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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 6, Novembre, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 12, 2020

Date last updated: May 12, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome V. NOVEMBRE, 1827. Numero 6.

HISTOIRE DU CANADA.

Le plan proposé par le chevalier de Callières fut approuvé du roi et du ministre des colonies; mais ce ne fut pas le marquis de Dénonville qui fut chargé de le mettre à exécution. Par une lettre datée du 31 mai 1689, le roi lui mandait que la guerre s’étant rallumée en Europe, il avait pris la résolution de le rappeller, pour lui donner de l’emploi dans ses armées. Le véritable motif de ce rappel était de mettre à la tête de la colonie du Canada, un homme d’autorité, d’un caractère ferme, d’une grande expérience dans la guerre, qui connût déja le pays, et qui sût manier l’esprit des sauvages; et tout cela se rencontrait dans le comte de Frontenac. On n’avait pas oublié ses fautes, ou du moins ses brouilleries avec les autres autorités du pays; mais on avait lieu d’espérer que les chagrins qu’elles lui avaient causées le mettraient sur ses gardes, et le porteraient à se conduire avec plus de modération et de prudence qu’il n’avait fait pendant sa première administration; il était d’ailleurs fortement recommandé par plusieurs de ses parens et de ses amis, et particulièrement par le maréchal de Bellefont, pour qui Louis XIV avait beaucoup d’estime.

Dans les instructions qui lui furent données, et qui étaient datées du 7 Juin, le roi, après lui avoir parlé de la Baie d’Hudson et de l’Acadie, en venait au projet de conquête, et disait qu’il s’était déterminé à agréer la proposition du gouverneur de Montréal, sur ce qu’il était informé que les Anglais de la Nouvelle York ne discontinuaient point, depuis quelques années, de faire tous leurs efforts pour soulever les tribus iroquoises contre les Français du Canada; qu’ils leur fournissaient pour cet effet des armes et des munitions de guerre: et que sans égard aux stipulations du traité et aux défenses du roi d’Angleterre, ils cherchaient à usurper le commerce que faisaient les Français dans les contrées dont ils avaient été de tout temps en possession; que pour toutes ces raisons, il avait ordonné au sieur Begon, son intendant dans la Saintonge et le pays d’Aunis, de préparer toutes l1les munitions nécessaires, et avait fait armer, dans le port de Rochefort, deux de ses vaisseaux, sous le commandement du sieur de la Caffinière, qui devait suivre exactement les ordres du comte de Frontenac; que son intention était que le dit comte de Frontenac s’embarquât, au plutôt, sur un de ces vaisseaux, pour se rendre d’abord à l’entrée du golfe de St. Laurent, puis à la baie de Camceaux, et de là s’embarquer pour Québec, sur le meilleur des vaisseaux marchands qui l’auraient suivi; mais qu’avant de se séparer du sieur de la Caffinière, il lui ordonnât d’attendre de ses nouvelles, et de s’emparer de tous les vaisseaux ennemis qu’il rencontrerait pendant son séjour sur la côte; que pour lui, dès que le temps et l’occasion le permettraient, et même dès l’entrée du golfe, s’il était possible, il détachât le chevalier de Callières, afin qu’il pût arriver avant lui à Québec, et y faire les préparatifs nécessaires pour l’entreprise contre la Nouvelle York; qu’aussitôt après son arrivée à Québec, M. de Frontenac en partît, avec les bateaux et l’équipement nécessaire, accompagné du chevalier de Callières, qui commanderait les troupes sous ses ordres; qu’il serait envoyé en même temps des instructions en chiffres à M. de la Caffinière, et lui serait recommandé de faire voile pour Manhatte, sans rien entreprendre sur la route; de se rendre maître de tous les bâtimens qu’il trouverait dans la baie; mais de ne s’exposer à aucune avanture qui pût le mettre hors d’état de faire le service exigé de lui dans cette entreprise; que comme il n’était pas possible de marquer le temps précis auquel M. de la Caffinière et le comte de Frontenac arriveraient ensemble, chacun de leur côté, il était à propos que le premier se rendît en droite ligne à la baie de Manhatte, d’autant plus que l’attaque des premiers postes de la Nouvelle York avertirait la capitale, et qu’ainsi, les vaisseaux y arrivant avant les troupes de terre, il en résulterait une diversion utile; que comme le comte de Frontenac aurait avec lui à peu près toutes les forces de la colonie, il devait, avant son départ de Québec, concerter avec le marquis de Dénonville les mesures qu’il y aurait à prendre pour la sureté de la colonie contre les courses des Iroquois, et donner ses ordres au chevalier de Vaudreuil, qui devait commander dans le pays, pendant l’expédition, après le départ de M. de Dénonville.

La Nouvelle York soumise, M. de Frontenac y devait laisser les Anglais catholiques qui voudraient y demeurer; distribuer aux Français qu’il y établirait, les gens de service dont ils auraient besoin; retenir prisonniers les officiers et les principaux habitans, et envoyer tout le reste, hommes et femmes, dans la Nouvelle Angleterre ou dans la Pensylvanie: mais comme il ne devait pas attendre l’arrière-saison, pour retourner à Québec, de peur d’être arrêté en chemin par les glaces, il avait ordre de confier l’exécution de tout ce qui resterait à faire au chevalier de Callières, à qui le roi destinait le gouvernement de la Nouvelle York, sous l’autorité et la dépendance du gouverneur de la Nouvelle France. Enfin pour ôter aux autres colonies anglaises la facilité de faire aucune entreprise par terre contre le Canada, le comte de Frontenac avait ordre de détruire toutes les habitations voisines de Manhatte, et de mettre toutes les autres sous contribution.

Ce plan, qui serait reprouvé, de nos jours, comme entrainant, dans sa réussite, des injustices criantes, mais qui était en harmonie avec les idées de l’époque sur les droits de la guerre; ce plan, disons-nous, était plus facile à concevoir qu’à exécuter: “il dépendait, dit Charlevoix, du concours de deux choses sur lesquelles on ne peut jamais compter sûrement, à savoir, les vents favorables et une diligence égale dans ceux qui étaient chargés de travailler aux préparatifs;” et le manque de ce concours le fit échouer complètement. Ceux à qui on avait confié l’armement des vaisseaux y mirent une négligence et une lenteur inconcevables; tellement que M. de Frontenac ne put être que le 12 Septembre à Chédabouctou, qui avait été assigné pour le rendez-vous des vaisseaux, et que les autres bâtimens, qui avaient été séparés par les brumes, sur le banc de Terre-Neuve, ne purent le joindre que le 18. Il en repartit le lendemain, avec tous les vaisseaux qui étaient destinés pour Québec, après avoir laissé à M. de la Caffinière des instructions qui prouvaient que s’il ne renonçait pas encore à l’expédition de la Nouvelle York, il ne comptait pas non plus beaucoup sur la réussite. Il arriva le 25, à l’Île Percée, où il apprit des PP. récollets, qui vinrent à son bord, que la Nouvelle France était dans une grande consternation, en conséquence d’une irruption des Iroquois dans l’île de Montréal.

Cette nouvelle lui fit chercher avec empressement une occasion pour envoyer devant lui le chevalier de Callières; mais n’en trouvant aucune, ils continuèrent leur route ensemble, et arrivèrent à Québec, le 12 Octobre. Ils en repartirent le 20, et arrivèrent à Montréal le 27. Ils y trouvèrent le marquis de Dénonville, M. de Champigny, et tous les habitans dans le deuil et l’affliction, et à peine revenus un peu de la terreur où ils avaient été mis par l’irruption dont nous venons de parler, et dont voici les particularités.

Le 25 Août, dans un temps où l’on croyait n’avoir rien à craindre de la part des Iroquois, quinze cents de ces sauvages descendirent, de nuit, dans l’île de Montréal, à l’endroit appellé La Chine. Trouvant tout le monde endormi, ils se mirent à enfoncer d’abord les portes, et ensuite à bruler les maisons, et commencèrent un massacre général des hommes, des femmes et des enfans, faisant souffrir à tous ceux qui tombaient entre leurs mains tous les tourmens que la fureur leur faisait imaginer. Ils poussèrent même, cette fois, la barbarie à un excès dont on ne les avait pas encore crus capables: ils ouvrirent le sein des femmes enceintes, pour en arracher le fruit qu’elles portaient; mirent des enfans tout vivants à la broche, et forcèrent les mères de les tourner pour les faire rôtir. Enfin, ils firent périr, en moins d’une heure, dans les plus affreux supplices, plus de deux cents personnes de tout âge et de tout sexe. Après cette terrible boucherie, ils s’avancèrent jusqu’à une lieue de la ville, faisant partout les mêmes ravages et exerçant les mêmes cruautés.

Au premier bruit de ce tragique évènement, M. de Dénonville, qui se trouvait à Montréal, donna ordre à un lieutenant de troupes nommé La Robeyre, de se jetter dans un fort dont il craignait que l’ennemi ne se rendît maître. A peine cet officier y était-il entré, qu’il se vit investi par un gros d’Iroquois, contre lesquels il se défendit longtemps, avec beaucoup de courage: mais ses gens ayant tous été tués, et lui-même étant blessé grièvement, les assaillans entrèrent dans le fort, et le firent prisonnier. Alors toute l’île demeura en proie aux vainqueurs, qui en parcoururent la plus grande partie, laissant partout des traces sanglantes de leur fureur; et quand ils furent las de ces horreurs, ils firent deux cents prisonniers, qu’ils emmenèrent dans leurs villages, où ils les brulèrent. L’île de Montréal ne fut délivrée de la présence de ces féroces ennemis que vers la mi-octobre. Alors, comme on n’entendait plus parler de rien, M. de Dénonville envoya les sieurs Duluth et de Mantet dans le lac des deux Montagnes, pour s’assurer si la retraite des ennemis était véritable ou seulement simulée. Ces officiers rencontrèrent dans deux canots vingt-deux Iroquois, qui les vinrent attaquer avec beaucoup de fierté. Ils essuyèrent leur première décharge sans tirer; après quoi, ils les abordèrent, et en tuèrent dix-huit. Des quatre qui restaient, un se sauva à la nage, et les trois autres furent livrés au feu des sauvages alliés.

Un de ces sauvages, qui avait été fait prisonnier dans la déroute de La Chine, mais qui s’était échappé, après avoir eu les ongles arrachés, et les doigts brulés ou mangés, vint trouver les deux gouverneurs, à Montréal, et leur dit, que le premier dessein des Iroquois avait été de descendre par la rivière des Prairies, de commencer leur attaque par l’extrémité orientale, ou septentrionale de l’île; de la ravager toute entière, en remontant au sud-ouest; et de n’y pas laisser un seul Français; qu’il ne savait pas ce qui les avait empêché de suivre ce plan; mais qu’ils devaient revenir bientôt, pour achever ce qu’ils avaient commencé; qu’ensuite ils prétendaient se rendre maîtres de la ville, où ils s’attendaient à être joints par un grand nombre d’Anglais et de Mahingans; qu’ils se proposaient de passer de là aux Trois-Rivières, puis descendre à Québec, où ils comptaient de trouver une flotte anglaise, et qu’ils se flattaient qu’à la fin de cette campagne, il ne resterait plus de Français en Canada.

M. de Frontenac comprit alors de quelle importance il eût été qu’il fût arrivé trois mois plutôt, parce que quand même il n’eût pas pu faire la conquête de la Nouvelle York, il aurait du moins empêché ce qui venait de se passer, en mettant les Anglais et leurs alliés sur la défensive. Pour surcroît de chagrin, il apprit que le fort de Catarocouy, qui était son ouvrage, et qui portait son nom, était, en toute probabilité, évacué et ruiné. En effet, le marquis de Dénonville avait envoyé ordre à M. de Valrènes, qui y commandait, d’abandonner ce poste, après en avoir fait sauter les fortifications, supposé qu’il ne lui arrivât point de convoi avant le mois de Novembre. Le nouveau gouverneur se récria beaucoup sur cette démarche, et s’en montra d’autant plus surpris, que M. de Dénonville s’y était déterminé sans attendre les ordres du roi, qu’il avait demandés lui-même à ce sujet, et après que les Iroquois lui eurent fait dire insolemment qu’ils voulaient que cette place fût démolie. Il n’eut aucun égard aux excuses ou aux représentations que lui firent son prédécesseur et l’intendant, et comme il pensait que M. de Valrènes pourrait attendre tout le mois de Novembre, avant d’exécuter l’ordre du Marquis de Dénonville, il crut avoir le temps de lui envoyer un contre-ordre et un convoi capable de le mettre en état de se soutenir dans cette place. Il fit équipper en diligence vingt-cinq canots; y joignit le détachement que son prédécesseur avait préparé pour faciliter la retraite de la garnison de Catarocouy, et leur donna une escorte de trois cents hommes, tant Français, que sauvages de la Montagne et du Sault St. Louis, qui ne se voyant pas en sureté dans leurs villages, s’étaient réfugiés à Montréal. Mais de quelque diligence qu’il eût usé, son convoi ne put être prêt que le 6 Novembre, et l’ayant conduit lui-même jusqu’à La Chine, il n’y avait pas deux heures qu’il était de retour à Montréal, qu’il y vit arriver M. de Valrènes, avec sa garnison, réduite à quarante-cinq hommes. Ce commandant avait brulé, ou jetté dans l’eau toutes les provisions et les munitions qui auraient pu l’embarrasser dans sa marche; enfoncé dans le havre trois barques, qui lui restaient, avec leurs ancres et les canons de fer; transporté les canons de fonte jusqu’au lac St. François, où il les avait cachés; miné les bastions, les tours et les murailles du fort; mis des mêches allumées par un bout en plusieurs endroits; et comme après deux ou trois heures de marche, il avait entendu un grand fracas, il ne doutait pas que tout n’eût sauté en l’air.

