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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome 5, Numero 2, Juillet, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 6, 2020

Date last updated: May 6, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome V. JUILLET, 1827. Numero 2.

HISTOIRE DU CANADA.

Cependant M. de la Barre ayant appris que les Iroquois faisaient de grands préparatifs, et avaient envoyé des députés aux sauvages de la Virginie, pour s’assurer qu’ils n’en seraient point attaqués, tandis qu’ils seraient occupés contre les Français, ce général crut qu’il serait moins dangereux et plus facile de prévenir ces barbares, en portant la guerre chez eux, que de les chasser de la colonie, quand ils y auraient une fois mis le pied. Mais comme les secours qu’il avait reçus de France étaient peu de chose, et que ceux qu’on lui faisait espérer ne pouvaient pas arriver sitôt, il fut obligé d’avoir recours aux sauvages alliés de la colonie.

M. de la Durantaye, qui commandait à Michillimakinac, et M. Duluth, son lieutenant, qui était à la Baie, eurent ordre d’avertir les tribus de ces quartiers, qu’Ononthio allait se mettre en campagne, pour détruire les Iroquois; qu’il voulait commencer par les Tsonnonthouans, et qu’il les invitait à se rendre à Niagara, où il se trouverait vers le 15 Août, avec toutes ses forces. La plupart de ces peuples n’étaient guère moins intéressés que les Français à la destruction, ou à l’humiliation des Iroquois, qui semblaient vouloir exercer une espèce de domination sur tout ce continent, et se rendre les seuls maîtres du commerce: néanmoins, en conséquence de mécontentemens causés par la conduite des gens de M. de la Sale à l’égard de quelques uns d’entr’eux, ils montrèrent d’abord beaucoup de répugnance à se joindre aux Français, particulièrement ceux des environs de la Baie. Par bonheur, Nicholas Perrot vint au secours de M. Duluth, et réussit à faire comprendre à ces sauvages, qu’il y allait encore plus de leur intérêt que de celui des Français, d’exterminer une nation qui voulait faire la loi à toutes les autres. M. de la Durantaye se trouva bientôt à la tête de cinq cents guerriers, Hurons, Outaouais, Outagamis, et autres sauvages, et de deux cents Canadiens. Mais autant on avait eu de peine à rassembler ces troupes auxiliaires, autant on en eut à les conduire jusqu’à Niagara. Quelques accidens survenus pendant la route persuadèrent à ces hommes superstitieux, que l’expédition serait malheureuse, et ils furent cent fois sur le point de se débander. Ce fut bien pis encore, quand, arrivés à Niagara, ils n’y trouvèrent ni M. de la Barre ni aucun Français. Ils se plaignirent hautement qu’on ne les avait tirés de leur pays que pour les livrer aux Iroquois. Leurs conducteurs crurent d’abord, et voulurent leur persuader, que ce retardement était dû aux vents contraires qu’il avait fait sur le lac Ontario; mais ayant su bientôt que la paix était faite, il fallut leur communiquer cette nouvelle, et ils avaient tout à appréhender de leur ressentiment. Ils en furent pourtant quittes pour quelques reproches, qui leur furent faits avec un sang-froid plus menaçant peut-être que ne l’auraient été le courroux et l’emportement auxquels ils s’étaient attendus.

“Ce n’est pas la première fois, dirent les chefs, qu’Ononthio se sert de nous comme d’instrumens pour son avantage: nous voyons bien que les Français n’ont en vue que leur intérêt, et non le nôtre, dans toutes ces expéditions. Nous ne serons plus trompés: Ononthio ne nous fera plus sortir de chez nous que quand il nous conviendra de le faire: nous le laisserons vider seul ses différens avec les Iroquois, contre lesquels nous saurons bien nous défendre, si nous en sommes attaqués.”

La Durantaye, Duluth et Perrot n’omirent rien pour les appaiser, et se flattèrent d’y avoir réussi, en leur persuadant qu’ils n’avaient point été oubliés dans le traité de paix; que cette paix était en partie leur ouvrage, puisqu’il n’y avait que la crainte de les avoir sur les bras qui avait pu engager les Iroquois à s’accommoder; et qu’ils devaient se trouver heureux que la guerre se fût terminée sitôt et à si peu de frais. Ils parurent se contenter de ces raisons, et s’en retournèrent chez eux assez tranquillement.

Il s’en fallait pourtant que M. de la Barre eût fait une paix aussi honorable que ces officiers feignaient de le croire. Ce général ayant fait ses préparatifs, envoya le sieur Bourdon au gouverneur de la Nouvelle-York, pour lui proposer de se joindre à lui, ou du moins l’engager à demeurer neutre, et à ne point secourir les Iroquois, pendant qu’il leur ferait la guerre. Il prit encore une précaution propre à assurer le succès de son entreprise; ce fut de diviser les Cantons, pour n’avoir pas à faire à tous en même temps. A cet effet, il envoya des colliers aux Agniers, aux Onneyouths et aux Onnontagués, pour les engager à demeurer neutres entre lui et les Tsonnonthouans, à qui seuls il en voulait. Il fit ensuite partir M. Dutast, capitaine, avec cinquante hommes d’élite, pour porter un grand convoi de vivres et de munitions à Catarocouy, et garder ce poste, M. d’Orvilliers, qui y commandait, ayant eu ordre, dès le commencement du printemps, d’aller reconnaître le pays ennemi, et de marquer l’endroit le plus propre pour le débarquement.

Toutes les dispositions étant faites, l’armée eut ordre de se mettre en marche. Elle était composée de cent trente soldats, de sept cents Canadiens et de deux cents sauvages, la plupart Iroquois du Sault St. Louis et Hurons de Lorette. Elle fut partagée en trois corps: le gouverneur partit de Québec, le 9 Juillet, à la tête du premier, ayant avec lui le baron de Be’kancour, et son frère, le chevalier de Villebon. Il arriva le 21 à Montréal, où les deux autres corps, commandés par MM. d’Orvilliers et Dugué, le joignirent, quelques jours après. Toutes ces troupes s’embarquèrent le 26 ou le 27, et le 1er Août, M. de la Barre apprit par des voies qui ne pouvaient pas être suspectes, que les cantons d’Onnontagué, d’Onneyouth et de Goyogouin avaient obligé celui de Tsonnonthouan à les prendre pour médiateurs entre lui et les Français, et demandaient le sieur Lemoyne, qu’ils connaissaient et estimaient, pour négocier cette importante affaire.

Le général reçut, en même temps, une lettre d’Onnontagué, dans laquelle on lui mandait que la guerre qu’on se disposait à porter chez les Tsonnonthouans, ne leur ferait pas beaucoup de mal, parce que ces sauvages s’étaient mis en lieu de sûreté, avec toutes leurs provisions, et qu’elle aurait l’effet de réunir toute la nation iroquoise contre les Français; mais que si on voulait se contenter d’une satisfaction de la part du canton de Tsonnonthouan, on le trouverait disposé à la donner, les chefs ayant fait dire que si l’on voulait oublier le passé, ils cesseraient toute hostilité, non seulement contre les Français, mais encore contre leurs alliés; qu’au reste, s’ils faisaient ces avances, ce n’était pas qu’ils eussent rien à craindre, puisque le gouverneur de la Nouvelle-York leur avait fait offrir quatre cents cavaliers et autant d’hommes de pied, s’ils voulaient soutenir la guerre.

Si le colonel Dongan s’en était tenu là, M. de la Barre aurait pu se trouver dans un grand embarras, et la colonie française dans un grand danger: mais il voulut faire payer trop cher le secours qu’il offrait, et le prit sur un ton trop haut avec une nation fière, pour qui l’indépendance était le premier des biens. Ce gouverneur avait commencé par faire arborer les armes du duc d’York dans tout le pays des Iroquois; il avait envoyé ensuite défendre aux Cantons, de la part de ce prince, qu’il qualifiait de leur souverain, de traiter avec les Français sans sa participation: enfin il dépêcha à Onnontagué un nommé Arnold, ou Arnaud, comme l’appelle Charlevoix, avec ordre de proposer à ce canton, et par son entremise, aux quatre autres, de profiter du secours qu’il voulait bien leur donner, pour se délivrer, une bonne fois, de la tyrannie des Français.

Cette commission, donnée imprudemment, fut exécutée avec maladresse. Arnaud débuta par parler en maître aux Onnontagués; et voyant qu’il les irritait, au lieu de les persuader, il leur demanda avec aigreur, s’ils ne voulaient pas obéir au gouverneur Dongan, qui représentait le duc d’York, leur souverain légitime? Un des chefs se leva, prit le ciel à témoin de l’injure qui était faite à toute sa nation; et s’adressant à l’orateur anglais, “Apprends,” lui dit-il, d’un ton plein d’indignation et de courroux, “apprends que l’Onnontagué se met entre Ononthio, son père, et le Tsonnonthouan, son frère, pour les empêcher de se battre. J’aurais cru que Corlar, (le gouverneur de la Nouvelle-York,) se mettrait derrière moi, et me crirait: Courage, Onnontagué, ne souffre pas que le père et le fils s’entretuent. Je suis très surpris que son envoyé me tienne un langage tout contraire, et s’oppose à ce que j’arrête le bras de l’un et de l’autre. Arnaud, je ne puis croire que Corlar ait l’esprit aussi mal fait que tes paroles me le donnent à entendre? Ononthio m’honore, en travaillant à la paix, dans ma cabanne: le fils ne déshonorera pas son père. Ecoute ma voix, Corlar: Ononthio m’a adopté pour son fils: il m’a traité et m’a habillé comme tel, à Montréal; nous y avons planté l’arbre de la paix: nous l’avons aussi planté à Onnontagué, où mon père envoie ordinairement ses ambassadeurs, parce que le Tsonnonthouan n’a point d’esprit: ses prédécesseurs en ont usé de même, et chacun s’en est bien trouvé. J’ai deux bras; j’en étends un sur Montréal, pour y appuyer l’arbre de la paix; l’autre sur la tête de Corlar, qui est mon frère. Ononthio est depuis dix ans mon père; Corlar est depuis longtemps mon frère; mais cela parce que je l’ai bien voulu: ni l’un ni l’autre n’est mon maître. Celui qui a fait le monde m’a donné la terre que j’occupe: je suis libre. Je respecte Ononthio et Corlar, mais aucun d’eux n’a droit de me commander; et personne ne doit trouver mauvais que je mette tout en usage pour empêcher que la terre ne soit troublée. Au reste, mon père voulant bien venir à ma porte, en disant qu’il m’accepte pour arbitre entre lui et mon frère, le Tsonnonthouan, je dois aller au-devant de lui, et entendre ses propositions.”

Les députés des trois cantons rencontrèrent M. de la Barre campé sur le bord du lac Ontario, dans une anse, à laquelle l’extrême disette qu’on souffrait depuis quinze jours, fit donner le nom d’Anse de la Famine.

Garakonthié et Oureouati, les deux principaux chefs de la députation, parlèrent avec beaucoup de bon sens et de modération; mais le député Tsonnonthouan fit un discours plein d’arrogance; et sur la proposition qui lui fut faite, de laisser les Illinois en repos, il répondit qu’il ne leur donnerait point de relâche qu’un des deux partis n’eût entièrement détruit l’autre. Toute l’armée fut indignée de cette insolence; mais quelle ne fut pas sa surprise, quand elle vit M. de la Barre se contenter de répliquer à l’arrogant député, que du moins il prît garde qu’en voulant frapper les Illinois, ses coups ne tombassent sur les Français qui demeuraient avec eux. Il le promit; et la paix fut conclue à cette seule condition. Les députes d’Onnontagué se rendirent garans que les Tsonnonthouans répareraient le tort que leurs guerriers avaient fait aux Français qu’ils avaient pillés, en allant faire la guerre aux Illinois; mais on exigea du général que son année décampât dès le lendemain; et il partit lui-même sur le champ, après avoir donné ses ordres pour l’exécution de ce dernier article.

L’état déplorable où se trouvait réduite la petite armée de M. de la Barre, par la disette et les maladies, fut sans doute ce qui l’engagea à conclure la paix à des conditions si peu honorables. Mais soit qu’il y eût de la faute de ce général, ou que l’on fût prévenu contre lui, toute la colonie murmura hautement contre sa conduite; et M. de Meules, en particulier, manda au ministre, que les vivres n’auraient pas manqué à l’armée, si l’on n’eût pas perdu inutilement dix ou douze jours à Montréal, et deux semaines entières à Catarocouy.

On ne s’était point attendu, à la cour de France, que la guerre serait terminée sitôt, et encore moins qu’elle le serait si peu honorablement pour les Français: M. de la Barre était à peine arrivé à Québec, qu’il y reçut un renfort de troupes, qui l’aurait pu mettre en état de donner la loi à ceux de qui il venait de la recevoir. Ces troupes étaient commandées par MM. Desnos et de Montortier, capitaines de vaisseaux, qui, d’après la teneur d’une lettre du roi à M. de la Barre, dont ils étaient porteurs, devaient commander dans les postes les plus avancés et les plus importants de la colonie,d’une manière à peu près indépendante de ce général. Cette lettre était datée du 5 Août 1684.

