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Title: L'Abeille Canadienne Issue 08 of 12

Date of first publication: 1818

Author: Henri-Antoine Mézière (editor)

Date first posted: Mar. 18, 2020

Date last updated: Mar. 18, 2020

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ELÉGIE.

Sur les pas glorieux du chantre de René

Aux bords de l’Ilissus je me sens entraîné;

        Plein de sa poétique ivresse,

        De cette belle et docte Grèce,

Mes pieds pressent le sol, jadis si fortuné,

Cette terre, aujourd’hui froide, silencieuse,

        D’une terreur religieuse

        A saisi mon cœur consterné.

Où sont-ils ces héros dont la valeur brillante

Fit régner en ces lieux la sainte liberté?

Accourez aux accens de ma voix gémissante;

Venez voir de vos dons le Grec déshérité,

Aux fers du Musulman livrant sa main tremblante,

Et la mère des arts esclave obéissante

Des caprices cruels de la stupidité.

        Sous un joug affreux accablée,

        La grèce apparoît à mes yeux,

        Comme une veuve désolée;

        Pleurant ses héros et ses dieux;

        Dans cette vaste solitude,

        Dégradés par la servitude,

        Les descendans de Périclès

        Ignorent leur propre patrie,

        Et de leur gloire évanouie

        N’ont ni souvenirs, ni regrets.

La Grèce tout entière, hélas! ensevelie,

        Ne vit plus que dans ses débris.

Aux yeux du voyageur, péniblement surpris,

        Tout offre de la tyrannie

        Les outrages dévastateurs:

        Par-tout d’avides oppresseurs

        Exercent avec barbarie

        Le droit terrible des vainqueurs.

Dans ses plaines jadis riantes et fertiles,

Où d’un sommeil de paix dorment des thermopyles

        Les intrépides défenseurs,

Mort aux grands souvenirs et de Sparte et d’Athènes,

        Tout un peuple traîne des chaînes

        Sur la tombe de ses héros.

Réveillez-vous, sortez de vos tombeaux!

Venez, morts immortels, dont la longue mémoire

        Doit vivre autant que l’univers:

        Armés de vingt siècles de gloire,

Paroissez; et bientôt, délivré de ses fers,

Le grec régénéré, connoissant la victoire,

Au Tartare insolent fait repasser les mers.....

Mais, hélas! tout est sourd à ma douleur amère.

        Sur ce rivage solitaire,

        Que frappe le courroux du sort,

        Mon ame, d’horreur oppressée,

        N’entend plus que la voix glacée

        Et du silence et de la mort.

        D’une consolante chimère

        Mon triste cœur fut trop épris;

        Pluton ne rend point à la terre

        Les demi-dieux qu’il a surpris:

        Et tandis que ma voix résonne

        Autour de leurs sacrés tombeaux,

        Répétant les noms des héros

        D’Athènes et de Lacédémone,

        Un Turc, d’un sacrilège bras,

        Brise la dernière colonne

        Du temple auguste de Pallas.

M. Ardans.

Le Pélerinage de Lemierre,

ou

LE PREMIER DU MOIS.

————————

Lemierre, sans nul appui que ses propres forces, sans protecteurs que son travail, parvint à l’existence la plus honorable et au fauteuil académique.

Doué d’un caractère aimable, et d’une simplicité de mœurs qui lui firent un grand nombre d’amis, on ne le vit jamais envier le succès d’un rival, ni attaquer une réputation justement établie. Pénétré de toute la dignité de l’homme de lettres et livré sans cesse au délire poétique, il se livroit exclusivement à ses occupations chéries, et couroit avec honneur la carrière qu’il avoit entreprise.

Cependant il étoit l’unique soutien de la mère la plus tendre et la plus vénérable, réduite par des malheurs à un état de gêne qu’il sut alléger avec un zèle infatigable, avec une piété filiale dont il mérita d’être cité comme le plus parfait modèle. Jeune encore, et relégué dans une humble demeure, Lemierre se réduisoit à Paris au plus strict nécessaire, pour subvenir aux besoins de celle qui l’avoit fait naître. J’ai plus d’une fois entendu ce littérateur distingué raconter avec plaisir les premiers momens de sa carrière, qu’il regardoit comme le plus heureux temps de sa vie, et nous assurer qu’à cette époque sa dépense générale ne montoit pas à plus de vingt-cinq sous par jour. Il se faisoit alors environ douze cents francs de ses ouvrages. Plusieurs prix remportés à différentes Académies de province, et dont il vendoit les manuscrits, lui procurèrent à peu près cette somme pendant plusieurs années. Il eût pu, comme tant d’autres de ses confrères, se montrer dans le monde avec quelque avantage, et sacrifier quelque chose à ses besoins, si ce n’étoit à ses plaisirs; mais il songeoit sans cesse qu’à Villiers-le-Bel, près d’Ecouen, demeuroit sa mère âgée de cinquante ans, trop fière pour lui jamais rien demander, mais en même temps trop tendre pour refuser ses pieux et honorables secours. Il avoit donc pris l’habitude d’aller, chaque premier jour du mois, offrir lui-même à cette mère chérie tout le surplus de sa dépense particulière, c’est-à-dire, à peu près soixante francs, avec lesquels cette respectable dame trouvoit, dans le joli village qu’elle habitoit, une existence suffisante, et qui la dispensoit de recourir au travail de ses mains. Cependant, ne voulant point abuser de la générosité de son fils, dont elle ignoroit une grande partie des sacrifices, elle se restreignoit de son côté dans son humble habitation, seule et sans domestique, vaquant elle-même aux soins de son petit ménage. Sa dépense étoit si bornée! son économie si sévère! Avec quel plaisir elle se retranchoit sur la moindre chose, pour fêter chaque mois la présence de ce bon fils, qui ne manquoit jamais, quelle que fût la rigueur ou la chaleur de la saison, d’arriver à Villiers-le-Bel sur les dix heures du matin, après avoir marché pendant quatre heures, et se refusant même la légère dépense des petites voitures de Saint-Denis, pour ne diminuer en rien son offrande! Oh! que cette entrevue étoit délicieuse et mutuellement sentie! comme Lemierre oublioit promptement les fatigues du voyage, en voyant les yeux attendris de sa mère s’attacher sur les siens, en sentant ses bras caressans le presser contre ce sein qui avoit allaité son enfance! qu’il se trouvoit riche alors du peu qu’il possédoit, et que le premier produit de ses ouvrages lui paroissoit un précieux trésor!

Il passoit ordinairement tout le reste de la journée auprès de sa mère: tantôt il soignoit les fleurs du jardin, tantôt il préparoit le bois nécessaire pour la cuisine ou le chauffage, et prenoit plaisir à remplir d’eau la grande fontaine de grès. Le soir s’établissoit la causerie la plus intéressante, et souvent la plus gaie: elle s’animoit pendant un souper très-frugal, mais que Lemierre ne se permettoit pas toujours à Paris; enfin, après la nuit la plus heureuse et le sommeil le plus doux, notre voyageur comblé de tendresses, chargé de bénédictions, se remettoit en route, et revenoit à pied dans la capitale, où il préparoit de nouveau son pélerinage pour le mois suivant.

Plusieurs années se passèrent ainsi; mais comme l’ambition va toujours recherchant le cœur de l’homme le plus simple et le plus indépendant, elle fit naître à notre poëte un seul désir bien légitime, sans doute; ce fut de pouvoir offrir assez à sa mère, pour qu’elle eût auprès d’elle une bonne gouvernante, qui lui évitât le gros du ménage, et la soignât en cas de maladie ou d’infirmité; mais pour cela, il falloit en quelque sorte doubler la somme; ce qu’il ne pouvoit faire à moins de nouveaux succès. Le sort fut favorable à ses vœux: son poëme sur l’Empire de la Mode, et celui sur le Commerce, lui méritèrent les prix de poésie de l’Académie Françoise, et le classèrent parmi les jeunes littérateurs qui donnoient l’espoir d’une véritable célébrité. Avec quel transport il alla faire hommage à sa mère de sa nouvelle couronne! Il partit, cette fois, dès les premiers rayons du jour, et parcourut les cinq lieues de Paris à Villiers-le-Bel en moins de trois heures. C’étoit au mois d’août, et la chaleur étoit excessive: comme il étoit entre Pierrefitte et Sarcelles, marchant à l’ardeur du soleil, inondé de sueur et couvert de poussière, il est rencontré par Barthe et Rivarol, deux de ses confrères, qui revenoient du château d’Ecouen dans une voiture brillante. Ils la font arrêter pour féliciter le lauréat de l’Académie sur son double triomphe, et lui demandent comment il peut voyager ainsi à pied, seul, par la chaleur. “C’est mon usage, répond Lemierre; j’ai fait vœu d’un pélerinage tous les mois, auprès d’une femme qui m’est bien chère, et je viens de Paris sans m’arrêter.—J’entends, dit Barthe, ami du plaisir et grand coureur d’aventures; c’est une jolie personne qui va recevoir l’hommage de vos lauriers.—Mais, mon cher, ajoute Rivarol, avec ce ton caustique et cette piquante saillie qui le caractérisoient, des lauriers académiques sont quelquefois bien pesans, et vous allez arriver chez votre belle un peu trop fatigué peut-être.—Sans doute, reprend Barthe, vous deviez au moins prendre une petite voiture jusqu’à Saint-Denis.—Oh, non, réplique naïvement le poëte couronné; ce seroit quinze sous de moins pour elle.” A ces mots il les quitte, et continue son chemin. “Quinze sous de moins pour elle! répète Rivarol; cela ne donne pas une haute idée de la dame de ses pensées.—Vous verrez, ajoute Barthe, que ce sera quelque minois de village, quelque jolie petite laitière de ces environs, qui aura blessé l’invulnérable...... Il a du talent, sans doute; mais les goûts trop simples, et fuyant sans cesse le plaisir.—Et puis une austérité de mœurs, une duperie de principes!... Quand un écrivain se couvre de pavots, c’est en vain qu’on lui prodigue des lauriers; il ennuie, ne parvient à rien, et voyage à pied.”

Pendant que ces deux aimables fous, suppôts renommés de l’épigramme et de la satire, continuent leur voyage, en passant en revue les cercles qu’ils ont charmés, les réputations, qu’ils ont faites ou détruites, les femmes sensibles qu’ils ont désespérées, le simple et modeste Lemierre arrive à Villiers-le-Bel, et double l’éclat de ses lauriers en les offrant à sa mère. “Ils me sont d’autant plus chers, lui dit-il, qu’ils me donnent enfin le pouvoir d’exécuter le projet que j’ai formé depuis long-temps, de vous offrir, chaque mois, le double de la somme que vous receviez. Mais c’est à condition que vous prendrez une gouvernante, qui vous rendra tous les services dus à votre âge et à vos anciennes habitudes.” Madame Lemierre voulut s’opposer à cette offre, que réprouvoit la prudence. “La carrière littéraire, disoit-elle à son fils, est si chanceuse! Un succès vous donne aujourd’hui de l’aisance, et bientôt un revers peut vous en priver.—Je n’en disconviens pas, répond le poëte; mais en attendant que ce revers m’arrive, laissez-moi jouir avec délices de mes premiers avantages, en vous entourant de tous mes soins, en vous ramenant à cette honnête aisance dans laquelle vous avez vécu si long-temps, et dont vous n’avez été privée que par des malheurs imprévus et par les sacrifices sans nombre que vous avez faits pour mon éducation. Puisque le champ dans lequel vous avez semé devient fertile, il est bien juste que vous jouissiez de ses prémices.” En achevant de parler ainsi, il met un genou en terre, et dépose sur ceux de sa mère attendrie cinq louis, en la laissant libre d’en faire l’usage qu’il lui plairoit; mais en lui déclarant que tous les mois elle recevroit pareille somme.