Ce contretemps, quelque fâcheux qu’il pût paraître au gouverneur général, ne lui fit pas perdre de vue le projet conçu par le gouverneur de Montréal, et recommandé par la cour de France; mais tandis qu’on s’occupait en Canada à chercher les moyens de faire des conquêtes sur les Anglais, on y eut avis qu’ils prenaient eux-mêmes des mesures pour s’emparer de cette colonie.

Cependant, tandis que les Iroquois portaient le ravage dans le centre de la Nouvelle France, d’Iberville et ses frères soutenaient dans le nord, l’honneur des armes françaises et canadiennes, si l’on nous permet de parler ainsi, et les Abénaquis rendaient aux Anglais tout le mal que leurs alliés avait fait aux Français.

Dès le commencement de Mai, on avait apris à Québec, que M. d’Iberville était arrivé, au mois d’Octobre précédent, au fort St. Louis, dans le fond de la Baie d’Hudson; que La Ferté, son lieutenant, ayant rencontré, à trente lieues du port Nelson, le gouverneur de New Savannah, place située sur la côte occidentale de la baie, il l’avait fait prisonnier, et lui avait enlevé ses papiers, où il avait trouvé des lettres des directeurs de la Compagnie de Londres, contenant l’ordre de proclamer le prince et la princesse d’Orange roi et reine de la Grande-Bretagne, dans la Baie d’Hudson, que cette compagnie prétendait appartenir toute entière à la couronne d’Angleterre. Cette prétention, si contraire, dit Charlevoix, à ce qui avait été arrêté entre Louis XIV et Jacques II, fut bientôt soutenue par deux navires, qui parurent à la vue du fort Ste. Anne. Un de ces vaisseaux portait dix-huit pièces de canon, et l’autre dix: ils étaient tous deux chargés d’une grande quantité d’armes, de munitions et de vivres, et leurs équipages réunis se montaient à quatre-vingt-trois hommes.—D’Iberville n’avait pas, à beaucoup près, autant de monde. Les Anglais n’osèrent pourtant pas l’attaquer à force ouverte; on se harcela de part et d’autre; on se dressa des ambuscades, et d’Iberville parvint, par ces moyens, à leur enlever vingt-un de leurs meilleurs hommes, y compris leur chirurgien et un de leurs premiers officiers; après quoi, il les somma de se rendre. Il répondirent qu’ils ne le pouvaient faire avec honneur, étant encore au nombre de quarante en état de se bien défendre, sans compter les malades. Il continua à les harceler, avec son frère Maricourt, tantôt dans une petite île, où ils étaient campés, tantôt sur leurs navires, qui étaient pris dans les glaces; et les ayant sommés une seconde fois, ils se rendirent, à la condition que les gages des officiers leur seraient payés, et qu’il leur serait donné un bâtiment avec tous ses agrès, pour se transporter où bon leur semblerait. Tous les autres demeurèrent prisonniers. Au mois de Juin, Ste. Hélène vint joindre ses deux frères, et remit à d’Iberville un ordre du gouverneur-général de conduire à Québec la plus considérable de ses deux prises. Il partit de Ste. Anne, le 12 Septembre, avec Ste. Hélène et les principaux d’entre les prisonniers, laissant à Maricourt trente-six hommes, pour garder tous les postes du fond de la baie, et arriva heureusement à Québec, le 25 Octobre.

(A continuer.)

PETITE BIOGRAPHIE des DÉPUTÉS de FRANCE.

TROISIÈME EXTRAIT.

Corbière, (le Comte de.) Ce personnage est ministre de droit; mais de fait, ce n’est qu’un chef de division de M. de Villèle. Ce que M. de Corbière estime le plus de la place qu’il occupe, c’est le titre d’excellence et les appointemens. C’est un grand amateur de vieux livres: il passe sa vie au milieu d’un monceau de bouquins, qu’il ne lit pas, mais dont il mesure les marges. Il prétend qu’il y a trop d’artistes en France, et il émettait un jour le vœu que quelques uns d’entr’eux se fissent tailleurs ou cordonniers. Nous connaissons bon nombre d’honnêtes gens qui y gagneraient.

Tel brille au second rang qui s’éclipse au premier.

Coudere. Il siège à gauche, et fait partie de cette opposition courageuse qui avait pour chef le prince des orateurs français.

Coupigny (le Baron de.) La queue du grand Frédéric, qui était pourtant d’une assez belle taille, n’approchait pas encore de celle de ce député. Cet ornement et l’énorme quantité de poudre qui l’accompagne, sont tout ce qu’il y a de remarquable dans la carrière législative de M. le baron.

Couppier. Il promettait beaucoup, et ne tient rien. Le ministère n’a pas de plus terrible adversaire que ce député.... quand il n’y a pas de séance.

Groizet. Il dit naïvement à qui veut l’entendre, qu’il ne comprend rien aux questions législatives; ce qui ne l’empêche pas d’être toujours élu, depuis 1815. Il dort à la chambre: que voudrait-on qu’il y fît?

Croï-Sobre (le Prince de.) Il a rendu beaucoup de services à la famille royale, peu à la chambre, et point à ses mandataires.

Cuny. Nous dirions bien ce qu’il a été, nous aimons mieux dire ce qu’il est; petit, maigre, laid, ministériel, lorrain et procureur du roi.

Delage. Il s’absente souvent de la chambre. On ne s’en apperçoit que par l’appel nominal.

Devaux. Homme de bien: avocat célèbre: c’est un franc libéral, qui a souvent l’honneur d’être injurié par les journaux vendus au pouvoir.

Dubotderu (le Comte de.) Les facultés physiques de ce député sont très fortes: c’est l’Hercule de la chambre; mais il n’en est pas le Démosthène.

Dubourg (le Chevalier Armand.) C’est un compatriote de M. de Villèle; ce qui ne l’empêche pas d’être indépendant. Il mange avec le ministre, et vote contre lui.

Duchesnay. Il vote tantôt pour et tantôt contre les ministres, selon les circonstances et la digestion.

Dulyon (le Marquis.) Ses harangues sont très courtes et ses diners très longs. Un ne le voit jamais à la chambre passé cinq heures.

Dupont. C’est un des plus beaux caractères de notre époque. Président de la cour royale de Rouen, et député, il aima mieux perdre sa place que de transiger avec sa conscience, alors que cette place était presque toute sa fortune. Député depuis 1815, c’est un des plus célèbres membres de l’opposition. Ses citoyens ayant appris que M. Dupont, par suite de la perte de sa place, cessait d’être éligible, firent une souscription avec le produit de laquelle ils achetèrent un domaine, qu’ils offrirent à ce grand citoyen, comme un témoignage de reconnaissance.—Ré-élu en 1824 par le 1er arrondissement de Paris, il n’a pas cessé de défendre les intérêts de son pays contre les empiètemens ministériels.

Dutheil. Il siège au centre et fait chorus avec les clôturiers. M. Dutheil est administrateur des forêts: des plaisans ont dit qu’il n’avait quitté ses bois que pour venir hurler avec les loups.

Ecerville (le Comte Rolland d’.) C’est un ex-grand-prévôt, partisan de l’ordre du jour. En sa qualité de ministériel, il a le bras long et est obligeant.

Flamarens-Grossoles (le Marquis de.) Ce député pense qu’il y a trop d’orateurs à la chambre, et il se garde bien d’en augmenter le nombre. Quelques amis lui reprochent son silence “Que deviendrait la France, répondit-il, si tous les députés étaient orateurs.”

Fouquerand. On l’a vu, dans un seul jour, parler contre M. de Corbière, diner chez M. de Villèle, et voter avec tous les deux.

Fournas. Ce député est monté à la tribune pour dire des vérités que bien certainement personne ne contestera; par exemple, il a cherché à prouver qu’en abrégeant les séances, on allongerait la session: Un parent de M. Lapalisse, qui était présent, est resté muet d’admiration.

Foy. La France en deuil pleure encore la perte de ce grand citoyen: cent mille Français suivirent ses dépouilles mortelles jusqu’à leur dernière demeure, et une souscription ouverte pour doter sa famille, s’éleva promptement à un million. Le cadre de cet ouvrage ne nous permet pas d’entrer dans de longs détails; mais quels sont les Français qui ne connaissent pas les belles actions de ce grand homme qui fut l’un des premiers capitaines de l’armée, l’appui de la liberté, et le prince des orateurs.

Genys de Beaupuy (de). Assez riche pour se passer de la faveur ministérielle, il vote avec l’extrême droite.

Girardin (le Comte de.) Comte, général, commandant de la légion d’honneur, filleul d’un roi, et élève de J. J. Rousseau, ce dernier titre est celui que M. Girardin prise le plus. Il n’avait que 22 ans, lorsque la révolution éclata, et il embrassa les nouvelles doctrines avec l’ardeur d’un cœur généreux. On ne peut lui reprocher d’avoir pris part à aucun des faits dont l’histoire de cette époque est souillée. Ami de Joseph Napoléon, il parcourut avec éclat la double carrière administrative et militaire. Devenu préfet, il montra beaucoup de talent; mais son zèle l’emporta souvent trop loin; et la persévérance avec laquelle il défend, depuis dix ans, les intérêts du peuple, ne peut faire oublier aux conscrits de 1813, 14, et 15, la rigueur qu’il déploya à cette époque. Ce député est maintenant l’une des plus fermes colonnes du parti constitutionnel, et l’un des meilleurs orateurs de la chambre.

Gontaud-Biron (le Comte de.) C’est un honorable député, qui porte un honorable nom; du reste.... N’en demandez pas d’avantage.

Gourge (le Vicomte de.) La députation de ce département ressemble aux moutons de Panurge; depuis que le premier de ses membres s’est avisé de devenir ministre (M. Peyronnet,) les autres veulent des porte-feuilles. En attendant, ils aident le ministère à tondre les contribuables, qui pourraient bien, quelque jour, les envoyer paître.

Haas. Lorsqu’il siégeait à gauche, il donna des leçons aux ministres: c’était un Haas de cœur; mais ensuite il siégea à leur table, et devint un Haas de treffle: il obtint bientôt un ruban rouge, qui figure sur sa poitrine comme un as de carreau. Maintenant il siège au centre, parle rarement, et n’a plus que la peine de se tenir debout pour voter: dans cette attitude, il est là comme un as de pique.

Harcourt (le Vicomte d’.) Il a publié des brochures qui ne sont pas plus connues que sa personne.

Harmand-d’Abancourt (le Vicomte de.) Ce député a dit, à la tribune: “Les flots de l’opposition viendront se briser contre le rocher ministériel. Parce qu’il n’a pu éviter cet écueil, M. le vicomte se croit un excellent fanal. Malgré cet éclat de génie, ses lumières n’en brillent pas plus.”

(A continuer.)

L’IROQUOISE;

HISTOIRE, OU NOUVELLE HISTORIQUE,

Traduite du Truth-Teller.—(Suite et fin.)