Cette même année, M. de Callieres, ancien capitaine au régiment de Navarre, et officier de grand mérite, fut nommé Gouverneur de Montréal, en remplacement de M. Perrot, qui s’était brouillé avec MM. du Séminaire de St. Sulpice, et à qui le roi donna le gouvernement de l’Acadie.

Cependant, ni les Français, ni les Iroquois ne comptaient sur la durée de la paix qui venait d’être conclue à l’anse de la Famine; les premiers, parce que leurs ennemis les avaient vus dans une situation qui n’était guère propre à donner une grande idée de leur puissance; les seconds, parce qu’ils avaient appris l’arrivée de nouveaux secours de France, et le mécontentement que le traité de paix avait causé dans la colonie. Les Tsonnonthouans, en particulier, étaient restés chez eux tout l’hiver, sans aller à la chasse, dans la crainte que les Français ne se jettassent sur leur canton, s’ils apprenaient qu’il fût dégarni d’hommes: les cinq cantons avaient renouvellé leur alliance, pour se fortifier contre les Français, en cas de rupture; et avaient obtenu la promesse d’un secours de douze cents Mahingans, et d’un plus grand nombre d’Anglais, avec toutes sortes d’armes et de munitions.

(A continuer.)

MATÉRIAUX pour l’HISTOIRE du CANADA.

DU RÈGNE MILITAIRE.

(Suite et fin.)

La rareté des hommes de loi fut, sans doute, ce qui engagea M. Murray à supprimer la “Cour de Prévôté:” il semble s’y être substitué, en prenant en même temps sur lui les principaux devoirs de l’Intendant, et en s’attribuant la connaissance des affaires qui étaient de la compétence de ce cet officier. C’est au moins ce que nous croyons pouvoir inférer des six premiers articles de l’espèce d’Ordonnance qui crée les tribunaux,—insérée dans la Bibliothèque du mois de Mai, page 229. Ce général n’y parle que de lui en première instance. Ce n’est qu’à l’article 7me. qu’il fait mention du Conseil Militaire, pour dire qu’il lui renverra certaines affaires à juger; ce qui nous porte à croire que ce Conseil était destiné à tenir lieu du Conseil Supérieur, comme le prouve encore la teneur de la seconde pièce du même No. pp. 231 et 232, ou M. Murray dit qu’il a établi une Cour et un Conseil Supérieur, à Québec, pour rendre la justice aux habitans de son Gouvernement. Le stile même et l’énoncé de ce document comportent l’idée de quelque chose de plus grand, de plus noble, et de plus permanent qu’une simple Cour Martiale, que l’on convoque et qu’on dissout d’un jour à l’autre, comme cela se pratiquait à Montréal. Les Conseillers étaient choisis et nommés, pour donner leur voix déliberative dans les affaires à juger, et ils devaient jouir des droits, prééminences, prérogatives et honoraires attachés aux dites charges; ce qui référait évidemment à un ordre de choses déjà connu des gens et du pays auxquels le Gouverneur s’adressait, ou pour lesquels il dictait les nouveaux arrangemens. Voilà donc le “Conseil Supérieur” représenté par le “Conseil Militaire ou de Guerre,” car c’était, pensons-nous, la même chose. En limitant le nombre de ses membres à sept, il complétait le plus haut quorum requis dans l’ancien Conseil: comme là, aussi, un des Conseillers, sur choix du Gouverneur, (qui y fesait probablement le devoir de Président,) devait y agir comme Rapporteur. Un Greffier, qui tenait le régitre tant de la cour du Gouverneur que de celle du Conseil, y inscrivait les jugemens et délivrait aux parties les expéditions signifiées par le Premier Huissier.

Ces dispositions s’adressaient à la ville et aux campagnes; mais à celles-ci il fut jugé expédient de donner de nouvelles facilités, pour éviter les frais qui seraient résultés de l’éloignement, dans les affaires relatives aux clôtures, fossés, chemins, dommages, ou autres cas provisoires; dont la connaissance fut renvoyée au “Commandant de la troupe dans chaque côte,” avec appel néanmoins au “Conseil Militaire,” lorsque la matière en litige serait de nature à le justifier. Tel est le sens de l’article 10me.; au moyen duquel il nous parait que ce Commandant de côte représentait ceux auxquels l’Intendant confiait autrefois le soin de régler les petites affaires, dans les campagnes éloignées.

Il est donc clair que, sous le rapport des tribunaux et des moyens d’obtenir justice, les Canadiens n’eurent raison de regretter l’ancien régime, qu’en autant que les nouveaux juges étaient moins éclairés que les anciens; mais ce mal même ne fut pas laissé sans remède, puisqu’il y eut de nommés deux Procureurs, versés dans les lois du pays et familiers avec la langue que parlaient ses habitans, pour éclairer les juges et les guider dans leurs décisions.

De la procédure instituée par le Général Murray.—Passons à la procédure. Sous l’ancien régime, le mode de procéder était simple et les frais extrêmement modiques. Les plaideurs n’étaient point astreints à employer d’avocats; aucun délai de formes ni de termes n’interrompait le cours des affaires; la décision d’une cause quelconque prenait rarement plus de huit jours.

Il en fut de même sous M. Murray: lorsqu’on voulait instituer un procès, on lui présentait une requête, ou placet, adressé à son Secrétaire; lequel sortait l’ordre d’assignation, pour qu’il fût signifié à la partie adverse par le Premier Huissier, dont le rapport, ainsi que tous les papiers concernant l’affaire, (tant ceux du demandeur que ceux du défendeur) devait être remis au Secrétaire, la veille du jour ou devait se tenir l’audience. Si le demandeur commettait, sous ce rapport, quelque défaut, sa cause était remise à l’audience suivante; une pareille négligence de la part du défendeur n’empêchait pas de procéder et de faire droit, (art. 3 et 4,) soit qu’il fût présent ou absent, qu’il eût fait, ou non, ses défenses. (art. 5.)

De même qu’il ne parait point y avoir eu d’appel des jugemens rendus par l’Intendant, ainsi M. Murray ne semble point en avoir permis, dans les causes qu’il décidait, comme l’indique assez l’art. 7, où il est dit:—“Les jugemens qui seront rendus en notre hôtel, à l’audience, seront exécutés sans appel, et les parties contraintes d’y satisfaire, suivant ce qui sera prononcé.”

Il avait cependant prévu que, dans certaines causes, il pourrait trouver bon de ne point prendre sur lui seul la responsabilité de la décision: dans ces cas, il s’était réservé le droit de les renvoyer devant le “Conseil,” où il voulut qu’on procédât à-peu-près de la même manière qu’on le fesait au “Conseil supérieur,” avant la conquête; suivant que nous l’indique la seconde partie de l’art. 7, qui prononce que “ces affaires seraient remises à un des Conseillers qu’il nommerait lui-même, lequel devrait en faire son rapport au Conseil, pour sur icelui être fait droit.” Au reste, si le Gouverneur Murray n’entre point là-dessus dans de grands détails, c’est qu’il voulait laisser subsister les anciennes formes de procéder que tout le monde connaissait.

Il en fit de même à l’égard des lois qu’on serait obligé de suivre, et qu’il ne désigne qu’en référant au 42me. article de la Capitulation, comme suit: “N’ayant rien tant à cœur que de rendre une bonne et prompte justice aux habitans de notre Gouvernement, nous avons à cet effet établi une Cour et Conseil Supérieur dans la dite Ville de Québec, conformément à l’Article 42e. de la Capitulation générale de cette Colonie,” &c. (Bib. Can. p. 232.) Mais que dit cette clause? Quelles lois désigne-t-elle comme devant être en force après la Capitulation? Disons-le sans crainte d’errer, elle désigne les lois en usage avant la conquête; car voici comment s’y exprime M. de Vaudreuil pour toute la Colonie:—

Art. 42e.—Les Français et Canadiens continueront d’être gouvernés suivant la coutume de Paris et les lois et usages établis pour ce pays;—et ils ne pourront être assujettis à d’autres impôts qu’à ceux qui étaient établis sous la domination française.”

Remarquons ici que la seconde partie de l’article était une demande absurde, pleine d’inconséquence, et qui méritait un refus formel. Elle provoqua les paroles suivantes:—“Répondu par les articles précédens, et particulièrement par le dernier.” Or voici cet article:—

Art. 41e.—Les Français, Canadiens et Acadiens qui resteront dans la Colonie, de quelque état et condition qu’ils soient, ne seront ni ne pourront être forcés à prendre les armes contre sa Majesté Très-Chrétienne, ni ses alliés, directement ni indirectement, dans quelque occasion que ce soit; le Gouvernement Britannique ne pourra exiger d’eux qu’une exacte neutralité.”

Il est difficile d’imaginer que M. de Vaudreuil fût sérieux, lorsqu’il fesait cette demande; on ne voit pas, au moins, sur quels principes du droit public il pouvait en montrer la plausibilité: chaque couronne doit pouvoir commander à ses sujets et exiger d’eux les services que requiert la sûreté commune. Aussi le Général Amherst sut-il le faire sentir à M. de Vaudreuil, en lui répondant fort à propos et avec une grande modération: “Ils deviennent sujets du Roi; c’est-à-dire, qu’ils partageront le sort des autres et qu’ils serviront comme eux, quand le bien de la colonie pourra le requérir.” Cette réponse, si juste et si méritée convenait également bien à la seconde partie du 42e. article, où le gouverneur français faisait une autre demande déplacée. S’appliquerait-elle avec autant de raison à la première moitié de cet article? Qu’on me permette de me déclarer pour la négative, y ayant plusieurs bonnes raisons pour justifier cette interprétation.

En effet, par le 37e. article, il était stipulé—“que les Canadiens conserveraient leurs propriétés;”—or comme, d’après l’opinion des plus savants jurisconsultes, conserver ses propriétés signifie conserver les lois qui les régissent,[1] il s’en suit que l’espèce d’indépendance que comportait la réponse—ils deviennent sujets du Roi, n’était point applicable à la demande des lois, pour signifier qu’on les refusait, mais seulement pour dire qu’on réservait à sa Majesté et à son parlement le droit d’y faire par la suite des changemens, s’ils le trouvaient juste. La réponse convenait encore mieux à l’exemption demandée de servir et de payer les impositions. Et il faut bien que les généraux l’entendissent de même, puisque, quelques jours après, ils s’accordèrent tous à établir des tribunaux et à nommer des officiers, pour l’administration de ces mêmes lois qu’avait demandées M. de Vaudreuil.

Supposerons-nous que M. Murray, qui était présent à la capitulation et qui a dû être consulté sur les réponses à faire à chacun des articles, n’en entendait pas la vraie signification? C’est impossible. Les faits parlent d’une manière trop péremptoire. Les Canadiens devenaient sujets anglais et dans cette qualité, obtenaient des droits à la protection que leur devait le gouvernement: mais quelle sorte de protection eût-ce été que celle qui les eût privés de leurs lois,—les seules qu’ils entendissent, les seules qui fussent adaptées à leurs circonstances et qui pussent leur être de quelque utilité? Sans aucunes notions de la langue anglaise,—n’ayant pas la moindre idée des lois de l’empire,—n’eût-ce pas été au contraire un acte de vraie tyrannie que de les y assujettir? En le faisant, les vainqueurs n’auraient-ils pas prolongé, envenimé même davantage la haine que leur portaient les Canadiens?—Reportons pour un instant notre imagination sur cette époque; représentons-nous la position respective des deux peuples,—également braves, également susceptibles aux impressions du malheur ou de la bonne fortune; l’un le cœur ulcéré, accablé par le poids de son infortune,—l’autre fier et exalté de ses succès, mais la mémoire encore pleine du souvenir des pertes qu’ils lui ont contées. Que de passions en jeu! que de craintes formées! que d’espoirs anticipés! que de conjectures inquiétantes! Ne fallait-il pas la plus grande sagesse et une prudence consommée, pour appaiser tant d’agitations, tranquilliser les esprits, faire naître l’espérance du mieux chez les uns,—restreindre les excès chez les autres? Convenons-en, il fallut aux généraux des vainqueurs une mesure plus qu’ordinaire de prudence et de modération: pour le bonheur de nos ancêtres, pour celui de leurs descendants, il s’en trouvèrent doués; et, loin d’ôter au pays ses lois et ses usages, ils les lui laissèrent dans toute leur force et avec leurs formes et leurs attributs, établissant des tribunaux et nommant des officiers pour les administrer,—comme le démontre l’aveu même des Canadiens dans leur “Requête au Roi” en 1773,[2] et comme le prouve très bien le régitre du Conseil, dans les trois document que nous a communiqués S. R. Car, à part de ce que nous en avons déjà cité, nous y trouvons encore qu’il fut nommé deux Procureurs, l’un pour la “Côte du Sud,”—M. Jacques Belcourt de la Fontaine,—l’autre pour la “Côte du Nord,”—M. Joseph Etienne Cugnet. Comme leurs prédécesseurs dans cet office, ces deux messieurs devaient, dans tous les cas, prendre leurs conclusions, et étaient spécialement chargés de défendre la veuve et l’orphelin, ainsi que de veiller à la conservation des biens des mineurs, des absens et autres personnes pauvres et privées des moyens de faire valoir leurs droits. Leur charge était d’autant plus importante, que sur eux devait rouler toute la besogne, et que de leurs conclusions dépendraient le plus souvent les décisions du Conseil, composé, comme nous l’avons vu, de personnes étrangères aux lois et aux usages du pays. En réalité, ils étaient les juges destinés à conduire et à surveiller l’administration de ces mêmes lois, et non d’aucun autre code.

