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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 5, Octobre, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 9, 2020

Date last updated: May 9, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome V. OCTOBRE, 1827. Numero 5.

HISTOIRE DU CANADA.

A peu près dans le même temps que le fort de Chambly fut assiégé, c’est à dire vers le commencement de Novembre 1687, quarante Onnontagués s’approchèrent de Catarocouy, et enlevèrent d’auprès de ce fort trois soldats et la demoiselle d’Alonne.

M. d’Orvilliers à qui cette demoiselle trouva moyen de faire savoir le malheur qui lui était arrivé, envoya proposer aux sauvages une conférence dans le lieu même où ils s’étaient arrêtés: ils l’acceptèrent; et le P. de Lamberville, qui se trouvait alors à Catarocouy, voulut bien se charger d’aller négocier avec eux. Le missionnaire commença par leur demander pourquoi ils avaient commis cet acte d’hostilité contre les Français, qui n’étaient en guerre que contre les Tsonnonthouans. Ils lui répondirent, qu’en arrêtant leurs chefs, Ononthio avait rompu la paix. Après s’être efforcé de les adoucir sur ce point, le P. Lamberville leur présenta deux colliers, l’un pour les engager à ne faire aucun mal à leurs prisonniers, et l’autre, pour les exhorter à ne point entrer dans la querelle des Tsonnonthouans, qui s’étaient attiré mal-à-propos, leur dit-il, l’indignation de leur père. Les sauvages reçurent les colliers, et l’on se sépara. Les prisonniers furent conduits à Onnontagué, où on les traita assez bien; mais les colliers furent envoyés au gouverneur de la Nouvelle York.

Environ un mois après, un envoyé du colonel Dongan arriva à Québec, avec une lettre de ce gouverneur, qui demandait l’explication de ces colliers. M. de Dénonville, qui n’était pas encore informé du fait, répondit de bouche, qu’il enverrait sa réponse, lorsqu’il saurait de quoi il s’agissait. Il fit en effet partir, peu de temps après, pour Manhatte, le P. Le Vaillant, à qui il recommanda de ne faire aucune proposition au colonel Dongan, mais de savoir seulement si ce gouverneur en avait quelqu’une à lui faire. L. P. Le Vaillant se mit en chemin le 31 Décembre 1687. Dans le premier entretien qu’il eut avec le gouverneur anglais, il ne put rien tirer de lui, sinon qu’il n’avait envoyé un exprès au marquis de Dénonville que pour avoir l’explication des deux colliers que le P. de Lamberville avait présentés aux Onnontagués. Peu-à-peu néanmoins, le missionnaire parvint à engager Dongan à s’expliquer davantage, et ce gouverneur lui déclara enfin nettement, que les Français ne devaient espérer de paix avec les Iroquois qu’à ces quatre conditions: 1o. qu’on ferait revenir de France les sauvages qu’on y avait envoyés pour servir sur les galères; 2o. qu’on obligerait les Iroquois chrétiens du Sault St. Louis et de la Montagne à retourner dans leur pays; 3o. qu’on raserait les forts de Niagara et de Catarocouy; 4o. qu’on restituerait aux Tsonnonthouans tout ce qui avait été enlevé de leurs villages.

Ayant congédié le missionnaire français, le colonel Dongan manda à Orange les principaux chefs des cinq cantons, auxquels il dit, que le gouverneur-général du Canada l’avait envoyé prier de ménager le paix entr’eux et lui; qu’il n’avait pas jugé à propos de refuser d’entrer en négociation et qu’il avait proposé des conditions dont ils auraient tout lieu d’être contents. Après leur avoir expliqué ces conditions, il ajouta, suivant Charlevoix, “qu’il désirait qu’ils missent bas la hache, mais qu’il ne voulait pas qu’ils l’enterrassent: qu’ils devaient se contenter de la cacher sous l’herbe, afin de la pouvoir reprendre aisément, quand il en serait besoin; que le roi son maître lui avait défendu de leur fournir des armes et des munitions, s’ils continuaient de faire la guerre aux Français, mais que cette défense ne devait point les alarmer; que si Ononthio rejettait les conditions qu’il lui avait proposées, ils ne manqueraient de rien de ce qui leur serait nécessaire pour se faire justice; qu’il le leur fournirait plutôt à ses dépens, que de les abandonner dans une si juste cause; que ce qu’il leur conseillait présentement, c’était de se tenir sur leurs gardes, de peur de quelque nouvelle trahison de la part de leurs ennemis, et de faire secrètement leurs préparatifs pour fondre sur eux, par le lac Champlain et par Catarocouy, quand ils seraient obligés de recommencer la guerre.”

Les députés iroquois comprirent tout ce que le gouverneur voulait leur faire entendre. L’hiver de 1688 se passa assez tranquillement, mais dès que la navigation fut libre, vingt ou trente Iroquois attaquèrent un convoi qui venait de Catarocouy à Montréal, et tuèrent quelques uns de ceux qui le conduisaient. Ces barbares montraient évidemment par là qu’ils ne voulaient pas entendre parler de paix. Cependant les P. P. Le Vaillant et de Lamberville parvinrent à persuader aux cantons d’Onnontagué, d’Onneyouth et de Goyogouin d’envoyer des députés à Montréal. Ces députés, arrivés à Catarocouy, demandèrent au commandant de la place de leur donner un guide qui pût les conduire sûrement. M. d’Orvilliers leur donna le sieur de La Perelle, son lieutenant, lequel s’étant embarqué avec ces sauvages, fut assez surpris de se trouver au milieu de six cents hommes de guerre, bien armés, et d’en être reçu d’une manière à lui faire craindre qu’il ne fût leur prisonnier. Ils n’avaient pourtant voulu que se divertir, en lui faisant peur. Ils rencontrèrent, au lac St. François, un autre corps de leurs guerriers également nombreux, s’y arrêtèrent, et laissèrent La Perelle continuer sa route, avec les seuls députés, jusqu’à Montréal. Ils y trouvèrent le gouverneur-général, qui leur donna audience sur le champ. Haaskouaun, chef de la députation, commença par exposer, en termes extrêmement emphatiques, la situation avantageuse des Cantons, la faiblesse des Français, et la facilité qu’aurait sa nation à les exterminer, ou à les chasser du Canada.

“Pour moi, ajouta-t-il, j’ai toujours aimé les Français, et je viens d’en donner une preuve qui n’est point équivoque; car ayant appris le dessein que nos guerriers avaient formé de venir bruler vos forts, vos maisons et vos grains, afin d’avoir bon marché de vous, après vous avoir affamés, j’ai si bien sollicité en votre faveur, que j’ai obtenu la permission d’avertir Ononthio qu’il pouvait éviter ce malheur, en acceptant la paix aux conditions proposées par Corlar. Au reste, je ne peux vous donner que quatre jours pour vous résoudre: si vous différez davantage à prendre votre parti, je ne réponds plus de rien.”

Un discours si fier, et douze cents Iroquois au lac St. François, d’où, en moins de deux jours, ils pouvaient tomber sur l’île de Montréal, jettèrent la consternation dans tous les esprits. Pour comble de disgrâce, on venait d’apprendre la mort du chevalier de Troye et de toute la garnison de Niagara; et l’on savait que depuis Sorel jusqu’à la Prairie de la Magdeleine, les habitans ne pouvaient sortir de chez eux, sans courir le risque de tomber entre les mains de quelque parti ennemi. Il parait pourtant que le gouverneur attendit plus de quatre jours pour faire sa réponse; car dans l’intervalle, on apprit que huit cents Iroquois, (remontés probablement du lac St. François,) avaient investi Catarocouy et avaient tué tous les bestiaux, et brulé tous les foins, au moyen de flêches allumées; et qu’ils ne s’étaient éloignés de ce fort, que par le caprice, ou la reconnaissance de leur principal chef, dont le neveu, depuis longtemps prisonnier des Français, venait de lui être rendu.

Quoiqu’il en soit, M. de Dénonville, dissimulant ses craintes, ou rassuré par la tournure que paraissaient prendre les affaires, répondit enfin à la députation iroquoise, qu’il consentirait volontiers à la paix, mais qu’il ne la donnerait qu’à ces conditions, 1o. que tous ses alliés y seraient compris; 2o. que les cantons d’Agnier et de Tsonnonthouan lui enverraient aussi des députés: 3o. que toute hostilité cesserait de part et d’autre: 4o. qu’il pourrait en toute liberté ravitailler le fort de Catarocouy. Il consentait à la démolition du fort de Niagara, et il promettait de faire revenir prochainement les Iroquois envoyés en France. Il avait même déjà écrit en cour, pour solliciter le rappel de ces prisonniers, et il avait prié le ministre des colonies de les faire ramener en Canada, par M. Serigny, un des fils du sieur Lemoyne, qui entendait la langue des Iroquois, et s’était fait estimer de ces sauvages. Ces conditions furent acceptées, et la trève fut conclue sur le champ. Les députés consentirent à laisser cinq d’entr’eux pour otages, afin d’assurer un convoi que l’on préparait pour Catarocouy; et l’on convint que s’il survenait quelque hostilité de la part des alliés des Français, pendant la négociation, elle ne ferait rien changer à ce qui venait d’être résolu. Cependant, ce convoi étant en marche, conduit par MM. de Callières et de Vaudreuil, et escortés par des sauvages domiciliés, les Iroquois en enlevèrent un canot; et peu après, d’autres guerriers de la même nation reparurent dans les habitations françaises. Ils furent poursuivis et dissipés. On apprit des prisonniers que c’était le colonel Dongan qui les avait sollicités à faire cette irruption; ce qui surprit d’autant plus, qu’il avait reçu depuis quelque temps les lettres du roi d’Angleterre, pour le renouvellement du traité de neutralité, et qu’il en avait fait remettre un duplicata à M. de Dénonville, en lui renvoyant la demoiselle d’Alonne et douze autres prisonniers français, avec promesse de faire retirer des villages iroquois tous les Français qui y étaient détenus comme captifs.

M, de Dénonville voulait, comme nous venons de le voir, que les alliés de la colonie fussent compris dans le traité de paix; mais soit qu’on n’eût pas eu le temps d’instruire ces peuples des intentions du gouverneur, soit qu’ils fussent persuadés que les Iroquois ne traiteraient pas de bonne foi, presque tous parurent mécontents des négociations. Quelques uns, et surtout les Hurons de Michillimakinac, prirent même les mesures les plus propres à rendre impossible la conclusion d’un traité dont ils craignaient d’être les premières victimes. Ils avaient pour chef Kondiaronk, surnommé Le Rat par les Français, homme d’esprit d’une bravoure à toute épreuve, et d’une habileté consommée. Ayant donné parole de faire bonne guerre aux Iroquois, il partit de Michillimakinac, avec une troupe choisie de Hurons, et prit sa route par Catarocouy: il y apprit qu’on négociait un accommodement avec les Cantons; que le traité était fort avancé, et que le gouverneur attendait, à Montréal, des ambassadeurs et des otages de la part de toute la nation iroquoise. Le commandant de Catarocouy lui ajouta, que ce qu’il avait de mieux à faire dans une pareille circonstance, était de s’en retourner à Michillimakinac, avec ses guerriers, et qu’il désobligerait infiniment M. de Dénonville, s’il faisait la moindre hostilité contre les Iroquois.

Kondiaronk parut d’abord un peu surpris de cette nouvelle: il se posséda néanmoins; et quoique persuadé qu’on sacrifiait sa nation et ses alliés, il ne lui échappa aucune plainte. Il partit de Catarocouy, laissant les Français dans la pensée qu’il reprenait le chemin de son village: mais s’étant informé de la route que devaient suivre les députés et les otages iroquois, il alla les attendre à l’Anse de la Famine, où il leur dressa une ambuscade. Après les y avoir attendus quelques jours il les vit paraître, les lais-sa s’approcher, et fondit sur eux, au moment où ils débarquaient de leurs canots, sans la moindre méfiance. Quoique surpris, ils voulurent se défendre; mais la partie était trop inégale; il y en eut quelques uns de tués; tous les autres furent faits prisonniers.—Téganissorens, qui était du nombre de ces derniers, lui ayant demandé comment il avait pu ignorer qu’il était ambassadeur, et qu’il avait été envoyé pour traiter avec leur père commun, et chercher les moyens de parvenir à une paix solide entre toutes les nations, le fourbe fit semblant d’être encore plus étonné que lui, et protesta que c’étaient les Français eux-mêmes qui l’avaient envoyé à l’Anse de la Famine, en l’assurant qu’il y rencontrerait un parti de guerriers iroquois, qu’il lui serait très facile de surprendre et de défaire; et pour lui prouver qu’il parlait sincèrement, il le relâcha sur l’heure, avec tous ses gens, à l’exception d’un seul, qu’il voulait retenir, disait-il, pour remplacer un des siens, qui avait été tué.

On prétend que Kondiaronk alla seul à Catarocouy, après son exploit, et que quelqu’un lui ayant demandé d’où il venait, il répondit qu’il venait de tuer la paix; expression dont on ne comprit pas d’abord le sens, mais dont on eut bientôt l’explication par un de ses prisonniers, qui s’était enfui à Catarocouy, et que l’on renvoya aussitôt vers ses compatriotes, pour les convaincre que les Français n’avaient eu aucune part à la perfidie des Hurons.

