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Title: La bibliothèque canadienne, Tome 1, Numero 5, Octobre, 1825.

Date of first publication: 1825

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: Mar. 26, 2020

Date last updated: Mar. 26, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome I. OCTOBRE, 1825. Numero 5.

Histoire du Canada.

Le Père Biart a laissé une relation de son voyage, et de ce qui s’est passé sous ses yeux en Acadie. Ce missionnaire, parlant des sauvages connus alors sous le nom de Souriquois, et qu’on a appellés depuis Micmacs, nous les représente comme des hommes bienfaits et d’une taille avantageuse. On leur a toujours remarqué beaucoup de douceur et de docilité, et une grande bravoure. On les verra, unis avec leurs voisins, sous le nom de nations ou tribus abénaquises, se joindre aux Français dans I’Ile de Terreneuve, et dans la Nouvelle-Angleterre, et prendre vis-à-vis des habitans des colonies anglaises de l’Amérique une attitude imposante, qu’ils conservaient encore, lorsque Charlevoix écrivait son histoire, quoiqu’ils fussent alors réduits à un petit nombre. Au reste, les détails dans lesquels entrent le P. Biart et Lescarbot sur les mœurs et les usages de ces peuples, pouvaient paraître intéressants alors en France, mais le seraient très peu ici présentement. Nous ne pouvons néanmoins passer sous silence la conduite horrible de quelques Européens à leur égard. Charlevoix remarque qu’il était d’autant plus étonnant que les Abénaquis eussent de tout tems vécu en bonne intelligence avec les Français, qu’ils s’étaient mis dans la tête que cette nation les détruirait. Il ajoute que dès le tems de M. de Monts, ils diminuaient déjà beaucoup, et que peu de tems après, on montrait un assez grand nombre de lieux déserts, où l’on assurait qu’il y avait eu de grosses bourgades, avant que les pêcheurs de France fréquentassent leurs côtes. Ils disaient qu’on les avait empoisonnés; et ce reproche n’était pas sans fondement. On a trouvé, (c’est toujours Charlevoix qui parle,) plus d’une fois entre leurs mains, du sublimé corrosif et autres drogues semblables, que des Français leur avaient donnés, et dont il leur avaient enseigné, disait-on, à faire usage pour se défaire de leurs ennemis. Charlevoix pense que cela est arrivé rarement; mais il ajoute que ce qui n’a été que trop ordinaire, c’est que parmi les marchandises comestibles qu’on leur portait, il s’en trouvait de gâtées, qui leur causaient des maladies d’autant plus dangereuses qu’ils ignoraient les moyens de les guérir.

Le Père Masse s’était mis en marche, de son côté, pour reconnaître le pays, s’instruire des mœurs des habitans, et de leurs dispositions en faveur de la religion chrétienne. Il avait pour guide le fils du sagamo Mambertou, dont il a déja été parlé, et qui s’était fait chrétien aussi bien que son père. Il tomba malade, au milieu de la route. Ce contretems jeta le jeune homme dans une inquiétude que le missionnaire prit d’abord pour un pur effet de son affection; mais quelle fut sa surprise, quand Louis (c’était le nom de baptême de ce sauvage) vint le prier d’écrire à M. de Biencourt qu’il mourait de maladie: sans cela, ajouta-t-il, on pourrait croire que je t’ai tué. Le malade se garda bien de faire ce que lui demandait son guide: peut-être, lui dit-il, serais-tu homme à me tuer en effet, et à te servir de ma lettre pour cacher ton crime. Le sauvage finit par s’appercevoir de son manque de sens.

Cependant le tems se passait, et la colonie diminuait plutôt qu’elle ne croissait. On négligeait de cultiver la terre, et l’on se mettait par là dans une dépendance continuelle des sauvages pour la subsistance. M. de Poutrincourt était resté en France, et s’était brouillé avec Madame de Guercheville, qui n’était entrée en société avec lui que pour le mettre dans l’intérêt des missionnaires. Comme elle vit qu’elle n’y avait pas réussi, elle songea sérieusement à les transporter en quelque endroit où ils n’eussent rien à démêler avec lui, et où ils pussent travailler sans obstacles aux fonctions de leur ministère. M. de Champlain avait fait tous ses efforts pour l’engager à se lier avec M. de Monts, dont il lui garantissait la droiture; mais par la seule raison que ce gentilhomme était calviniste, elle ne voulut jamais y entendre, et elle eut dans la suite tout lieu de s’en repentir.

Elle fit armer un vaisseau à Honfleur, et donna ordre au Sieur de la Saussaye, qui devait commander en son nom en Amérique, d’y embarquer tout ce qui était nécessaire pour commencer une nouvelle colonie. Ce bâtiment mit à la voile le 12 Mars 1613, et il mouilla le 6 Mai, dans le port de la Haive, où. M. de la Saussaye fit arborer les armes de Madame de Guercheville. De la Haive, la Saussaye passa au Port-Royal, où il ne trouva que cinq personnes, y compris les deux jésuites et un apothicaire, qui y commandait en l’absence de M. de Biencourt, lequel était allé loin dans les terres, avec la plupart des Français, pour y chercher des vivres. Il embarqua les deux missionnaires et rangea la côte jusqu’à la rivière de Pantagoët, appellée dans les anciennes relations, rivière de Norimbègue. Cette rivière, dont l’embouchure est par les 44 deg. 20 min. de latitude, coule 45 lieues au sud-est de celle de St. Jean, sur un territoire réclamé dès lors par la couronne d’Angleterre. M. de la Saussaye débarqua sur la rive septentrionale, et y fit à la hâte un petit retranchement auquel il donna le nom de St. Sauveur. Tout son monde se montait à 25 personnes. L’équipage de son navire, qui était de 35 hommes, se joignit aux nouveaux colons, pour élever des maisons ou des cabanes. Lorsqu’on fut logé, on commença à cultiver la terre.

Mais la nouvelle colonie n’avait pas encore eu le tems de prendre une forme régulière, lorsqu’un orage imprévu la renversa de fond en comble. Onze bâtimens anglais étaient partis de la Virginie, sous la conduite de Samuel Argall, pour faire la pêche vers les îles des Monts Déserts: ce commandant apprit sur la route que des étrangers s’établissaient à Pantagoët; il ne douta pas que ce ne fussent des Français, et quoique la France et l’Angleterre fussent alors en paix, il résolut de les en chasser.

Il parait que ce capitaine anglais n’avait qu’un seul vaisseau de force pour escorter les bâtimens pêcheurs: du moins, on n’aperçut d’abord à St. Sauveur qu’un vaisseau qui venait, à toutes voiles, sous le pavillon d’Angleterre. Quoique la Saussaye ignorât le dessein des Anglais, il crut devoir se préparer à tout évènement: il demeura à terre pour défendre le fort; et Lamotte le Vilin, son lieutenant, fut chargé de la défense du navire, qui était en rade; mais ni l’un ni l’autre n’avaient de canons, et Argall en avait quatorze. Celui-ci s’attacha d’abord au retranchement, et après l’avoir canonné pendant quelque tems d’un peu loin, il s’en approcha de plus près, et fit un grand feu de mousquetterie, qui tua bien du monde, et entr’autres un frère jésuite nommé Gilbert Duthet, dont la valeur, vraie ou prétendue, dit Charlevoix, a mis de fort mauvaise humeur Jean de Laet, autre historien de ces tems-là, protestant, et conséquemment peu favorable aux jésuites.

La Saussaye voyant bien qu’une plus longue résistance ne sauverait pas sa place, et ne servirait qu’à lui faire perdre ce qui lui restait de monde, prit le parti de se rendre. Lamotte le Vilin fut bientôt contraint d’en faire autant; mais son pilote, nommé Lamets, ne jugeant pas à propos de se fier aux Anglais, se sauva dans les bois accompagné de trois autres.

Argall, maître de l’habitation, après avoir abattu la croix plantée par les missionnaires, alla visiter les coffres de la Saussaye, y trouva sa commission, et l’enleva, sans que personne s’en apperçût. Le lendemain, la Saussaye étant allé rendre visite à son vainqueur, celui-ci le somma de présenter cette commission que lui-même avait soustraite. La Saussaye l’ayant en vain cherché dans le coffre où il l’avait mise, fut traité par Argall de pirate et d’homme sans aveu, qui avait usurpé le titre de gouverneur de Pantagoët, et qui méritait la mort. Aussitôt, il livra l’habitation et le navire au pillage. Ensuite, par un singulier mêlange de bassesse et de générosité, il offrit aux Français une espèce de barque ou de chaloupe pontée pour retourner dans leur pays; et cette chaloupe s’étant trouvée trop petite, il proposa à ceux qui savaient quelque métier, de venir avec lui en Virginie, où il leur promit une liberté entière de conscience, et celle de repasser en France, après une année de service. Plusieurs acceptèrent cette dernière offre, et le sieur Lamotte, ainsi que le P. Biart les suivirent. Deux autres jésuites, qui étaient venus de France avec M. de la Saussaye, s’embarquèrent avec eux, pour aller joindre un vaisseau anglais qui devait faire voile pour l’Angleterre. Ce qui restait de Français s’embarqua dans la chaloupe pontée, avec leur commandant et le P. Masse, qui n’avait pas voulu les abandonner. Le lendemain de leur départ, rangeant la terre à vue, ils apperçurent sur le rivage le pilote Lamets et ses compagnons, et les embarquèrent. Ils traversèrent la Baie Française et rencontrèrent, au port de la Haive, un navire français qui les reçut tous, et les conduisit heureusement au port de St. Malo.

Ceux qui avaient suivi le capitaine Argall en Virginie, n’eurent pas autant de bonheur: à leur arrivée à Jamestown, le gouverneur-général leur déclara qu’ils devaient tous s’attendre à être traités en corsaires, et en effet il les condamna à mort. Argall eut beau lui représenter qu’il leur avait donné sa parole qu’on les traiterait bien, et qu’ils demeureraient libres; qu’ils ne l’avaient suivi volontairement en Virginie qu’à cette condition, le gouverneur lui répondit qu’il avait outrepassé ses pouvoirs; que leur chef n’ayant point de commission, il ne pouvait s’empêcher de les regarder comme des forbans. Il ne restait plus à Argall d’autre moyen de les sauver que d’avouer sa supercherie à l’égard de la Saussaye, et il fut assez honnête homme pour racheter la vie de tant de personnes innocentes, au prix de la confusion que devait lui causer un tel aveu.

La vue de la commission du Sieur de la Saussaye désarma le gouverneur de la Virginie, mais il prit sur le champ la résolution de chasser les Français de toute l’Acadie. Argall fut chargé de cette expédition. On lui donna trois vaisseaux, sur lesquels il embarqua tous les Français qu’il avait emmenés de St. Sauveur. Il apprit en route qu’un bâtiment français était entré dans la rivière de Pantagoët, et il se disposa à le combattre; mais il ne l’y trouva point. Il arbora les armes d’Angleterre au même endroit où avaient été celles de la Marquise de Guercheville; puis il alla à l’île de Ste. Croix, où il ruina tout ce qui restait de l’établissement de M. de Monts. Il fit la même chose au Port-Royal, où il ne rencontra personne; et en quelques heures, le feu consuma tout ce que les Français possédaient dans une colonie où l’on avait dépensé beaucoup d’argent, et travaillé bien des années, sans songer à se mettre en état de soutenir un coup de main.