Le sort parut seconder tant de dévouement et d’amour: le poëme des Fastes et celui de la Peinture, qui achevèrent de fonder la réputation de leur auteur, lui méritèrent de nouvelles couronnes académiques. Bientôt les tragédies d’Hypermnestre et de la Veuve du Malabar, obtinrent un si grand succès d’affluence, que Lemierre se trouva non-seulement en état de fournir à sa mère les cent vingt livres par mois, mais que bientôt il acheta la petite maison qu’elle habitoit. Il l’agrandit, l’embellit peu à peu, donna au jardin plus d’étendue; et la bonne dame eut par ce moyen l’assurance de conserver toute sa vie cette charmante retraite, où jamais, tant qu’elle vécut, son fils ne manqua d’aller faire son pélerinage accoutumé. Lui-même se procura dans Paris une demeure plus commode et plus propre à recevoir les personnes de distinction qui le recherchoient, tant pour ses talens, que pour ses qualités morales. Il sentit alors qu’il ne pouvoit plus se dispenser de se montrer dans le grand monde; mais, craignant de dissiper ce qu’il avoit amassé par son travail et sa persévérance, chaque fois qu’il alloit porter son offrande à sa mère, il lui déposoit tout ce que ses succès soutenus lui produisoient, la chargeant d’employer ces fonds à l’acquisition d’une ferme qui, dans le cas où il viendroit à mourir avant elle, lui assurât un revenu suffisant pour conserver l’aisance qu’il avoit pris tant de plaisir à lui procurer.

Un jour qu’il se rendoit, selon son usage, à Villiers-le-Bel, par une pluie d’automne assez considérable, il est rencontré de nouveau sur la route de Saint-Denis, par l’élégant et joyeux Barthe, qui se rendoit seul, dans un riche vis-à-vis, au château d’Ecouen, où se réunissoit alors la plus brillante société de Paris. “Comment, c’est vous, mon cher Lemierre! Eh quoi, toujours à pied, et par un temps semblable!—Je me suis fait à toutes les intempéries de l’air, aux caprices de toutes les saisons.—Comme vous voilà mouillé, crotté! C’est bon pour un auteur tombé, mais non pour vous que Melpomène vient de couronner des plus brillans lauriers.—La pluie ne leur fait point de mal.—Et où donc allez-vous comme cela?—A ma petite maison de Villiers-le-Bel.—Et moi à deux pas de là, au château d’Ecouen: parbleu, vous monterez dans ma voiture, c’est-à-dire dans celle que la duchesse D*** a bien voulu me prêter.—Je vous rends grâce; je fais toujours mon pélerinage à pied.—J’entends; pélerinage d’amour: il faut que le vôtre soit d’une constitution bien robuste, pour supporter un si pénible voyage.—J’en fais l’aveu; mon attachement est tel, qu’il ne finira qu’avec ma vie.—Vous voilà donc pris, à la fin, grand moraliste, qui, sans cesse, boudiez le plaisir! D’honneur, j’en suis ravi.... Mais encore une fois, montez donc, je vous conduis à Villiers; vous saluez à la hâte votre belle qui s’empresse de faire sécher vos habits; vous faites un peu de toilette, et je vous emmène au château d’Ecouen, où l’on reçoit avec distinction l’auteur couronné, où chacun lui prodigue les hommages les plus flatteurs.—Je vous remercie; les grands cercles m’étourdissent, je n’y verrois plus au milieu de vous tous.—Adieu donc, et courez où l’amour vous appelle.—Et vous, où le plaisir vous attend.”

Lemierre s’amusoit plus que jamais de la méprise de Barthe; et bravant avec courage la pluie qui redoubloit encore, il arrive chez sa mère, transpercé jusqu’aux os, et en reçoit les soins les plus tendres. Elle avoit, conformément aux intentions de son fils, pris pour sa gouvernante une pauvre veuve, dont le babil et la franche gaîté faisoient supporter la laideur repoussante et l’allure grotesque. Elle se joignit à sa maîtresse pour combler Lemierre d’égards et de douces prévenances. Elle lui devoit la paix et le bonheur de ses vieux jours: aussi n’étoit-il pas un seul habitant du village à qui elle ne contât chaque jour tout ce que ce digne fils faisoit pour sa mère, et par contre-coup, pour elle-même.

Lemierre, en arrivant, remit à sa mère environ cent louis, montant des huit dernières représentations de la Veuve du Malabar. C’étoit un des produits les plus forts qu’il eût encore recueillis au théâtre; et cette somme complétoit celle que désiroit madame Lemierre pour acquitter le prix d’une ferme des environs, qu’elle avoit achetée au nom de son fils. Ce fut donc avec une joie inexprimable qu’elle en grossit le petit trésor dont elle étoit dépositaire, promettant bien d’aller, dès le lendemain matin, porter la somme complète chez le notaire du canton, qui demeuroit à une demi-lieue de Villiers. Le beau temps succédant à la pluie, et le soleil ayant déjà séché la surface de la terre, Lemierre employa le reste de la journée à cueillir les fruits d’automne, à les ranger dans le fruitier, à préparer des plantations pour renouveler les espaliers, et à donner surtout les soins les plus empressés à une petite serre-chaude qu’il avoit fait établir au fond du jardin, et qui produisoit à sa mère des légumes pendant l’hiver, et des fleurs dans toutes les saisons.

Enfin, la nuit, à cette époque, venant chaque jour couvrir plus promptement l’horizon de ses voiles, notre poëte, moins fatigué du voyage qu’il avoit fait le matin, que des travaux auxquels il se livroit avec ardeur dans son jardin, rentre près de sa mère; et tous les deux reprennent le tête-à-tête du soir, qui les conduit jusqu’au souper. Dix heures venoient de sonner à l’horloge du village, et madame Lemierre, malgré tout le plaisir qu’elle éprouvoit à prolonger cette délicieuse soirée, alloit se retirer dans sa chambre à coucher, lorsque tout à coup on entend une voiture qui s’arrête à la porte, où l’on frappe. C’étoit Barthe lui-même, qui malgré l’obscurité de la nuit, s’étoit fait conduire du château d’Ecouen à Villiers-le-Bel, où il n’avoit pas eu de peine à découvrir la petite maison de Lemierre. A l’aspect de la vieille gouvernante qui vient ouvrir, il croit voir un de ces argus redoutables que la défiance et la jalousie placent ordinairement en sentinelles auprès de la jeunesse et de la beauté. “Est-ce que l’austère moraliste seroit jaloux de sa belle?” se dit-il, en entrant; “ma présence et ma réputation vont achever de l’effrayer......” Il pénètre jusqu’à la porte d’un petit salon, toujours conduit par la gouvernante, et brûlant de voir la beauté pour qui le poëte avoit fait vœu de pélerinage; il entre, et le trouve auprès d’une dame de soixante ans, dont la coiffure à papillon et le costume antique sont loin de répondre à l’attente du curieux. Lemierre s’aperçoit de la surprise de celui-ci; et lui désignant sa mère comme la dame qui, chaque mois, l’attiroit seule à ce village, il le fait rire de son erreur et rougir de ses soupçons. Barthe, impatient de remplir le but de sa visite, annonce qu’il s’est imprudemment lancé dans un trente et quarante au château d’Ecouen, qu’il y avoit perdu non-seulement l’or qu’il portoit sur lui, mais cinquante louis sur sa parole, et qu’il venoit tout franchement prier Lemierre de les lui prêter. “Mon créancier, dit-il, est un secrétaire d’ambassade qui part demain pour Berlin; il m’est impossible de différer un instant. J’ai voulu d’abord m’adresser à plusieurs gens de qualité que je connois; mais ils n’ont jamais d’argent sur eux: les financiers ne prêtent qu’avec usure. Je ne vois donc que vous, mon cher Lemierre, qui puissiez me sauver de cette crise d’honneur. J’ai pensé que, nouvellement doté par Melpomène, vous pourriez facilement m’avancer cette somme, que je vous remettrai sous deux mois.—De tout mon cœur! s’écrie celui-ci: combien je vous remercie de m’avoir préféré à tout autre!” A ces mots, il prie sa mère de lui remettre cinquante louis sur son petit trésor; ce qu’elle fit, non sans quelque regret, puisque ce prêt l’empêchoit d’acquitter le lendemain le prix de la ferme, ainsi qu’elle se l’étoit proposé. Barthe, muni de la somme, réitère à son confrère ses remercîmens du service important qu’il veut bien lui rendre, renouvelle à Madame Lemierre ses excuses de son étrange méprise, et remonte en voiture.

“J’avoue, dit Lemierre, que je suis heureux et fier d’obliger à ce point un homme de lettres, et surtout un de ces beaux esprits que leurs succès dans le grand monde aveuglent sur le mérite obscur, qui peut les servir avec franchise, et conquérir leur estime. Celui-ci m’a quelquefois décoché ses traits malins, et m’a badiné sur la simplicité de mes mœurs; je ne suis pas fâché de lui prouver que c’est là que se trouve toujours la véritable amitié.—Mais, mon fils, êtes-vous bien certain que cette somme pour nous assez considérable.......—Me sera rendue: Oh, très fidèlement, je vous assure; Barthe est léger, brillant, caustique, mais homme d’honneur. Quant à l’acquit de la ferme, il ne sera différé que d’un mois; le succès inespéré de ma Veuve me produira, d’ici à notre première entrevue, au-delà des cinquante louis que je puis dire bien placés, puisqu’il m’ont fait un ami.”

Bercé de cette aimable idée, Lemierre se livra toute la nuit au sommeil le plus paisible; et le lendemain matin, à son heure accoutumée, il se remit en route pour Paris. Lorsqu’il étoit sur l’avenue de Saint-Denis, il fut atteint par Barthe toujours dans le vis-à-vis de la duchesse D***. Celui-ci le fait arrêter aussitôt, en descend, le renvoie au château d’Ecouen, et dit au poëte en lui serrant la main: “Je ne puis rester en voiture à côté de Lemierre qui marche à pied. Je veux achever la route avec vous; et j’éprouve déjà que le char brillant de l’opulence ne vaut pas le bras d’un véritable ami.” Ils cheminent donc ensemble, et s’entretiennent des charmes, des avantages de la vie privée, et de ce vide qu’on éprouve tôt ou tard dans le tourbillon du grand monde. Pour achever de s’en convaincre, chacun d’eux s’amuse à faire la récapitulation de son voyage. “Hier,” dit Barthe, “j’arrive sombre et rêveur au château d’Ecouen, préparant néanmoins tous les moyens d’égayer un grand cercle, d’y briller et de plaire.—Moi, dit Lemierre, quoique mouillé jusqu’à la peau, et crotté jusqu’à la ceinture, j’entre joyeux et triomphant chez ma mère qui, par ses soins et sa tendresse, me délasse promptement des fatigues de la route.—Je n’ai trouvé dans ce vaste château que l’ennui de l’étiquette, l’orgueil des rangs et des cœurs froids.—Dans mon humble retraite, la joie brilloit sur chaque visage, et tous les bras m’étoient ouverts.—Malgré l’appétit qui me dévoroit, je n’ai pu dîner qu’à cinq heures du soir, ne sachant que choisir à l’aspect des mets nombreux dont j’étois rassasié d’avance.—A deux heures précises, j’ai fait avec ma bonne mère le repas le plus frugal, mais le plus sain.—J’étois à gauche étourdi par le caquet assommant d’un petit-maître; à droite suffoqué par une vieille femme laide et musquée.—A droite j’étois égayé par le chant délicieux des oiseaux de ma volière; à gauche embaumé par le doux parfum des fleurs de mon jardin.—J’ai passé toute la nuit à courir après l’esprit, et à ne rien produire.—J’ai dormi neuf heures de suite, et à mon réveil j’ai fait quelques bons vers. Enfin, j’ai compromis au jeu ma fortune et mon honneur.—Et moi j’ai pu réparer l’une et sauver l’autre. Jugez,” ajoute Lemierre en lui serrant la main, “jugez si j’ai raison d’aimer la vie privée, et si je dois être fidèle à mon cher pélerinage.”