Quoiqu’il en soit de cette anecdote, Kondiaronk se rendit en hâte à Michillimakinac, et dès qu’il y fut arrivé, livra son prisonnier à M. de la Durantaye. Ce commandant, qui n’était pas encore informé des négociations du gouverneur-général avec les Cantons, condamna le malheureux à passer par les armes.—Il eut beau protester qu’il était ambassadeur, et que les Hurons l’avaient pris en trahison; Kondiaronk avait prévenu tout le monde que la tête lui avait tourné, et que la crainte de la mort le faisait extravaguer. Dès qu’il fut mort, le rusé chef fit venir un vieil Iroquois, qui était depuis long temps captif dans son village, lui donna la liberté, et lui recommanda, en le renvoyant dans son pays, d’instruire ses compatriotes de ce qui venait de se passer sous ses yeux, et de leur apprendre que tandis que les Français amusaient les Cantons par des négociations feintes, ils faisaient faire des prisonniers sur eux, et les fusillaient.

Un stratagême si bien conduit devait avoir son effet. Néanmoins, détrompés apparemment de la prétendue mauvaise foi du gouverneur-général, les Cantons avaient résolu de lui envoyer de nouveaux députés: ces députés étaient même déjà nommés et sur le point de se mettre en route pour Montréal, lorsqu’un exprès du chevalier Andrews, qui avait remplacé le colonel Dongan, dans le gouvernement de la Nouvelle York, arriva à Onnontagué, et défendit aux Cantons de traiter avec les Français sans la participation de son maître. Il ajouta que le gouverneur prenait les Iroquois sous sa sauve-garde, et les assurait de la protection du roi d’Angleterre, qui les considérait comme ses enfans, et ne les laisserait jamais manquer de rien de ce qui leur serait nécessaire.

Le chevalier écrivit en même temps au marquis de Dénonville, qu’il ne devait pas se flatter de faire la paix avec les Iroquois à d’autres conditions que celles qui avaient déjà été proposées par son prédécesseur: qu’au reste, il était disposé à bien vivre avec lui, et qu’il avait interdit aux Anglais de sa dépendance toute hostilité sur les terres dépendantes des Français.

Cette déclaration du chevalier Andrews par rapport aux Iroquois, jetta d’abord la consternation dans la Nouvelle France. Le sentiment de la crainte, celui même du désespoir y devait être tout naturel, vu le peu de secours qu’on recevait de France et le peu de ressources qu’offrait la colonie. Au milieu des inquiétudes et des appréhensions auxquelles elle était presque continuellement en proie, et en conséquence des pertes que lui causaient annuellement les incursions des Iroquois, sa population ne pouvait pas s’accroître bien rapidement: par le recensement de cette année 1688, elle se trouva être d’onze mille deux cent quarante neuf personnes; ou d’un peu plus de douze mille, en y comprenant celle de l’Acadie. Le commerce des pelleteries était partagé avec les Anglais: les pêcheries du golfe et des côtes adjacentes étaient, on ne peut plus, négligées: et à l’exception du sieur Riverin, qui établit, sur un grand plan, des pêches sédentaires dans le fleuve St Laurent, particulièrement aux environs de Matane, les Canadiens et les Français établis en Canada étaient généralement peu industrieux et peu entreprenants. A la vérité, quelques uns se montraient actifs et entendus dans la traite des pelleteries chez les tribus sauvages; mais ce commerce enlevait alors, comme il a fait depuis, un grand nombre de bras à l’agriculture, et nuisait infiniment au progrès de la population.

Cependant l’indignation de voir une poignée de sauvages tenir en échec tout un grand pays, ayant bientôt succédé à la crainte, on forma un dessein qui aurait pu passer pour hardi, quand même l’état de la Nouvelle France aurait été aussi florissant qu’il était déplorable; ce fut de conquérir la Nouvelle York.—Le chevalier de Callières en ayant communiqué le projet à M. de Dénonville, passa en France pour le proposer à la cour, comme le seul moyen de prévenir l’entière destruction de la colonie française du Canada.

(A continuer.)

PETITE BIOGRAPHIE des DÉPUTÉS de FRANCE,

SECOND EXTRAIT.

Berthier (le Comte Ferdinand de.) Son père et son grand-père furent deux des premières victimes de la révolution; il n’est donc pas surprenant que ce député soit exclusivement monarchique. Obligé d’opter entre la place de conseiller d’état et son indépendance, il garda celle-ci, et sacrifia la première. Il est à la fois l’adversaire né des libéraux, et un ennemi redoutable du ministère.

Bertin de Vaux. Tant que son ami, M. de Chateaubriand eut le portefeuille, ce député fut du ministérialisme; le noble Vicomte renvoyé, M. Bertin de Vaux fit de l’opposition, et il en fera probablement jusqu’à ce qu’on ait rendu à son ami le portefeuille. Jeannot était propriétaire d’un couteau qui avait usé cinq lames et trois manches, et pourtant c’était, à son avis, le même couteau. M. Bertin de Vaux est propriétaire d’un journal qui présente le même phénomène: l’esprit, l’opinion, les rédacteurs et le titre en ont été changés à plusieurs reprises, et cependant c’est toujours le même journal et le même propriétaire. Ce député est, au reste, un écrivain distingué: il a prononcé quelques discours très remarquables, et il est auteur d’une foule d’articles qui ont valu de nombreux abonnés au Journal des Débats.

Biancour (de.) Il donne sa voix aux ministres, qui en échange, lui donnent des indigestions.

Blangy, (le Comte de.) Député du centre, il ne demande que deux choses aux ministres qu’il sert: des places pour lui et de l’argent pour les ecclésiastiques.

Boin. Médecin de Bourges, qui fait d’assez beaux discours à ses malades, et des ordonnances pour les ministres, dont il est le plus assidu et le plus intrépide convive. Assez d’autres discutent sur les sujets: M. Boin, lui, les dissèque. Les principes de ce médecin ne sont pas solides; mais on assure qu’il y a du remède.

Boisbertrand (Bessieres de.) Le plus fidèle et le plus dévoué serviteur des ministres. Il entreprendrait, pour leur plaire, de prouver qu’ils sont de grands hommes, et que trois valent mieux que cinq.

Boisclaireau (le Comte de.) Envoyé à la Chambre par le pays des poulardes (Mans,) il n’est pas étonnant qu’il soit partisan des truffes. Il siège au centre.

Bonnet. On assure qu’il ne fut pas toujours blanc. Il défendit jadis le général Moreau; il défend aujourd’hui M. de Villèle. Il fallait beaucoup de courage pour défendre le rival de Napoléon: il en faut encore plus pour défendre le ministre des finances. M. Bonnet, vient d’être nommé conseiller de la cour de cassation.

Borel de Bretizel. Ce député a professé un inviolable attachement pour les 8 ou 10 gouvernemens qui se sont succédés depuis la révolution. Semblable au tournesol, il s’est constamment tourné vers le soleil levant; ce qui ne l’empêche pas d’être blanc, quand les circonstances l’exigent.

Boucher. Négociant à Laigle, il peut-être l’aigle des négocians, mais il n’est pas celui des législateurs.

Boulard. L’amour du père de ce député pour les bouquins égale presque celui de M. de Corbière. C’est le seul rapprochement que l’on puisse faire entre ces personnages; car M. Boulard n’a jamais voté pour les ministres.

Bourdeau. Les libéraux le disent ultra; les ultra le disent ministériel, et les ministériels l’accusent de faire de l’opposition: nous croyons qu’ils ont tous raison.

Bouville (le Marquis de.) La liberté et l’égalité n’ont pas de plus redoutable adversaire: chaque fois qu’il s’agit de combattre ces deux enfans de la révolution, ce député, malgré son grand âge, descend dans l’arène.... Est-on marquis pour rien?

Bressaut de Raze. Ce député ne dit rien: on assure qu’il n’en pense pas davantage.

Bricourt de Cautraine. Honorable député qui fait de bons diners et de belles révérences. C’est le modèle des solliciteurs et le Cicéron de la clôture.

Brillet de Villemorge. On l’accusait d’être le très humble serviteur de tous les ministres; nous pensions que c’était une calomnie; vérification faite, il s’est trouvé que ce n’était qu’une médisance.

Bruyeres Chalabre (le comte de.) Est-il ministériel ou ne l’est-il pas? Ses amis disent non, et ses ennemis oui. Si M. le Comte savait parler, il nous en dirait bien davantage!

Bucelle. Le ministre des finances a dit à M. Bucelle: “Je suis un grand génie;” et M. Bucelle a répondu: “Comme il vous plaira, Monseigneur.”—“J’espère que vous serez des nôtres.”.... et M. Bucelle a ouvert de grands yeux—“Nous vous pousserons;”—et M. Bucelle a ri.—“Je vous destine une recette générale;” et M. Bucelle s’est incliné. Depuis lors, ce député ne connaît rien au-dessus d’un ministre des finances.

Bully (de). Pénétré de la sagesse de ce proverbe, Trop parler nuit, M. Bully se tait.

Burosse (le Baron de). M. de Burosse n’a encore parlé qu’une fois à la tribune: il s’agissait des sels; craignant sans doute d’être accusé de contrebande, l’orateur n’en avait pas mis dans son discours.

Calemard de la Fayette. C’est un procureur du roi, dont le talent est mince, la tournure lourde, et l’ambition large: il est taillé pour faire son chemin.

Carcaradec (de). Il a été tout surpris, un beau matin, de se réveiller député. Il a pris M. de Corbière pour chef de file, et M. Piet pour enseigne.

Casteja (le Comte de). Député par ordre, ce préfet parle et vote par ordre. Il vit entre la crainte du ministère et l’espoir de la pairie.

Caumont Laforce (le Comte de). C’est un franc royaliste, qui n’a jamais transigé avec sa conscience, et dont les opinions n’ont point varié. Il parle peu: c’est un des bons colonels de la garde nationale parisienne.

Chabrillan (le Marquis de). C’est le député le plus assidu aux séances de la chambre; il pourrait même au besoin lui servir de pendule. Jamais cinq heures ne sonnent sans qu’aussitôt M. Chabrillan ne se lève pour proposer de remettre la séance au lendemain. Un orateur l’ayant qualifié du titre de représentant, M. le marquis se mit en colère, et soutint qu’il ne représentait rien.

Champflour (de). Il sollicite une place dans les finances; M. de Villèle la lui a promise, et il vote comme s’il la tenait: il a la bonhommie de croire qu’un ministre ne peut manquer à sa parole.

Chebrou de la Rouliere (le Chevalier de). On disait que ce député ne faisait rien à la chambre; nous pouvons affirmer qu’il fait nombre.

Chevenon de Bigny (le Comte de). Le plus inconnu de tous les députés passés et présents.

Cholet (le Baron de). Solliciteur avant tout; ici, comme à la chambre, M. le Baron tient peu de place.

Civrac (le Marquis de). Quelquefois nécessaire à la chambre, quand on reclame l’ordre du jour; mais indispensable dans cet ouvrage qui réclame l’ordre alphabétique.

Colligny (de). Le résultat des démarches que nous avons faites pour savoir à quoi ce député employait le tems de la session, est que lorsqu’il ne mange pas, il dort, et que lorsqu’il ne dort pas, il mange—chez les ministres, bien entendu.

(A continuer.)

LE MUSÉUM DE NEW-YORK, &c.

EXTRAIT D’UN VOYAGE MANUSCRIT.

New-York, Août 1819.

Des jardins de Vauxhall nous sommes revenus au Muséum, qui comprend plusieurs pièces assez grandes, dans un bâtiment considérable, qui appartient à la ville. Son établissement est d’une date assez récente. Le nombre des objets qui le composent ne serait pas sans doute propre à exciter une curiosité bien vive pour ceux qui ont vu des cabinets de cette espèce en Europe. Ils pourraient cependant admirer la propreté et l’ordre qui règnent dans celui-ci; la perfection avec laquelle plusieurs des animaux sont empaillés, et qui sont pour ainsi dire vivants; la beauté des oiseaux, celle des coquillages. J’ai remarqué entre autres objets dignes d’une attention particulière, une momie indienne, (tel est le nom qu’on lui donne ici,) trouvée à l’ouest des Apalaches, dans un tombeau de sauvages de ce pays. La figure est extrêmement bien conservée. Les traits, la couleur même de la peau, se rapprochent beaucoup de l’état naturel. Il est difficile d’imaginer comment des sauvages ont pu trouver le moyen d’embaumer un corps, de le conserver d’une manière aussi parfaite, à moins que l’on ne suppose que c’est, comme dans quelques autres lieux, l’effet de la nature du sol dans lequel le tombeau se trouvait placé. Si j’ai été bien informé, ce n’est pas la cause de cet effet surprenant. On prétend qu’il est absolument dû à l’art. D’ailleurs, si c’était dû à la nature du terrain dans lequel il était placé, le changement et le transport l’auraient détruit, comme cela arrive toujours.