Le long et tédieux hiver du Canada était passé; l’Outaouais gonflé avait rejetté son manteau de glace, et proclamé sa liberté, du ton de la joie; l’été était revenu dans toute sa vigueur, et couvrait d’une fraiche verdure les bois et les vallons de St. Louis. Le P. Mesnard, suivant sa coutume journalière, avait à visiter les cabannes de son petit troupeau: il s’arrêta devant la croix qu’il avait fait ériger au centre du village: il jetta ses regards sur les champs préparés pour la moisson de l’été; sur les arbres fruitiers enrichis de leurs bourgeons naissants; il vit les femmes et les enfans travailler avec activité dans leurs petits jardins, et il éleva son cœur vers Dieu, pour le remercier de s’être servi de lui pour retirer ces pauvres sauvages d’une vie de misère. Il jetta les veux sur le symbole sacré, devant lequel il s’agenouilla, et vit une ombre passer dessus. Il crut d’abord que c’était celle d’un nuage qui passait; mais quand, ayant parcouru des yeux la voûte du ciel, il la vit sans nuages, il ne douta point que ce ne fût le présage de quelque malheur. Pourtant, lorsqu’il rentra dans sa cabanne, la vue de Françoise dissipa ses sinistres pressentimens. “Sa face,” dit-il, “était rayonnante comme le lac, lorsque, par un temps calme, le soleil brille dessus.” Elle avait été occupée à orner avec sa dextérité naturelle, une écharpe pour Eugène: elle la présenta au P. Mesnard, lorsqu’il entra.—“Voyez,” dit-elle, “mon père; je l’ai achevée, et j’espère qu’Eugène ne recevra jamais une blessure pour la souiller. Ah! ajouta-t-elle, il va être ici tout-à-l’heure: j’entends retentir dans l’air le chant des bateliers français.” Le bon père aurait été tenté de lui dire qu’elle s’occupait trop d’Eugène; mais il ne put se résoudre à réprimer les flots d’une joie bien pardonnable au jeune âge, et il se contenta de lui dire, en souriant, qu’il espérait qu’après son premier mois de mariage, elle retournerait à ses prières et à ses pratiques de dévotion.—Elle ne lui répondit pas; car en ce moment, elle apperçut son époux, et courut à sa rencontre avec la vitesse du chevreuil. Le P. Mesnard les vit, comme ils s’approchaient de la cabanne; le front d’Eugène portait les marques de la tristesse, et quoiqu’il s’égayât un peu aux caresses enfantines de Françoise, ses pas précipités et sa contenance troublée faisaient voir clairement qu’il appréhendait quelque malheur. Il laissa Françoise le devancer, et sans qu’elle s’en apperçût, il fit signe de la main au P. Mesnard, et lui dit: “Mon Père, le danger est proche; on a conduit hier à Montréal une prisonnière iroquoise, qui a avoué qu’un parti de sa tribu était en campagne pour une expédition secrète. J’ai vu des canots étrangers mouillés dans une anse de l’île aux Cèdres. Il faut que vous vous rendiez de suite à Montréal, avec Françoise, dans mon bateau.”

“Quoi!” s’écria le père, “pensez vous que j’abandonnerai mes pauvres ouailles, au moment où les loups viennent fondre sur elles?”

“Vous ne pouvez les défendre, mon père,” répliqua Eugène.

“Eh! bien! je mourrai avec elles,” répartit le père.

“Non, mon père,” s’écria Eugène, “vous ne serez pas si téméraire: partez, sinon pour vous même, du moins pour ma pauvre Françoise: que deviendra-t-elle, si nous sommes tués? Les Iroquois ont juré de se venger d’elle, et ils sont aussi féroces et aussi cruels que des tigres. Partez, je vous en conjure; à chaque instant, la mort s’approche de nous. Les bateliers ont ordre de vous attendre à la pointe aux Herbes; prenez votre route par les érables; je dirai à Françoise que Rosalie la fait demander, et que j’irai la joindre demain. Partez, mon père, partez, sans différer.”

“Oh! mon fils, je ne puis partir; le vrai berger ne peut pas abandonner son troupeau.”

Le bon père demeura infléxible; et l’unique alternative fut d’avertir Françoise du danger, et de l’engager à partir seule.—Elle refusa positivement de partir sans son mari. Eugène lui représenta qu’il serait déshonoré pour la vie, s’il abandonnait, au moment du danger, un établissement que son gouvernement avait confié à sa garde. “Je donnerais volontiers ma vie pour vous, Françoise, lui dit-il; mais mon honneur est un dépôt sacré, pour vous, pour mon pays; je ne puis m’en désaisir.” Ses prières se changèrent en commandemens.

“Oh! ne vous fâchez pas contre moi,” lui dit Françoise; “je partirai; mais je ne crains pas de mourir ici avec vous.” A peine eut-elle prononcé ces paroles, que des sons effrayants retentirent dans l’air. “C’est le cri guerre de mon père,” s’écria-t-elle; “St. Joseph, secourez-nous, nous sommes perdus.”

La pauvre Françoise se jetta au cou de son époux, le tint longtems serré dans ses bras, avec une tendresse mêlée d’angoisse, et courut vers le bois. Le terrible cri de guerre suivit, et elle entendit en même temps ces mots, comme si on les lui eût dits, d’une voix aigre, à l’oreille, “vengeance, le jour de la vengeance de ton père viendra.” Elle atteignit le bois, et monta sur une hauteur d’où, sans être vue, elle pouvait jetter ses regards sur la plaine verdoyante. Elle s’arrêta un instant: les canots iroquois avaient doublé la pointe de l’île, et arrivaient comme des vautours qui fondent sur leur proie. Les Outaouais sortirent précipitamment de leurs cabannes, armés les uns de fusils, les autres d’arcs et de flèches. Le P. Mesnard gagna le pied de la croix, d’un pas lent, mais assuré, et s’agenouilla, en apparence aussi peu inquiet à l’approche de la tempête, et aussi calme qu’il avait coutume de l’être à sa prière de vêpres. “Ah! disait Françoise en elle-même, la première flèche qui l’atteindra boira son sang de vie.” Eugène se trouvait partout en même temps, poussant les uns en avant, et arrêtant les autres; et en quelques instans, tous furent rangés en bataille autour du crucifix.

Les Iroquois étaient débarqués. Françoise oublia alors la promesse qu’elle avait faite à son époux; elle oublia tout, dans l’intérêt intense qu’elle prenait à l’issue du combat qui allait se livrer. Elle vit le P. Mesnard s’avancer à la tête de sa petite troupe, et faire un signal à Talasco. “Ah! saint père,” s’écria-t-elle, “tu ne connais pas l’aigle de sa tribu; tu adresses des paroles de paix à un tourbillon de vent.” Talasco banda son arc: Françoise tomba sur ses genoux. “Dieu de miséricorde, protégez-le,” s’écria-t-elle. Le P. Mesnard tomba percé par une flèche: les Outaouais furent frappés d’une terreur panique.—En vain Eugène les pressa-t-il de tirer; tous, à l’exception de cinq, tournèrent le dos à l’ennemi, et prirent la fuite. Eugène paraissait déterminé à vendre sa vie aussi cher que possible.—Les sauvages se jettèrent sur lui et ses braves compagnons avec leurs couteaux et leurs casse-têtes. “Il faut qu’il meure,” cria Françoise, et elle sortit précipitamment, et comme par instinct, de sa retraite. Un cri de triomphe lui apprit que la bande de son père l’avait apperçue: elle vit son époux pressé de tous cotés. “Ah! épargnez-le, épargnez-le,” s’écria-t-elle, avec angoisse, “il n’est pas votre ennemi.” Son père jetta sur elle un regard de colère, et s’écria: “Quoi! un Français, un chrétien, ne serait pas mon ennemi!” et il se remit à l’œuvre de la mort.—Françoise se précipita au plus fort de la mêlée: Eugène poussa un cri de douleur, en l’appercevant: il avait combattu comme un lion, lorsqu’il avait cru qu’il lui gagnait du temps pour la fuite; mais lorsqu’il eut perdu l’espoir de la sauver, ses bras perdirent leur force, et il tomba épuisé. Françoise tomba près de lui: elle l’embrassa et colla sa joue contre la sienne: pour un moment, ses sauvages ennemis reculèrent, et la regardèrent en silence; mais leurs féroces passions ne furent suspendues qu’un instant. Talasco leva son casse-tête: “Ne le frappe pas, mon père,” dit Françoise, d’une voix faible, “il est mort.” “Eh! bien! qu’il porte la cicatrice de la mort,” reprit l’inexhorable barbare, et d’un coup, il sépara la tête d’Eugène de ses épaules. Un cri prolongé s’éleva dans l’air, et Françoise devint aussi insensible que le tronc qu’elle tenait embrassé. L’œuvre de la destruction se poursuivit; les huttes des Outaouais furent brulées; les femmes et les enfans périrent dans un massacre général.

Le père rapporte que dans le furie de l’assaut, on passa près de lui, étendu et blessé comme il était, sans le remarquer; qu’il demeura sans connaissance jusqu’à minuit: qu’alors il se trouva près de la croix, ayant à côté de lui un vase plein d’eau et un gateau sauvage. Il fut d’abord étonné; mais il crut devoir ce secours opportun à quelque Iroquois compatissant. Il languit longtemps dans un état d’extrême débilité, et lorsqu’il se fut rétabli trouvant toutes les traces de culture effacées à St. Louis, et les Outaouais disposés à attribuer leur défaite à l’effet énervateur de ses doctrines de paix, il prit la résolution de pénétrer plus avant dans le désert, pour y jetter la bonne semence, et abandonner le moisson au maître du champ. Dans son pélerinage, il rencontra une fille outaouaise, qui avait été emmenée de St. Louis, avec Françoise, et qui lui raconta tout ce qui était arrivé à son élève chérie, depuis son départ jusqu’à son arrivée au principal village des Onnontagués.

Pendant quelques jours, elle demeura dans un état de stupeur, et fut portée sur les épaules des sauvages. Son père ne lui parla point, ne s’approcha point d’elle; mais il permit à Allewemi, de lui rendre toutes sortes de bons offices. Il était évident qu’il se proposait de donner sa fille en mariage à ce jeune chef. Lorsqu’ils arrivaient à Onnontagué, les guerriers de la tribu vinrent au-devant d’eux, parés des habits de la victoire, consistant en peaux précieuses et en bonnets de plumes des plus brillantes couleurs. Ils saluèrent tous Françoise, mais elle était comme une personne sourde, muette et aveugle. Ils chantèrent leurs chansons de félicitation et de triomphe, et la voix forte du vieux chef Talasco grossit le chorus. Françoise marchait d’un pas ferme; elle ne pâlissait point; mais elle avait les yeux abattus, et ses traits étaient fixes comme ceux d’une personne morte. Une fois, pourtant, comme elle passait devant la cabanne de sa mère, son âme sembla être émue par quelque souvenir de son enfance; car on lui vit les yeux mouillés de larmes. La procession gagna le gazon, lieu qui, dans chaque village, est destiné à la tenue des conseils et aux amusemens.—Les sauvages formèrent un cercle autour d’un vieux chêne; les vieillards s’assirent; les jeunes gens se tinrent respectueusement hors du cercle. Talasco se leva, tira de son sein un rouleau, et coupant la corde qui l’attachait, il le laissa tomber à terre. “Frères et fils, dit-il, voyez les chevelures des Outaouais chrétiens; leurs corps pourrissent sur les sables de St. Louis. Qu’ainsi périssent tous les ennemis des Iroquois! Mes frères, voyez mon enfant, le dernier rejetton de la maison de Talasco: je l’ai arrachée du sol étranger où nos ennemis l’avaient plantée: elle sera replacée dans la plus chaude vallée de notre pays, si elle consent à épouser le jeune chef Allewemi, et abjure ce signe;” et il toucha en même temps, de la pointe de son couteau, le crucifix qui pendait au cou de Françoise. Il s’arrêta un moment: Françoise ne leva pas les yeux, et il ajouta, d’une voix de tonnerre: “Ecoute enfant: si tu ne te rallies point à ta nation; si tu n’abjures pas ce signe qui te fait connaître pour l’esclave des chrétiens, je te sacrifierai, comme je l’ai juré avant d’aller au combat, je te sacrifierai au dieu Areouski. La vie et la mort sont devant toi: parle.”

“Non,” dit l’un des sauvages; “le tendre bourgeon ne doit pas être si précipitamment condamné au feu. Attends jusqu’au soleil du matin: souffre que ta fille soit conduite à la tente de Genanhatenna; la voix de la mère ramènera au nid le petit qui s’égare.”

Françoise se tourna avec vitesse vers son père, et se frappant les deux mains, elle s’écria: “Ah! ne le faites pas; ne m’envoyez pas vers ma mère; c’est la seule faveur que je vous demande: je puis endurer tous les autres tourmens: percez-moi de ces couteaux sur lesquels le sang de mon époux est à peine séché; consumez-moi dans vos feux; je ne fuirai aucune torture; une martyre chrétienne peut souffrir avec autant de courage que le plus fier captif de votre tribu.”

“Ha!” s’écria le père, avec transport, “le pur sang des Iroquois coule dans ses veines: préparez le bucher: les ombres de cette nuit couvriront ses cendres.”

Pendant que les jeunes gens exécutaient cet ordre, Françoise fit signe à Allewemi d’approcher; “Tu es un chef,” lui dit-elle, “tu as de l’autorité: délivre cette pauvre fille outaouaise de sa captivité; envoie-la à ma sœur, Rosalie, et qu’elle lui dise que si un amour terrestre s’est interposé, une fois, entre le ciel et moi, la faute est expiée: j’ai plus souffert dans l’espace de quelques heures, de quelques instans, que toute sa confrérie ne peut souffrir par une longue vie de pénitence. Qu’elle dise qu’à mon extrémité, je n’ai pas abjuré la croix, mais que je suis morte courageusement.” Allewemi lui promit de faire tout ce qu’elle demandait, et accomplit fidèlement sa promesse.

