, ainsi que les autres mois, par les travaux rustiques qui lui appertiennent. Cl. Audran a peint pour exprimer ce mois, Junon assise sur des nuées, sous le pavillon d’un temple; le paon à côté d’elle, et un cornet rempli de pierreries et de pièces de mounaie. Ce Temple est surmonté des vents et d’un paon qui fait la roue, au-dessus duquel est placé le Verseau; plus bas sont différents sceptres sortant de deux autres cornets, accompagnés des instrumens à vent, attributs de cette déesse. Les ornemens de cette pièce sont des festons légers de plumes; et au bas l’on voit deux oies, particulièrement consacrées à Junon.

LE SICILIEN EN CANADA.

  Un soldat que de la Sicile

En Canada la guerre a transporté,

Criait hier, pour distiller sa bile:

Ah! quel pays! quand reviendra l’été?

  Où sont nos joyeuses vendanges?

  Où sont nos fertiles moissons?

    Où sont nos figues, nos oranges,

    Nos grenades et nos citrons?

  Dans ce climat rien ne nous vivifie;

    J’y vois languir les bons humains:

    Ah! si je n’y perds pas vie,

    J’y perdrai, contre mon envie,

Les oreilles, le nez, et les pieds et les mains.

    Après la pluie, a près, la boue,

    On voit blanchir tous les chemins:

  Viennent bientôt les carosses sans roue,

  Et certains fers qu’on surnomme patins.

On marche alors sur l’onde; ô merveille! ô prestige!

    On la traverse sans danger;

  Mais, moi qui tremble à l’aspect du prodige!

J’y marche à petits pas, du pied le plus léger;

  Et pouf! je glisse, et je fais la culbute;

  Loin de m’aider et d’être mon soutien,

    Chacun se moque de ma chute;

  Ah! quel pays pouf un Sicilien!

  Quel sol affreux et quels tristes rivages!

    Des bois, partout des bois épais;

  Des animaux et des hommes sauvages;

Quelques gros Allemands et de longs Ecossais:

  Et quel langage! Au mot le plus honnête,

On répond par g....n suivi d’un dur you;

  Si je m’en fâche, on me taxe de bête,

  Et si j’en ris, on me traite de fou.

  Avant de voir ces provinces stériles,

    J’ai vu Mont-réal et Québec:

  Mais, ô douleur! ô désirs utiles!

  De tels morceaux ne sont pas pour mon bec.

  Là, quand on jure, on se damne soi-même,

  Et sans damner, ou sans maudire autrui

  Sans ajouter l’insolence au blasphème,

  Des étrangers on est au moins l’appui.

  Me voilà donc à tous les maux en proie:

    Oui, mon pays seul est charmant:

Quand on le sent trembler, c’est qu’il tremble de joie,

    C’est qu’il est fertile et riant.

  Voyez ici ces femmes et ces filles,

Qui dans leurs jolis bras portent des loups vivants;

    Malgré leurs figures gentilles,

Sur leurs têtes je vois des renards manaçants.

    Hélas! on m’habille comme elles;

    Et pour me mettre à leur façon,

    Je suis, grâce aux modes nouvelles,

  Chat par la tête, et par les mains ourson.

  Et peut-on voir des manières plus sottes!

On met ici le feu dans des coffres de fer,

Sur lesquels j’ai brûlé mes gants et mes culottes.

  Enfin voila ce qu’on appelle hiver.

    Oui dans sa sagesse profonde,

    Ma bonne mère avait raison

De dire que bientôt j’irais dans l’autre monde,

Pour n’avoir pas suivi sa prudente leçon.

P. H. C.

ECOLES.

Chez les anciens, comme chez nous, le mot Ecole a toujours servi à désigner un endroit où l’on enseigne. Tontes les villes de la Grèce, sans en excepter Lacédémone, avaient leurs écoles. Ce qu’on enseignait dans chacune d’elles répondait à l’âge de ceux qui y étaient admis. Jugeons de tontes les autres par celles d’Athènes.

On conduisait les enfans, dès l’âge le plus tendre, à de petites écoles, où ils apprenaient à lire et à écrire: on ne peut en douter après le reproche que Demosthene fait à Eschine, son rival en éloquence, d’avoir, dans son enfance, balayé la classe, lavé les bancs, broyé l’encre, et d’avoir été le valet et non le compagnon des autres enfans.

De ces premières écoles on passait dans celles où l’on enseignait la grammaire, la poésie et la musique. Homère y était particulièrement lu avec une sorte de vénération Alcibiade encore jeune, étant entré dans une école où il ne trouva point les ouvrages de ce poëte immortel, donna un soufilet au maître, le traitant d’ignorant, qui déshonorait sa profession.

Venaient enfin les écoles de rhétorique et celles de philosophie. Aristote, Isocrate, Socrate, Platon, Théophraste, furent la gloire de ces écoles. Ce bienfait de l’éducation s’étendait jusque sur les jeunes filles, même sur celles de la populace. Athènes était une ville où tout le monde parlait bien, et où la dernière classe du peuple prétendait, comme toutes les antres, à la pureté du langage. Cicéron raconte que Théophraste, disputant avec une marchande d’herbes sur le prix de quelque chose qu’il voulait acheter, la marchande lui répondit: Non, monsieur l’étranger, tous ne l’aurez pas à moins. Théophraste, qui effectivement n’était pas né à Athènes, se piquait cependant de parler le language attique en perfection.

Les écoles pour les filles sont les premières dont il soit possible de constater l’établissement à Rome. Elles existaient dés l’un 304 de sa fondation. Des grammairiens grecs y vinrent former des écoles de grammaire, vers l’an 550. De la langue grecque on y passa à l’étude de la langue latine: on y lisait, du temps de Cicéron, les poëtes nationaux, tels qu’Ennius, Accius, Pacunius, Livius Andronicus, Térence, &c. Ce furent encore des rhéteurs grecs qui fondèrent, à Rome des écoles de rhétorique, vers l’an 600. D’abord tous les exercices s’y faisaient en grec; ce ne fut que vers le temps de Cicéron que l’on commença d’y enseigner la langue latine. La philosophie fut encore apportée dans cette ville célèbre par des philosophes grecs. Ces nouveaux maîtres y furent longtemps troublés par les magistrats, qui craignaient que la jeunesse romaine ne tournát du côté de la philosophie et de l’éloquence toute son émulation et son ambition; ils eurent surtout pour ennemi le sévère Caton, qui voulait que les Romains préférassent la gloire de bien faire à celle de bien parler.

Charlemagne fut le premier roi français qui établit des écoles publiques en France; on y enseignait aux enfans la grammaire, l’arithmétique et le chant d’église. On y donnait aussi des leçons de théologie aux ecclésiastiques. Depuis le XIIe siècle, ces écoles ont fait place aux universités.—(Petit. Dictionnaire des Inventions, &c.)

RECHERCHES

SUR LES CAUSES QUI ONT RETARDÉ L’EDUCATION EN CANADA.

En entammant ce sujet, il n’est pas nécessaire de faire remarquer combien il est important. Il est également inutile d’employer des raisonnemens pour prouver que l’éducation est beaucoup en arrière de ce qu’elle devrait être naturellement dans ce pays. On y voit des paroisses où il n’y a pas d’écoles; on dit que dans quelques autres il y a des maîtres sans écoliers; et il est certain qu’il y a des maisons d’école sans instituteurs ni écoliers.

Néanmoins, en disant que l’éducation n’est pas aussi avancée ici qu’elle devrait l’être naturellement, nous désirons qu’on ne se méprenne pas sur ce que nous voulons dire; l’éducation a fait moins de progrès dans ce pays qu’en Allemagne, en Ecosse, en Dannemarc, en Suède, et autres pays, où il y a, depuis près de deux siècles, des écoles de paroisse régies par des règlemens qui ont pris une forme fixe et stable.

Mais, d’un autre côté, l’éducation a fait à peu près autant de progrès ici qu’en Angleterre, en Irlande, en France, et en plusieurs autres pays, où les institutions propres à l’avancer sont de date récente, ou ont été négligées après leur première introduction; et elle en a fait plus qu’en Espagne, en Italie, et dans les autres pays, où il n’a pas été formé d’institutions semblables.

Il faut remarquer en outre que les Canadiens proprement dits sont des hommes ingénieux et intelligents, passablement instruits de leurs devoirs religieux, d’après le culte qu’ils professent, et aussi au fait de la nature de leurs occupations et des lois sous lesquelles ils ont à vivre, qu’on peut raisonablement s’y attendre, vu leur peu de moyens d’éducation. Mais ils ne possèdent pas à beaucoup près les connaissances qu’on a droit d’attendre, et qui semblent nécessaires sous une constitution libre et un gouvernement représentatif, et dans un pays où toutes les commodités de la vie sont passablement abondantes.

Tel étant le véritable état de la question, tâchons de découvrir pourquoi l’instruction n’a pas fait plus de progrès parmi eux dans ce siècle éclairé.

On a attribué à diverses causes l’état peu avancé où paraît être l’éducation dans ce pays. Si notre exposé parait différent de ceux de quelques autres écrivains, qui ont fait des recherches sur le sujet, nous espérons que ceux qui paraissent ne pas penser comme nous, voudront bien peser franchement ce que nous allons avancer, et donner à nos raisonnemens l’attention que mérite un sujet d’une aussi grande importance, et où il convient à chacun de penser sans préjugé, et de parler avec modération.