On montre dans le même bâtiment une pièce dans laquelle on a rassemblé un assez bon nombre de tableaux, parmi lesquels il s’en rencontre quelques uns de bons, entre un grand nombre de communs et d’autres qui sont même au-dessous du médiocre. On y trouve des portraits faits par des peintres des Etats-Unis. On imagine bien que c’est à peu près le seul genre dans lequel ceux de ce pays puissent s’exercer avec quelque succès. Il en est de bons parmi ceux que j’ai vus de leurs mains, ici et ailleurs. On a ménagé aussi dans le fond de l’appartement un petit cabinet dans lequel se trouvent rangés un assez grand nombre de plâtres modelés sur des antiques, que l’on voit dans les grands cabinets de l’Europe. On remarque entre autres un Apollon du Belvédère, une Vénus, &c. On peut encore visiter sous le même toit une couple d’autres pièces dans lesquels on a commencé, depuis quelques années, à rassembler plusieurs objets, des fossiles surtout, relatifs à l’histoire naturelle et particulièrement à celle des Etats-Unis. Les membres d’une Société qui s’est formée à New-York pour l’avancement de cette science, s’assemblent aussi dans cette maison, à des intervalles réglés. Cet établissement est trop récent pour qu’on y ait fait encore des collections bien nombreuses. Mais le grand point est de commencer. L’émulation règne ici sur cet article, comme sur beaucoup d’autres. Un Canadien, en voyant des institutions aussi utiles, est réduit à déplorer l’apathie qui règne dans son pays, où quelques-unes des sciences relatives à l’histoire naturelle, qui ont fait, depuis environ un siècle en Europe, des progrès si étonnants, et qui commencent à être cultivées ici avec tant de succès, sont à-peu-près inconnues. Excepté peut-être quelques professeurs de nos collèges, qui n’en peuvent même avoir que des connaissances assez faibles, peut-être aussi quelques médecins, qui ont étudié ailleurs, à peine trouverait-on un petit nombre de personnes, même dans les villes, qui aient quelque teinture de Botanique, de Chymie, encore moins de Minéralogie, de Géologie, &c. ces termes seraient à-peu-près même inintelligibles pour des personnes qui passent parmi nous pour éclairées, et qui en réalité le sont beaucoup sous d’autres rapports. Il faut l’avouer, l’Histore Naturelle est beaucoup trop négligée en Canada. Celle du pays est pour ainsi dire inconnue à ses propres habitans. La Botanique, quoique notre pays soit un des plus riches qu’il y ait au monde en plantes médicinales, n’y est pas même cultivée, et personne ne songe à en faire naître le goût.—Nos médecins d’aujourd’hui ne font en général que très peu d’usage des ressources que le pays leur offre en ce genre, pour le traitement de leurs malades. La raison en est sensible: on ne peut désirer la possession d’un bien dont on n’a pas même l’idée. Les Américains, au contraire, sans avoir parmi eux un très grand nombre de personnes qui puissent à proprement parler mériter le nom de savants, ont beaucoup d’hommes instruits, qui sentent de quel avantage il est pour un pays d’encourager l’étude des sciences, et quel honneur c’est pour un peuple de les cultiver.

L’Éducation est si commune aussi, et si généralement répandue dans la masse du peuple, qu’il se trouve dans toutes les classes des hommes disposés à seconder par tous les moyens possibles, les vœux, les sentimens, les projets, les efforts des amateurs, pour étendre la sphère des connaissances en tout genre, et multiplier les moyens de les propager. Aussi ceux qui ont commencé ces collections ont-ils éprouvé des secours puissants ou au moins très multipliés. Un grand nombre de personnes de tout état, surtout celles qui voyagent, ont contribué à augmenter ces collections, surtout celle du Muséum, dont je viens de parler, aussi bien que celui de Philadelphie, en s’empressant d’envoyer aux particuliers qui les ont formées, tout ce qui a pu leur tomber sous la main d’intéressant en fait d’histoire naturelle, ou de curiosités, &c. C’est à ces secours qu’on doit la plûpart des pièces de ces cabinets. Je dois ajouter que le goût de cette science est même assez répandue pour que les propriétaires soient aussi dédommagés, jusqu’à un certain point, de leurs soins et des peines qu’ils se sont données pour les rassembler, par la petite rétribution que paie chacun de ceux qui viennent visiter ces cabinets. On n’y est admis qu’en payant un quart de piastre. Et cela ne laisse pas que de former un revenu assez considérable, au bout de l’année. Je n’y ai pas été de fois cette année, et dans mes autres voyages, que je n’y aie rencontré d’autres personnes, quelquefois en assez grand nombre. C’est surtout le soir qu’il est de ton de s’y rendre: alors l’appartement est éclairé avec art, et on peut quelquefois y passer agréablement une partie de la soirée.

Je ne saurais m’empêcher d’ajouter que le gouvernement, l’administration, et assez généralement ceux qui ont quelque influence dans le pays, par leur rang, leur crédit, leur fortune, travaillent, pour ainsi dire, de concert, à nourrir le goût des sciences, à exciter dans toutes les classes le désir de travailler à leur avancement. Chez nous, le peuple et ses représentans font, depuis bien des années, de vains efforts pour parvenir à l’établissement d’Ecoles de paroisses, sur un pied qui puisse les mettre à même de fleurir.[1] Quelle perspective! Que de choses à dire sur ce sujet, fécond en tristes pensées et en douloureux souvenirs! En voici un entre mille autres qui pèse sur l’âme d’un citoyen Canadien, quand ce sujet intéressant vient fixer son attention. Une superbe maison, le plus beau temple peut-être qui ait été élevé aux Muses, de ce côté de l’océan Atlantique, et dans l’Amérique du Nord, sert maintenant de casernes. De grands biens attachés à cet établissement, donnés pour subvenir aux frais de l’éducation et la répandre, sont en régie, depuis un grand nombre d’années. Ils ne sont point encore rendus à leur destination, quoique Sa Majesté George III. n’ait jamais voulu consentir à en disposer contre la volonté et les vues respectables, et on peut dire inviolables, des fondateurs. Mais me voilà encore hors de route. C’est de New-York dont il devrait être question et uniquement dans cette lettre, d’autant surtout que nous sommes obligés de le laisser demain. Nous nous proposons d’y passer quelques jours à notre retour, et je m’étendrai un peu plus au long sur ce chapitre.—A demain.

Adieu.         D.


On a pourtant dans la Session de 1824, passé une loi pour faciliter l’établissement et la dotation d’Ecoles de paroisses. Les dispositions n’en sont pas sans doute aussi libérales qu’elles le devraient être. C’est au moins un pas de fait. Mais les biens des Jésuites restent en régie. On en emploie les revenus à tout autre chose que l’objet auquel ils étaient destinés, et pour lequel ils ont été donnés à la société qui le possédait; et le collège qu’elle avait bâti et soutenait pour remplir les engagemens qu’elle avait contractés, en recevant ces biens, est employé à loger des soldats. Et c’est dans un pays où on a souvent reproché aux Canadiens leur ignorance, le manque d’établissement d’éducation parmi eux! c’est aux Catholiques, qui forment plus des neuf-dixièmes de la population, qu’on adresse ces reproches!—et ces biens à qui devaient-ils appartenir? De qui viennent-ils? A qui et à quelles fins ont-ils été donnés par ceux qui en étaient les propriétaires?

D.

LE SIÈCLE DE LOUIS XIV.

Qu’il est noble et grand ce siècle de Louis XIV, où la civilisation s’offre brillante de tout l’éclat de la jeunesse! Dans sa folâtre effervescence, elle se couronne de fleurs et elle sourit d’amour, sur le trône que le temps lui a préparé. Tous les arts, toutes les gloires, se grouppent autour d’elle, pour orner son triomphe. On ne sait s’il faut attribuer l’apparition de tant de génies, dans tous les genres, à une prodigalité de la nature plutôt qu’aux influences morales de l’époque, ou même à la science du prince qui, né pour sentir tous les talens, leur donne une vie nouvelle, en les rapprochant du trône. Le siècle de Louis XIV offre à la pensée le printemps de la civilisation: son automne, où son fruit sera cueilli dans sa maturité, arrivera plus tard, après la saison brûlante des foudres et des orages. Que de larmes seront répandues, que de sang sera versé, avant que la civilisation soit descendue du sommet de l’édifice social jusqu’à sa base!

Louis XIV paraît trop dans son siècle; les peuples n’y paraissent point assez; et quand il a dit: L’état, c’est moi, il exprima sa pensée dominante, et il a fourni à l’histoire, dans un seul trait, le tableau de son règne. Au milieu de ce concert de louanges qui s’élèvent autour de lui, l’oreille est attristée; il lui semble entendre le son monotone et faux de l’adulation. L’histoire a rayé de ses pages immortelles ces flatteries prodiguées sans mesure à un monarque caressé longtemps par la victoire et par la fortune. Louis XIV est resté seul en présence de tant de chefs-d’œuvre; mais son ombre, majestueuse et fière, semble encore exciter les inspirations du génie, et lui montrer de loin le temple de la gloire. A ses côtés, une cohorte de talens, un peuple de grands hommes, arrivent jusqu’à nous, sur les ailes des souvenirs: on dirait une caravane brillante, qui voyage vers la postérité, en traversant les champs du passé. Quels flots de gloire! quelle abondance de miracles! Ici, Corneille élève les âmes par la majestueuse énergie de ses vers; là, Racine attendrit les cœurs, et sa Muse mélodieuse, en disant les ravages des passions, répand un baume consolateur sur les infortunes humaines; plus loin, le sévère Boileau promène son compas réformateur sur toutes les difformités morales: dédaignant les enchantemens de l’imagination et les brûlantes inspirations du cœur, il fut poëte à force d’esprit et de goût.

Mais qu’entends-je! C’est le grand Bossuet qui célèbre les solennités de la tombe: indigné de ne trouver au fond des choses humaines que le néant, le voila qui du haut de la chaire évangélique appelle à grands cris l’immortalité. Que son éloquence est magnifique! comme elle retentit douloureusement dans les profondeurs du cercueil! A ses côtés, Bourdaloue aussi vrai, quoique moins sublime, élève l’édifice de la morale et de la foi sur des bases à la fois brillantes et solides. Massillon vient après: plus rhéteur, moins inspiré, il ose faire entendre, dans un langage harmonieux, des vérités sévères; tandis que Fenelon, offrant des leçons à l’avenir, cherche, dans l’idéal des mœurs antiques, un modèle qui puisse guider les civilisations modernes. Partout la voix d’un génie réformateur se fait entendre: dans les temples, il a pour organes Bossuet, Bourdaloue, Fénélon: Molière est son interprète dans les fêtes publiques; avec quelles armes victorieuses ce dernier attaque le ridicule, ce grotesque enfant d’une barbarie expirante et d’une civilisation qui s’essaie à la vie!.... Il est secondé par le piquant et ingénieux Labruyere, qui sait fixer sous sa plume les traits de ces ridicules de mœurs plus que de caractère, qu’on apperçoit d’autant moins qu’ils inondent et fascinent la société toute entière....

Mais quel est cet homme inapperçu dans la foule, signalé par la gloire? C’est le bon Lafontaine, le dieu de l’allégorie: le plus paresseux des poëtes de son siècle, il s’est chargé de la tâche la plus difficile dans ce grand travail de la pensée humaine, dont Louis XIV semble avoir si habilement distribué les rôles. Tandis que d’autres réformaient les ridicules, il réformait les vices: pour les extirper, il orna son scalpel de fleurs, afin de cacher à la nature malade l’appareil de la blessure. Qu’il est sublime dans sa simplicité! qu’il est énergique dans ses grâces naïves! Il est inimitable à la fois et par la supériorité de son génie et par l’espèce de bonheur avec lequel il fut servi par la langue française. Jeune encore, elle conservait dans ses tours tout le folâtre abandon de l’enfance: aux jours de sa maturité, sa hardiesse, son énergie, eussent épouvanté l’apologue.

Parmi tant de poétiques richesses et parmi ce luxe des arts, on eût dit que la civilisation était descendue sur la terre du haut de ces régions élevées où elle domine les flots toujours mobiles des pensées humaines: Perrault et Mansard eussent été dignes d’élever un palais à cette déité aérienne; Le Sueur et Le Poussin auraient orné ce beau séjour par leurs immortelles productions: Lulli et Rameau eussent fait entendre quelques savants accords autour du berceau de l’harmonie française.

A côté de ce glorieux spectacle, que le siècle de Louis XIV préparait à la postérité, d’autres merveilles se présentent. Voyez-vous Turenne et Condé, Luxembourg et Villars, qui défendent par le courage et le génie cette patrie, devenue si noble et si belle, depuis qu’elle est la mère de tant de grands hommes! La couronne de la victoire s’entrelace parmi les lauriers du Parnasse; c’est la réunion de tous les talens, l’hymen de toutes les gloires. Avec quelle solennité inattendue les organes de la justice sont rendus par les Lamoignon, par les d’Aguesseau! Tout est empreint d’un appareil de grandeur et de magnificence: on dirait que tout ce règne n’est qu’une fête, et que tout y participe à la majesté du trône.