Un enfant de la foi, un martyr ne meurt pas sans l’assistance des esprits célestes: l’expression du désespoir disparut, dès cet instant, du visage de Françoise; une joie surnaturelle rayonna de ses yeux, qu’elle leva vers le ciel; son âme parut impatiente de sortir de sa prison: elle monta sur le bucher avec prestesse et alacrité; et s’y tenant debout, elle dit: “Que je me trouve heureuse, qu’il me soit donné de mourir dans mon pays, de la main de mes parens, à l’exemple de mon sauveur, qui a été attaché à la croix par ceux de sa nation.” Elle pressa alors le crucifix contre ses lèvres, et fit signe aux bourreaux de mettre le feu au bûcher. Ils demeurèrent immobiles, leurs tisons ardents à la main; Françoise semblait être un holocauste volontaire, non une victime. Sa constance victorieuse mit son père en fureur: il sauta sur le bûcher, et lui arrachant des mains le crucifix, il tira son couteau de son ceinturon, et lui fit sur le sein une incision en forme de croix. “Voila,” dit-il, “le signe que tu aimes; le signe de ta ligue avec les ennemis de ton père; le signe qui t’a rendue sourde à la voix de tes parens.”

“Je te remercie, mon père;” répliqua Françoise, en souriant d’un air de triomphe; “j’ai perdu la croix que tu m’as ôtée; mais celle que tu m’as donnée, je la porterai, même après ma mort.”

Le feu fut mis au bucher; les flammes s’élevèrent, et la Martyre Iroquoise y périt.

GÉOLOGIE.

Monsieur Bibaud.—Étant, le 20 du mois passé, chez l’auteur de quelques réflexions sur la Géologie, publiées dans votre numéro du mois de Février dernier, et signées de ses initiales J. M. B., il a eu la politesse de me les communiquer, et de me prier de vouloir bien lui en faire connaître mon opinion. C’est pourquoi, m’ayant prêté le numéro qui les contient, j’ai cru devoir lui écrire la lettre suivante, que je vous prie d’avoir la bonté de faire insérer dans le prochain numéro de votre intéressante Bibliothèque. Ces circonstances font la meilleure excuse que je puisse vous donner pour parler, à un temps si éloigné, de la communication de Mons. J. M. B.

Très respectable Monsieur—Puisque vous avez eu la condescendance de me soumettre vos réflexions, sur quelques faits géologiques, pour en savoir mon opinion; je me rends très volontiers à votre désir, et prends sur moi de vous la donner d’une manière libre et indépendante; et j’espère que vous ne trouverez pas mauvais que je le fasse publiquement, mon motif étant de rendre, quoiqu’un peu tard, au moins quelques faibles hommages à votre communication intéressante.

Vos idées nouvelles, sur quelques faits géologiques, pour être plus chrétiennes, ne sont pas moins libérales et ingénieuses, et ne méritent pas moins la considération particulière de l’homme lettré, vu surtout qu’elles ne s’éloignent pas des principes fondés de la saine philosophie.

Accoutumé à respecter peu les différentes hypothèses des géologues, sur lesquelles ils prétendent établir leurs systèmes chimériques, pour expliquer les diverses opérations qui, selon eux, ont dû avoir lieu, pour avoir pu produire l’arrangement géologique des matières inorganiques qui composent le globe que nous habitons, si pour satisfaire un peu la raison, je dois adopter un système ou un autre, après tout bien considéré, j’aime autant, pour ne pas dire mieux, adopter celui des jours solaires, ou de vos vingt-quatre heures, que celui des périodes de Deluc, ou des époques de Buffon, ou de l’exposition imaginaire de quelques autres philosophes modernes. La géologie étant, de toutes sciences, la plus spéculative, le philosophe en faisant l’application de ses principes, devrait toujours s’efforcer de faire servir et de soumettre la philosophie à la révélation, et non la révélation à la philosophie; car bien que celle-ci, surtout à l’aide puissante de la chimie, nous mette généralement en état de nous rendre raison du plus grand nombre des faits et des opérations qui résultent naturellement des diverses propriétés physiques, telles que la cohésion, l’affinité, les différentes attractions, la gravité spécifique, &c., des corps physiques; cependant, il est bien connu qu’elle ne saurait le faire dans tous les cas. Par exemple, pour ne pas nous écarter de notre sujet, la philosophie ne saurait nous faire connaître la raison physique pour laquelle les particules intégrantes de certains minéraux, tels que le quartz, le feldspath, le mica, &c. qui composent la plupart des strata (ou couches) géologiques de la première classe, sont naturellement portées, les unes à se cristalliser et à prendre la forme de certains angles, et les autres à s’agréger et cohérer ensemble, sans l’intervention d’aucun ciment quelconque. La philosophie nous dit bien, il est vrai, que ces différents états, soit cristallisés, soit aformes, ou sans régularité géométrique, que prennent ces minéraux, leur sont naturels, et qu’ils dépendent de leurs propriétés physiques, ou de l’arrangement chimique de leurs particules intégrantes; mais elle ne saurait nous faire connaître, d’une manière précise, la raison naturelle pour laquelle ces mêmes particules, par leur disposition chimique, donnent l’existence à tels ou tels faits, qui font autant de caractères physiques par lesquels on les distingue les uns des autres, non plus qu’elle ne pourrait nous dire pourquoi des plantes, croissant sous l’influence du même climat et des mêmes circonstances, ont, les unes, certaines propriétés médicinales, et les autres, d’autres, qui sont aussi différentes dans les effets qu’elles produisent sur les divers organes de la constitution humaine, que l’est leur apparence extérieure, à la seule vue de leur feuillage, &c. Dans les recherches, souvent plus curieuses qu’utiles, que le philosophe fait des causes primitives, la philosophie lui permet, quelquefois, d’avancer de quelques pas lents vers leur découverte désirée; mais ce n’est que pour ensuite le laisser encore dans la même incertitude, ou dans la nécessité humiliante de rétrograder dans les mêmes ténèbres et la même obscurité qu’il se flattait de pouvoir dissiper; ou plutôt, elle le laisse, après tout, dans l’obligation finale de reconnaître le créateur de toutes choses comme le seul auteur des causes primitives de tous les faits, apparents ou réels, qui, journellement, attirent plus ou moins, son attention particulière. Cependant; je suis bien éloigné de prétendre qu’en physique, non plus qu’en médecine, l’on pourrait être justifiable en négligeant la recherche et l’étude des causes primitives et secondaires, et même accidentelles, des faits ou effets qui, tous les jours, demandent de nous un examen particulier; bien au contraire, je crois que quand l’occasion s’en présente, chacun doit se faire un devoir scrupuleux de pousser courageusement l’une et l’autre aussi loin que possible. Mais venons à notre sujet principal.

Les difficultés apparentes qu’offre le système des jours solaires ou naturels, on de vos vingt-quatre heures, ne sont pas tout-à-fait aussi multipliées, qu’on est porté à le penser, au premier apperçu. Déjà, quoique d’après un système différent, la collection des coquillages et des pierres calcaires, ou à chaux, (shell limestone) portant, pour la plupart, l’empreinte de certains animaux de mer, et même d’eau douce et de la terre, est considérée par plusieurs philosophes modernes, (tels que l’illustre Cuvier, eu France, mon savant professeur Eaton, A. M. aux États Unis, et le fameux nouveau professeur de géologie, &c., à l’université d’Oxford,) comme ayant dû avoir eu lieu précisément de la même manière que vous le suggérez, c’est-à-dire qu’ils croient, et même enseignent, que ces diverses substances, depuis la création du monde jusqu’à la fin du déluge, ont pu, par le mouvement, l’agitation et le retirement des eaux, s’accumuler au nombre que nous les voyons. Mais pour ce qui regarde la situation relative des minéraux dont consistent les différents strata qui composent, en partie, notre globe, il n’est pas aussi aisé d’en donner une explication philosophique qui s’accorde parfaitement avec les renseignemens que nous donne l’écriture sainte. Cependant, persuadé, comme on a droit de l’être, avec l’aide des faits et le support de la raison, que Dieu, en créant les diverses substances matérielles, les a douées chacune de certaines propriétés qui lui sont propres, et les a soumises, chacune à ses lois respectives et collectives, qu’on appelle physiques, on peut raisonnablement supposer que, lorsqu’au troisième jour, le créateur sépara les eaux d’avec la terre, le pouvoir solvant (solving power) de ces mêmes eaux ayant agi antérieurement sur la solubilité de la terre, les parties terrestres de celle-ci pouvaient être dans un état demi-liquide, qui permettait aux différents minéraux, déja créés, de caler chacun plus ou moins, selon le degré prépondérant de sa gravité spécifique; et la vélocité d’un corps physique, soit qu’elle soit spontanée, ou qu’elle dépende d’une force projectile, étant toujours proportionnée à sa gravité spécifique, et ce même corps dans sa chûte, tendant toujours à prendre et à suivre un cours perpendiculaire vers le centre de la terre, où le pouvoir attractif est, pour ainsi dire, concentré comme dans sa demeure, il doit naturellement s’en suivre, 1o. que les pierres les plus pesantes, et qui forment les neuf strata géologiques dont se compose la première classe, tels que le granit, le gneis, le mica, le talc, le quartz granulé, &c. &c., nageant dans l’eau et dans la terre en un état sémi-liquide, se placèrent les premières; 2o. que les seize strata des trois autres classes, à cause, parlant comparativement, de leur légèreté spécifique, se placèrent ensuite en succession, d’une manière assez régulière. Mais je dois avouer avec vous, Monsieur, qu’à l’époque où Dieu sépara les eaux d’avec la terre, et à laquelle les différents minéraux, déjà créés, prirent leur situation respective, le globe que nous habitons dut, en effet, éprouver une secousse assez considérable; et c’est ce qui va me servir, en essayant de donner une raison physique pour les égaremens de quelques minéraux, qu’en étudiant la géologie, on apperçoit hors de leur place destinée; et aussi pour la formation spontanée ou accidentelle des houilles, ou mines de charbon de terre, (pit-coal) que vous suggérez pouvoir être une substance primitive. Mais avant d’y procéder, il ne sera peut-être pas hors de propos de faire ici quelques remarques succintes sur la différence qu’il y a entre la lumière et le calorique, différence que pour quelque raison, ou autre, les philosophes paraissent n’avoir pas toujours assez bien sentie.

Que l’on se refuse à l’interprétation des S. Pères sur la lumière du premier jour, qu’ils regardent comme la création des anges, et que l’on considère le langage de l’écriture la-dessus, comme figuratif, ou non, toujours, puisque les astres ne furent créés qu’au quatrième jour, on ne saurait s’empêcher de croire que la lumière du premier jour, dont parle l’écriture, était bien différente de celle qui procède des corps lumineux, la seule connue qui puisse se manifester à nos sens optiques; et quoiqu’ils possèdent l’une et l’autre, certaines propriétés physiques qui leur sont communes tel que de pouvoir être radiés et réverbérés, &c., cependant il est très certain que sous d’autres rapports, ils sont d’une nature très différente: et pour s’en convaincre, il suffit de se rappeller que très souvent la lumière se manifeste sans le calorique, et le calorique encore plus souvent sans le moindre rayon de lumière. De plus, la lumière est une substance composée, et le calorique est une substance simple qui, dans un état libre ou d’évolution, produit en nous la sensation qu’on appelle chaleur, le calorique et la chaleur, quoique dérivés du même mot latin (calor) devant, pour cette raison, être considérés, relativement, comme cause et effet. Outre cela, le calorique est une substance d’une telle nature, qu’il semble qu’il a dû nécessairement exister du moment et par là même que les autres substances furent créées; car il pénètre tous les corps physiques, et forme, pour ainsi dire, une partie constituante, plus ou moins considérable, de certaines matières, telles que l’eau et généralement tous les liquides, qui ne sauraient se maintenir dans cet état de liquidité, sans sa présence continuelle. Ainsi, quoique l’écriture, dans l’énumération des choses que Dieu a créées, ne fasse aucune mention particulière du calorique, toujours, il n’est pas moins naturel et raisonnable de croire que, comme toutes autres substances élémentaires, dont il n’est fait non plus aucune mention, il a dû coexister avec tous les corps physiques, au moment même de leur création. Mais ce n’est que dans un état de concentration et d’évolution considérable, occasionée soit par la contraction, la compression, la friction et même la combustion ou la décomposition des corps physiques, que le calorique accumulé est dégagé, se rend sensible, et excite la combustion des substances combustibles, qui au moment de son extrication, se trouvent en proximité ou contiguité avec les corps dont il est forcé de s’échapper. Ainsi, ce n’est qu’au moyen de ces causes que je viens de citer, et dont plusieurs devinrent, sans doute, actives, à l’époque où Dieu sépara les eaux d’avec la terre, que le calorique a pu avoir excité la combustion que les philosophes lui attribuent avec juste raison; et il n’est pas déraisonnable de croire que ces mêmes causes ont dû avoir produit alors différents effets qui, ensuite, opérant eux-mêmes comme causes efficientes, ont pu avoir produit, à leur tour, les effets que nous remarquons dans les égaremens des minéraux que nous voyons épars, ça et la, hors de leur place destinée; car le retirement soudain des eaux a dû avoir occasionné une telle condensation des parties terrestres qui composent notre globe, et ses parties minérales, en se rangeant, chacune à sa place, ont dû avoir produit un tel bouleversement, et celui-ci, par la friction l’un contre l’autre des minéraux prenant chacun sa situation respective, (eu égard, comparativement, à sa gravité et à sa légèreté spécifique,) a dû avoir causé un tel dégagement du calorique, qui jusqu’alors avait été latent et insensible, que les constituans de la terre, jusqu’à ce qu’elle eût enfin pris son à-plomb, devaient nécessairement tous être dans un état de commotion et de concussion produisant un fracas approchant de l’espèce volcanique. Puis considérant la contraction soudaine et le poids énorme de la terre, son pouvoir d’attraction concentré au milieu, et la gravité spécifique des minéraux; ajoutez à cela le dégagement résultant de la décomposition de quelques substances, à l’aide du calorique en action, et, en certains endroits, l’accumulation et ensuite l’évolution explosive des divers gaz, tels que l’oxygène, l’hydrogène, le nitrogène, l’hydrogène sulphuré, l’hydrogène carburé, &c., que l’on doit admettre comme étant déja créés, puisque l’eau et l’air, qui en sont composés, l’étaient alors, et vous trouverez des causes suffisantes pour nous rendre raison de la fracture et du déplacement de quelques minéraux même les plus pesants.