Argall n’ayant plus rien à faire en Acadie, reprit la route de Jamestown, ayant toujours sur son escadre les Français qu’il avait rendus spectateurs de la destruction du Port-Royal. Un Français qu’il rencontra sur le rivage, lui dit beaucoup de mal des jésuites, et fit par ses discours assez d’impression sur son esprit, pour qu’il résolut de chasser ces pères de la Virginie, aussitôt après son retour. Trois jésuites qui se trouvaient à bord d’un de ses vaisseaux, commandé par un nommé Turnell, furent violemment maltraités. Un orage survint; les vaisseaux furent dispersés. Celui d’Argall parvint à faire sa route jusqu’en Virginie. Un autre disparut entièrement. Le vaisseau de Turnell, par une bisarre fatalité, fut poussé sur les Açores, où l’on fut trop heureux de pouvoir jeter l’ancre. Les missionnaires, à qui la plus belle occasion se présentait de tirer vengeance des injures qu’on leur avait faites, dédaignant cette basse jouissance, et pratiquant le précepte de l’évangile, rendirent le bien pour le mal. Ils contribuèrent de tout leur pouvoir à tirer Turnell de ce mauvais pas; ils le sauvèrent même une seconde fois, dans une position presque aussi embarrassante. Séparé de son commandant par la tempête, et sans commission pour revenir, quand il eut débarqué en Angleterre, il fut emprisonné comme déserteur, et son procès lui aurait été fait, sans les trois missionnaires qui témoignèrent pour lui.

Cependant on fit grand bruit à la cour de France de l’entreprise des Anglais sur St. Sauveur et sur le Port-Royal; mais comme dans le fond cette affaire n’intéressait guère que des particuliers, ce premier feu se ralentit bientôt. M. de Poutrincourt ne fit aucune démarche: Madame de Guercheville envoya La Saussaye à Londres, pour y solliciter la réparation du tort qu’on lui avait fait, et la restitution de ses effets; mais elle n’obtint qu’une partie de ce qu’elle demandait, et il fallut qu’elle s’en contentât. Elle reconnut, mais trop tard, qu’elle avait eu tort de ne pas suivre le conseil de M. de Champlain.

(A continuer.)

CURIOSITÉS NATURELLES.

Le morceau intéressant qui suit est de la plume d’un de ceux de nos respectables curés, qui, au soin de s’acquitter dignement des fonctions de leur ministère, ont le mérite de joindre encore l’étude de la nature et le goût de la littérature et des sciences. Ce morceau, qui a paru dans quelques unes de nos gazettes en Avril 1824, nous a semblé digne d’être republié, pour plus sûre préservation, dans la Bibliothèque Canadienne.

Grotte.—Dans la rivière du Naquouaran, qui sépare la paroisse de St. Jacques de celle de St. Paul de la Valtrie, se trouve un Souterrain curieux que les habitans de l’endroit appellent Cabane des Fées. On y entre par une ouverture très étroite, et qui se trouve cachée par une pierre platte qui avance. Pour entrer, on est obligé de se laisser glisser par les pieds sous cette pierre; autrement l’ouverture allant toujours en baissant, on risquerait d’étouffer. Après avoir avancé de cette manière quinze à seize pieds, on trouve une côte plus rapide, au bout de laquelle se trouve la première grotte, longue d’environ cinquante pieds, ayant bien quinze pieds de haut et sept ou huit de large; après un détour de vingt pieds, mais qui est assez bas pour qu’on soit obligé d’y marcher courbé, on trouve une seconde grotte, longue de plus de cent cinquante pieds, mais qui n’a guère que six pieds de haut et huit ou neuf pieds de large; dans cette grotte coule un filet d’eau très limpide. La voute de cette grotte est un ceintre très régulier, et décoré d’une couche de matière stalactite, d’où dépendent des deux côtés des chandelles et autres dégoutières de la même matière, et qui contribuent à former une corniche assez pittoresque. D’un bord à l’autre de la voute, il y a des traverses ornées de rangées de stalactites qui représentent des mâchoires armées les unes de dents incisives et les autres de dents molaires. On trouve par terre de ces stalactites, (ou stalagmites,) formées par les eaux imprégnées de matière calcaire qui découlent du haut, et qui offrent aux yeux étonnés une espèce de végétation pierreuse sur un sol de pierre.

Plus loin, le souterrain se divise en trois branches. Nous pénétrâmes (dit l’auteur, parlant de lui-même et de ses compagnons de visite,) jusqu’au bout de celle du milieu, qui se termine par un ébouli de pierres. Quelques uns de nous entrèrent dans la branche à gauche, et avancèrent, nous dirent-ils, environ un arpent et demi, marchant toujours couchés à cause de l’étroite capacité de ce souterrain, qu’ils trouvèrent terminé par une grotte très vaste par sa largeur, mais si basse qu’ils n’y purent entrer. Quant à la branche sur la droite, elle est trop étroite pour que quelqu’un puisse s’exposer à y pénétrer. Il n’y a pas de doute que quelqu’un de ces souterrains n’ait quelque communication avec l’air extérieur, autrement il est évident qu’on n’aurait pû aller si loin dans l’intérieur de la terre sans y être suffoqué.

Nous entrames une dixaine de personnes dans cette Cabane des Fées, ayant chacun une couple de flambeaux à la main, et en laissant en outre d’allumés d’espace en espace; ce qui contribuait à répandre une lumière charmante, qui relevait la beauté naturelle de ces lieux souterrains, qui ne laissèrent pas toutefois d’inspirer une espèce d’horreur, et les aurait véritablement fait passer pour des grottes mystérieuses de Fées, à ceux qui y seraient alors entrés sans s’y attendre. L’ardeur avec laquelle nos flambeaux brulaient nous inspirait de la confiance dans nos recherches, ayant prévenu d’ailleurs ceux qui étaient avec nous de ne point avancer où les lumières commenceraient tant soit peu à s’éteindre.

On admire la hardiesse du premier homme qui osa ainsi s’exposer à entrer dans un souterrain qui devait naturellement paraître très dangereux, non seulement par le défaut d’air, mais encore par les serpens ou les bêtes féroces qui auraient pû y avoir choisi leur retraite. Voici l’histoire de cette découverte, (faite en 1822, suivant Mr. Bouchette.) Un habitant du lieu, nommé François Labée dit Chevalier, ayant tendu une attrappe à chats, et le lendemain, ayant soudé le trou avec une perche, et n’y trouvant point de fond, il se décida d’y entrer; étant arrivé dans la première grotte, et le jour lui manquant, il fut chez lui, chercher du feu, et avec un de ses voisins, nommé Joseph Schetté, tous deux furent assez hardis pour pénétrer jusqu’au fond; et depuis ce tems, ils ont pris dedans une quantité de chats sauvages très gras.

Il est à regretter que ceux qui visitent ces grottes, en enlèvent les plus belles stalactites: j’ai vu avec peine qu’un de ceux qui étaient avec nous en ait enlevé, à coup de marteau, une d’environ un pied et demi, et qui représentait un homme ayant les bras sur sa poitrine et les jambes étendues, et aussi régulièrement découpés, que s’ils eussent été taillés par le ciseau d’un adroit sculpteur. Cette figure se trouvait soulevée en relief dans une des parois du roc de la seconde grotte, un peu au-dessous de la corniche dont on a parlé. Il serait à souhaiter, pour le plaisir des curieux, qu’on aggrandit l’entrée de ces grottes, s’il était possible, sans rien ôter de ce qui fait la richesse d’un souterrain si extraordinaire, qui n’a pas moins de deux arpens et demi de long.

BOTANIQUE.

Valérienne à feuilles d’orties et à fleurs violettes.—Cette plante ne diffère de la suivante qu’en ce que ses feuilles sont plus découpées, et que ses fleurs violettes approchent un peu plus de l’acinus, ou du basilic sauvage. On en a vu fleurir en France, dit Charlevoix, dans le jardin de M. Robin, célèbre botaniste du roi.

Valérienne à feuilles d’orties et à fleurs blanches.—La racine de cette plante est fibreuse, comme celle du lychnis, et ne pénètre pas bien avant en terre; elle se porte même mieux quand ses fibres sont découvertes. L’odeur et la saveur de cette racine ne le cèdent en rien au nard, en quoi elle surpasse beaucoup la valérienne d’Europe. Quand on l’a mâchée, elle embaume la bouche, et à la fin, elle pique la langue, comme la canelle. Il en sort plusieurs tiges creuses, rondes, noueuses, lisses, hautes d’une coudée, et qui se partagent en plusieurs autres. Les feuilles naissent deux à deux jusqu’à l’extrémité des tiges, et ne ressemblent pas mal à celles de la grande ortie, ou de la scrophulaire; mais elles sont moins piquantes, et d’un vert plus clair. Chaque tige est terminée par une assez large touffe de fleurs blanches fort petites, semblables à celles de la valérienne d’Europe, mais en plus grand nombre. Elles paraissent au mois de Septembre, et quand elles sont tombées, on voit à leur place de petites semences longues, que le vent emporte bientôt. L’hiver, il ne reste que la racine; en quoi cette plante diffère encore de la valérienne d’Europe.

Lychnis du Canada. Asaron canadense.—Ce lychnis, aussi bien que les deux valériennes dont on vient de parler, croît sur les collines et à l’ombre. Il diffère moins du lychnis d’Europe par ses vertus que par sa grandeur. Il ne pousse point de tiges; mais il sort de sa racine de longs pédicules qui soutiennent de larges feuilles à peu près de la figure de celles du lierre, mais moins longues, terminées en pointes, molles, d’un vert sombre, et couvertes d’un léger duvet. Les pédicules sont de la même substance que ceux des feuilles de vignes, et il en croît à leur côté de plus courts qui soutiennent des fleurs. Ces fleurs sortent d’un petit calice d’un vert pâle, qui en s’ouvrant se divise en trois segmens pointus, lesquels se renversent en arrière. Au fond du calice, on trouve de petites semences d’un goût mordicant et qui met la bouche en feu. La racine de cette plante est charnue, pleine de suc, et s’étend horisontalement. Il en sort des fibres d’une juste longueur, d’une odeur agréable comme celle de l’acorus, mais plus forte: on les pile, on les enveloppe de linge, et on les jette bien nouées dans un tonneau de vin, avec un poids qui les retienne au fond: on les y laisse trois mois, et elles communiquent au vin un goût très délicat. On mâche aussi la racine, pour se donner une haleine douce et agréable; mais elle a des vertus encore plus estimables: on assure qu’elle a toutes celles du nard, et celles que les anciens ont attribuées au lychnis d’Europe, comme de guérir l’enflure du ventre, les douleurs de sciatique, les fièvres tierces invétérées; et de purger la bile et la pituite aussi efficacement que l’ellébore. Pour opérer ces effets, on prend deux cuillerées du suc de cette racine mêlées avec du vin blanc.


