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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 6, Mai, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 2, 2020

Date last updated: May 2, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IV. MAI, 1827. Numero 6.

HISTOIRE DU CANADA.

Cependant, le départ de M. Talon et la mort du P. Marquette avaient fait perdre de vue le Mississipi, et M. de Frontenac, occupé de ses différens avec l’évêqne et l’intendant, et du soin de maintenir la paix parmi les sauvages, pour l’intérêt et la sureté de la colonie, ne prenait aucune mesure pour achever la découverte de ce fleuve. Enfin Robert Cavelier de la Sale, de Rouen, qui était passé, depuis quelques années, en Amérique, afin d’y tenter quelque entreprise capable de l’enrichir et de lui faire honneur, comprit que rien n’était plus propre à le faire parvenir à son but, que d’entrer dans les vues de M. Talon sur la découverte du Mississipi et des pays qu’il arrose.

Homme instruit, actif, entreprenant, résolu, persévérant, M. de la Sale possédait la plupart des qualités requises pour l’exécution d’une grande entreprise; mais trop de hauteur dans le caractère, et beaucoup de roideur et de dureté dans l’exercice du pouvoir, l’empêchèrent toujours de réussir complètement, ou sans de grandes difficultés, et furent à la fin la principale cause de ses malheurs. Son premier dessein avait été de chercher par le nord ou l’ouest du Canada, un passage au Japon et à la Chine.[1] Il était venu dans la Nouvelle-France avec ce projet pour toute richesse; mais rien ne le rebuta: il se fit des amis et des protecteurs, et travailla avec un zèle infatigable à acquérir les moyens et les connaissances dont il avait besoin. Il en était là, lorsque le sieur Joliet arriva à Montréal, avec la nouvelle de sa découverte. M. de la Sale eut une conférence avec lui, et ne douta plus que le Mississipi ne se déchargeât dans le golfe du Méxique, et résolut de le reconnaître lui-même jusqu’à son embouchure. Il s’ouvrit de son dessein au comte de Frontenac, dont il avait su gagner les bonnes grâces. Ce général lui promit de l’aider de tout son pouvoir; et par son conseil, il passa en France, afin d’obtenir les fonds et l’autorité nécessaires pour mettre son dessein à exécution. Il fut bien accueilli de M. de Seignelay, qui avait succédé à son père dans le département de la marine; obtint du roi la seigneurie de Catarocouy, à condition qu’il bâtirait le fort en pierres, et reçut des pleins pouvoirs pour continuer les découvertes commencées. Il partit de Larochelle le 14 Juillet 1678, avec une trentaine d’hommes, ouvriers et matelots, et le chevalier de Tonti, fils de l’inventeur de la tontine, qui avait un frère en Amérique, et qui lui avait été recommandé par le prince de Conti.

Arrivé en Canada, la Sale rebâtit le fort de Catarocouy, fit construire une barque pour naviguer sur le lac Ontario, et se rendit dedans à Niagara, où il traça le plan d’un nouveau fort. Cette première barque s’étant brisée, après plusieurs voyages heureux, il en fit construire une plus grande, qu’il appella le Griffon, pour naviguer sur le lac Erié. Cette seconde barque périt bientôt après, dans une tempête, ou selon un autre rapport, fut détruite par les sauvages. Suivant une relation, une troupe d’Outaouais ayant apperçu, un jour, le Griffon dans une anse, ils y accoururent, et sous prétexte de voir une chose nouvelle pour eux, demandèrent la permission d’y entrer. L’ayant obtenue, ils massacrèrent les cinq hommes qui se trouvaient dans le bâtiment, et y mirent ensuite le feu.

Quoiqu’il en soit, ces pertes étaient pour M. de la Sale des malheurs que ne réparaient pas entièrement les courses mercantiles que faisait pour lui, ça et là, le chevalier de Tonti. Un nouveau contre-temps vint encore mettre obstacle au succès de son entreprise. Les Illinois, dont les Français venaient de se faire des alliés, et sur lesquels il comptait le plus pour réussir, furent battus par les Iroquois, presque sous les yeux du chevalier de Tonti qu’il avait envoyé en avant avec quelques hommes. Ces sauvages, à qui de Tonti avait fait des promesses qu’il ne put remplir, firent mauvaise figure aux Français. On ne pouvait d’ailleurs compter sur les Outaouais, et l’on avait tout à appréhender de la part des Iroquois. La Sale se trouvait dans une position très embarrassante; car il n’avait pas à craindre du côté des sauvages seulement, mais encore de ses propres gens, dont il s’était fait détester. Leur haine contre lui se porta à un tel excès, que sur la fin de 1679, ils complottèrent de l’empoisonner. Ils furent découverts, prirent la fuite, et furent remplacés par de jeunes Illinois de bonne volonté.

Cet incident ne lui fit rien perdre de sa hauteur et de sa rudesse, non plus que de sa fermeté et de son courage: loin de renoncer à ses projets, il envoya, en 1680, un nommé Dacan et le P. Hennepin, récollet, pour remonter le Mississipi jusqu’à sa source, s’il était possible. Ces deux voyageurs, partis du fort Crèvecœur, remontèrent le Mississipi jusque vers le 46e. degré de latitude, où ils furent arrêtés par une cataracte à laquelle ils donnèrent le nom de Sault de St. Antoine. Ils tombèrent alors entre les mains des Scioux, qui les retinrent prisonniers, mais ne les maltraitèrent point. Délivrés ensuite par des Français venus du Canada, ils descendirent le Mississipi jusqu’à la mer, et revinrent au fort Crèvecœur, sans qu’il leur fût arrivé rien d’extraordinaire.

De la Salle traça le plan d’un nouveau fort sur la rivière des Illinois, chargea Tonti de le construire, et revint à Catarocouy. A peine de Tonti avait-il commencé l’ouvrage, qu’on lui vint dire que les Français qui avaient été laissés au fort de Crèvecœur s’étaient mutinés. Il s’y rendit en hâte, et n y trouva plus qu’une huitaine d’hommes: les autres étaient partis avec tout ce qu’ils avaient pu emporter.

Peu de temps après, les Iroquois parurent en armes, au nombre de six cents, à la vue des villages des Illinois, et cette irruption ayant augmenté la défiance de ces derniers contre les Français, le chevalier de Tonti se trouva dans un étrange embarras. Il prit le parti de se faire médiateur entre les deux tribus, et il employa avec succès, dans cette négociation, les PP. de la Ribourde et Membré, récollets, qui étaient demeurés avec lui à Crèvecœur. Mais la paix qui se fit alors ne fut pas de longue durée; car les Iroquois, devenus plus fiers par la crainte qu’on paraissait avoir d’eux, recommencèrent bientôt leurs hostilités, et entreprirent de chasser les Français de la rivière des Illinois. De Tonti ne se croyant pas en état de défendre son fort, en sortit le 11 septembre 1680, avec sa garnison, qui ne se composait que de cinq Français et des deux religieux dont nous venons de parler, l’un desquels, (le P. de la Ribourde,) fut tué, dans la retraite, par des Kikâpous, qui le rencontrèrent dans un bois, où il se reposait, pendant qu’on faisait sécher des pelleteries sur le rivage.

M. de la Sale ne fut pas informé de la retraite, et en arrivant à Crèvecœur, dans le printems de 1681, il fut assez surpris de n’y trouver personne. Il mit garnison dans ce fort; acheva celui qui avait été commencé, l’année précédente, et lui donna le nom de St. Louis. Après avoir employé trois mois à lever des hommes, et à faire les autres préparatifs du voyage, il descendit la rivière des Illinois, avec de Tonti, se trouva sur le Mississipi le 2 Février 1682, prit sollennellement possession du pays des Arkansas, chemin faisant, et arriva le 9 Avril, à l’ambouchure du fleuve. Après un court séjour sur les bords de la mer, il remonta le Mississipi, et alla hiverner à la Baie du lac Michigan. Aussitôt que la navigation fut libre, il descendit a Québec, d’où il s’embarqua pour la France.

Cependant, pour reprendre les choses d’un peu plus haut, la Nouvelle-France se voyait, depuis quelque temps, menacée d’une nouvelle guerre de la part des Iroquois. Ses forces semblaient diminuer de jour en jour; car dans le dernier recensement, fait en 1679, la population ne se trouva composée que de 8515 personnes, sans y comprendre le gouvernement de l’Acadie, où il y avait peu de monde. Néanmoins, quoique les Iroquois ne gardassent pas fort exactement les articles de paix dont on était convenu avec eux, ils paraissaient ne vouloir déclarer la guerre aux Français, qu’après avoir pris leurs mesures pour la faire avec avantage.

Plusieurs choses avaient contribué à rendre de nouveau les Iroquois ennemis des Français: le colonel Dungan, gouverneur de la Nouvelle-York pour les Anglais, leur faisait donner des merchandises à beaucoup meilleur marché que ne le pouvaient faire les premiers, et leur ôtait par là le besoin de les ménager et d’avoir avec eux des relations amicales; et il était survenu quelques affaires fâcheuses et propres à aigrir les esprits. Deux Français ayant été tués par des Iroquois, dans les environs du lac Supérieur, le sieur Duluth, entre les mains de qui tombèrent les meurtriers, les fit passer par les armes. Cet acte de justice militaire fut regardé par les sauvages comme un acte de violence insigne et un attentat à leur indépendance. Au mois de Septembre 1681, un chef tsonnonthouan fut tué par un Illinois, à Michilimakinac, chez les Kiskacons, tribu outaouaise, et conséquemment regardée comme alliée des Français. Dès que le comte de Frontenac eût été informé de la chose, il envoya aux Cantons un homme de confiance pour leur persuader de suspendre toute vengeance et toute hostilité, jusqu’à ce qu’il eût eu le temps de leur faire rendre justice; et pour les inviter à lui envoyer à Catarocouy, où il devait se trouver en personne, des députés avec lesquels il pût traiter de cette affaire, et de tous les autres sujets de plainte qu’on pouvait avoir de part et d’autre. Il reçut pour réponse, que s’il voulait leur parler, il devait se rendre jusqu’à l’embouchure de la rivière d’Onnontagué, ou Chouaguen.

C’était la première fois que les Iroquois le prenaient sur ce ton de hauteur avec le gouverneur-général du Canada. Il leur repliqua sur le même ton, et poussa même encore plus loin la fierté; car les Cantons, ou quelques uns d’eux, à la persuasion du P. de Lamberville, missionnaire chez les Onnontagués, ayant enfin consenti à envoyer des députés à Catarocouy, M. de Frontenac leur fit dire qu’il n’irait pas au-delà de Montréal; que si les Iroquois voulaient lui parler, il les y attendrait jusqu’au mois de Juin; mais que, passé ce temps, il retournerait à Québec. Les Iroquois parurent ne pas se rendre d’abord à cette proposition; mais quelque temps après, comme le gouverneur faisait la visite des côtes de Montréal, il rencontra le sieur Laforest, major de Catarocouy, accompagné de cinq sauvages. C’étaient des députés des cinq cantons, qui venaient assurer Ononthio, qu’ils étaient disposés à vivre en paix avec lui et avec ses alliés, à l’exception des Illinois, néanmoins, jusqu’à ce qu’ils eussent fait satisfaction. Le 11 Septembre, le gouverneur donna audience au chef de la députation, nommé Teganissorens, lui fit de beaux présens, et n’oublia rien pour l’engager à faire ses efforts pour empêcher une rupture avec les Illinois. Il le promit; mais il n’avait pas le secret de sa nation, comme nous venons d’en donner la preuve, en parlant de M. de la Sale.

A peine ces premiers députés étaient-ils partis, qu’il en arriva d’autres de la part des Kiskacons, des Hurons de Michilimakinac et des Miamis. M. de Frontenac recommanda fortement aux premiers de donner satisfaction aux Tsonnonthouans. Ils répondirent qu’ils avaient chargé les Hurons de leur présenter des colliers de leur part; mais que ceux-ci, loin de s’acquitter de leur commission, n’avaient cherché qu’à aigrir davantage les Iroquois contre leur tribu. Le gouverneur voulut les engager à faire de nouvelles démarches; mais tout ce qu’il put obtenir d’eux, ce fut la promesse qu’ils demeureraient sur la défensive.

Les choses en étaient là, lorsque M. Lefebvre de la Barre, gouverneur, et M. de Meules, intendant, arrivèrent à Québec, pour remplacer le comte de Frontenac et M. Duchesneau, qui avaient été rappellés tous deux en même temps. Les commissions des deux nouveaux fonctionnaires étaient du mois de Mai, 1682. Dans les instructions dont elles étaient accompagnées, le roi recommandait au premier d’entretenir une parfaite correspondance avec le comte de Blenac, gouverneur-général des îles françaises de l’Amérique, dans la persuasion que ces deux colonies pouvaient tirer de grands avantages de l’échange réciproque de leurs denrées; et au second, de s’étudier à bien vivre avec le gouverneur-général; ajoutant que s’il voyait faire à M. de la Barre, dans l’exercice de sa charge, des choses manifestement contraires au bien du service, il devait se contenter de lui faire ses représentations, en l’avertissant qu’il, serait obligé d’en rendre compte au conseil de sa majesté.