Cependant, la création de la plupart des combustibles, tels que les arbres et les plantes, avaient lieu, ce jour là même; et il est assez naturel de croire qu’un grand nombre a pu être englouti pêle-mêle parmi les fragmens de la terre, et y être consumé, au moyen de l’oxygène et du calorique, qui continuaient de s’en dégager; car, dans cet état de confusion, outre la combustion, ou la décomposition plus ou moins considérable de quelques arbres, &c., une grande quantité d’eau encore présente dans les interstices des pierres et de la terre, a pu par l’extrication continuelle du calorique, être décomposée en ses parties élémentaires, l’hydrogène et l’oxygène, le support et le soutien exclusif de la combustion. En sorte que, certaines substances composées, telles que l’eau, l’air, les arbres, les plantes, &c., furent (toujours à l’aide du calorique en action,) en partie décomposées et réduites à leurs principes simples, tels que, pour l’eau et l’air, l’hydrogène, l’oxygène, le nitrogène, le potassium et le carbone, ou charbon (dans lequel il abonde,) presque le seul résidu visible et palpable, qui se manifeste à nos sens. Et le carbone offrant à l’oxygène avenescent une base acidifiable, c’est alors, sans doute, que, se combinant chimiquement ensemble, commença à se former le gaz acide carbonique, qui, se combinant lui-même ensuite avec les divers oxydes métalliques et alkalins (qui résultent à leur tour, d’une combinaison chimique de l’oxygène avec les bases oxydables qu’offrent tous les métaux et les alkalis,) donna naissance aux différents carbonates de fer, de cuivre, de plomb, de chaux, &c., &c., que l’on trouve épars parmi les minéraux.

Ainsi, Monsieur, sans avoir eu recours à des millions d’années, mais bien en adoptant votre système des jours naturels, dont Dieu a voulu se servir dans la création, je crois que d’après d’autres hypothèses, il est vrai, (car on ne saurait raisonner ici sans en admettre,) mais qui ne répugnent pas au récit de l’écriture sainte, je vous ai donné quelques raisons plausibles pour prouver comment ont pu avoir lieu les égaremens de quelques minéraux et l’origine secondaire des mines de charbon de terre; que, pour plusieurs raisons physiques et spéculatives, (mais que vous voudrez bien me dispenser de nommer ici,) je ne saurais me résoudre à considérer avec vous comme une substance primitive; et le fait bien connu que le charbon de terre ne se trouve situé que dans les strata superficiels de la troisième classe, ou classe secondaire, ne contribue pas peu à supporter mon opinion.

Quant aux cadavres de rhinocéros, d’éléphans, &c., que l’on trouve épars sur les montagnes du nord, je n’ai pas de peine à me rendre à l’opinion que vous avez qu’ils ont pu y avoir été déposés par les eaux du déluge, et je crois que le professeur Buchan d’Oxford, entretient cette même idée. Mais pour ce qui est du prétendu besoin de la force centripète et centrifuge qu’a pu avoir la terre, pour se maintenir dans l’espace, je n’entreprendrai pas de le croire, et encore bien moins de le prouver, et quoi que je sois bien persuadé que Dieu n’avait qu’à vouloir que la terre restât dans l’espace, et qu’elle pouvait y demeurer comme suspendue, sans l’intervention d’aucune puissance étrangère, cependant, je ne saurais lui refuser la force centripète, qui résulte naturellement de la gravité spécifique des minéraux, et de l’attraction mutuelle qu’ont entr’elles ses autres parties constituantes, et je crois qu’avant le quatrième jour de la création, temps où Dieu créa les différents astres, cette force centripète dépendant de l’attraction innée des constituans de la terre, devait être d’autant plus considérable, qu’il n’y avait encore alors aucun objet créé, qui, par sa propre attraction, pût affaiblir celle des diverses parties de la terre, l’attirant vers sa surface, et la détournant de son cours naturel vers son centre, ce qui semble donner une preuve négative de sa force centrifuge avant la création des astres. Ainsi quoi que cette loi de la force centripète ne fût pas, comme je le crois avec vous, nécessaire à la complétion des œuvres de Dieu, cependant, en étant l’auteur et n’ayant rien créé sans dessein, il est très possible, pour ne pas dire plus que probable, qu’il a bien voulu se la rendre utile, pour empêcher, par un procédé naturel, les constituans de la terre de se diviser, de perdre leur état de contiguité, et de se disperser dans l’espace. On voit une bonne illustration du principe que j’avance dans une goute d’un liquide quelconque, et surtout du vif-argent, laquelle, par l’attraction mutuelle entre ses parties intégrantes, est portée à toujours se maintenir dans un état indivis, et même à conserver une forme sphérique.

Je ne saurais terminer cette lettre, sans vous prier de vouloir bien me permettre de relever deux de vos avancés, que je crois n’être pas fondés.

1o. Vous dites que les constituans de la terre sont “dans un état d’amorcellement et dans un désordre extrême, d’où vient la science de la géologie.” Or, une science naturelle ne naît pas de la confusion et du désordre, mais bien de l’ordre et de la régularité, plus ou moins considérable, que présentent les différents objets de la création, soit dans leur apparence, soit dans leur caractère, soit enfin dans leurs propriétés physiques ou autres, dont elle fait l’étude particulière; et à l’exception de l’égarement de quelques fragmens, la stratification des minéraux est en effet si régulière, que lorsqu’une classe, ou un stratum manque, on est certain de trouver ensuite la classe, ou le stratum qui devait venir en succession. La géologie donc, qui traite de la situation relative des minéraux (observant seulement la manière dont ils ont été placés par les mains de la nature), ne saurait naître de leur état d’amorcellement et de désordre extrême.

2o. Vous dites que “demander pourquoi et comment, quand il s’agit des œuvres de Dieu, c’est une impiété.” Or, tous les objets créés, qui ont quelque relation avec nous, et qui peuvent avoir quelque effet sur nos sens, avec leurs diverses propriétés physiques, intrinsèques et extrinsèques, et dont résultent leurs modifications nombreuses, relatives et collectives, sont indubitablement tous, sans exception, les œuvres de Dieu; mais je ne saurais être persuadé que la religion restreint les fidèles au simple privilège seulement d’observer de loin, d’un œil timide et craintif, les faits naturels ou accidentels, qui procèdent de l’opération spécifique des lois physiques, sous l’influence continuelle desquelles il a plu à Dieu de soumettre les œuvres de la création, sans leur permettre de demander quand, pourquoi, comment et de quelle manière ces mêmes faits ont pu avoir eu lieu. A la vérité, je ne suis ni théologien, ni casuiste; mais je crois bien sincèrement que la religion, loin d’accuser d’impiété les fidèles qui se livrent à l’investigation des objets variés que la belle nature offre journellement à leurs regards curieux, les laisse dans la liberté franche de pousser aussi loin que possible la recherche et l’étude des causes primitives, secondaires, ou accidentelles, qui ont pu avoir produit les faits, ou effets naturels qui attirent, tous les jours, leur considération particulière, et ce, d’autant plus, que cette recherche et cette étude des causes naturelles ou autres, au lieu d’aliéner, excite plus le chrétien à admirer les œuvres du Seigneur, et à s’en rapprocher, par la pensée et par les réflexions que demande de lui un si noble exercice. En effet, sans parler de beaucoup d’autres, quelle science connue tend plus à toucher le cœur de l’homme, et à le rapprocher de son créateur, que celle (l’anatomie) qui nous enseigne la structure des divers organes de cette fabrique admirable, le corps humain? Si Newton, Lavoisier, Bichat, Cuvier, Franklin, &c., parmi les laïcs, et Bacon, Bossuet, l’abbé Hauy, &c. ... du clergé, n’eussent pas entretenu l’idée que je défends ici, on ne verrait peut-être pas, dans un état presque parfait, les sciences utiles dont ces hommes illustres sont, pour ainsi dire, les pères. Mais c’est la chose que l’on confond avec l’abus que l’on en peut faire; et si vous me dites que l’étude de la philosophie et de l’histoire naturelle, qui admettent toutes les questions que vous condamnez, est peu recommandable, parce qu’elle met ses amateurs dans le danger d’en abuser, je vous répondrai qu’il serait aussi convenable pour vous de prétendre qu’on ne devrait pas administrer aux fidèles les sacremens dont ils paraissent désirer recevoir la grâce, parce qu’il pourrait y en avoir quelques uns qui, par un abus criminel, oseraient en profaner la sainteté.

J’espère, Monsieur, que vous ne me saurez pas mauvais gré de cette petite critique discursive, que j’ai pensé devoir faire sur vos avancés, parce que je les ai crus de nature à pouvoir intimider et décourager ceux des jeunes gens qui pourraient être naturellement portés à se livrer à l’étude de la philosophie, et surtout de l’histoire naturelle, d’où résulte un si grand avantage pour la société, et à dégrader trop, en représentant dans un désordre extrême les parties constituantes de notre globe, une science dont l’étude est aussi d’une grande utilité, la géologie, qui nous enseigne encore de plus que dans tel ou tel stratum se trouve généralement déposé tel ou tel métal, &c. &c.;

Pour moi, dans l’humble espérance de pouvoir être un peu utile, si une petite indépendance, du côté de la fortune, et un peu plus de santé me le permettaient, je n’aurais aucun scrupule d’exercer un peu mes faibles talens dans la poursuite de cette étude, qui malheureusement, ne compte encore que bien peu d’amateurs dans notre pays.

Vous voyez que j’ai été très prolixe, et qu’après tout, je n’ai encore fait qu’effleurer votre communication intéressante, qui, pour en faire une critique convenable, demanderait la matière d’un volume entier. En effet, les questions importantes que vous y agitez, sont d’une nature si abstruse, que plus je les examine, plus je vois se grossir le travail pénible auquel il faudrait se soumettre, afin d’exposer clairement les différents principes physiques et chimiques auxquels il faut nécessairement avoir recours, pour pouvoir établir la géologie sur une base philosophique, raisonnable et chrétienne. Mais en admettant votre système des jours naturels, ou solaires, et les opinions que je viens de me permettre d’avancer, et en reconnaissant, comme on le doit toujours, la toute-puissance de Dieu, qui n’avait qu’à vouloir pour que tout fût parfaitement exécuté, on se range en sureté sous l’étandard saint de la révélation, et l’on fait disparaître un grand nombre de difficultés qu’exposent les questions que vous avez agitées; et quoique le créateur n’ait pas été dans la nécessité d’attendre qu’une substance fût faite, et que tel ou tel événement fût complété, pour procéder à la création des autres substances qu’il avait encore intention de produire, cependant, on est forcé de remarquer que, dès le commencement, il a bien voulu, en observant certaines périodes, tels que les jours naturels dont vous parlez, donner aux diverses substances le temps de se combiner ensemble, et de subir entr’elles les changement et les opérations, qui par l’ordre établi et co-créé avec elles, leur étaient naturels, d’après l’impulsion des lois physiques, sous l’influence continuelle desquelles il lui a plu de les placer, dès le moment de leur création, pour y demeurer jusqu’à ce qu’il lui plaise d’en changer ou d’en arrêter le cours; la connaissance ou la conception des causes probables ou des principes de ces mêmes opérations, changemens et combinaisons, qui résultent naturellement de l’ordre de choses que Dieu lui-même a établi, sert à dissiper les autres difficultés apparentes: et c’est dans cette espérance, que j’aime à me souscrire très respectueusement, Monsieur,

Votre Serviteur très humble,

J. B. M.

L’Assomption, 2 Novembre, 1827.

NOMBRES.

Personne n’ignore que les Pythagoriciens appliquèrent les propriétés arithmétiques des nombres aux sciences les plus abstraites et les plus sérieuses. On va voir, en peu de mots, si leur système méritait l’éclat qu’il a eu dans le monde, et si le titre pompeux de théologie arithmétique, que lui donnait Nicomaque, lui convient.

L’unité, n’ayant point de parties, doit moins passer pour un nombre, que pour le principe génératif des nombres. Par là, disaient les Pythagoriciens, elle est devenue comme l’attribut essentiel, le caractère sublime, le sceau même de Dieu. On le nomme avec admiration celui qui est Un; c’est le seul titre qui lui convient, et qui le distingue de tous les autres êtres, qui changent sans cesse et sans retour. Lorsqu’on veut représenter un empire florissant et bien policé, on dit qu’un même esprit y règne, qu’une même âme le vivifie, qu’un même ressort le remue.