SUITE DES
ELEMENS DE L’HISTOIRE ANCIENNE,

EN PARTICULIER

DE L’HISTOIRE GRECQUE.

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3ème. SECTION.

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I.

De Sparte et des Lois de Lycurgue.

Une révolution presque générale avoit changé l’état de la Grèce. Naturellement inquiets et jaloux de la liberté, les Grecs s’affranchirent de la domination de leurs princes, qui sans doute les gouvernoient mal. Presque tous ces petits royaumes devinrent des républiques. La licence y régna long-temps; mais il ne falloit que de bonnes lois pour y faire briller la vertu et l’héroïsme.

Sparte, dans le Péloponnèse, nommée aussi Lacédémone, en donna le premier exemple. Elle conservoit ses rois, descendans d’Hercule, parce qu’elle respectoit leur origine. Depuis environ neuf cents ans, deux princes de la race des Héraclides occupoient conjointement le trône. Ce partage de la royauté perpétuoit les dissentions. Un grand législateur pouvoit seul les terminer.

On le trouva dans Lycurgue, fils du Roi Eunome, qui avoit été tué dans une émeute. Son frère aîné, successeur de ce Roi, mourut sans enfans, et laissa une femme enceinte. Lycurgue lui auroit succédé pour toujours, s’il eût été capable d’un crime. Sa belle-sœur lui offrit de faire périr son fruit, à condition qu’il l’épouseroit. Indigné de cette offre, il dissimula, et gagna du temps jusqu’aux couches de la Reine. Elle accoucha d’un fils, dont il prit le plus grand soin. Après avoir gouverné quelque temps comme son tuteur, exposé à d’injustes soupçons, il alla en Grèce, en Ionie, peut-être même en Egypte, pour étudier les mœurs et les lois de ces pays. On ne pouvoit guère s’instruire alors que par les voyages.

Comme les désordres se multiplioient en l’absence de Lycurgue, on le pressa de venir y remédier. Il revint; et pour couper la racine du mal, il conçut le projet hardi de refondre le gouvernement. Il se crut inspiré, ou plutôt le fit accroire.

L’oracle de Delphes l’ayant annoncé comme le plus grand des législateurs, les esprits étoient disposés à une entière obéissance. Cependant il ne négligea pas les moyens qui forcent à se soumettre.

Les principaux Spartiates, approuvant ses objets de réforme, prirent les armes au moment de l’exécution, et personne n’osa résister. La royauté subsista, mais avec peu de pouvoir. Un sénat fut établi pour examiner et proposer les affaires. Le peuple assemblé devoit approuver ou rejeter les propositions du sénat. Les sénateurs, au nombre de vingt-huit, étant perpétuels, avoient beaucoup d’autorité. Ils balançoient le pouvoir des deux Rois et celui du peuple.

Pour les contenir eux-mêmes dans de justes bornes, on établit cinq magistrats annuels au choix du peuple, et on leur donna le droit de casser, d’emprisonner, de punir même de mort les membres du sénat. Leur juridiction s’étendit même sur les Rois. Ces magistrats redoutables se nommoient Ephores. Quelques écrivains attribuent leur établissement à Lycurgue; d’autres, avec plus de vraisemblance, le croient postérieur d’environ 130 années.

Le chef d’œuvre de Lycurgue fut de cimenter les lois par les mœurs. Il vouloit faire de Sparte comme une seule famille, où tous les citoyens travaillassent de concert au bien public, et fussent tout entiers à la patrie. Pour cela il falloit bannir la pauvreté et les richesses; car l’inégalité qu’elles mettent entre les hommes, est une source de discorde ainsi que de corruption. Il fit donc un partage égal des terres; il proscrivit l’or et l’argent, tout art de luxe, tout ce qui n’est pas absolument nécessaire à la vie; une monnoie de fer extrêmement lourde, fut la seule monnoie reçue. Les richesses devenant impossibles, la cupidité s’éteignit.

Tous les citoyens, même les Rois, mangèrent à des tables publiques, dont l’extrême frugalité n’excluoit pas les vrais plaisirs de la nature. On s’y entretenoit agréablement de choses utiles; on y employoit une raillerie fine et honnête, pour corriger les défauts; on passoit de là aux conversations les plus sérieuses, aux exercices militaires, à des jeux qui fortifioient le corps et nourrissoient l’amour de la gloire.

De tels établissemens auroient été chimériques dans un état considérable ou dans un siècle de mollesse; mais on ne comptoit que trente-neuf mille citoyens, neuf mille à Sparte, le reste à la campagne; et l’antique simplicité des mœurs subsistoit encore.

C’est par l’éducation surtout que le législateur fit des héros. Les enfans étoient élevés pour la république. Dès le berceau on les rendoit robustes et courageux. Les nourrices ne les garottoient pas de langes; elles les accoutumoient à ne rien craindre dans les ténèbres, et à ne se plaindre que par nécessité. A l’âge de sept ans, des maîtres publics les exerçoient au travail, à la patience, à la fatigue, à l’obéissance la plus prompte, et les formoient tous aux mêmes habitudes, parce qu’ils étoient nés pour remplir les mêmes devoirs. Ceux qui se distinguoient davantage commandoient aux autres, mais sous les yeux des vieillards, toujours prêts à les reprendre et à les corriger.

On admettoit les enfans aux repas communs, pour qu’ils profitassent des discours que l’on y tenoit. On les interrogeoit souvent sur les choses les plus importantes: Que pensez-vous de cette action? Que pensez-vous de cet homme? On exigeoit qu’ils répondissent promptement, en peu de mots et d’une manière judicieuse. Par là ils contractoient l’habitude du laconisme, c’est-à-dire d’un langage précis et nerveux, plein de raison et de noblesse. Si on les obligeoit à dérober leur nourriture, si on les châtioit sévèrement lorsqu’ils se laissoient surprendre, c’étoit pour les accoutumer aux ruses de guerre, à la vigilance et aux périls. L’idée du vol n’entroit point dans cette coutume, puisqu’elle étoit autorisée par les lois.

Toute science purement spéculative, ainsi que tout art de luxe, étoit interdit aux Spartiates. Ils aimèrent cependant la poésie, mais comme un moyen d’échauffer l’ame et de l’exciter aux actions héroïques. Voici une de leurs chansons, traduite par Amiot, précepteur de Charles IX.

Chœurs des Vieillards.

  Nous avons été jadis

  Jeunes, vaillans et hardis.

Chœurs des Jeunes Gens.

  Nous le sommes maintenant

  A l’épreuve à tout venant.

Chœurs des Enfans.

  Et nous un jour le serons,

  Qui tous vous surpasserons.

Lycurgue étendit ses vues sur l’éducation des femmes, dont les mœurs ont tant d’influence sur celles des hommes. Il fit en sorte qu’elles acquissent des vertus mâles, avec une force de corps qu’elles pussent transmettre à leurs enfans. Il les assujettit en partie aux exercices violens pratiqués à Sparte. Les filles s’exerçoient à la lutte dans les jeux. Les femmes furent long-temps des prodiges de vertu. Aussi étoient-elles infiniment respectées des hommes. L’empire qu’elles avoient sur eux ne tendoit qu’à inspirer l’héroïsme. Une mère dit à son fils, pour le consoler d’une blessure qui le rendoit boîteux: Va mon fils, tu ne peux plus faire un pas qui ne te fasse souvenir de ta valeur. Des lois sévères modéroient le commerce des deux sexes. Loin d’amollir et de corrompre, l’amour ne devoit être qu’un encouragement aux devoirs les plus pénibles.

On méprisoit le célibat, parce qu’aucun motif religieux ne les empêchoit de sentir le besoin de multiplier les citoyens. Un jeune homme, dédaignant de se lever devant un illustre capitaine célibataire, lui dit pour raison: Tu n’as point d’enfans qui puissent un jour me rendre cet honneur et se lever devant moi.

Enfin le grand objet de Lycurgue fut de faire de ses Spartiates autant de guerriers invincibles. Il voulut qu’ils vécussent toujours comme dans un camp; que la guerre devînt pour eux, en quelque manière, un temps de repos; qu’ils marchassent gaiement au combat, et s’imaginassent avoir un dieu à leur tête. Ce courage pouvoit les rendre ambitieux. Il le prévit; il tâcha de prévenir ce malheur. Persuadé qu’ils ne seroient heureux qu’en se contentant de leur liberté, de leur pauvreté, il ordonna qu’on ne feroit la guerre que pour se défendre, qu’on ne poursuivroit point l’ennemi vaincu; qu’on n’enleveroit point ses dépouilles; qu’on n’auroit point de flotte, afin de ne pas être tenté de courir la mer.

Malgré de si sages réglemens, Sparte ne put se garantir de l’ambition. Mais elle conserva plusieurs siècles son gouvernement avec ses mœurs; ce qui est un véritable prodige dans l’histoire. Encore plus estimée que redoutée de ses voisins, elle fut l’arbitre de la Grèce tant qu’elle mérita de l’être. On peut juger des sentimens de ses citoyens, en général, par le trait d’un certain Pédarète, homme de mérite. Il n’avoit pas été admis dans le conseil, composé de trois cents membres. Loin de s’en plaindre, il témoigna sa joie de ce que Sparte avoit trouvé trois cents citoyens meilleurs que lui.

Les vertus des Spartiates avoient un mélange d’atrocité. Ils faisoient périr les enfans infirmes, dont ils n’espéroient pas de tirer un jour les services ordinaires. Pour accoutumer les autres à la douleur, ils les déchiroient de coups de verges sur l’autel de Diane, quelquefois jusqu’à la mort. Ils traitoient les Ilotes ou Hélotes, leurs esclaves, de la manière la plus révoltante pour la nature; et lorsque leur population devenoit assez considérable pour leur faire craindre de leur part quelque révolte, ils se croyoient suffisamment autorisés à les prévenir par des massacres partiels et clandestins. En un mot, ils ne connurent point cette modération qui caractérise la vraie sagesse; et en méritant d’être admirés à certains égards, ils méritèrent souvent d’être haïs.

Moins superstitieux que les autres Grecs, les Spartiates avoient un culte conforme à leur gouvernement. Les statues de leurs divinités, même de Vénus, étoient couvertes d’une armure, pour qu’elles inspirassent le courage militaire. Les sacrifices et les offrandes étoient de peu de valeur, pour éviter en tout les dépenses inutiles. On ne faisoit que des prières fort courtes, et l’on prioit seulement les dieux d’être favorables aux gens de bien. La simplicité des funérailles contribuoit à faire mépriser la mort.

Pourquoi donc y avoit-il un temple consacré à la crainte? C’est que les Spartiates regardoient la crainte comme nécessaire dans le gouvernement politique. Les plus timides à l’égard des lois, dit Plutarque, sont les plus courageux contre les ennemis; et ceux-là craignent le moins de souffrir, qui craignent le plus d’être blâmés. Telle fut cette fameuse législation établie par Lycurgue environ 900 ans avant J. C. La durée de son ouvrage prouve qu’il lui avoit donné de solides fondemens. L’amour de la patrie, le courage héroïque, l’obéissance aux lois, de grandes vertus enfin distinguoient les Spartiates. L’histoire est pleine de traits sublimes de leur caractère.

Lycurgue pensa aux moyens d’affermir ses lois. Pour les rendre inviolables, il alla, dit-on, consulter l’oracle de Delphes, après en avoir fait jurer l’observation jusqu’à son retour: l’oracle ayant déclaré que Sparte, en les observant, deviendroit la plus illustre ville du monde, il se laissa mourir de faim; ainsi les Spartiates demeurèrent liés par leur serment. C’est un exemple du merveilleux, que les anciens ont trop mêlé à l’histoire, et que les modernes ont trop souvent copié.