On apprit bientôt que la députation de Teganissorens n’avait eu d’autre motif de la part des Iroquois que d’amuser les Français, et que la guerre était commencée contre les Illinois. M. de la Barre attribua cet événement aux démarches de M. de la Sale, contre lequel il se laissa prévenir, en apparence, à son arrivée en Canada. Dès le Novembre de cette même année 1682, il écrivit au ministre, que l’imprudence de la Sale avait allumé la guerre entre les Iroquois et les Français, et que la colonie pourrait bien-être attaquée avant qu’elle fût en état de se défendre. Il ajoutait que le P. Hennepin, qui venait d’arriver à Québec, pour passer en France, n’avait voulu lui rien communiquer des nouvelles découvertes; qu’il ne les croyait pas importantes; mais qu’il paraissait que la Sale avait de mauvais desseins.

Dans une autre lettre datée du 30 Avril 1683, M. de la Barre dit qu’il est convaincu de la fausseté de tout ce qu’on avait publié des découvertes dont la Sale avait fait part au ministère, par un Père récollet; que ce voyageur était actuellement avec une vingtaine de vagabonds, français et sauvages, au fond de la Baie, où il tranchait du souverain, pillait et rançonnait tous ceux de sa nation, exposait les peuples aux incursions des Iroquois, et couvrait toutes ces violences du prétexte de la permission qu’il avait du roi de faire seul le commerce dans les pays qu’il découvrirait; en quoi il était d’autant moins fondé, que la Baie et ses environs étaient connus et fréquentés des Français, longtems avant son arrivée en Amérique; mais que son privilège expirant le 12 Mai prochain, il faudrait bien qu’il descendît à Québec, où ses créanciers, à qui il était redevable de plus de trente mille écus, l’attendaient avec impatience.

Il y avait sans doute quelque chose de fondé dans ces accusations; mais heureusement pour M. de la Sale, sa cause fut portée devant un tribunal où l’on était prévenu en sa faveur. “Ce n’est pas, dit Charlevoix, que M. de Seignelay le crût tout-à-fait exempt des défauts qu’on lui reprochait; mais jugeant par lui-même de ses talens, il crut devoir les employer,” comme nous le verrons plus bas.

(A continuer.)


Un accident arrivé à M. de la Sale, trois lieues au-dessus de Montréal, où il fut retenu quelque temps, fit donner à l’endroit le nom de La Chine, par dérision de son projet de se rendre dans l’empire de ce nom par le Canada.

ESSAI D’UNE NOUVELLE HISTOIRE ROMAINE.

(Par l’Abbé Barthélémy. Suite et fin.)

Je raconte des choses étranges; j’en rapporterai d’autres qui ébranlent également notre foi. Mais Plutarque l’affermit par deux fortes raisons; la première, tirée de l’ordre éternel des convenances, suivant lequel le colosse prodigieux de la grandeur romaine ne pouvait s’établir que sur des prodiges; la seconde, tirée des jeux de la fortune qui, suivant Pindare, gouverne le monde, et qu’il est inutile d’interroger, puisqu’elle a toujours dédaigné de rendre ses comptes. Je continue. Après la louve et le pivert, arrivèrent auprès du berceau Faustulus et Acca, sa femme.—Faustulus était un homme vertueux, que ses services avaient élevé au rang de premier berger du roi. Acca n’avait pas de grandes vertus; mais elle avait de grandes faiblesses, qui lui valurent beaucoup de douceurs, pendant sa vie, et les honneurs divins, après sa mort. Ces heureux époux se chargèrent de l’enfance des princes, et confièrent ensuite leur éducation à un maître d’école résidant à Gabies, à quatre lieues de distance de leur chaumière.

Ils s’y distinguèrent dans les exercices du corps et dans ceux de l’esprit; et, après y avoir puisé le goût des lettres, de la musique et de la tactique des Grecs, ils revinrent, à l’âge de dix-huit ans, au mont Palatin, pour y garder les troupeaux du roi Amulius.

Tout en eux était imposant, la taille, le maintien, l’éloquence, mais surtout la force et le courage: leurs bras vigoureux portaient des coups mortels aux animaux qu’ils poursuivaient à la chasse, et aux pâtres étrangers qui osaient franchir les limites qui leur étaient assignées.

Faustulus leur apprit enfin le secret de leur naissance; et dès l’instant même, ils rassemblent un grand nombre de gens sans aveu, marchent à la capitale, brisent les fers de leur mère Sylvie, font mourir Amulius, et rendent la couronne à leur grand-père Numitor, qui tenta vainement de les retenir auprès de lui; ils savaient qu’obligés de vivre en mauvaise compagnie, ils ne pouvaient plaire à la cour d’Albe, et qu’une liberté sans licence commençait à déplaire à leurs soldats. Un autre motif hâta leur départ; ils voulaient, à l’exemple des anciens héros, bâtir une ville qui transmît leur nom à la postérité; déjà même Romulus en avait tracé le plan.

Autour du mont Palatin sont six autres collines, qui pouvaient toutes, à leur soumet, recevoir la ville éternelle. Rémus se décida pour le mont Aventin, parce qu’il était de meilleure défense que les autres; Romulus, pour le Palatin, parce qu’il les avait reçus à leur naissançe. Les deux projets furent agités dans l’assemblée générale, et il fut réglé que l’on s’en tiendrait à celui que les dieux indiqueraient eux-mêmes. Rémus apperçut six vautours dans un coin du ciel: Romulus s’écria aussitôt qu’il en voyait douze dans un autre coin. Fallait-il se décider sur la priorité de la découverte, ou sur le nombre des oiseaux? Les esprits s’échauffèrent, on en vint aux mains; Rémus périt dans le combat. On dit que ce fut son frère qui le tua, le pleura et l’enterra.

On acheva aussitôt l’enceinte de Rome. La forme en était aussi carrée que celle de Babylone. Dans le milieu s’élevèrent mille cabanes: celle de Romulus les surpassait toutes en magnificence. Des roseaux, artistement entrelacés, soutenaient le chaume dont elle était couverte. Il avait pour lit de la paille, pour chevet une botte de foin.

Le goût des arts et l’amour de la gloire attira son attention sur les monumens publics. Il conserva une petite chapelle, située au pied du mont Palatin, où les chiens et les mouches n’osaient entrer, depuis qu’Hercule y avait offert un sacrifice. Il bâtit sur le Capitole, en l’honneur de Jupiter, un temple dont la longueur était d’environ quinze pieds, et la hauteur telle qu’il fût possible d’y placer la statue de Jupiter, quoiqu’elle fût en pied et de grandeur naturelle. Enfin, s’étant emparé d’une ville d’Italie, il se trouva, parmi les dépouilles, un char de bronze; il eut l’attention de le consacrer à Vulcain et d’y placer sa propre statue, avec une inscription, qui fut composée en Grec, parce qu’elle devait être lue par des Latins.

L’histoire nous a laissé quelques traits du caractère de ce prince: elle parle en particulier de la noblesse de ses sentimens, de ses vertus, de sa prudence consommée, de son respect pour les dieux, et de sa haine contre toute espèce d’oppression. Voici l’usage qu’il fit de ces belles qualités, quand il voulut augmenter le nombre de ses sujets.

Il ouvrit un asyle où fondirent tout à coup des hordes d’esclaves fugitifs, de débiteurs insolvables et d’assassins avérés. Il les mit au rang des citoyens, et répondit aux plaintes qu’il recevait de toute part, que telle était la volonté d’Apollon.

Mais il voyait sa colonie prête à périr faute de femmes; car les nations voisines refusaient de s’allier avec un tas de brigands dont il était entourré: il trouva le moyen de vaincre leur répugnance, en les invitant à des jeux qu’on devait célébrer à Rome. Des tribus de Sabins s’y rendirent avec leurs familles. Les premiers spectacles excitèrent une admiration générale. Le dernier jour des fêtes, Romulus prescrivit à ses soldats d’enlever les filles de ces étrangers, mais de respecter leurs femmes. Ce serait un beau sujet de prix à proposer que de demander comment, dans ce tumulte épouvantable, les ravisseurs purent exécuter les ordres de leur maître. Cependant ils mirent tant de discernement dans leur choix, que de trente, ou six cents quatre-vingt trois prisonnières, (car les auteurs anciens varient un peu sur le nombre), il ne se trouva qu’une femme mariée: on l’avait enlevée par mégarde, et Romulus l’épousa pour la singularité du fait.

Cette entreprise eut des suites: on fit la guerre, la paix, la guerre une seconde fois; enfin, un traité confondit en un seul peuple les Romains et une partie des Sabins.

Romulus n’avait cessé de s’occuper du gouvernement et des lois. Un jour, ayant rassemblé tous les habitans de Rome, il dit aux uns: Soyez patriciens et protecteurs; il dit aux autres: Soyez plébéiens et protégés; et cela se fit ainsi. Il choisit dans la première classe cent conseillers d’état qui devaient partager avec lui les soins d’une si grande administration; car il commandait à plus de trois mille hommes. Quand un certain nombre de familles sabines se furent établies au Capitole, on nomma cent autres sénateurs.

Des lois qui entretenaient les mœurs et la tranquillité dans Rome, donnèrent une haute idée du législateur; des guerres et des victoires continuelles en offrirent une plus haute du conquérant. Mais Romulus fut trop ébloui de tant de succès: il flatta les plébéiens pour augmenter son pouvoir; et blessa les sénateurs, en cessant de les consulter.

Sa mort fut aussi merveilleuse que sa vie. Pendant qu’il parlait au milieu de l’assemblée générale, il s’élève une tempête dont on ne peut décrire la violence: il partait de tous les points du ciel des tourbillons et des tonnerres effroyables; des torrens d’eau tombaient sur la terre, et la nuit la couvrait de ténèbres épaisses.—Le peuple épouvanté prend la fuite: il revient après l’orage; il voit les patriciens immobiles dans leur place, et n’appercevant point Romulus, il les soupçonne, et bientôt les accuse de l’avoir mis en pièces, et d’en avoir caché les morceaux dans leurs poches. On allait les fouiller, lorsqu’un sénateur nommé Proculus, arriva et tint ce discours, qui ne surprit personne: “En revenant à l’assemblée, j’ai rencontré Romulus couvert d’armes étincelantes comme le feu; je lui ai demandé pourquoi il nous avait si cruellement abandonnés. Voici sa réponse: Je remonte au ciel, d’où je descendis, il y a cinquante-quatre ans. Va dire à l’assemblée que Rome sera la maîtresse de l’univers, et que sous le nom de Quirinus, je ne cesserai de la protéger.”

Le peuple applaudit avec transport, et choisit Quirinus pour son dieu tutélaire.

Je finis par un trait de haute érudition. Les plus habiles critiques n’ont jamais pu découvrir l’origine du mot Quirinus. Je présume que Romulus portait ce nom dans le ciel avant de se montrer aux hommes. Homere cite plus d’une fois la langue des dieux: il en rapporte quelques mots. On doit peut-être y joindre celui de Quirinus. Peut-être aussi faut-il recourir au bas-breton, qui, dit-on, renferme les racines de toutes les langues qu’on a parlées, qu’on parle, et qu’on parlera dans la suite.

ESSAI ANALYTIQUE

Sur le Paradis Perdu de Milton, par MM. M....... et V......

LIVRE ONZIEME.

Cependant la prière du couple infortuné va jusqu’au pied du trône du Très-haut, par l’entremise de son fils. Il intercède et promet de nouveau de se sacrifier pour eux. Dieu consent à tout. A l’instant la trompette sonne, (Milton prétend que c’est la même qui a sonné sur le Sinaï, et qui sonnera à la fin du monde,) et les chants d’allégresse retentissent dans le ciel. Dieu ordonne solennellement à Michel d’aller, avec l’élite des chérubins, signifier aux premiers humains la sentence divine qu’il a prononcée contre eux, et d’en commencer l’infliction. Michel, le glaive en main, après avoir rangé les anges en cohorte militaire, part et se rend avec eux dans Eden. Adam, qui venait de s’éveiller, s’adresse à Eve: il lui parle de la gratitude qu’ils doivent avoir pour Dieu, dont la bonté leur laisse des moyens pour revenir à leur premier état.—Il lui rappelle cette partie de la sentence qui condamne le serpent à avoir la tête écrasée par la femme. Enfin, il conclut par ces sublimes paroles:

Whence hail to thee,

Eve, rightly call’d, mother of all mankind,

Mother of all things living, since by thee

Man is to live, and all things live for man.

Eve fait une réponse pleine de tristesse sur leur vie à venir.—Elle espère pourtant que Dieu les laissera demeurer dans le Paradis terrestre. Elle est consternée à la vue des combats sanglants que se livrent les animaux, ainsi que d’une tempête qui a lieu pour la première fois. Son époux fait de mornes réflexions sur la mort qu’ils doivent subir. En conversant, ils apperçoivent dans le firmament une lumière qui leur fait présager que ce sont des messagers divins. Les anges arrivent, et font halte sur la montagne d’Eden, et bientôt le paradis terrestre est investi. Suit la description de Michel:

Over his lucid arms

A military vest of purplef flow’d

Livelier than melibœan, or the grain

Of Sarra, worn by kings and heroes old,

In time of truce, &c.