Le nombre 2 désignait, suivant Pythagore, le mauvais principe et par conséquent le désordre, la confusion et le changement. La haine qu’on portait au nombre 2 s’étendait à tous ceux qui commençaient par ce même chiffre, comme 20, 200, 2000, &c.

Suivant cette ancienne prévention,les Romains dédièrent à Pluton le 2e mois de l’année; et le 2e jour du même mois, ils expiaient les mânes des morts. Des gens superstitieux, pour appuyer cette doctrine, ont remarqué que ce 2e. jour du mois avait été fatal à beaucoup de lieux et de grands hommes; comme si ces mêmes fatalités n’étaient pas également arrivées dans d’autres jours. Mais le nombre 3 plaisait extrêmement aux Pythagoriciens, qui y trouvaient de sublimes mystères, dont ils se vantaient d’avoir la clef; ils appellaient ce nombre l’harmonie parfaite. Un Italien, chanoine de Bergame, s’est avisé de recueillir les singularités qui appartiennent à ce nombre; il y en a de philosophiques, de poétiques, de fabuleuses, de galantes, même de dévotes; c’est une compilation aussi bisarre que mal assortie.

Le nombre 4 était en grande vénération chez les disciples de Pythagore; ils disaient qu’il rappellait l’idée de Dieu et de sa puissance infinie dans l’arrangement de l’univers.

Junon, qui préside aux mariages, protégeait, suivant Pythagore, le nombre 5, parce qu’il est composé de 2, premier nombre pair, et de 3, premier nombre impair. Or, ces deux nombres réunis ensemble, pair et impair, font 5, ce qui est un emblême ou une image du mariage. D’ailleurs, le nombre 5 est remarquable, ajoutaient-ils, par un autre endroit; c’est qu’étant toujours multiplié par lui-même, c.-à.-d., 5 par 5, il vient toujours un nombre 5 à la droite du produit.

Le nombre 6, au rapport de Vitruve, devait tout son mérite à l’usage où étaient les géomètres de diviser toutes leurs figures, soit qu’elles fussent terminées par des lignes droites, ou par des lignes courbes, en six parties égales et, comme l’exactitude du jugement et la rigidité de la méthode sont essentielles à la géométrie, les Pythagoriciens, qui eux-mêmes faisaient beaucoup de cas de cette science, employèrent le nombre 6 pour caractériser la justice, elle qui, marchant toujours d’un pas égal, ne se laisse séduire ni par le rang des personnes, ni par l’éclat des dignités ni par l’attrait ordinairement vainqueur des richesses.

Aucun n’a été si bien accueilli que le nombre 7: les médecins y croyaient découvrir les vicissitudes continuelles de la vie humaine. C’est de là qu’ils formèrent leur année climactérique. Fra-Paolo, dans son Histoire du Concile de Trente, a tourné plaisamment en ridicule tous les avantages prétendus du nombre 7.

Le nombre 8 était en vénération chez les Pythagoriciens, parce qu’il désignait, selon eux, la loi naturelle, cette loi primitive sacrée qui suppose tous les hommes égaux.

Ils considéraient avec crainte le nombre 9, comme désignant la fragilité des fortunes humaines, presque aussitôt renversées qu’établies. C’est pour cela qu’ils conseillaient d’éviter tous les nombres où le 9 domine, et principalement, 81, qui est le produit de 9 multiplié par lui-même.

Enfin les disciples de Pythagore regardaient le nombre 10 comme le tableau des merveilles de l’univers, contenant éminemment les prérogatives des nombres qui le précèdent. Pour marquer qu’une chose surpassait de beaucoup une autre, les Pythagoriciens disaient qu’elle était 10 fois plus grande, 10 fois plus admirable. Pour marquer simplement une seule chose, ils disaient qu’elle avait 10 degrés de beauté. D’ailleurs ce nombre passait pour un signe d’amitié, de paix, de bienveillance, et la raison qu’en donnaient les disciples de Pythagore, c’est que quand deux personnes veulent se lier étroitement, elles se prennent les mains l’une dans l’autre, et se les serrent en témoignage d’une union réciproque. Or, disaient-ils, 2 mains jointes ensemble forment, par le moyen des doigts, le nombre 10.—Dictionnaire de la Fable.

MOIS DE NOVEMBRE.

Diane était la déité protectrice de ce mois. Ausone l’a caractérisé par des symboles qui conviennent à un prêtre d’Isis, parce qu’aux calendes de Novembre on célébrait les fêtes de cette déesse. Il est habillé de toile de lin, a la tête chauve ou rasée, s’appuie contre un autel sur lequel est une tête de chevreuil, animal qu’on sacrifiait à Isis, et tient un sistre à la main. Chez les modernes, il est vêtu de couleur de feuille morte, et couronné d’une branche d’olivier; d’une main il s’appuie sur le signe du Sagittaire, soit à raison de la disposition des étoiles, soit à cause des pluies et des grêles que le ciel darde, pour ainsi dire sur la terre; soit plutôt à raison de la chasse, dernier amusement de la saison, comme l’enfant qui bat du chanvre en marque les dernières occupations; de l’autre main, il tient une corne d’abondance, d’où sortent diverses racines, dernier présent que nous fait la terre.

Dans un dessin de Cl. Audran, la déesse de la chasse et de la pêche, vêtue à la légère, ornée de son croissant, tenant d’une main un javelot, de l’autre menant un lévrier, paraît en action de marcher. La biche et le chien qui lui étaient consacrés, les ceintures qu’on lui offrait, les oiseaux, les arcs, les flèches, les carquois, les filets propres à la chasse et à la pêche, attributs ordinaires de la déesse, servent d’ornement à ce dessin.

LE HÉROS ECONOME.

CONTE.

 

Pourquoi faut-il que l’humaine faiblesse,

Chez les mortels que nous nommons héros,

Souvent se montre, et par de tels défauts,

Que les voyant, on se dit “Pauvre espèce!

Livrons le monde et la gazette aux sots.”

Pourquoi de l’or l’avidité cupide

A-t-elle, hélas! souillé plus d’un grand nom;

Flétri, perdu Démosthène, Bacon,

Et qui pis est, de sa rouille sordide,

Atteint Brutus et le premier Caton?

La vanité me gâte Cicéron.

Annibal fourbe, Agésilas perfide,

Luxembourg fat, et Villars fanfaron,

C’est grand’ pitié! Catinat. . . . je ménage

Et ma pudeur, et les mânes d’un sage.

Sur Malborough je serai moins discret;

Car son péché n’était pas un secret.

Dans l’Angleterre éprise de sa gloire,

Sur sa lésine on faisait mainte histoire,

En affublant d’épigramme ou chanson

Ce grand rival de Mars et d’Harpagon.

Chez les guerriers, ce mêlange est très-rare!

Et tout héros est plus voleur qu’avare.

Mais je finis, mon prologue est trop long.

Pour regagner sur la narration

Le temps perdu, courons de compagnie

Vite en Hollande, aux États-Généraux,

Où l’on reçoit en grand’ cérémonie

Des alliés le support, le héros,

Ce Malborough qui, repassant les flots,

S’en va revoir sa brillante patrie.

Le général à Windsor est mandé;

De ses emplois il est dépossédé,

Vu que soudain Milédi son épouse,

Brusque et hautaine, imprudente et jalouse,

Près la reine Anne a perdu sa faveur;

Sur une robe une aiguière versée,

Même la jatte avec dépit cassée,

Au cœur royal ont donné de l’humeur.

Tout va changer, la Hollande, l’Empire,

Baissent le ton, et la France respire.

La paix naitra de ce grave incident,

Qui dans l’Europe est encore un mystère;

Mais Malborough, qui le sait cependant,

Fait son paquet, et maudit en partant

Anne et sa femme, et la jatte, et l’aiguière.

Ce grand méchef, ces débats féminins

Ferment pour lui le champ de la victoire;

Il se console à l’aspect de sa gloire,

Surtout de l’or qu’elle verse en ses mains.

Le Hollandais, moins par reconnaissance,

Que pour matter le vieux roi dit le Grand,

Va cette fois écorner sa finance.

Faire dépit à cette cour de France,

Est, comme on sait, pour messieurs d’Amsterdam,

Le seul plaisir qui vaille leur argent.

La fête s’ouvre, et le vainqueur s’avance;

Dieux! quel accueil, quelle munificence!

On lui prodigue, on étate à ses yeux

Cent raretés de l’un et l’autre monde:

Mais tout s’efface à l’éclat radieux

D’un diamant le plus beau que Golconde,

Depuis longtemps ait vu sortir du sein

De son argile opulente et féconde.

Il est trop cher pour plus d’un souverain;

Il est sans prix, nul juif ne l’évalue.

Déjà placé par une adroite main

Sur un chapeau qu’au sien l’on substitue,

Sous un panache, il brille au front du lord.

On applaudit sa noble contenance,

Son air, son geste, et l’on pouvait encor,

Comme on va voir, louer sa prévoyance.

Vers un des siens, qui, du riche joyau,

Grands yeux ouverts, contemplait la merveille,

Milord s’approche; et tout bas à l’oreille,

Songe à ravoir, dit-il, mon vieux chapeau.

Chamfort.

ANECDOTES HISTORIQUES.

L’empereur Honorius avait une poule à qui il avait donné le nom de Rome. Quand cette ville fut prise par Alaric, roi des Goths, le courier qui en apporta la nouvelle, s’écria en entrant, “Rome est perdue! Cela ne se peut pas,” répondit l’empereur, “car je viens de jouer avec elle....” Et comme on lui eut fait entendre que ce n’était pas de sa poule, mais de la ville de Rome, qu’on lui parlait; que cette ville était prise, et que sa sœur Placidie était prisonnière, il répliqua: “Ah! c’est autre chose, je tremblais qu’on ne m’eût volé ma poule.”

Alhamin, roi de Perse, grand amateur de la pêche, s’occupant un jour de cet amusement, avec son favori Cuterus, on vint lui apporter la nouvelle de la défaite de son armée et de la mort de son général.—“A quoi bon me venir rompre la tête de ces bagatelles!” répondit-il, “Cuterus a déjà pris deux poissons, et moi pas un seul.”

Un vice-roi de Naples, se promenant dans les rues de cette ville, rencontra une infinité de mendians, qui prétendaient avoir été estropiés au service du roi, et qui l’importunaient par leurs demandes. De retour dans son palais, il s’en plaignit à quelques uns de ses officiers, qui ne lui cachèrent point que le nombre en était encore plus considérable qu’il ne pensait. Le vice-roi, persuadé que la plupart de ces mendians étaient des fourbes, que la fainéantise engageait à faire ce métier, résolut de les punir d’une façon exemplaire; mais craignant de confondre le coupable avec l’innocent, il eut recours à un expédient assez singulier.

Il fit publier un édit par lequel il annonça qu’ayant reçu du roi son maître l’ordre de récompenser les soldats estropiés au service, tous ceux qui se trouveraient dans ce cas étaient invités à se rendre dans la grande place de Naples, pour y recevoir la récompense qui leur était destinée.

La foule des estropiés fut prodigieuse, ainsi qu’on le peut croire. Le vice-roi ne les fit point attendre, et s’étant placé dans un endroit d’où il pouvait facilement être entendu de tous, il leur adressa le discours suivant:

“Les fonds que j’ai reçus ne sont pas suffisants pour satisfaire aux besoins de tant de monde. Il y a peu d’apparence qu’une seule ville renferme tant de gens estropiés au service du roi, dont l’intention n’est pas d’ailleurs d’étendre ses libéralités sur ceux que la maladie ou quelque autre accident ont privés de leurs membres. Comme on doit croire que ceux qui ont été maltraités dans des occasions honorables, quoiqu’ils manquent de force, ne manqueront point de courage, voici le moyen dont je vais me servir pour les distinguer.”

En même temps, il fit tendre au milieu de la place une corde assez élevée, et proposa de la franchir à ceux qui prétendaient avoir mérité les récompenses du prince.

“Je tiendrai, dit-il, pour lâches et pour indignes des bienfaits du roi mon maître, tous ceux qui refuseront ce parti.”

De tous ces estropiés, il n’y en avait pas le tiers qui le fussent véritablement; l’espoir du gain avait engagé à cette feinte un grand nombre de fainéans, qui n’ayant aucune incommodité, sautèrent lestement par-dessus la corde. Le vice roi les comblait de louanges, faisait écrire leurs noms, et ensuite on les mettait à part. Tous ceux qui malgré leurs efforts, ne pouvaient sauter, passaient d’un autre côté, accablés de mépris et de railleries.

Mais, à la fin des épreuves, on vit un changement de scène fort inattendu; les sauteurs furent condamnés aux galères, et ceux qui n’avaient pu franchir la corde reçurent chacun deux pistoles.