Environ 200 ans après Lycurgue, il y eut deux guerres cruelles entre les Spartiates et les Messéniens. Ceux-là furent plus d’une fois vaincus, mais finirent par réduire leurs ennemis en servitude. Selon les anciens, l’oracle leur avoit ordonné, après une défaite, de faire venir d’Athènes un général: les Athéniens leur envoyèrent, comme par insulte, le poète Trythée, boîteux, méprisé dans sa patrie; et ce ridicule général leur procura la victoire en les remplissant d’enthousiasme. Ce qui mérite davantage d’être observé, c’est que Lacédémone perdoit déjà cette modération dont Lycurgue avoit voulu faire une de ses vertus, et l’on peut présumer les fâcheux inconvéniens qui durent en résulter dans la suite.

(A continuer.)

Les François à Moskou en 1812.[1]

Après la bataille de la Moskwa, notre armée triomphante marcha en trois colonnes sur la capitale de l’empire de Russie.

On pouvoit juger de la consternation qui régnoit dans cette capitale, par la terreur que nous inspirions aux paysans. A peine fut-on informé de notre arrivée dans Rouza, (9 Septembre,) et de la manière impitoyable avec laquelle nous avions traité la population, que tous les villages placés sur la route de Moskou furent à l’instant abandonnés. Par-tout nous portions l’épouvante, et beaucoup de ceux qui fuyoient, par une espèce de désespoir, brûloient leurs maisons, leurs châteaux, les blés et les fourrages à peine recueillis. La plupart de ces malheureux, découragés par l’inutile et fatale résistance de la milice de Rouza, jetoient par terre les piques dont on les avoit armés, pour courir plus promptement se cacher, avec leurs femmes et leurs enfans, dans d’épaisses forêts éloignées de notre route.

On espéroit cependant qu’aux approches de Moskou, la civilisation, qui énerve les ames, et surtout l’esprit de possession, si naturel aux habitans des grandes villes, auroit engagé les gens de la campagne à ne point quitter leurs demeures, convaincus que le pillage des soldats étoit provoqué par l’état d’abandon où nous trouvions les villages; mais les terres voisines de Moskou ne sont point réparties entre les particuliers de cette capitale; elles étoient la propriété des seigneurs, déclarés contre nous; et leurs paysans, aussi soumis, aussi esclaves que ceux du Dniéper et du Volga, obéissoient aux ordres de leurs maîtres, qui, sous peine de mort, leur avoient recommandé de fuir à notre approche, et d’enterrer ou de cacher dans les bois tout ce qui pouvoit nous être utile.

Auprès de Karinskoé, village situé à moitié chemin de Zwenighorod, où nous devions aller, on signala les kosaques. Selon leur coutume, ils ne tinrent point devant notre avant-garde, et se bornèrent à nous observer, en parcourant sur notre gauche une colline parallèle à la grande route. Du sommet de cette colline, et à travers des bouleaux épais, s’élevoient les murs grisâtres et les clochers d’une antique abbaye. Au pied du mont étoit la petite ville de Zwenighorod, construite au bord de la Moskwa. C’est sur ce point que les kosaques se réunirent, et, formant plusieurs groupes, tiraillèrent pendant quelque temps avec nos voltigeurs; peu-à-peu on les délogea des embuscades qu’ils avoient choisies, et nous campâmes autour de Zwenighorod.

L’abbaye, placée au-dessus de cette petite ville, domine le cours de la Moskwa. Ses murs crénelés, hauts de plus de vingt pieds, et larges de cinq à six, sont aux quatre coins flanqués de grosses tours ayant toutes des embrâsures. Cet édifice, construit au treizième ou quatorzième siècle, rappelle le temps où les Moskowites, pleins de vénération pour leurs prêtres, souffroient que l’autorité sacerdotale surpassât celle des nobles, et que le czar, les jours de cérémonie, marchât devant le patriarche de Moskou, en tenant la bride de son cheval; mais ces moines, si puissans et si redoutables avant Pierre Ier, furent ramenés à la simplicité des apôtres, lorsque ce grand monarque, en fondant son empire, eut confisqué leurs biens et diminué leur nombre.

Pour se faire une idée des changemens qu’avoit opérés cette réforme, il suffisoit d’entrer dans l’abbaye de Zwenighorod. A la vue de ces hautes tours et de ces larges murailles, nous crûmes que l’intérieur renfermoit des bâtimens spacieux et commodes, et qu’on trouveroit chez ces religieux l’abondance accoutumée de toutes les abbayes richement dotées. Une porte en fer, fortement barricadée, nous confirma dans la persuasion où nous étions, que ce couvent possédoit de grands approvisionnemens. On se disposoit à en forcer l’entrée, quand un vieillard, dont la longue barbe étoit blanche comme sa robe, vint nous ouvrir. Aussitôt on lui demanda à nous conduire vers le supérieur du couvent. En entrant dans la cour nous fûmes bien surpris de voir que ce vaste édifice ne répondoit point à la haute idée qu’on s’en étoit formée, et que le guide, au lieu de nous introduire dans les appartemens du supérieur, nous conduisit dans une petite chapelle où se trouvoient quatre religieux prosternés au pied d’un autel construit à la manière des Grecs. En approchant d’eux, ces vénérables vieillards embrassèrent nos genoux, nous suppliant, au nom du Dieu qu’ils adoroient, de faire respecter leur église et les tombeaux de quelques évêques dont ils étoient les fidèles gardiens. “A notre misère, firent-ils répondre par un interprète, vous pouvez juger que nous n’avons point de trésors cachés, et nos alimens sont si grossiers, que beaucoup de vos soldats dédaigneroient d’en manger. Nous n’avons d’autres biens que nos reliques et nos autels, veuillez les respecter par déférence pour notre religion si semblable à la vôtre.” On le leur promit, et cette assurance fut confirmée par l’arrivée du prince vice-roi, qui, en se logeant dans cette abbaye, préserva l’église et le couvent du pillage dont ils étoient menacés.

Le lendemain nous quittâmes cette abbaye. En m’éloignant, je jetai un regard en arrière, et vis les premiers rayons du soleil naissant colorer le sommet de ces hautes murailles construites pour être l’asile de la paix, et qui, après notre départ, devinrent un lieu de tumulte et de désordre. Je me livrois à ces pénibles pensées, et prenant la route parallèle à la Moskwa, je m’aperçus que devant Zwenighorod, on avoit fait construire des ponts sur la rivière, sans doute dans l’intention de communiquer avec la Grande-Armée qui marchoit sur Moskou par la rive opposée.

Nous avancions toujours, lorsque les kosaques parurent de nouveau, manœuvrant de la même manière que la veille. Au-dessous d’Aksinino, ils voulurent un instant arrêter des chevau-légers bavarois, mais ayant eu quelques hommes blessés, ils s’enfuirent, et se retirèrent de l’autre côté de la rivière, que nous traversâmes au-dessous du village de Spaskoé; sur ce point la Moskowa étant peu profonde, les hommes et les chevaux la passèrent à gué facilement. Les kosaques, qui nous attendoient à l’entrée d’un bois, se dispersèrent, en voyant qu’on avoit franchi la barrière qui les séparoit de nous. De là on continua à marcher jusqu’aux maisons de la poste de Buzaïevo.

Le jour suivant (14 Septembre,) empressés d’arriver à Moskou, nous partîmes de bonne heure, et trouvâmes des villages déserts; vers notre gauche étoient, sur les bords de la Moskwa, plusieurs châteaux magnifiques que les Tartares saccageoient, pour nous priver des commodités que ces lieux pouvoient nous offrir; car la récolte, prête à être cueillie, avoit été foulée ou mangée par les chevaux, et les meules de foin qui couvroient les campagnes étant livrées aux flammes, répandoient dans les airs une épaisse fumée. Enfin, arrivés auprès du village de Tschérepkova, du temps que notre cavalerie alloit en avant, le vice-roi se porta sur une hauteur, placée à notre droite, et examina long-temps si l’on voyoit la ville de Moskou, objet de tous nos vœux, puisqu’on la regardoit comme la fin de nos fatigues et le terme de notre expédition; plusieurs collines la déroboient encore à nos regards; nous n’aperçûmes que des tourbillons de poussière, qui, parallèles à notre route, indiquoient la marche que suivoit la Grande-Armée. Quelques coups de canon, tirés dans le lointain et à de longs intervalles, nous firent juger que nos troupes approchoient de Moskou sans éprouver beaucoup de résistance.

L’on distinguoit de loin, et à travers la poussière, de longues colonnes de cavalerie ennemie, marchant toutes sur Moskou, et toutes se retirant avec ordre derrière cette ville à mesure que nous en approchions. Ce mouvement de retraite dura toute la matinée. Pendant qu’on étoit occupé à construire un pont pour traverser la Moskwa, l’état-major, vers les onze heures, s’établit sur une haute colline d’où nous aperçûmes, par un temps superbe, un millier de clochers dorés et arrondis, qui, brillant des rayons du soleil, ressembloient de loin à autant de globes lumineux. Il étoit de ces globes, qui, posés sur le sommet d’une colonne ou d’un obélisque, avoient la forme d’un aérostat suspendu dans les airs. Nous fûmes transportés d’étonnement à la vue d’un si beau coup-d’œil, devenu plus séduisant encore par le souvenir des tristes objets dont nous avions été témoins: aussi personne ne put concentrer sa joie, et par un mouvement spontané, nous criâmes tous Moskou! Moskou! A ce nom tant désiré, on courut en foule sur la colline, et chacun, en faisant des remarques de son côté, découvrit à tout moment des merveilles nouvelles. L’un admiroit un magnifique château placé sur notre gauche, et dont l’architecture élégante nous rappeloit celle des orientaux; un autre portoit son attention sur un palais, sur un temple; mais tous étoient frappés du superbe tableau que présentoit cette grande ville. Située au milieu d’une plaine fertile, on voit la Moskwa couler à travers de riantes prairies; après avoir fécondé les campagnes, cette rivière passe au milieu de la capitale, et sépare un groupe immense de maisons en bois, en pierre, en briques, construites dans un style où se mêle à la fois le gothique avec le moderne, et où l’on trouve réunis les différens genres d’architectures particuliers à chaque nation. Enfin les murs, différemment colorés, les coupoles dorées ou couvertes en plomb et en ardoises, répandoient la plus piquante variété, tandis que les terrasses des palais, les obélisques des portes de la ville, et surtout les clochers, construits en forme de minarets, offroient à nos yeux, et en réalité, une de ces cités fameuses d’Asie, qui jusqu’alors nous paraissoient n’avoir existé que dans la riche imagination des poètes arabes.

Quoique le pont à construire sur la Moskwa ne fût point encore terminé, le vice-roi ordonna aux troupes de son corps de passer la rivière; la cavalerie l’avoit déjà traversée et avoit pris position en avant du village de Khorechévo; ce fut là que nous apprîmes officiellement l’entrée de nos troupes dans Moskou: le quatrième corps y reçut l’ordre de s’arrêter jusqu’au lendemain, où l’on fixeroit l’heure à laquelle nous entrerions dans la capitale de l’empire de Russie.

Le 15 Septembre, ce corps, dès la pointe du jour, partit du village où il avoit campé, et marcha sur Moskou. En approchant de cette ville, nous vîmes qu’elle n’avoit point de murailles, et qu’un simple parapet en terre étoit l’unique ouvrage qui déterminât sa première enceinte. Jusqu’alors rien ne prouvoit que cette capitale fût habitée, et l’endroit par lequel nous arrivions étoit si désert, que, non-seulement on ne voyoit pas un Moskowite, mais même un soldat françois. Aucun bruit, aucun cri ne s’élevoit au milieu de cette imposante solitude; l’anxiété seule guidoit nos pas: elle augmenta lorsque nous aperçûmes une épaisse fumée, qui, en forme de colonne, s’élevoit du centre de la ville.