Par la même raison, on dut aussi placer la charge de Greffier dans les mains d’un Canadien; et M. Jean Claude Panet, qui en fut honoré, devint le dépositaire des minutes, actes et papiers du Gouvernement,—tous écrits en français, comme le furent aussi les assignations des parties et autres procédés des cours de justice: nouvelle marque du respect des vainqueurs pour la langue des habitans et pour tout ce qui avait rapport à leurs habitudes. Résumons.[3]

M. Murray, ainsi que les autres généraux anglais qui avaient assisté à la capitulation, avait sans doute été consulté sur les réponses à faire aux articles dont elle se compose; il savait donc, comme eux, en quel sens il fallait entendre l’article 42me: or, comme en y référant, M. Murray établit des cours et des officiers pour administrer les lois françaises du pays; comme il l’énonce dans le préambule de la commission des deux Procureurs; comme dans la pratique, il y adhéra; il s’ensuit donc, et l’on doit regarder comme vérité constante, que—par la capitulation—le pays avait la promesse de n’être point privé de son code civil.

En vain l’on m’objecterait que les ministres de sa Majesté britannique n’entendaient pas ainsi la capitulation, puisque, dès l’année 1764, ils substituèrent les lois anglaises aux françaises. Je soutiens que ce raisonnement, si c’en est un, ne prouverait rien contre la plausibilité de ma proposition, appuyée, comme elle l’est, sur les faits et sur les autorités que j’ai cités.

Eblouis par l’avantage apparent d’établir un systême uniforme dans toutes leurs colonies, les Ministres et le Roi même purent croire que cette mesure contribuerait à l’avancement du Canada, comme elle leur semblait avoir contribué à celui de leurs vieilles provinces. D’ailleurs, les anciens sujets qui avaient déjà émigré ici, ou qui se proposaient d’y émigrer prochainement, sollicitaient fortement l’adoption de la mesure; il leur paraissait que sans cela il n’y aurait pour eux ni succès, ni contentement dans ces parages lointains, dont plusieurs n’avaient encore qu’une idée imparfaite et confuse: on se rendit donc à leurs vœux, et, en 1764, l’on imposa sur ce trop malheureux pays toute la masse immense des codes civils et criminels de la métropole.

Muse de l’Histoire, tire le rideau sur la surprise extrême où cette nouvelle jeta tous les nouveaux sujets de sa Majesté, déjà revenus de bien des préjugés, déjà portés d’inclination pour un gouvernement qui s’était, pour ainsi dire, nationalisé par quatre années d’une administration qui avait su respecter ce qu’ils avaient de plus cher et de plus précieux,—leur religion, leur langue et leurs lois civiles: dérobe à nos regards les sensations déchirantes qu’éprouvèrent nos ancêtres, lorsque Thémis commença à leur parler un langage inconnu; lorsque ses oracles ne furent plus appuyés que sur des principes et des statuts entièrement ignorés de ceux qu’ils affectaient, sans être complètement connus de ceux qui les rendaient:—répands des ombres sur cette partie affligeante des fastes du Canada, et n’expose à notre vue que les suites consolantes du retour des ministres à la parole de leurs généraux; à ces promesses en vertu desquelles nous devions jouir de nos propriétés et des lois qui les régissaient.—Ce retour, il est vrai, fut un peu tardif; il fallut du temps et de la réflexion, pour persuader ces ministres de l’inconvenance d’une mesure qu’ils avaient adoptée dans la bonne foi de bien faire, malgré qu’elle fût inique en elle-même et désastreuse pour les Canadiens. Telle est la marche de l’esprit; il est prompt pour le mal, lent pour le bien. Mais enfin, les maux que souffrait ce pays étaient trop grands et trop sensibles, pour ne pas être connus au-delà des mers; pour ne pas frapper l’oreille d’un monarque ambitieux d’être appelé le père de ses sujets.

Il avait ici un serviteur fidèle, à qui rien n’échappait, et qui ne lui cachait rien de ce qu’il savait. Amateur de la vérité, ce grand homme mit tout en œuvre pour la connaître, et, lorsqu’il la connut, ce fut toujours pour la faire servir au profit des nouveaux sujets de son maître. Ami des Canadiens, qu’il aimait—parce qu’il s’était appliqué à les connaître, Carleton ne négligea aucune occasion de parler en leur faveur, et de faire valoir ce qu’il considérait comme une chose qui leur appartenait de droit. S’il n’eût pas été sans cesse contredit par les méchants, si les anti-Canadiens d’alors n’eussent pas cherché tous les moyens de le contre-carrer, le pays n’eût pas été dix ans sous la pire des oppressions,—celle qui s’exerce au nom de la justice et par les tribunaux qui la dispensent. Mais, à la fin, les fausses représentations cédèrent à la vérité. Grâce à l’activité et à la constance du vertueux Général, les Ministres furent éclairés; et le Roi, convaincu des désastres qu’avait causés au Canada l’introduction des lois anglaises, fit passer dans les deux branches de son parlement le premier de nos actes constitutionnels, celui de la 14me. année de son règne;—lequel, quoiqu’il ne soit pas sans défaut, est précieux pour nous et généralement honorable à la mémoire de ses auteurs et, en particulier, à celle de l’immortel Gouverneur qui en avait fait le sujet de ses plus instantes sollicitations.


L’opinion de M. Masères, Avocat-général de la province de Québec, depuis 1766 jusqu’à 1769, vient à l’appui de ce que j’ai avancé plus haut. S’adressant au Roi, il dit:—


“On doit considérer les lois de tenure comme déjà accordées par Votre Majesté à vos nouveaux sujets Canadiens, par cet article de la capitulation générale de 1760, où le Général de Votre Majesté leur accorde la jouissance de leurs biens-fonds, tant les nobles que les roturiers, ainsi que par la permission que vous leur avez donnée de continuer de les posséder et d’en jouir, dans le traité définitif de 1763; ces lois étant absolument nécessaires à cette possession et à cette jouissance. De cette description sont les lois relatives aux rentes seigneuriales, aux lods et ventes, au droit de préemption (de retrait,) et à ceux d’aubaine, lesquels forment la principale partie des propriétés seigneuriales.”

Puis, parlant un peu plus bas des lois qui règlent l’hypothèque, il dit:—“qu’il ne les regarde pas comme aussi nécessaires à la jouissance des bien-fonds: cependant il conçoit qu’elles ont beaucoup de rapport avec les lois de tenure, et qu’elles en dépendent assez, pour ne pouvoir pas souffrir de grands changemens, sans diminuer considérablement la valeur de ces mêmes bien-fonds, au moyen des difficultés qui résulteraient, dans la pratique, des nouveaux modes de les transférer qui seraient substitués aux anciens.”—Il dit, “qu’il faut faire revivre ou continuer en force les lois françaises à ce sujet, ne fût-ce que pour empêcher l’introduction des lois anglaises qui y ont rapport.. .. . et cela, parce qu’elles sont remplies de tant de subtilités et de variétés, que, si elles étaient introduites dans cette province, elles en jetteraient tous les habitans, sans même en excepter les avocats anglais, dans un labyrinthe dont il leur serait impossible de savoir comment se tirer.”

Pour les lois qui règlent le douaire, l’héritage des terres et la distribution des biens après la mort, il ne les considérait point comme liées aussi étroitement à la jouissance et à la valeur des propriétés: on ne pouvait donc pas, suivant lui, les regarder comme comprises aussi implicitement que les précédentes dans les articles précités de la capitulation et du traité de paix définitif. Il pensait néanmoins qu’il n’était point encore temps de les changer; et que si on en venait jamais là, il ne faudrait le faire que par degré et lentement,—ayant la précaution d’avertir ceux des habitans qui n’aimeraient pas le résultat de ces changemens, d’y obvier par des testamens qui conserveraient l’ancien ordre de choses.

(Voyez ce Rapport tout au long dans les Quebec Commissions, pp. 50—57, et plus particulièrement les pages 54 et 55, dont ce qui précède est extrait ou traduit.)

Montréal, 4 Juin, 1827.

L.


Voir p. 52 l’opinion de M. Masères.

Voyez leurs paroles dans la Bibliothèque du mois de Mars dernier, p. 149.

Voyez à la suite de cette communication, l’extrait d’une lettre de Québec, qui vient à l’appui des observations judicieuses de notre correspondant L.—(Ed.)

Extrait d’une lettre de Québec, du 10 Juin, 1827,
adressée à notre correspondant S. R.

Je crois, mon cher Monsieur, avoir trouvé la solution du problême qui vous occupe depuis quelque temps.—Sur quelles lois les tribunaux militaires établis en ce pays, après la conquête, ont-ils fondé leurs jugemens?—Sur les lois en force en ce pays, lors de la capitulation. J’ai pour témoins du fait que je vous mentionne les Juges Pierre Panet, Mabane et Dunn, dont le premier a été Greffier d’une de ces cours, et les deux autres avaient vécu avec les juges militaires. Voici comme ces messieurs s’expriment dans un Mémoire adressé à sa Majesté britannique, au sujet de l’administration de la justice en ce pays, signé le 15 Octobre, 1787:—

“Though Canada was conquered by His Majesty’s arms, in the fall 1760, the administration in England did not interfere with the interior government of it, till the year 1763. It remained during that period divided, as formerly, into three districts, under the separate command of military officers, who established in their respective districts, military courts, under different forms, indeed, but in which, according to the policy observed in wise nations towards a conquered people, the laws and usage of Canada were observed in the rules of decision.”[1]

Ce document est d’une grande importance; il décide une question sur laquelle il y avait des doutes. Je l’ai extrait pour vous d’un ouvrage intitulé: Quebec Papers.

Votre Serviteur et Ami,

A Mr. S. R. S. N.

Traduction.—Quoique le Canada ait été conquis par les armes de Sa Majesté, dans l’automne de 1760, l’administration en Angleterre ne s’occupa de son gouvernement interne qu’en l’année 1763. Durant cet intervalle, le pays demeura divisé, comme il l’avait été auparavant, en trois districts (gouvernements,) sous le commandement séparé d’Officiers de l’armée, qui établirent dans leurs différents districts des cours militaires,—sous différentes formes, à la vérité, mais dans lesquelles,—d’après les règles observées par les nations sages à l’égard d’un peuple conquis, les lois et usages du Canada servirent de règles de décision.

MOIS DE JUILLET.

Juillet, à Julio, de Jules-César. Auparavant, on le nommait Quintilis, parce qu’il était le cinquième, l’année commençant par Mars. Jupiter était la divinité tutélaire de ce mois. Ausone l’a caractérisé par un homme nu, dont les membres sont hâlés par le soleil: il a les cheveux roux, liés de tiges et d’épis, et porte des mûres dans un panier. Les modernes l’ont habillé de jaune et couronné d’épis. Le signe du lion désigne l’excès des chaleurs. Une corbeille pleine de fruits indique ceux que ce mois produit. Dans le fond du tableau, un faucheur nous apprend que ce mois donne, avec la nourriture de l’homme, celle des animaux qui le servent.

Cl. Audran en a donné cet emblême: Jupiter, armé de la foudre, est soutenu par son aigle sur un nuage, sous un pavillon, dans un temple surmonté de son égide. Une couronne et deux sceptres en sautoir désignent sa suprême puissance. L’autel et les parfums rappellent les honneurs qu’on lui rendait. Le taureau blanc, à cornes dorées, qu’on voit au-dessous de l’autel, lui était sacrifié. Les cornes d’abondance qui couvrent l’autel, les abeilles et le chêne autour de l’égide, lui étaient consacrés.

EPITRE aux ECOLIERS de NICOLET.

Habitans d’une rive aimable, enchanteresse,

A vos jeunes succès que mon cœur s’intéresse.

Vos modestes talens, trop longtemps méconnus,

Vont triompher enfin des esprits prévenus.

Déjà la renommée embouchant ses trompettes,

A publié partout la pompe de vos fêtes.