Le reste de la rouille des vieilles mœurs disparut pour jamais devant cet accroissement prodigieux du génie français. Ici, le triomphe de la civilisation est si grand, qu’on l’aurait crue arrivée à sa plus grande hauteur, si l’étude des époques qui suivirent n’apprenait que l’esprit humain avait d’autres profondeurs, d’autres abîmes, vierges encore de la main du temps et cachés sous le voile de l’avenir. Sans vouloir contester d’ailleurs la prééminence de ce siècle merveilleux, il est à remarquer que les lumières s’y répandirent d’une manière fort inégale sur la surface du corps social. Le trône, par une attraction toute puissante, attirait tout à lui; et tous les grands hommes dont il recevait tant d’éclat, imitaient ces satellites enflammés qui roulent autour du soleil avec une égale constance: on eût dit qu’il y avait comme une solidarité de gloire entre un grand prince et les grands hommes qui l’entourraient. Le pouvoir absolu de Louis XIV. entraînait dans sa sphère les seules choses qui résistent ordinairement à son action, la fierté du génie et l’indépendance de l’héroïsme. Cette grandeur colossale de la royauté obscurcissait un peu la grandeur des peuples; et le vulgaire de la nation, qui voyait avec étonnement passer tant de gloire au-dessus de lui, restait indifférent pour elle. D’ailleurs, lorsque les miracles des arts éclatent tout-à-coup chez un peuple que la civilisation trop paresseuse n’avait pas assez préparé à ce grand spectacle, il les voit avec stupeur plutôt qu’avec ravissement, et dans son indifférence, il joue avec des chefs-d’œuvre et folâtre avec la gloire.....

Sous un prince tel que Louis XIV, et dans la situation où se trouve un peuple, en passant sous un tel sceptre, on n’est pas tout-à-fait libre, on n’est pas tout-à-fait esclave: on est libre un peu moins qu’on ne voudrait l’être; on est esclave un peu plus qu’on ne le voudrait. Quand une grande destinée est sur le trône, les peuples s’attachent à elle ou par admiration ou par amour: le prince, ou ce qui l’entourre préoccupe toutes les pensées; on est fier de vivre sous ses lois, et l’obéissance devient une espèce de gloire....

Quand Louis XIV eut monté sur le trône, toute la nation fut inondée par l’éclat d’une grandeur inattendue. Les factions se turent, non qu’elles fussent comprimées, mais parce qu’elles se laissaient aller à l’enivrement général: la ridicule guerre de la Fronde ne fut qu’une débauche de l’esprit de liberté; dans les loisirs d’une minorité et dans la mollesse d’une régence, on avait l’air de conspirer pour passer le temps: la nation ressemblait alors à une multitude assemblée pour un magnifique spectacle, et qui folâtre, en attendant le lever de la toile. Et quel spectacle que celui où les Louis XIV, les Corneille et les Bossuet, les Turenne et les Condé, les Molière, les Boileau, les Pascal, apparaissaient sur la scène du monde, et avaient le genre humain pour spectateur!

Sous Louis XIV, la civilisation fut plus littéraire que politique. Sous les Seguier, les Lamoignon, les Talon, les Bignon, les Pussort, le chaos de la législation subit, il est vrai, d’utiles réformes; mais on ne faisait qu’élaguer quelques ronces: le terrain restait toujours encombré de leurs nombreuses racines. La grande question de l’origine des pouvoirs grondait toujours au-dessus des trônes, comme le vague murmure d’un orage lointain....

Ce siècle, que l’Europe a vu si grand, eut, comme toutes les choses humaines, les jours brillants de l’adolescence, l’éclat de l’âge mûr, et les tristes langueurs de la vieillesse; il lui était réservé de montrer à la fois toute la pompe et tout le néant des terrestres destinées....

Tout ne fut pas profit pour la civilisation sous ce règne noble et brillant. La révocation de l’édit de Nantes fut un échec pour elle; mais, aidée par les lumières, elle franchit sans faillir cet écueil, que l’imprudence de Louis XIV avait placé sur ses pas.

Tableau historique des progrès de la civilisation en France.

L’IROQUOISE.

HISTOIRE, OU NOUVELLE HISTORIQUE,

Traduite librement du Truth-Teller.

Il y a quelques années, un monsieur, qui voyageait de Niagara à Montréal, arriva, de nuit, au Côteau du Lac. Ne pouvant se loger commodément dans l’une des deux chétives auberges de l’endroit, il alla prendre gîte chez un cultivateur des environs.—Comme son hôte l’introduisait dans la chambre où il devait coucher, il y apperçut un portefeuille de voyage, agraphé en argent, et qui contrastait avec la grossièreté des meubles de la maison. Il le prit et lut les initiales qu’il y avait sur le fermoir. “C’est une affaire curieuse,” lui dit son hôte, “et plus vieille que vous et moi.”—“C’est sans doute,” répondit l’étranger, “quelque relique, dont vous aurez hérité.”—“C’est quelque chose comme cela,” répartit l’hôte: il y a dedans une longue lettre, qui a été pour nous jusqu’à présent comme du papier noirci. Il nous est venu en pensée de la porter au P. M......, aux Cèdres; mais j’attendrai que ma petite fille, Marie, soit en état de lire l’écriture à la main.... “Si la chose ne vous déplaît pas,” dit l’étranger, “j’essaierai de la lire.” Le bon-homme consentit avec joie à la proposition: il ouvrit le portefeuille, prit le manuscrit, et le donna à l’étranger. “Vous me faites beaucoup de plaisir,” lui dit-il; “ç’aurait été, même plus tard, une tâche difficile pour Marie; car comme vous voyez, le papier a changé de couleur, et l’écriture est presque effacée”....

Le zèle de l’étranger se ralentit, quand il vit la difficulté de l’entreprise. “C’est, sans doute, quelque vieux mémoire de famille,” dit-il, en déployant le manuscrit d’un air indifférent—“Tout ce que je sais,” reprit l’hôte, “c’est que ce n’est point un mémoire de notre famille: nous sommes, depuis le commencement, de simples cultivateurs, et il n’a rien été écrit sur notre compte, à l’exception de ce qui se trouve sur la pierre qui est à la tête de la fosse de mon grand-père, aux Cèdres. Je me rappèle, comme si c’était d’hier, de l’avoir vu assis dans cette vieille chaise de chêne, et de l’avoir entendu nous raconter ses voyages aux lacs de l’ouest, avec un nommé Bouchard, jeune Français, qui fut envoyé à nos postes de commerce. On ne parcourait pas le monde alors, comme on fait à présent, pour voir des rapides et des chutes.”

“C’est donc,” dit l’étranger, dans l’espoir d’obtenir enfin la clef du manuscrit, “quelque récit de ses voyages.”

“Oh! non, répartit le bon-homme. Bouchard l’a trouvé sur le rivage du lac Huron, dans un lieu solitaire et sauvage. Asseyez-vous, et je vais vous raconter tout ce que j’en ai entendu dire à mon grand-père: le bon vieillard; il aimait à parler de ses voyages.” Le petit-fils l’aimait aussi, et l’étranger écouta patiemment le long récit que lui fit son hôte, et qui, en substance, se réduit à ce qui suit:

Il paraît que vers l’année 1700, le jeune Bouchard et ses compagnons, revenant du lac Supérieur, s’arrêtèrent sur les bords du lac Huron, près de la baie de Saguinam. D’une éminence, ils apperçurent un village sauvage, ou dans leur terme de voyageurs, une fumée. Bouchard envoya ses compagnons avec Sequin, son guide sauvage, à ce village, afin d’y obtenir des canots pour traverser le lac; et en attendant leur retour, il chercha un endroit où il pût se mettre à couvert. Le rivage était rempli de rochers et escarpé; mais l’habitude et l’expérience avaient rendu Bouchard aussi agile et aussi hardi qu’un montagnard suisse: il descendit les précipices, en sautant de rocher en rocher, sans éprouver plus de crainte que l’oiseau sauvage qui vole au-dessus et dont les cris seuls rompent le silence de cette solitude. Ayant atteint le bord du lac, il marcha quelque temps le long de l’eau, jusqu’à ce qu’ayant dépassé une pointe de roche, il arriva à un endroit qui lui parut avoir été fait par la nature pour un lieu de réfuge. C’était un petit espace de terre, en forme d’amphithéâtre, presque entièrement entourré par des rochers, qui saillant hardiment sur le lac, à l’extrémité du demi-cercle, semblaient y étendre leurs formes gigantesques pour protéger ce temple de la nature. Le terrain était probablement inondé après les vents d’est; car il était mou et marécageux; et parmi les plantes sauvages qui le couvraient, il y avait des fleurs aquatiques. Le lac avait autrefois baigné ici, comme ailleurs, la base des rochers; elle était quelquefois douce et polie, quelquefois rude et hérissée de pointes. L’attention de Bouchard fut attirée par des groseilliers qui s’étaient fait jour à travers les crevasses des rochers, et qui, par leurs feuilles vertes et leurs fruits de couleur de pourpre, semblaient couronner d’une guirlande le front chauve du précipice. Ce fruit est un de ceux que produisent naturellement les déserts de l’Amérique du Nord, et sans doute il parut aussi tentatif à Bouchard que l’auraient pu faire, dans les heureuses vallées de France, les plus délicieux fruits des Hespérides. En cherchant l’accès le plus facile à ces groseilles, il découvrit dans les rochers, une petite cavité, qui ressemblait tellement à un hamac, qu’il semblait que l’art s’était joint à la nature pour la former. Elle avait probablement procuré un lieu de repos au chasseur ou au pêcheur sauvage, car elle était jonchée de feuilles sèches, de manière à procurer une couche délicieuse à un homme accoutumé depuis plusieurs mois à dormir sur une couverture de laine étendue sur la terre nue. Après avoir cueilli les fruits, Bouchard se retira dans la grotte et oublia pour un temps qu’il était séparé de son pays par de vastes forêts et une immense solitude. Il écouta les sons harmonieux des vagues légères qui venaient se briser sur les roseaux et les pierres du rivage, et contempla la voute azurée des cieux et les nuages dorés de l’été. Enfin perdant le sentiment de cette douce et innocente jouissance, il tomba dans un sommeil profond, dont il ne fut tiré que par le bruit de l’eau fendue par des avirons.

Bouchard jetta ses regards sur le lac, et vit s’approcher du rivage un canot où il y ayait trois sauvages, un vieillard, un jeune homme et une jeune femme. Ils débarquèrent non loin de lui, et sans l’appercevoir, gagnèrent l’extrémité opposée du demi-cercle. Le vieillard s’avança d’un pas lent et mesuré, et levant une espèce de porte formée de joncs et de tiges flexibles, (que Bouchard n’avait pas remarquée,) ils entrèrent tous trois dans une cavité du rocher, y déposèrent quelque chose qu’ils avaient apporté dans leurs mains, y demeurèrent quelque temps prosternés, et retournèrent ensuite à pas lents à leur canot. Bouchard suivit des yeux la frêle nacelle sur la verte surface du lac, et tant qu’il la put voir, il entendit la voix mélodieuse de la jeune femme, accompagnée, à des intervalles réguliers, par celles de ses compagnons, chantant, comme il se l’imaginait, l’explication de leur culte silencieux; car leurs gestes expressifs semblaient montrer d’abord le rivage et ensuite la voute du ciel.

Dès que le canot eut disparu, Bouchard quitta sa couche, et se rendit à la cellule. Il se trouva que c’était une excavation naturelle, assez haute pour admettre debout un homme de taille ordinaire, et s’étendant en profondeur à plusieurs pieds, après quoi, elle se réduisait à une simple fente entre deux rochers.—D’un côté, un petit ruisseau pénétrait par le toit vouté, et tombait en gouttes de crystal dans un bassin naturel, qu’il avait creusé dans le roc. Au centre de la grotte était un tas de pierres en forme de pyramide, et sur cette pyramide une soutanne et un bréviaire. A côté étaient les offrandes que Bouchard venait d’y voir déposer. Il allait les examiner, quand il entendit le coup de sifflet donné pour signal par son guide; il y répondit par le son de son cor, et au bout de quelques momens, Sequin descendit du précipice, et fut à côté de lui. Bouchard lui conta ce qu’il avait vu, et Sequin, après un moment de réflexion, dit: “Ce doit être l’endroit dont j’ai si souvent entendu parler nos anciens; un homme de bien y est mort. Il fut envoyé par le Grand Esprit pour enseigner de bonnes choses à notre nation, et les Hurons ont encore plusieurs de ses maximes gravées dans leur cœur. Ils disent qu’il a jeuné tout le temps de sa vie, et qu’il doit se régaler maintenant: c’est pourquoi ils lui apportent des provisions de leurs festins. Voyons quelles sont ces offrandes”.... Sequin prit d’abord un tortis fait de fleurs et de rameaux toujours verts: “C’est, dit-il, une offrande de noces;” et il en conclut que le jeune couple était marié depuis peu. Ensuite venait un calumet. “C’est (dit Sequin,) un emblême de paix; le don d’un vieillard: et ceci (ajouta-t-il, déroulant une peau qui enveloppait quelques épis mûrs de blé-d’inde,) ce sont les emblêmes de l’abondance et des occupations différentes de l’homme et de la femme:—le mari fait la chasse aux chevreuils, et la femme cultive le maïs....”

Bouchard prit le bréviaire, et en l’ouvrant, un manuscrit tomba d’entre ses feuillets: il le saisit avec empressement, et il allait l’examiner, quand son guide lui fit remarquer la longueur des ombres sur les lacs, et l’avertit que les canots seraient prêts au lever de la pleine lune. Bouchard était un bon catholique, et comme tous les bons catholiques, un bon chrétien: il honorait tous les saints du calendrier, et révérait la mémoire d’un homme de bien, quand même il n’avait pas été canonnisé. Il fit le signe de la croix, dit un Pater, et suivit son guide au lieu du rendez-vous. Il conserva le manuscrit comme une relique sainte; et celui qui tomba dans les mains de notre voyageur, chez le cultivateur canadien, était une copie qu’il en avait tirée, pour l’envoyer en France. L’original avait été écrit par le P. Mesnard, dont la mémoire vénérée avait consacré la cellule du lac Huron et contenait les particularités suivantes.