Le guerrier séraphique vient avec dignité prononcer finalement sur la destinée des mortels. Adam le salue profondément, mais son inclination respectueuse est reçue avec hauteur. Il ordonne à Adam et à Eve de sortir du paradis terrestre, où ils ont eu tant de félicité, et leur répète l’arrêt de mort. Eve éclate en regrets, en entendant le discours du ministre de Dieu, et elle est reprimandée de ses plaintes inutiles. Adam parle à Michel, lui confie ses inquiétudes sur la manière dont il adorera Dieu. L’ange le rassure, et lui fait voir par la vertu d’une préparation pharmaceutique, l’histoire future du monde. La vision a lieu sur une montagne, où le poëte fait une dissertation sur l’histoire et la géographie ancienne et moderne. Le topique ou collyre faisant effet, Adam est pénétré d’effroi, en voyant les maux futurs; mais la vision se prolongeant, lui présente des images plus gaies: ce sont les arts qu’il voit naître et mis en œuvres; ce sont les divertissemens de jeunes personnes de différent sexe. Adam voit encore des scènes que Milton se plaît à décrire, des armées qui en viennent aux mains, des sièges, des béliers qui battent des murailles, des héros en pourparlers. Le père des hommes gémit à cet aspect: il voit aussi des ivrognes qui fêtent, se querellent et se battent, qui forment des assemblées tumultueuses, et se livrent au jeu, à la fornication et à tous les vices, en pleine liberté. Un vieillard les vient gourmander: n’étant point écouté, il les laisse pour aller bâtir une arche, dans laquelle il entre avec sa famille et une couple de chaque espèce d’animaux: alors le déluge commence. Adam est pétrifié et tremblant; il se plaint de ce qu’on ne l’a pas laissé dans l’ignorance de l’avenir. L’archange, après lui avoir parlé de la perversité future des hommes, lui fait contempler la fin du déluge, et l’arche se reposant sur l’Athos. Alors il se réjouit, en prévoyant que sa race ne sera pas éteinte. Le fils de la lumière confirme ses espérances, et lui montre l’arc-en-ciel, qui sera le signe de l’alliance entre Dieu et l’homme. Finalement, il prédit la manière dont le monde périra, et sera régénéré par le feu, à la fin des siècles.

LIVRE DOUZIEME ET DERNIER.

L’ange recommence à présenter à Adam les tableaux de l’histoire du monde en récit. Après le déluge, le premier roi paraît sur la scène: il force les humains à se courber sous son pouvoir, et entreprend de bâtir une tour pour rivaliser la gloire du créateur. Mais ses desseins et ses espérances sont frustrés; car les différentes langues que Dieu met parmi les hommes, font qu’ils ne peuvent plus se communiquer leurs pensées les uns aux autres; de sorte qu’ils sont forcés d’abandonner leur entreprise, par la confusion des langages, et ils nomment cette tour Confusion, en mémoire de l’évènement. (Ici, le père des humains s’indigne de ce qu’on ravit la liberté à ses enfans.) L’ange continue son récit, qui n’est dans le fond qu’un abrégé de l’histoire sacrée, assez connu de la plupart des lecteurs.

Adam est frappé de ce que lui a dit l’ange: il se récrie sur la bonté de Dieu; parle du petit nombre des élus, et témoigne la crainte qu’il a que ses enfans ne manquent de guide pour les diriger dans la voie de Dieu. L’ange dissipe ses inquiétudes, en l’informant des grâces et des moyens que Dieu leur donnera. Le père des hommes, après avoir adressé quelques mots à l’envoyé céleste, fait une prière à l’Eternel. Il est affermi dans sa résolution d’être fidèle à son créateur: il lui est ordonné d’aller éveiller son épouse, qui était endormie pendant leur entretien: enfin il reçoit une douce exhortation à la constance. Ils descendent tous deux au bas de la montagne. Dès l’abord d’Adam, son épouse se réveille, et lui adresse la parole. Mais aussitôt, le commandant des bataillons séraphiques les prend par la main, et les emmène vers la porte d’orient. Les malheureux époux sortent, en pleurant, du jardin qui fut le berceau de leur naissance, et ils s’en vont commencer cette carrière malheureuse qui leur fera toujours regretter les jouissances du paradis terrestre.

MOIS DE MAY.

May, à majoribus des anciens. Nom donné par Romulus à ce mois, en mémoire de la division du peuple en vieillards et en jeunes gens; ou, suivant Ausone, de Maia, fille d’Atlas. Ce mois avait Apollon pour divinité tutélaire. Les Romains le peignaient comme un homme entre deux âges, vêtu d’une robe large et à grandes manches, tenant d’une main une corbeille pleine de fleurs, et de l’autre une fleur qu’il porte au nez. Quelquefois on plaçait à ses côtés un paon, image naturelle de la variété des fleurs dont s’émaille, en ce mois, la robe de l’année. Les modernes lui ont donné un habillement vert et fleuri, une guirlande de fleurs, un rameau verdoyant dans une main, et dans l’autre, le signe des gémeaux entourré de roses; emblême, suivant quelques uns, de l’action du soleil, dont la force est doublée. Tous les accessoires annoncent les effets de l’amour. Cl. Audran l’a symbolisé, en représentant Apollon sous un berceau de cyprès, entourré de lauriers, couronné du trépied et du serpent Python: à côté, sont la lyre du dieu et la flûte de Marsyas. Des couronnes et des trophées d’instrumens annoncent le dieu de la poésie et de la musique. Au-dessus du berceau sont les deux corbeaux, l’un blanc et l’autre noir, consacrés au dieu du jour et de la nuit.

ÉDUCATION.

Extrait d’un manuscrit de la Bibliothèque royale de Paris.

Gaston, fils de Henry IV, et frère de Louis XIII, abhorrait l’étude, et montrait, dès son enfance, un penchant déterminé pour la guerre, sans avoir ni courage, ni énergie, ni aucune des qualités qui font les grands capitaines. Son précepteur profita de ces goûts pour le faire étudier. La particule on devint un régiment; le que retranché, une citadelle; le nom, une brigade; le verbe, une division. Le capitaine volo fut mis à la tête de tous les verbes anomaux, qui sont les volontaires de l’art grammatical. Les verbes déguisés, qui feignent d’être actifs, et qui sont en effet passifs, furent représentés par de perfides armées d’observation, qui attendent l’évènement pour se décider. Le régime des adverbes se formait de plusieurs compagnies; de celle des gens de pied, qui marquent les adverbes communs; de celle des cavaliers, qui dénotent les adverbes de qualité. Le pays des conjonctions fut une campagne charmante, peuplée d’hommes et de femmes, de guerriers, de paysans, d’ouvriers, d’objets utiles, applicables à toutes les espèces de constructions.

Il est inutile de détailler les sanglants combats des verbes hétéroclites et défectifs; les trompettes et les timballes des gérondifs; la légion des genres; la flotte chargée de cas et de nombres; la province du participe; l’empire des interjections; la multitude des morts, des fuyards, des vainqueurs, &c.

Chaque thême était pour Gaston un champ de bataille: c’était Arbelle, Pharsale, Tolbiac, Coutras; et il ne faisait son thême qu’après qu’on lui avait persuadé qu’il était tour à tour Alexandre, César, Clovis, Henry IV.

“Quelles plaisantes leçons on vous donne là! dit le vieux duc d’Épernon au jeune prince. Par Saint Denys l’aréopagite, ce n’est pas ainsi qu’on a élevé Henry IV, votre brave père, ni moi-même. Il lisait les Commentaires de César, et moi Titus-Livius. Rois et gentilhommes, nous sommes de la même pâte que les autres; nous n’avons pas la science infuse comme Adam. Pour n’être pas sots, il faut que nous ayons de la peine, tout ainsi que les fils des bourgeois qu’on envoie aux études. Je me r’aventure que le bonhomme Amyot disait que l’empereur Theodore voulait que le précepteur de ses enfans fût assis devant eux; et vous, monseigneur, vous voila dans un bon fauteuil à bras, devant ces messieurs qui vous craignent, et qui, pour bien faire, devraient vous inspirer du respect! Vraiment, c’est le monde renversé...... Messieurs les instituteurs, certes, je vous en veux plus qu’à cet enfant. Dites-moi, je vous prie, qu’avons-nous besoin de telles leçons? Ne voyez-vous pas qu’en familiarisant ce fils avec les illustres, c’est lui faire croire qu’il les imitera sans peine? Oh! la chose n’est pas si aisée! Pourquoi son père est-il devenu si grand? C’est qu’il fut élevé fort durement, et qu’on le forçait de grimper, pieds nus, comme un daim, les rochers de Pyrennées. Mes amis, donnez bien du mal à monseigneur; c’est le seul moyen d’en faire quelque chose: on n’a rien dans ce bas monde, à moins qu’on ne l’achète. C’est moi qui vous le dis; je le sais bien, et ne suis pas devenu si grand seigneur en demeurant les bras croisés. Laissez moi donc ces leçons, et élevez monseigneur comme son père ...”

Réflexions sur les avantages que doivent attendre ceux qui dans leur
jeunesse profitent de l’éducation qu’on leur donne.

L’Éducation, disais-je à Caroline (qui est le seul enfant que je possède) est un trésor inappréciable; c’est par l’éducation qu’on s’affermit dans la vertu et qu’on se conduit à pas de géant dans le sentier de la gloire et du bonheur; c’est par elle enfin, ma fille, que vous vous éleverez dans le monde, et que dans un âge plus mûr, vous serez capable de discerner les dangers auxquels malheureusement votre sexe se trouve trop fréquemment exposé, par la perversité des personnes avec lesquelles il s’associe. Si vous profitez des leçons sages et instructives qu’on s’efforcera de graver profondément dans votre âme, qui naturellement est formée pour la tendresse; si votre cœur, quoique jeune encore, se laisse toucher par la voix paternelle, qui journellement vous sollicite avec instance de mettre à profit tous les momens destinés à votre éducation, vous posséderez un jour, mon enfant, ce trésor incomparablement au-dessus des fortunes les plus brillantes. Quoique vous ne soyez que dans votre dixième année, la nature ayant bien voulu vous prodiguer généreusement ses dons par une intelligence et des dispositions générales qui sont infiniment supérieures aux connaissances ordinaires à votre âge, ces raisons me font, sans hésiter, converser avec vous comme avec une amie intime, et qui peut apprécier tout ce que vaut une bonne et véritable éducation; c’est le plus bel héritage que je puisse et que je souhaite vous laisser, et vraisemblablement, si je n’ai pu (rendu à l’âge où je suis) vous amasser de l’or, ce sera le seul bien que vous recevrez de mes soins assidus, lorsqu’il plaira à la faulx meurtrière (qui moissonne à tout âge et en tout tems) de mettre fin à mon existence. Veuille la Providence, mon enfant, en qui j’espère, vous préserver de ce malheur, jusqu’au moment où vous pourrez vous passer de moi. Profitez donc, ma chère Caroline, de ce moment où il est en mon pouvoir de vous procurer ce bien-être et au votre de l’acquérir.

Voilà quel était l’entretien que j’avais avec elle, quand l’idée me vint de faire part au public de ces réflexions sur un sujet aussi intéressant et duquel la jeunesse en général pourrait puiser des leçons sages et utiles. Si les hommes, me disais-je, dès leur enfance, travaillaient soigneusement à posséder ce précieux trésor, ils n’aurait point à rougir de la conduite qu’ils tiennent souvent dans la société, et des maux qu’ils occasionnent, faute d’avoir la bonne et véritable éducation. Audacieux et sans principes, ils ne veulent pas distinguer l’extrême différence qu’il y a entre la bonne et la mauvaise éducation; ce qui fait qu’ils abusent toujours de la supériorité que la loi divine et naturelle leur a accordée sur un sexe charmant, et dont la faiblesse a besoin de protecteurs et d’appuis. Si les jeunes gens voulaient bien se persuader de cette vérité si essentielle à tout homme d’honneur, ils retireraient pour fruit d’une bonne éducation, les avantages flatteurs d’être dans le cours de leur vie de tendres époux, de bons pères de famille, de véritables amis, de vertueux modèles de religion, et de fidèles sujets pour leur roi et leur patrie: enfin ils se prépareraient des ressources certaines contre les adversités auxquelles ils sont tous assujétis sur cette terre ingrate, et seraient respectés et chéris.—Et vous, aimables enfans de l’amour, vous qui êtes asservies par des lois trop sevères, à plier comme le faible roseau au gré des vents, aux caprices bizarres d’hommes impérieux et injustes, c’est vous, qui dès votre tendre enfance, devez avec un soin infatigable, profiter des moyens qui vous sont offerts pour acquérir cette véritable éducation, qui vous affermissant dans le sentier de la vertu, deviendra un rampart impraticable contre la malignité de ceux qui auraient des desseins fins et trompeurs; vous trouverez dans la véritable éducation un gardien fidèle et plus que suffisant pour vous débarrasser de ces êtres vils, qui malheureusement, n’ayant pas su mettre à profit dans leur jeunesse celle qu’on s’est efforcé de leur donner, voudraient, par des airs imposants, vous faire sentir que tout doit céder à leurs désirs fougueux; vous gouterez le bonheur parfait du triomphe que vous remporterez sur les méchans, et vous aurez la douce consolation de partager avec les bons, les jouissances infinies que produit une bonne et véritable éducation.

Montréal, 14 Février, 1807.                D. P.

ELEGIE.

PLAINTES D’UNE JEUNE ISRAÉLITE SUR LA DESTRUCTION DE
JÉRUSALAM. (Par Madame Dufrenoy.)

      O mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit, ma paupière.

Soleil, à mes regards dérobe ta lumière:

La fille de Sion, Jérusalem, hélas!

Sous un joug odieux courbe sa tête altière.

      O mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez, jour et nuit, ma paupière.

Comment du Chaldéen reçoit-elle des lois,

      La cité maîtresse du monde,

Qui naguère imposait le tribut à cent rois?