Vous avez pris l’essor, et le laurier des arts

S’incline sur vos fronts, attire les regards

Sur l’humble Nicolet, qu’on regardait naguère

Comme un faible arbrisseau qui croît dans la poussière:

Goûtez votre triomphe et vos heureux destins;

De vos jaloux rivaux, bravez les fiers dédains.

 

Mais pourquoi rabaisser vos muses solitaires,

Et les faire passer pour de simples bergères?

Leurs sublimes accords qu’ont redit nos échos,

Ont sur ces bords lointains trahi vos chalumeaux,

On n’a pas voulu croire à votre modestie,

On n’a fait qu’écouter . . . A votre mélodie,

L’oreille a reconnu la lyre d’Apollon

Et de vos nobles chants a retenu le son.

Il la laissa sans doute, à l’ombre de vos hêtres,

Pour relever l’éclat de vos fêtes champêtres.

Et comment en effet, sur de simples pipeaux,

Auriez-vous dignement célébré le héros

Descendu sur vos bords, comme un dieu tutélaire,

Qui quitte l’empirée et se montre à la terre.

Il a donc cru devoir inspirer vos accens,

Guider vos jeunes cœurs, orner vos sentimens.

Et pour mieux assurer encore votre gloire,

Vous frayer le chemin du temple de mémoire,

Lui-même il vous présente au vaillant fils de Mars

Assis sur ses lauriers, au théâtre des arts.

Aussi voyez comment l’illustre Dalhousie

Accueille votre hommage, applaudit à l’envie

De son auguste épouse, aux spectacles pompeux

Que vos habiles mains ont semés sous ses yeux!

Voyez comme paisible, à l’ombre du feuillage,

Il laisse sur sa tête, au loin, gronder l’orage;

Comme il foule à ses pieds, sur un trône de fleurs,

Les serpens de l’envie et l’encens des flatteurs!

Il n’est pas moins jaloux de la modeste gloire

Que vous lui procurez, que lorsque la victoire,

Pour prix de ses exploits, vint sur son front guerrier

Dans les champs de Bordeaux déposer son laurier!

Pourriez-vous donc pour lui déployer trop de zèle;

Fixer, par vos talens, une époque plus belle:

Dans votre souvenir gravez donc à jamais,

Le nom de Dalhousie et ses nobles bienfaits.

Les talents, le savoir, la plus profonde étude,

Perdent tout leur éclat près de l’ingratitude!

 

Mais tandis que ma muse à ces devoirs pressants

Ose solliciter vos cœurs reconnaissants,

Tandis que je m’arrête, enchaîné sur vos traces,

A respirer partout la fraîcheur de vos grâces,

Tantôt, sous vos berceaux de verdure et de fleurs,

Tantôt dans vos jardins peints de mille couleurs,

Quel triste souvenir les couvre de ténèbres,

Et mêle à vos festons ses guirlandes funèbres?

Il n’est plus ce prélat, ce tendre bienfaiteur,

Qui jusques au trépas, vous porta dans son cœur!

Toujours jaloux d’unir, dans votre solitude,

Les roses du plaisir aux succès de l’étude,

De votre seul bonheur il se croyait heureux;

Vous aviez tous ses soins, sa tendresse et ses vœux!

Il n’est plus. . . Votre écho sans doute le répète,

Dans vos âmes bien plus que dans votre retraite.

Du moins consolez-vous, ô mes jeunes amis!

Oui! son ombre erre encore autour de vos lambris,

Aussi joyeusement que dans cet élisée,

Où l’ont mis ses vertus avec sa renommée.

Il contemple encor là le fruit de ses bienfaits;

Il préside à vos jeux, sourit à vos succès,

Voit s’élever sur vous les beaux jours de la gloire,

Et surveille vos pas au temple de mémoire.

S’il ne peut couronner ses travaux glorieux,

Son âme s’en console; il voit combler ses vœux. . . .

La mort, en le frappant, dans son illustre course,

De ses bienfaits pour vous n’a pas tari la source;

Il ne vous laissa pas comme des orphelins,

Sans protecteurs zélés, sans amis, sans soutiens. . . .

Jaloux de conserver, d’augmenter votre lustre,

Voyez, comme déjà, son successeur illustre,

Malgré les ans, malgré le plus pesant fardeau,

De son zèle animé, veille sur le dépôt

Qu’il reçut de ses mains . . . Précieux héritage

Qu’il veut faire valoir, n’onobstant son grand âge.

De sa sollicitude êtes-vous pas témoins?

Et n’éprouvez-vous pas ses faveurs et ses soins!

A l’ombre de son nom, sous un auguste auspice,

Commence à s’élever ce pompeux édifice,

Qui doit perpétuer d’innombrables bienfaits,

Vos aimables travaux, et vos heureux succès.

Ce spectacle a comblé vos longues espérances,

Rempli vos jeunes cœurs de douces jouissances.

Pour immortaliser le jour pur et serein

Qui fixe pour jamais votre aimable destin,

Votre site déjà riche par la nature,

Entre vos mains a vu s’embellir sa parure.

Enchérissant encor sur vos plans les plus beaux,

Déployant une adresse et des talens nouveaux,

D’un nouvel élisée on a vu la structure,

Paré de simples fleurs, d’ombrage et de verdure.

Ce frêle monument ne fut que passager:

Un soufle du zéphyre est venu l’effacer:

Celui qu’un sentiment plus beau, plus agréable,

Elève dans vos cœurs sera bien plus durable!

Plus que l’airain, le marbre, il bravera le temps,

Et vous rappellera vos plus heureux instans!

Vous fixez en ce jour, les yeux de la patrie;

Vous êtes son espoir, sa ressource chérie!

Sous d’habiles mentors, sur des bords enchanteurs,

Vous cultivez les arts, les arts consolateurs;

Loin du bruit, du fracas, des scènes désolantes,

De l’air contagieux des cités opulentes.

Ah! soyez donc toujours, aimables nourissons,

Dociles à leurs soins, soumis à leurs leçons!

Que la vertu chez vous au savoir soit unie,

Marchant de pair ils font l’honneur de la patrie.

Un Ami du Collège de Nicolet.

COLLÈGE de SAINTE-ANNE.

Dans un siècle où l’on dirait que le monde commence à faire comme un effort pour sortir du sommeil de l’ignorance dans laquelle il nous semble avoir croupi si longtemps, les vrais philanthropes, les amis de l’éducation, n’apprendront peut-être pas sans quelque plaisir que, le 4me. du courant, on a jeté les fondemens d’un nouveau collège dans le comté de Cornwallis, à la distance d’environ 25 lieues de la capitale du Canada. Un simple coup d’œil sur la carte topographique du district indique assez la centralité de cette position relativement aux paroisses du nord, telles que la Petite-Rivière, l’Isle-aux-Coudres, les Eboulemens, la Baie St. Paul, et la Mal-Baie, ce qui ne peut qu’ajouter encore à l’intérêt de l’établissement.

La partie de l’édifice à laquelle on se borne pour le présent, se réduit simplement à une aîle, ou premier corps-de-logis, de 48 pieds sur 100 (mesure française,) à trois étages, dont les deux premiers de 11½ pieds de hauteur entre les plafonds: celui d’en-bas sera destiné à la classe lancastrienne élémentaire, ou à toute autre de cette nature, ainsi qu’au réfectoire, à la cuisine, etc.; le second renfermera la classe latine (divisée d’après un nouveau plan), le dortoir, les chambres des maîtres, etc etc.; le troisième de neuf pieds de hauteur, restera disponible suivant les circonstances à venir.

Il est déjà connu que le projet de cet établissements a été, pendant une partie de l’hiver dernier, l’objet d’une lutte généreuse entre les paroisses de la Rivière-Ouelle, de Kamouraska et de Sainte-Anne; mais l’affaire ayant été, comme de raison, référée à Monseigneur l’Évêque de Québec, Sa Grandeur a décidé finalement en faveur, ou plutôt à la charge, de la moindre des trois, comme offrant un local d’une convenance toute particulière; regrettant sans doute de ne pouvoir trouver le même avantage dans aucune des deux autres, et surtout dans celle qui eût été un peu plus centrale, par rapport aux paroisses de la côte. Le site s’en trouve à un arpent de l’église, dans une solitude romantique, entouré d’un bocage, avoisinant une jolie montagne, que les curieux ne visitent pas sans plaisir. En un mot, on n’exagérerait peut-être guères en disant qu’il n’est pas dans tout le Canada un endroit plus salubre, ni plus convenable, à tous égards, aux fins qu’on doit se proposer dans un établissement de cette nature. Les élèves d’une santé délicate y trouveront un double avantage que les parens, des parties les plus éloignées du Canada, sauront apprécier un jour. On commence sur un plan d’éducation presqu’absolument nouveau, et qui probablement sera soumis à l’examen critique de nos concitoyens, puisque nous ne travaillons que pour eux. La religion sera la base invariable de l’éducation, mais on tâchera que son joug ne soit que doux et léger pour les jeunes élèves, et qu’ils n’aient qu’à s’en louer, sans avoir jamais à s’en plaindre, (soit dit, pourtant, sans la moindre intention critique, contre des institutions étendues, et par là même obligées à une plus grande sévérité.)

Le front de l’édifice, élevé sur une double colline complantée d’arbres toujours verts, regarde le beau Saint-Laurent roulant majestueusement ses ondes entre deux rives éloignées, en cet endroit, de 7 à 8 lieues l’une de l’autre, et sous un climat absolument marin.

Modelant nos projets sur nos moyens, nous ne nous proposons d’ici à plusieurs années que de conduire les élèves en seconde ou tout au plus en rhétorique. En adoptant un peu du systême lancastrien à l’étude des langues latine, française et anglaise, ainsi qu’à celle des sciences, on espère abréger un peu le cours ordinaire des premières classes, et surtout d’économiser sur les pensions des professeurs, jusqu’au temps auquel des fonds plus riches et la liberté qu’aura Sa Grandeur Mgr. l’Évêque de Québec d’accomplir ses promesses pécuniaires à notre égard, nous permettront de faire davantage. Nous avons lieu d’espérer aussi que d’ici à cette époque, les autres paroisses du district suivront l’exemple de celle de Saint-Roch et de la Rivière-Ouelle, en établissant des écoles élémentaires capables de fournir au collège des sujets choisis, et qu’enfin notre essai ne sera pas sans quelqu’avantage pour notre patrie et la religion.

Il est cependant impossible de se dissimuler que la paroisse de Sainte-Anne est une des moindres en étendue et en richesses de cette partie de la côte du sud, ne mesurant pas deux lieues de front sur, tout au plus, deux rangs et demi de profondeur, et qu’elle vient de faire encore l’année dernière des dépenses assez considérables. Cette considération ne pouvait-elle pas lui attirer quelque soupçon d’une suffisance déplacée, si elle n’osait, dans une circonstance pareille, se rendre à l’invitation généreuse de ceux qui savent et veulent apprécier ses efforts? Il est vrai qu’on vient de faire, et avec toutes les raisons du monde, un appel au public en faveur du précieux établissement de Nicolet qu’on ne peut trop favoriser; mais le besoin de l’éducation commande aussi dans nos endroits, et s’il est vrai qu’il peut se rencontrer des personnes plus disposées à favoriser tel établissement que tel autre, ceux du bas du district, par exemple, n’auraient-ils pas un intérêt plus raisonnable à préférer celui en question, ou tout au moins à l’encourager, comme devant un jour suppléer pour eux à celui de Nicolet? Nous ajoutons même, que de braves citoyens de Québec nous ont invités à nous adresser à eux, ce qui nous a presque décidés à leur envoyer un des membres de notre comité, dans l’espoir qu’il ne sera pas mal accueilli en une œuvre pour laquelle, vu la libéralité de nos projets, nous ne croyons faire aucune distinction: nous ne nous adresserons pourtant point au clergé, vu qu’il a déjà fait et qu’il fera encore tout ce qu’on peut attendre d’un zèle qui le caractérise d’une manière si particulière; même réserve relativement aux laïques gui ont été si généreux envers Nicolet.

Pour la satisfaction des amis de l’éducation, peut-être leur donnerons-nous un compte détaillé du résultat des souscriptions. La paroisse de Sainte-Anne a déjà souscrit pour le montant de £600 à £700, tant en argent qu’en matériaux. La main-d’œuvre nous en coûtera pour le moins autant, et c’est cependant ainsi que nous ôsons commencer, munis d’ailleurs de l’encouragement pressant de nos supérieurs ecclésiastiques et de ceux de nos amis laïques qui out la bonté d’être envers nous aujourd’hui ce que nous nous proposons d’être un jour envers leurs enfans.