Le péricarpe n’est autre chose que la paroi de l’ovaire, qui change de nature par la maturité. Selon qu’il est dur ou mou, sec ou succulent, simple ou composé, on lui donne des dénominations différentes. Sa partie interne forme une loge souvent partagée par des cloisons.

Tantôt le péricarpe est d’une seule pièce et ne s’ouvre pas; tantôt il est composé de plusieurs valves ou portes rapprochées et comme soudées les unes aux autres; à l’époque de la maturité, ces valves se désunissent.

Au centre de la cavité du péricarpe est quelquefois une petite colonne ou columelle verticale, qui sert d’appui aux cloisons et souvent de placenta aux graines.

La placenta est la partie du péricarpe où chaque graine est placée.

La graine est l’œuf végétal: c’est dans son sein qu’est caché le germe qui assure la reproduction de l’espèce.

La graine adhère au péricarpe par un filet plus ou moins allongé, analogue au cordon ombilical des animaux. Ce filet s’évanouit quelquefois à son point d’attache sur la graine, en une membrane qui l’enveloppe en partie, sans contracter avec elle aucune adhésion: cette membrane est l’arille.

Les parties internes des graines sont ordinairement recouvertes par deux enveloppes très minces; la plus extérieure est le testa; l’autre est la membrane interne. La première est plus ferme, plus épaisse, souvent colorée, quelquefois inégale, percée à sa superficie d’une ouverture qui correspond au cordon ombilical, et que l’on désigne sous le nom d’ombilic. La seconde est toujours molle, fine, blanchâtre, transparente et lisse: elle n’a point d’ouverture visible.

Dessous la membrane interne est l’embryon, faible et première esquisse de la plante qui se développera un jour. On y distingue la radicule, petit cône qui doit s’allonger en racine; la plumule, assemblage de feuilles à peine formées et pliées sur elles-mêmes, qui indique l’origine de la tige; et au colet, c’est-à-dire, au point de jonction de la radicule et de la plumule, on remarque une ou deux feuilles ordinairement très apparentes, plus ou moins épaisses, auxquelles on a donné le nom de cotyledons, ou de feuilles séminales.

Lorsque les cotyledons sont très minces, l’embryon est accompagné de l’albumen ou périsperme, substance farineuse, sèche ou oléagineuse; mais lorsque les cotyledons sont épais et charnus, cette substance n’est point apparente, parcequ’elle remplit alors le tissu cellulaire des cotyledons.

L’albumen de la graine nourrira l’embryon dans ses premiers développemens, comme l’albumen ou le vitellus des œufs des oiseaux, et le lait des quadrupèdes, nourissent les fœtus qui arrivent à la vie.

VARIÉTÉS LITTÉRAIRES ET SCIENTIFIQUES.

Les journaux de Paris contiennent un long rapport de la séance publique de l’Académie Française, pour la réception des nouveaux membres, MM. Droz et C. Delavigne, qui, selon l’usage, ont prononcé des éloges de leurs prédécesseurs, MM. Lacretelle et Ferrand. Les discours des nouveaux Académiciens sont dignes des plus beaux jours de l’Académie. Celui de M. Delavigne est surtout remarquable par la liberté avec laquelle il exprime ses sentimens politiques. Il fait une critique sévère de la théorie des révolutions de M. Ferrand, et loue hautement le général Foy, et les autres chefs de l’opposition dans la Chambre des Députés.

Il parait chez M. Louis Janet, une nouvelle édition de l’Histoire d’Haïty, depuis sa découverte jusqu’à la fin de l’année 1821. Un intérêt d’autant plus grand s’attache à cette édition, qu’elle offre l’exposé le plus exact de toutes les négociations entamées entre la France et la république d’Haïty jusqu’à la fin de l’année dernière.

On a mis en vente, chez les libraires Ladvocat et Gosselin, un ouvrage qui ne peut manquer d’exciter le plus vif intérêt par son sujet et par sa forme: le Voyage historique et littéraire en Angleterre et en Ecosse, de M. Amédée Pichot, connu par la belle traduction des œuvres de lord Byron et de Shakspeare. L’Angleterre toute entière y passe en revue sous les yeux du lecteur, avec ses costumes, ses mœurs, sa politique, son commerce, sa littérature, ses sciences, ses arts, ses spectacles, dans une suite d’entretiens sans prétentions, qui ne cessent d’occuper agréablement l’esprit sans jamais le fatiguer. (3 vol. in 8vo. avec atlas de 15 planches et fac simile.)

Voyage à l’Isle de France, dans l’Inde et en Angleterre, suivi de Mémoires sur les Indiens, sur les vents des mers de l’Inde, et d’une notice sur la vie du général Benoit Deboigne; par P. Brunet, de Nantes, I vol. in 8vo. Cet ouvrage est rempli d’anecdotes piquantes et curieuses, qui le rendent intéressant pour toutes les classes de lecteurs.

Bélisaire, tragédie de M. Jouy, dont la censure dramatique avait interdit la représentation en 1818, a été, après sept ans, joué pour la première fois à Paris le 29 Juin, et a obtenu un succès brillant. Talma remplissait le rôle de Bélisaire.

Charles X a bien voulu encourager de sa souscription l’Encyclopédie Portative, importante publication, dirigée par M. C. M. Bailly, et publiée sous les auspices des savans les plus distingués, parmi lesquels sont MM. de Barante, de Blainville, Champollion, Cordier, Cuvier, C. Dupin, de Fenissac, Jomard, de Jussieu, Letrronne, Quatremere de Quincy, Thenard, &c.

On lit la déclaration suivante dans la préface du dernier ouvrage de Sir Walter Scott, (Histoire du tems des Croisades,) publié chez le libraire Gosselin: “J’ai dessein d’écrire le livre le plus merveilleux que le monde ait jamais lu: un livre dont tous les incidens seront incroyables, et cependant vrais; un livre qui rappellera le souvenir des faits dont les oreilles de la génération actuelle ont été étourdies, et que nos enfans liront avec une admiration approchante de l’incrédulité: ce sera la vie de Napoleon Bonaparte.”

Le célèbre opticien Serayel, de Bâle, vient d’achever un télescope sur un plan perfectionné, de 64 pieds de longueur. On dit qu’à l’aide de cet énorme instrument, plusieurs savans ont été en état de découvrir dans la lune des chemins, des monumens, des temples et des êtres animés.

Un fermier de Hippelbach, en Moravie, a inventé une nouvelle charrue, qui, tirée par un seul cheval, trace quatre sillons à la fois. La Société des Sciences de Vienne lui a décerné une médaille d’or.

La mission de Mr. le Duc de Northumberland, n’a pas été passée sous silence par la muse française, comme il paraît par la lettre suivante de M. Pesme, ex-sous-préfet, à sa Grâce.

“Monseigneur,—Tous les amis de l’humanité liront avec le plus grand intérêt le message, également brillant et solide, par lequel votre souverain vous a chargé de féliciter Charles X sur son sacre; comme aussi la belle réponse qu’il vous a faite, et qui offre aux Français les espérances les plus flatteuses. En effet, quand les chefs de deux nations comme les nôtres, (dont les principes et les intérêts sont les mêmes,) sont unis pour le bonheur du genre humain, tout le monde doit sentir l’heureuse influence d’un si excellent usage de la puissance et de l’alliance royale. C’est pour cette raison, que je me suis permis d’exprimer le sentiment de cette union, si désirable pour les deux hémisphères, dans le quatrain suivant, que je prie votre Excellence d’avoir la bonté d’accepter:

  Quand les rois se donnent la main

  Pour le bonheur du genre humain,

  Chacun admire leur sagesse,

  Avec des transports d’allégresse.”

Le lendemain matin, M. Pesme reçut la réponse suivante:

“Le Duc de Northumberland remercie M. Pesme ex-sous-préfet, de l’intérêt qu’il a exprimé relativement à la mission que le roi son maître a jugé à propos de lui confier. Le Duc admire le zèle et l’esprit qui animent l’auteur de la jolie lettre qu’il a reçue de lui.”

On a reçu sur les frontières de France, les ordres les plus stricts d’empêcher l’introduction dans le royaume de la Vie de Scipio Ricci, Evêque de Pistoie, imprimée dans les Pays-bas. Les voyageurs mêmes sont fouillés. On dirait que le livre est infecté de la peste. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement le regarde comme subversif des principes de la société, tels qu’ils les entend.

Louis Plamondon, Ecuyer, Avocat, de Québec, se prépare à publier par souscription, un ouvrage en français et en anglais, sur les Lois Civiles de ce pays. Cet ouvrage sera distribué en cinq livres: le premier traitera des personnes; le second, des biens, et des modifications de la propriété; le troisième, des manières d’acquérir la propriété; le quatrième, des lois féodales du Bas-Canada; le cinquième des lois anglaises introduites dans ce pays.

M. Plamondon a déja fait des progrès considérables dans cet ouvrage, et il se prépare à le compléter sans délai, si, comme il y a peu à en douter, il se présente un nombre suffisant de souscripteurs pour couvrir les frais de cette entreprise. On dit que l’ouvrage de M. Plamondon a été vu par quelques uns de nos gens de loi les plus distingués, qui le donnent comme étant extrêmement bien digéré et de la plus grande utilité.

VOUS LE CONNAISSEZ.

M. G*** a une physionomie particulière et mérite qu’on s’y arrête un moment. Il est tour à tour mathématicien, peintre, astronome, chymiste et médecin; il n’ignore de rien. Cite-t-on Homere? Il sait trois mots grecs qu’il laisse échapper comme à regret, et de l’air d’un homme qui redoute jusqu’à l’ombre du pédantisme. Parle-t-on de Virgile? Il tire de sa poche un Elzévir qui ne le quitte jamais, le montre en levant les yeux au ciel, et vous laisse broder sur ce texte laconique. Sa chambre a-t-elle besoin d’air? Ouvrez, dit-il, l’oxigène manque et l’azote domine. A l’occasion d’une fleur, il vous parle de corolles, de pétales, de pistil et de stigmate. Est-il souffrant? Ce sont les lombes, les bronches, le tissu cellulaire, les corps caverneux. A table, il fait de la chimie nutritive et culinaire, et une étincelle qui jaillit du foyer lui sert de transition pour traiter du calorique et de ses effets.

Ne croyez pas toutefois que G*** commette légèrement son érudition d’emprunt. Il commence d’abord par sonder le terrain, par tâter, comme on dit, son homme. Par exemple, l’autre jour chez Mme. B., qui réunit une société assez mêlée, il parla littérature à un agent-de-change, et fit subir à un commis-banquier une longue dissertation sur la langue cophte et les hyérogliphes. L’homme aux parties doubles pensa périr d’une migraine; Mme. B. par sympathie eut des vapeurs, et M. D. des distractions dont ses cliens se plaignent.