Nous n’entrâmes point par la première barrière qui s’offrit à nos yeux; mais, remontant sur la gauche, nous continuâmes à marcher tout autour de la ville. Enfin, d’après les ordres du prince Eugène, j’allai mettre nos troupes en position, pour garder la grande route de Pétersbourg; ainsi, la treizième et la quinzième division campèrent autour du château de Peterskoé; la quatorzième s’établit au village situé entre Moskou et ce château; la cavalerie légère bavaroise, commandée par le comte Ornano, étoit à une lieue en avant de ce village.

Ces positions étant occupées, le vice-roi entra dans Moskou, et alla loger au palais du prince Momonoff, dans la belle rue de Saint-Pétersbourg. Ce faubourg, assigné à notre corps, étoit l’un des plus beaux de la ville, entièrement formé de superbes édifices et de maisons qui, quoiqu’en bois, nous parurent d’une grandeur et d’une richesse surprenantes. Les magistrats ayant quitté leur poste, chacun pouvoit à volonté s’établir dans l’un de ces palais; ainsi le simple officier se trouvoit logé au milieu de vastes appartemens richement décorés, et dont il se croyoit le maître, puisqu’il ne voyoit auprès de lui qu’un portier humble et soumis, qui, d’une main tremblante, lui donnoit toutes les clés de la maison.

Moskou, depuis la veille, étoit au pouvoir de nos troupes; néanmoins on ne trouvoit dans le faubourg où nous devions nous établir, ni soldats ni habitans, tant la ville étoit grande et dépeuplée. Un morne silence régnoit dans ces lieux abandonnés. Aussi les âmes les plus intrépides étoient émues de cet isolement. La longueur des rues étoit telle, que d’une extrémité à l’autre, les cavaliers ne pouvoient se reconnoître entre eux; ignorant s’ils étoient amis ou ennemis, on les voyoit s’avancer lentement; puis, saisis par la crainte, ils fuyoient l’un devant l’autre, quoique tous fussent sous les mêmes étendarts. A mesure qu’on prenoit possession d’un quartier nouveau, des éclaireurs alloient en avant pour le reconnoître, et faisoient des recherches dans les palais et dans les églises; mais on ne trouvoit dans les uns que des enfans, des vieillards ou des officiers russes mutilés aux précédentes batailles; et dans les autres, les autels étoient parés comme pour un jour de fête; mille flambeaux allumés, brûlant en l’honneur du saint protecteur de la patrie, attestoient que les pieux Moskowites n’avoient pas cessé de l’invoquer. Cet appareil imposant et religieux rendoit puissant et respectable le peuple que nous avions vaincu, et nous pénétroit de cette terreur que cause une grande injustice; nous n’osions plus marcher que d’un pas timide au milieu de cette effrayante solitude; souvent on s’arrêtoit pour regarder en arrière, quelquefois même, nous prêtions une oreille attentive; car l’imagination effrayée de notre immense conquête, par-tout nous faisoit entrevoir des piéges, et au moindre bruit, nos sens troublés croyoient entendre le tumulte des armes ou les cris des combattans.

En approchant vers le centre de la ville, nous commençâmes à voir quelques habitans rassemblés autour du Kremlin. Ces malheureux, égarés par une tradition bien trompeuse, croyant cette citadelle inviolable, cherchèrent, la veille, à la disputer un instant à notre avant-garde commandée par le roi de Naples. La valeur de nos troupes les eut promptement dispersés. Consternés de leur défaite, ils regardoient, les yeux mouillés de pleurs, ces hautes tours qu’ils avoient cru jusqu’alors être le palladium de leur ville. En avançant davantage, nous vîmes une foule de soldats qui vendoient publiquement et échangeoient quantité d’objets qu’ils avoient pillés; car ce n’étoit seulement qu’aux grands magasins de comestibles que la garde impériale avoit placé des sentinelles. En approchant davantage, le nombre des soldats se multiplioit, et tous revenoient en masse, emportant sur leur dos des pièces de drap, des pains de sucre et des ballots entiers de marchandises. Nous ne savions à qui attribuer ce désordre, lorsque des fusiliers de la garde nous apprirent enfin que la fumée que nous avions vue en entrant dans la ville, provenoit d’un vaste bâtiment rempli de marchandises, appelé la Bourse, et que les Russes avoient incendié en se retirant. “Hier, nous dirent ces soldats, nous entrâmes dans Moskou vers midi, et aujourd’hui dans la matinée, le feu s’est manifesté; nous avons d’abord cherché à l’éteindre, persuadés que cet événement étoit causé par l’imprudence de nos bivacs; mais à présent nous y renonçons, puisqu’on vient de nous apprendre que le gouvernement a ordonné de brûler la ville, et d’enlever toutes les pompes pour nous empêcher d’y remédier; espérant, par cette résolution désespérée, nuire à notre discipline, et ruiner le corps des négocians, qui s’opposoit fortement à l’abandon de Moskou.”

Une curiosité naturelle me porta en avant: plus j’avançois, et plus les avenues de la bourse étoient obstruées de soldats et de mendians, emportant avec eux des effets de toutes les espèces; dédaignant les moins précieux, ils les jetoient par terre. C’est ainsi que les rues furent en peu d’instans jonchées de quantité de marchandises. Je pénétrai enfin dans l’intérieur de l’édifice; mais ce n’étoit plus ce bâtiment si renommé par sa magnificence, c’étoit plutôt une vaste fournaise d’où tomboient de tous côtés des poutres embrâsées; on ne pouvoit plus circuler qu’au dessous des portiques, où il y avoit encore de nombreux magasins, et c’est-là que les soldats, en enfonçant les caisses, se partageoient un butin au-delà de toutes leurs espérances. Aucun cri, aucun tumulte ne se faisoit entendre dans cette horrible scène, tant chacun trouvoit de quoi satisfaire largement sa cupidité; on n’entendoit rien si ce n’est le pétillement des flammes, le bruit des portes qu’on enfonçoit, puis tout-à-coup l’épouvantable fracas que faisoit une voûte en s’écroulant. Les cotons, les mousselines, les velours, enfin les étoffes les plus riches d’Europe et d’Asie brûloient avec violence; dans les caves on avoit entassé du sucre, des huiles, de la résine et du vitriol: toutes ces matières se consumant à la fois dans des magasins souterrains, exhaloient des torrens de flammes à travers d’épais grillages.—Spectacle effrayant, puisqu’un si grand malheur devoit faire pressentir, même aux âmes les plus endurcies, que la justice divine feroit un jour éclater sa colère sur les premiers auteurs de cette affreuse dévastation!

Comme le temps étoit fort calme, nous espérions que cette capitale n’auroit à déplorer que la perte de la bourse; mais le lendemain, au point du jour (16 Septembre), quel fut notre saisissement, lorsque nous vîmes que le feu étoit aux quatre coins de la ville, et que le vent, soufflant avec furie, faisoit voler de tous côtés des brandons enflammés!

Alors s’offrit à mes yeux le spectacle le plus lamentable que mon imagination ait jamais pu se figurer, même à la lecture du morceau le plus affligeant de toutes les histoires anciennes et modernes. Une grande partie de la population de Moskou, par la crainte que causa notre arrivée, étoit demeurée cachée dans l’intérieur des maisons; elle en sortit du moment que l’incendie eût pénétré dans ses asiles. Tous ces infortunés étoient tremblans, et n’osoient proférer la moindre imprécation, tant la frayeur rendoit leur douleur muette! En cherchant à fuir, ils emportoient avec eux leurs effets les plus précieux; mais les âmes sensibles, agitées par le seul sentiment de la nature, ne songeoient qu’à sauver leurs parens; d’un côté on voyoit un fils emportant son père malade; de l’autre des femmes qui versoient des torrens de larmes sur de jeunes enfans qu’elles tenoient dans leurs bras; elles étoient suivies par d’autres un peu plus grands, qui, pour ne pas se perdre, doubloient le pas en appelant leur mère. Les vieillards, encore plus accablés par la douleur que par les années, rarement pouvoient suivre leur famille, et beaucoup pleurant sur la ruine de leur patrie, se laissoient mourir auprès de la maison qui les avoit vus naître. Les rues, les places publiques, et surtout les églises, étoient remplies de ces malheureux, qui couchés sur le reste de leur mobilier, gémissoient sans donner le moindre signe de désespoir; on n’entendoit aucun cri, aucune querelle; le vainqueur et le vaincu étoient également abrutis, l’un par l’excès de fortune, l’autre par l’excès de misères.

L’embrâsement, poursuivant ses ravages, eut bientôt atteint les plus beaux quartiers de la ville. En un instant, tous ces palais, que nous avions admirés pour l’élégance de leur architecture et le goût de leur ameublement, furent ensevelis par la violence des flammes. Leurs superbes frontons, décorés de bas-reliefs et de statues, venant à manquer de supports, tomboient avec fracas sur les débris de leurs colonnes. Les églises, quoique couvertes en tôle et en plomb, tomboient aussi, et avec elles ces dômes superbes que nous avions vus la veille tout resplendissans d’or et d’argent. Les hôpitaux, où se trouvoient plus de vingt mille malades ou blessés, ne tardèrent pas à être incendiés; le désastre qui s’ensuivit révoltoit l’âme et la glaçoit d’effroi. Presque tous ces infortunés périrent, et l’on voyoit le peu de vivans qui respiroient encore se traîner à moitié brûlés sous des cendres fumantes; d’autres, gémissant sous des monceaux de cadavres, les soulevoient avec peine pour chercher à revoir la lumière.

Comment dépeindre le mouvement tumultueux qui s’éleva lorsque le pillage fut toléré dans toute l’étendue de cette ville immense? Les soldats, les vivandiers, les forçats et les prostituées, courant les rues, pénétroient dans les palais déserts, et en arrachoient tout ce qui pouvoit flatter leur cupidité. Les uns se couvroient d’étoffes tissues d’or et de soie: d’autres mettoient sur leurs épaules, sans choix ni discernement, les fourrures les plus estimées; beaucoup se couvroient de pelisses de femmes et d’enfans, et les galériens même cachèrent leurs haillons sous des habits de cour! Le reste, allant en foule dans les caves, enfonçoit les portes, et après s’être enivré des vins les plus précieux, emportoit d’un pas chancelant son immense butin.

Cet affreux pillage ne se borna point aux seules maisons abandonnées; les malheurs de la ville, et l’avidité de la populace, les firent toutes confondre, et facilitèrent aux pillards des dévatations aussi grandes que celles de l’incendie. Aussi tous ces asiles ne tardèrent pas à être violés par une soldatesque insolente; ceux qui avoient chez eux des officiers purent un instant concevoir la pensée d’échapper au malheur commun: vaine illusion! Le feu s’avançant progressivement, détruisit bientôt toutes leurs espérances.

Ce fut vers le soir que Napoléon, ne se croyant plus en sûreté dans une ville dont la ruine paroissoit inévitable, abandonna le Kremlin, et fut avec sa suite s’établir au château de Peterskoé. En le voyant passer, je ne pus regarder sans frémir le chef d’une expédition barbare, qui, pour se dérober aux justes cris de l’indignation publique, recherchoit sur son passage les lieux les plus ténébreux. C’étoit en vain: de tous côtés les flammes sembloient le poursuivre, et volant sur sa tête coupable, me rappelèrent les torches des Euménides poursuivant les criminels dévoués aux furies.