A la bataille de Brenneville, contre les Anglais, où les Français furent défaits, un Anglais ayant saisi la bride du cheval de Louis-le-Gros, se mit à crier: “Le roi est pris.—Ne sais-tu pas, dit ce prince, qu’au jeu des échecs on ne prend jamais le roi.” En même temps, il le renversa mort à ses pieds.

Louis d’Outre-mer s’étant moqué ce que Foulque-le-Bon, comte d’Anjou s’appliquait à l’étude, et allait souvent chanter au chœur, Foulque lui écrivit ces mots: “Sachez, Sire, qu’un prince non lettré est un âne couronné.”

Louis XI, roi de France, voulait, un jour, obliger le possesseur d’une riche abbaye à en donner sa démission. “Sire, répondit l’abbé, j’ai employé quarante ans à apprendre les deux premières lettres de l’alphabet, A, B; j’ose supplier votre majesté de m’en accorder encore quarante pour apprendre les deux suivantes, C, D.” Ce jeu de mots lui valut la conservation de son bénéfice.

Lorsqu’on disait à Louis XII que sa femme prenait trop d’empire sur lui: “Il faut, disait-il, souffrir quelque chose d’une femme, quand elle aime son mari et son honneur.”

Henri III, roi de France, paraissait fort scandalisé de ce qu’un homme de sa cour se fût fait peindre ayant une main sur des armes et l’autre sur des livres, et disait que c’était une grande effronterie à un homme qui n’était ni savant ni vaillant. Jaques de Harlay lui répondit: “Sire, il n’est pas si mal avisé que votre majesté pourrait bien dire: ne voyez vous pas qu’il jure qu’il n’entend rien en l’un et encore moins en l’autre.”

ILES NOUVELLEMENT DECOUVERTES.

Le Capitaine J. J. Coffin, de cette ville, dit l’Enquirer de Nantucket, et ci-devant du navire anglais Transit, nous a obligeamment communiqué son journal privé, où nous avons trouvé les faits suivants:—

Le 12 Septembre 1824, le capitaine Coffin découvrit un groupe d’îles qui ne se trouvaient pas sur sa carte. Ce groupe consiste en six îles, outre un nombre de rochers nus et de récifs. Le capitaine Coffin qui naviguait alors pour M. M. Fisher et Kidd, de Bristol, donna à la plus grande de ces îles, qui a six lieues de longueur, le nom d’Ile de Fisher, et à la seconde en grandeur, celui d’Ile de Kidd. Il nomma la troisième, Ile du Sud, et la quatrième Ile aux Tortues. Il ne donna point de noms aux deux autres, qui sont des îles rondes et élevées, à quatre milles environ à l’E.N.E. de l’île du Sud. Entre l’île de Fisher et celle de Kidd se trouve une baie de cinq milles de long sur deux de large. Le Capitaine Coffin y jetta l’ancre en un endroit qu’il nomma de son nom Port Coffin. Ce port est à l’abri de tous les vents, à l’exception de celui d’O.S.O. La baie abonde en poissons de toute espèce; et toutes ces îles sont couvertes de bois; l’eau douce y est abondante et d’une qualité excellente, et les tourtres, ou pigeons sauvages y sont à foison; mais ce qu’il y a de singulier, c’est que le capitaine Coffin n’y vit aucun quadrupède, reptile, ou insecte, pas même une fourmi; et il n’y remarqua rien qui indiquât que ces îles fussent, ou eussent jamais été habitées. La baie où le capitaine Coffin jetta l’ancre est par les 20°. 30’ de latitude septentrionale, et par tes 141° de longitude orientale, du méridien de Greenwich. Ces îles offrent une excellente relâche aux vaisseaux qui font la pêche de la baleine, ou qui vont de Canton à Port-Jackson, ou à la côte du Nord-ouest de l’Amérique.

MERVEILLES DE LA NATURE ET DE L’ART.

LES MINES DE SEL DE WICLITSKA.

Ces mines, situées à huit lieues de Cracovie, en Pologne, se trouvent dans une chaîne de collines qui se joint au nord avec le mont Krapach. Le sel qu’on en tire est appellé sel vert, quoique sa couleur soit gris de fer. Sa dureté égale celle de la pierre. Les mineurs, pour l’extraire, sont obligés de le couper à coups de pioches et de haches, en grandes pièces, dont plusieurs pèsent jusqu’à sept cents livres. L’étendue et la profondeur de cette mine font présumer qu’elle est inépuisable. Il y a plus de six cents ans qu’on l’exploite. Une des curiosités les plus remarquables qu’on y observe, ce sont de petites chapelles creusées dans le sel, où l’on dit la messe, certains jours de l’année. Il y en a une de trente pieds de long sur vingt-cinq de large. L’autel, le crucifix, les ornemens, les statues de plusieurs saints, tout y est de sel. La célébrité de ces mines est connue de tous les naturalistes, qui les regardent comme un des phénomènes les plus admirables dans l’histoire du globe.

FORTS VITRIFIÉS EN ÉCOSSE.

Les forts vitrifiés que l’on voit dans les Highlands, et qui y couronnent plusieurs montagnes, sont une singularité toute particulière à cette partie du globe. C’est près d’Inverness qu’était le plus considérable. Son enceinte intérieure était d’environ trois cents pieds de long sur cent de large, et sa défense se composait de deux murs de pierres de différente nature, agglomérées par la fusion: il en reste encore d’assez grandes masses. Les savans d’Ecosse se sont donné beaucoup de peines pour découvrir le procédé par lequel on avait pu mettre ces pierres en fusion, surtout dans un pays où le bois manque tout-à-fait. Toutes leurs conjectures n’ont jamais pu se convertir en certitude.

LES AIGUILLES DE CLÉOPATRE.

C’est le nom que l’on donne, à Alexandrie, à des obélisques placés sur l’extrémité orientale du port du levant, et tout près d’une grosse tour, qu’on nomme la Tour-ronde. Il y en a deux, l’un debout, et l’autre renversé; tous les deux sont d’un granit rouge de tuile, et couverts d’hiéroglyphes bien conservés sur quelques faces, et presque entièrement effacés sur d’autres. Il est vraisemblable qu’ils décoraient l’entrée du palais des Ptolémées, dont on voit les ruines à quelques pas de là. Mais l’inspection de l’état actuel de ces obélisques, et les cassures qui existaient, lors même qu’ils ont été dressés dans cet endroit, prouvent qu’ils étaient déjà fragmens à cette époque, et apportés de Memphis et de la haute Egypte. Ils sont à eux seuls un monument.

LES MARBRES DE PAROS.

C’est dans la ville d’Oxford, en Angleterre, que l’on trouve le monument chronologique le plus curieux qui soit au monde. Il consiste dans une collection de marbres qui contient les plus célèbres époques de l’ancienne Grèce, d’une manière bien plus authentique que l’histoire écrite. Cette collection embrasse une série de 1319 ans. Elle commence à Cecrops, premier roi d’Athènes, qui y régna 1582 ans avant l’ère chrétienne, et finit 263 ans avant la naissance de Jesus-Christ. Ces marbres, dont une partie est à Oxford, et l’autre à Londres, chez le comte d’Arundel, sont au nombre de 79. C’est à Thomas Howard comte d’Arundel, que l’on doit ce précieux monument d’histoire, qui fut découvert dans l’île de Paros.

LA MONTAGNE DE WINDSO EN LAPONIE.

Cette montagne est célèbre par un monument fameux, que tous les voyageurs se font un devoir d’aller visiter. Ce monument n’est autre chose qu’une pierre de forme irrégulière, de la hauteur d’un pied et demi sur trois pieds de largeur. Deux lignes fort droites, composées de caractères inconnus et longs d’un pouce, sont écrites sur une de ses faces. Ces caractères, gravés avec assez de profondeur, paraissent l’avoir été avec du fer. La tradition des habitans du pays est que c’est une inscription ancienne, qui contient de grands secrets. Mais quelle foi pourraiton ajouter au témoignage d’un peuple ignorant et sauvage, qui n’a ni annales ni histoire, et dans la position où se trouve la Laponie, on ne pourrait supposer qu’elle ait été habitée par une nation plus civilisée. Que conclure donc? Que cette inscription date d’une époque où cette triste contrée était sous l’influence d’un autre climat, et qu’elle y a été gravée avant qu’une de ces grandes révolutions que la terre a essuyées, ne s’y soit fait sentir.

LE CHÂTEAU DE BERTEAUME.

Ce château, que la nature ou l’art ont rendu imprenable, est situé sur un rocher, ou plutôt sur deux pointes dont l’élévation au-dessus du niveau de la mer est très considérable. Ces pointes que l’eau baigne des deux côtés forment deux îles. L’une d’elles est jointe par un pont à la terre ferme, mais on ne peut y parvenir que par des escaliers et des échelles. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est la manière dont la communication est établie entre les deux rochers. Elle se fait au moyen d’un bateau volant, qui glisse sur deux cordes, ou trailles comme les bacs qui vont sur l’eau. Le voyage aérien, pendant lequel on reste ainsi suspendu sur la mer, à une hauteur de quelques centaines de toises, est plus effrayant que dangereux.

(Merveilles du Monde.)

PSARA.

OU CHANT DE VICTOIRE DES OTTOMANS.

 

Sur l’air: A soixante ans on ne doit pas remettre.

 

Nous triomphons! Allah! gloire au prophète!

Sur ce rocher plantons nos étandards:

Ses défenseurs illustrant leur défaite,

En vain sur eux font crouler ses ramparts. (bis.)

Nous triomphons, et le sabre terrible

Va de la croix punir les attentats. (bis.)

Exterminons une race invincible:

Les rois chrétiens ne la vengeront pas. (bis.)

 

N’as-tu, Chio, pu sauver un seul être

Qui vînt ici raconter tous tes maux?

Psara tremblante eût fléchi sous son maître.

Où sont tes fils, tes palais, tes hameaux?

Lorsque la peste, en ton île rebelle,

Sur tant de morts menaçait nos soldats,

Tes fils mourants disaient: N’implorons qu’elle;

Les rois chrétiens ne nous vengeront pas.

 

Mais de Chio recommencent les fêtes:

Psara succombe, et voilà ses soutiens.

Dans le sérail, comptez combien de têtes

Vont saluer les envoyés chrétiens.

Pillons ces murs! de l’or! du vin! des femmes!

Vierges, l’outrage ajoute à vos appas:

Le glaive, après, purifiera vos âmes;

Les rois chrétiens ne vous vengeront pas.

 

L’Europe esclave a dit dans sa pensée:

Qu’un peuple libre apparaisse, et soudain. . . .

Paix! ont crié, d’une voix courroucée,

Les chefs que Dieu lui donne en son dédain.

Byron offrait un dangereux exemple;

On les a vus sourire à son trépas.

Du Christ lui-même allons souiller le temple:

Les rois chrétiens ne le vengeront pas.

 

A notre rage ainsi rien ne s’oppose;

Psara n’est plus; Dieu vient de l’effacer:

Sur ses débris le vainqueur qui repose

Rêve le sang qu’il lui reste à verser.

Qu’un jour Stamboul[1] contemple avec ivresse

Les derniers Grecs suspendus à nos mâts!

Dans son tombeau faisons rentrer la Grèce:

Les rois chrétiens ne la vengeront pas.

 

Ainsi chantait cette horde sauvage.

Les Grecs! s’écrie un barbare effrayé.

La flotte hellène a surpris le rivage,

Et de Psara tout le sang est payé.

Soyez unis, ô Grecs, ou plus d’un traître

Dans le triomphe égarera vos pas.

Les nations vous pleureraient peut-être:

Les rois chrétiens ne vous vengeraient pas.

De Beranger.


Nom turc de Constantinople.

LA PEINTURE.

On ne peut rien dire sur l’origine de la peinture: c’est un de ces arts nés de la civilisation, et il est à croire qu’on l’a cultivé avec plus ou moins de soin chez tous les peuples policés. Le dessin, qui en fait la base, l’a précédé; et on serait tenté de croire que la sculpture a précédé le dessin: on trouve des sauvages et des hommes grossiers qui taillent dans le bois ou sur la pierre des figures ou des ornemens, sans avoir la moindre idée du dessin ni de la peinture.