Mais placez-le en face d’un homme de quelque savoir, d’un érudit enfin. Oh! n’ayez pas peur qu’il déroule son vocabulaire; il écoute au contraire avec une sorte de recueillement; il est tout oreille: chaque parole qu’il entend, il la corrobore d’un mouvement de tête admiratif; il semble retenir son haleine. Mais peu à peu l’enthousiasme le gagne, le surmonte; G*** n’y tient plus, il éclate: divin! charmant! delicieux! s’écrie-t-il d’une voix à dominer toutes les conversations particulières; et tous les yeux de se tourner vers lui. On s’étonne, on le presse, on l’interroge; G*** triomphe; il a fixé l’attention; il saisit les professeurs au passage, et à la faveur de quelques louanges hyperboliques, et sous prétexte d’éclaircir un doute, il leur répète mot à mot la leçon qu’il vient d’entendre: sa mémoire technologique est le fléau de la société. Que peut-on faire contre un pareil homme?—l’éviter avec soin.

CÉCILE ET TÉRENCE.

Cécile avait cent fois aux Romains enchantés

Fait applaudir ses vers au théâtre chantés;

Aux Muses consacrant sa longue et noble vie,

Il avait regardé les trésors sans envie:

Des honneurs et des rangs il ne fut point tenté;

Mais sage, libre, heureux, il vivait respecté.

Il vint un des premiers polir un dur langage,

Et de Rome adoucir la rudesse sauvage.

Car on sait (au collège Horace nous l’apprit)

Que longtems insensible aux plaisirs de l’esprit,

Ce peuple usurpateur, altier, ami des armes,

De la victoire seule idolatrait les charmes;

Et ce ne fut qu’au tems où son pouvoir fatal

Eut enfin renversé la cité d’Annibal,

Qu’il fit des doctes Grecs la connaissance utile,

S’informa de Thespis, de Sophocle et d’Eschyle;

Un rapide succès couronna ses travaux,

Et ses maîtres chez lui trouvèrent des rivaux.

Déja ce nouveau jour qui commençait à luire,

Répandait le désir et le soin de s’instruire.

Des plus nobles maisons les jeunes héritiers

Associaient l’étude à leurs travaux guerriers.

Scipion, Lélius, couple d’amis fidèles,

De valeur, de bon goût, émules et modèles,

A Thalie en secret offraient un grain d’encens;

La muse leur jeta des regards caressans.

Ces deux jeunes héros goutaient notre Cécile,

Venaient le visiter dans son modeste asyle,

Confidens de ses vers encor sur le métier,

Et sous un si grand maître heureux d’étudier.

Il aimait à tracer de tendres caractères,

La piété des fils, les droits sacrés des pères;

A peindre le méchant de remors combattu,

A foudroyer le vice, à venger la vertu.

Quittait-il le travail; simple, naïf, aimable,

Le front toujours ouvert, l’humeur toujours affable.

Oubliant ses lauriers et sa gloire d’auteur,

Cécile était bon homme et s’en faisait honneur.

Un jour un inconnu pour le voir se présente,

Tout jeune, et n’ayant pas l’apparence imposante:

Ses cheveux noirs, laineux, et son teint basané,

Sous le ciel africain attestent qu’il est né;

Modestement vêtu, l’air encor plus modeste,

Une grace timide accompagne son geste;

Dans ses yeux renfoncés on voit briller l’esprit,

Sous les plis de sa toge un épais manuscrit

Le fait pour un auteur aisément reconnaître.

Vieilli dans la maison, confident de son maître,

L’affranchi de Cécile introduit l’étranger,

Qui bégaie une excuse, et craint de déranger.

D’un regard paternel Cécile l’encourage:

“Voila comme j’étais, lui dit-il, à votre âge,

Lorsqu’au vieux Livius j’allai me présenter;

Il me reçut fort bien, et j’aime à l’imiter.

Que voulez-vous de moi? quel sujet vous amène?”

A cet aimable accueil, qui le rassure à peine,

Le jeune homme répond qu’il attend en effet

Des bontés de Cécile un important bienfait.

“On touche aux jours brillants des fêtes de Cybèle,

Dans cette occasion et sainte et solennelle,

Sur un vaste théâtre aux Romains rassemblés

Des spectacles pompeux doivent être étalés.

J’ôse former peut-être un désir téméraire,

Dit-il, mais si ma pièce à Rome pouvait plaire!

Si pour mon coup d’essai j’étais assez heureux!...

L’un des deux magistrats qui président aux jeux,

L’édile Fulvius, accueillant ma prière,

De la gloire consent à m’ouvrir la carrière:

Mais d’abord, m’a-t-il dit, il faut qu’en m’éclairant

Un suffrage fameux vous serve de garant;

Allez lire, un matin, votre ouvrage à Cécile;

Il est maître en votre art. En disciple docile

Je viens solliciter vos leçons, votre appui...

—Ah! que me dites-vous? apprenez qu’aujourd’hui

Tout exprès je termine une pièce nouvelle;

On me l’a demandée; on excitait mon zèle;

Nos édiles eux-mêmes (ils l’ont donc oublié)

A plus d’une reprise instamment m’ont prié

D’animer leur théâtre et d’embellir leur fête.

J’ai travaillé longtems; ma comédie est prête;

La voila! comment faire? Ah! vous venez trop tard.

—Je connais mon devoir en ce fâcheux hazard;

J’aurai du moins la joie, ajoute le jeune homme,

De mêler mes transports aux hommages de Rome,

D’entendre proclamer votre nom glorieux;

Je vous quitte.” En partant des pleurs mouillaient ses yeux.

“—Eh! quoi de vos chagrins c’est moi qui suis la cause?

De votre ouvrage au moins lisez-moi quelque chose.

—Ah! vous me consolez. Pour moi c’est un succès

Que vous daigniez prêter l’oreille à mes essais.—Asseyez-vous;

lisez: un peu plus d’assurance.

Comment vous nommez-vous?—Je m’appelle Térence?

—Mon cher Térence, allons; je vais vous écouter.

Notre art est difficile; il nous faut consulter

Sur nos productions un ami sûr, sincère;

Et nous serons amis, vous et moi, je l’espère.”

Le jeune auteur déroule alors son manuscrit,

Approche un humble siège, et s’y place, et rougit.

Il commence en tremblant une première scène,

Vrai chef-d’œuvre....Il lisait cette belle Andrienne

Cécile écoute, admire, enfin est transporté:

“O ciel! quelle élégance, et quelle pureté!

Votre exposition est nette, naturelle;

C’est ainsi dans son art quand le poëte excelle,

Que l’art même s’efface...Où donc avez-vous pris

De ce style enchanteur l’aimable coloris?”

Plus la lecture avance, et plus le vieux poëte

Applaudit au lecteur. “Cette pièce est parfaite:

Continuez, mon fils, j’attends le dénoûment,

Et puis je vous dirai quel est mon sentiment.”

Lorsqu’enfin il arrive à la dernière page,

“Ne pas jouer cela! ce serait bien dommage!

Je veux vous y servir, dit Cécile; je dois

Des édiles, pour vous, déterminer le choix:

Ils m’en remercîront en voyant l’Andrienne.

Térence, vous serez l’honneur de notre scène.

Il vaut mieux que mes vers cette fois soient perdus

Et que je laisse à Rome un poëte de plus.

Je sers l’art et moi-même en vous rendant service.

—Eh! quoi! vous me feriez un si grand sacrifice!

Et j’obtiendrais de vous cet appui généreux?

—Surpassez-moi, mon fils, je serai trop heureux.”

Il l’embrasse à ces mots. Cécile tint parole.

Bientôt on entendit aux murs du capitole,

Tout un peuple charmé par le jeune Africain,

Lui donner le surnom du Ménandre romain.

Son vieil ami jouit de sa naissante gloire.

Que nous devons, Cécile, honorer ta mémoire!

Ah! quand le tems, jaloux de tes nombreux travaux,

Ne nous en a laissé qu’à peine des lambeaux,

Cette belle action, digne de nos hommages,

Doit nous faire encor plus regretter tes ouvrages.

LES CINQ SONS PRIMITIFS.
(Article communiqué.)

L’extrait suivant est tiré d’un manuscript original de la main du vénérable père Adam; lequel manuscrit se trouva malheureusement dans la fameuse bibliothèque d’Alexandrie lors de sa destruction par l’ignorance et le fanatisme des successeurs du prophète musulman. Quel conte! s’écrira le lecteur. Doucement, s’il vous plaît, et raisonnons ensemble sans nous quereller. Avant de donner un démenti positif et absolu à notre assertion également positive et absolue, il faut en démontrer l’impossibilité physique et morale. Voyons donc si elle existe, cette impossibilité. Peut-on démontrer en premier lieu qu’Adam ne savait ni lire ni écrire? certainement non, et il est au contraire très possible, que disons-nous? très vraisemblable que ces dons étaient au nombre de ceux qu’il avait reçus en abondance de son créateur.—Or, s’il les a en effet reçus, il est à parier qu’il en a fait usage, quand ce n’eût été que pour l’instruction de ses enfans et petits-enfans: par conséquent que, s’il n’a pas brulé ou employé à d’autre usage le fruit de ses loisirs, il aura laissé après lui quelques uns de ses manuscrits. Il est donc possible qu’un ou plusieurs de ces manuscrits, ayant passé de main en main, soit tombé par droit d’héritage, entre celles du seul descendant d’Adam qui, avec sa famille, se sauva du déluge universel. Depuis Noé, jusqu’à l’incendie de la susdite bibliothèque, qui a dérobé au monde savant tant de trésors littéraires, nous pouvons, sur une autorité irrécusable, constater l’authenticité du manuscrit en question. Cette autorité, que personne n’osera sans doute rejeter, n’est rien moins que le témoignage du fameux juif-errant bien connu de tout le monde. C’est donc de lui, n’importe que ce soit directement ou indirectement, médiatement ou immédiatement, que nous tenons les faits suivans. Ce fameux personnage a donc raconté que dans une conversation qu’il avait eue un jour avec Noé, peu de tems avant la mort du patriarche, ce dernier lui avait eu dit avoir en sa possession quelques manuscrits de son ancêtre Adam; que lorsqu’il se retira dans l’Arche, il les avait serrés avec grand soin dans une de ses malles; qu’après les avoir ainsi préservés des eaux, il les avait conservés pendant plusieurs siècles, mais qu’enfin, s’étant trouvé court d’argent par les folies et par l’extravagance de ses arrière-petits-enfans, il avait été contraint de les vendre à un marchand arménien; qu’on lui avait dit depuis, que ce marchand les avait portés en Egypte et les avait vendus avec un très gros profit à sa majesté Pharaon. Si donc nous sommes tenus sur une évidence si positive et si bien détaillée, de croire et d’admettre l’existence des manuscrits, au nombre desquels le nôtre se trouvait, jusqu’à l’époque de sa dite majesté Pharaonique, nous n’aurons pas de difficulté à croire et à admettre son existence à Aléxandrie, dont la bibliothèque renfermait les ouvrages des savans de tous les âges. Nous ne pourrons donc plus douter que le juif-errant en visitant ce fameux dépôt d’érudition n’y ait aisément découvert cette pièce précieuse à tous égards; et ce ne fut qu’avec le plus vif regret, comme il le dit lui-même, qu’il s’apperçut que ni le tems ni les rats ne l’avaient pas infiniment respectée. Cela n’était pas bien surprenant, car il fut informé qu’elle avait resté négligée dans les galetas du Palais Royal, d’où elle fut rapportée, après la mort de la belle et chaste Cléopatre, au vainqueur d’Actium. César, qui ne parlait que son patois du Latium, n’y comprenant goute, ne jugea pas ce manuscrit digne d’aller orner son entrée triomphale dans la capitale du monde, et en conséquence, comme un ignorant qu’il était, il le relégua, avec bien d’autres, dans cette bibliothèque, où notre juif le trouva.