Le P. Mesnard reçut son éducation au séminaire de St. Sulpice. Le dessein courageux et difficile de propager la religion chrétienne parmi les sauvages du Canada, paraît s’être emparé de bonne heure de son esprit, et lui avoir inspiré l’ardeur d’un apôtre et la résolution d’un martyr. Il vint en Amérique sous les auspices de Madame de Bouillon, qui, quelques années auparavant, avait fondé l’Hotel-Dieu de Montréal. De son aveu et avec son aide, il s’établit à un petit village d’Outaouais, sur les bords du lac St. Louis, au confluent de la Grande-Rivière et du fleuve St. Laurent. Ses pieux efforts gagnèrent quelques sauvages au christianisme et aux habitudes de la vie civilisée; et il persuada à d’autres de lui amener leurs enfans, pour être façonnés à un joug qu’ils n’étaient pas en état de porter eux-mêmes.

Un jour, un chef outaouais amena au P. Mesnard deux jeunes filles, qu’il avait enlevées aux Iroquois, nation puissante et fière, jalouse des empiétemens des Français, et résolue de chasser de son territoire tous ceux qui faisaient profession d’enseigner ou de pratiquer la religion catholique. Le chef outaouais présenta les jeunes filles au père, en lui disant: “Ce sont les enfans de mon ennemi, de Talasco, le plus puissant chef des Iroquois, l’aigle de sa tribu: il déteste les chrétiens: fais des chrétiennes de ses deux filles, et je serai vengé.” C’était la seule vengeance à laquelle le bon père eût voulu prendre part. Il adopta les jeunes filles au nom de l’église de St. Joseph, à qui il les consacra, se proposant, lorsqu’elles seraient parvenues à l’âge de faire des vœux volontaires, de les leur faire prendre parmi les religieuses de l’Hotel-Dieu. Elles furent baptisées sous les noms de Rosalie et de Françoise. Elles vécurent dans la cabane du P. Mesnard, et y furent soigneusement accoutumées aux prières et aux pénitences de l’église. Rosalie était naturellement dévote: le père rapporte plusieurs exemples étonnants de ses mortifications volontaires: il loue la piété de Rosalie avec l’exultation d’un véritable enfant de l’église; cependant, la religion à part, il semble avoir eu plus de tendresse pour Françoise, qu’il ne nomme jamais sans quelque épithète qui exprime l’affection ou la piété. Si Rosalie était comme le tournesol, qui ne vit que pour rendre hommage à un seul objet, Françoise ressemblait à une plante qui étend ses fleurs de tous côtés, et fait part de ses parfums à tous ceux qui s’en approchent. Le P. Mesnard dit qu’elle ne pouvait pas prier en tout temps; qu’elle aimait à se promener dans les bois, à s’asseoir au bord d’une cascade, à chanter une chanson de son pays natal, &c. Elle évitait toute rencontre avec les Outaouais, parce qu’ils étaient les ennemis de ses compatriotes. Le P. Mesnard se plaint qu’elle omettait quelquefois ses exercices de piété; mais il ajoute qu’elle ne manquait jamais aux devoirs de la bienfaisance.

Un jour que le P. Mesnard était allé aux Cèdres, pour une affaire de religion, Françoise entra en hâte dans la cabane. Rosalie était à genoux devant un crucifix. Elle se leva, en voyant entrer sa sœur, et lui demanda, d’un ton de reproche, où elle avait été courir? Françoise lui répondit qu’elle venait des sycomores, chercher des plantes, pour teindre les plumes des souliers de noces de Julie.

“Tu t’occupes trop de noces,” répartit Rosalie, “pour une personne qui ne doit penser qu’à un mariage céleste.”—“Je ne suis pas encore religieuse,” répartit Françoise. “Mais, Rosalie, ce n’était pas des noces que je m’occupais: comme je revenais par le bois, j’ai entendu des gens parler; nos noms ont été prononcés; non pas nos noms de baptême, mais ceux que nous portions à Onnontagué.”—“Surement, tu n’as pas osé t’arrêter pour écouter,” s’écria sa sœur. “Je n’ai pu m’en empêcher, Rosalie, c’était la voix de notre mère.”

Des pas qui s’approchaient, en ce moment, firent tressaillir les deux jeunes filles: elles regardèrent, et virent leur mère, Genanhatenna, tout près d’elles. Rosalie tomba à genoux devant le crucifix; Françoise courut vers sa mère, dans le ravissement d’une joie naturelle. Genanhatenna, après avoir regardé ses enfans en silence, pendant quelques instans, leur parla avec toute l’énergie d’une émotion puissante et irrésistible. Elle les conjura, leur ordonna de s’en retourner avec elle vers leur nation.—Rosalie écouta froidement, et sans rien dire les paroles de sa mère; Françoise, au contraire, appuya la tête sur ses genoux, et pleura amèrement. Sa résolution était ébranlée: Genanhatenna se lève pour partir; le moment de la décision ne pouvait plus se différer. Alors Françoise presse contre ses lèvres la croix qui pendait à son cou, et dit: “Ma mère, j’ai fait un vœu chrétien, et je ne dois pas le violer.”

“Viens donc avec moi, dans le bois,” répartit la mère; “s’il faut que nous nous séparions, que ce soit là. Viens vite, le jeune chef Allewemi m’attend; il a exposé sa vie pour venir avec moi ici. Si les Outaouais l’apperçoivent, leurs lâches esprits les feront se glorifier d’une victoire sur un seul homme.”

“N’y vas pas,” lui dit tout bas Rosalie; “il n’y a pas de sureté, à quelques centaines de pas de nos cabanes.” Françoise était trop émue pour pouvoir écouter les conseils de la prudence: elle suivit sa mère. Lorsqu’elles furent arrivées dans le bois, Genanhatenna renouvella ses pressantes instances. “Ah! Françoise, dit-elle, on te renfermera dans des murs de pierre, où tu ne respireras plus l’air frais; où tu n’entendras plus le chant des oiseaux, ni le murmure des eaux. Ces Outaouais chrétiens ont tué tes frères: ton père était le plus grand arbre de nos forêts; mais maintenant ses branches sont toutes coupées ou desséchées: et si tu ne reviens pas, il meurt sans laisser après lui un seul rejetton. Hélas! hélas! j’ai mis au monde des fils et des filles, et il faut que je meure sans enfans.”

Le cœur de Françoise fut attendri. “Je m’en retourne, je m’en retourne avec toi, ô ma mère, s’écria-t-elle; promets-moi seulement que mon père me permettra d’être chrétienne.”

“Je ne le puis, Françoise,” répliqua Genanhatenna: “ton père a juré par le dieu d’Areouski, que nul chrétien ne vivra parmi les Iroquois.”

“Alors, ma mère,” dit Françoise, reprenant toute sa résolution, “il faut que nous nous séparions. J’ai été marquée de cette marque sainte, dit-elle, en faisant le signe de la croix, et je ne dois plus hésiter.”

“En est-il ainsi,” s’écria sa mère; et refusant d’embrasser sa fille, elle se frappa les deux mains, et poussa un cri qui retentit dans toute la forêt. Il y fut répondu par un cri plus sauvage encore, et en un moment, Talasco et le jeune Allewemi furent près d’elles. “Tu es à moi,” cria Talasco, “vive ou morte, tu es à moi.” La résistance aurait été vaine. Françoise fut placée entre les deux sauvages, et entrainée.... Comme ils sortaient du bois, ils furent rencontrés par un parti de Français, armés et commandés par un jeune officier avide d’aventures. Il apperçut au premier coup d’œil l’habillement européen de Françoise, comprit qu’elle devait être captive, et résolut de la délivrer. Il banda son fusil et visa Talasco: Françoise fut prompte à se mettre devant lui, et cria, en français, qu’il était son père. “Délivrez-moi, dit-elle, mais épargnez mon père; ne le retenez pas: les Outaouais sont ses ennemis mortels: ils lui feront souffrir mille tourmens avant de le mettre à mort, et sa fille en sera la cause.”

Talasco ne dit rien: il se prépara à l’issue, quelle qu’elle dût être, avec une fortitude sauvage. Il dédaigna de demander la vie qu’il aurait été fier de sacrifier sans murmure, et lorsque les Français défilèrent à droite et à gauche, pour le laisser passer, il marcha seul en avant, sans qu’un seul de ses regards, un seul mot de sa bouche témoignât qu’il croyait recevoir d’eux une faveur. Sa femme le suivit. “Ma mère,” lui dit Françoise, de la voix de la tendresse, “encore un mot avant de nous séparer.”

“Encore un mot!” répondit Genanhatenna: “oui;” ajouta-t-elle, après un moment de silence, “encore un mot—vengeance. Le jour de la vengeance de ton père viendra: j’en ai entendu la promesse dans le souffle des vents et le murmure des eaux: il viendra.”

Françoise s’inclina, comme si elle eût été convaincue de la vérité de ce que lui prédisait sa mère: elle prit son rosaire et invoqua son saint patron. Le jeune officier, après un moment de silence respectueux, lui demanda où elle voulait qu’il la conduisît.—“Au P. Mesnard,” répondit-elle.—“Au P. Mesnard?” répartit l’officier. “Le P. Mesnard est le frère de ma mère, et je me rendais chez lui, quand j’ai eu le bonheur de vous rencontrer.”

Cet officier se nommait Eugène Brunon. Il demeura quelques jours à St. Louis. Rosalie était occupée de divers devoirs religieux préparatoires à son entrée dans le couvent. Elle ne vit pas les étrangers, et elle fit des reproches à Françoise, de ce qu’elle ne prenait plus part à ses actes de dévotion. Françoise apporta pour excuse qu’elle était occupée à mettre la maison en état de procurer l’hospitalité: mais lorsqu’elle fut exemptée de ce devoir, par le départ d’Eugène, elle ne sentit pas renaître son goût pour la vie religieuse. Eugène revint victorieux de l’expédition dont il avait été chargé par le gouvernement; alors, pour la première fois, le P. Mesnard soupçonna quelque danger que le couvent de St. Joseph ne perdît la religieuse qu’il lui avait destinée; et quand il rappella à Françoise qu’il l’avait vouée à la vie monastique, elle lui déclara franchement qu’Eugène et elle s’étaient réciproquement juré de s’épouser. Le bon père la reprimanda, et lui représenta, dans les termes les plus forts, le péché qu’il y avait d’arracher un cœur à l’autel pour le dévouer à un amour terrestre. Mais elle lui répondit qu’elle ne pouvait être liée par des vœux qu’elle n’avait pas faits elle-même. “Oh! mon père,” ajouta-t-elle, “que Rosalie soit une religieuse et une sainte; pour moi, je puis servir Dieu d’une autre manière.”

“Et vous pouvez être appellée à le faire, mon enfant,” reprit le religieux, d’un ton solennel, “d’une manière que vous n’imaginez pas.”—“Si c’est le cas, bon père,” dit la jeune fille, en souriant, “je suis persuadée que j’éprouverai la vertu de vos soins et de vos prières pour moi.” Ce fut la réponse badine d’un cœur léger et exempt de souci; mais elle fit sur l’esprit du religieux une impression profonde, qui fut encore augmentée par les circonstances subséquentes. Une année se passa.—Rosalie fut admise au nombre des religieuses de l’Hotel-Dieu. Eugène allait fréquemment à St. Louis; et le P. Mesnard voyant qu’il serait inutile de s’opposer plus longtemps à son union avec Françoise, il leur administra lui-même le sacrement de mariage. Ici, le Père interrompt son récit, pour exalter l’union de deux cœurs purs et aimants, et dit qu’après la consécration religieuse, c’est l’état le plus agréable à Dieu.

La fin au No. prochain.

ASTRONOMIE.

Sur le Télescope d’une dimension extraordinaire établi à Slough
en Angleterre, par feu W. Herschell.

Cet instrument colossal, qui a le plus contribué à populariser la réputation du célèbre astronome Herschell, mort le 26 Août 1822, dans un âge très avancé, ne pouvant être contenu ni employé dans un bâtiment ordinaire, a été placé sur une pièce de gazon, dans le jardin adjacent à la maison d’habitation. Son tube, de 39 pieds 4 pouces de long et de 4 pieds 10 pouces de diamètre, a été construit en feuilles de fer battu, d’un tiers de ligne d’épaisseur, et dont un pied quarré ne pèse que 14 onces, consolidées par des diaphragmes. A son extrémité inférieure se trouve le grand miroir, pesant à lui seul plus de 2000 livres, et dont la surface polie a 4 pieds de diamètre. A l’extrémité supérieure est suspendu le siège de l’astronome, qui observe de front, c’est à dire, en se tenant presque en face du grand miroir; et le regardant directement de haut en bas, à travers un oculaire, et tournant le dos à l’objet, en se plaçant un peu de côté, de manière à ne pas s’interposer entre l’objet et le miroir, tout en évitant la déperdition de lumière produite par la réflexion du petit miroir des télescopes ordinaires. Herschell a pu ainsi appliquer à cet instrument pour l’observation des étoiles fixes, dans des circonstances atmosphériques particulièrement favorables, jusqu’à un grossissement de 6450 fois, à l’aide de lentilles duplo-convèxes, d’un cinquantième de pouce de distance focale seulement, construites par Shuttleworth; mais les grossissemens qu’il employait ordinairement étaient beaucoup plus petits. Le miroir s’enlevait dans l’intervalle des observations, et était revêtu d’un couvercle de fer-blanc.