La cérémonie de la bénédiction a été comme suit: une grand’messe du Saint-Esprit, suivie d’une procession sur les fondations du collège, et terminée par le Domine salvum fac regem. Pavillon, étendard, canon, huzza pour le roi et la famille royale, et voilà tout. A cette cérémonie assistaient tous ceux qu’on avait droit d’y attendre, vu surtout l’opposition de quelques paroisses rivales (ce que nous avouons avec d’autant plus de peine, que nous leur avions offert, de la manière la plus sincère, comme aussi la plus généreuse, la cession de nos droits, sans cependant avoir eu de leur part l’honneur d’une réponse analogue à nos offres.) On peut dire enfin avec assez de vérité qu’il y a eu à cette occasion plus de présences que d’absences inattendues. Un monsieur du clergé, qui dans des circonstances gênantes, vient de donner £25 pour Nicolet, en a mis encore autant sur la première pierre, après l’avoir bénite; mais il nous défend de le nommer. Des offrandes laïques de £5, de £10, de £15, de £25, de £30, même des paroisses étrangères, et non de la part des plus riches, ne sont pas très-rares.

Le Président du Comité pour la Bâtisse du Collège.

Sainte-Anne, 9 Juillet, 1827.

GÉNIE INVENTIF.

Nous croyons pouvoir donner sous ce titre l’article suivant, puisqu’il y est question d’une invention, d’une découverte, qui ne peut-être que le fruit du génie. Nous voulons parler de l’instrument, ou mécanisme, inventé par notre compatriote, Mr. Charles Laurier, arpenteur, de Lachenaie, pour mesurer les distances parcourues par les voitures à roues, &c. et par lui appellé Loch terrestre. Cet instrument, que nous avons vu adapté à une calèche, se compose, à l’intérieur, d’un nombre indéfini de roues dentées, et à l’extérieur, d’un même nombre d’indicateurs, ou cadrans, à dix divisions, marquées par les chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs, en leur mettant sous les yeux l’extrait suivant du Prospectus que Mr. Laurier a publié, il y a quelques années, et qui nous est tombé dernièrement sous la main. Ils y verront ce que peut avoir d’utile et d’agréable une invention qui fait honneur, non seulement à son ingénieux auteur, mais encore, suivant nous, au pays qui l’a vu naître.

“Le Loch terrestre indique de lui-même le nombre des efforts qui le font mouvoir, et plus ou moins à proportion du nombre des indicateurs ou cadrans. Par exemple, quatre cadrans nombrent 9999 efforts ou tours de la roue qui fait mouvoir le mécanisme; que se soit la roue d’une voiture, l’arbre ou la meule d’un moulin, &c. Cinq cadrans nombrent 99999 efforts ou tours de la même roue. Dix cadrans nombreraient jusqu’à 9,999,999,999. Il faudrait encore un tour de la roue pour faire une période entière au dixième cadran; mais alors on aurait 0,000,000,000, et l’on croirait qu’il est à son point de départ et qu’il n’a rien compté. Il faudrait un onzième cadran qui compterait 1, c’est-à-dire une dixaine de billion; car onze cadrans nombreraient dix fois autant que dix; douze cadrans, cent fois autant, &c. Ce nombre de 10,000,000,000 de points ou tours d’une roue de voiture, arbre ou meule de moulin, &c. nombrables par dix cadrans, est déjà si grand qu’on a de la peine à le concevoir distinctement; pour avoir une idée plus claire de sa valeur, supposons que ces 10,000,000,000 sont énumérés par les oscillations d’un pendule à secondes; ils désigneront toutes les secondes comprises en 316 ans, 10 mois, 21 jours, 17 heures, 46 minutes, 40 secondes, ni plus ni moins, en prenant 365¼ jours pour l’année, et 30 jours pour chaque mois en sus des années.

“Les secondes d’une année donneraient sur huit cadrans la numération suivante, 31,557,600; celles de dix ans y ajouteraient un 0 à droite, en reculant chaque chiffre d’un rang sur le cadran voisin à gauche; et celles de cent ans y ajouteraient deux 00 à droite, en reculant chaque chiffre sur le deuxième cadran à gauche. Là, le chiffre 3, qui désigne trente millions, se trouverait sur le dixième cadran, et désignerait trois milliards ou billions, et ainsi des autres chiffres, qui se trouveraient multipliés par cent, par leur transposition sur la seconde numération à gauche.

“Trois cents ans multiplieraient les chiffres suivans, 3,155, 760,000, par 3; ce qui ferait 9,467,280,000 secondes contenues en trois cents ans, et nombrables par dix cadrans de l’instrument, et sans erreur quelconque.

“Cet instrument adapté à une voiture roulante décrit tout le chemin qu’elle fait, aussi exactement que le pourrait faire un arpenteur, et même plus exactement en fait de long mesurage: car dans l’arpentage, il est possible qu’on oublie de marquer, ou qu’on marque deux fois pour une. L’instrument dont il s’agit n’est pas sujet à erreur; il ne petit démontrer que les efforts qui le font mouvoir, et il les démontre infailliblement.

“On mesure la longueur des chemins avec des roues de hauteurs ordinaires, en lieues et décimales de lieue, en arpens et perches, en milles et décimales de mille, &c. en donnant aux circonférences des roues les proportions convenables pour chacune de ces mesures, ainsi qu’il suit:

Hauteurs ou diamètres des roues, y compris le bandage, en pieds français et décimales, pour mesurer par les mesures ci-dessus.

1.—Pour mesurer en lieues du Canada de 84}4,8109
arpens, et décimales, il faut que les roues des4,3735
voitures aient de hauteur,4,0090
2.—Pour mesurer en arpens et perches,}4,7727
4,4055
3.—Pour mesurer en milles géographiques de 60 au degré,4,5365
4.—Pour mesurer en milles d’Angleterre de 69½ au degré,3,9164

“Fesant sept hauteurs différentes de roues pour mesurer par des mesures connues.

“On pourrait aussi mesurer avec des roues sans proportions ou dimensions prises préalablement; mais alors il faudrait se servir de règles de trois pour réduire les nombres trouvés en mesures vulgaires, ou de tables faites exprès. Cela n’occasionnerait pas une très grande difficulté; mais il serait plus commode de se servir de l’une des hauteurs données ci-dessus.

“Avec des voitures munies de cet instrument, on mesure la longueur des chemins, en fesant ses affaires ou en se promenant; on voit le train de son cheval, combien on fait par jour, par heure, et par minute, si l’on veut; enfin cela vaut une compagnie pour se désennuyer dans la route.

“Avec de telles voitures, on pourrait presque faire le plan d’une province en se promenant, pourvu qu’on fût muni d’un bon compas. Quand on a une fois observé et pris en notes la longueur, les détours, les fourches, les ponts, en un mot les points remarquables d’un chemin, pour aller à un endroit quelconque, à une ville, un village, ou même une maison, on pourrait y envoyer qui l’on voudrait, même un étranger arrivant d’un pays éloigné, et il s’y rendrait sans avoir besoin de s’arrêter sur la route, ni de demander aucun renseignement.

“Si l’on adapte cet instrument à l’arbre ou la meule d’un moulin, on pourra connaître en tout temps combien cet arbre ou cette meule aura fait de tours depuis un temps donné, quand même il y aurait dix ans, vingt ans, &c. pourvu qu’on ait marqué la numération du départ; de manière qu’avec quelque expérience, un seigneur ou un propriétaire qui n’irait qu’une fois par an à son moulin, pourrait connaître combien il a moulu de minots de grain pendant l’année.

“Les jeunes gens qui se serviraient de voitures munies de cet instrument deviendraient plus habiles dans l’arithmétique, soit parce qu’ils prendraient du goût pour cette science, ou parce qu’ils seraient obligés de suivre quelques unes de ses principales opérations. Ceux qui savent déjà suffisamment l’arithmétique peuvent apprendre à nombrer sur cet instrument eu une demi-heure, une heure, ou deux heures au plus, selon les dispositions naturelles; et ceux qui n’ont aucune connaissance de cette science, prendraient un temps plus ou moins long, mais qui ne pourrait pas excéder un mois.

“Cet instrument sera de longue durée, et ne demandera qu’un entretien d’environ 5 chelins tous les dix ans, plus ou moins, selon que les voitures ou les moulins marcheront plus continuellement.”

Mr. Laurier adapte de la manière suivante le Loch terrestre, ainsi que nous l’avons vu sur la calèche dont il se sert ordinairement. Une boîte (renfermant cinq roues dentées,) est placée à l’endroit du garde-boue, en face de ceux qui sont dans la voiture. Cette boîte a environ trois pouces d’épaisseur, cinq et demi de hauteur, sur le derrière, et 22 de longueur. Le devant de cette boîte est une planche propre de 10 à 12 pouces de hauteur, et de deux pieds et demi à trois pieds de longueur. C’est sur cette planche que sont placés, côte à côte, les cadrans, au nombre de cinq, comme celui des roues qui les font mouvoir. Le premier de ces cadrans, en commençant par la gauche, indique les dixaines de lieue; le second, les unités; le troisième, ou celui du milieu de la boîte, les dixièmes; le quatrième, les centièmes; et le cinquième, ou le premier à droite, les millièmes de lieue. Il en serait de même des milles, soit géographiques, soit d’Angleterre, si le mécanisme était adapté pour ces mesures, et même des arpens et des perches.

La période entière du Loch terrestre, avec cinq cadrans, est donc de 100 lieues, 100 milles, ou 10,000 arpens, seulement: mais il faut remarquer que cette période finie, une autre recommence de suite; de sorte que si l’on voulait parcourir une grande étendue de pays, il ne s’agirait que de compter les périodes pour savoir combien de chemin l’on aurait fait.

En vertu d’un acte de notre parlement, passé dans la session de 1824, Mr. Laurier a obtenu des Lettres-patentes qui lui donnent le droit exclusif de faire et vendre, dans cette province, le mécanisme de son invention, pendant 14 ans, à compter du 31 Octobre 1826, date de ces lettres; et l’on nous dit qu’il se propose d’ouvrir prochainement une souscription, pour pouvoir mettre de suite la main à l’œuvre. Si c’est le cas, nous ne pouvons que lui souhaiter, tant pour son avantage particulier, que pour l’honneur de notre pays, tout le succès qu’il nous paraît mériter.

LA GROTTE DE FINGAL.

De toutes les productions volcaniques que l’on trouve dans l’ancien et dans le nouveau monde, l’île de Staffa, l’une des Hébrides, est la plus singulière et la plus intéressante qui existe. Située à environ six milles au nord-est des îles d’Hyona et de Mull, elle est remarquable par le nombre infini de pilliers basaltiques qui l’enveloppent et la soutiennent de toutes parts. Ces prismes, dont la variété des formes présente la combinaison la plus admirable, sont d’immenses colonnes posées sur leurs bases et surmontées de leur entablement. Tantôt portées par d’énormes rochers, elles paraissent couronner l’île; tantôt elles ornent des corps saillants arrondis; ou de grandes ouvertures carrées, qui ressemblent aux portes d’un palais, et dans lesquelles la mer vient se rompre avec un bruit semblable à celui de coups de canon répétés; tantôt enfin, courbées en un quart de cercle sur la plage, elles représentent la moitié intérieure de la carcasse d’un vaisseau échoué et à demi rongé par les eaux.

Malgré la proximité de cette île de celles de Mull et d’Hyona, et le grand nombre de vaisseaux qui naviguent sur cette mer, elle est restée inconnue aux insulaires qui l’avoisinent, jusqu’à la fin du siècle dernier, que Sir Joseph Banks, dont la curiosité fut excitée par divers rapports qui lui furent faits, se décida à la visiter.

Frappé d’abord de la beauté des prismes qui s’offrirent à ses regards, il chercha à en déterminer la dimension et les formes. Quelques uns, élevés en ligne droite, lui parurent avoir environ cinquante pieds de hauteur, tandis que d’autres, placés dans une direction oblique, lui semblèrent de diverses grandeurs. Quant à leur forme, elle varie: les uns ont deux, trois ou quatre faces; mais le nombre de ceux où l’on en voit cinq ou six est le plus considérable. Sir Joseph en a mesuré un qui en avait sept, et dont le diamètre était de quatre pieds six pouces.

Sur le côté occidental de l’île, il y a une petite baie où l’on débarque ordinairement. C’est dans le voisinage de cette baie qu’on apperçoit le premier groupe de pilliers. Ils sont petits et inclinés. Plus loin, est une petite grotte, au-dessus de laquelle sont d’autres pilliers d’une dimension un peu plus grande, et qui s’inclinent aussi dans toutes les directions. La continuité de ces magnifiques colonnes basaltiques, qui font de Staffa une des merveilles du monde, commence au-delà de cette grotte.

Mais ce qui sera toujours au-dessus de toutes les descriptions qu’on en pourrait faire, c’est la grande grotte de Fingal, que l’on rencontre en cotoyant le bord de l’île. La nature n’offre rien de plus parfait dans ce genre. Les côtés en sont ornés par des colonnes basaltiques décroissantes; et, le long de leurs bases règnent de nombreux degrés, restes d’autres prismes brisés par les flots, et dont le sommet forme une superbe voûte, que des stalactites jaunes semblent décorer de caissons et de rosaces dorées. La mer est le pavé de ce temple auguste, dont l’aspect, tantôt riant, tantôt sévère et terrible, dépend du caprice du plus inconstant des élémens. Tout l’art et tout l’effort des hommes ne sauraient en élever d’aussi majestueux ni d’aussi durables; et, ce qui est plus admirable encore, ils ajouteraient à peine à sa régularité.