Après avoir ainsi démontré, de la manière la plus géométrique, non-seulement la possibilité, non-seulement la probabilité, mais encore la certitude de l’existence du manuscrit en question, jusqu’à la susdite époque, nous espérons qu’on nous dispensera de nous étendre davantage sur la manière dont l’extrait suivant est venu jusqu’à nous. Nous y passerions donc tout de suite, si nous ne croyions pas nécessaire d’informer le lecteur que le dit manuscrit dont il est tiré était une grammaire de la mère-langue, c’est-à-dire de la langue universellement usitée avant la confusion de Babel. Nous ajouterons, sans même craindre que nos lecteurs s’écrient de nouveau, ah! quel conte! nous ajouterons, disons-nous, que cette mère-langue était très semblable à la française, et que par conséquent nous n’avons eu ni grand mérite ni beaucoup de difficulté à le comprendre. Il y a plus, quoique les caractères en fussent hiérogliphiques, ils approchaient si fort des nôtres, comme nous le prouverons dans une autre occasion, que nous avons pu aisément venir à bout de les déchiffrer. Ecoutons donc comment le vénérable auteur de la race humaine nous raconte l’origine des cinq sons primitifs communément appellés voyelles: voici ses propres paroles:

“Quand le souffle divin eut animé l’argile dont mon corps était fait, et quand mes yeux furent ouverts à la lumière; à la vue des œuvres sublimes du Tout-Puissant, dont je me trouvais tout-à-coup environné, le premier sentiment que ces œuvres produisirent sur moi dut naturellement être celui de la plus profonde admiration; et ce sentiment fut exprimé par le premier son primitif, a, ah!

“Je m’endormis, et à mon reveil, Eve, dans tous les attraits de la jeunesse et de la beauté, ornée de toutes les grâces de la modestie et de l’ingénuité, se présenta tout-à-coup devant ma couche. La voir et l’aimer furent l’ouvrage du même instant: la sensation que cet objet enchanteur fit sur moi tenait sans doute de l’admiration; mais ce dernier sentiment n’était plus le même que celui qui m’avait frappé lors de ma première existence. Il était modifié par un degré de plaisir qui se refuse à la description. Mon sang circulait plus rapidement; mon âme éprouvait une émotion jusques là inconnue, et j’exprimai la combinaison d’étonnement et de plaisir que la vue de ce chef-d’œuvre de la nature m’inspira, par le second son, é, eh!

“Je m’approchai de cette compagne déja adorée, pour la contempler de plus près: je la touchai et fut saisi d’un tremblement universel. Mais que devins-je après avoir cueilli sur ses lèvres de roses, le premier baiser de l’amour. Il sembla que l’existence que je venais, pour ainsi dire, de recevoir, n’était qu’un prêt momentané, et que j’allais la restituer dans l’instant même au bienfaiteur dont je la tenais. Ce ne fut cependant qu’une suspension passagère: la violence de l’émotion s’appaisa peu à peu, et il ne resta bientôt que la sensation délicieuse qui provoqua la gaité, d’où résulta le troisième son répété, i, i, i, hi, hi, hi.

“Que ces instans dédiés à l’amour et aux délices de la félicité conjugale, furent de courte durée! Le serpent maudit, jaloux d’un bonheur qu’il ne pouvait jamais gouter, trouva bientôt le moyen de séduire celle qui fesait tout le mien. Ce fruit défendu, tout attrayant qu’il fût sur l’arbre qui le portait, ne m’avait encore jamais tenté: je m’étais contenté jusques-là de l’admirer sans qu’il m’eût encore jamais inspiré l’envie de prévariquer contre la défense du Très-Haut. Mais dans la main de la beauté qui l’offrit, son attrait devint irrésistible. J’oubliai la prohibition; les sens prirent l’ascendant sur la raison et le devoir; je ne vis plus qu’Eve et la pomme; j’en mangeai et tout-à-coup mes yeux se dessillèrent. Convaincu de l’énormité de mon offense, le cri de la douleur vive, mais profonde, se fit entendre, et ce fut le quatrième son, o, oh!

“Où cacher ma honte et mon repentir? En vain les bois touffus m’offrent leur ombre; ils peuvent me garantir des feux du soleil: en vain la grotte obscure me présente un azile impénétrable à la lumière du jour; elle peut me soustraire aux regards du reste de la nature. Mais qui peut garantir des reproches de ce moniteur placé au dedans de nous, comme une sentinelle dont la vigilance ne s’endort jamais? Qui peut, surtout, nous soustraire à la vue de celui qui est, de celui dont l’œil pénétrant perce non-seulement l’épaisseur du bocage et la voute du rocher, mais encore les recoins les plus cachés, les replis les plus secrets du cœur humain? Je fus donc contraint de paraître devant ce divin bienfaiteur que j’avais offensé, de confesser mon ingratitude et d’entendre la sentence que sa justice prononça. L’ange à l’épée flamboyante l’exécuta strictement, et les sons que mes sanglots entrecoupés produisirent, lorsque les portes du jardin d’Eden furent fermées sur moi et sur ma postérité, répondaient au cinquième et dernier son primitif, u, hu, hu, hu.”

Précis Historique du Droit Romain, depuis Romulus jusqu’à nos jours, par M. Dupin, Avocat à la Cour Royale de Paris, in 18mo. pp. 101. Paris, 1819, chez Baudoin, frères.

Le Droit Romain reprit son empire en France, aussitôt que le gouvernement eut acquis une forme stable, à la suite de cette révolution terrible, qui tout en boulversant ce beau pays, fit sentir son choc dans les deux hémisphères. Le Code Civil des Français, chef-d’œuvre de génie et de sagesse, quoiqu’il réunisse des principes et des dispositions, que son ordre surpasse celui de toute autre collection de lois, que ses définitions se distinguent autant par leur brièveté que par leur précision et par leur justesse, suppose, pour sa connaissance, des notions que l’on a dû puiser dans d’autres sources. Aussi, remarque notre auteur, (pp. 99,) “un des rédacteurs avait fait pressentir que l’on ne saurait jamais ce code, si l’on n’étudiait que lui seul; et l’on arrête que les lois Romaines feront partie de l’enseignement.” Une foule d’ouvrages,—commentaires, traductions, conférences,—attestent, que depuis la révolution, l’étude du droit Romain a fait des progrès, et a reçu un encouragement qui ne s’était pas vu, depuis plusieurs siècles, avant cette époque. Les Berthelot, les Hallot, les Tissot, et une infinité d’autres, y ont sacrifié leurs veilles; et les ouvrages qu’ils ont mis au jour, lèvent maintenant les obstacles qui s’opposaient, jadis, au désir de s’initier dans la science du droit par excellence. Si dans ce pays, une aussi belle étude a été négligée jusqu’à ce jour, ce n’est pas que nous n’en sentions tout le prix. Dans une colonie où se trouvent peu de richesses, des moyens limités d’instruction, dans tous les genres, il est naturel de chercher, par toutes les voies possibles, de rapprocher la fin des moyens. De là vient que jusqu’à présent, les études en jurisprudence se sont bornées chez la plupart à acquérir une connaissance pratique des lois municipales, sans chercher à en pénétrer les sources et les principes. La réunion des états d’avocat et de procureur, dans la même personne, la multiplicité et la longueur des écritures, en tout genre, dans les bureaux de ceux qui exercent des professions liées à l’étude du droit, ont été jusqu’à nos jours des obstacles presqu’insurmontables, et qui s’opposent à un cours de droit systématique. Si l’on ajoute à ces causes, l’absence d’études préparatoires, indispensables pour puiser dans la source des lois Romaines, et la difficulté de s’y instruire sans le secours d’écoles et de professeurs, l’on sera étonné qu’il se trouve parmi nous des individus qui y ayent fait quelques progrès; mais il s’opère, dans tous les états, un changement qui en provoquera beaucoup d’autres. Les professions de la loi fourmillent de sujets. Ils ne sont plus en proportion du nombre des affaires. De là l’on verra naître une compétition, une source d’émulation, qui devra stimuler à de puissans efforts. L’expansion des lumières et de l’instruction en ce pays, nécessitera chez ceux qui tendent à la prééminence, une supériorité de talens et un fonds de connaissances, auxquelles on tentera vainement de suppléer désormais par la routine des affaires, une activité purement physique, ou par cette assommante volubilité, partage de l’ignorance et de la charlatannerie. La connaissance de la jurisprudence Romaine étant la base de toute la science du droit, l’on n’épargnera rien pour se la rendre familière; et si le secours de professeurs est reconnu, à l’exemple de nos voisins, l’on verra s’élever chez nous des écoles où l’on expliquera les principes du droit, comme nous en voyons où l’on enseigne les autres sciences. Dans une institution digne de notre reconnaissance et de notre respect, il a été question dernièrement, nous a-t-il été rapporté, de l’établissement d’un cours élémentaire de droit Romain, à la suite de l’étude de la morale. Ce projet éclairé, bien digne des savans ecclésiastiques qui dirigent l’enseignement dans cette maison, aurait, dans son exécution, les effets les plus heureux sur la société. Il préparerait d’ailleurs ceux qui se destinent à la noble carrière du barreau, ou à l’importante profession d’arbitre du sort et de la fortune des individus; et si, pour se perfectionner dans la connaissance, comme dans l’application de cette science, il était nécessaire de se procurer le secours d’un professeur Européen, devons-nous douter, que dans le barreau, parmi les notaires, et chez les étudians en droit, il ne se trouvât un nombre suffisant d’écoliers, pour assurer une existence à cet individu? Nous n’en doutons nullement, et dans cette persuasion, nous adressons à nos jeunes compatriotes, ces paroles de M. Dupin, (p. 101,): “Travaillez donc, jeunes élèves, à vous pénétrer de ces règles précieuses; faites servir l’étude des lois Romaines à l’intelligence des lois nationales, et au développement des principes constitutionnels: travaillez, montrez-vous habiles, et rendez-vous capables d’être utiles à votre pays, à vos amis, à vous-mêmes. Pergite ut facitis, Adolescentes; atque, in id studium, in quo estis incumbite, ut et vobis honori et amicis utilitati et reipublicæ emolumento esse possitis.” Cic. I. de Orat.