Les Grecs n’ont point inventé les arts; ils les ont reçus des Egyptiens et des Phéniciens; mais ils les ont portés à un tel degré de perfection, que c’est ordinairement chez eux que nous en allons chercher l’origine: il semble qu’il n’y ait rien au-delà. Selon Pline, la peinture n’existait pas du temps d’Homere: il tire son opinion de ce que ce poëte ne dit rien de ce qui a rapport à cet art, tandis qu’il indique la sculpture; et généralement la sculpture fut toujours plus cultivée que la peinture chez les Grecs. Pausanias ne cite que 88 peintures et 43 portraits, et il décrit 2827 statues. Sicyone et Corinthe se disputaient la gloire d’avoir inventé la peinture. Dans les commencemens, elle ne consistait que dans le dessin des contours; c’est ce qu’on appelle la peinture linéaire; Cleanthes de Corinthe passe pour en être l’inventeur: selon d’autres, Philocles l’Egyptien a l’honneur de cette invention. Dans la suite, on perfectionna ces contours, en y introduisant d’autres lignes ou des hachures. Les uns attribuent ce perfectionnement à Thelephanes de Sicyone; les autres à Cordices de Corinthe. On fit encore un pas, et l’on remplit l’intérieur de ces contours d’une seule couleur; c’est ce qu’on appellait monochrome. On attribue cette découverte à Cleophanes de Corinthe. Eumarus fut le premier qui fit distinguer le sexe. Cimon de Cléone indiqua les muscles et les vaisseaux sanguins; il perfectionna aussi le dessin des membres et de la draperie; il fit obliquer les figures, que l’on faisait toujours droites auparavant, et varia les attitudes, en les faisant regarder de profil ou derrière. Avant Cimon, tout était informe dans la peinture; les figures, vues de profil, ne se présentaient que sous un seul aspect; les habillemens étaient exprimés tout aussi simplement; une draperie n’était qu’un morceau d’étoffe qui n’offrait qu’une surface unie: entre les mains de Cimon, cette draperie prit un caractère: il s’y forma des plis, et l’on apperçut dessous le relief du corps. Le premier tableau dont il soit question dans les auteurs anciens est celui de la bataille des Magnésiens en Lydie: il fut exécuté par Bularchus. Ce tableau fut acheté au poids de l’or par Candaule, roi de Lydie. Il a été fait avant la dix-huitième olympiade. Depuis Bularchus, il y a une lacune très considérable dans l’histoire de la peinture: elle est d’environ deux siècles et demi. Pline cite Phidias, ce célèbre statuaire, parmi les peintres, pour quelques tableaux qu’il exécuta: il vivait 445 ans avant notre ère. Son frère, Panænus, était regardé comme le meilleur peintre de son temps; ce fut lui qui peignit la bataille de Marathon, qui ornait le Pæcile d’Athènes. L’art avait fait de grands progrès, à cette époque: Polignote et Mycon, contemporains de Panænus, contribuèrent beaucoup à ses progrès; mais il paraît que l’époque de la plus grande splendeur de la peinture ne commença que vers la 91e. olympiade, et l’on trouve, à la tête des peintres célèbres, qui préparèrent cette perfection, Apollodore d’Athènes. Selon Plutarque, il fut le premier qui sut donner à ses tableaux le mérite du clair obscur. Zeuxis d’Héraclée, qui vivait environ 400 ans avant J.-C., continua ce qu’Apollodore avait si bien commencé. Enfin Apelles parut, et il surpassa tous les peintres qui l’avaient précédé. Il réunit dans ses ouvrages ce qui constitue le beau par excellence, la simplicité et la grâce.—Alexandre le crut seul digne de faire son portrait.

La peinture passa de la Grèce à Rome, mais ne s’y fit remarquer par aucun progrès; elle dégénéra sous les empereurs, et il n’en resta, pour ainsi parler, qu’un souvenir dans la Grèce, qui faisait partie du vaste empire romain. Ce fut en Italie, dans le cours du XIIIe. siècle, qu’elle commença à reparaître: le sénat de Florence fit venir de Constantinople plusieurs artistes, qui s’établirent dans cette ville, et qui y formèrent des élèves, par lesquels le goût des arts du dessin s’est développé, s’est propagé en Italie, et de là dans toute l’Europe. A partir de Cimabue, un des premiers élèves des Grecs, la peinture a toujours été en se perfectionnant, jusqu’à Michel-Ange et Raphael.

La peinture à l’huile était inconnue aux anciens; ils ne se servaient que de couleurs détrempées avec de l’eau, et plus ou moins gommées; ou d’un enduit de cire, que l’on appelait peinture à l’encaustique. On attribue communément l’invention de la peinture à l’huile à Jean Van-Eyk, plus connu sous le nom de Jean de Bruges, qui a vécu au commencement du XVe. siècle. L’huile dont on se sert est celle que l’on exprime des noix. On dit que Van-Eyk confia son secret à un certain Antonello, ou Antoine de Messine, qui passa de Flandres à Venise, où il faisait valoir cette découverte, qu’il tenait cependant toujours très cachée. On ajoute que Jean Bellin, peintre en réputation et son contemporain, brulant du désir de savoir comment Antoine donnait tant de force, d’union et de douceur à sa peinture, s’habilla en noble Vénitien, et alla trouver Antoine pour faire peindre son portrait. Le peintre déguisé sous les dehors d’un homme opulent, trompa son confrère, qui agit devant lui avec trop de confiance et sans précaution. Jean Bellin, instruit du nouveau procédé, en profita, et c’est ainsi que cette invention fut connue de tous les peintres.

Comme nous, les anciens avaient fait du paysage un genre de peinture à part: dans les temps modernes, ce furent les Flamands qui rétablirent l’ordre dans cette partie de l’art, confondue avec toutes les autres, en faisant des tableaux où les paysages furent le sujet principal, et les figures les accessoires. En Italie, le Titien et les Carrache ont excellé dans le paysage; et c’est par eux que s’ouvre la liste des paysagistes célèbres.

On doit l’invention du panorama à M. Robert Barker, peintre d’Edinbourg. Elle a été introduite en France par M. Fulton, Américain, et perfectionnée par son compatriote, M. James, à l’aide des artistes français Fontaine, Prevot et Bourgeois.—Petit Dictionnaire des Inventions, &c.

ÉCHECS.

Le jeu des échecs fut inventé dans l’Inde: voici de quelle manière.

Au commencement du cinquième siècle de l’ère chrétienne, un monarque indien opprimait ses sujets, et méprisait les remontrances que lui faisaient à cet égard les prêtres et les grands. Un bramine nommé Sissa, fils de Daher, touché des malheurs de sa patrie, voulut essayer si, à la faveur d’une espèce d’apologue, il ne parviendrait pas à faire rougir le prince de l’oubli de ses devoirs; et dans cette vue il imagina le jeu des échecs, où le roi, quoique la plus importante de toutes les pièces, est impuissant pour attaquer, et même pour se défendre contre l’ennemi, sans le secours de ses soldats et de ses sujets. Le pieux artifice réussit complètement, et le prince fut si content de la manière délicate avec laquelle le bramine lui avait fait sentir ses torts, qu’il lui laissa le choix d’une récompense. Le philosophe indien demanda qu’on lui donnât le nombre de grains de bled que produirait le nombre des cases de l’échiquier: un seul pour la première, deux pour la seconde, quatre pour la troisième, et ainsi de suite, en doublant toujours, jusqu’à la soixante-quatrième. Le roi le trouva modeste, et accorda sans réflexion; mais ses trésoriers lui apprirent bientôt que la somme de ces grains de bled devait s’évaluer à 16384 villes, dont chacune contiendrait 1024 greniers dans chacun desquels il y aurait 174762 mesures, et dans chaque mesure 32768 grains. Le bramine qui n’avait voulu que lui donner une seconde leçon, saisit cette occasion de lui faire sentir combien il importe aux souverains de se tenir en garde contre ceux qui les entourrent.—Ibid.

MONUMENT DE WOLFE ET MONTCALM.

 

(Inscription.)

 

HUNC LAPIDEM

MONUMENTI IN MEMORIAM

VIRORUM ILLUSTRIUM

WOLFE ET MONTCALM,

FUNDAMENTUM

P. C.

GEORGIUS COMES DE DALHOUSIE,

IN SEPTENTRIONALIS AMERICÆ PARTIBUS

AD BRITANNOS PERTINENTIBUS

SUMMAM RERUM ADMINISTRANS;

OPUS PER MULTOS ANNOS PRÆTERMISSUM,

(QUID DUCI EGREGIO CONVENIENTIUS!)

AUCTORITATE PROMOVENS, EXEMPLO STIMULANS,

MUNIFICENTIA FOVENS,

Die Novembris XVe.

A. S. MDCCCXXVII.

GEORGIO IV. BRITANNIARUM REGE.

ANTIQUITÉS.

Le professeur Seyffarth, de Leipsic, qui est maintenant à Naples, a déchiffré, durant un séjour de trois mois à Rome, un grand nombre d’antiquités égyptiennes, trouvées dans le Vatican, le Capitole, la Propagande, et la Villa Albani. Outre les treize obélisques romains, il a examiné les statues et les manuscrits sur papyrus qui se trouvent à Rome. Ces derniers sont principalement historiques, et ont rapport à l’histoire d’Egypte, depuis Meno jusqu’aux Romains. Le professeur Seyffarth a trouvé l’Ancien et le Nouveau Testament dans le dialecte sésitique; le Pentateuque dans le dialecte memphitique; et les actes du concile de Nicée dans la langue copte, avec le zodiaque méxicain; ce qui ne laisse plus aucun doute sur les relations du Méxique avec l’Egypte, dans les temps anciens, et confirme l’harmonie de leur système mythologique.—(Foreign Quarterly Review.)

Un très beau bâtiment, que l’on croit avoir été construit par Tibere, a été submergé à une époque très reculée, dans le lac Némi, situé à cinq lieues de Rome. D’après les traditions du pays, ce bâtiment renferme, avec des objets précieux, un grand nombre d’antiquités curieuses. Déja deux tentatives ont été faites pour retirer du fond de l’eau le bâtiment, ou du moins les choses rares qu’il peut contenir. Le premier essai eut lieu dans le XVe. siècle, par les ordres du cardinal Prosper Colonne, et le résultat fut l’extraction de plusieurs morceaux de plomb et de bronze, sur l’un desquels on lisait, très bien gravé, le nom de Tiberius Cæsar. En 1535, le célèbre architecte Marchi fit une seconde tentative, qui, sans être entièrement inutile, ne fut pas néanmoins plus décisive que la précédente. Ce travail vient d’être repris par M. Annesio Tusconi, Romain, qui a perfectionné la machine propre à manœuvrer sous l’eau. Cette machine est en état d’agir; elle est partie de Rome et arrivée à Némi. Les expériences ne tarderont pas à commencer.—(Notizie del Giorno.)

VERS.

Epigramme faite par Collet, auteur du seizième siècle, à l’occasion d’un tableau de l’Enfer, peint dans le cloître des Cordeliers de Troyes.

Aux Cordeliers un Painctre d’excellence

Paignoit enfer, à le veoir bien horrible,

Dedans lequel il meist en évidence

Papes, Roys, Ducz, souffrant peine terrible;

De tous états il y meist le possible.

Quelqu’un voyant cela lui feist demande

Pourquoi c’estait qu’en cette peine grande,

En ce palud et horrible manoir,

Un Cordelier, un moine blanc ou noir,

N’y estoit painct. Lors le painctre répond:

Il y en a; mais on ne les peult veoir,

Pour ce qu’ils sont cachez au plus profond.

———————

Henri IV envoya d’Aubigné en plusieurs provinces, et ne lui donna pour toute récompense que son portrait. D’Aubigné mit au bas ce quatrain:

Ce prince est d’étrange nature;

Je ne sais qui diable l’a fait:

Car il récompense en peinture

Ceux qui le servent en effet.

LA REPONSE TROP VRAIE.

 

Je suis pauvre, et pour moi l’on a que du mépris!

S’écriait, l’autre jour, le malheureux Fabrice

Quelqu’un lui dit: Mon cher, pauvreté n’est pas vice,

    Ah! répondit-il, c’est bien pis.

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

Le 5, à Montréal, Mr. Benj. Roy, à Dlle. Eugénie Gosselin;

Le 18, Mr. T. D. Harris, Marchand, à Dlle. Lucy Charles;

Le 26, J. B. Chevalier de Lorimier, Ecuyer, de St. Régis, à Dlle Marguerite Rousseau, de Montréal.

DÉCÉDÉS:

A St. Valentin, près de l’Isle aux Noix, le 27 d’Octobre dernier, Joseph Duqui, mendiant, âgé de 99 ans et 7 mois;

A Montréal, le 5 du présent mois, subitement, à l’âge de 70 ans environ, Clément Sabrevois de Bleury, Ecuyer, ci-devant Major au 3e bataillon de la milice incorporée, et Capitaine au corps des Voltigeurs Canadiens;

Le 6, Messire Simon Boussin, Prêtre du Séminaire de Montréal, âgé d’environ 50 ans, de la fièvre (typhus) contractée en administrant les consolations de la religion à une famille émigrée d’Irlande;

Le même jour, Dame Radegonde Henriette Delisle, épouse de Lawrence Castle, Ecuyer;

Le même jour, Dame Julie Smith, épouse de Mr. J. C. Gundlack.

Le 7. Mr. J. H. Sauve, Étudiant en droit;

Le même jour, à L’Assomption, Mr. George Woolrich, âgé de 21 ans;

A la Nouvelle-Orléans, le 11, Mr. C. B. Pasteur, ci-devant Avocat de Montréal;

Le 16, à Chambly, (noyé) Charles Fremont, Ecuyer, Lieut.-Colonel de milice, et Traducteur Français de la Chambre d’Assemblée;

Le 25, à la Côte St. Antoine, Mr. Philippe Leduc, âgé de 87 ans. Ce respectable vieillard était père et grand-père de 91 enfans et petits-enfans.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 6, Novembre, 1827. edited by Michel Bibaud]