Les généraux reçurent aussi l’ordre de sortir de Moskou. Alors, la licence devint effrénée; les troupes n’étant plus retenues par la crainte qu’inspire toujours la présence des chefs, se livrèrent à tous les excès imaginables: aucune retraite ne fut assez sûre, pour se préserver de leurs recherches avides. Mais rien ne devoit autant exciter la cupidité, comme l’église de Saint-Michel, destinée à la sépulture des premiers empereurs de Russie. Une fausse tradition faisoit croire qu’il s’y trouvoit des richesses immenses. Dans cette croyance, des soldats pénètrent dans l’église, et, tenant en main des flambeaux, descendent dans de vastes souterrains pour troubler la paix et le silence des tombeaux. Au lieu de trésors, ils ne trouvèrent que des cercueils en pierre, couverts de velours rouge et de très-minces plaques en argent, sur lesquelles on lisoit les noms des czars, le jour de leur naissance et celui de leur décès. Mécontens de voir leurs espérances trompées, ils fouillèrent les cercueils, profanèrent la cendre des morts, et arrachèrent les offrandes consacrées par la piété, moins précieuses par elles-mêmes que par les sentimens dont elles sont le gage.

A tous les excès de l’avarice se mêlèrent toutes les dépravations de la débauche; ni la noblesse du sang, ni la candeur du jeune âge, ni les larmes de la beauté ne purent être respectées: licence cruelle, mais inévitable dans une guerre monstrueuse, où seize nations réunies, différentes de mœurs et de langage, se croyoient tout permis, dans la persuasion que leurs désordres ne seroient jamais attribués qu’à l’une d’elles.

Consterné par tant de calamités, j’espérois que les ombres de la nuit en couvriroient l’effrayant tableau; elles ne servirent au contraire qu’à rendre l’incendie plus terrible, et à faire ressortir davantage la violence des flammes qui s’étendoient du nord au midi: agitées par les vents, elles s’élevoient jusqu’au ciel. On apercevoit aussi les fusées incendiaires que les malfaiteurs lançoient du haut des clochers; elles sillonnoient des nuages de fumée, et de loin ressembloient à des étoiles tombantes. Mais rien ne glaçoit d’effroi comme la terreur répandue dans tous les cœurs, et qui, dans le silence des ténèbres, ne faisoit que s’accroître par les cris des malheureux qu’on égorgeoit, ou par les pleurs des jeunes filles qui se réfugioient dans le sein palpitant de leurs mères, et dont les vains efforts ne servoient qu’à enflammer la rage des ravisseurs. A ces affreux gémissemens, se joignoient les hurlemens des chiens, qui, selon l’usage de Moskou, enchaînés aux portes des palais, ne pouvoient échapper au feu dont ils étoient entourés.

Saisi d’épouvante, je me flattois que le sommeil dissiperoit ces scènes révoltantes; loin de dormir, une foule de pensées assiégeant ma mémoire, me retraçoient toujours les horreurs dont j’avois été le témoin; un instant mes sens fatigués parurent obtenir du repos, lorsque la lueur de ce vaste embrâsement me réveilla en sursaut, et d’abord me fit croire qu’il étoit grand jour; puis, me rappelant les événemens de la veille, je crus que ma chambre même étoit la proie des flammes. Cette fois l’apparence ne fut point un songe: en me mettant à la fenêtre, je vis notre quartier en feu, et la maison où j’étois, sur le point d’être brûlée. Les étincelles tomboient dans notre cour et sur la toîture en bois de nos écuries. Je courus alors auprès de mes hôtes; connoissant toute l’étendue de leur malheur, ils avoient déjà abandonné leur demeure accoutumée pour se retirer dans un lieu souterrain qui leur offroit plus de sûreté; là, couchés avec leurs domestiques, ils ne vouloient pas sortir, craignant nos soldats, disoient-ils, autant que l’incendie; seulement le père, placé sur le seuil de la porte, vouloit s’exposer le premier à tous les maux qui sembloient menacer sa famille; deux de ses filles, dont les larmes relevoient la beauté, pâles, échevelées, lui disputoient l’honneur de ce dévouement; je ne pus les arracher de l’asile sous lequel ils alloient être engloutis, qu’à force de violence.—Mais ces infortunés, rendus à la lumière, contemploient avec sang-froid la perte de toutes leurs richesses, ils ne s’étonnoient que de ce qu’on les laissoit vivre; et quoiqu’ils eussent bien reconnu qu’on ne vouloit point leur nuire, néanmoins ils n’en témoignèrent aucune reconnaissance: semblables à ces malheureux qui, conduits au supplice, demeurent stupéfaits quand on leur fait grâce, tant les angoisses de la mort les rendent insensibles au présent de la vie!

Afin d’abréger le récit de cette effrayante catastrophe, pour laquelle l’histoire manquera d’expressions, je passerai sous silence une foule de circonstances affligeantes pour l’humanité; je vais me borner à dépeindre l’effroyable confusion qui se manifesta dans notre armée, lorsque le feu eut gagné la totalité des quartiers de Moskou, et que la ville entière ne forma plus qu’un immense bûcher.

On ne distinguoit les endroits où il y avoit eu des maisons, que par quelques piliers en pierres calcinées et noircies. Le vent, soufflant avec violence, formoit un mugissement semblable à celui que produit une mer agitée, et faisoit tomber sur nous, et avec un fracas épouvantable, les énormes lames de tôle qui couvroient les palais. De quel côté qu’on tournât la vue, on ne voyoit que des ruines ou un océan de flammes. Le feu prenoit comme s’il eût été mis par une puissance invisible; des quartiers immenses s’allumoient, brûloient et disparoissoient à la fois.

A travers une épaisse fumée, se présentoit une longue file de voitures, toutes chargées de butin; forcées, par l’encombrement, de s’arrêter à chaque pas, on entendoit les cris des conducteurs, qui, craignant d’être brûlés, poussoient, pour avancer, des imprécations effroyables; par-tout on ne voyoit que des gens armés qui, quoique s’en allant, enfonçoient les portes dans la crainte de laisser une maison intacte; et si des objets nouveaux étoient préférables à ceux qu’ils avoient d’abord, ils abandonnoient les premiers pour se saisir de la dernière capture; beaucoup, ayant même des voitures bien chargées, emportoient sur leur dos le reste de ce qu’ils avoient pillé; mais l’incendie, en obstruant le passage des principales rues, les obligeoit à revenir sur leurs pas; ils erroient ainsi de quartier en quartier, cherchant, dans une ville immense, qu’ils ne connoissoient point, une issue favorable pour pouvoir sortir de ce labyrinthe de feu. On en voyoit qui s’éloignoient au lieu de se rapprocher du petit nombre de portes par lesquelles on pouvoit sortir. C’est ainsi que plusieurs moururent victimes de leur cupidité. Malgré ce péril extrême, la soif des richesses faisoit braver tous les dangers; les soldats, excités par l’ardeur du pillage, se précipitoient au milieu des vapeurs embrâsées, au travers des armes étincelantes; ils marchoient dans le sang, foulant aux pieds des cadavres, tandis que des ruines et des charbons ardens tomboient sur leurs bras homicides: tous auroient peut-être péri, si une chaleur insupportable ne les eût enfin forcés à se sauver dans leur camp.

Le quatrième corps ayant aussi reçu l’ordre de sortir de Moskou, nous nous acheminâmes (17 Septembre), pour aller auprès de Peterskoé, où nos divisions se trouvoient campées: ce fut dans ce moment, qui me parut être la pointe du jour, que j’aperçus un spectacle à la fois terrible et touchant: une foule de malheureux habitans traînoient sur de mauvaises voitures tout ce qu’ils avoient pu sauver de leurs maisons incendiées, et comme les soldats leur avoient enlevé leurs chevaux, on voyoit des hommes, et des femmes même, attelés à ces charrettes, sur lesquelles étoit une mère infirme, ou un vieillard paralytique. Des enfans presque nus suivoient ces groupes intéressans; la tristesse, si éloignée de leur âge, étoit empreinte sur leur figure; et si des militaires s’approchoient d’eux, ils couroient en pleurant se jeter dans les bras de leur mère. Quelle demeure pouvoit-on leur offrir, qui ne leur retraçât sans-cesse l’objet de leur terreur? Sans asiles, sans secours, ces infortunés erroient dans les campagnes, se réfugioient dans les bois, et par-tout ils retrouvoient les vainqueurs de Moskou qui, souvent en les maltraitant, vendoient sous leurs yeux les effets enlevés dans leur propre maison.

Je dois mentionner qu’au commencement de l’incendie, beaucoup de nos sapeurs et soldats cherchèrent à éteindre le feu, en coupant les solives embrâsées; mais les flammes sortant de tous côtés purent seules arrêter ce mouvement généreux. L’on dut entrevoir, dès ce moment, l’effrayant avenir réservé à cette masse de conquérans établie dans Moskou.


Extrait de la Campagne de Russie en 1812, par Eugène Labaume.

MONTREAL. . . . . . . . . . .

Mr. Meziere.

Monsieur,

Dans plusieurs voyages, j’ai rassemblé, sur les parties de cette province que j’ai visitées, un assez grand nombre d’observations. Elles ne sont qu’ébauchées, et sont restées en cet état, soit à raison des difficultés qu’auroit éprouvées un ouvrage sur le Canada, publié en Canada, aux différentes époques où elles ont été faites; soit parceque j’ai manqué, depuis, de loisir pour y mettre la dernière main. En feuilletant dernièrement ces papiers, j’ai trouvé une lettre qui m’a paru plus dénuée d’intérêt que quelques autres, quant à la variété des objets auxquels elle a rapport, mais que j’ai trouvée dans un état un peu moins imparfait que le reste. C’est sans doute quelque chose de bien mince pour oser le mettre sous les yeux du public; mais enfin le sujet de cette lettre est, en grande partie, un des endroits de la province dont la beauté a frappé même Mr. Gray, un de ceux qui, écrivant sur le Canada, ont montré la plus grande légèreté, ont laissé percer les préjugés les plus ridicules contre le pays et ses habitans. Ce sont les établissemens situés le long de la Rivière du Sud, dans le district de Québec; portion intéressante de nos contrées, sur laquelle, depuis près d’un siècle, il n’a encore rien paru qui puisse satisfaire les Canadiens ou les étrangers, sous le rapport de l’exactitude. J’ai cru qu’à ce titre ce petit morceau se concilieroit l’indulgente attention de vos lecteurs. La publication n’eût-elle d’ailleurs que l’effet de donner l’exemple, et d’engager ceux qui, avec plus de talent, ont aussi plus de loisir, à nous gratifier de quelque chose, dans le même genre, de plus intéressant ou de plus utile, je croirois avoir mérité l’approbation des hommes sincèrement attachés à leur pays, et jaloux d’y voir les lumières s’allier aux vertus de ses habitans.

CIVIS.