Le petit ouvrage dont le titre est en tête, se distingue par une force et une rapidité de style qui caractérisent la plume d’un maître. Les citations légales et classiques heureusement amenées à l’appui de chaque vérité et de chaque fait, que l’auteur a classés dans un ordre admirable, prouvent que M. Dupin s’est orné la mémoire des trésors de la belle latinité, comme il s’est formé le raisonnement par la méditation des grands principes de droit public et privé qu’il développe. Il dédie son ouvrage à l’Académie Ionienne de Coreyne, dont il est membre; et ce morceau est d’un latin qui ne figurerait pas avec désavantage dans les œuvres de l’Orateur Romain. M. Dupin a divisé son histoire en huit chapitres, dont chacun exhibe les progrès du droit civil d’une époque à une autre, depuis l’empire des Rois jusqu’au 19e. siècle. Quoique nous convenions, avec le célèbre avocat Français, que “in historiâ illustri, nihil est brevitate dulcius,” et que nous ne détestions rien tant que ces tômes lourds et antiques, où, avec un petit nombre de vérités et de notions précieuses, l’on s’est plu à entasser une foule de preuves et de faits pour démontrer ce que personne n’avait jamais contesté, nous craignons pourtant que le précis de M. Dupin ne soit trop abrégé pour nous dispenser de recourir à l’excellente, mais volumineuse histoire de Terrasson, ou à l’ouvrage moins long, mais d’un mérite bien inférieur, de l’éternel Claude Ferriere. Malgré ce défaut, (si c’en est un,) l’ouvrage de M. Dupin nous semble d’un grand mérite; et quand nous songeons que l’illustre auteur, au milieu des études et des travaux d’une profession laborieuse, et qui lui a fourni, sans relâche, de l’occupation, dans le genre le plus difficile et le plus relevé, a mis au jour plus de vingt ouvrages, principalement sur la matière aride du droit, nous n’envions plus aux siècles précédens leurs Cujas, leurs Dumoulin et leurs Pothier.

Le 1er. chapitre du Précis Historique, que nous avons copié à la suite de cette notice, donnera quelqu’idée de la manière et du style de M. Dupin.

“Rome formée, pour ainsi dire, par alluvion, et composée dans son origine d’un ramas de brigands, qui en faisaient un repaire, plutôt qu’une ville, n’eut d’abord aucune loi écrite. L’usage[1] seul gouvernait les affaires: à son défaut, on recourait au roi, dont la volonté était en quelque sorte, une loi vivante et animée, viva ac spirans lex.

“Cette volonté se manifestait par des édits. Mais soit que cette forme de gouvernement dégénérât dès lors en arbitraire, soit qu’elle déplut naturellement a ce peuple, toujours avide d’une liberté dont il ne savait jamais jouir, il demanda des lois.

“De ce moment, les rois commencèrent à consulter le peuple, et le résultat de la volonté générale faisait loi.

“Les rois même devaient s’y soumettre, comme Tacite le remarque de Servius Tullius, qui precipuus sanctor legum fuit, queis etiam usus obtemperant. Annal. lib. 3. cap. 26.

Tarquin-le-Superbe ôsa le premier changer cette constitution: il porta sur les lois ses mains sacrilèges, accoutumées à tout violer: mais s’il fut le premier tyran des Romains, il fut aussi leur dernier roi; et le peuple, redevenu libre, se donna à lui-même des lois.”


Uso il legislatore il piu ordinario delle nazioni. Beccaria, s. 42.

LE SERVICE INTERESSÉ.

Mathieu. Bon jour, voisin Simon. J’aurais aujourd’hui trois ou quatre petites lieues à faire, ne pourriez-vous pas me prêter votre jument?

Simon. Je ne demanderais pas mieux, voisin Mathieu! mais c’est qu’il me faut porter trois sacs de blé au moulin tout à l’heure: ma femme a besoin de farine ce soir.

M. Le moulin ne va pas aujourd’hui. Je viens d’entendre le meûnier dire au gros Thomas, que les eaux étaient trop basses.

S. Est-il vrai? Voilà qui me dérange. En ce cas, il faut que je coure à bride abattue chercher de la farine à la ville. Ma femme serait d’une belle humeur si j’y manquais.

M. Je puis vous sauver cette course. J’ai un sac tout frais de bonne moûture; je suis en état de vous prêter autant de farine que vous en aurez besoin.

S. Oh! votre farine ne conviendrait peut-être pas à ma femme. Elle est si fantasque!

M. Quand elle le serait cent fois plus! C’est du bled que vous m’avez vendu; le meilleur, disiez-vous, que vous eussiez touché de votre vie.

S. Eh! vraiment l’était-il aussi dans mon magazin. C’est de l’excellent bled, tout celui que je vends. Voisin, vous le savez: il n’y a personne qui aime à rendre service comme moi. Mais la jument a refusée ce matin de manger la paille: je crains qu’elle ne puisse pas aller.

M. N’en soyez pas inquiet; je ne la laisserai pas manquer d’avoine sur la route.

S. L’avoine est bien chere, voisin!

M. Il est vrai; mais qu’importe? Quand on va pour de bonnes affaires, on n’y regarde pas de si près.

S. Nous allons avoir du brouillard; les chemins seront glissants. Si vous alliez vous tordre le cou!

M. Il n’y a pas de danger; votre jument est sûre. Ne parliez-vous pas tout à l’heure de la pousser vous-même à bride abattue.

S. C’est que ma selle est en lambeaux, et que j’ai donné ma bride à raccommoder.

M. Heureusement j’ai une selle et une bride à la maison.

S. Votre selle n’ira jamais à ma jument.

M. Hé bien, j’emprunterai celle de René.

S. Bon! elle n’ira pas mieux que la vôtre.

M. Je passerai chez M. le comte. Le valet d’écurie est de mes amis. Il saura bien en trouver une qui aille, parmi vingt qu’en a son maître.

S. Certainement, voisin, vous savez que personne n’est disposé comme moi à obliger ses amis. Vous auriez de tout mon cœur ma jument; mais voilà quinze jours qu’elle n’a été pansée. Son crin n’est pas fait. Si on la voyait une fois dans cet état, je ne pourrais plus en trouver dix écus quand je voudrais la vendre.

M. Un cheval est bientôt pansé. J’ai mon valet de ferme qui l’aura fait dans un quart-d’heure.

S. Cela peut-être; mais à présent que j’y songe, elle a besoin d’être ferrée.

M. Hé bien! n’avons-nous pas le maréchal à deux portes d’ici?

S. Oui-da! un maréchal de village pour ma jument! Je ne lui confierais pas seulement mon âne. Il n’y a que le maréchal du roi au monde pour la bien chausser.

M. Justement, mon chemin me conduit par la ville devant sa porte, et je n’aurai pas à me détourner d’un seul pas.

S. (appercevant au loin son valet; il l’appelle:) François! François!

François, (en s’avançant.) Que voulez-vous, maître?

S. Tiens, voilà le voisin Mathieu qui voudrait emprunter ma jument. Tu sais qu’elle a une écorchure sur le dos, de la largeur de ma main... (Il lui fait signe de l’œil.) Va tout de suite voir si elle est guérie. (François sort en lui faisant signe qu’il l’a compris.) Je pense qu’elle doit l’être. Oh! oui. Touchez-là, voisin. J’aurai donc le plaisir de vous avoir obligé. Il faut s’entr’aider dans la vie. Si je vous avais refusé tout cruement: hé bien, vous m’auriez refusé à votre tour dans une autre occasion; c’est tout simple. Ce qu’il y a de bon avec moi, c’est que mes amis me trouvent toujours au besoin. (François rentre.) Hé bien, François! la plaie, comment va-t-elle?

F. Comment elle va, maître? Vous disiez de la largeur de votre main! c’est de la largeur de mes épaules qu’il fallait dire. La pauvre bête n’est pas en état de faire un pas. Et puis, je l’ai promise à votre compère Blaise, pour voiturer sa femme au marché.

S. Ah, mon voisin! je suis bien fâché que les choses tournent de cette manière. J’aurais donné tout au monde pour vous prêter ma jument. Mais je ne peux pas désobliger le compère Blaise. Je lui dois des journées de cheval. Vous m’en voyez au désespoir pour ce qui vous regarde, mon cher Mathieu.

M. J’en suis aussi désespéré pour vous, mon cher Simon. Vous saurez que je viens de recevoir un billet de l’intendant de Monseigneur, pour l’aller trouver sur-le-champ. Nous faisons quelques affaires à nous deux. Il m’avertit que, si j’arrive à midi, il peut me faire adjuger la coupe d’une partie de la forêt. C’est à peu près cent louis que je gagnerai dans cette affaire: et quinze à vingt qu’il y aurait eu à gagner pour vous: car je pensais à vous employer pour l’exploitation. Mais...

S. Comment! quinze à vingt louis, dites-vous?

M. Oui; peut-être davantage: cependant, comme votre jument n’est pas en état d’aller, je vais voir pour le cheval de l’autre charpentier du village.

S. Vous m’offensez: ma jument est toute à votre service. Hé, François, François, va dire au compère Blaise que sa femme n’aura pas d’aujourd’hui ma jument; que le voisin Mathieu en a besoin, et que je ne veux pas refuser mon meilleur ami.

M. Mais comment ferez-vous pour la farine?

S. Oh! ma femme peut s’en passer encore pendant quinze jours.

M. Et votre selle qui est en lambeaux?

S. C’est de la vieille que je parlais. J’en ai une toute neuve, comme la bride: je serai ravi que vous en ayez l’étrenne.

M. Je ferai donc ferrer la jument à la ville?

S. Vraiment, j’avais oublié que le voisin l’avait ferrée l’autre jour pour essayer. Il faut lui rendre justice, il s’en est tiré fort bien.

M. Mais si la pauvre bête à une plaie si large sur le dos, comme dit François?

S. Oh! je connais le drôle. Il se plaît toujours à grossir le mal. Je parie qu’il n’y en a pas de la largeur du petit doigt.

M. Il faudrait donc qu’il la pensât un peu: car depuis quinze jours...

S. La panser! je voudrais bien voir qu’il y manquât un seul jour de la semaine.

M. Qu’il aille au moins lui donner quelque chose. Ne m’avez-vous pas dit qu’elle avait refusé la paille?

S. C’est qu’elle s’était rassasiée de foin. Ne craignez pas, elle vous portera comme un oiseau. Le chemin est sec; nous n’avons point de brouillard. Je vous souhaite un bon voyage et de bonnes affaires. Venez, venez monter; ne perdons pas un moment. Je vous tiendrai l’étrier.

GRAMMAIRE.