O ma chère patrie! ô douleur trop profonde!

Tout Israël captif est sans force et sans voix.

Comment a succombé l’orgueil de ta puissance?

Comment tant de guerriers armés pour ta défense

Laissent-ils échapper le glaive de leur main?

Deviez-vous embrasser une lâche espérance,

Coupables habitans des rives du Jourdain?

Pourquoi de nos vengeurs enchaîner la vaillance?

L’ennemi, redoutant leur généreux effort,

Criait: la paix! la paix! il apporte la mort.

Toi, que Dieu remplissait de sa majesté sainte,

Temple, dont Salomon avait tracé l’enceinte,

L’airain, le marbre, l’or, qui couvraient tes parvis,

Par l’indigne vainqueur, à mes yeux sont ravis;

La pitié n’entre point dans son âme cruelle;

      Il frappe l’épouse et l’époux;

Le débile vieillard, l’enfant à la mamelle,

Le lévite lui-même expire sous ses coups.

Déplorable héritier du plus illustre trône,

      L’infortuné Sédécias,

      Conduit esclave à Babylone,

Au fond d’un noir cachot va subir le trépas.

Nul ami n’entendra sa plainte et sa prière;

Nul ami n’aura soin de son heure dernière.

      O mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez, jour et nuit, ma paupière.

Voila, voila le fruit de tes iniquités,

Sion! de l’Eternel tu bravas les paroles;

Sur l’autel du vrai Dieu tu plaças des idoles;

      Tu t’enivras de voluptés:

Ton châtiment est juste, et le Dieu des batailles,

Pour l’exemple du monde, a brisé tes remparts;

      Tes ennemis, de toutes parts,

      Accourent à tes funérailles.

Sion trahit son Dieu: Dieu punit les ingrats.

      Soleil, cache-moi ta lumière:

      O mes pleurs ne tarissez pas,

      Mouillez, jour et nuit, ma paupière.

O coteau d’Engaddi, doux sommet du Carmel,

Qui versez, à grands flots, le vin, l’huile et le miel,

Je ne reverrai plus vos ombrages propices!

La main de l’étranger cueillera vos moissons;

      Le sang rougira ces buissons

Où les roses d’Eden entr’ouvraient leurs calices.

Lieux sacrés! loin de vous on nous entraîne, hélas!

      Soleil, cache-moi ta lumière:

      O mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez, jour et nuit, ma paupière.

Cependant Dieu l’a dit (il n’a jamais trompé):

Juda, qu’en ce moment, sa colère humilie,

Des fers de son vainqueur, quelque jour, échappé,

Verra de Salomon la cité rétablie.

Mais sous un autre ciel on nous entraîne, hélas!

      Soleil, cache-moi ta lumière:

      O mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez, jour et nuit, ma paupière.

BIOGRAPHIE.

James Cook, le plus hardi peut-être et le plus habile des navigateurs, s’éleva de simple mousse jusqu’au grade de capitaine de vaisseau. Il était né en 1725, et avait commencé à servir dans les mines de charbon. Il partit, pour son premier voyage autour du monde, en 1768. Il fit un second voyage en 1772, et pénétra jusqu’au soixante-onzième degré de latitude méridionale, où il ne put être arrêté que par des montagnes de glace, qui l’empêchèrent de passer plus avant. Son dernier voyage fut en 1776. Il pénétra presque jusqu’au détroit qui sépare l’Asie de l’Amérique; mais de nouvelles barrières de glace l’obligèrent de diriger sa course d’un autre côté. Il fut massacré dans l’île d’Ohèhy, une des Sandwich, par les sauvages, l’an 1780, étant âgé de cinquante cinq ans. Jamais, peut-être, aucune science n’a été portée aussi loin, par les travaux d’un seul homme, que l’a été la géographie par ceux du capitaine Cook. Il a découvert les îles de la Société, toutes les côtes orientales de la Nouvelle-Hollande, et a reconnu, le premier, que la Nouvelle-Zélande était une réunion de deux îles séparées par un détroit. C’est lui qui a résolu le problême du continent méridional, et qui a prouvé l’impossibilité de son existence. Il a découvert encore la Nouvelle-Calédonie, l’île de Georgie et les îles Sandwich, et tout ce qui nous était resté inconnu sur la côte occidentale de l’Amérique, depuis le quarante-troisième degré jusqu’au soixante-dixième degré de latitude nord, dans une étendue de plus de douze cents lieues. Enfin le capitaine Cook a presque complété l’hydrographie du globe habitable.

(Beautés de l’Histoire d’Amérique.)

AGRICULTURE.

(Extrait du Bon Jardinier.)

Nous entendons ici les travaux qui ont pour but de fertiliser la terre, sans ajouter au sol de nouveaux moyens nutritifs, c’est-à-dire les défonçages, labours, binages, &c.

Lorsqu’un terrain n’a pas encore été mis en culture, il le faut défoncer avec la pioche à dix-huit pouces ou deux pieds de profondeur, avant d’y rien planter. Si la couche végétale n’avait pas cette profondeur, on pénétrerait moins avant; car il ne faut jamais s’exposer, même dans les labours, à amener à la superficie une couche de terre infertile, dans laquelle les semences ne pourraient profiter. Si on le destine à recevoir des plantations d’arbres, ce défoncement doit aller à la profondeur de trois ou quatre pieds; mais seulement dans des tranchées de même largeur, ouvertes à la place qu’on leur destine. Cette opération est surtout nécessaire dans les terrains dont la couche végétale très mince repose sur un tuf ou un sable stérile, dans lesquels les racines ne peuvent pénétrer. On enlève ce tuf, et on le supplée par une bonne terre rapportée, par exemple, celle des allées qu’on enlève et remplace par la mauvaise, sortie de la tranchée. Dans tous les cas, avant de la combler, on passe la terre à la claie, pour l’ameublir et en extraire les pierres. Sans toutes ces précautions, les arbres que l’on cultivera sur un sol semblable, n’auront jamais qu’une végétation languissante, se couvriront de mousse, et avant de périr, ne produiront que des fruits de médiocre qualité.

Dans les terrains déjà mis en culture, on emploiera les labours à la bêche ou à la charrue, pour diviser la terre, l’ameublir, la mêler parfaitement avec les engrais, détruire les plantes parasites, en les enfouissant, et enfin la rendre plus pénétrable aux influences atmosphériques, en plaçant tour à tour la terre du fond à l’air, et celle de la superficie au fond du labour. Les terres fortes doivent être profondément labourées; on doit briser avec la bêche toutes les mottes qui gêneraient la germination, et empêcheraient le chevelu des racines de s’étendre aisément. Les terres sablonneuses n’exigent qu’un labour léger, dans la belle saison.

La profondeur des labours dépend aussi de la direction des racines. Les plantes à racines pivotantes le demandent plus profond que les autres; les arbres plus que les plantes, et parmi ceux-ci, les pivotants, tels que le poirier et le noyer, veulent être labourés plus profondément encore. En ameublissant et divisant la terre, il faut avoir égard à la délicatesse des graines qu’elle doit recevoir. Les unes, les céréales, par exemple, germent aisément et avec assez de vigueur pour percer une terre forte: un hersage ordinaire leur suffit. Mais d’autres ont leur plumule si délicate, que le moindre obstacle, une petite pierre, un fragment de motte, les empêche de lever: pour celles-ci on se sert d’un rateau à dents serrées, qui divise la terre, en enlevant toutes les pierres et les mottes qui nuiraient.

Bien labourer n’est pas une chose aussi facile qu’on le pense, et les cultivateurs savent très bien que les ouvriers qui labourent vite ne sont pas ceux qui labourent le mieux; aussi ne les prennent-ils qu’à la journée, et jamais à prix fait.

Une observation essentielle, c’est que la terre, soit qu’elle soit couverte de plantes, ou qu’on la prépare pour en recevoir, ne doit jamais être remuée en cas de grêle, grésil, neige ou gelée, car ces météores, pénétrant dans son sein, la refroidiraient considérablement, empêcheraient la fermentation et retarderaient beaucoup la végétation.

La lumière, la chaleur, l’air et l’eau sont les agens indispensables de la végétation.

La lumière a été destinée par la nature à colorer les végétaux, et surtout les fleurs et les fruits. Toute plante qui en est privée s’étiole et périt: les fruits qui n’y sont pas suffisamment exposés perdent leurs couleurs et une partie de leur saveur. C’est pour cette raison que les jardiniers, quelque temps avant la maturité des fruits, suppriment les feuilles qui leur dérobaient les rayons du soleil.

La chaleur paraît être un des plus puissants principes de la végétation, et toute plante qui n’en reçoit pas une quantité analogue à son organisation, périt très promptement. On doit donc étudier la nature des climats où naissent spontanément les végétaux que l’on veut cultiver, et chercher, par le moyen des couches, serres, &c. à leur rendre la même température; ce que l’on peut calculer avec le thermomètre. Souvent le passage subit du froid au chaud est plus funeste aux plantes que le froid lui-même.

L’air est composé de différents gaz qui en se combinant avec d’autres corps, en partagent les propriétés. Ces gaz sont aspirés par les plantes, et les nourrissent d’une manière évidente: outre cela, ils charrient avec eux des matières volatilisées qui, s’introduisant dans les végétaux par les pores nombreux et aspirants dont toute leur surface est criblée, alimentent aussi leur végétation: il en résulte que l’air peut communiquer aux fruits la mauvaise odeur dont il est imprégné; ce qui doit engager les jardiniers à éloigner de leurs plantes tous les engrais dont les émanations sont fétides. On doit aussi espacer les végétaux, de manière à ce que l’air puisse circuler librement, non seulement autour d’eux, mais même à travers leur feuillage. Sans air, une plante s’étiole, et finit par périr. L’air est encore utile à la végétation, en aidant la fermentation de la terre, et augmentant par conséquent sa chaleur.

L’eau est tellement importante, que sans elle il n’existerait aucun signe de végétation. Comme l’air, elle est utile en assimilant aux plantes, les gaz dont elle est composée, les matières qu’elle charrie, et en aidant puissamment la fermentation des terres.

On fournit l’eau à la terre par deux moyens: le premier, nommé irrigation, consiste à profiter d’une eau plus élevée que le terrain, et à l’y faire couler, uniformément par le moyen de rigoles. Cet arrosement convient particulièrement aux pays chauds et aux grandes cultures: le deuxième, nommé arrosement, se fait avec des arrosoirs de plusieurs espèces.

Dans les temps chauds, il faut choisir le soir pour l’arrosement. Quand on mouille les feuilles, il faut toujours qu’elles aient le temps de se ressuyer avant de recevoir les rayons du soleil, car sans cela, chaque goutte d’eau ferait une tache, une brulure, qui ferait souffrir et même périr la plante, si l’imprudence se répétait. Lorsqu’on n’a que des eaux froides de puits, il faut les exposer à l’air avant de s’en servir, et les tirer au moins le matin pour les arrosemens du soir.

QU’EST-CE QUE LES CANADIENS?

L’histoire dira sans doute que ce sont des sujets britanniques dévoués et fidèles, qui dans un temps où toutes les colonies voisines se séparaient de l’empire d’où elles tiraient leur origine, sont seuls demeurés attachés à cet empire, quoiqu’ils n’en fussent membres que depuis quelques années et par adoption; que depuis, ils ont invariablement soutenu leur gouvernement, et qu’ils ont montré le plus grand courage à le défendre. Si l’historien qui écrira notre histoire n’est pas un ennemi juré du pays, il dira encore que les Canadiens sont un peuple frugal, vertueux, et qui doit à des mœurs simples et à une religion de paix, toute la simplicité de mœurs que les temps n’ont pas effacée; un peuple qui est fidèle à son gouvernement par amour et par devoir, et qui tient à sa religion, convaincu qu’il est qu’elle ne peut le conduire qu’au bien, et qu’elle lui en promet la récompense. Si l’historien est un homme impartial, s’il a voué ses veilles à la vérité, il dira plus: il dira que depuis la cession du pays à la Grande-Bretagne, des aventuriers qui se sont imaginés représenter la mère-patrie, qu’ils avaient abandonnée, et qui ont insolemment parlé de conquête, lorsque les traités solemnels et les lois avaient fait disparaître dans la colonie toute inégalité entre le peuple conquis et les conquérans; que ces aventuriers-là, dis-je, n’ont cessé de calomnier le pays, tantôt à cause de sa religion, tantôt à cause de ses habitudes, et même souvent à cause de la fermeté que le peuple a montrée dans la défense de droits que lui assuraient les traités et les lois, et que lui avait mérités sa fidélité pour son nouveau gouvernement.

Mais l’histoire dira-t-elle tout? La crainte n’en imposera-t-elle pas à la vérité? Comment dire que ce sont les Canadiens seuls qui ont soutenu le gouvernement et maintenu ses vrais principes; que dès la séparation des colonies américaines, le peuple canadien a eu à lutter dans son sein même, pour soutenir son gouvernement, contre des Anglais qui venaient de s’y établir; que depuis, les mêmes hommes, ennemis de la prospérité du pays, n’ont cessé de vouloir substituer les intérêts d’un commerce exclusif et ruineux pour le pays, aux intérêts agricoles, qui peuvent seuls assurer le bonheur de la colonie? L’histoire dira-t-elle que le plan constant des ennemis du pays, a été d’en réduire les habitans à la nullité politique la plus complète; de les faire passer pour des ignorans incapables d’avoir part aux affaires, de tâcher surtout de les écraser, en leur reprochant une religion partout persécutée, parce qu’elle ne recommande que la charité et la paix; une religion enfin pour la destruction de laquelle il était destiné aux siècles modernes de voir réduire en systême dans la malheureuse Irlande, des plans plus oppressifs que les massacres des Néron et des Dioclétien. Si outre son impartialité, l’historien est un homme de génie, il suivra tous les replis de ces machinations tortueuses, et soulevera d’une main hardie le voile dont on les couvre. Quant aux pièces justificatives, elles ne lui manqueront pas.