Les dimensions de la Grotte de Fingal, prises par le chevalier Banks, sont les suivantes: longueur, 371 pieds; largeur à l’entrée, 53; largeur au fond, 20; hauteur à l’entrée, 117; hauteur au fond, 70; profondeur de l’eau, à l’entrée, 18; au fond, 9.

Extrait des “Merveilles du Monde.”

L’OPINION, LES LETTRES ET LA PHILOSOPHIE,

SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI.

La littérature et la philosophie, après avoir hâté le mouvement ascendant de l’opinion, laissèrent celle-ci, pour ainsi dire, voler de ses propres aîles, et quand elle se fut égarée dans les champs arides de l’incrédulité, la littérature et la philosophie la suivirent, espérant qu’elle leur rendrait, pour prix de cette condescendance, du bruit et de la renommée.. .. .

Sous Louis XIV, les sciences et les lettres produisirent l’admiration; elles polirent les mœurs; elles formèrent l’opinion: elles se laissèrent peut-être trop dominer par le plaisir de plaire au monarque: sous Louis XV, elles sacrifièrent tout pour se rendre agréables à la multitude: Voltaire, qui régnait en souverain dans l’empire des lettres, donna le signal de cette nouvelle servitude. Tout fut sacrifié à un désir immodéré de briller, en flattant les idées dominantes. On aima mieux lancer un sarcasme qu’annoncer une vérité, lorsqu’on savait que le sarcasme faisait rire le lecteur: tandis que la vérité, passant d’abord inapperçue sous ses yeux, ne produisait qu’à la longue son heureux fruit. Cette disposition amena un double résultat: lorsque la philosophie sut se maintenir à la hauteur qui lui est naturelle, elle laissa briller des éclairs de génie; quand, au contraire, elle voulut flatter les passions, elle ne débita que des chimères.

Dès que la philosophie eut choisi un chef, elle devint un parti. Elle commença par être animée de l’esprit de réforme; elle finit par avoir l’esprit de destruction. Elle partit au signal de l’opinion, et bientôt l’opinion se vit entrainée par elle. La société toute entière se trouva infectée d’une certaine morgue philosophique, qui, regardant avec dédain toutes les productions du passé, semblait considérer l’avenir comme sa conquête. La devise du temps était: Tout croire, excepté ce qu’ont cru nos pères. L’esprit public de cette époque se reproduisit tout entier dans ce monument colossal, véritable pyramide intellectuelle, élevée contre le ciel par une philosophie présomptueuse. On dirait, au titre de l’ouvrage, qu’il n’est que la concentration des rayons de l’intelligence humaine dans la recherche de la vérité; mais à peine en a-t-on lu quelques pages, que l’on sent, malgré soi, que le génie des haines et des vengeances a dicté ce prodigieux travail.

La philosophie était alors dans la ferveur de l’adolescence. Elle se livrait avec violence à la déclamation. Voltaire, souvent sublime quand il peignit les passions humaines, ne fut qu’un froid, mais spirituel discoureur, quand il voulut sapper les bases de la morale; son génie se glaçait en passant dans l’atmosphère ténébreuse de l’athéisme. Diderot, qui fonda sa réputation moins sur ses travaux que sur une espèce de complicité philosophique, fut célèbre par son incrédulité: il encensa l’idole du néant. Son style vague et boursouflé était l’image fidèle de ses opinions philosophiques: c’était un transparent léger, au travers duquel on appercevait l’abîme du vide. D’Alembert, après avoir voyagé hardiment sur les sommités des sciences exactes, ne sut pas toujours se garantir des séductions de l’esprit de parti. Il était porté à considérer le résultat de ses opinions en morale et en politique, comme des produits mathématiques: il les défendait avec une opiniâtreté voisine de l’entêtement. Condorcet, avec moins de génie, aprocha davantage, peut-être, de l’impartialité philosophique: il eut été plus propre à trouver cette règle de proportion morale, d’après laquelle on aurait dû faire la part du passé et celte de l’avenir. Un homme plus étonnant parut: élevé dans la solitude, il avait plus profondément senti les beautés de la nature: il reproduisit dans son style toute la poésie de ses premières émotions. Mais, aux charmes de ses souvenirs se mêlèrent les amertumes de sa vie: tous ses ouvrages se ressentirent de cette double disposition de son âme. Il animait la nature sauvage de l’idéale perfection, que peut seule rêver la nature civilisée; et néanmoins il semblait proscrire la civilisation elle-même. Comme tous ses sentimens partaient de son âme, il fut vrai: comme il demeura étranger à la cabale philosophique, l’esprit de parti ne dénatura pas ses pensées; il fut éloquent: aussi produisit-il une impression profonde sur l’état social. Il se laissa entraîner par l’idée dominante de l’époque, l’esprit de réforme; mais il traita cette idée à sa manière. Tandis que la secte philosophique demandait cette réforme avec le sarcasme, Rousseau la sollicitait avec la chaleur persuasive de l’âme; aussi obtint-il davantage et de l’opinion et de la renommée. Il imposa aux esprits toutes ses impressions; il leur fit partager et ses heureuses inspirations et ses fatales erreurs.. .. .

Eu citant les ouvrages et les auteurs qui tourmentaient alors l’opinion dominante, à force de vouloir lui plaire, on ne doit pas omettre l’Histoire Philosophique du Commerce des Européens dans les deux Indes, de l’abbé Raynal. Cet ouvrage manqua son but, pour avoir voulu trop brusquement l’atteindre. Cette remontrance, en cinq ou six volumes, adressée aux rois et aux prêtres, ne parut qu’une savante déclamation: on avait peine à concevoir comment une imagination continuellement morose pouvait être quelquefois si brillante: l’auteur avait l’air d’un homme trop constamment fâché, pour qu’on ne le taxât pas de quelque partialité. D’autres écrivains abusèrent, d’une manière plus déplorable, de l’effervescence des esprits. Le progrès des connaissances en tout genre, le travail continuel du style, avaient donné à la prose un grand éclat: tout devenait séduction pour les lecteurs avides d’idées nouvelles; le charme augmentait encore quand on les trouvait revêtues de couleurs brillantes. Helvétius, dans ses bisarres efforts, employa les spirituelles saillies de la pensée, pour matérialiser la pensée elle-même; il la forçait, en quelque sorte, à se poignarder avec ses propres armes. Il déshérita la vertu de ses espérances: après avoir chassé l’imagination de son propre empire, il voulut lui en interdire à jamais l’entrée. Peut-être Helvétius céda-t-il aux influences de l’époque, qui semblait vouloir, avec une audace présomptueuse, assigner à toutes choses des règles positives: je ne sais si on n’eût pas osé alors mesurer l’infini.

Il parut, à peu près vers le même temps, un ouvrage monstrueux, je veux dire le Systême de la Nature. L’auteur garda l’anonyme: on aurait pu mettre au bas: par le Néant. C’était l’assemblage de tout ce qu’il y a de plus barbare dans l’instinct, de plus froid dans la mort, de plus morne dans l’oubli, paré du vêtement pompeux de la civilisation: on eût dit les grâces qui souriaient sur un cadavre. Cette production fut vantée par les esprits pervers, car elle promettait l’impunité au crime et le néant au remords.

Tels furent les hommes et les ouvrages qui marquèrent d’une manière plus scandaleuse, dans ce mouvement rétrograde de la morale, qui fut un des principaux phénomènes du dix-huitième siècle. On eut dit que le genre humain, comme épouvanté de la hauteur où il était parvenu, avait été frappé tout-à-coup d’un vertige: dans son exaltation, il aspirait à ramper: arrivé sur les frontières de l’infini, il se troubla, et ne crut voir que le vide. Il redescendit découragé sur la terre, et il y proclama le néant.. .. ..

Cette fatale disposition des esprits éleva le double écueil moral et politique contre lequel la fin du dix-huitième siècle vint échouer. Mais l’esprit humain montrait jusque dans ses erreurs une verve et une vigueur inconnues jusqu’alors. Plusieurs auteurs néanmoins s’élevant au-dessus de l’esprit de parti philosophique, indiquèrent d’une manière solennelle l’élévation où l’esprit humain était parvenu. Montesquieu, dans l’Esprit des lois, analysait les causes de toutes les erreurs politiques, et indiquait aux législateurs futurs la route de la vérité et la source des prospérités publiques. Bernardin de St. Pierre, par le charme d’une éloquence mélodieuse, rappellait l’homme civilisé aux sentimens de la nature, en révélant les secrètes harmonies de la création. Barthelemy, prenant le jeune Anacharsis pour l’interprète de sa pensée, faisait connaître aux Français l’élégance poétique des mœurs grecques, et les initiait aux trésors de la savante antiquité. L’éloquent Buffon, en écrivant l’histoire naturelle de l’homme et des animaux, donnait à son style cette solennité majestueuse, qui devenait elle-même une nouvelle merveille, au milieu des merveilles innombrables qu’il avait à raconter. Thomas, Laharpe, Marmontel, cultivaient plus particulièrement la littérature: les deux derniers écrivirent son histoire; et le premier ajoutait à ce commun trésor des siècles les pages éloquentes de ses éloges.

La poésie, suivant elle-même la marche progressive des connaissances humaines, avait acquis cette force et cette couleur pittoresques qui lui manquaient au temps de Louis XIV. Malgré l’envahissement des sciences exactes, elle ne perdit pas le rang suprême qu’elle a droit d’occuper dans le champ de la pensée. Voltaire marqua d’une manière éclatante le passage de la poésie du dix-septième au dix-huitième siècle. Après lui, St. Lambert, et surtout Delille, parèrent la muse poétique de charmes nouveaux, et développèrent en elle des grâces inattendues. Quelques autres poëtes, les uns victimes d’une mort prématurée, les autres froissés par le malheur, purent à peine se montrer un instant à la renommée, et faire briller le premier éclair du génie: tels furent Guimond de la Touche, Dubelloi, l’intéressant Malfilatre, l’infortuné Gilbert. Lemiere fut plein de verve et manqua de goût. Crebillon épouvanta la muse tragique à force de terreur: il la conduisait sans cesse dans les enfers; il la forçait d’habiter avec les ombres; il lui donnait trop souvent pour ornement le deuil et les larmes. Ducis, peut-être moins original, transporta sur notre scène, avec bonheur et avec génie, les beautés du théâtre anglais.

Dans la poésie légère, dans les érotiques inspirations, Parny surpassa tout ce qu’avait produit de plus aimable le siècle de Louis XIV. Dans ses folâtres abandons, sa muse laissa tomber le voile de la décence; elle se noya dans le cynisme de l’impiété. Lebrun fut un moment caressé par la muse pindarique: trop préoccupé par son goût pour l’épigramme, il n’eut pas le temps d’achever sa gloire.

La tragédie et la comédie sont peut-être les deux parties littéraires dans lesquelles le siècle de Louis XIV n’a point encore été égalé.. .. . Cependant, à la fin du dix-huitième siècle, la comédie de mœurs obtint quelques succès sous les auspices de Collin d’Harleville, qui, à force de grâces et d’enjouement, fit oublier ce qui lui manquait du côté de la verve comique. Regnard eut plus de vigueur et de génie. Beaumarchais, observateur malin des situations politiques et sociales, jetta sur la scène ces mouvemens désordonnés de l’esprit humain, au milieu desquels il demandait imprudemment à l’avenir des révolutions et des réformes. Il peignit, en se jouant, les ridicules qui restaient et les ridicules qui commençaient d’éclorre. Ses comédies, où tout se confond, où tout se mêle, exprimaient assez bien le tableau de l’état social de l’époque: c’était l’ambition des grands heurtant les ambitions populaires; des mœurs qui aspiraient à être sérieuses, et qui trahissaient, à chaque instant, leur légèreté nationale.. .. .

La méthaphysique, un peu dédaignée par le grand siècle, faisait de grands progrès: elle s’ouvrait des routes nouvelles, où elle s’égarait quelquefois avec Mallebranche, mais où Condillac, trop sobre d’imagination, la ramenait à des résultats plus positifs.

La critique historique était, pour ainsi dire, une science nouvelle, créée par Mably. Spectateur sévère de l’histoire, il faisait passer les monarchies par son creuset républicain. Enthousiaste admirateur des gouvernemens de la Grèce et de Rome, il écrivait froidement les choses qu’il paraissait concevoir avec ardeur.

Tableau historique des progrès de la civilisation en France.

LE TAILLEUR ET LA FÉE.

CHANSON CHANTÉE PAR DE BERANGER, A SES AMIS, LE JOUR
ANNIVERSAIRE DE SA NAISSANCE, 19 AOUT 1822.