J’ai publié dans un autre journal, il y a un certain nombre d’années, un morceau qui peut avoir encore présentement son utilité. Je crois donc pouvoir le republier ici, persuadé qu’un bien petit nombre des souscripteurs de la Bibliothèque Canadienne l’ont lu dans le journal où il a paru d’abord, ou en ont conservé la mémoire. Le voici:

M. l’Abbé d’Olivet dit, dans sa Prosodie Française: “On peut envoyer un Opéra en Canada, et il sera chanté à Québec, note pour note, sur le même ton qu’à Paris. Mais on ne saurait envoyer une phrase de conversation à Montpellier ou à Bordeaux, et faire qu’elle y soit prononcée, syllabe pour syllabe, comme à la cour.” Par où il semble dire qu’on prononce le Français dans ce pays-ci, de la même manière qu’à Paris. C’est aussi ce que j’ai ouï-dire, et même ce que j’ai lu quelque part ailleurs. Mais s’il en est ainsi de notre manière de prononcer en lisant, en chantant et en déclamant, il n’en est pas tout-à-fait de même dans la conversation. Le commun peuple, et même bien des personnes instruites se trompent par exemple sur le son de la voyelle eu, la faisant grave, quand il faudrait la faire aigue, ou aigue quand il faudrait la faire grave. Mais la faute la plus remarquable que l’on fait en parlant, c’est à l’égard du son de la dipthongue oi: généralement, on prononce les mots moi, toi, et même je bois, je crois, je vois, et quelques autres peut-être, comme s’ils étaient écrits: moé, toé, je boé, ou je boué, &c. Cette prononciation est assurément très vicieuse, et il est probable qu’elle n’a lieu que dans ce pays-ci. Il parait qu’en Suisse, dans les Pays-Bas, et dans plusieurs provinces de France, oi se prononce ou ouâ, lors même que cette dipthongue n’est pas suivie de s, de x ou d’un e muet, ni d’une syllabe féminine dans le corps d’un mot: c’est le son que lui donne Dufief dans son Dictionnaire, bien que dans sa Grammaire il lui donne le son de l’è ouvert. Cette prononciation est peut-être aussi fautive que la précédente, du moins quant à la plupart des mots. L’Abrégé du Dictionnaire de l’Académie donne à la dipthongue oi le son de l’è ouvert toutes les fois qu’elle n’est pas suivie de s, de x, d’un e muet, ou d’une syllabe féminine au milieu d’un mot, et le son de l’ê circonflêxe, dans le cas contraire. Mais comme le son de l’è ouvert ou grave est le même que celui de l’ê circonflèxe, la différence ne peut tomber que sur la quantité. Il est certain pourtant, du moins selon ce que j’ai pu remarquer, que soie ne se prononce pas tout-à-fait comme soi, ni froid comme froide. Levizac, il est vrai, dit qu’il faut prononcer villageois comme ouais; mais il dit aussi que dans certains mots, le son de oi approche de celui de a; et il marque ce son dans bois, mois, &c. qu’il faut prononcer, boua, moua, &c. comme en effet on prononce ces mots dans ce pays-ci. D’après ce que j’ai lu et entendu, voici ce que je pense sur la prononciation de la dipthongue oi: partout où cette diphtongue est suivie de s, de x, d’un e muet, ou d’une syllabe féminine, comme dans lois, voix, joie, gloire, il faut lui donner le son de l’à aigu, excepté dans bois, mois, noix, pois, poids, trois, carquois, troisième, noisette, où elle a le son de l’á grave. Soit par exemple l’épigramme suivante, que je choisis parce que je n’ai rien sous la main qui fasse mieux à mon sujet:

  On dit que le meilleur des rois,

  Sur son trône et dans sa cuisine,

  S’est plaint maintes et maintes fois,

  Que d’une couronne d’épine

  Il sentait le douleureux poids;

  En abjurant cette souffrance,

  Puisque la chose est à son choix,

  Ce bon prince, dans sa clémence,

  Epargnerait à notre France

  La peine de porter sa croix.

Selon la manière dont on prononce ici, le mot poids, qui a le son de l’â grave, ne rime pas heureusement avec les mots rois, fois, choix, croix, qui ont le son de l’è ouvert ou de l’ê circonflêxe; mais selon la vraie prononciation, poids rimera bien avec ces mots, pourvu qu’on lui donne le son de l’à aigu, au lieu de celui de l’â grave.

Mais la diphtongue oi a le son de l’è ouvert, quand elle est pure, ou suivie de d, de t, ou d’une syllabe masculine, comme dans moi, roi, froid, il doit, cloison, voiture.

Si quelqu’un trouvait que je ne rencontre pas juste, qu’il relève mes erreurs et je lui serai obligé. Mon désir est de bien prononcer ma langue, et de la voir bien prononcer par mes compatriotes. L’art de bien prononcer ne doit pas être regardé comme assez indifférent pour qu’il ne vaille pas la peine qu’on en parle: et il vaut mieux se corriger plus tard que jamais des fautes que l’on fait à cet égard. Je regarde même ces fautes comme presque impardonnables dans ceux qui ont eu occasion d’étudier au collége de Montréal, où l’on a l’avantage d’avoir des professeurs qui, s’ils ne sont pas nés à Paris, ont du moins résidé assez longtems dans cette capitale, pour prendre le ton de la belle prononciation Française.

M.

HYDROPHOBIE.

Venise, 10 juin.—Le 28 octobre dernier, un jeune pharmacien de Forno-di-Rivara fut mordu en trois endroits, à la main gauche, par un chat qui mourut deux jours après avec tous les caractères de la rage. Le chimiste se contenta d’abord de laver les trois petites plaies et d’en exprimer le sang; ce n’est que vingt-quatre heures après qu’il en cautérisa deux seulement et d’une manière superficielle. A quelques jours de là, ayant parlé de son accident à un médecin, celui-ci l’adressa au docteur Rossi, professeur à Turin. M. Rossi examina les plaies, y trouva les indices les moins équivoques du virus hydrophobique, et se hâta de renvoyer le jeune homme à son médecin ordinaire, en préscrivant à celui-ci, dans le plus grand détail, par une lettre particulière, le traitement qu’il avait à suivre.

Le 19 novembre, c’est-à-dire vingt jours après l’accident, on pratiqua une nouvelle cautérisation, et l’on prescrivit au malade l’usage du vinaigre tous les matins, et d’une décoction de genièvre, (genista lateotinctoria,) dont il devait boire deux verres dans la journée. Mais ce que le médecin, d’après l’avis du professeur, examinait souvent et avec le plus grand soin, c’était les petites glandes placées au-dessous de la langue; elles lui parurent chaque jour dans un état parfaitement sain. Le traitement marchait, et le jeune homme conservant et son appétit et sa gaité naturelle, continuait à se livrer, comme à son ordinaire, à ses occupations, sans éprouver le moindre malaise.

Vers les premiers jours de décembre se manifesta chez lui un changement sensible et de mauvais augure; sa gaîté disparut; il devint taciturne, cherchant les lieux solitaires, pleurant avec abondance; son sommeil était court, agité, et souvent interrompu par des songes pénibles. Il n’éprouvait que dégoût pour toutes sortes de mets et de boissons; son teint devint livide et ses yeux ardens. Son médecin s’aperçut alors que des deux glandes, celle de droite était dans son état naturel, tandis que la glande gauche, du même coté que la main mordue, présentait de l’enflure et de l’inflammation. Sans perdre une minute, il ordonna une cautérisation profonde sur les deux glandes, au moyen d’un fer rouge. L’opération fut douleureuse; on fut obligé de coucher le malade, qui éprouva pendant huit heures consécutives un fort accès de fièvre, dont la violence se dissipa graduellement, de manière à disparaître tout-à-fait le lendemain.

Dès ce jour, le malade commença à se rétablir, l’appétit lui revint, et il reprit avec plaisir l’usage du vin et de l’eau. Les signes d’hydrophobie, observés d’abord par le médecin dans la nature des plaies, s’oblitérèrent peu à peu; et depuis cette époque, le jeune homme, rendu à la santé et à ses occupations, n’a pas éprouvé le plus léger ressentiment de ses morsures. Il parait bien évident qu’il a dû son salut à la cautérisation des glandes, et qu’elle a suffi à sa guérison parfaite, sans qu’on ait eu besoin de recourir à la cautérisation cervicale, que le professeur Rossi avait prescrite comme un moyen à n’employer qu’à la dernière extrémité.—Journal de Francfort.

FIEVRE JAUNE.

A la suite de la lecture d’un mémoire à l’Académie des Sciences, sur la non-contagion de la fièvre jaune, par le Docteur Costa Sicre, l’auteur, conjointement avec les docteurs Lassis et Lasserre, a fait au gouvernement la proposition de faire venir, de l’un des pays actuellement infectés de la peste ou de la fièvre jaune, des effets ayant appartenu à des individus morts de ces maladies, et de s’en couvrir pendant quarante jours, dans le port qui leur sera désigné, sous la surveillance spéciale d’une commission de médecins les plus pénétrés du systême de la contagion. On prétend que M. le baron de Puymaurin, directeur de la monnaie, désire faire partie de cette commission, si l’Académie Royale de Médecine, à qui la proposition a été renvoyée, prend la demande en considération. Déjà l’Académie des Sciences en a nommé une pour examiner cette importante question: elle est composée de MM. Portal, Chaussier, Dupuytren, Dumenil et Magendie.

VARIÉTÉS.

Depuis quelque tems la gravure s’est enrichie, en Allemagne, d’un procédé qui pourrait bien la venger du discrédit où l’a jetée le crayon lithographique. Au lieu de cuivre ou de pierre, des graveurs et des dessinateurs ont fait usage du zinc pour leurs planches, et ce procédé réunit, dit-on, l’économie de la lithographie et la pureté du burin.

Pendant que le célèbre tragédien Kean était à Glasgow, où il donnait des représentations qui attiraient constamment la foule, des loustics du pays se sont avisés d’un singulier expédient pour se procurer des places au premier rang des loges et des galeries: ils s’armaient de sarbacanes, et jetaient aux dames des pois chiches, et même de petits cailloux. Obligées de céder, les dames sortaient de la salle, et les galans qui les faisaient déguerpir venaient ensuite occuper leurs places. L’espièglerie est assez plaisante, mais il faut avouer qu’elle ne donne pas une haute opinion de la galanterie des habitans de Glasgow.

Voici quelques unes des coiffures qui paraissent être du meilleur goût: une couronne de petites plumes lisses rouges sur des cheveux excessivement crêpés, avec trois plumets jaunes et rouges. Un ruban d’or et d’acier, formant trois rosettes entre les boucles d’un nœud d’Apollon. De longues épingles à boules d’or, un cordon de grosses perles d’or tortillé avec les cheveux, et deux plumets blancs, l’un posé sur l’oreille droite, l’autre sur l’oreille gauche.