Les principales causes de l’état peu avancé où se trouve l’éducation dans ce pays sont au nombre de deux; la privation des moyens d’instruction qui existaient autrefois, et certaines méfiances ou jalousies, qui s’opposent, résentement à l’introduction de nouvelles institutions pour l’avancement du même objet.—L’extinction de l’ordre des jésuites à privé le Canada de ses premières et principales sources d’instruction; et la mésintelligence qui règne entre les adhérons et fauteurs des différentes croyances religieuses, oppose présentement des obstacles presque insurmontables à l’établissement d’écoles élémentaires.

A ces deux causes principales, on en peut ajouter une troisième, qui est le manque de goût pour l’éducation parmi toutes les classes du peuple.

L’extinction de l’ordre des jésuites a tari la source permanente et abondante d’éducation que le pays possédait autrefois. Quelles qu’aient pu être les erreurs de ces hommes: quelles qu’aient pu être les fautes (si fautes il y a) qui leur ont fait perdre leur existence comme société séparée, il est certain qu’ils s’appliquaient aux grands objets de la culture et de la dissémination des counaissances, avec un zèle dont il y a peu d’exemples dans les temps anciens et modernes. Quelles qu’aient pu être leurs vues ultérieures, les arrière-pensées, pour lesquelles leurs supérieurs ont jugé à-propos d’abolir leur association, et à cause desquelles leur nom même est en quelque sorte proscrit, à l’heure qu’il est; dans ce pays, comme dans tout autre, ils ont travaillé à l’instruction de la jeunesse, avec l’ardeur la plus louable et le succès le plus flatteur. Par l’extinction de leur ordre, le Canada a été privé de leur zèle, de leurs talens, et des connaissances dont ils étaient les propagateurs.

On pourra peut-être objecter ici, que comme l’éducation que donnaient les jésuites était d’un ordre supérieur, et propre à préparer les jeunes gens pour les professions savantes, le terme qui y a été mis, n’a pas été pour la masse des habitans du pays un aussi grand dommage qu’on le donne à extendre ici. A cela nous répondons, que quand même l’éducation donnée par les jésuites eût été de nature à ne pas convenir au plus grand nombre des Canadiens, elle aurait toujours été la source d’où seraient sortis successivement et constamment des maîtres capables d’instruire la masse du peuple: et il paraît certain que ces hommes savants et industrieux condescendaient à diriger l’éducation même dans ses premiers commencemens; et que les connaissances; qu’on acquérait dans leurs écoles étaient éminemment pratiques. En même temps qu’ils préparaient les jeunes gens pour les professions savantes, ils induisaient leurs élèves à donner de préférence leur attention aux arts utiles, et leur donnaient les principes nécessaires à cette fin. Ils leur faisaient même apprendre l’usage des armes. Ils punaisent avoir évité l’arreur trop commune sur ce continent de surcharger les professions savantes.

Il faut observer de plus que, depuis cet évènement, la population du pays a prodigieusement augmenté, étant maintenant décuple de ce qu’elle était alors. Si donc les moyens d’instruction publique qui restèrent après la suppression des jésuites, en 1764, étaient alors insuffisants, il devrait l’être présentement, à moins de s’être multipliés, dix fois plus qu’ils ne l’étaient-alors. Nous verrons ci-dessous qu’ils se sont multipliés, mais non d’une manière proportionnée à l’augmentation de la population.

Il est peut-être naturel de demander ici pourquoi les biens des jésuites ne sont pas appropriés aux mêmes fins, au soutien et à l’avancement de l’éducation, sous quelque nouvelle forme? Lors de la suppression de la société des jésuites en France, on prit aussitôt les moyens de consacrer une partie, sinon la totalité de leurs revenus, à continuer renseignement sous de nouveaux instituteurs. On aurait pu s’attendre plus naturellement à voir la même chose se faire sous un gouvernement libre et éclairé comme celui de la Grande-Bretagne; et il est naturel et raisonnable d’examiner pourquoi il n’en a pas été ainsi.

L’omission a eu lieu en conséquence d’une variété et d’une combinaison de causes qui se trouvent détaillées au long dans le “Rapport d’un comité spécial de la Chambre d’Assemblée nommé pour s’enquérir de l’état de l’éducation en celle Province,” et dans l’ “Appendice” de ce Rapport. Il suffira donc de faire ici quelques observations générales; ceux qui voudront avoir déplus amples renseignemens sur le sujet, pourront recourir à ce document important. Il est de la justice d’ajouter ici, que ce Rapport, qui ne comprend pas moins de deux cent vingt-trois pages, offre un grand nombre de recherches légales, historiques et traditionelles, et prouve le savoir et la sagacité de ceux par qui et au désir desquels il a été dressé, ainsi que l’attention qu’ils ont donnée à un des plus importants objets de la législation. Quibuscumque laus debeatur, numquam omittenda est.

Pour avancer sur le sujet que nous avons entammé, il faut observer qu’a l’égard de la suppression des jésuites, le gouvernement anglais et le roi de France se trouvaient dans des positions totalement différentes. Le roi de France était l’auteur de cette suppression, et avant de la mettre à exécution, il avait songé aux moyens d’obvier aux inconvéniens qui en devaient résulter. Le gouvernement anglais n’eut aucune part à la suppression; il trouva l’ordre déjà supprimé, et par la volonté de ceux qui en étaient les supérieurs spirituels et naturels. Il trouva donc les biens possédés autrefois par cet ordre, vacants, ou occupés par un corps qui n’avait plus le droit d’exister comme tel. Ces biens étaient donc de la même espèce que ceux qui se trouvent sans possesseur, et qui, par les lois des nations les plus civilisées, deviennent la propriété du souverain.

Mais de plus, c’est encore une question à décider parmi les gens de lois, de savoir si ces biens ont été donnés à ce corps uniquement, ou principalement, pour le soutien de l’éducation. Les titres par lesquels ils étaient respectivement tenus, sont énumérés avec détail tians le Rapport sus-mentionné; et autant qu’il est possible à une personne étrangère aux recherches légales, d’en juger, ils paraissent avoir été donnés pour différentes fins; les uns pour la conversion des sauvages; d’autres pour des services déjà rendus, et une bonne partie pour le maintien général de l’ordre, sans autre fin spécifique quelconque.

Telles, avec l’éloignement de ce pays du siège du gouvernement suprême, les délais que doit entrainer un tel éloignement, le peu de diligence, quelquefois, du gouvernement local à faire les représentations nécessaires, paraissent être les causes qui ont principalement empêché que les biens des jésuites aient été appropriés au soutien de l’éducation: en envisageant ces causes de l’œil de l’impartialité, il paraîtra impossible de trouver le gouvernement britannique blamable, sous quelque rapport que ce soit: au contraire, on verra par le même Rapport, que ce gouvernement, quelque tardif qu’il puisse avoir été à abandonner ces biens pour les fins pour lesquelles on les reclame généralement, à l’heure qu’il est, a agi avec la plus stricte justice, en rejettant constamment toutes les propositions qui lui ont été faites de les approprier à d’autres objets.

Tel étant le cas, et le sujet ayant été ainsi exposé aux yeux du public, il devient du devoir de tous les habitans de la province, quelque soit la langue qu’ils parlent, et quel qu’ait été le lieu de leur naissance, de combiner leurs efforts jour obtenir que ces biens, depuis si longtemps inappropriés, soient rendus à ce qui paraît généralement avoir été leur destination primitive, celle de répandre les bienfaits inestimables de l’éducation dans la province et chez la postérité. Et quand ce but aura été atteint, que ce soit un point réglé et déterminé, que ces moyens, ainsi appropriés au soutien de l’éducation, doivent être destinés à cette fin généralement et sans distinction; que les écoles et les collèges, ainsi maintenus, doivent être ouverts à tous les habitans du pays, sans exception; et qu’aucuns privilèges, immunités ou avantages ne seront accordés aux jeunes gens d’une croyance religieuse plus qu’à ceux d’une autre; qu’il n’y sera exigé aucuns sermens, imposé aucunes restrictions, qui puissent embarrasser des consciences timorées, créer des tentations de prévariquer, ou priver aucune partie loyale et vertueuse de notre population d’une libre participation aux bienfaits inappréciables de l’éducation.

Que ces bienfaits, comme tous ceux de la providence, se répandent jusqu’aux extrémités les plus reculées de notre pays; qu’ils pénètrent dans chacun de nos villages et de nos hameaux; qu’ils deviennent le partage de tout esprit maintenant grossier et inculte.—(Québec Star.)

BONAPARTE.

Quel est ce mortel étonnant qui paraît, comme une vision, au-dessus de la multitude, qui s’empare, au profit de son ambition, du charme de toutes les espérances? Caché dans les rangs obscurs de l’armée, déjà sa pensée avide embrassait le monde. Dans les jours de deuil où la société expirante tombait sons le fer des bourreaux, il méditait sa conquête. Il attendait, dans la contemplation de l’avenir, le moment favorable à ses grands desseins. Il voulait donner à la France de la paix et de la gloire, et lui demander ensuite un trône en échange. Avec quelle sagacité profonde il épiait le mouvement du siècle pour le diriger! Avec quelle adresse il caressait l’inexpérience d’une société nouvelle, à qui la leçon du passé ne pouvait plus suffire, puisque le passé ne contenait plus les élémens de son avenir! La révolution avait creusé un abîme que le fantôme du passé n’avait pu franchir; il était resté solitaire sur l’autre rive.