Dans ce Paris plein d’or et de misère,  
En l’an du Christ mil sept cent quatre-vingt,  
Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père,  
Moi, nouveau né, sachez ce qui m’advint.  
Rien ne prédit la gloire d’un Orphée  
A mon berceau, qui n’était pas de fleurs;  
Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs,  
Me trouve un jour dans les bras d’une fée.  
Et cette fée, avec de gais refrains,}bis
Calmait le cri de mes premiers chagrins.  
  
Le bon vieillard lui dit, l’âme inquiète:  
“A cet enfant quel destin est promis?”  
Elle répond: “Vois-le, sous ma baguette,  
Garçon d’auberge, imprimeur et commis.  
Un coup de foudre ajoute à mes présages,[1]  
Ton fils atteint va périr consumé;  
Dieu le regarde, et l’oiseau ranimé  
Vole en chantant braver d’autres orages.”  
Et puis la fée, avec de gais refrains,  
Calmait le cri de mes premiers chagrins.  
  
“Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,  
Eveilleront sa lyre au sein des nuits.  
Au toît du pauvre il répand l’allégresse,  
A l’opulence il sauve des ennuis.  
Mais quel spectacle attriste son langage?  
Tout s’engloutit, et gloire et liberté.  
Comme un pécheur qui rentre épouvanté,  
Il vient au port raconter leur naufrage.”  
Et puis la fée, avec de gais refrains,  
Calmait le cri de mes premiers chagrins.  
  
Le vieux tailleur s’écrie: “Eh! quoi! ma fille  
Ne m’a donné qu’un faiseur de chansons!  
Mieux jour et nuit vaudrait tenir l’aiguille,  
Que faible écho mourir en de vains sons.”  
“Va, dit la fée, à tort tu t’en alarmes;  
De grands talens out de moins beaux succès.  
Ses chants légers seront chers aux Français,  
Et du proscrit adouciront les larmes.”  
Et puis la fée, avec de gais refrains,  
Calmait le cri de mes premiers chagrins.  
  
Amis, hier, j’étais faible et morose,  
L’aimable fée apparaît à mes yeux:  
Ses doigts distraits effeuillaient une rose;  
Elle me dit: “Tu te vois déjà vieux.  
Tel qu’aux déserts parfois brille un mirage,[2]  
Aux cœurs vieillis s’offre un doux souvenir.  
Pour te fêter tes amis vont s’unir;  
Long-temps près d’eux revis dans un autre âge.”  
Et puis la fée, avec ses gais refrains,  
Comme autrefois dissipa mes chagrins.  

L’auteur fut frappé de la foudre dans sa jeunesse.

Les effets fantastiques du mirage trompent les yeux du voyageur jusque dans les sables du désert; il croit voir devant lui des forêts, des lacs, des ruisseaux, etc.

ANECDOTES.

Henri IV traversant, un jour, la galerie de Fontainebleau, vit un laboureur nommé Lafoy, qui, appuyé sur une croisée, regardait attentivement le jardin de l’orangerie. Le roi lui frappa sur l’épaule, en disant: “Que considères-tu là, mon ami?”—“Sire, c’est votre jardin: il est certainement très beau; mais j’en ai un qui vaut encore mieux.”—“Où est ton jardin?”—“Près de Malesherbes.”—Je ne serais pas fâché de le voir. En effet, Henri étant allé, quelques jours après, à Malesherbes, se fit conduire à la ferme de Lafoy, et lui demanda à voir son jardin. Le bon laboureur le mena dans une vaste pièce de bled, qui était de la plus grande beauté. “Ventre-saint-gris, lui dit le roi, tu avais raison; ton jardin est plus beau et meilleur que le mien.” Ce bon prince, pour lui en témoigner sa satisfaction, et pour honorer en sa personne le plus ancien et le premier de tous les arts, lui accorda le privilège de porter un épi d’or attaché à son chapeau. Il existait encore, avant la révolution, dans divers cantons du Gâtinois et de la Brie, plusieurs descendans de ce digne laboureur, qui exerçaient avec honneur la profession de leur ayeul.

Dans sa comédie intitulée: Les fables d’Esope, ou Esope à la ville, Boursault a placé une scène où un paysan et sa femme viennent se plaindre du seigneur de leur village. Voici leur grief:

Les fossés du château sont tous pleins de grenouilles,

Qui par méchanceté lui font un si grand bruit,

Qu’il ne dort pas un brin tant que dure la nuit.

Par un papier qu’il a, griffonné d’un notaire,

Il veut, bon gré, mal gré, que je les faisions taire;

Et faute, jusqu’ici, d’empêcher leur cancan,

Chaque maison du bourg paie un écu par an.

C’est un dogue affamé, qui toujours mord ou ronge.

Empêcher des crapeaux de crier? le pouvons-je?

L’abbé de St. Pierre, qui n’aimait ni Richelieu, ni son pupille couronné, Louis XIII, se plaisait à rapporter une réponse que l’évêque de Belley, Lecamus, fit à ce cardinal. “Que pensez-vous, lui demandait Richelieu, du Prince de Balzac et du Ministre de Silhon? (C’étaient deux ouvrages nouveaux qui venaient de paraître.) Le Prince, répondit l’évêque, ne vaut guères, et le Ministre ne vaut rien.”

Un frère quêteur étant chez une dame qu’il voulait mettre à contribution, parlait presque aussi bien que Seneque sur le mépris des richesses; et pour lui citer un grand exemple, il disait avoir renoncé lui-même à son bien, qui était considérable. “Vous auriez mieux fait,” lui dit-elle, “de renoncer au bien d’autrui.”

Un soldat anglais, prisonnier à Newgate, pour vol et hommicide, voyant passer un de ses camarades dans la rue, l’appella par la grille de sa prison, et lui demanda ce qu’il y avait de nouveau. “On dit que les rebelles remuent en Ecosse,” répondit le passant. “G.. .. .m! que deviendra notre liberté!” s’écria le prisonnier, qui avait en ce moment les fers aux pieds et aux mains.

Une femme de qualité avait besoin d’une femme-de-chambre: il s’en présente une qui désirait fort obtenir la place. Cette dame, après avoir toisé la jeune fille, lui dit: “Vous savez coiffer, j’imagine, mademoiselle?—Oh! oui, madame, très promptement; cela est fait dans une demi-heure.—Dans une demi-heure!” s’écrie la dame, toute effrayée; “et que voulez vous donc que je devienne tout le reste de la matinée?”

Une très jolie femme passant dans la rue, fut lorgnée et suivie par un homme qui lui offrit son bras. “De quel droit, monsieur,” lui dit-elle, “m’offrez-vous votre bras?—C’est, madame, que je vous trouve charmante, et que je vous aime éperdûment.—Ce que vous dites-là est-il bien vrai, monsieur?—On ne peut plus vrai.—Mais, monsieur, ma sœur, qui est beaucoup plus aimable que moi, vient derrière nous; je vous conseille de lui faire plutôt votre cour.” Le galant inconnu retourna sur ses pas, et vit une femme qui était affreuse. Il revient vers la première, et lui dit: “Madame, vous avez trompé ma bonne-foi.—Monsieur, vous ne m’avez pas non plus dit la vérité; car si vous m’eussiez aimée sincèrement, vous n’eussiez pas été regarder cette autre femme.” Le curieux resta confondu.

Un particulier, qui avait été obligé de recourir à une infinité de stratagêmes pour soutenir son crédit, reçut de plusieurs de ses créanciers des lettres d’avis, par lesquelles ils le menaçaient de le poursuivre, s’il ne les payait pas. “Comment, s’écria-t-il furieux, j’ai eu une peine du diable à emprunter de l’argent, et il faut encore que je sois tourmenté pour le rendre!”

“N’est-il pas vrai, disait-on à un Italien enthousiaste du Tasse, que si Dieu voulait faire un poëme épique, il en composerait un comme la Jérusalem délivrée? Se potesse, Signor, se potesse, répondit-il.

“Sais-tu mener en postillon?” disait une dame à un garçon de sa ferme: “Oh! qu’oui, madame, répond le rustaud en ricanant; preuve de ça, c’est que c’est moi qui eus l’honneur de vous verser, l’année passée.”

Un Gascon qui n’avait pas le sou, entre chez un barbier, et se fait raser. Pendant qu’on accommodait sa perruque, il en commande une de prix. “Mais, dit le perruquier, je n’ai pas l’honneur de vous connaître; si je fais cette perruque, puis-je compter que vous viendrez la prendre? Fiez-vous à ma parole, répondit le Gascon; et pour preuve que je reviendrai, je ne vous paie pas cette façon de barbe; nous compterons le tout ensemble.”

Un huissier, nommé Maillard, à qui le président avait dit de faire faire silence, disait, à tout moment, d’une voix fort haute: “Taisez-vous donc! taisez-vous donc!” Lui seul troublait l’audience. Le président lui dit, à la fin: “Huissier, faites taire Maillard.”

La réputation que M. de Bievre s’était acquise dans les calembourgs, était telle, qu’un jour, dinant avec une personne de sa connaissance, et lui disant: “Faites-moi le plaisir de me donner des épinards,” cette personne, après avoir cherché longtemps le double sens de cette demande, finit par dire: “Ma foi, pour celui-là, je ne le comprends pas.”

Maynard, poète français, après avoir quitté la cour, fit mettre sur la porte de son cabinet, cette inscription:

Las d’espérer et de me plaindre,

Des muses, des grands et du sort,

C’est ici que j’attends la mort,

Sans la désirer ni la craindre.

Une dame fort laide voulant se faire peindre, un poète a fait parler ainsi le peintre chargé du portrait:

Empruntant l’art de la peinture,

Sans raison, sans savoir pourquoi,

Tu veux, chez la race future,

Revivre longtemps après toi:

Si je peignais d’après nature,

Tu rougirais de ton portrait;

Si j’embellissais ta figure,

Qui diable te reconnaîtrait?

Autreau, peintre et poëte français, reçut les vers suivants, tandis qu’il travaillait au portrait d’une jolie personne:

Tu peins Thémire, Autreau, mais Thémire est si belle,

Qu’on ne croira jamais que tu n’as qu’imité:

    Plus son portrait sera fidelle,

    Et plus on le croira flatté.

On attribue au comte de Tressan l’épigramme suivante, qui fut faite sur la tragédie de Zulime:

Du temps qui détruit tout, Voltaire est la victime:

Souvenez-vous de lui, mais oubliez Zulime.

Un libraire étranger ayant remis au grand Frédéric un manuscrit qui était une satire contre lui, il en fit appeler un de Postdam, et lui donna ce manuscrit, en lui disant: “Imprime cela, il y a un bon coup à faire.”

Lorsqu’on établit des réverbères sur toute la route qui conduit de Paris à Versailles, un plaisant fit courir les vers suivants:

  Sur le chemin qui conduit à la cour,

  On établit maint et maint réverbère:

    De plus en plus, de jour en jour,

Je vois avec plaisir que mon pays s’éclaire.

Un amateur avait écrit, sur l’exemplaire de la Henriade qui était dans la bibliothèque de Voltaire, ces deux vers:

Enée eut son Virgile, Achille eut son Homère;

Bourbon, non moins heureux, a rencontré Voltaire.

Voltaire effaça le second, et y substitua:

Jeanne, non moins heureuse, a rencontré Voltaire.

Lamotte, par mégarde, marcha sur le pied d’un jeune homme dans une foule; celui-ci lui donna un soufflet: “Monsieur, lui dit Lamotte, vous allez être bien fâché; je suis aveugle.”

AUTRE ANECDOTE CANADIENNE.

L’Anecdote publiée dans le dernier numéro de la Bibliothèque Canadienne, m’en rappelle une autre du même genre, arrivée à peu-près dans le même temps.

Il y a une cinquantaine d’années, Mr. P.. .. .., voyageur, et ensuite commis ou interprète pour la compagnie du Nord-Ouest, se maria à une fille de sa paroisse. Ayant passé quelques mois ensemble, Mr. P.. .. .. quitta son épouse pour faire un voyage aux pays d’en-haut, avec promesse de revenir au bout de l’année. L’année se passe, et l’époux ne revient pas: une autre s’écoule de même, puis une troisième, puis une quatrième, &c. Enfin, il se passe plus de sept ans sans que madame P.. ... . reçoive aucune nouvelle de son mari; ou plutôt, au bout de sept à huit ans, elle entend dire, elle apprend, elle reçoit la nouvelle certaine qu’il est mort depuis longtemps. La voilà veuve, à son compte et à celui de ses parens, amis et connaissances: un parti se présente; et quoique peu sortable, peut-être, elle l’accepte.