On voit aussi des turbans, soit en drap d’or surmonté d’un oiseau de paradis, soit en gaze d’acier mat, à raies d’or, orné d’une aigrette de marabouts; quelques uns en cachemire rouge, à fond fleuri, et qui se passent de manière à laisser voir tous les cheveux.

Les toques sont surchargées de plumes. On voit toujours beaucoup de robes noires, et quelques unes en moire grise. On remarque aussi des robes-blouse en barrège bleu, avec cinq rouleaux de satin sur le devant du corsage posés verticalement, cinq autres par derrière, et cinq sur chaque manche.

On a vu des manteaux de satin blanc entièrement doublés de cygne, avec une grande pélerine.

Journal français.

A MADEMOISELLE * * *.

  En faveur de ma jeunesse

  Et de ma folle gaité,

  Vous n’avez que trop vanté

  Des chansons que la paresse

  Me dicta pour la beauté.

  En flattant ma vanité,

  Vous affligez ma tendresse.

  Je vous aime, et j’ai vingt ans!

  Le laurier peut-il me plaire?

  Enchaînez-moi de rubans,

  Parez ma muse légère,

  Et du myrte de Cythère

  Et des festons du printems.

  La gloire est belle à mon âge,

  Mais l’amour est enchanteur:

  Louez un peu moins l’ouvrage.

  Aimez un peu plus l’auteur.

LA NATURE ET L’ART.

  Avec un peu de soins et d’aide,

  J’aime la taille de Zulni:

  La Nature en a fait un Z;

  L’Art avec grace en fait un I.

A UNE MUSE,

Dont les vers sont bien d’elle.

  Chloé donna des vers qui n’étaient pas les siens,

  Bélinde, tu fais pis, car tu donnes les tiens.

EDUCATION.

L’examen public de l’Ecole de Varennes, tenue par Mr. P. Vauquelin, a eu lieu, le 24 du mois passé, en présence de Messire Deguise, V. G. curé de la paroisse, et premier patron de cette école, des principaux habitans de l’endroit, et des parens des écoliers. Les enfans ont été examinés sur la lecture, l’écriture, l’arithmétique et la grammaire française; et ont donné à l’auditoire des preuves satisfaisantes de leurs progrès dans toutes ces branches. Ils ont récité, entre les différents exercices, un morceau intitulé Les avantages de l’Etude, et quelques Fables de Lafontaine. L’examen s’est terminé par la distribution des prix donnés par Messire Deguise. On nous dit que le nombre des écoliers promet d’être plus considérable encore, l’année prochaine, qu’il ne l’a été cette année.

Nous regrettons de voir que les maîtres ne soient pas en apparence dans tous les grands villages, aussi bien récompensés de leurs soins et de leur application que le sera probablement celui de Varennes. On nous dit que Mr. Sauvé et Mr. Miville Dechesne ont abandonné, dernièrement, faute d’un encouragement suffisant, les écoles qu’ils tenaient, le premier à Soulanges, et le second à Longueil. Nous souhaitons pour le bien du pays, que ces messieurs, ainsi que ceux qui seraient dans le même cas, aient promptement des successeurs plus heureux.

NOTICE BIOGRAPHIQUE.

Nous avons promis dans notre premier numéro, de tâcher de nous procurer quelques détails sur la longue carrière de Mr. Charles Lusignan, décédé en cette ville le 18 Mai dernier, à l’âge de plus de 106 ans: voici en substance ce qui nous a été communiqué sur le sujet.

Charles Lusignan (Carolo Lucciniani) naquit, (suivant l’âge qu’il a dit avoir, quelque tems avant sa mort,) au mois d’Octobre 1718, de parens honnêtes, à Monté di Tilio, paroisse de Berga, gros bourg de la Toscane, dans le district de Florence, et à quelques milles de cette capitale, sous le règne de Cosme III, Grand-Duc de Toscane, de l’illustre maison de Medicis.

Le désir de voir du pays, et peut-être aussi les troubles survenus en Toscane, à l’occasion de la guerre de la succession de la maison d’Autriche, lui firent quitter la maison paternelle et sa patrie en 1741. Il alla à Rome, où il avait un oncle, avec qui il demeura environ un an. Il prit ensuite la route de France par le Piémont, et arriva à Paris, en 1743, Louis XV étant sur le trône et le Duc de Richelieu premier ministre. Il se trouva présent au sacre du Roi.

Après plusieurs années d’apprentissage chez un artiste, il parcourut une grande partie des provinces de France, et séjourna quelque tems dans la plupart des grandes villes de ce royaume. Il se trouvait à Tournay, lors de la fameuse bataille de Fontenoy, livrée le 11 Mai 1745. Dans le cours d’Août suivant, il apprit à Paris la maladie du Roi à Metz, et fut témoin de la désolation des Français, et de leur joie à la nouvelle de sa convalescence.

Il connut de réputation tous les hommes célèbres de son tems, soit de France, soit d’ailleurs, et eut une parfaite connaissance de tout ce qui se passa de remarquable dans la guerre de la succession. Il aimait à parler des évènemens de cette époque, et particulièrement de la tentative du prince Charles Edouard Stuart, et de sa défaite en Avril 1746, et de la révolution de Gènes, arrivée dans le mois d’Octobre de la même année.

A la paix d’Aix-la-Chapelle, en 1748, Mr. L. voulut revoir son pays natal; mais ayant appris en route, la mort récente de sa mère, il alla pour la seconde fois à Rome, chez son oncle. Il était dans cette capitale du monde chrétien, l’année du grand Jubilé, sous le Pape Benoit XIV, en 1750. Il repassa en France l’année suivante: il était à Pothier, lorsqu’on apprit le grand tremblement de terre qui détruisit Lisbonne, et l’auto-da-fé qui en fut, dit-on, la suite, en 1756.

La même année, avant de s’embarquer pour le Canada, il fut témoin des querelles entre le Clergé, le Roi et le Parlement, au sujet de la bulle Unigenitus, et des billets de confession.

A son arrivée à Québec, le plus grand désordre et une famine affreuse regnaient dans la colonie: la plupart des habitans étaient réduits à se nourrir de chair de cheval. Il eut d’abord l’idée de s’en retourner en France dans le même vaisseau, lorsqu’il aurait déchargé sa cargaison; mais quelques Français de marque dans la colonie, l’engagèrent à y demeurer, et le protégèrent beaucoup. On peut ajouter qu’il avait eu une traversée longue et malheureuse: la moitié des gens de l’équipage avait péri, faute d’eau et de vivres: dans le golfe, on avait rencontré des croiseurs anglais; ce qui avait obligé de rebrousser chemin, et de passer ensuite par le détroit de Belleisle.

Mr. L. se trouva à Carillon, la veille de la bataille qui eut lieu en cet endroit le 8 Juillet 1758, ayant été envoyé à l’armée française avec plusieurs bateaux chargés de provisions.

Quelque tems après la prise du pays par les Anglais, il repassa en France, et négocia à Paris, des billets d’ordonnance pour divers Canadiens, au montant de plusieurs millions, à 75 pour cent de perte, avec des marchands anglais, qui se faisaient payer en entier par le gouvernement, (comme il l’apprit ensuite,) d’après le traité de paix. Il vit pendre en effigie, l’intendant Bigot, et plusieurs autres, pour leurs rapines dans la colonie.

Mr. L. se montra toujours zélé pour le bien public: il fut un de ceux qui s’intéressèrent le plus vivement en faveur de l’infortuné Mr. Du Calvet; il fut aussi un des premiers à demander l’heureuse constitution dont nous jouissons.

Mr. L. se maria deux fois, la seconde dans un âge très avancé. Il eut de sa dernière femme (Mademoiselle Laforce) plusieurs enfans, dont l’éducation et le bien-être futur furent, dans les dernières années de sa vie, l’objet de sa tendre sollicitude. Dès avant son second mariage, il s’était acquis dans le commerce, par une honnête industrie, l’économie et la prudence, une fortune considérable pour le tems. Quoiqu’il n’eût pas reçu dans sa jeunesse une éducation classique, ses voyages, les affaires, et la lecture de quelques livres instructifs, lui avaient acquis des connaissances qu’on aurait presque pu appeller de l’érudition. Il admirait les grands hommes et aimait à s’en entretenir: il estimait les personnes de mérite, et recherchait, de préférence leur société. Une humeur gaie et une conversation intéressante le firent de tout tems rechercher d’une grande partie de ce qu’il y avait de personnes marquantes et instruites à Montréal. Il conserva sa gaîté naturelle presque jusqu’à son dernier moment: moins d’un an avant son décès, il pouvait encore égayer une compagnie à table par des bons-mots ou même par des couplets de chansons; et quoiqu’il ait dû se trouver dans des circonstances difficiles, et peut-être dans des situations périlleuses, et qu’il ait quelquefois essuyé des pertes considérables, on peut dire qu’il a été heureux dans le cours de sa longue carrière.

RÉGITRE PROVINCIAL.

Mariés. Le 5 de Septembre dernier, Mr. J. B. Casavans, Marchand, à Demoiselle Marie Victoire Boucher.

Le 8, Mr. C. S. Rodier, Négociant, à Demoiselle Marie Louise Lacroix, fille de feu Paul Lacroix, Ecr.

Le 18 du courant, Mr. Frs. Perrin, Marchand, à Demoiselle M. M. Henriette Roy.

A Québec, le 20, F. X. Vaillancourt, Ecr. N. P. à Dame Rose Judith Deluga, veuve de feu Mr. Albert Cling.


Décédés. A Livourne, en Italie, le 2 de Juillet dernier, Thomas Gugy, Ecuyer, Avocat de cette province, âgé de 29 ans.

A Québec, le 1er Septembre dernier, le Major C. D. Shekleton, âgé de 66 ans.

En cette ville, le 8, Dame M. Marguerite Dufaut, épouse de Mr. P. F. Charpentier, Marchand.

A Ste. Anne la Pérade, le 12, le Dr. J. Fortier, âgé de 30 ans.

Le 12, le Major James Hughes, âgé de 87 ans.

Au Grand St. Esprit, le 21, Hugh Munro, Ecuyer, âgé de 60 ans.

A Varennes, le 30, Mr. Theophile Richard, âgé de 47 ans.


Bureau du Secrétaire Provincial, 31 Août. Il a plu à Son Excellence le Lieut. Gouverneur, nommer John Bleakley et J. Guthrie Scott, Ecuyers, Avocats et Procureurs.

15 Septembre. Il a plu à Son Excellence le Lieut. Gouverneur, nommer Mr. Benj. Therrien, Notaire Public.

16 Septembre. Il a plu à Son Excellence le Gouverneur en Chef nommer Mr. Firmin Perrin, Notaire Public.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected or standardised. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

Space between paragraphs varied greatly. The thought-breaks which have been inserted attempt to agree with the larger paragraph spacing, but it is quite possible that this was simply the methodology used by the typesetter, and that there should be no thought-breaks.

[The end of La bibliothèque canadienne, Tome 1, Numero 5, Octobre, 1825. edited by Michel Bibaud]