Cet homme avait fait de la gloire avec la liberté; il fit du despotisme avec la gloire. Il enivra la nation par les miracles de la victoire; il l’enchaîna au moment où, préoccupée par un sublime enthousiasme, elle s’abandonnait à l’ivresse de sa nouvelle exaltation. La civilisation, attachée par la reconnaissance au char du héros du siècle, souriait involontairement à cette servitude, qui, parée de toutes les merveilles des arts et de ce charme de la sécurité que l’on goute si bien après l’orage, imitait le calme majestueux de la liberté. Le bruit léger des chaînes se perdait dans les acclamations des triomphes: on avait passé par tant de tempêtes, par tant de périls, qu’on s’abandonnait sans défiance à la main qui vous affranchissait d’un océan peuplé d’écueils.

L’homme du siècle étant arrivé au faite de la gloire, un esprit de vertige s’empara de lui. Il communiqua son délire aux générations à qui il promettait l’empire du monde. La servitude fut alors votée par acclamation. Quand on entrait sous la domination impériale, elle jettait des lauriers sur le front des peuples; et les peuples ne s’appercevaient plus de s’être abaissés: en glissant sous le despotisme, ou croyait monter vers la gloire: chaque victoire rivait une chaine. On s’abandonnait de bonne foi à l’héroïsme, parce qu’on le croyait incompatible avec la perfidie; on n’aimait pas à soupçonner de lâcheté l’objet qui vous avait séduit. La renommée favorisait ces illusions: elle semblait ne pas vouloir laisser tomber le nom qu’elle avait élevé si haut; elle le soutenait pur le bruit confus et tumultueux de ses cent voix. Lé génie de la liberté, devenu timide par trop de mécomptes, n’osait pas contredire le génie de la victoire: mais bientôt il s’enhardit. Et quand le héros dominateur entendit son premier soupir, il devint tyran: il accusait la France d’ingratitude; il exaltait ce qu’il avait fait pour elle: mais il oubliait ce qu’elle avait fait pour lui. Dès ce moment, le feu des passions parut remplacer la flamme céleste qui avait animé le mortel extraordinaire; le héros devint homme; il demanda en vain à son génie mourant de nouveaux prodiges pour endormir la liberté qui se réveillait; les prodiges ne parurent pas. Le colosse tomba au moment où, rapellant sa première vigueur, il cherchait à planter les bornes de son empire, d’un côté, sur les colonnes d’Hercule, de l’autre, dans les déserts de la Tartarie. Sa chûte étonna le monde; elle faillit l’écraser. L’Europe entière s’arma pour vaincre un homme en décadence, que la nature avait déjà vaincu, que le destin avait abandonné. L’énorme appareil dressé pour sa défaite annonça l’immensité de sa puissance. Il eût été invincible, s’il n’eût commencé à se dévorer lui-même. Quinze ans avait suffi à cet homme prodigieux pour conquérir une partie du globe et pour faire trembler l’autre partie. Il fut aidé par l’enthousiasme, précisément à une époque où l’on se croyait, par les progrès des lumières, bien en garde contre ses illusions; mais l’on feignait d’ignorer que l’enthousiasme est la plus puissante des facultés de l’espèce humaine, lorsque, dans ses élans, il ne vient pas heurter les règles positives de la raison.

Nous ne réciterons pas les faits particuliers qui remplissent la vie de cet homme extraordinaire; tous ceux qui vivent aujourd’hui les connaissent. Comme, à l’époque où il est venu, tout espérait en lui, ou tout craignait de lui; comme il était, en quelque sorte, placé an sommet de l’édifice social comme un point de mire, il rattachait à lui, par quelque point, toutes les existences individuelles. Sa marche a profondément sillonné le siècle. Il mit dans sa destinée tous les contrastes; il écrasa à la fois l’anarchie et la liberté: quelquefois il était un tribun populaire; d’autres fois un roi de la féodalité: tantôt il souriait au génie de la civilisation, tantôt il l’insultait....

L’homme qui donnait à la France à la fois la paix et la gloire, tendait la main à la civilisation, pour l’aider à sortir du gouffre où elle avait failli d être engloutie: il l’attirait doucement dans une atmosphère plus pure; il rendait à la religion ses autels, à la divinité ses adorateurs. Les lettres, étouffées sons la barbarie des passions populaires se réveillaient brillantes avec l’aurore du dix-neuvième siècle. Dix ans de malheurs leur avaient donné une attitude plus fière et plus imposante. La poésie s’était enrichie de deuil et de larmes; la musique avait trouvé de mélancoliques harmonies, en recueillant les soupirs qui s’exhalent autour des tombeaux. La physique, la chimie surtout faisaient d’immenses progrès.... Une foule d’heureuses découvertes enrichissaient le luxe, étonnaient le monde. La population, décimée par les bourreaux, réparait ses pertes; l’agriculture multipliait ses produits pour la nourrir....

La politique surtout avait fait les plus grands progrès; ces progrès étaient comme les débris précieux qu’on recueillait après le naufrage de la société. Le pouvoir lui-même avait reconnu ses limites naturelles: mais, par une fatalité inouie, lorsqu’on imposa des bornes à l’autorité, la licence cessa d’en avoir....

L’éducation politique coulait comme un fleuve qu’il n’était plus possible de remonter. Bonaparte, il est vrai, parut suspendre son cours; mais le travail de la réflexion ne fut interrompu que pendant les premiers momens consacrés à l’admiration de tout ce qui était offert d’extraordinaire à la pensée. Quand on s’apperçut qu’il voulait faire du laurier de la victoire le bandeau de la liberté, le silence accusateur régna. Après vinrent les plaintes, qui se faisaient jour malgré l’énorme poids de gloire par lequel le despotisme cherchait à les étouffer. A peine fut-il tombé, que le torrent des reproches qui s’exhalèrent, se mêla an bruit de sa chute.

Sans offenser le souvenir des choses anciennes, Bonaparte s’appuya sur les idées nouvelles. Les querelles qui avaient amené la révolution commençaient à se renouveller entre les idées ennemies: il conclut entr’elles une trêve. Il interrompit la lutte; il ne la finit pas. Il calma les passions, en faisant diversion à leurs vengeances....

Le régime impérial exerca sur les mœurs une influence directe et profonde: après les avoir retirées du cahos, il les corrompit. Il commença à leur indiquer la voie qu’elles avaient à suivre; après il les égara. Elles avaient été barbares avec l’anarchie, polies et néanmoins tumultueuses sous la république; elles devinrent serviles sous l’empire. Celui qui marchait à la conquête du monde se présentait à la pensée des peuples comme la puissance irrésistible de la fatalité; comment un maire de village aurait-il refusé quelque chose à celui à qui la victoire ne refusait rien? Comme l’homme à qui on prodiguait les louanges les avait méritées dans le commencement de sa carrière, en cessant de les lui offrir, on aurait, en quelque sorte, eu l’air de se contredire. Il devint moins grand lorsque la fortune l’éleva davantage....

Les sciences et les lettres ne surent pas toujours se garantir de l’influence de l’entrainement général: elles furent d’abord abusées par la reconnaissance envers celui qui avait secondé leurs travaux en leur donnant du loisir et de la sécurité. Mais l’homme du destin, accoutumé à faire plier toutes choses sous sa volonté de fer, ne considérait ces héroïnes de la pensée que comme un luxe de sa cour. Elles formèrent alors une honorable opposition; les restes de la liberté se réfugièrent autour d’elles: leurs voix, qui se faisaient entendre du sein de l’exil et des prisons, devenaient plus éloquentes et plus harmonieuses. Toutefois la civilisation allait chaque jour s’abâtardissant davantage.... Le despote était encore le conquérant: le monde souriait à sa renommée; la France en était accablée.

Jamais le despotisme n’avait dissimulé sa figure hideuse sous des formes aussi séduisantes: la tyrannie se paraît de fleurs.—Quand on lui reprochait l’arbitraire, elle répondait par la gloire: osait on lui dire qu’elle perdait la France, elle répondait: Je l’ai sauvée. Le régime impérial mit en usage un autre moyen de corruption; après avoir écarté par la longue histoire de ses triomphes les interpellations du génie de la liberté, il finit par lui opposer le spectacle de la prospérité publique....

De toutes parts, le despotisme s’offrait comme le génie tutélaire de l’industrie. Profilant de l’essor imprimé aux sciences et aux arts, parle torrent des idées nouvelles il se couronnait de leurs couronnes, il se glorifiait de leur gloire. Paris s’embellissait par de magnifiques monumens: las de n’être que la capitale de la France, il semblait vouloir se rendre digne d’être la capitale du monde.

Un grand monument fut élevé dans ces temps à l’honneur de la civilisation. Il a eu la plus grande influence sur les améliorations de notre état social. Je veux parler du Code Civil. Il fut le fruit de l’époque; il fut même le résultat nécessaire de l’inutilité dans laquelle était tombée, par l’effet de la révolution, la législation contumière.... Bonaparte y co-opéra, en hâtant l’exécution du travail, et en y appellant d’habiles ouvriers.... Le régime impérial recueillit la moisson toute entière, quoiqu’il n’eût fourni qu’une très faible partie du labeur. Il trouva sur les débris de la révolution d’excellents matériaux; il sut les employer avec habileté. L’homme qui régnait alors avait en lui deux facultés dominantes: l’énergie et l’activité. Placé au centre du mouvement social, il lui imprimait cette rapidité d’action par laquelle il était entraîné lui-même. Sa police, son administration surtout, étaient fortement organisées. Les ressorts du gouvernement, au lieu de se relâcher, se tendaient chaque jour davantage. A l’heure même où toutes les ressources étaient épuisées, tout paraissait encore florissant....