Elle avait déjà vécu avec ce nouvel époux, quelques années, lorsqu’au moment qu’elle y pensait le moins, elle apprit que la premier était vivant, et même qu’il allait arriver dans peu de jours à Montréal. Soit qu’elle eût témoigné sa joie, à cette nouvelle, devant son second mari; soit que celui-ci sentît qu’il n’avait pas rendu sa femme aussi heureuse qu’elle aurait pu s’y attendre, il n’attendit pas que le premier fût arrivé, pour lui céder la place, qu’il n’avait occupée que comme par interim. Il laissa celle qui avait été sa femme pendant plusieurs années, mais qui ne lui avait pas donné d’enfans, attendre seule son premier époux, et se remaria, quelque temps après.

Mr. P.. .. .., qui n’avait pas de reproches à faire, n’en reçut pas non plus, quoiqu’il en parût mériter; et les deux époux se remirent et vécurent ensemble, dans le plus parfait accord, jusqu’à la mort de la femme, qui arriva quelques années après.

M.

LE PAUVRE VILLAGE.

Entends, lecteur, si tu veux bien avoir cette complaisance-là, un signalement, d’une espèce nouvelle, à la vérité, mais qui peut pourtant, soit d’une manière, soit d’une autre, avoir son intitulé, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir.

Dans une province étendue de l’Amérique du Nord, à quelques lieues seulement d’une ville considérable, se trouve un village, d’une assez haute antiquité, qui, par sa pauvreté, mérite d’être renommé et signalé entre tous les villages, anciens et nouveaux, de la même province. Ce village, au contraire de ceux de même date et de même étendue de la province en question, n’est le centre de rien; il n’est ni un centre d’activité, ni un centre d’industrie, ni un centre de lumières: il n’est remarquable que par sa pauvreté, et par une pauvreté de plus d’une sorte; pauvreté d’esprit, pauvreté de talens, pauvreté de connaissances, pauvreté de libéralité, &c. Il suffira, pour en juger, de savoir qu’on y voit, entr’autres pauvres gens, un pauvre seigneur, un pauvre curé, un pauvre représentant du peuple, de pauvres notaires, de pauvres marchands, de pauvres.. .. . Mais je dois m’arrêter pour donner la preuve de ce que j’avance, même avant qu’on me la demande. Le seigneur de mon pauvre village, autrefois grand entrepreneur, grand faiseur de dépenses, si je puis m’exprimer ainsi, pour ne pas dire grand dépensier, à l’air aujourd’hui d’un homme insolvable et ruiné, tant il se montre chiche dans les moindres bagatelles; tant il parait envisager avec frayeur une dépense extraordinaire de quelques schelins par an: Mr. le curé, bien différent de la plupart de ses respectables confrères, est exactement l’opposé de la libéralité; il serait bien fâché de contribuer d’un sol à l’encouragement d’une gazette, d’une brochure, ou d’un livre à publier; et cela, sous le prétexte qu’il a tout lu, même, apparemment, ce qui n’a pas encore été écrit; il disait, m’a-t-on rapporté, il n’y a pas encore deux ans, qu’il avait lu dans d’anciens journaux anglais, (quoique je doute fort qu’il entende, ou qu’il entendît anciennement la langue anglaise,) tous les morceaux qui se publiaient dans un journal de son pays, d’une existence récente: le représentant du peuple, n’ayant pas profité d’une année de collège, n’a pu acquérir assez de goût pour la lecture pour croire qu’il lui soit nécessaire d’ouvrir un livre plus de deux fois par an; peut-être par la raison assez simple qu’il n’y entend guères, ou n’y entend rien du tout: le notaire, je veux dire le plus apparent d’entre les notaires, (car il y en a plusieurs,) croit tout savoir, ou avoir tout dans sa bibliothèque, qui en effet, peut bien consister en une cinquantaine de volumes, tant gros que petits: le principal marchand, du moins le plus connu au loin, ne sait ni lire ni écrire, et se sert, pour signer, de la main du maître d’école. On peut juger par ce que sont les principaux habitans du lieu, de ce que doivent être les autres, et si en effet le nom de Pauvre Village ne convient pas parfaitement à l’endroit.

Il y a pourtant quelques exceptions, mais qui tombent presque toutes sur des personnes venues d’ailleurs; car j’ai nouvelle que dans ce village, tout pauvre qu’il est, on reçoit, par souscription, une Gazette de Québec publiée par autorité, une Gazette de Québec, un Spectateur Canadien, une Bibliothèque Canadienne, une Minerve, et un ou deux journaux anglais. C’est, comme on voit, une dépense qui ne va pas à plus de six ou sept louis par an, pour l’instruction politique, littéraire, mercantile et scientifique de six à sept cents personnes. Que ce soit par manque de fonds pécuniaires, manque de savoir, manque de goût pour la lecture et l’instruction, si on ne fait pas davantage, toujours aurai-je raison de donner à l’endroit le nom de Pauvre Village, et de souhaiter qu’aucun de ceux de la province à laquelle il appartient ne lui ressemble.

D. L.

VARIÉTÉS.

L’opinion qui a toujours existé, dit un journal allemand, que la mer Caspienne communique avec le golfe Persique par un canal souterrain, vient d’acquérir une nouvelle preuve par une observation qui la transforme presque en certitude. On a observé dernièrement une si grande diminution dans les eaux de cette mer, que les navires tirant au-delà de 15 pieds d’eau ne peuvent plus y naviguer, tandis qu’anciennement elle admettait des navires tirant 18 pieds d’eau; autrefois elle baignait les murs de Bakir, et maintenant elle en est si éloignée, que les embarcations russes out dû quitter la baie de Bakir, et jeter l’ancre dans le port de l’île Sara. Cette baisse a mis à découvert le sommet, et ensuite les parties basses d’un caravansérail qui a été construit à deux werstes (une demi-lieue) du rivage.

D’après une tradition ancienne, il y avait jadis une route qui longeait le rivage depuis Lankars jusqu’à Salian. Cette route se trouve maintenant sous l’eau; en outre on a découvert plusieurs îles, dont quelques unes ont plusieurs werstes de circonférence; leur sol est dur, et elles ont été, suivant toutes les apparences, habitées par les pêcheurs, comme toutes les autres îles de la mer Caspienne.

Le Cimbres et les Teutons, deux tribus de la Chersonèse du Nord, firent, comme on le sait, une invasion en Italie, l’an de Rome 610, et furent défaits et presqu’entièrement exterminés par Marius, dans le voisinage de Vérone.

Le peu qui échappa à la vengeance des vainqueurs se réfugia dans les montagnes voisines, et y forma une petite colonie qui, soit à cause de son état de pauvreté, soit à cause de sa nullité ou de son isolement, échappa à la connaissance, ou peut-être s’attira le mépris des différents partis qui se sont disputé la possession de l’Italie pendant près de deux mille ans. Maintenant ils forment ensemble environ sept paroisses, et retiennent pour cette raison le nom de Sette-commune. Ils conservent encore la tradition de leur origine, et quoiqu’entourrés d’Italiens de tous les côtés, ils parlent encore la langue teutonique. Le dernier roi de Danemark visitant cette singulière colonie s’entretint avec eux en danois, et trouva que leur langage était parfaitement intelligible.

Le lecteur apprendra sans doute avec plus de satisfaction qu’il existe encore une colonie romaine sur les bords de la Transylvanie, parlant la langue latine presque sans mélange, et qu’elle se glorifie de son illustre origine. Delà vient que lorsque quelqu’un de ses membres s’enrôle au service de l’empire, et que, suivant la coutume, on l’interroge sur son pays et son origine, sa réponse est toujours: “Je suis romain, Romanus sum.”

On remarque dans un tableau que le synode de Saint-Petersbourg vient de publier du nombre et de l’âge des individus du sexe masculin, décédés dans les trente-huit diocèses de l’empire pendant l’année 1825, qu’il y a eu 848 centenaires, dont trente-deux avaient dépassé l’âge de 120 ans; quatre étaient parvenus à celui de 125 à 130, et quatre à celui de 130 à 136.

En conséquence de l’ordre du ministre de la marine, M. Lizovie a fait aujourd’hui (22 Avril) une épreuve des projectiles de son invention, dans le jardin de Tivoli, en présence d’une commission dont le colonel Briche, inspecteur de l’artillerie, était président. Ces projectiles sont au nombre de trois, savoir: un brûlot de 24 lbs. et deux bombes, l’une de 8 lbs. et l’autre de 12 lbs. Le métal de ces projectiles, lorsqu’il est échauffé, devient malléable, et tombe en gouttes. Lorsqu’elle est déchargée, la substance nage sur la surface de l’eau, résiste à son action, et acquiert une nouvelle énergie, en s’y plongeant. Cette expérience promet les résultats les plus satisfesants.

Journal Français.

Char à vapeur.—L’apparence soudaine du char à vapeur, ou voiture se mouvant d’elle-même, nouvellement inventé par Mr. Gurney, a fait une grande sensation, Jeudi dernier, dans les environs du Parc du Régent, où il courut par une partie du nouveau chemin et la montée du chemin d’Albany, sur le pied de dix milles par heure, portant plusieurs personnes dedans et derrière. La voiture semblait se mouvoir avec la plus grande facilité, et ne laissait appercevoir aucune fumée. Le conducteur dirigeait évidemment le char à son gré; et toutes les fois que la foule environnante devenait importune, il partait avec autant de vitesse qu’une diligence.—London Observer.

Mr. T. Potts, qui a accompagné le général Ashley dans tes Montagnes de Roches, fait une description enchanteresse de la Vallée-des-Aunes, où ils avaient leur principal rendez-vous et devaient passer l’hiver. Elle est mieux boisée que la plupart des terrains bas de cette contrée, et en Juillet dernier, il y avait des fruits mûrs en abondance, tandis qu’en quelques autres endroits, les bourgeons et l’herbe ne faisaient que de commencer à se montrer. Cette vallée est entourrée de montagnes qui n’ont pas leurs pareilles pour la beauté et la sublimité des paysages, et dont les sommets sont couverts de neige. Une vallée étroite conduit au pays situé sur les bords du grand Lac-Salé, qui a 400 milles de circonférence, sans aucune communication avec d’autres eaux, et qui est en un endroit si saturé de sel, qu’on le dit incapable d’en dissoudre, si l’on y en jette.

Notre compatriote distingué, Washington Irving, est maintenant à Madrid. Il s’est rendu en cette ville, dans le dessein d’y transcrire et traduire quelques documens relatifs à Colomb: mais trouvant qu’ils n’en méritaient pas la peine, il a commencé un ouvrage original, qui est presque achevé, et qui, sans doute, se fera lire avec beaucoup d’intérêt dans les Etats-Unis.

David Cussick, sauvage de la tribu de Tuscarora, a publié dernièrement, à Lewistown, comté de Niagara, état de New York, un livre intitulé: “Esquisse de l’Histoire ancienne des Six-Nations,” comprenant, 1º. le Récit fabuleux ou traditionel, (tale) de la fondation de la Grande-Ile, maintenant l’Amérique Septentrionale; de la naissance des deux Enfans, et de la création du monde; 2º. l’Histoire réelle de l’établissement de l’Amérique Septentrionale, et de la dispersion de ses premiers habitans; 3º. l’origine des Cinq Nations (ou Cantons iroquois,) leurs guerres, les animaux du pays, &c.—Journal américain.

Monseigneur Fraser, Évêque catholique de la Nouvelle-Ecosse, a été consacré, le 21 du mois dernier, à Antigoniche. Il y avait plus de deux mille personnes présentes. L’évêque consécrateur était Mgr. MacEacharn, de l’île Saint-Jean, assisté des révérends pères Vincent et François, de Tracadie, et de MM. C. Grant, d’Arisaig, et J. Grant, de Guyborough. C’est la première consécration d’un évêque catholique qui ait été faite dans la Nouvelle-Ecosse. Mgr. MacEacharn a laissé Antigoniche le lendemain, pour Pictou et Halifax.

Gazette de Québec.

Le 12 de ce mois, la consécration de l’église de St.-Valentin, près de l’Isle-aux-Noix, bâtie par souscription volontaire, a été faite par M. Robitaille, curé de St.-Charles, assisté de plusieurs prêtres des paroisses voisines, en présence d’un concours très nombreux de spectateurs de différentes communions. Après la cérémonie de la consécration et la grand’messe, un sermon a été prêché en français par M. Robitaille, et un en anglais par M. MacMahon, de St.-Jacques de Montréal, l’un et l’autre bien appropriés à l’occasion.—Courant.

ERRATUM.

Il s’est glissé, ou plutôt, j’ai laissé, par inadvertence, une faute de versification, dans ma Satire contre l’Envie, publiée dans le dernier numéro de la Bibliothèque Canadienne. Cette faute se trouve à la page 21e., ligne 11e., où, au lieu de,

L’envie entre-t-elle donc en des cœurs magnanimes?

il faut lire:

Faut-il que l’envie entre en des cœurs magnanimes?

M. D.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

Space between paragraphs varied greatly. The thought-breaks which have been inserted attempt to agree with the larger paragraph spacing, but it is quite possible that this was simply the methodology used by the typesetter, and that there should be no thought-breaks.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome 5, Numero 2, Juillet, 1827. edited by Michel Bibaud]