La charpente qui supporte l’instrument est composée de quarante échelles de 49 pieds 2 pouces de long, assujéties par de fortes traverses, et opposées deux à deux, de manière à former deux couples, laissant entr’eux un espace suffisant pour le grand tube. Elle porte à leur extrémité supérieure, au point de leur entrecroisement, un axe horizontal, auquel sont attachées les poulies mouflées sur lesquelles passent les cordes destinées à monter et descendre à volonté, à l’aide de manivelles, l’extrémité supérieure du tube, ainsi que la plateforme ou galerie, sur laquelle on monte pour observer. Les extrémités inférieures des échelles et de leurs appuis sont enchassées dans un cadre horizontal de bois sur lequel porte l’extrémité inférieure du télescope, rendue mobile à l’aide de rateaux conduits par un cric. Le cadre est porté lui-même par vingt roulettes, qui s’appuient sur deux murs de briques circulaires et concentriques de 21 à 42 pieds de diamètre, enfoncés en terre de deux pieds et demi, et revêtus de plateaux en pierre, au niveau du sol. Deux cordes fixées à la circonférence de ce cadre, et s’enroulant sur un cabestan, après avoir passé sur des poulies faisant fonction de points d’appui, servaient à imprimer à toute la masse un mouvement circulaire et azimutal autour de son centre. La combinaison de ces mouvemens permettait de donner au tube toutes les directions, de l’horison au zénith, avec une telle facilité, que Herschell dit avoir observé plusieurs fois Saturne, pendant six heures de suite, à l’aide d’une seule personne.

A côté du télescope, et sous sa monture, se trouvent les deux petits cabinets en bois destinés aux aides de l’observateur. C’était dans l’un d’eux que se tenait la sœur de Herschell. On voit encore le tuyau acoustique qui leur permettait de communiquer entre eux, et le quart de cercle qui servait à diriger l’instrument. Le temps a exercé son influence sur ce chef-d’œuvre d’industrie et de persévérance: la charpente, quoiqu’en bois de chêne, a déjà beaucoup souffert depuis l’année 1787, où l’instrument fut presque terminé. Le miroir qu’il fallait repolir tous les deux ans, retoucher souvent, et dont Herschell seul pouvait diriger la réparation, se trouve oxidé de manière qu’on n’en peut probablement plus tirer parti.

Il existe à côté du grand télescope, un télescope de vingt pieds, que Herschell avait construit dans les dernières années de sa vie. La monture est du même genre que celle de l’autre: mais le mouvement azimutal est rendu encore plus facile: Mr. Herschell fils se sert maintenant de cet instrument, pour des observations d’étoiles doubles. Ce n’est pas, au reste, avec son grand appareil que son père a fait ses principales découvertes. C’est avec un de ses télescopes de 7 pieds qu’il découvrit, en 1781, la planète Uranus. Les deux premiers satellites d’Uranus furent découverts en 1787, avec un télescope de 20 pieds, après la suppression du petit miroir; et il n’y a que les satellites de Saturne qui le furent en 1789, avec le grand instrument, immédiatement après son achèvement.

Bibliothèque universelle, Août 1824.

OPTIQUE.

Lunette pour observer au fond de l’eau.

Mr. Leslie, de Lansingburg, dans l’Amérique du Nord, a inventé un instrument auquel il donne le nom de Lunette de rivière. C’est un tube dont on peut varier la longueur comme l’occasion l’exige. Il a une largeur d’environ un pouce au sommet, où l’œil est appliqué, et il va en s’élargissant régulièrement jusqu’au fond, dont le diamètre est décuple de celui de l’autre extrémité. Il est fermé par un verre à chacun de ses bouts.

Ce tube est destiné à examiner le fond des rivières, des lacs &c. La raison pour laquelle on ne peut voir à travers l’eau, c’est la réflexion et la réfraction de la lumière, au moment où elle tombe sur la surface. La nouvelle lunette surmonte cette difficulté, en transportant pour ainsi dire, l’œil dans le milieu le plus dense, et en mettant à profit la lumière qui est dans l’eau, où elle se meut en ligne droite, aussi bien que dans le milieu le plus rare, ou dans l’air.

Pour faire usage de l’appareil pendant la nuit, on y adapte des lampes suspendues tout près du fond d’un cylindre plus court, qu’on descend jusqu’à la base du tube. Ces lampes jettent une forte lumière; et on peut voir distinctement au fond de la rivière.

La justesse du principe sur lequel le mérite de cet instrument est fondé, a été pleinement attesté par tous les nageurs qui ont ouvert les yeux sous l’eau, et qui ont alors apperçu ce qu’ils ne voyaient pas, lorsqu’ils étaient à la surface.

Les applications d’un semblable instrument se présentent d’elles-mêmes. Une des plus importantes serait de découvrir promptement les noyés, et de sauver beaucoup de personnes. On pourrait aussi trouver les objets submergés, découvrir et éviter aisément les obstacles qui s’opposent aux excavations.

(Archives des Découvertes, &c.)

MOIS D’OCTOBRE.

La flatterie avait donné à ce mois le nom de l’empereur Domitien; mais après la mort du tyran, il reprit celui qu’il devait à son rang dans l’ordre des mois. Il était sous la protection de Mars. On le personnifiait par un chasseur qui avait un lièvre à ses pieds, des oiseaux au-dessus de sa tête, et une espèce de cuve auprès de lui. Chez les modernes, il est couronné de feuilles de chêne, arbre qui perd les siennes plus tard; vêtu d’incarnat, parce que la verdure des feuillages commence à prendre une teinte rougeâtre. Le signe du Scorpion lui est attribué, soit à cause de la disposition des étoiles qui le représentent, soit à cause de la malignité de cette saison, où les variations de l’air causent beaucoup de maladies. Une charrue, dans le fond du tableau, annonce que dans ce mois, le labourage prépare la terre à de nouvelles richesses. Cl. Audran, pour symboliser ce mois, représente la déesse des sciences et de la sagesse tenant d’une main son égide, et de l’autre sa lance, sous un temple soutenu de javelots enrichis de branches et de couronnes d’oliviers, qui lui étaient dédiées. Le dôme est composé du travail d’Arachné sa rivale; aux deux côtés sont les oiseaux qui lui étaient consacrés. Les instrumens de tapisserie sont distribués de manière à faire presque tout l’ornement de cette pièce.

VERS.

L’ÉPÉE DE DAMOCLÈS.

 

Chanson par de Béranger; sur l’air: A soixante ans.

 

De Damoclès l’épée est bien connue;

En songe, à table, il m’a semblé la voir:

Sous cette épée et menaçante et nue,

Denis l’ancien me forçait à m’asseoir. (bis)

Je m’écriais: que mon destin s’achève,

La coupe en main, au doux bruit des concerts. (bis)

O vieux Denis, je me ris de ton glaive,[1]

Je bois, je chante et je siffle tes vers. (bis)

 

Servez, disais-je à messieurs de la bouche;

Versez! versez! messieurs du gobelet:

Malheur d’autrui n’est point ce qui te touche,

Denis, sur moi fais donc vite un couplet. (bis)

Ton Apollon à nos larmes fait trève:

Il nous égaie au sein d’affreux revers. (bis)

O vieux Denis, je me ris de ton glaive,

Je bois, je chante et je siffle tes vers. (bis)

 

Puisqu’à rimer sans remords tu t’amuses,

De la patrie écoute un peu la voix:

Elle est, crois-moi, la première des muses,

Mais rarement elle inspire les rois. (bis)

Du frêle arbuste où boût sa noble sève,

La moindre fleur parfume au loin les airs. (bis)

O vieux Denis, je me ris de ton glaive,

Je bois, je chante et je siffle tes vers. (bis)

 

Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire,

Quand ses lauriers, de ta foudre encor chauds,

Vont, à prix d’or, te cacher à l’histoire,

Ou balayer la fange des cachots. (bis)

Mais, à ton nom, Clio, qui se soulêve,

Sur ton cercueil viendra peser nos fers. (bis)

O vieux Denis, je me ris de ton glaive,

Je bois, je chante et je siffle tes vers. (bis)

 

Que du mépris la haine au moins me sauve,

Dit ce bon roi, qui rompt un fil léger;

Le fer pesant tombe sur mon front chauve;

J’entends ces mots: Denis sait se venger. (bis)

Me voila mort; et poursuivant mon rêve,

La coupe en main, je répète aux enfers: (bis)

O vieux Denis, je me ris de ton glaive,

Je bois, je chante, et je siffle tes vers. (bis)

 

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AUTRE CHANSON.

 

 

Quand vous riez, j’adore la folie;

Mais en automne, au déclin d’un beau jour,

Quand vous baissez vos yeux remplis d’amour,

        J’adore la mélancholie.

 

Le malheureux évite la folie,

Fuit la gaîté, repousse le plaisir:

Que veut-il donc? ah! laissez-le choisir;

        Il suivra la mélancholie.

 

De temps en temps, j’aime un jour de folie

Mais tendrement près de vous agité,

Je donnerais un siècle de gaîté

        Pour un jour de mélancholie.

 

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ELÉGIE,

 

Sur la mort d’un ami, (par un Canadien)

 

Louis, ami de mon jeune âge,

Louis, digne de mon amour;

Tu vécus vertueux et sage,

M’aimas, jusqu’à ton dernier jour.

Pour nous la vie avait des charmes;

Ensemble, nous étions heureux:

Nous n’aurions point versé de larmes,

Si nous eussions vécu tous deux.

 

Ce plaisir de l’amitié tendre,

Qui nous fit gouter le bonheur,

Ne devait-il servir qu’à rendre

Plus grande et longue ma douleur?

Oui, tout le plaisir de la vie

A fui, m’a quitté pour toujours,

Quand la parque, pleine d’envie,

A tranché le fil de tes jours.

 

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COMPARAISON ÉPIGRAMMATIQUE.

 

D’un gras législateur, d’un rentier aux abois,

Entre nous, vois quelle est la manière de vivre;

L’un gaîment s’enrichit à fabriquer des lois,

Et l’autre tristement s’appauvrit à les suivre.


Denis l’ancien, tyran de Syracuse, était, comme on sait, un métromane déterminé: il envoyait aux carrières ceux qui ne trouvaient pas ses vers bons. Quant à l’histoire du festin de Damoclès, elle est trop connue pour qu’il soit besoin de la rapporter ici......Note de l’auteur.

ANTIQUITÉS.

On a découvert récemment à Dieppe, diverses antiquités, entre lesquelles est une statue représentant une femme qui allaite deux enfans.

On écrit de Corneto en Italie, qu’on a découvert trois tombeaux ornés de peintures et d’inscriptions étrusques, qui sont dans un bon état de conservation. On attend de cette découverte des résultats heureux pour la connaissance des antiquités étrusques.

Le 5 juin dernier, le roi et la reine de Naples, accompagnés de leurs augustes enfans et du prince et de la princesse de Salerne, se rendirent à Pompéii, où LL. MM. et LL. AA. RR. furent reçues par le chevalier Arditi, surintendant des fouilles, et par M. d’Apuzzo, architecte directeur.

La fouille exécutée en présence des augustes personnages, fut une des plus heureuses dont on se souvienne, à raison de l’abondance et de la qualité des objets qui en furent le résultat. Le lieu choisi pour l’opération fut une maison dans laquelle on avait déjà antérieurement découvert une très-belle fontaine en mosaïque, bordée de coquillages, et presqu’en tout semblable à une autre découverte dans une maison contiguë. Du milieu de la vasque s’élève une petite colonnade en marbre, sur laquelle est placé un génie de bronze, tenant dans sa main gauche un oiseau aux ailes déployées, du bec duquel devait sortir l’eau, pour de là retomber dans la vasque: et un masque de théâtre en marbre incrusté dans le fond de la niche, versait, de son côté, une autre partie des eaux. Sur le devant d’un des pieds de la fontaine était une petite statue de bronze, assise, ayant à la main gauche une corbeille, et sur la tête un bonnet; elle semble représenter un berger phrygien, couvert d’une courte tunique, mais elle n’appartient pas à la place où elle a été trouvée. Sur le piédestal de marbre est un beau morceau de sculpture, qui figure un enfant à demi-nu, couché et endormi, serrant dans une de ses mains un petit panier; il a à côté de lui un vase renversé; ses vêtemens sont d’une forme extrêmement bizarre. Sur le devant de l’autre pied de la fontaine est une espèce de cariatide de marbre.

Les parois de la muraille sont ornées de peintures très-élégantes, qui, à en juger par les accessoires symboliques, semblent représenter la naissance de Bacchus.

Dans le parvis est un fourneau de fer oxidé avec son trépied, surmonté de quelques débris de vases de bronze.

Dans les deux chambres situées à côté du parvis, on a découvert un grand nombre d’autres objets intéressants, dont les principaux sont deux forts bracelets en or, avec des pierres vertes dans le milieu, dix monnaies impériales également en or, une monnaie d’argent de petit module, plusieurs vases de bronze élégants, et un très-beau candélabre du même métal.