Il appartenait à cet homme extraordinaire de lasser, en quelques jours, tous les grands mobiles qui conduisent les destinées humaines. Il lassa la fortune; il lassa la liberté; il lassa la gloire. Il poussait toutes choses violemment vers le faite: elles tombaient ensuite d’èlles-mêmes. La civilisation lui adresse en même temps et l’hymne de la reconnaissance et le dithyrambe de l’indignation. Il la conduisit par des chemins de pleurs jusqu’au bord d’un abîme; là, il l’abandonna. Flottant déjà près de son sommet, par lui elle fit quelque pas en avant; puis, l’ondulation du despotisme l’entraîna en arrière.

(Tableau historique des progrès de la civilisation en France.)

LES BATELIERS DE LA POINTE LEVY.

Un grand nombre de bacs passent continuellement de Québec à Pointe Levi sur la rive opposée du St. Laurent: ils appartiennent pour la plus grande partie aux habitans des environs de la Pointe, à qui un règlement permet de navigner avec leurs bateaux, à condition de ne rien recevoir de plus que le prix fixé, qui est très modique. Par presque tous les temps, ils traversent dans leurs canots, qui sont grands, très forts, et faits d’un seul tronc d’arbre creusé, ou souvent de deux troncs joints ensemble et fortement assujétis en dedans. Ils les manœuvrent avec beaucoup de dextérité, et ils prennent quelquefois jusqu’à huit passagers, outre trois ou quatre hommes qui les conduisent.

Dans l’hiver, lorsque de grandes masses de glace montent et descendent avec la marée, et souvent, lorsque par une forte brise, elles sont poussées sur le pied de trois ou quatre milles par heure, ce passage est singulièrement pénible, et, suivant toute apparence, extrêmement hazardeax; cependant il est très rare qu’il arrive quelque accident funeste: à la vérité, dans des ouragans de neige, ils ont été fréquemment jettés à plusieurs lieues hors de leur route, soit au-dessus ou au-dessous de la ville, sans savoir où ils étaient; mais ils sont toujours parvenus, tôt ou tard, au lieu de leur destination.

Il n’est pas rare devoir plusieurs de ces grands canots, chargés de provisions pour le marché, traverser la rivière sur une ligne presque aussi droite qu’ils peuvent la garder: les cargaisons sont ordinairement attachées par une forte corde; ils sont pourvus de fortes perches garnies par le bout de crocs de fer pour accrocher la glace, et de cordes pour tirer. Quand de grands glaçons s’opposent à leur passage, les hommes, au moyen des perches et des cordes, dont ils se servent avec une habileté peu commune, font monter le canot dessus, et à force de bras, ils le tirent quelquefois l’espace de 25 ou 30 toises, jusqu’à ce qu’ils trouvent une ouverture convenable pour le lancer de nouveau parmi des glaçons plus petits; et alors se servant de leurs pagaies, ils avancent jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés par un autre glaçon, sur lequel ils lèvent le canot, comme auparavant, continuant ainsi cette suite d’opérations pénibles à travers la rivière: souvent, tandis qu’ils le forcent à monter sur un glaçon, le fondement glissant se brise sous eux; mais alors ils trouvent le moyen de sauter avec agilité dans le canot, et ils échappent ainsi au danger: souvent, tandis qu’ils poursuivent leur route à travers un canal étroit, entre deux masses énormes de glace, ils sont tout-à-coup enfermés; et dans le moment où un étranger s’imaginerait que le canot doit être mis en pièces parle frottement, ils trouvent adroitement le moyen, avec leurs perches, de faire agir la pression des deux corps sur la partie inférieure du canot, et avec un peu d’aide de leur part, ils le soulèvent sur la surface de la glace, où ils le poussent et le tirent comme auparavant. Ils sont extrêmement constants dans ce travail pénible, et il semble qu’une longue, habitude ait entièrement détruit dans leur esprit le sentiment du danger. Ils paraissent, dans ces occupations, insensibles à la rigueur du froid: ils ne sont point surchargés d’habits, et les leurs sont aussi légers et aussi chauds qu’ils peuvent se les procurer. Si l’un d’eux vient malheureusement à plonger dans l’eau, il est retiré par ses camarades aussi promptement que possible, et un bon coup de rhum, dont ils sont toujours pourvus, et qu’ils boivent tous à la ronde, est le remède ordinaire pour cet accident.

Quand ils arrivent au lieu du débarquement, devant le marché, quelquefois la marée est basse, et la glace qui couvre les bords de la rivière peut s’élever à dix ou douze pieds au-dessus de l’eau: dans ce cas, ils sautent tous hors du canot, aussi vite qu’ils peuvent, excepté un, et tandis que les autres gagnent un endroit où ils peuvent tenir pied au-dessus, il attache l’amarre au devant du canot, et aidant aussitôt ses camarades, le tout est enlevé hors de l’eau, à force de bras, et alors la cargaison, qui consiste en volailles, en montons, et en cochons tués, en poissons, ou autres denrées, est sur le champ transportée au marché.—(Topographie du Canada.)

LE LAID CHEVALIER,

CONTE.

 

Un homme des plus laids aimait à la folie

Une jeune beauté: le cas n’est pas nouveau:

    Pour aimer femme jolie,

    A-t-on besoin d’être beau?

  Or notre amant, si l’histoire est fidelle,

Etait spirituel autant qu’il était laid;

Et par certain hasard, surprenant en effet,

    Mais qui parfois se renouvelle,

Sa maîtresse était sotte autant qu’elle était belle.

    Amour, ce sont là de tes jeux!

    Cet homme que l’on croyait sage,

    Et qu’on savait être amoureux,

    Voulut tâter du mariage.

Pour paraître toujours à la raison soumis,

    Tandis que son hymen s’apprête,

Il prétend (cet usage est de tous les pays,)

    Prendre conseil de ses amis,

    Pour n’agir que d’après sa tête.

    Amis, dit-il, conseillez-moi;

    Je prétends épouser Orphise.

    Elle, répondit-on? Mais quoi!

Vous savez? Oui, je sais, je connais sa sottise.

  Mais croyez-moi, je me suis consulté,

    Et j’y trouve un grand avantage;

Car nous sommes en fonds, soit dit sans vanité,

Pour donner aux enfans qui nous viendront, je gage,

    Moi, de l’esprit, elle, de la beauté;

    Est-il un plus digne héritage?

Cela dit, animé par cet espoir flatteur,

    Le soir même il conclut l’affaire.

  Qu’arriva-t-il? Ses enfans, par malheur,

    De leur père eurent la laideur,

    Et la bêtise de leur mère.

M. IMBERT.

LETTRE

DE MADAME DUBOCAGE A LORD CHESTERFIELD.

J’attendais mon retour ici, Mylord, pour vous rendre grâces des dons précieux que vous eûtes la bonté de m’annoncer en Hollande.[1] La solitude, disais-je, me fournira des expressions dignes du sujet. J’espérais que vos grands hommes m’apprendraient à répondre à un de ceux qui les apprécie le mieux, et qui joint à leur mérite littéraire, celui d’homme d’état, et de citoyen de toutes les nations. Dans cette idée, je reprochai vivement à ces bustes célèbres, d’avoir passé la mer sans le vôtre. Je préférerais, leur dis-je, à la représentation de vous autres, morts fameux, l’image de l’illustre vivant qui vous envoie. Ses traits me rappelleraient sans cesse ces marques de bienveillance, et l’espoir de jouir encore un jour des charmes de sa conversation. Milton, avec des yeux éteints qu’anime toujours une âme instruite du passé et de l’avenir, (comme le sont ordinairement ces inspires jusques dans l’empire des Ombres) me répondit ainsi:

Vous qui ternîtes mes merveilles

De vos désirs immodérés,

Ne fatiguez plus mes oreilles;

Les grands, sous des lambris dorés,

De Chesterfield ont la peinture:

Mais ses traits par-tout révérés,

Ne sont point faits pour la parure

Du toit simple où vous demeurez.

Je crus sur sa parole, que de demander votre portrait était trop oser. Je me borne donc à vous faire mes très humbles remercimens; et pour publier ma vénération pour vos présens, et pour les grands auteurs qu’ils représentent, je les destine à l’ornement de ma petite bibliothèque de Paris.


Il avait envoyé à cette dame, les bustes des quatre plus grands poëtes d’Angleterre, Shakespear, Milton, Dryden, Pope.

MERVEILLES DE LA NATURE ET DE L’ART.

LA CHAUSSEE DES GEANS, EN IRLANDE.

Cette chausée, à laquelle les habitans du nord de la côte du comté d’Atrim ont donné nom de Chaussée des Géans, parce que leur vanité leur a fait croire qu’elle était l’ouvrage des hommes, est un des phénomènes les plus curieux de la nature. Elle est composée d’une infinité de prismes basaltiques, dont la côte où elle se trouve située est couverte. Elle prend naissance à un des caps de cette côte, et s’avance à une grande distance dans la mer. Elle s’élève d’abord assez régulièrement au-dessus des eaux; présente, à l’est, un grand mur que la violence des eaux a rongé, et s’incline ensuite assez sensiblement vers l’ouest, où la mer vient la recouvrir. Alors le sommet des colonnes forme un pavé d’une régularité parfaite, qui va se perdre dans l’océan.—Ce pavé a environ cents pieds de largeur. Tous ces prismes sont d’une grosseur et d’une forme différentes. Ils sont carrés, pentagones, hexagones, et même octogones; mais leur combinaison est telle, que tous leurs côtés se touchent, et ne laissent aucun intervalle entr’eux. Les plus gros qui sont à l’est ont de dix huit à vingt pouces de diamètre. Des articulations, arrondies, convexes et concaves s’emboitant les unes dans les autres à une distance de huit à dix pouces, les divisent tous dans leur hauteur. Ils sont poreux, percés d’une infinité de petits trous, et leur couleur, qui est noirâtre partout où ils sont baignés par les flots de la mer, est blanchâtre dans les endroits qui sont continuellement exposés à l’action de l’air et du soleil. Le nombre de ces colonnes s’élève à plus de trente mille.