 

 

25 Août, 18 . . .

Nous laissâmes St. André pour revenir déjeuner au Cap-Mouraska d’où nous vinmes dîner à la Rivière-Ouelle, et enfin coucher à la Rivière des Trois-Saumons. Je n’ai aucune observation à ajouter à celles dont je vous ai déjà fait part sur ces endroits, en me rendant à St. André; mais nous éprouvâmes dans cette journée, comme cela arrive presque par-tout dans ce pays, l’inconvénient qui résulte, pour les voyageurs, du manque d’auberges sur les routes. Envain nous demandâmes l’hospitalité dans plusieurs maisons, nous ne pumes l’obtenir; nous gagnâmes cependant à faire la route un peu plus longue que nous ne nous étions proposé d’abord. L’extérieur des maisons, dans ces paroisses, est trompeur; leur étendue et la manière dont elles sont bâties, feroient présumer l’aisance de ceux qui les habitent; mais ces apparences contrastent quelquefois fortement avec le dénuement de l’intérieur, qui, souvent, n’est pas même recrépi en mortier. Dans les maisons de bois, on se contente, en bien des endroits, de donner une couche de chaux délayée. L’Ameublement se ressent de cette simplicité; ceux qui les habitent paroissent contens de leur sort: ils ont peut-être la raison pour eux; mais enfin le voyageur un peu aisé aimeroit à retrouver quelques-unes des petites satisfactions domestiques auxquelles il est habitué. Ici il lui faut s’en passer, avec des hommes qui n’ont jamais songé à une foule de choses que nous regardons comme nécessaires à la vie, et dans lesquelles ils ne verroient apparemment que le rafinement d’un luxe dont ils n’ont pas même l’idée. Je dois dire aussi que, dans plusieurs maisons où nous avons frappé, si on ne nous a pas donné asile, c’étoit bien moins mauvaise volonté de la part de leurs habitans, qu’impuissance absolue de nous loger sans se gêner beaucoup, et sans nous céder leurs propres lits; considération qui nous a déterminé à marcher un peu plus tard, pour trouver quelque famille moins à l’étroit. Une maison qu’on nous avoit indiquée comme une auberge, où au moins l’on étoit dans l’habitude de recevoir des voyageurs en payant, se trouva pleine; c’est-à-dire que deux ou trois personnes, arrivées avant nous, avoient, comme de droit, retenu les deux lits qu’on y pouvoit fournir aux passans. Enfin nous arrivâmes à une grande maison de ferme en pierres, où un vieillard et sa femme nous acceuillirent comme Philémon et Baucis acceuillirent autrefois les Dieux-Voyageurs. L’innocence et la simplicité de leurs mœurs me parurent aussi avoir beaucoup de ressemblance avec celles des anciens hôtes de Jupiter et de Mercure. On offrit de nous faire un souper dont nous n’avions pas besoin, et que nous refusâmes. Nous demandâmes du lait qu’on nous donna. Nous étions chez des cultivateurs aisés; on conçoit dès lors qu’on ne manqua pas de nous offrir le verre de rum, que nous priâmes nos excellens hôtes de nous dispenser d’accepter. En attendant ce frugal repas, et pendant que nous le prenions, nous causâmes avec le vieillard, âgé de plus de soixante-dix ans, mais joignant à des traits fortement prononcés un maintien ferme, qui annonçoit encore de beaux restes de sa vigueur primitive. Comme presque tous les Canadiens, sans exception, ont servi dans les guerres antérieures à la conquête, je fis tomber la conversation sur ce chapitre, toujours intéressant pour ceux qui s’y sont trouvés engagés. Au souvenir de ces scènes, beaucoup moins affligeantes pour les acteurs que l’on pourroit généralement le supposer, et dont les réminiscences font sourire la vieillesse au lieu de l’attrister, notre octogénaire sembla en effet reporté tout-à-coup au printemps de sa vie. Il fut bientôt question de la fameuse bataille de la Mal-Engueulée, comme les Canadiens la nomment, où le Général Anglois Braddock perdit la vie avec son armée; le bonhomme s’y étoit trouvé, c’étoit un beau champ à parcourir: on conçoit aussi que c’étoit un bien honnête prétexte de s’étendre sur la valeur des anciens Canadiens et sur leurs hauts faits d’armes. Ce fut en grande partie l’objet de notre conversation pendant le reste de la soirée. A ce sujet, le vieux Philémon nous fit remarquer avec naïveté, que les jeunes gens qui étoient commandés pour le service de la milice, cette année, avoient tort de se plaindre de leur sort: s’ils avoient éprouvé le nôtre, disoit-il, ils se trouveroient bien heureux d’avoir si peu de privations à souffrir. Cette réflexion venoit naturellement à la suite de la comparaison de l’état du pays, à cette ancienne époque, avec sa situation actuelle, et de la différence que cette circonstance mettoit en effet entre la condition des jeunes gens qui se trouvoient respectivement engagés dans le service militaire.[1]

Le lendemain 26 Aout, nous nous remimes en route pour aller déjeuner au Cap St. Ignace, dont le curé nous reçut non seulement avec la charité d’un chrétien, mais avec l’aménité et l’honnêteté qu’une bonne éducation sait ajouter aux vertus de son état.

Nous le laissâmes pour aller dîner à St. Pierre, sur la Rivière du Sud; c’étoit une route que je n’avois pas encore faite. L’église de cette paroisse est à deux lieues de celle de St. Thomas où on laisse le grand chemin qui régne sur les bords du fleuve, pour prendre la route pratiquée le long de cette jolie Rivière du Sud qui se jete dans le fleuve, quelques arpens au-dessus du village même de St. Thomas, et dont je vous ai parlé dans mes lettres précédentes. Rien de plus agréable à voir que les établissemens formés des deux côtés de cette rivière, de plus beau que la plaine qu’elle divise en deux rangs de concession, de plus brillant, pour un pays nouveau comme le nôtre, que l’état de sa culture.—L’économie, l’arrangement, l’esprit d’ordre et de propreté se font remarquer par-tout: je n’ai vu nulle part, dans aucune des parties de L’Amérique du Nord que j’ai parcourues, une succession aussi prolongée de bâtimens en bon ordre, ni des clôtures mieux entretenues: tout respire l’aisance du cultivateur, en même temps qu’on n’y voit aucune apparence du luxe des villes ni de celui des grands propriétaires, comme on en rencontre assez souvent dans les autres pays. Ce voyage, par un beau jour comme l’est celui-ci, et dans cette saison, est en quelque sorte, pour l’admirateur des travaux champêtres et de la belle nature, une source inépuisable d’enchantement.—Je vais essayer de vous donner une idée du superbe point de vue dont je viens de jouir.

Entre le village de St. Thomas et l’église de la paroisse de St. Pierre, on trouve un monticule qui s’élève tout d’un coup, du bord de la rivière, à plus d’une centaine de pieds au-dessus d’elle. C’est un rocher isolé, presque nud, et dépouillé de verdure, à l’exception de quelques arbustes d’une hauteur médiocre, et tirant leur subsistance du peu de terre végétale qui se trouve dans les fentes, dans de petits enfoncemens où le rocher s’est décomposé, et où l’eau des pluies entretient quelque fraîcheur. Son sommet presque circulaire est formé d’une seule roche, qui n’a guère plus de vingt pieds de diamètre. De-là on domine toutes les campagnes d’alentour, et l’on embrasse un horison immense. Le tableau que l’on a sous les yeux, de cette élévation, est vraiment enchanteur. Les campagnes environnantes paroissent divisées avec autant de régularité que les compartimens symétriques d’un jardin soigné et cultivé avec art. La rivière, qui est pour ainsi dire à vos pieds, coule entre deux rangs de maisons et de bâtimens de fermes, qui se suivent et se succèdent régulièrement, à la distance d’environ trois arpens les uns des autres. (C’est la largeur des terres.) Les maisons et les bâtimens sont presque tous blanchis à la chaux, suivant l’usage presque universel des habitans du district de Québec, et cette couleur rend le coup d’œil plus flatteur; car outre ce qu’elle a de brillant pour le spectateur, qui l’apperçoit de cette hauteur et dans l’éloignement, elle fait un contraste heureux avec le fond sur lequel tous ces établissemens se trouvent placés: d’ailleurs ce mélange de superbes prairies, de pâturages, de champs couronnés de bleds et d’autres grains, formoit dans cette saison, à raison des différens degrés d’avancement et de maturité de ceux-ci, les nuances les plus variées, depuis le verd foncé jusqu’au jaune d’or le plus éclatant; et tout cela relevé, dans le lointain, par une bordure de forêts et de montagnes, surtout au Nord où elles sont très élevées et semblent sortir du Fleuve St. Laurent, qui en baigne le pied. Je n’ai pas besoin d’ajouter que la vue de cette grande nappe d’eau ajoute beaucoup à la magnificence du spectacle. Je ne sais si tous ceux qui voudront se donner la peine de gravir ce rocher éprouveront la même satisfaction et les mêmes émotions; mais je trouvois ce tableau d’une beauté ravissante. A la vérité, le temps étoit superbe; aucun nuage, pas le moindre brouillard ne déroboient les rayons du soleil qui l’éclairoient, et, dans ce mois, les campagnes du district de Québec déploient pour ainsi dire tout leur luxe. L’air étoit pur, serein, et sa chaleur tempérée par un vent d’une délicieuse fraîcheur. Enfin il peut se faire que le plaisir que je goûtai cette journée et les précédentes, en rencontrant des connoissances de ma jeunesse, m’eussent disposé à savourer un instant le bonheur. J’eus quelque peine à m’arracher aux sensations que ce spectacle me faisoit éprouver. Pourquoi faut-il qu’un sentiment douloureux vienne vous assaillir et troubler les momens les plus doux de la vie? Dans un pays où tout porte l’empreinte de la nouveauté, on trouve des ruines! Sur la cime même de ce rocher, où la nature semble vous sourire de toutes parts, on voit des décombres! On avoit bâti autrefois une petite chapelle de douze à quinze pieds de long, et d’une largeur proportionnée, sur le sommet dont elle occupoit presque toute l’étendue; on ne l’a pas seulement laisser tomber de vétusté; la main de l’homme a été employée pour accélérer sa destruction. On en a enlevé la charpente et le toit; on a même abattu une partie des murailles. Le temps semble pourtant respecter encore les vénérables débris d’un établissement dont l’époque aussi bien que l’auteur sont inconnus, sur lesquels au moins je n’ai pu obtenir de renseignement d’aucun de ceux que j’ai interrogés à ce sujet dans mon voyage. J’ai été plus heureux dans mes recherches pour connoître les raisons qui portèrent à laisser tomber cette chapelle en ruines, et même à la démolir. On disoit que c’étoit pour prévenir des désordres et les pratiques ou idées superstitieuses de quelques-uns des pélerins qui s’y rendoient de temps à autre. Il ne m’appartient pas de prononcer sur une matière si délicate. On doit sans doute apprécier ces motifs respectables. Je prendrai cependant la liberté d’observer, à ce sujet, que la superstition est à la religion ce que l’épine est à la rose. La considération du risque d’être blessé, auquel on s’expose, doit-elle nous interdire la culture de la plus belle des fleurs, nous engager à arracher l’arbrisseau qui la produit, nous détourner de la cueillir?

L’église de St. Pierre est un assez beau bâtiment et assez spacieux; on regrette de le voir aussi éloigné de la rivière: c’est la faute du terrain qui manque presque par-tout de solidité sur ses bords. Il est généralement composé d’une argille grasse qui s’affaisse aisément le long des côtes dont le pied est lavé, surtout dans une rivière sujette à se gonfler subitement par les pluies durant l’été. Le danger est plus éminent pour de grands bâtimens en pierre tels que l’église, qui, au reste, est assez avantageusement placée sur un petit côteau dominant cette belle plaine. Le tableau du maître autel mérite d’arrêter un instant l’attention du voyageur. L’église est d’ailleurs dénuée d’ornemens.