La mère-patrie est-elle coupable de ces attentats contre le plus paisible des peuples? Il est aisé de dire que non, parce que tous les plans, tous les projets dont on nous a menacés, ont pris leur origine de ce côté des mers, et au milieu de nous; et que quand on est parvenu à surprendre la justice de l’empire britannique, ce n’a été qu’en le trompant, et en lui faisant voir, notre avatage dans des projets destinés à transporter nos droits et nos propriétés aux auteurs mêmes de ces projets. Ecrivains qui projetiez d’écrire l’histoire de ma belle patrie! si vous bornez vos récits à des guerres sanglantes, à des expéditions laborieuses, vous n’aurez rien fait pour vos concitoyens; c’est son histoire politique qu’ils attendent de vos talens et de votre génie; c’est un miroir fidèle, où, par la vue de leurs craintes passées, ils pourront présager les craintes à venir, et en connaître le remède. Ne craignez pas qu’on accuse vos compatriotes de déloyauté, parce qu’ils n’ont pas livré aveuglément leurs personnes et leurs droits à leurs ennemis. Si la mère-patrie avait besoin de nous pour sa défense; si elle demandait notre vie, nous l’avons déjà fait voir, nous ne balancerions pas; mais de croire que l’influence que doit avoir le peuple dans notre gouvernement, doit être l’appanage du petit nombre des habitans, uniquement parce qu’ils ont abandonné leur pays; de penser que ce petit nombre de gens sans mission aient le droit de se servir du nom de la mère-patrie comme d’un épouvantail: Jean-Baptiste n’en peut convenir; le gros bon sens même qu’on veut bien lui donner, s’y refuse tout à fait, et il dit, dans sa manière proverbiale de parler, que ces gens là sont comme le valet du diable, qui fait plus qu’on ne lui a commandé.

Qu’est-ce que les Canadiens? Généalogiquement, ce sont ceux dont les ancêtres habitaient le pays avant 1759, et dont les lois, les usages, leur sont politiquement conservés par des traités et des actes solemnels; politiquement, les Canadiens sont tous ceux qui font cause commune avec les habitans du pays, quelle que soit leur origine; ceux qui ne cherchent pas à détruire la religion ou les droits de la masse du peuple; ceux qui ont un intérêt réel et permanent dans le pays; ceux en qui le nom de ce pays éveille le sentiment de la patrie; ceux pour qui l’expropriation du peuple, au moyen des intérêts commerciaux, serait un malheur; ceux enfin qui ne voient pas un droit au-dessus de toutes les lois, dans les traitans venus d’outre-mer depuis 1759. Ceux là sont les vrais Canadiens, et il y a dans le pays un grand nombre d’Anglais respectables, que le pays reconnait, parce que leurs intérêts sont les mêmes que les siens; le pays compte même parmi ces honnêtes citoyens plus d’un défenseur de ses droits, et il sait leur rendre la reconnaissance et l’estime qu’ils méritent. Les Canadiens français ne tendent pas à un pouvoir exclusif; ils n’ont pas de haine nationale contre les Anglais; et dès qu’un habitant du pays montre qu’il en est vraiment citoyen, on ne fait plus de différence. Mais ceux qui ne regardent le Canada que comme un poste de traite exclusive, un lieu où l’on peut vivre à même les deniers publics, ou s’enricher pour retourner vivre ailleurs; ceux qui spéculent sur les propriétés du pays; on ne peut raisonnablement les reconnaître pour citoyens d’un pays qu’ils ne reconnaissent pas pour le leur, et qu’ils abandonneraient au besoin, en secouant la poussière de leurs pieds.

Au reste on verra combien on aurait tort d’attribuer les noms de Canadiens et d’Anglais à des prétentions exclusives de la part des anciens habitans du pays, en considérant que cette distinction a précédé la conquête, et que dans tous les documens du temps nous trouvons que les Canadien et les Français n’étaient pas la même chose. C’est qu’alors, comme aujourd’hui, il y avait dans la colonie des habitans fixes et attachés au sol, et d’autres qui n’y venaient que pour faire fortune.

La Minerve.

REMEDES SIMPLES.

Pour la Migraine.—Avalez trois grands verres d’eau et promenez-vous ensuite.

On se procure du soulagement, en mettant de l’eau-de-vie dans le creux de la main, et l’attirant par les narines.

Pour les Vapeurs.—Jettez une cueillérée de fleur de farine de froment dans un verre d’eau; mêlez et battez bien l’une avec l’autre, et avalez le tout, six heures après le souper. On peut aussi laisser rasseoir l’eau, et n’avaler point la farine. On recommande encore la mélisse prise à la manière du thé, pour appaiser les vapeurs. L’on donne enfin comme un remède merveilleux pour la même maladie, deux ou trois cueillérées de suc de chicorée, de verveine, de fumeterre, et de cerfeuil, dans un bouillon.

Pour l’Ophtalmie, (maladie des yeux.)—Un médecin rapporte que plusieurs personnes ont été guéries de l’ophtalmie, même invétérée, par l’usage du vin pur. Un autre recommande l’application d’un blanc d’œuf battu avec un morceau d’alun, étendu sur un linge.

Pour la Chassie.—Un médecin recommande d’appliquer sur les yeux le jus tiré des tendres sommités de la ronce, mêlé avec eau de rose et blanc d’œuf battus ensemble; ou le suc de la pariétaire mêlé avec un blanc d’œuf; ou encore l’injection du jus de pourpier, de plantain ou de grande joubarbe.

Pour les Taies.—L’injection du sucre blanc réduit en poudre est regardée comme le remède le plus efficace. On recommande encore le suc de mouron à fleur bleue, mis en forme de collyre, ou appliqué sur un linge.

Pour l’Orgeolet, (ou petite tumeur de la paupière.)—Un grain d’orge mâché à jeun, et appliqué sur l’orgeolet, sert, dit-on, à le mûrir, à l’ouvrir et à le dissoudre.

Pour le Tintement d’oreilles et la Surdité.—Recevez dans les oreilles, avec un entonnoir, la fumée de la décoction de sarriette, ou de lierre-de-terre bouillis dans de l’eau commune; ou la fumée de la semence d’anis vert, mise dans un réchaud, ou celle du tabac, ou celle de souffre jetté sur des charbons, ou enfin celle du vinaigre bouillant: mettez ensuite dans vos oreilles du jus d’ognon tiède avec un peu de coton musqué ou autre, ayant eu soin de les nétoyer préalablement; et continuez pendant douze ou quinze jours.

Pour le Rhume de cerveau.—Recevez par le nez et par la bouche la fumée de poivre en poudre, ou celle de vinaigre jetté sur une pelle à feu chaude.—Recevez par le nez le parfum d’encens, d’ambre jaune, ou de mastic, jetté en poudre sur du feu.

Tenez de l’eau-de-vie ou du rhum dans la bouche fermée.

Pour l’Haleine forte.—Faites cuir, dans une cueillère, un peu d’alun, et mettez-en dans votre bouche, la grosseur d’une fève, deux fois par jour, le matin, et l’après-diner. Tenez dans la bouche, par intervalles, quelques grains de sel, ou du clou de girofle.

Pour l’Enrouement.—Prenez deux ou trois gousses d’ail pelées; pilez-les avec du sain-doux, fondu en forme d’onguent, dont vous frotterez vos pieds, sur le soir, en vous couchant, après les avoir chauffés, et les enveloppez de linges chauds.

Prenez le soir, en vous couchant, et le matin à jeun, deux heures avant de manger, de la décoction de navet chaude, faite en eau, avec un peu de sucre. On donne aussi l’eau-de-vie brulée, après qu’on y a fait infuser des figues sèches, comme un remède éprouvé contre l’enrouement, la toux et l’apreté de la gorge.

Pour l’Asthme, (ou courte-haleine.)—Faites infuser pendant la nuit, deux ou trois figues sèches, dans de l’eau-de-vie, et les mangez le matin à jeun.

Mangez, le matin, à jeun, deux ognons blancs, cuits sous la cendre, avec huile et sucre, ou bouillon avec beurre et miel.

Avalez tous les matins, une drachme de cristal minéral dans un jaune d’œuf frais, médiocrement cuit. Le suc de buglose, avalé avec du miel, passe pour excellent.

Pour le Point de côté.—Avalez avec un demi-verre de vin blanc, le jus d’une poignée de cerfeuil, et soyez ensuite deux heures sans manger, vous tenant bien couvert; et appliquez sur le côté, le plus chaud que vous le pourrez endurer, un cataplasme de poireaux fricassés avec du sel, et ce qu’il faudra de vinaigre pour les empêcher de brûler.

Si la douleur est causée par les vents, mettez un morceau de pain blanc rôti, le plus chaudement que vous pourrez, sur le côté malade, entre deux linges. Ou bien un sachet plein de cendres chaudes—ou de l’aveine et du millet fricassés dans une poële, avec un peu de sel, et appliqués, dans un sachet, le plus chaudement qu’il se pourra.

Pour la Palpitation du cœur.—Flairez fréquemment des clous de girofle. Appliquez à la région du cœur un cataplasme de pain détrempé dans de bon vin, y ajoutant de la poudre de roses, de marjolaine, de muscade et de girofle.

Pour la Faiblesse d’estomac.—Rompez une noix de muscade en quatre ou cinq morceaux: mettez les infuser, pendant douze ou quinze heures, dans une pinte d’eau, et buvez en à diverses reprises.

Prenez de temps en temps une rôtie de pain blanc, trempée dans de bon vin rouge, dans lequel vous aurez fait bouillir du romarin.

Prenez à jeun deux jaunes d’œufs frais cuits mollets, avec de la poudre de muscade au lieu de sel.

Pour l’Indigestion.—Prenez, après la dernière chose que vous aurez mangée, au souper, sept ou huit grains de poivre entiers, dans une cueillérée de vin.

L’huile de semence de lin, en onction sur la poitrine, est bonne pour guérir les indigestions et les maux d’estomac.

Pour le Vomissement.—Avalez de la poudre de roses rouges avec de la poudre de canelle, dans du vin.

Appliquez souvent sur l’estomac un sachet plein d’absinthe sèche.

Faites sécher au four une tranche ou croute de pain, sans la brûler; arrosez-la de bon vinaigre; et l’ayant saupoudrée de poudre de menthe ou baume de jardin, appliquez-la sur l’orifice de l’estomac.

Pour la Colique pituiteuse.—Buvez quelques verres d’eau chaude assez près l’un de l’autre; ou, le plus chaudement que vous pourrez, quatre doigts de bon vin dans un verre, avec une muscade râpée et un peu de sucre.

Avalez une ou deux gousses d’ail tout entières, comme des pillules, ou du vin et du sucre bouillis ensemble.

Pour la Colique venteuse.—Bassinez le ventre avec de bonne eau-de-vie.

Mettez au feu une noix muscade, et quand elle commencera à flamber, retirez-la, et la pillez par petits morceaux, puis l’avalez avec du vin ou du bouillon.

———————

LES MUSES.

 

De son rapide essor, Uranie à nos yeux

Dévoile la nature et les secrets des dieux.

 

Des empires divers Clio chante la gloire;

Des rois, des conquérans assure la mémoire.

 

Calliope, accordant la lyre avec la voix,

Eternise en ses vers d’héroïques exploits.

 

D’un spectacle agréable employant l’artifice,

Thalie en badinant sait démasquer le vice.

 

Melpomène avec pompe étalant ses douleurs,

Nous charme, en nous forçant de répandre des pleurs.

 

Erato des Amours célèbre les conquêtes,

Se couronne de myrte, et préside à leurs fêtes.

 

Euterpe a de la flûte animé les doux sons,

Aux plaisirs innocents consacré ses chansons.

 

Polymnie a du geste enseigné le langage,

Et l’art de s’exprimer des yeux et du visage.

 

Terpsicore, excitée au bruit des instrumens,

Joint à des pas légers de justes mouvemens.

(Danchet.)

MATÉRIAUX POUR L’HISTOIRE DU CANADA, No. 5.

Du Règne Militaire, pendant les quatre années qui ont suivi la Conquête, (1760-1764;) et de quelques Documents inédits qui ont particulièrement rapport aux Gouvernemens de Montréal et de Québec.

“Le Pays doit remercier Mr Bibaud et ses Correspondants d’avoir fait part de ces DOCUMENTS au public. Ils pourront servir à relever plusieurs assertions mal fondées, et à corriger quelques inexactitudes sur ces matières, causées par l’éloignement des tems et l’incertitude des connaissances purement traditionnelles.”
La Minerve.