Les promontoires qui avoisinent la Chaussée des Géans offrent un aspect encore plus frappant et plus pittoresque. Dans un espace de douze à quinze milles, on apperçoit un rang de belles colonnes qui coupent le milieu de la pointe dont elles se détachent. A très peu de distance de cette pointe, on trouve un autre cap orné, dans sa hauteur, par deux superbes colonnades, dont l’une, le quarante à cinquante pieds de haut, est appuyée sur une énorme base d’une pierre rougeâtre, et a pour entablement une masse de rochers de soixante pieds d’épaisseur; et l’autre, de même hauteur, est couronnée par un lit de laves, que re-courent des gazons et des broussailles. Cette même côte est décorée pas une suite de prismes également divisés en deux colonades qui viennent se terminer à la pointe de Fair-Head, dont la base, composée d’un amas de prismes et de laves que les vagues ont brisés, porte des colonnes informes de cent à cent cinquante pieds de hauteur. Cette scène majestueuse est terminée par d’autres basaltes dont la forme et la combinaison offrent une variété infinie; et qui s’élèvent au milieu de la mer, autour de la petite île de Chagery.

LE FIGUIER ADMIRABLE DES INDES.

La manière dont cet arbre se propage doit le faire considérer comme une des plus belles et des plus curieuses productions de la nature. Indépendamment de la propriété qu’il a de former à lui seul un bocage entier, il en possède une autre, qui lui est particulière, et qu’on ne rencontre ni dans le règne animal, ni dans le règne végétal, celle de s’accroître continuellement, sans être irrévocablement sujet à l’inévitable loi de la destruction.—Des extrémités extérieures de chacune des branches qui sortent de son tronc principal, poussent d’abord, à quelque distance du sol, de petits jets infiniment tendres, et qui grossissent ensuite journellement jusqu’au moment où, atteignant la terre, ils y prennent racine, et deviennent bientôt un arbre qui suit à son tour la même marche progressive. Il résulte de là qu’un seul figuier s’étandant et multipliant ainsi de tous côtés, sans interruption, offre une seule cime d’une étendue prodigieuse, et qui semble posée sur un grand nombre de troncs, de différentes grosseurs, comme le serait la voute d’un vaste édifice soutenue par beaucoup de colonnes.

Il n’est point de promenades plus agréables, ni de retraites plus fraiches que celles que procure cette espèce de figuier. De larges feuilles, douces au toucher et d’un vert tendre à la vue, au milieu desquelles brillent de petites figues, d’une vive écarlate, donnent une ombre paisible et salutatre au voyageur fatigué. Les Indiens ont la plus grande vénération pour cet arbre, et lui rendent, en quelque sorte, les honneurs divins. Les bramines ont grand soin d’en planter dans le voisinage de leurs temples, et sitôt qu’ils les voient parvenus à un accroissement convenable, ils les érigent en bocage sacré, et y passent une partie des jours et des nuits dans une religieuse solitude. Dans les villages où il n’y a point de temples, c’est sous un grand figuier qu’est placée l’image de Brama; et c’est là que le peuple se rend, soir et matin, pour adresser des prières et des sacrifices à cette divinité.

C’est également à l’abri de ces arbres que les philosophes de la secte des gymnosophistes venaient, en été, se garantir de l’ardeur du même soleil dont ils recherchaient, en hiver, les bienfaisants rayons.

Si l’on ajoutait foi à tout ce qu’on débite de merveilleux sur cet arbre extraordinaire, l’étonnement serait encore bien plus grand. On dit que dans le province de Guzerate, dans l’Indostan, il en existe un dont la tige principale a deux mille pieds de circonférence, et dont les troncs, tant grands que petits, sont au nombre de trois mille trois cent cinquante. On assure aussi qu’à certaines époques de l’année, il s’y fait des rassemblemens considérables de dévots, qui y accourent de toutes les parties de l’empire. On y en a vu jusqu’à sept mille.

Mais si l’espace que ces arbres occupent sur la terre sert d’asile à tant de personnes à-la-fois, celui qu’ils occupent dans les airs est la demeure d’une infinité d’animaux, qui s’y nourrissent et s’y multiplient. On y remarque surtout des paons, des écureuils et des singes. On peut facilement se faire une idée du mouvement continuel qu’y produit la nombreuse population de ces derniers. Rien de si divertissant que leurs mines grotesques, leur humeur fantasque et le spectacle de la manière dont ils s’y prennent pour apprendre à leurs petits à devenir agiles, et à sauter adroitement de branche en branche. Ces leçons, qui sont accompagnées de caresses, quand l’élève est docile, et de coups, quand il est revêche, le conduisent insensiblement à faire, sans crainte, les sauts les plus périlleux, et à acquérir cette adresse, cette vivacité et cette souplesse qui distinguent ces animaux.

OBELISQUES.

Dans le temps de leur gloire et de leur puissance, les Egyptiens avaient fait élever, à grands frais, des obélisques dont la beauté et la magnificence étaient sans égales. Ces mommens étaient couverts de caractères hiéroglyphiques, qui, si on en croit l’historien grec Marcellin, n’étaient autre chose que l’histoire de la vie et des conquêtes des premiers rois d’Egypte. Devenus maitres de cette riche contrée, les Romains ne manquèrent pas de s’emparer de tout ce qu’ils crurent digne d’orner les principaux édifices de Rome, et les obélisques furent les premiers objets qui frappèrent leurs avides regards.

Deux des plus considérables furent transportés, par ordre d’Auguste, d’Héliopolis en Italie. Ils étaient d’une seule pièce du marbre le plus dur, et avaient plus de soixante-treize pieds de hauteur. Ils furent conduits à Rome. L’un fut placé dans le grand cirque, et l’autre au champ de Mars.

Egalement jaloux d’orner le cirque qu’il venait de faire construire, Neron ordonna qu’un troisième obélisque fût amené d’Egypte. Il reçut à Rome la destination que l’empereur lui avait assignée. Cet obélisque est d’un seul morceau de granit oriental. Son élévation est de soixante-douze pieds.

Un quatrième obélisque, tout d’une seule pièce, et ayant cent pieds de hauteur, excitait encore l’envie des Romains. Ramasses, roi d’Egypte, l’avait, dit-on, consacré au soleil, et avait employé vingt mille de ses sujets à le tailler dans les cavernes de la haute Egypte, près de Thèbes et des cataractes du Nil. Auguste, effrayé des difficultés qu’il y avait à conduire une masse d’un poids si prodigieux, n’osa pas entreprendre de le faire transporter à Rome. Constantin, plus hardi, le fit descendre le long du Nil, jusqu’à Alexandrie; mais la mort l’ayant surpris, Constance son fils, le fit transporter par mer, jusqu’à l’embouchure du Tibre, et de là à Rome, où il fut élevé dans le grand cirque, près de celui qu’Auguste y avait fait placer trois siècles auparavant.

Des deux obélisques d’Auguste, celui qui était dans le champ de Mars ayant été renversé, lors de l’invasion des barbares, est resté enseveli dans l’intérieur de la ville, où il est encore, couvert de terre et de masures; mais celui du grand cirque a été transporté, par ordre de Sixte-Quint, devant la porte dite du peuple, Porta del Populo. L’obélisque de Néron est aujourd’hui sur la place St. Pierre, où il fut élevé, en 1586, par les ordres du même pape. L’obélisque de Constance avait aussi été renversé et brisé en plusieurs parties, dans une nouvelle invasion des barbares: Sixte-Quint le fit relever, en 1588, et placer devant l’église de St. Jean de Latran.

LA TOUR DE PORCELAINE DE NANKIN.

Cet édifice est le mieux entendu, le plus solide et le plus magnifique de tout l’Orient. Il fait partie du temple bâti par Youglo, auquel les Chinois ont donné le nom de temple de la Reconnaissance. Sa figure est octogone, et sa largeur de quarante pieds; de sorte que chaque face en a quinze. Un mur aussi octogone, portant à une hauteur peu considérable, un toît de tuiles vernissées, qui paraît sortir du corps de la tour, et qui forme au-dessous, une galerie agréable, l’environne au dehors. La tour se compose de neuf étages, dont chacun est orné d’une corniche de trois pieds, à la naissance des fenêtres. Ces toits, qui sont de la même forme que celui de la galerie, distinguent chacun des étages, en perdant toutefois de leur grandeur, à mesure que la tour s’élève et se rétrécit.

Le mur a douze pieds d’épaisseur au rez de chaussée, et huit dans le haut. Il est incrusté de porcelaines posées de champ. Quoique la pluie et la poussière en aient altéré la beauté et l’éclat, ce qui s’en voit encore suffit pour faire juger que c’est effectivement de la porcelaine, grossière, à la vérité, mais non de la brique, qui, depuis trois siècles que cet édifice a été élevé, ne serait surement plus dans un si bel état de conservation.