L’on trouve dans cette paroisse un établissement formé depuis quelques années pour l’éducation. On y enseigne à lire et à écrire, l’arithmétique et les premiers élémens du latin, à une trentaine d’écoliers. Ce sont deux jeunes Ecclésiastiques qui sont chargés de l’enseignement. Cette institution a déjà produit d’heureux résultats. Le bâtiment et le terrain sur lequel elle se trouve, sont dus en grande partie, m’a-t-on dit, à la générosité éclairée d’un Mr. Gervais, habitant et seigneur d’une partie de la paroisse.[2]

Nous dînâmes avec le curé; c’étoit un jour de fête pour l’endroit, puisque c’étoit celui de l’examen des écoliers et de la distribution des prix. Nous nous y trouvâmes avec plusieurs des curés et des habitans les plus respectables de la paroisse, et des paroisses voisines. La conversation roula sur l’éducation et sur l’agriculture. Il est triste d’être obligé d’avouer que la première n’est encore qu’à sa naissance. J’appris avec regret qu’aucun des habitans de la paroisse n’envoie ses enfans à cette école. Heureux le pays, si c’étoit le seul endroit de la province marqué au coin de cette indifférence léthargique. Au milieu même de nos villes, des milliers d’enfans remplissent nos rues et nos carrefours. A peine peut-on trouver entr’eux un petit nombre de sujets qui fréquente une couple d’écoles, là même où il faudroit les décupler. Dans nos villes, cette stupeur est trop souvent, parmi les classes inférieures, le fruit de l’exemple de ceux qui occupent une sphère plus élevée; elle prend sa source dans l’immoralité et la corruption, qui se développent, au milieu de ces individus agglomérés, avec plus de rapidité et d’intensité que parmi les habitans épars des campagnes. Ici cette insensibilité tient à l’isolement dans lequel vivent les bons habitans de la Rivière du Sud, dont les vices sont assurément bien loin de gangréner les cœurs. Ces habitans, au contraire, sont vertueux autant que laborieux et économes. Mais quel prix des hommes qui ne connoissent que les champs qui les ont vus naître et qu’ils cultivent, attacheroient-ils à l’acquisition des lumières que l’éducation peut procurer?... L’établissement est trop nouveau pour avoir fixé leur attention, et ils n’ont sous les yeux aucun objet de comparaison qui puisse leur donner l’idée des avantages qu’on en peut retirer. D’ailleurs il existe ici, comme dans beaucoup d’autres endroits de cette province, un préjugé qu’il n’est pas facile de détruire. On y est, m’a-t-on dit, généralement persuadé que les habitudes contractées dans les écoles et dans les colléges font perdre le goût du travail, celui surtout des occupations de l’agriculture. On croit encore que les individus élevés dans les colléges, au sein des villes, y puisent trop souvent des sentimens de vanité, qui les font ensuite rougir de leur condition. Les enfans de la campagne qui ont été au collége croiroient, dit-on, s’abaisser et s’avilir en embrassant la profession de leurs pères, et souvent ils sont malheureux pour le reste de leur vie. Trop d’exemples justifient peut-être cette manière de penser des cultivateurs. D’autres exemples contraires, et bien capables de les encourager à suivre une autre route, ne viennent pas toujours à leur connoissance. D’abord, ceux dont les succès heureux couronnent à la fin les efforts, sont plus rares. Puis les habitans des campagnes et surtout de celle dont je parle, livrés en entier aux travaux de leur état, ne viennent à la ville que pour vendre leurs denrées: ils n’y séjournent pas; leur tâche remplie, ils viennent reprendre leurs occupations journalières. Il ne suffit pas de leurs seules réflexions, pour se convaincre que si les études nuisent à quelques hommes dépourvus d’énergie ou de mœurs, elles animent et stimulent l’industrie de ceux qui ont du talent et du courage, et que l’agriculture elle-même ne peut se perfectionner qu’au moyen de la propagation des lumières. On pourroit ajouter que l’administration a peut-être trop négligé les talens du cru du pays, ou ne les a pas assez encouragés. Or ces talens ne peuvent croître et fleurir, si l’émulation ne voit pas la carrière s’ouvrir devant elle, si elle n’est pas stimulée par l’espérance de la considération ou de la fortune. Il y auroit bien d’autres considérations à faire valoir, mais je m’écarte du sujet principal.

Pour revenir à cette paroisse, je dois dire que, quant à l’agriculture, elle y paroît bien entendue et établie sur un bon pied.—Le sol est riche, et l’on sait en profiter. Celle-ci et la paroisse voisine en remontant, sont des greniers à bled, et quoique ce soit là la principale culture de leurs habitans, on n’y néglige pas, comme on le fait en bien d’autres endroits, l’éducation des animaux: les cultivateurs tirent parti des pâturages qui y sont abondans, pour en élever et en nourrir d’une bonne espèce. Ils en fournissent aussi un grand nombre aux marchés de Québec, ainsi qu’une quantité considérable de beurre; autre objet beaucoup trop et presque généralement négligé, dans les districts supérieurs, par les cultivateurs Canadiens.

Nous nous étions proposé de laisser St. Pierre, à la suite du dîner, pour aller toucher à St. Michel. Les instances de Mr. * * *, curé de St. François, la paroisse voisine sur la même rivière, nous firent changer de résolution, et nous allâmes souper et coucher chez lui.[3] La route fut encore plus agréable que celle du matin; elle semble tracée aux avenues d’une grande ville, tant il y a de propreté, de rapprochement, et de régularité dans les établissemens formés le long du chemin, de chaque côté de cette charmante rivière. L’enfoncement dans lequel elle coule, forme une vallée large et profonde, occupant une partie de l’espace qui se trouve entre les deux églises de l’une et l’autre paroisse; et cette vallée, divisée par la rivière, est bornée par des côtes d’une assez haute élévation. C’est sur ces côtes que les habitans sont établis. La rivière serpente, dans cet enfoncement, à travers des prairies couronnées de bois de haute futaie. C’est surtout à l’endroit où la petite rivière nommée Dubuisson vient s’y jeter, que cette espèce de vallon est charmant: il est difficile de trouver, dans la belle saison, un lieu qui offre un coup d’œil plus riant.

L’église de St. François a été, comme celle de St. Pierre, bâtie à quelque distance des côtes qui bordent la rivière, et pour la même raison; parceque le terrain y manque de solidité.—Elle est placée au nord, auprès d’un rocher, sur le déclin d’une élévation pierreuse, et on l’apperçoit d’assez loin. Nous la visitâmes: le dehors n’a rien de remarquable; l’intérieur est surchargé d’ornemens en sculpture, dorure et statues, dont quelques-uns, de la main d’un sculpteur du pays (Mr. Baillargé), sont d’un bon goût, et les autres au-dessous du médiocre. Il n’y a pas un seul bon tableau dans l’église[4]. On y voit une garniture de grands chandeliers d’autel, d’argent massif; chose fort rare, si elle n’est pas unique en ce pays: ils n’ont de prix que la matière.

Le Presbytère est un grand bâtiment en pierre, dont l’extérieur, non plus que l’intérieur, ne diffère guère des habitations ordinaires de nos campagnes. J’y ai vu un tableau peint sur bois, d’environ quatre pieds de largeur sur à peu près trois de hauteur: il appartient à l’église et représente une cène. Il est beau; malheureusement il est fendu en plusieurs endroits. C’est une de ces pièces rares, qui périssent par l’incurie des personnes auxquelles le dépôt en avoit été confié précédemment.

Il n’y a point d’école pour les filles à St. Pierre; il n’y en a point pour les garçons à St. François; mais, on y trouve, pour les filles, une maison d’éducation conduite, comme presque toutes nos écoles de filles dans les campagnes, par des Sœurs Missionnaires de la communauté de la Congrégation à Montreal: elle nous a paru extrêmement bien tenue. On y enseigne à lire et à écrire à une quarantaine de jeunes personnes, de cette paroisse ou de celles des alentours, qui deviennent ensuite d’une grande ressource pour les familles d’où elles sont tirées, parce-qu’elles y rapportent l’instruction qu’elles ont acquise, et surtout les habitudes de vertu qu’elles y puisent, le goût de l’ordre qu’elles y contractent. C’est une remarque qui n’a guère échappé à ceux qui ont porté l’esprit d’observation dans leurs voyages et examiné attentivement les campagnes de ce pays, que là où il y a une mission,[5] il y régne, généralement parlant, plus de pureté dans les mœurs, comme on trouve plus d’honnêteté et d’urbanité dans les manières des habitans. Au reste, tout ce que j’ai entendu dire de ceux-ci me porte à croire qu’ils ont en effet des vertus et d’excellentes mœurs, fruits au moins d’une bonne éducation domestique, des leçons de la religion, de l’amour du travail, et des innocentes occupations de la vie champêtre.


L’Auteur voyageoit au commencement de la dernière guerre.

J’ai appris avec douleur que depuis l’époque où ces lettres ont été écrites, cet établissement languissoit et tomboit en décadence. C’est ainsi que l’éducation prospère parmi nous: tel est le cas que l’on fait des moyens que nous avons de nous en procurer. Encore, si c’étoit le seul trait de ce genre que l’on pût citer!

Ce jeune homme qui donnoit les plus belles espérances, qui promettoit de devenir un des ornemens du clergé par ses lumières et par ses vertus, a été enlevé à la vie à la fleur de son âge!

Cela peut être changé depuis; je ne sais si cette paroisse a profité de l’arrivée d’un grand nombre de tableaux depuis l’époque où ces lettres ont été écrites.

C’est ainsi qu’on nomme ces écoles.

MONTREAL.

Le système d’amélioration conçu depuis quelques années, se développe successivement dans ce District d’une manière frappante. Les encouragemens donnés à la culture des champs, à celle des jardins, à l’éducation des animaux, et au perfectionnement des intrumens aratoires, ont produit, cette année, des résultats précieux pour quiconque s’intéresse de bonne foi à la prospérité du pays. D’un autre côté, les citoyens semblent rivaliser d’émulation avec les magistrats, pour tirer le meilleur parti possible de l’assiette de cette ville et de ses environs.—De nouvelles rues ont été ouvertes; d’autres ne tarderont pas à l’être; et l’on remédie insensiblement à ce que les anciennes peuvent présenter de défectueux. L’abord du fleuve devient chaque jour plus facile, au moyen des travaux bien entendus que l’on y exécute. Ce que l’on a déjà obtenu, est d’un très bon augure pour l’avenir. L’impulsion est donnée; c’étoit-là le point essentiel: le tems se charge du reste, car il faut bien lui laisser aussi quelque chose à faire.

Il est telle ville de l’Europe, beaucoup plus étendue, plus populeuse et plus riche que la nôtre, qui se prévaudroit, devant les étrangers, d’un établissement semblable à celui que nous venons d’obtenir. Nous voulons parler de l’exécution des grands travaux entrepris par quelques citoyens de cette ville, pour faire circuler l’eau du fleuve jusque dans nos maisons; entreprise qui réunit les avantages de la commodité, de l’économie et de la salubrité, à ceux non moins essentiels de la sûreté publique: car c’est d’aujourd’hui seulement que nous aurions le remède à côté du mal, si le feu menaçoit d’exercer ses ravages dans l’intérieur de nos bâtimens. Honneur et gloire aux hommes industrieux et persévérans auxquels nous devons ce bienfait!

Tandis que l’on s’occupe des besoins des villes, on songe aussi à donner de l’importance et de la valeur aux terres de culture, en multipliant les moyens de communication dans les campagnes. Le commerce n’est pas moins intéressé que l’agriculture au succès de ces importantes opérations. Il en est une surtout que le public envisage avec une véritable satisfaction; c’est celle confiée au zèle éclairé de M M. Papineau, père, P. Wright, et E. N. L. Dumont, dans le Comté de York. Nous apprenons que ces Messieurs ont déjà fait pratiquer une superbe route sur la Grande Rivière, depuis Chatham jusqu’à Hull, qui traverse une étendue de quatre vingt sept milles, et par laquelle afflueront à nos marchés les produits des territoires les plus précieux des deux Provinces. Jamais argent n’a été mieux employé; jamais ouvrage n’a été exécuté avec plus de célérité, d’économie, et de perfection. Ces messieurs ont acquis, par leur dévouement généreux, de nouveaux titres à l’estime et à la reconnoissance de leurs compatriotes.

Le défaut d’espace ne nous permettant pas de nous étendre davantage, nous nous proposons de revenir sur le chapitre des améliorations dans notre prochain numéro.

H. M.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected or standardised. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

[The end of L'Abeille Canadienne Issue 08 of 12 edited by Henri-Antoine Mézière]