Tel est, Mr. Bibaud, le jugement porté par le patriotique éditeur de La Minerve sur la correspondance relative au Règne militaire. Etait-il possible d’être, à la fois, plus poli, plus mesuré, plus concis, qu’il ne l’a été dans cette sage critique?—si bien pensée et si convenablement exprimée. S’il est persuadé que le travail de vos Correspondants L——, E—T——, et S—R——, doive être utile; s’il a le goût de l’analyse, comme il me paraît en avoir le talent; qu’il se charge d’indiquer à l’historien, “comment et de quels faits doit se composer, à l’avenir, la page véridique de l’Histoire légale du Canada,” d’après les monuments historiques fournis par votre Journal. Ce pourrait être une tâche qui lui conviendrait, et dont il s’acquitterait, sans doute, avec honneur pour lui-même et pour son pays.

Je vous adresse aujourd’hui les derniers documents en ma possession, tant sur le Gouvernement de Montréal, que sur celui de Québec: il n’y a rien à avoir sur celui des Trois-Rivières; j’en donnerai bientôt la raison:—L et E—T ne paraissent pas avoir fait de nouvelles découvertes, depuis Mars et Avril:[1] il conviendra donc de résumer, au prochain ordinaire. Je laisse à L et E—T de le faire, en les priant d’agréer mes remerciments pour leurs précieux essais, publiés à mon aide dans ce Journal, et pour les honnêtetés qu’ils m’y ont personnellement adressées.

Pourquoi me demandera-t-on, peut-être, faut-il un résumé?—Pourquoi faut-il qu’un autre le fasse?—Le voici.

1o. Un résumé est nécessaire:—pour constater en quoi et jusqu’où le but qu’on s’était proposé est, en effet, rempli:—pour faire ressortir, par la confrontation que l’on y doit faire des textes ou autres autorités, “les assertions mal fondées qu’on a relevées,”—“les inexactitudes que l’on a eu le bonheur de corriger;” preuves qui se font en citant alors, en raccourci, les pièces justificatives publiées tout au long sous les signatures L, E—T, S-R, ou autres. Il est nécessaire:—pour convaincre le lecteur, dans le moins de mots possible, qu’il a dû acquérir, par la lecture de ces pièces justificatives, des notions certaines et positives, autres que les notions vagues et mensongères qu’il avait auparavant. Il est nécessaire:—pour mettre en garde contre certain écrivain inexact, et en faire apprécier un autre en qui, peut-être, l’on n’avait pas la même confiance. Il est surtout nécessaire ici, et dans ce moment plus particulièrement:—afin de prémunir contre l’erreur ou l’incertitude ceux de nos compatriotes qui s’occupent à écrire l’Histoire du Canada.

2o. Un autre que moi doit se charger de faire ce résumé:—parce qu’un autre que moi le fera bien et que je le ferais mal. Que peut-on m’opposer à cette raison? Quelle autre exigera-t-on après celle-là? Qu’on examine les FAITS, jusqu’alors ignorés ou perdus de vue, (si l’on suppose qu’ils étaient secrètement connus de quelqu’un, au pays,) que les essais de L et de E—T ont fait connaître ou reparaître au jour! et qui ont donné une toute autre direction aux recherches que d’abord j’avais en vue. Voyez l’ordre qu’ils ont mis tous deux dans le sujet particulier qu’ils ont traité!—le parti qu’ils en ont su tirer!—le premier comme politique et comme historien, le second en jurisconsulte méditatif et éclairé; et tous deux comme Canadiens amis de leur pays. Enfin, la question, telle qu’elle est actuellement devant le public, grâce au point de vue sous lequel ces Messieurs ont eu le talent de la voir et de l’agiter, doit provoquer d’intéressantes observations, de plus d’un genre, particulièrement sur la jouissance non-interrompue de nos lois, de nos usages, de notre langue, &c., que nous avons toujours dû conserver, à compter de la Capitulation même de Montréal;—dont on verra bientôt qu’on peut s’étayer, pour prouver que la possession de ces droits nous était garantie par elle. Il faut donc absolument qu’un autre que moi travaille au résumé en question: outre le talent—certains matériaux nécessaires me manquent.

Passons maintenant aux derniers documents dont j’ai dit, plus haut, que je vous ferais part aujourd’hui.

1o. Gouvernement de Montréal.

En vous envoyant, Mr. Bibaud, le 1er. Février dernier, une liste de certaines Ordonnances, &c. des Gouverneurs Gage et Burton, alors en ma possession, j’ignorais que j’en avais d’autres. J’ai trouvé ces papiers, depuis: en voici les date, titre et analyse.

Sous le Gouverneur Gage.

1762.—Juillet 31.—Ordonnance, pour prélever une somme de 6000 liv. sur les habitants de Montréal, pour la réparation de l’enceinte de la ville.

 

—— Août 3.—Ordonnance, établissant qu’à l’avenir toutes marchandises seront vendues à la verge et non à d’autre mesure.

 

—— Août 12.—Ordonnance, défendant à d’autres qu’au propriétaire du Bac entre Montréal et Longueuil, de traverser à prix d’argent.

 

—— Oct. 18.—Règlement et Ordonnance, fixant le prix auquel les boulangers vendront le pain.

 

—— Nov. 15.—Ordonnance, enjoignant reconnaître Mr. Ths. Lambs comme directeur, et Mr. Rd. Oaks comme visiteur de la douane de Montréal.

 

—— Nov. 26.—Proclamation, annonçant que les ratifications des articles préliminaires de la paix ont été échangées à Versailles, et ordonnant la cessation des hostilités par mer et par terre.

 

1763.—Janvier 7.—Règlement, défendant aux voituriers et personnes allant à cheval, d’aller au grand trot dans les rues et faubourgs de Montréal, &c.

 

—— Août 3.—Ordonnance, défendant à toutes personnes de transporter dans les pays d’en haut, aux sauvages, aucunes marchandises, munitions de guerre ou de bouche, ou autres effets, vu que ces sauvages avaient fait des incursions aux dits pays;

 

—— Août 18.—Ordonnance, défendant de vendre, dans les rues et sur les grèves, des marchandises et autres effets; excepté des ouvrages de terre cuite, &c. fabriqués par les artisans du pays.

Sous le Gouverneur Burton.

—— Nov. 9.—Règlement, fixant le prix du pain et de la viande.

 

—— Déc. 20.—Règlement, renouvelant celui du 7 Janvier, plus haut.

 

—— Dec. 29.—Autre Règlement, sur le même sujet.

 

1764.—Fév. 22.—Ordonnance, défendant de vendre des viandes, ailleurs que sur le marché.

 

—— Mars 26.—Représentation des Capitaines de milice, concernant la manière accoutumée de procéder à la liquidation et vente des biens des mineurs et absents, à laquelle le vendeur public apportait quelque obstacle; et réponse du Gouverneur en faveur de l’usage établi.

 

—— Avril 13.—Ordonnance, prohibant le commerce avec les sauvages—encore en guerre.

 

—— Avril 26.—Ordre, enjoignant à tous Canadiens et Français qui se proposent de quitter le pays et de se retirer en France, aux termes et dans les délais portés dans le traité de paix, de signifier au Secrétariat, leur intention de ce faire, sous trois semaines de la date de cet ordre.

Toutes ces pièces—annoncez-le Mr. Bibaud,—sont, comme les autres, au service de quiconque voudra y avoir accès pour l’avantage public.

Encore un document, qui montrera comment un Gouverneur d’alors prenait possession de son Gouvernement, et par quelle autorité il était nommé dans ces tems.

Ralph Burton, Ecuyer, Brigadier-Général, Colonel d’Infanterie, Gouverneur de Montréal et de ses dépendances, &c.

Sa Majesté ayant jugé à propos d’appeler à la Nouvelle-York, pour le bien de son service, Son Excellence Mr. le Major-Général Gage:—

Nous faisons savoir à tous bourgeois, marchands et habitants quelconques de la Ville et Gouvernement de Montréal, qu’il a plu à Son Excellence Mr. le Gén. Amherst, (alors à New-York,) de Nous nommer Gouverneur de cette Ville et Gouvernement.[2]

Voulons que tous les Ordres et Règlements pour le bon ordre et la police de ce Gouvernement ci-devant donnés et publiés par Son Excellence Mr. le Général Gage, soient exactement suivis, en tous points, et sous les peines y portées, à moins d’un ordre de notre part au contraire.

Entendons que la justice civile continuera à être administrée pardevant les Chambres de milice et militaires, et par appel pardevant Nous, avec les mêmes formes que ci-devant.

La présente Ordonnance sera lue, publiée et affichée, en la manière accoutumée, afin que personne n’en prétende cause d’ignorance. Signé de notre main, scellé du sceau de nos armes et contresigné par notre Secrétaire.

Mandons, &c. Donné au Château de Montréal, le 29 8bre 1763.

R. BURTON.

Par Monsieur le Gouverneur,

J. Bruyères.

Cette Ordonnance, ou Proclamation, offre bien une preuve certaine que la justice criminelle n’était point du ressort des “Chambres de Milice,” comme l’a déjà établi votre correspondant L.

2o. Gouvernement de Québec.

Les Documents inédits que j’ai reçus de Québec, et qui ont rapport à ce Gouvernement, sont au nombre de trois.—Je suis redevable de ces copies authentiques à la politesse obligeante de M. J. F. Perreault, un des protonotaires du District de Québec, et qui, en cette qualité, est le dépositaire du Régistre d’où ils sont copiés.

Il paraît que le langage de cette Cour, CIVILE ET CRIMINELLE, était le français; que sa première séance est du 4. 9bre 1760, et sa dernière du 4 Août 1764;—et qu’il n’y a point eu de “Chambres de Milices” dans ce Gouvernement.[3] Voilà tout ce que je puis ajouter, pour le moment, aux connaissances que tout autre peut puiser, comme moi, dans les documents mêmes que je vous envoie, et sur lesquels je m’abstiendrai de faire aucune observation. Mais je me flatte qu’il se trouvera, à Québec, un autre E-T, qui voudra bien entreprendre un travail semblable au sien, et communiquer ensuite au public tels des détails intéressants sur l’Histoire légale de ce Gouvernement, durant le “Règne militaire,” qu’il aura pu puiser dans le Régistre en question.

Extrait d’un Régistre déposé dans les Archives à Québec, intitulé:

Régistre du Conseil Militaire de Québec, contenant les Ordonnances, Règlements, Sentences et Arrêts de la dite Cour de Justice et autres actes des Notaires.

“De la part de Son Excellence Monsr. Jacques Murray, Gouverneur de Québec, &c.”

“Notre principale intention ayant été, dans le Gouvernement qu’il a plû à sa Majesté Britannique de nous confier, de faire rendre la Justice à ses nouveaux sujets, tant Canadiens que Français, établis dans la ville et côtes de ce gouvernement,—Nous avons cru également nécessaire d’établir la forme de procéder; de fixer le jour de nos audiences, ainsi que ceux de notre conseil militaire que nous avons établi en cette ville; afin que chacun puisse s’y conformer, dans les affaires qu’ils auront à faire juger en nos audiences, ou celles que nous jugerons nécessaire de renvoyer au dit Conseil. A ces causes, nous avons réglé et ordonné par le présent Règlement, comme suit:

Art. 1er. Toutes plaintes ou affaires, d’intérêt civil ou criminel, nous seront faites par placets ou requêtes adressants à Nous, lesquels seront remis néanmoins à M. M. Cramahé, notre. Secrétaire, qui les répondra, pour que les assignations soient ensuite données par le premier huissier, aux parties adverses, aux fins de comparaître, pour défendre en notre audience, suivant les délais marqués eu égard à la distance des lieux.

Art. 2me. Les jours de nos audiences seront le mardi de chaque semaine, depuis dix heures du matin, jusqu’à midi; et se tiendront en notre Hôtel, à commencer Mardi prochain 4 Novembre.

Art. 3me. Les placets ou requêtes, qui auront été répondus par notre secrétaire, dans la forme expliquée par l’article 1er. signifiés aux parties adverses, et le délai de l’assignation expiré, seront remis à notre secrétaire, la veille de l’audience, c’est-à-dire, le lundi pour l’audience du mardi; sans quoi, elles ne seront point jugées, et remises à la prochaine audience.

Art. 4me. Les parties adverses, qui auront quelques papiers ou écritures servant à la défense de leurs causes, seront pareillement tenues de les remettre à notre secrétaire, la veille de l’audience; sinon, sera fait droit sur la demande de la partie.

Art. 5me. Si les parties assignées n’ont aucune écriture à produire, elles seront tenues de comparaître, en notre audience, au jour de l’assignement, soit en personne, ou par procureur, sinon il ne sera donné aucun défaut, et sera pareillement fait droit sur la seule assignation qui leur aura été donnée; afin d’éviter la longueur des procédures et la multiplicité des frais.

Art. 6me. Si la trop grande quantité d’affaires ne pouvait permettre de les juger toutes, dans une seule audience, elles seront remises à la prochaine, et les parties tenues d’y comparaître, sans autre assignation.

Art. 7me. Les jugements qui seront rendus en notre Hôtel, à l’audience, seront exécutés, sans appel, et les parties contraintes d’y satisfaire suivant ce qui sera prononcé; à l’exception des affaires que nous jugerons de renvoyer au Conseil militaire pour être jugées; lesquelles seront remises à un des Conseillers que nous nommerons, qui en fera son rapport au Conseil, pour sur icelui être fait droit à qui il appartiendra.

Art. 8me. Le Conseil de guerre s’assemblera les Mercredi et Samedi de chaque semaine, et se tiendra en la maison de Mr. De Beaujeu, rue St-Louis.