L’escalier pratiqué en dedans de la tour est étroit et incommode, par d’extrême hauteur de ses degrés, qui n’ont pas moins de dix pouces. Chaque étage est formé par de grosses poutres, mises en travers, et portant un plancher, qui devient celui d’une chambre dont le lambris est enrichi de plusieurs peintures chinoises. Quant aux murailles des étages supérieurs, ce sont de petites niches remplies d’idoles en bas-reliefs, qui y tiennent lieu de peintures. Le marquetage qui en résulte n’est point déplaisant a la vue. Tout l’ouvrage est doré, et parait de marbre ou de pierre ciselée.

Les premier étage est le seul dont l’élévation surpasse celle des autres, qui sont entr’eux d’une égale distance. Le comble de la tour n’est par ce qui mérite le moins d’admiration. C’est un gros mât, qui prend au plancher du huitième étage, et qui s’élève plus de trente pieds en dehors. Il est dans une bande de fer, de même hauteur, tournée en voulute, et éloignée de plusieurs pieds de l’arbre; de sorte qu’elle forme en l’air une espèce de cône vide, percé à jour, sur la pointe duquel on a placé un globe doré d’une grosseur extraordinaire. L’élévation totale de cet édifice est de plus de deux cents pieds.

DECOUVERTE.

(De la Gazette de France du 11 Novembre, 1827.)

Un de nos correspondans nous a fait part d’une découverte curieuse, qui vient d’être faîteaux environs de Falaise, dans la commune de Villers-Canivet. Il existe dans ce village, au pied d’un rocher, une ouverture souterraine: le peuple, toujours ami du merveilleux, conserve, depuis longtemps, sur ce lieu les traditions les plus bizarres. Poussé par un mouvement de curiosité, le propriétaire y fit dernièrement exécuter des fouilles. Après deux jours ne travaux, on a ouvert une communication avec une espèce de salle carrée, pratiquée dans le rocher. Le squelette d’un homme y était étendu; ses essemens, d’une grandeur extraordinaire, étaient encore engagés dans des carcans de fer, que retenaient de fortes chaines scellées dans le roc. Près de lui se trouvait un vase, espèce de lampe en fonte, autour duquel des caractères à demi effacés laissaient appercevoir les traces d’une inscription runique. De qui sont ces ossemens? Depuis quand et comment se trouvent-ils en ce lieu? Telles sont les questions que l’on se fait. M. Galeron, bibliothécaire à Falaise, et antiquaire distingué, s’occupe en ce moment, de la rédaction d’un mémoire qui pourra jetter quelque lumière sur cette singulière decouverte. Les chaines et le vase ont été transportés à la bibliothèque de Falaise, où il sont exposés aux regards du public.

LE GEORAMA,

OU VUE GENERALE DE LA TERRE.

Le Géorama est une des plus agréables exhibitions qu’offre en ce moment, la capitale de la France. Cette invention joint éminemment l’utile à l’agréable, comme on le peut voir par ce qui suit. Montant par le pôle inférieur d’un globe transparent, de cent trente pieds de circonférence, le spectateur, placé à l’axe, contemple, sur le côté concave de celte spacieuse sphère, la représentation non in errompue de la surface du globe terrestre. Cette représentation est donnée sur un p’ansi étendu et exécuté avec tant d’art, qu’en même temps qu’on a la satisfaction de contempler clairement et instantannément les formes et la position relative, la distance et les dimensions de toutes les parties de la terre, on est étonné et enchanté par la grandeur imposante de la sphère, et par les beaux effets de la peinture et de la transparence qu’elle présente. La délinéation variée des continens, des îles et des côtes: l’ombre des montagnes, les lignes de démarcation de la neige perpétuelle; les diverses nuances des autres régions, le feu des volcans, le contraste entre la lucidité des parties aqueuses et la teinte rembrunie de la terre-ferme se combinent ensemble pour produire le tableau le plus intéressant, où les beautés de détail sont encore plus admirables. Dans des situations où, par exemple, une presqu’île prolongée, comme celle de la Californie, s’avance dans la mer, entre un golfe étroit d’un côté, et la vaste expansion de l’océan, de l’autre: ou losqu’une chaîne de hautes montagnes, comme l’isthme de Panama, qui sépare l’océan atlantique de la mer pacifique, et joint les deux grands continens du nouveau monde, est représentée avec les particularités distinctives de la transparence, de l’ombre et de l’obscurité, &c., l’effet pittoresque ne saurait se décrire. Une particularité d’une nature différente, mais non moins remarquable, c’est le contraste fortement exprimé entre les déserts sablonneux et incultes répandus ça et là sur la surface de la terre, particulièrement en Afrique, et ses parties verdoyantes, cultivées et civilisées, couvertes de noms de cités et de villes, et traversées par des rivières, des canaux et des routes innombrables. Les autres circonstances favorables à un grand effet n’ont pas été négligées: les différents archipels sont très joliment représentés; et pour ne pas parler de groupes d’îles encore plus intéressants, celui qui, du sommet du mont Etna, a joui de l’effet délicieux produit par la vue lointaine du groupe d’îles volcaniques appellées les Cyclades Eoliennes, ne dédaignera pas la manière dont la sensation originale est ici rappellée à l’esprit. Une pierre rouge lumineuse sert à faire reconnaitre les grands volcans, en leur donnant l’apparence de fournaises ardentes.

La construction générale de cette grande machine est simple et ingénieuse: adoptant les divisions conventionnelles des géographes, l’auteur a employé dans la construction du squelette de sa sphère, trente-six barres de fer courbées verticalement, pour représenter les trente six méridiens du globe ordinaire et dix-sept cercles de même métal, pour représenter l’équateur et les parallèles. La carte est étendue sur le côté concave, et l’intérieur ainsi formé est éclairé par une lumière douce et agréable admise à travers la transparence bleue des eaux. On donne comme très ingénieuse la manière dont cette sphère est soutenue; mais c’est un secret dont on n’a pas encore fait part au public. On monte dans le globe par un joli escalier spiral, qui passe par le pôle antarctique, où la vaste étendue de régions inconnues permet cette empiétation sans préjudice pour la carte. Trois galeries circulaires saillant en dehors, l’une vis-à-vis de l’équateur, et les deux autres à peu près parallèlement aux tropiques, permettent de recevoir à la fois un grand nombre de spectateurs, et leur fournissent le moyen d’examiner de plus près et d’étudier plus particulièrement les détails géographiques.

On dit que M. de Langlord, l’inventeur de cette machiné, en a conçu le plan, il y a quinze ans, et y a travaillé depuis, plus ou moins constamment.—(Lit. Gaz.)

CORRESPONDANCE.

Monsieur Bibaud,—Ayant eu l’avantage d’assister à deux cours des leçons utiles que donne le professeur F. Hall sur la minéralogie et sur la physique expérimentale, et ayant raison de croire que je jouis encore de l’amitié cordiale qu’il a bien voulu me témoigner pendant mon séjour dans les Etats, ce qui lui donne un titre durable à ma reconnaissance, j’ai éprouvé une satisfaction peu ordinaire à la vue de l’insertion, dans le dernier No. de votre intéressante Bibliothèque, d’un extrait du discours qu’il a prononcé à l’anniversaire de la Société d’Agriculture du comté de Hartford, dans l’état de Connecticut. C’est pourquoi, Monsieur, n’envisageant qui le motif qui me fait agir en ce moment, j’espère que vous voudrez bien me permettre de me servir de la même voie pour lui exprimer l’une et l’autre, et pour soumettre les remarques suivantes à la considération libérale de vos lecteurs.

D’un côté, l’extrait en question fait voir tout ensemble et l’antiquité, et l’utilité, ou plutôt, l’indispensable nécessité de l’agriculture, et son élévation éminente parmi les arts libéraux, dont la culture doit fournir à l’occupation paisible d’une partie considérable d’un peuple industrieux, sage et éclairé.

D’un autre côté, ce même extrait fait voir encore que l’exercice, par le cultivateur instruit, de cet art si noble et si essentiel à l’existence de la société, n’est pas incompatible avec les charges et les emplois les plus honorables de l’état.

Le savant professeur Hall étant né et vivant du fruit honnête de ses travaux, dans un pays, où à l’exemple des Romains, les cultivateurs sont tous sujets à laisser leurs champs et la charrue pour être appellés tour à tour aux situations les plus élevées de l’état, et à remplir les uns les fonctions importantes de juges, les autres celles de généraux, les autres celles de représentans, les autres enfin celles de sénateurs, &c.; cette tâche ne convenait à personne guère mieux qu’à lui; car, connaissant le dégré de respect dû à l’agriculture, et voyant ses concitoyens cultivateurs s’acquitter avec honneur pour eux, et avantage pour leur pays, des fonctions publiques auxquelles ils sont, de temps à autre, appellés par la voix du peuple, il lui appartenait de prononcer sur la dignité et sur les moyens d’améliorer cet art noble, que Dieu lui-même a indiqué à l’homme déchu, par le péché, de l’état d’innocence et de bonheur dans lequel il avait été créé.