Le roi ordonna, sur le lieu même, que la fontaine fût exactement restaurée; que l’on y rétablît tous les coquillages détaillés de la bordure, et tombés au milieu des pierres; que les statues de bronze dont elle était embellie fussent transportées dans le Musée royal de Bourbon; que l’on y substituât des copies en terre cuite, et qu’enfin les parois, revêtues de peintures, ainsi que la fontaine, fussent munies d’un toit, pour les mettre à l’abri de la dégradation.

On a découvert récemment à Pompéii un très grand édifice, que les antiquaires appellent Panthéon. Sa forme est un parallélogramme. L’entrée s’ouvre sur une des faces les plus étroites de l’édifice; dans les angles sont trois petites chambres. Dans celle du milieu, on a pratiqué deux niches où sont placés la statue de Tibère et celle de Livie. Malheureusement ces statues, d’ailleurs fort belles, n’ont point de bras. Dans celle de Tibère, on distingue encore quelques traces de la couleur rouge dont la toge était revêtue. La muraille principale est ornée de peintures bien conservées, qui représentent l’histoire de Remus et de Romulus, au moment où ils sont allaités par la femme du berger Faustulus. Dans la galerie qui conduit au Panthéon, et dans une pièce qui servait de vestiaire, sont des tablettes de marbre avec divers numéros. On distingue dans les nombreuses peintures de ce monument, des tableaux de chasses, des monstres marins et différents animaux. Attenant l’édifice est une cour environnée d’un portique soutenu par des colonnes élégantes, dont les bases sont en marbre blanc. Au milieu du portique s’élèvent huit piédestaux qui, probablement, soutenaient une petite rotonde, semblable à celle que l’on voit à Pouzoles, dans le temple de Sérapis.

On a trouvé dernièrement, dans un marais, près de la Nouvelle Orléans, les restes fossiles d’un animal inconnu, d’une grandeur colossale, au-dessus de tous ceux qu’on a trouvés jusqu’ici. Le propriétaire de ces restes curieux, a remonté l’Ohio, avec cette dépouille animale extraordinaire, et se propose de les transporter dans les principales villes des Etats de l’Est, où il espère que les curieux et les naturalistes le récompenseront amplement de ses frais. Les savans estiment que l’animal en question devait avoir 175 pieds de long, et une grosseur proportionnée. On n’aurait jamais cru auparavant à l’existence d’un semblable animal, auprès duquel le mammouth, (ou mastodonte,) serait un pygmée. Le plus considérable des ossemens qui ont été trouvés, est le côté gauche de la mâchoire d’en haut. Il a 20 pieds de long, 3 de large, et pèse plus de 1200 livres, auquel est jointe une proéminence en manière de corne et de défense, de 9 pieds de long sur 8 pouces de large. Les vertèbres dorsales ont 16 pouces de diamètre; le trou de la moëlle 6 pouces, et les côtes 9 pieds de long. On ignorera probablement longtems à quelle espèce cet animal appartenait, mais il y a lieu de croire qu’il était de la classe des amphibies.

Les bords de l’Ohio et du Mississippi abondent en restes fossiles d’animaux monstrueux, dont les races sont perdues, et en restes plus intéressants encore, qui dénotent que ces contrées ont été autrefois habitées par des peuples civilisés, au moins dans les usages communs de la vie. Comment le sol que ces hommes habitaient a-t-il pu être recouvert sur une si grande surface d’une couche aussi épaisse de terre? A quelle époque doit-on assigner leur existence? Etaient-ils contemporains des animaux énormes qui ont habité les mêmes pays? Ce sont là des questions dignes des profondes observations des géologistes, et des savans en histoire naturelle.

SOCIETÉ DES SCIENCES ET DES ARTS EN CANADA.

Conformément au désir de la Société, énoncé dans sa séance de Septembre dernier, j’ai l’honneur de mettre sous les yeux du public un aperçu de ses procédés relativement aux objets dont elle va faire sa principale occupation.

D’après ce qui a déjà été dit dans les journaux sur la marche que la Société a adoptée, pour arriver aux fins qu’elle se propose, personne n’ignore qu’elle a eu recours à une méthode consacrée par l’expérience des nations éclairées: celle de faire naître une émulation louable parmi la jeunesse studieuse et instruite, en couronnant les efforts du génie, et en appréciant les talens utiles, ainsi que de prendre sous sa protection tout ce qui peut contribuer aux progrès des sciences et des arts. Elle a aussi pour but d’honorer le mérite partout où elle l’apercevra, et de rendre l’hommage dû aux tentatives heureuses dans quelque genre que ce soit.

C’est pourquoi la Société a cru devoir, sur les recommendations de chacune de ses classes, soumettre au public une série de questions à résoudre et de sujets à traiter, qui, quoique exprimées en termes généraux, ne laissent pas d’embrasser tout ce qu’elle veut plus particulièrement encourager. Chacun des sujets ci-dessous est conçu dans le sens le plus étendu, afin de laisser au candidat plus de facilité, quant au choix tant du sujet que de la manière de le traiter.

Toutes personnes résidantes dans le Bas ou le Haut-Canada sont invitées à concourir dans l’une ou l’autre langue.

Le médaille de la Société sera conférée à chacun des candidats heureux, sur les sujets suivants:

Classe Littéraire.

1o. Une pièce de poésie, dont le sujet sera pris dans le pays, dans quelque genre que ce soit.

2o. Un discours sur les avantages d’établir en Canada des institutions scientifiques et littéraires, et sur les moyens de les rendre vraiment utiles et avantageuses au développement des ressources physiques et morales du pays.

3o. Un tableau peint à l’huile dont le dessin et la composition seront de l’invention de l’auteur.

4o. Un autre à l’eau ou au pastel; avec les mêmes conditions que le précédent.

5o. Un échantillon de gravure.

6o. Une pièce de musique.

Classe Philosophique.

1o. Une description des animaux du pays, ou d’une partie d’entr’eux; indiquant surtout leurs caractères, leurs habitudes et leur utilité domestique ou générale.

2o. Une dissertation sur la minéralogie et la géologie du pays, ou sur les moyens d’en faciliter l’étude à la jeunesse Canadienne, et d’en faire une partie de leur éducation.

3o. Une description scientifique ou populaire de nos plantes indigènes; indiquant leurs caractères, leur situation, et leurs propriétés médicinales.

Classe Commerciale.

1o. Quelle est la manière la plus efficace d’augmenter ou de perfectionner notre commerce d’exportation; soit en suggérant quelque nouvel article d’exportation, soit en indiquant quels nouveaux marchés pourraient devenir plus avantageux aux produits actuels du pays; soit enfin par quelque autre moyen; (eu égard à nos lois commerciales)?

2o. Quels sont les avantages, ou les défauts du système d’agriculture pratiqué en Canada, et les moyens de le perfectionner dans toutes ses branches?

En parlant des productions naturelles du pays, la Société désire surtout fixer l’attention des candidats sur l’usage que l’on en peut retirer pour les arts, les manufactures, les sciences, ou pour les objets domestiques.

Chacune de ces productions ou dissertations doit être adressée au secrétaire-général soussigné, accompagnée d’un billet cacheté contenant le nom et la résidence de l’auteur, et sur le dos duquel sera inscrit un motto qui sera mis en tête de telle production ou dissertation. On exige cette précaution, afin que le nom seul du candidat heureux soit connu.

La Société couronnera, dans sa séance générale de Mars prochain, tous ceux qui auront mérité le prix, entre ceux qui seront transmis comme ci-dessus avant le premier de Mars 1828.

La Société recevra aussi avec reconnaissance toute information quelconque, dont on voudrait bien lui faire part, sur tout ce qui peut intéresser les sciences et les arts; et rien ne peut-être de si peu de valeur à cet égard, qu’il ne mérite son attention et sa reconnaissance.

De plus, comme elle a aussi en vue de recueillir dans un musée toutes les productions naturelles du Canada, et tout autre objet d’utilité ou d’agrément dans les sciences et les beaux-arts, elle invite instamment tous les amis des lettres et tous ceux qui peuvent prendre intérêt à une entreprise si louable et si désirée, dans le Bas et le Haut-Canada, de lui faire parvenir ce qui pourrait contribuer à cette fin, surtout parmi les animaux, les oiseaux, les poissons, les reptiles, les insectes, les minéraux, les plantes, &c., &c.; indiquant, autant qu’il sera possible, le lieu qu’occupe tel objet, l’état dans lequel on l’a trouvé, le nom qu’on lui connaît sur les lieux, son usage, et toute autre information dont on voudrait bien lui faire part. Toutes ces contributions seront reçues avec reconnaissance, et enrégistrées dans les minutes de la Société.

X. Tessier, Secrétaire-général.

PAPIER A ÉCRIRE ET A IMPRIMER.

(Extrait des Mémoires Bibliographiques
de M. F. A. Delandine.
)

Dès l’origine de la civilisation des peuples, ils se plurent à conserver le souvenir de leurs victoires, les noms de leurs grands hommes, les époques qui pouvaient les intéresser: ils les gravèrent sur l’écorce des arbres, sur la pierre, sur les métaux. Pour recueillir ensuite les faits importants de leurs annales, les dispositions de leurs lois, les préceptes de leur morale, il leur fallut une matière plus légère, plus portative, où les empreintes fussent plus faciles: ils l’inventèrent.

Le papyrus, espèce de jonc qui croissait sur les bords du Nil, fut employé par les Egyptiens à cet usage, et Memphis se distingua dans l’art de le préparer. On ne trouve plus, dans nos bibliothèques, que de rares fragmens de manuscrits sur papyrus.

Le papier formé des enveloppes ou filamens de cette plante, appliqués les uns sur les autres à contre fibre, était mis sous une presse, poli avec l’ivoire, et frotté souvent d’huile de cèdre, pour le rendre plus incorruptible.

Après le papyrus, on employa les feuilles du palmier et des autres arbres. La peau et le cuir des animaux leur succédèrent.

Suivant Herodote, les anciens Ioniens n’écrivaient leurs annales que sur des peaux de mouton.

En 1747, on vendit, chez M. de Pontchartrain, un Pentateuque hébreu, écrit sur quarante-cinq peaux de veau cousues ensemble, dans une longueur d’environ cent pieds.

Le parchemin fut inventé à Pergame, sous le règne du roi Eumenes, environ deux cents ans avant Jesus-Christ. C’est une préparation de peaux de chèvre et de mouton, polies avec la pierre-ponce.

Le parchemin était blanc, jaune ou pourpre; mais cette dernière couleur fut particulièrement affectée aux livres sacrés et aux diplômes des empereurs.

Dans les premiers temps, on n’écrivait sur les feuilles que d’un seul côté; ce qui dura jusqu’au neuvième siècle. A la même époque, les moines imaginèrent de racler le parchemin, pour en effacer l’écriture, et le faire servir de nouveau. Ce funeste usage a détruit une foule d’ouvrages précieux, qui nous auraient éclairés sur l’histoire et les mœurs des siècles obscurs.

Le vélin, inventé plus tard, se fait avec la peau des veaux morts-nés.

Mais on écrit encore sur d’autres parties animales. La bibliothèque de Dresde possède un calendrier méxicain, tracé sur peau humaine; et celle de Vienne a, dit-on, un manuscrit de la même contrée, plein de figures dessinées et coloriées sur une peau pareille.

L’ancienne bibliothèque de Constantinople possédait l’Iliade et l’Odyssée, écrites en lettres d’or, sur le boyau d’un serpent, de la longueur de cent vingt pieds.

Le papier de coton parait avoir été fabriqué pour la première fois dans la Bukarie: il ne s’introduisit de l’Afrique en Europe que vers le onzième siècle.

L’opinion la plus répandue attribue l’invention du papier de lin, ou de chiffons de linge, aux Sarrasins d’Espagne. Les premiers essais en furent faits, dit-on, dans le royaume de Valence. On le trouva bientôt si avantageux, qu’il fut préféré à toutes les autres matières, et qu’il est aujourd’hui partout en usage. On croit que les plus anciens manuscrits sur papier de lin ne remontent qu’au commencement du quatorzième siècle.

On a cherché encore à faire du papier avec diverses autres productions végétales: on y a employé l’écorce du bouleau; la peau et la fécule de la pomme de terre, le sureau, la fleur de guimauve et la paille. Les Chinois triturent, pour cet usage, l’écorce du bambou: les Japonais, avec l’écorce d’une espèce de mûrier, fabriquent un papier si fort, qu’en le roulant on peut en faire des cordes.

Celui qu’on appelle improprement papier de soie, et qui vient également du Japon et de la Chine, n’est fabriqué qu’avec le coton.

Les Anglais ont imaginé, il n’y a pas longtemps, un papier de lin incorruptible, qui résiste à l’action du feu.

En 1786, on a imprimé les Œuvres de M. de Villette sur du papier fait d’écorce de tilleul.[1] On trouve, à la fin de ce volume, de format in-16, divers échantillons de papier fait avec de la mousse, des orties, du fusain, des roseaux et du chien-dent.

Le marquis de Salisbury présenta, en 1800, au roi d’Angleterre, un livre imprimé sur papier de paille, blanc, fin et transparent.