Art. 9me. Les jugements rendus en notre audience, ainsi que les arrêts militaires, seront inscrits sur le Régistre, par le Greffier que nous avons commis pour cet effet, et les expéditions par lui délivrées aux parties.

Art. 10me. Tout ce que dessus sera exécuté, tant pour la ville que pour les campagnes; à l’exception, néanmoins, des différents que les habitants des Côtes pourraient avoir entr’eux, pour raison de clôtures, dommages, ou autres cas provisoires, dont nous renvoyons la connaissance au Commandant de la troupe, dans chaque Côte—qui les jugera sur le champ; sauf Appel au Conseil militaire, si le cas y échêt, et qu’il y ait matière.

“Et sera le présent Règlement lu, publié et affiché, tant dans les lieux et endroits accoutumés de cette ville, que dans chaque Côte de ce Gouvernement; à ce que personne n’en prétende cause d’ignorance, et ait à s’y conformer; interdisons toutes autres Cours et jurisdictions qui auraient pu être établies, tant dans la ville que les Faubourgs et Campagnes.[4]

“Fait et donné, sous notre scel et le contreseng de notre Secrétaire, à Québec, le 31 Octobre 1760.”

“JA. MURRAY.”

“Par Son Excellence,        H. T. CRAMAHÉ.”

Jacques Murray, Ecuyer, Colonel d’Infanterie, Brigadier-Général des Armées de Sa M. B. Gouverneur de Québec et dépendances.

“Ayant établi une Cour et Conseil Supérieur, à Québec, pour rendre la justice aux habitants de notre Gouvernement, conformément à l’Article 42. de la Capitulation générale de la Colonie, il est nécessaire, pour composer ce Conseil de commettre des Conseillers, pour donner leurs voix délibératives dans les affaires qui se présenteront à juger. A cet effet, étant pleinement et suffisamment informé des bonnes vies, mœurs et capacités de Messrs. le Major Augustin Prévost, les Capits. Hector Théophile Cramahé, Jacques Bazbult, Richard Baillie, Hughes Cameron, Edouard Malone, Jean Brown, les avons nommés par ces présentes pour Conseillers; pour par eux jouir des droits, prééminences, prérogatives et honoraires attachés aux dites charges. Et ont les dits Sieurs Augustin Prévost, Hector Théophile Cramahé, Jacques Bazbult, Richard Baillie, Hughes Cameron, Edouard Malone, Jean Brown, fait serment, en nos mains, sur les Saints Evangiles, de s’acquitter fidèlement et noblement des dites charges: en foi de quoi nous leur avons délivré la présente Commission, que nous avons signée de notre main, à icelle fait apposer le cachet de nos armes et fait contresigner, par notre Secrétaire.

“A Québec, le 2 Nov. 1760.” “JA. MURRAY.”

“Par Son Excellence,         H. T. CRAMAHÉ.”

Jacques Murray, Ecuyer, Colonel d’Infanterie, Brigadier Général des armées de Sa M. B. Gouverneur de Québec et dépendances.

“N’ayant rien tant à cœur que de rendre une prompte et bonne justice aux habitants de notre Gouvernement, nous avons à cet effet établi une Cour et Conseil Supérieur, dans la dite Ville de Québec, conformément à l’article 42. de la Capitulation générale de cette Colonie; et comme nous jugeons avantageux pour la conservation des biens des mineurs et absents, de commettre, dans l’étendue de notre gouvernement, deux Procureurs, dans la dite Cour et Conseil, l’un pour la Côte du Nord, l’autre pour la Côte du Sud, faisant fonction de Commissaire à l’apposition et reconnaissance des scellés, inventaires et procès-verbaux de vente des biens qui pourront appartenir aux mineurs qui n’auront point de tuteurs, ou aux absents, et aussi pour pourvoir à l’entretien des chemins publics dans les dites Côtes de notre gouvernement: à cet effet, étant suffisamment informé des bonnes vie, mœurs et capacité en fait des loix de Mons. Jacques Belcourt de La Fontaine, nous l’avons commis et nommé, le commettons et nommons, par ces présentes, Procureur-général en notre dite Cour et Conseil Supérieur, et Commissaire à l’effet de procéder dans toute l’étendue de la dite Côte du Sud de notre dit gouvernement, à toutes appositions de scellés et reconnaissance d’iceux, dans lesquels actes il se fera assister de notre Greffier en chef, ou du Greffier par lui commis, dont il délivrera commission: sera loisible à mon dit Sieur De La Fontaine, en cas d’éloignement des lieux, et pour éviter à frais, de subdéléguer une personne capable; lui donnons pareillement pouvoir de rendre les Ordonnances qu’il jugera convenables pour faire les chemins publics nécessaires, l’entretenement d’iceux, dans l’étendue de la dite Côte du Sud; pour par mon dit Sieur De La Fontaine jouir des dites charges, aux droits, honneurs, prérogatives et honoraires y attachés; et a mon dit Sieur De La Fontaine fait serment, entre nos mains, sur les Saints Evangiles, de s’acquitter bien et fidèlement des dites charges; en foi de quoi, lui avons délivré les présentes, que nous avons signées de notre main, à icelles fait apposer le cachet de nos armes et fait contresigner par notre Secrétaire.

“A Québec, le 2 Nov. 1760. “JA. MURRAY.”

“Par Son Excellence,        “H. T. CRAMAHÉ.”

Même Commission, ajoute Mr. Perreault, a été donnée à Mr. Mtre. Joseph Etienne Cugnet, pour la Côte du Nord: même date.

Et—Une Commission a été donnée à Mtre. Jean Claude Panet de Greffier en Chef de la Cour Supérieure de Québec et Justice en dépendant, et Dépositaire des Minutes, Actes et Papiers du Gouvernement: même date.

3o. Gouvernement des Trois-Rivières.

Les Régistres de ce Gouvernement qui ont rapport au “Règne militaire,” n’ont pas encore pu être consultés.

L’Ordonnance du Gouv. Murray et de son Conseil, du 17 7bre. 1764,—“pour régler et établir les Cours de justice, Juges-de-Paix, Séance de Quartier, Baillis et autres matières touchant la distribution de la justice dans cette Province” (de Québec,)—ayant temporairement aboli ce Gouvernement et divisé la Province en deux seuls Districts de Québec et de Montréal, dont la Rivière Godefroy—au sud, et celle de St. Maurice—au nord du fleuve St. Laurent, devaient faire la ligne de séparation; [5] il paraît que les Régistres furent, dès lors, transportés à Québec et déposés au Secrétariat de la Province. Je n’ai pu encore y avoir accès, faute d’en avoir sollicité communication. Au reste, les documents plus haut de Québec, établissant la véracité de Raynal et l’inexactitude de Smith, il est permis, ce semble, de croire, en l’absence de ces Régistres, ce que dit le premier de ces écrivains relativement aux tribunaux qui ont dû exister aux Trois-Rivières, de 1760 à 1764.

Les Colonels Ralph Burton et Frédérick Haldimand, paraissent avoir été les deux gouverneurs des Trois-Rivières, durant le “Règne militaire.”

S. R.

P. S. Le premier journal publié au pays ne date que du 21 Juin 1764; c’est la Gazette de Québec, alors la propriété de Messrs. Brown et Gilmore. Elle ne dit rien du règne militaire. L’annual Register, Masères, Carver, Du Calvet, Ramsay, Herriot, Adolphus et quelques autres publicistes, historiens et voyageurs qui ont écrit sur le Canada, et que j’ai consultés, se taisent également sur ce période de notre histoire.

Tout ce que je connais de publié sur le “Règne militaire” consiste dans les trois seuls Extraits ci-dessous. Je crois qu’il convient de les consigner au long dans ce Journal; ce sera le moyen de réunir ensemble “toutes les pièces du procès.” D’ailleurs, tout lecteur n’a pas les ouvrages dont ces extraits sont tirés; le premier, en particulier, est assez rare.

1er. Extrait—“Comme à la conquête de ce pays, le Commandant en Chef des troupes de sa Majesté en Amérique, (Amherst) ordonna et régla que la justice serait administrée aux habitans d’icelui par des Cours établies dans les différents Gouvernements en lesquels cette Province était pour lors divisée, dont Sa Majesté, par un de ses Secrétaires d’État, signifia son approbation roïale, et commanda la continuation de cet arrangement, jusqu’à ce qu’on jugeât à propos d’y établir le gouvernement civil, &c.”[6]

Et plus bas:

“Tous les ordres, jugements ou décrêts du Conseil militaire de Québec,[7] comme de toutes les autres Cours de justice dans le dit gouvernement, ou dans les gouvernements de Montréal et des Trois-Rivières, &c.” (Ordonnance du 20 7bre. 1764, du Gouv. Murray et de son Conseil.Page 17 du Recueil.)

2me. Extrait.—“Immediately on the reduction of Montreal, (8 Sept 1760) General Amherst established a military government for the preservation of the public tranquillity, and divided the country into three districts, of Quebec, Montreal and Three Rivers; over the first was placed General James Murray, General Thomas Gage at the head of the second, and Colonel Ralph Burton as Commandant of the third division. Within these districts he established several Courts of Justice, composed of Militia Officers of the country, who decided causes brought before them in a summary way, with an appeal to the Commanding Officer of the District. The order which constituted these Courts was approved of by His Majesty, with a command that they should exist until Peace was restored, and civil government (on the event of Canada being relinquished by France to Great Britain,) could be established.”

(History of Canada, &c. by Wm. Smith, Esq., Vol. I. P. 375)

3me. Extrait. “Pendant quatre années, (1760 à 1764,) cette Colonie fut divisée en trois gouvernements militaires. C’étaient des officiers des troupes qui jugeaient les causes civiles et criminelles, à Québec et aux Trois-Rivières, tandis qu’à Montréal, ces fonctions augustes et délicates étaient confiées à des Citoyens. Les uns et les autres ignoraient également les loix. Le Commandant de chaque district auquel on pouvait appeler de leurs sentences, ne les connaissait pas davantage.”

(Raynal, Hist. Phil. T. 8, P. 379. Edition de 1780.)

S. R.

Montréal, 1er. Mai, 1827.


Votre Correspondant E—T en a fait une importante, en fait de date: c’est celle d’un extrait du Placard du 22. Sept. 1760. (Page 188 de ce Tome.) Sait-on si le général Amherst était en Canada à cette date? Smith donne au moins à entendre qu’il y était encore le 17. Ce Placard serait-il du Général, et celui par lequel il établissait ses tribunaux de justice?

Le général Amherst partait pour l’Angleterre, sous congé, et appelait le général Gage pour le remplacer dans le “commandement en chef des troupes de l’Amérique du Nord;” comme on le peut voir par un Ordre général, daté de New-York, le 17 Nov. 1763.

Raynal est donc exact, et Smith en défaut.

Je crois devoir faire observer ici:—que Québec ayant capitulé le 18. Sept. 1759, cinq jours après la bataille dans laquelle Wolfe et Montcalm perdirent la vie et gagnèrent l’immortalité, le général Townshend prit possession de cette ville, le même jour:—que le général Murray, qui lui succéda dans le commandement, demeura maître et Gouverneur de cette place jusqu’à la reddition entière du pays:—qu’il dut y maintenir, pendant tout ce tems, les tribunaux qu’il y trouva existants, ou en établir de sa façon; puisqu’on a de lui un Règlement du 15 Janvier 1760, (que Smith qualifie de Proclamation,) conçu et redigé “dans les formes usitées par les Gouverneurs du Règne militaire,”—par lequel il fixe le prix du pain et de la viande, &c:—et que c’est, peut-être, aux tribunaux par lui établis que le général fait ici allusion par cette Ordonnance.

La raison de l’abolition temporaire de ce Gouvernement (alors nommé District) est donnée dans ces termes mêmes:—“Et comme, à présent, il n’y a pas un nombre suffisant de sujets protestants, faisant leur résidence dans le district projetté des Trois-Rivières, qualifiés pour être Juges-de-paix et tenir des séances de Quartier, IL EST ORDONNÉ &c.”

Cette Ordonnance du Général Amherst et son Approbation par S. M. sont encore deux documents qui nous manquent, et dont on ne connaît point les dates.

C’est ce même “Conseil militaire de Québec,” que le même Général Murray appelle aussi, comme on a pu le remarquer plus haut “Conseil de guerre,” et “Cour et Conseil supérieur.”

LA CHANSON DU VOYAGEUR CANADIEN.

Essai de traduction de la chanson anglaise de Moore, composée sur le fleuve St-Laurent, et par lui intitulée—“A Canadian Boat-Song,”—avec cette épigraphe:

ET REMIGEM CANTUS HORTATUR. (Quintilien.)

(La chanson originale est précédée d’une note et suivie d’une autre par le poëte anglais: vous trouverez, Mr. Bibaud, l’une et l’autre à la suite de ma traduction. Thomas Moore, l’Anacréon moderne, est un des premiers poëtes du jour. Son goût exquis n’a pas dédaigné un sujet purement canadien; et la grandeur des sites et la simplicité des mœurs du pays ont su échauffer son enthousiasme. C’est au moins un dédommagement bien flatteur pour les prétendus dégoûts que certains aventuriers affichent sur tout ce qui tient au Canada. Le traducteur n’ôse se flatter d’avoir fait passer dans notre langue la beauté d’expression qui caractérise son original. Il aura rempli sa tâche, s’il le fait connaître à ses compatriotes sans trop le défigurer.)