Quelle est donc la raison pour laquelle nos cultivateurs canadiens se croient si dégradés, et sont, en effet, si en arrière du rang respectable que devrait leur donner dans la société leur état important? Hélas! il vous est peut-être aussi pénible qu’à moi d’avancer, à la grande confusion de notre province, que la condition pitayable où se trouvent nos cultivateurs canadiens, et à laquelle nos rivaux concitoyens font tant d’insulte, sans penser qu’ils en sont eux-mêmes en partie la cause, est dûe à leur peu d’éducation, et à leur peu de connaissance des affaires politiques de leur propre pays. Si, comme les Américains, nos cultivateurs canadiens avaient tous au moins une éducation élémentaire, et, comme le font ces premiers, s’ils suivaient tous de près, par le moyen des papiers publics (à quelqu’un desquels tous devraient souscrire), le cours des affaires politiques et autres de leur pays comme ailleurs, ils se verraient bientôt en état de figurer agréablement dans le cercle poli d’une société instruite, et de partager, avec profit, les avantages nombreux d’une communauté éclairée; de se défendre plus efficacement contre les ruses et les empiétations de leurs ennemis injustes; de mieux connaître leurs droits sociaux, civils et politiques, et de les faire valoir plus amplement. Je dis plus, la condition actuelle où se trouve une grande partie de nos cultivateurs canadiens est plus que pitoyable; elle est alarmante; car, le sol des terres qu’ils cultivent étant enfin fatigué, et connaissant peu, ou mettant peu en pratique, les moyens auxquels il faudrait nécessairement avoir recours pour l’améliorer, ils n’ont plus ces récoltes abondantes qui, autrefois, faisaient leur richesse, mais dont le manque fait, ces années-ci leur détresse: ce qui fait souffrir, bien considérablement, les personnes de tous les états. Cependant, de cet état misérable des choses en notre province, il arrive que des étrangers plus instruits, peut-être aussi plus industrieux, achètent, pour une somme modique d’argent, les biens encore valables de nos cultivateurs appauvris et découragés; et ceux-ci ayant bientôt dépensé le prix de leurs terres, se trouvent enfin réduits à servir ceux qu’ils en ont constitués les propriétaires. C’est pourquoi, ayant raison de craindre la continuation de ce système qui a déjà été pratiqué d’une manière assez considérable dans plusieurs paroisses, il y a tout lieu de croire que, dans quelques années, il y aura autant et peut-être plus de propriétaires étrangers que de natifs, qui se réduisent ainsi, peu à peu, à une servitude volontaire. Oh! spectacle triste et tout-à-fait affligeant pour un vrai Canadien!—Pourtant, par la constitution sage et bienveillante que nous tenons de la libéralité de notre très gracieux souverain, feu George Trois, les Canadiens sont destinés à former un peuple libre et heureux. Oh! puissent-ils tous être toujours sur leurs gardes défensives; ouvrir enfin les yeux sur les maux qui les menacent, et en prenant tous les moyens de les éviter, tâcher, par leur industrie assidue, et par leurs efforts constants à procurer à leurs enfans une éducation convenable, imiter le peuple heureux des Etats, et se rendre capables, par la culture et l’usage bien réglé et leurs talens naturels, de connaître, d’apprécier et de défendre leurs droits et priviléges constitutionels, et par là assurer à leur postérité naissante le bonheur permanent qui lui est offert!

La physiologie végétable nous enseigne que les plantes sont toutes douées d’un pouvoir intérieur altérant et assimilateur, qui les met en état de s’approprier à chacune les alimens qui lui conviennent. Mais ce pouvoir digestif ne saurait opérer, d’une manière parfaite, qu’au moyen du sol où elles croissent, de l’eau, du calorique, ou chaleur, et de la lumière. Le sol sert de couche et de réservoir alimentaire aux plantes; l’eau leur sert tout à la fois de nourriture et de véhicule aux autres principes nutritifs qui sont aussi essentiels à leur accroissement, le carbone, l’ammonie le nitrogène (le moindre) les divers gaz carbonés, &c.; et la lumière et le calorique, au moyen de l’humidité que produit l’eau, favorisent, pendant le jour, la décomposition des plantes mortes, dont les principes constituants, retournent au soutien et à la nutrition des plantes végétantes. La lumière et le calorique agissent encore comme des stimulans puissants sur les organes assimilateurs des plantes: ce qui les incite à absorber, avec plus d’avidité, les principes nutritifs qui sont en contact avec les parties altérantes de leur feuillage, mais surtout avec les extrémités de leurs racines fibreuses.

Mais il y a encore d’autres substances, telles que le sulphate de chaux (gypse ou plâte de Paris) et la cendre qui, à cause des alkalis qu’ils contiennent, le calcium et le potassium, agissent puissamment aussi sur les diverses parties absorbantes des plantes. Ces deux substances, au moyen de leurs alkalis, ont la vertu d’attirer à eux, pendant la saison fraiche de la nuit, et d’absorber de l’atmosphère, non seulement l’eau, mais encore le carbone qui, à l’aide de l’humidité, est ainsi porté au besoin des plantes, comme étant le principe le plus essentiel à leur accroissement. Le carbone qui a lui-même la grande propriété d’absorber, aussi pendant la nuit, toutes les matières fétides qui flottent dans l’air atmosphérique, après avoir été ainsi incorporé aux alkalis du gypse et de la cendre, devient libre pendant la saison plus chaude du jour, et est enfin conduit aux plantes contingentes qui se l’assimilent et se l’approprient.

De cette absorption, pendant la nuit, des matières carbonées par les alkalis, et des matières fétides par le carbone, qui à cause de sa gravité spécifique, est toujours sur ou près de la surface de la terre, vient que l’atmosphère du matin est bien plus léger, et que l’air en est bien plus salutaire que celui du haut jour, pendant lequel, à l’aide du calorique et de l’humidité, s’opère la décomposition des cadavres et des plantes mortes, comme aussi celle de l’eau, dont les gaz constituants, l’oxygène, mais surtout l’hydrogène, forment une partie considérable de la nourriture végétale.

Cette faculté absorbante des alkalis, et cette doctrine des stimulans (qui est en partie nouvelle) par rapport aux plantes et à la végétation, paraîssent n’avoir jamais été bien conprises par les agriculteurs instruits; cependant, elles sont toutes deux fondées sur des principes strictement philosophiques, et peuvent être facilement prouvées par l’observation et l’expérience. C’est pourquoi, étant très important que nos cultivateurs canadiens suivent le conseil sage que donne le savant professeur Hall à ses industrieux concitoyens, et se livrent enfin à l’observation et à l’expérience en agriculture, d’une manière plus étendue, afin d’améliorer leur sol fatigué et d’augmenter leurs produits annuels, ils pourraient faire quelques efforts, et se servir plus ou moins de la chaux (après avoir été éteinte) et de la cendre sur leurs pièces de terre stérile, se rappellant toujours qu’une ou deux expériences ne suffisent pas, parce que les circonstances n’étant pas les mêmes, elles peuvent donner souvent des résultats très variés. Même les cendres à potasse qui ont passé par le procédé de lixiviation pour en extraire l’alkali potassium ou la potasse, peuvent n’être pas tout-à-fait inutiles sur les terres stériles, vu qu’elles contiennent toujours une quantité plus ou moins considérable de cet alkali qui, quoique d’une importance secondaire comme principe nutritif, est encore un ingrédient plus eu moins nécessaire à la nutrition des plantes, mais surtout des arbres, comme on le voit dans leurs cendres après la combustion, particulièrement dans celles du bois franc.

Pour faire des expériences scientifiques, en agriculture, il est nécessaire de connaître les différentes espèces de sols. Or la géologie nous enseigne qu’il y en a trois principales; savoir, 1º. le gravelleux ou sublonneux; 2º. l’argilleux; 3º. le soluble. Le sol gravelleux, qui est généralement siliceux, ne contient ordinairement que l’eau qui adhère simplement à la surface de ses particules. Le sol argilleux absorbe et contient toujours une grande quantité d’eau, dont il est très ténace et qui en forme, pour ainsi dire, une partie. Le sol soluble est composé de tous les ingrédiens nutritifs qui sont solubles dans l’eau à la température commune; c’est celui que forment, artificiallement, les jardiniers intelligents. Il est bien clair qu’aucun de ces sols ne peut convenir exclusivement à l’accroissement des plantes; car ou elles ne croitraient pas du tout, ou elles croitaient trop furieusement. Pour bien réussir à le former d’une manière convenable, quand il ne l’est pas naturellement, il faut donc faire un mélange ou une mixtion, de ces trois sols, proportionné à la capacité ou à l’appétit naturel des différentes espèces de plantes que l’on cultive.

Les parties calcaires, alkalines, aqueuses et carbonneuses, sont non seulement des principes nécessaires à l’accroissement des plantes, mais font encore l’office important d’absorber, de l’atmosphère, les parties gazeuses aussi également nécessaires à leur subsistance. Mais pour faciliter cette absorption des différents gaz nutritifs, il faut que la terre soit, pour ainsi dire, comme une éponge, et souvent remuée, s’il est possible, surtout après la rosée ou une petite pluie, afin de présenter, à ces divers gaz absorbables, toujours une surface nouvelle des parties absorbantes du sol, d’où vient la nécessité de houer ou rechausser souvent les végétaux.  Il y a encore un avantage, qui n’est pas d’une petite considération, à se servir de la chaux et de lu cendre en agriculture; c’est celui de contribuer beaucoup, par le moyen de leurs alkalis, à la destruction des vermines, qui causent tant de dommage aux grains. Ces ingrédiens, quelques jours après que le sol à été ensemmencé, peuvent être jettés sur la surface, de la même manière que le sont les grains: ce qui n’empêche pas le grand usage des engrais ordinaires, qui deviennent encore plus utiles, à cause du pouvoir, dans les alkalis, d’attirer leurs parties nutritives, et de les tenir en contiguité avec les racines des plantes, qui, pour cette raison et pour celles mentionées plus haut, les absorbe avec beaucoup d’aise et d’avidité.