Le papier vélin, si remarquable par son poli, sa blancheur et sa force, fut inventé, au milieu du dernier siècle, par Baskerville. On l’a conduit en France à une perfection qui ne laisse rien à désirer; et probablement on ne surpassera pas celui qui sort aujourd’hui des manufactures françaises et anglaises.


Si le Bas-Canada en venait à fabriquer tout le papier nécessaire à sa consommation, qui devient considérable, peut-être que les guenilles nettes de toile et de coton, uniquement employées jusqu’ici, ne seraient plus suffisantes. Alors, il n’y aurait pas, suivant nous, de meilleur substitut que l’écorce du bois-blanc, le tilleul du Canada. Cette espèce d’arbre abonde presque partout: la partie de son écorce qui pourrait être employée, (le liber) est blanche et forte, et elle se détache très facilement, au printemps, de la partie inutile (le parenchyme) et de l’aubier.

SINGULARITÉS DE LA NATURE ET DE L’ART.

AMIANTE.

Parmi les singularités de la nature, les naturalistes accordent une place distinguée à l’amiante. C’est une substance de matière pierreuse mais qui est disposée en filons très fins, souples et soyeux, ordinairement d’une couleur blanche et nacrée. Elle résiste au feu, et les anciens s’en servaient pour fabriquer le fameux lin incombustible, avec lequel ils enveloppaient les corps; des personnes d’importance, quand on les plaçait sur le bucher, afin d’avoir leurs restes exempts de tout mêlange étranger. La manière de travailler l’amiante, lorsqu’on veut en faire un tissu, est de le mêler avec du lin ordinaire; et l’ouvrage étant terminé, on le jette au feu. Le lin végétal s’y consume, et le tissu d’amiante reste parfaitement intact. Le plus bel amiante se trouve en Dauphiné, dans les montagnes que traverse l’Isère.—Il est d’une blancheur éclatante, et ses filets, dont la souplesse est extrême, ont jusqu’à cinq à six pouces de longueur. Sur le mont Oural, en Sibérie, près d’Ekaterimbourg, on en trouve une espèce qui est aussi compacte qu’une pierre ordinaire, et dont on fait des bas qui resemblent, à s’y méprendre, à un tricot de fil.—(Merveilles du Monde.)

CRAPEAU TROUVÉ DANS UNE PIERRE.

Un mineur anglais, en ouvrant, au mois de Mars 1824, un nouveau puits à houille, auprès de Haughton-Spring, trouva un crapeau vivant, au milieu d’un bloc solide de pierre, à une profondeur de 25 à 26 brasses au-dessous de la surface de la terre. Le reptile fut porté au grand jour, tué quatre jours après, et examiné. On reconnut qu’il avait un nombril, mais point de bouche: du reste, il ressemblait aux crapeaux ordinaires.—(Sheffield Mercury du 22 Mai 1824.)

SUR LES FILS DE LA VIERGE, ET LES VOYAGES AÉRIENS
DES ARAIGNÉES.

M. Gravenhorst a observé que les araignées produisent ces fils, pour se transporter à leur aide, dans l’air, à des distances plus ou moins grandes, en s’y accrochant, et en se laissant emporter par le vent, qui a une très grande prise sur ce fil.

Pour produire ce filament, l’araignée (aranea obstetrix) se suspend librement par un long fil à un corps quelconque, tel que la branche d’un buisson. Dans cette situation, elle produit d’autres fils fort allongés, qu’elle laisse flotter dans l’air. Quand ces derniers filamens atteignent une grande longueur, le vent les emporte, et avec eux l’araignée, qui y reste attachée.

Plusieurs naturalistes ont fait à ce sujet, avant Mr. Gravenhorst, des observations presque semblables aux siennes.—(Isis, 1823, 4e. livre.)

LE FEU PERPÉTUEL.

Dans l’Asie Mineure, sur une des côtes de la Caramanie, on voit un phénomène curieux, auquel on a donné le nom de Feu perpétuel: C’est parmi les montagnes dont cette côte est garnie qu’il s’offre à la vue.

A l’angle intérieur d’un bâtiment tombé en ruines, il y a une muraille tellement minée par le temps, qu’elle présente une ouverture d’environ trois pieds de diamètre, qui a la forme de la bouche d’un volcan. Une flamme, dont la chaleur est vive, mais qui n’est accompagnée d’aucune fumée, s’élance continuellement de cette ouverture. Au milieu de cette flamme, et dans ce cratère en miniature, on apperçoit des arbrisseaux, des broussailles et des herbes sauvages en pleine végétation. Vainement chercherait-on quelque production volcanique dans la contrée environnante; mais suivant une très-ancienne tradition, il y avait jadis, à une distance peu considérable, une autre ouverture qui produisait le même effet. Quoiqu’il en puisse être, celle qui existe aujourd’hui, est connue, depuis un tems immémorial, pour être uniquement un feu perpétuel, sans qu’aucune explosion se fasse jamais entendre, ni qu’aucunes pierres, scories ou vapeurs nuisibles, rendent ce phénomène un objet de terreur pour ceux qui habitent le voisinage du lieu où il se manifeste, ou que la curiosité porte à le voir de près.—(Merveilles du Monde.)

LE SPHINX.

Cette statue colossale, que l’on découvre près d’une descente imperceptible, à une petite distance de la grande pyramide d’Egypte, est encore plus étonnante par la perfection avec laquelle elle a été exécutée, que par sa grande dimension. On remarque dans ceux de ses contours qui sont conservés, une souplesse et une pureté admirables. L’expression de la tête, dont le caractère est africain, est douce, gracieuse et tranquille, et s’il lui manque ce qu’on est convenu d’appeller du style, c’est à dire, ces formes droites et hardies, que les Grecs donnaient à leurs divinités, on en est bien dédommagé par la simplicité naturelle qui y règne. La bouche surtout, malgré l’épaisseur des lèvres, a une mollesse dans le mouvement, et une finesse dans l’exécution, qui ne se trouvent que dans les monumens qui ont été élevés à une époque où la perfection des arts était parvenue à son plus haut degré. On dit que cette statue, qui a été coupée dans le roc, a été le tombeau d’Amasis.—(Ibid.)

DINER A M. JOS. PAPINEAU.

Le 9 de ce mois, une soixantaine de messieurs de Québec et des environs, ont donné un diner splendide à Joseph Papineau, Écuyer, qui se trouvait dans cette capitale pour ses affaires.

Après la santé: “Au Conseil Législatif et à la Chambre d’Assemblée,” M. Vallières, (président,) s’est levé, et s’est exprimé en ces termes:

Messieurs—Ceux qui honorent la vertu et qui rendent le tribut de la reconnaissance, ont le double avantage d’accomplir un devoir et de se faire une jouissance. Ainsi nous sommes doublement heureux, lorsque possédant au milieu de nous l’excellent citoyen assis à ma droite, et nous rappelant ce que nous avons vu nous-mêmes, et ce que nous ont appris nos pères, nous profitons de l’occasion que nous offre son indulgence, pour lui exprimer notre vénération et notre respectueuse estime.

Vénérable patriarche de la constitution canadienne, ses services publics, dans lesquels il fit preuve de talens distingués, ont inscrit son nom sur la liste de nos grands hommes. Nos neveux se rappelleront avec orgueil qu’il fut un de nos premiers représentans. Il auront appris de la renommée, qu’assis dans le sénat canadien, il y déploya la fermeté de Caton, la probité d’Aristide, l’éloquence de Demosthenes. Oui, messieurs, on le citera dans l’avenir, comme on le désigne aujourd’hui, pour le modèle d’un bon serviteur public.

J’épargne à la modestie de ce vénérable personage les éloges justement dûs à ces qualités moins brilliantes, mais non moins estimables, qui lui ont mérité le respect et l’amour de ses concitoyens, pendant le cours de sa longue et utile carrière, et qui font qu’aujourdhui, dans tout le Canada, son seul nom exprime l’idée d’un honnête homme et d’un homme aimable.

Nous avons une nouvelle preuve de son amabilité, dans la manière gracieuse avec laquelle il veut bien, à son âge, se trouver parmi nous, et accueillir ce faible témoignage de nos sentimens. Nous lui en sommes reconnaissants, car nous sentons qu’en l’honorant nous nous honorons nous-mêmes.

Avec des sentimens beaucoup mieux sentis qu’exprimés, voici, messieurs, la santé que je vous propose:

“A notre respectacle hôte, Joseph Papineau, écuyer. Ses longs services et ses vertus publiques et privées lui donnent les plus justes droits à la reconnaissance de ses compatriotes.”

M. Papineau a fait ses remercimens, en peu de mots, de l’honneur qui lui était fait par les citoyens de Québec. Il a dit que s’il avait pu rendre quelques services à ses compatriotes, il était amplement dédommagé des sacrifices qu’il pouvait avoir faits pour eux, par leur estime, et particulièrement par le témoignage qui lui en était ici donné, par un si grand nombre de ses anciens et respectables amis, et par ceux qui composaient la compagnie présente.

La santé portée ensuite a été: “A l’hon. juge Bedard.”

Le président, en proposant cette santé, a dit que Mr. le juge Bedard s’était trouvé à Québec, la semaine dernière, et avait été invité, mais qu’il avait écrit à lui (M. Vallières) un billet portant que n’ayant obtenu la permission de s’absenter que pour raison de maladie, et sa santé se trouvant maintenant rétablie, il croyait que son devoir l’obligeait d’aller reprendre sans perte de temps les fonctions de sa charge. Le président a ajouté qu’il était persuadé que la compagnie agréerait cette excuse, et la regarderait comme émanant de l’attachement à ses devoirs, par lequel la vie publique du juge Bedard avait été si constamment distinguée.

M. Bedard, avocat, a remercié de l’honneur fait à son père, et de la manière dont sa santé avait été accueillie.

Après la santé: “A nos amis absents:”

M. Neilson (qui remplissait, avec M. Berthelot, les fonctions de vice-présidens) dit qu’il était entendu qu’il ne serait point porté d’autres santés par le président; qu’il y en avait cependant une qu’il pensait qui ne devait pas être omise,quoiqu’elle ne pût pas être annoncée par le président; c’était celle du monsieur qui s’était si bien acquitté des devoirs de cette place; qu’ils avaient tous éprouvé la plus vive satisfaction de voir parmi eux l’homme vénérable et distingué qui les avaient honorés de sa compagnie; qu’il était venu au secours de Québec, au risque imminent de sa vie et de ses intérêts privés, lorsque cette ville était assiégée par l’ennemi, il y a cinquante ans; qu’il était un du petit nombre des membres survivans du comité des pétitionaires pour l’octroi de la constitution actuelle du pays; qu’il en avait été un des plus fermes et plus habiles défenseurs, dans la Chambre d’Assemblée; qu’il réunissait la génération passée avec la présente: qu’il était consolant de penser qu’il y aurait toujours une succession d’hommes de talent dévoués au service de leurs concitoyens, et qu’il n’y avait personne dont on pût concevoir des espérances plus favorables que de celui qui présidait cette réunion.—Le vice-président a proposé de boire:

“A. M. Vallières de Saint Réal, avec des remercimens pour sa conduite comme président.”

M. Vallières assura la compagnie qu’il serait toujours reconnaissant de l’honneur qu’on lui avait fait de le choisir pour président, et du témoignage d’approbation de sa conduite qu’on lui donnait comme tel.

Mr. Papineau et plusieurs autres messieurs se sont retirés vers dix heures, et ont été suivis, peu de temps après, par le reste de la compagnie, tous étant très satisfaits des jouissances de cette réunion amicale et sociale.

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

Le 2, le Dr. Alexis Demers, de St. Benoît, à Demoiselle Marie Antoinette Allard, de Montréal;

Le 8, à Montréal, Mr. Francisco Rasco, à Dlle. Angélique Zoé Perrault, fille d’Aug. Perrault, Ecr.

Le même jour, aux Trois-Rivières, Mr. Z. Gauvreau, Organiste, à Dlle. Magdeleine Duval;

Le 15, le Dr. C. A. Lusignan, de Montréal, à Dlle. Marie Euphémie Boucher, de Maskinongé;

Le même jour, à Québec, le Dr. W. H. Hall, à Dlle. Marie Anne Anderson;

Le même jour, à Ste. Marie de la Nouvelle Beauce, le Dr. R. A. Fortier, à Dlle. Julie Louise Taschereau;

Le 31, à Montréal, par le Rev. B. Stevens, Philip Hoofstetter, Ecr., à Dlle. Rachel Hays.

Qu’on s’éjouisse, et que chacun s’empresse

De souhaiter à ces nouveaux époux

Bonheur durable et constante allégresse:

Le joug d’Hymen peut-il n être pas doux,

Quand la beauté s’unit à la sagesse?

DÉDÉDÉS:

A Nicolet, le 4, Mr. Basile Cloutier, âgé de 59 ans;

A New-York, le 15, M. Pierre Malou, Prêtre, âgé de 75 ans;

A Kamouraska, Joseph Déguise, Ecr., N. P.

A Montréal, le 22, Christiana, fille du Major-général G. Gordon, et épouse da Captaine Read, de l’état-major royal.

    Ils sont morts, nous mourrons de même;

    C’est l’arrêt de l’Être suprême:

Mais ils ont espéré là-haut de vivre encor:

Espérons-le comme eux, et méprisons la mort.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 5, Octobre, 1827. edited by Michel Bibaud]