Aux approches du soir, aux sons lents de l’airain,

Nos voix à l’unisson, nos rames en cadence,

Quand l’ombre des forêts se perd dans le lointain,

A Sainte Anne, chantons l’hymne de la partance.

 

      Ramons, camarades, ramons,

        Les courans nous dévancent,

        Les rapides s’avancent,

      La nuit descend dans les vallons.

 

Et pourquoi dérouler la voile en ce moment?

Nul zéphir n’a ridé la surface de l’onde:

Mais si loin du rivage Eole nous portant,

Rend la rame au repos....entonnons à la ronde:

 

      Soufflez, soufflez, brise, aquilons,

        Les courans nous dévancent,

        Les rapides s’avancent,

      La nuit descend dans les vallons.

 

Rives de l’Ottawa, l’astre pâle des nuits

Nous attend sur vos flots. Rends-nous les vents propices,

Patrone de ces lieux! ô toi qui nous conduis,

Donne à l’air la fraicheur! voguons sous tes auspices.

 

      Soufflez, soufflez, &c.

Notes.

J’écrivis ces mots sur un air que nos bateliers nous chantèrent très fréquemment. Le vent était si défavorable, qu’ils furent obligés de ramer tout le long de la route: et nous fûmes cinq jours à descendre le fleuve, de Kingston à Montréal, exposés, durant le jour, à un soleil, brulant, et forcés, le soir, de nous mettre à l’abri du serein et de la rosée, dans la première cabane où nous pouvions trouver gîte. Mais les scènes magnifiques qu’offre le St-Laurent, dédommagent de toutes ces difficultés. Nos voyageurs avaient de bonnes voix, et chantaient parfaitement juste et d’accord ensemble. Les paroles originales de l’air auquel j’ai adapté ces couplets, parurent renfermer une histoire longue et incohérente, à laquelle je ne pus comprendre que peu de chose, à cause de la mauvaise prononciation des voyageurs canadiens. Elle commence ainsi:

Dans mon chemin j’ai rencontré

Deux cavaliers très bien montés;

et le refrain de chaque couplet était:

A l’ombre d’un bois je m’en vais jouer,

A l’ombre d’un bois je m’en vais danser.

Je me suis hazardé de mettre cet air en vers anglais; mais je n’ai pu lui donner le charme que l’association prête au moindre souvenir de scènes ou de sensations passées. La mélodie paraîtra peut-être vulgaire et triviale; pourtant je me rappelle de l’avoir entendu, au soleil couchant, en entrant dans un de ces beaux lacs par lesquels le St-Laurent s’ouvre, d’une manière si grande et si inattendue; je me rappelle dis-je, de l’avoir entendu, avec an plaisir que les plus belles compositions des plus grands maîtres ne m’ont jamais donné; et il n’est pas dans cet air une seule note qui ne rappelle à ma mémoire l’enfoncement nos rames dans le St-Laurent, la fuite de notre bateau dans les rapides, et toutes les idées neuves et fantastiques dont mon âme se nourrit pendant cet intéressant voyage.

Les couplets ci-dessus sont sensés chantés par les voyageurs qui vont au Grand-Portage par la rivière des Outaouais. Voir, pour les détails de cette prodigieuse entreprise, l’Histoire générale du commerce des Pelleteries, servant de préliminaire au Journal de Sir Alexander M’Kenzie.

“Au rapide de Ste-Anne, ils sont obligés de décharger leurs canots d’une partie, sinon de la totalité, de leurs cargaisons.—C’est de ce lieu que les Canadiens se considèrent comme partant pour les pays d’en haut: car on y voit la dernière église qu’il y ait sur l’île, et qui est dédiée à la patrone des voyageurs.”

Hist. gén. du Commerce des Pelleteries.

J’ai l’honneur d’être, &c.        D. T.

ANECDOTES, &c.

Louis XI craignait tant la mort, que dans les prières qu’il ordonnait continuellement, il ne voulait pas qu’on demandât autre chose à Dieu pour lui, que la santé. Ayant fait faire un vœu à St-Eutrope, comme le prêtre joignait la santé de l’âme à celle du corps, il lui dit: “N’en demandez pas tant à la fois; il ne faut pas se rendre importun: contentez vous de demander la santé du corps.”

De tous les temps, on a flatté les grands; les courtisans ont toujours su mettre à profit cette maxime de Lafontaine:

La louange chatouille et flatte les esprits; mais personne n’a porté l’adulation aussi loin qu’une dame d’honneur de la reine Anne: la reine lui ayant demandé quelle heure il était: “L’heure qu’il plaira à votre majesté,” lui répondit-elle,

Conrart, de l’Académie française, étant mort, un des plus grands seigneurs de la cour, qui ne s’était que médiocrement cultivé l’esprit, se proposa pour la place vacante. Patru ouvrit l’assemblée par cet apologue: “Messieurs, dit-il, un ancien Grec avait une lyre admirable; il s’y rompit une corde: au lieu d’en mettre une de boyau, il en voulut une d’argent; et la lyre, avec sa corde d’argent, perdit son harmonie.”

Le duc de Roquelaure n’était pas beau. Il rencontra un Auvergnat fort laid, qui avait des affaires à Versailles. Il le présenta lui-même à Louis XIV, en lui disant qu’il avait les plus grandes obligations à ce gentilhomme. Le roi voulut bien accorder la grâce qui lui était demandée, et s’informa du duc quelles étaient les obligations qu’il avait à cet homme, “Ah! sire, repartit Rauquelaure, sans ce magot-là, je serais l’homme le plus laid de votre royaume.”

Après la bataille de Fontenoy, un officier suisse fut commandé pour faire enterrer les morts. II faisait jetter pêle-mêle dans la fosse ceux qui avaient été tués, et ceux qui n’étaient que blessés. Quelqu’un lui dit d’y prendre garde, et de n’être pas si cruel.—“Bon, bon, repart-il, il n’y a qu’à les écouter, il ne s’en trouvera pas un de mort.”

Morel, Imprimeur du roi, avait un si grand amour pour l’étude, que lors qu’on lui vint annoncer que sa femme était sur le point de mourir, il ne voulut pas quitter la plume, qu’il n’eût fini la phrase qu’il avait commencée. Il ne l’avait pas achevée, qu’on lui revint dire que sa femme était morte. “J’en suis marri, répondit-il froidement, c’était une bonne femme.” Et il acheva sa phrase.

Un Gascon avait emprunté vingt pistoles sur son billet. Le terme arrive, point d’argent; aussitôt vient un exploit: “Un exploit pour vingt pistoles, s’écria l’emprunteur; à moi un exploit! voila un procédé des plus outrageants. Ne suis-je pas bien malheureux de devoir à un homme qui n’a pas de quoi attendre qu’il me prenne envie de le payer!”

Voltaire, jaloux de tous les poëtes épiques, rabaissait devant le docteur Young, le talent de Milton, et frondait surtout, dans le Paradis Perdu, la mort, le péché et le diable, personnifiés par le poëte anglais. Il trouvait cette invention pitoyable, extravagante, et en faisait le principal objet de ses arrogants sarcasmes. Young, indigné du ton d’irrévérence et de légèreté avec lequel Voltaire s’exprimait sur un des plus grands génies d’Angleterre, lui adressa sur le champ le distique suivant:

Thou art so wirt, wicked, and so thin,

That art at once the devil, death and sin.

qu’on a traduit en français par ces deux vers:

Ton esprit, ta laideur et ton corps desséché,

Font voir en toi la mort, le diable et le péché.

Voltaire, déconcerté par cette vigoureuse apostrophe, n’eut pas la force de balbutier un mot de réplique, et disparut sur le champ.

Un acteur, qui venait de Flandre, débutait dans le rôle d’Andronic, avec fort peu de succès; et lorsqu’il vint dire:

Mais pour ma fuite, ami, quel parti dois-je prendre? un spectateur répondit;

Ami, prenez la poste, et retournez en Flandre.

Korsakow, un des derniers favoris de Catherine II, était d’une ignorance crasse; dès qu’il eut obtenu la place à laquelle le hazard l’avait élevé, il crut qu’un homme comme lui devait nécessairement se procurer une bibliothèque. Aussitôt il fit venir le plus fameux libraire de Petersbourg, et lui dit qu’il voulait avoir des livres, pour les placer dans sa maison de Wasieltschikoff, dont l’impératrice venait de lui faire présent. Le libraire lui demanda quels livres il lui fallait. “Vous savez cela mieux que moi, répondit le favori; c’est votre affaire: de gros livres en bas, de petits en haut, voila comme ils sont chez l’impératrice.”

Le président de la M * * * joignait aux manières les plus douces et les plus flatteuses, une malice d’esprit que cet extérieur rendait plus piquante. Il était fort gras. Un jour, au parterre de l’opéra, quelqu’un incommodé de sa taille et de son voisinage, dit tout haut: “Quand on est fait d’une certaine manière, on ne devrait pas venir ici.—Monsieur, lui répondit doucement le président, il n’est pas donné à tout le monde d’être plat.”

Un général français, un peu brusque dans sa façon d’agir, prenait souvent la licence de battre sa femme. Un de ses aides de camp dit à un de ses amis: “Je croyais servir sous un général, et je suis aide de camp d’un tambour.—Que veux tu dire, repliqua l’ami?—Eh! oui, tous les jours il bat la générale.”

Un poëte ayant fait un opéra qui n’eut pas de succès, dit à une dame que la poire n’était pas mûre: “Je le veux croire, répondit-elle, mais cela ne l’a pas empêchée de tomber.”

Une femme de beaucoup d’esprit, à qui l’on demandait ce qu’elle pensait de Beaumarchais, répondit: “Il sera pendu, mais la corde cassera.”

Le citoyen P......, interrogé sur ce qu’il avait fait pour la révolution, répondit: “Beaucoup; je l’ai supportée.”

CONTE.

 

      Un Gascon chez un Cardinal,

Exaltait la Garonne avec persévérance:

C’était non seulement un fleuve d’importance,

      C’était un fleuve sans égal:

A ce compte, monsieur, lui dit son éminence,

Le Tibre près de lui ne serait qu’un ruisseau?

Le Tibre, monseigneur, sandis, belles merveilles!

S’il osait se montrer aux pieds de mon château,

      Je le ferais mettre en bouteilles.

VARIÉTÉS.

Antiquité.—La découverte faite l’automne dernier, d’une pièce de canon à l’embouchure de la rivière Jacques-Cartier, semble avoir établi un fait de l’histoire du Canada, que Charlevoix et autres avaient regardé comme douteux, bien que la tradition sur le sujet fût uniforme parmi les habitans du pays. Jacques Cartier ne fait point mention, dans l’histoire de son voyage, de la perte du vaisseau dans lequel il monta d’abord à Hochelaga, ou Montréal, en 1535, les deux autres ayant été laissés à Québec; mais Charlevoix parle d’un petit ouvrage où ce fait était rapporté, et affirme que la tradition parmi les habitans était que Jacques Cartier avait perdu son vaisseau à l’entrée de la rivière qui porte son nom.

Les eaux du St-Laurent étaient extrêmement basses, l’été dernier, en conséquence de la sécheresse de la saison: un radeau s’étant échoué, à l’entrée de la rivière Jacques Cartier, les hommes, en le poussant, touchèrent de leurs pieds quelque chose de dur, qui ayant été tiré de l’eau, se trouva être un canon d’une construction singulière. Mr. R. Wood, marchand de bois de cette ville, à qui ce canon fut donné, en a généreusement fait présent au public, en le plaçant dans le musée de Mr. Chasseur. C’est une pièce d’un très beau bronze, d’environ quatre pieds de long et de cinq ou six livres de balles. Il est monté, comme le sont généralement les obusiers, sur un affut de fer à deux fourchons, et a un levier de fer pour aider le canonier à le diriger.

Il y a peu à douter que ce canon ne fût un de ceux qu’il y avait sur le vaisseau de Jacques Cartier, lorsqu’il périt sur le rocher qu’on appelle encore la roche de Jacques Cartier.

Gazette de Québec.

Projet louable.—Il s’est tenu hier, (25 Avril) une assemblée, à l’hôtel de Malhiot, dans cette cité (présidée par le docteur Blanchet, le docteur Tessier faisant les fonctions de secrétaire), dont l’objet a été de trouver les moyens les plus propres d’assurer au public la jouissance et la propriété du musée d’histoire naturelle dû à l’industrie infatigable du sieur Chasseur, citoyen de cette ville. L’assemblée, quoique peu nombreuse, était respectable, et s’est contentée de nommer un comité pour rédiger le plan d’une association pour les fins proposées, lequel plan, lorsque fait, sera soumis à une autre assemblée générale qui sera convoquée à cet effet.

(Gaz. de Québec p. par a.)

Projet utile.—Cet infatigable collecteur, Mr. Chasseur, se propose de faire un voyage dans le district Montréal et dans le Haut Canada, dans la vue d’enrichir sa collection de curiosités naturelles des échantillons qu’il y pourra obtenir.

Mercury.

Avelines.—M. Robert Symes, convaincu de l’utilité d’introduire ici la culture de ce fruit excellent qui est si commun et de la vente duquel on tire un si grand profit dans la Grande-Bretagne, nous prie d’annoncer qu’il en a importé dernièrement une quantité considérable, d’une très-bonne espèce, pour servir de semence, et qu’il les distribuera gratis, à son magasin, rue du Palais, No. 13, à toutes les personnes qui en demanderont.

Gaz. de Québec.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 6, Mai, 1827. edited by Michel Bibaud]