Mais pour découvrir les différentes proportions d’un sol naturel, ou pour se guider surement en en formant un artificiel, il faut nécessairement avoir recours à la chimie, à cette science si belle et si utile, et dont l’application facile des principes peut se faire, avec grand avantage, dans la culture des arts libéraux.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur,

Votre serviteur très humble,

L’Assomption, 30 Janvier, 1828. J. B. M.

P. S.—Je profite, avec plaisir, de cette occasion favorable pour offrir au très respectable Monsieur J. M. B. mes plus sincères remercimens pour la manière polie et tout-à-fait obligeante avec laquelle il a eu la bonté d’ace ciller mes réflexions sur la Géologie qui, en effet, ont été émises pour donner encore plus de force aux siennes.

Je suis charmé de voir qu’il a prouvé que je n’étais pas entré dans le même sens que lui sur deux de ses observations, qui, cependant, peuvent peut-être s’interpréter de la manière que je l’ai fait, nonobstant la considération scrupuleuse que l’on puisse prendre du contexte de sa communication intéressante.

Après avoir rendu un hommage respectueux à ses talens, à sa libéralité et à ses hautes vertus, je prendrai encore la liberté de lui faire voir, humblement, que ma définition d’une science naturelle n’est pas un sophisme.—Je n’insisterai pas à prouver ici que, parlant philosophiquement, il ne saurait y avoir de justes comparaisons; j’observerai seulement que, par science naturelle, j’entends une science physique qui traite de la matière et de ses diverses propriétés, ou des corps physiques et de leur situation et de leur relation, &c. de l’ordre et de la régularité plus au moins considérables desquelles le philosophe, par ses recherches, ses observations et ses expériences, fait naitre naturellement la science naturelle ou physique qui en traite, et qu’il établit sur des données fondées, et sur des principes certains; ce qui fait que les sciences naturelles sont autant de sciences fixes. Or, bien que la chronologie soit établie et acquise par les lumières et l’opération naturelles de l’esprit humain, cependant, puisque, de l’aveu même de Monsieur J. M. B., elle “s’étend sur des dates incertaines qu’on cherche à éclaireir et fixer,” elle ne saurait être considérée comme une science fixe, telle que le sont toutes les sciences naturelles. Sa comparaison, donc, entre la Chronologie et la Géologie, est très injuste, et fait disparaitre son argument futile, qui ne saurait prouver le moindre de sophisme dans ma définition, restreinte mais tenable, de cette science naturelle et fixe, qui traite de la situation relative des minéraux, la Géologie.

J. B. M.

ANECDOTES.

Charles le Temeraire, dernier duc de Bourgogne, aimait à se comparer à Annibal. Après la bataille de Granson, où il fut défait par les Suisses, en 1476, son fou, qui galopait après lui, au fort de la déroute, lui crait plaisamment: “Monseigneur, nous voila bien annibalés.”

Ce fou, surnommé le Glorieux, avait seul le droit de faire entendre la vérité au duc, et souvent il lui disait des choses fort piquantes. Quelque temps après le siège de Beauvais, où Charles-le-Téméraire fut vigoureusement repoussé, ce prince montrait avec complaisance son arsenal à un ambassadeur, et lui disait qu’il avait là les clefs de toutes les villes de France. Son fou se mit à fouiller avec inquiétude dans tous ses poches, et à regarder soigneusement autour de lui. Le prince, étonné, lui demanda ce qu’il voulait, “Je cherche,” répondit le fou, “les clefs de Beauvais.”

Un Vénitien avait été menacé de coups de bâton. La peur qu’il eut de les recevoir, fit qu’il resta plus d’un an enfermé dans sa maison. Cette cloture le fatiguant, il sortit, un soir, et reçut ce qui lui avait été promis. “Ah!” dit il à sa femme, en rentrant, “Dieu soit loué! Je suis quitte de cette maudite affaire que tu sais bien.”

Un officier s’excusait de n’avoir pas attaqué un certain poste, parce qu’il l’avait jugé inattaquable: “Monsieur,” lui dit le marquis de Feuquieres, “ce mot-là n’est pas français.”

Un libraire étranger ayant remis au grand Frederic un manuscrit, qui était une satire contre lui, il en fit appeller un de Postdam, et lui donna ce manuscrit, en lui disant: “Imprime cela; il y a un bon coup à faire.”

Un seigneur Anglais du parti de l’opposition entra un jour dans la boutique d’un libraire dans le dessein d’acheter quelques livres nouveaux. Faites-moi voir, dit-il au marchand, quelque ouvrage bien écrit sur la politique du jour. En voilà un, lui dit le libraire, en lui présentant une brochure. Le seigneur l’ouvrit, et après avoir jetté les yeux sur le titre, fi donc, s’écria-t-il en le refermant précipitamment, cela ne vaut rien. J’ai lu ce livre, et je l’ai trouvé détestable; car l’auteur veut prouver que nous avons un ministère qui a des notions sur le gouvernement politique et civil.

Puisque celui-là n’est pas de votre goût, reprit le marchand, en voici un autre qui peut-être vous plaira. Le seigneur le prit, l’ouvrit comme le premier, et le referma de même. Mauvais ouvrage encore, dit il: celui qui l’a fait se déclare neutre au milieu des divisions qui nous agitent. L’auteur n’a pas même assez d’esprit pour être d’un parti; ce qui ne peut faire qu’un ouvrage froid. Car il n’y a rien de si insipide à lire qu’un ouvrage anglais sur la politique, quand la chaleur, l’emportement et la passion ne guident pas la plume de l’auteur. Car, ajouta-t-il, on dirait que pour avoir de l’esprit, il faut que le démon de cabale nous agite.

Puisqu’il en est ainsi, dit le libraire, je sais ce qu’il vous faut: tenez, milord, voila un bon livre, car l’auteur dit tout net que notre gouvernement ne vaut rien: et même, afin que le public ne doute pas de la perfection de son ouvrage, il ajoute que nos ministres n’ont pas le sens-commun.

Si cela est, dit le seigneur, j’achète le livre; il doit être bon. Il sera même excellent, si l’auteur a eu soin d’exagérer un peu les faits, et de les présenter sous les couleurs les plus fortes.

CABANES SUR LA GLACE.

A l’occasion de l’accident arrivé à Mr. Aléxandre Raymond, de La-Prairie, le 25 de ce mois, et dont les gazettes ont rendu compte, un correspondant nous écrit comme suit:

“Cet accident m’a suggéré une foule de réflexions, au sujet des cabanes érigées sur la glace, pendant l’hiver. Sous certains rapports, je regarde ces cabanes comme utiles, même d’après ma propre expérience, et je conçois que par un coup de mauvais temps et un froid excessif, l’on peut-être bien aise d’y trouver à se chauffer. Mais d’un autre côté, de combien d’accidens fâcheux, et de malheurs même, ces cabanes n’ont-elles pas été, au moins indirectement, la cause? On a vu des hommes venant de la ville sobres, en repartir ivres, et périr en chémin; des chevaux partir d’après seuls, s’égarer et se noyer. Et quand on considère qu’il ne se passe presque pas d’hiver qu’il n’arrive de ces sortes d’accidens, n’a-t-on pas sujet d’être étonné, je ne dis pas que ces espèces de maisons publiques ne soient point prohibées, mais que ceux qui les tiennent ne soient assujétis à aucun règlement de police?

“Peut-être dira-t-on que ces petites tavernes étant établies sur le milieu du fleuve, elles ne tombent sous la juridiction ni des magistrats de Montréal, ni de ceux de La-Prairie. Ne tombent-elles pas au moins sous les juridiction des magistrats du district? Je serais assez porté à le croire; mais s’il n’en était pas ainsi, il me semble qu’il ne serait pas indigne de la législature de prendre le sujet en considération, pour donner, si elle le jugeait à propos, aux juges de paix le pouvoir qu’ils n’auraient pas, et que, suivant moi, ils devraient avoir.

“J’honneur d’être, Monsieur,

UN DE VOS ABONNE’S.”

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

A Chambly, le 3 du courant, par Messire Mignault, le Dr. Patrick Buckley, de St. Jean, à Dlle. Joséphine Fremont, fille de feu Charles Fremont, écuyer;

A Montréal, le 6, J. T. Brazeau écuyer, Avocat, à Dlle. Marguerite Castonguez, fille de Mr. J. B. Castonguez;

Le même jour, au même lieu, Mr. H. B. Beaudry, à Dlle. A. S. Labelle.

Le même jour, à Varennes, F. X. Perrault, écuyer, de Québec, à Dlle. Esther Lussier, fille de Paul Lussier, écuyer;

A Ste. Geneviève, le 8, par Messire Felix, Mr. C. A. Berthelot, Notaire, à Dlle. Catherine Delvecchio, fille de feu Mr. Pierre Delvecchio, de Montréal.

DÉCÉDÉS:

A Québec, le 1er du courant, à l’âge de 43 ans, Louis Plamondon, écuyer, Avocat, et Inspecteur-général des Domaines de sa Majesté. Mr. Plamondon était doué d’un esprit supérieur, et avait acquis des connaissances étendues en littérature et dans sa profession: il se proposait de publier prochainement un ouvrage important sur les lois du pays.

A Berthier, le 5, à l’âge de 27 ans, Messire Agapit Rocher, Vicaire de cette paroisse;

A Montréal, le 24, à l’âge de 77 ans, Dame Marie Louise Coreau-Lacote, veuve de feu Louis Toussaint Pothier, écuyer, et mère de l’honorable Toussaint Pothier, membre du Conseil Législatif;

Dernièrement à Ste. Anne de la Pérade, le Dr. Wallis.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome VI, Numero 2, Janvier 1828. edited by Michel Bibaud]