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Title: Fleurs sauvages

Date of first publication: 1910

Author: Léonise Valois (1868-1936)

Date first posted: Feb. 5, 2018

Date last updated: Feb. 5, 2018

Faded Page eBook #20180208

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Au lecteur

Table des matières

FLEURS SAUVAGES

POÉSIES


ATALA

FLEURS SAUVAGES

POÉSIES

MONTRÉAL

Librairie Beauchemin Limitée

79, rue Saint-Jacques


Offrande

A mes amis.

Mes vers, vous les voulez, à vous donc je les donne
Avec mon amitié,
Et que votre indulgence, amis, me les pardonne
S’ils vous font trop pitié.
Faites leur bon accueil, ce sont d’humbles fleurettes
A l’obscure valeur,
Ecloses dans ce bois aux intimes cachettes
Qui se nomme le cœur.
Je leur aurais voulu plus de coquetterie
Mais, je les vois trembler!
Si vous ne trouviez pas leur grâce assez jolie
Pour les en rassurer.
Considérez un peu leur nature sauvage
Et leur humilité,
J’ose vous demander bon cœur et bon visage
Pour leur timidité.
8Et si trop de rosée a couvert leur faiblesse
D’un voile de regrets,
Il leur faut bien porter le deuil de ma jeunesse
Pour les yeux indiscrets.
Elles n’aspirent point à ce succès de gloire
Des parfums enivrants,
A vous de découvrir ce qui rend méritoire,
La fleur des bois, des champs.
Mes vers, vous les voulez, à vous donc je les donne
Avec mon amitié,
Et que votre indulgence, amis, me les pardonne
S’ils vous font trop pitié.

9

Le Réveil[1]

A Antonio Pelletier.

Mon cœur est un oiseau meurtri
Souffrant encor de sa blessure,
En l’éveillant, il a gémi
Puis s’est rappelé sa nature.
Ses ailes ont perdu l’essor
Et vers le ciel bleu qui le tente
Il voudrait s’envoler encor
Mais appréhende la descente.
Ses notes n’ont plus cet accent
Où vibrait sa vive tendresse,
Il s’en rend compte et se repent
D’avoir autant de hardiesse.
Malgré tout, il voudrait chanter,
Et dans l’effort de cette lutte
Il ne parvient qu’à soupirer
Le trouble auquel il est en butte.
Ma muse ingrate ne veut plus
Régler les cordes de ma lyre
Et dans ce désordre confus
Je vous fais part de mon martyre.

10

Migration d’Oiseaux

Petits oiseaux, cher peuple heureux,
Qui dédaignez le terre-à-terre,
Pourquoi vous faut-il d’autres cieux
Avec un climat moins sévère?
Vos gais trémolos sont si doux,
Qu’on les croit un besoin pour l’âme;
Si vous ne chantez plus pour nous,
Il nous faudra d’autre dictame.
Pourquoi partir quand on vous aime;
Nos cœurs voudraient vous retenir;
Pourquoi la nature elle-même
Vous porte-t-elle à vous enfuir?
Partez, partez, petits oiseaux,
Ne retardez plus le voyage;
Le vent a courbé les roseaux,
Et l’hiver fera bientôt rage.
Quand vous reviendrez au printemps,
Vous aurez d’autres cantilènes,
Si vous trouvez des changements
Vous adoucirez d’autres peines.
11Car durant votre longue absence,
Combien d’âmes s’envoleront!
Dans un mystérieux silence,
Que de bonheurs se flétriront!
Et si le sort garde un sourire
Pour certains favoris qu’il sert,
A côté des cœurs en délire,
Combien d’autres auront souffert!
Partez, partez, cher peuple heureux,
Sans trop regarder en arrière,
Car votre chant toujours joyeux
Deviendrait une plainte amère.
Puis, vous nous reviendrez, sans doute,
Avec plusieurs autres chansons,
Que vous recueillerez en route
Pour bercer nos illusions.

12

Un Rêve

Pour le concours de Gaétane.

J’ai rêvé pour nous deux d’un éternel printemps
Avec un soleil d’or égayant la colline,
Ou nous allons souvent lorsque le jour s’incline,
Tout émus, contempler les déclins éclatants.
Sur le riant plateau que le zénith domine,
A l’ombre des vieux pins qui bravent les autans,
Nous y ferions bâtir à l’épreuve du temps
Un asile au bonheur, à l’extase divine!
Nous verrions là des ans dénier l’heureux cours;
Seul le babil des nids troublerait le silence
De ce très doux séjour borné dans sa distance.
Des rosiers fleuriraient sans craindre les retours
Des âpres vents d’automne, et notre amour immense
Captif en cet Eden, rayonnerait... toujours!

13

L’Envol de Gabrielle

A Madame Chas. F. Lalonde.

Où va donc ce souffle d’amour,
Souffle parfumé d’innocence,
Quittant ce terrestre séjour
Dans un mystérieux silence?
Où va donc se perdre à jamais,
Cette âme timide et légère,
Ne laissant d’elle que regrets
Dans le cœur brisé d’une mère?
Ah! sous les voûtes éternelles,
Dans ce lieu brillant de splendeur,
Il se fit un déploiement d’ailes
Les anges réclamaient leur sœur.
Mais quand Dieu permit de cueillir
Cette âme-sœur, fleur de mystère,
A leur séraphique désir
Répondit un sanglot sur terre.
L’ange, de cet ordre chargé,
Cherchant une âme, la plus belle,
Dans sa prière a murmuré
Le nom béni de GABRIELLE.

14

Rayons, Papillons et Fleurs

A l’intention d’une jeune fille.

Les fleurs s’effraient des doux rayons
Qui semblent rechercher leur ombre,
Et c’est la faute aux papillons
Qui leur font un destin trop sombre.
Pourtant, si les uns sont méchants
Et les froissent par purs caprices,
Les autres, toujours bienfaisants,
Ne leur apportent que délices.
Car si le papillon meurtrit
La fleur sous sa feinte caresse,
Le doux rayon toujours sourit
A l’amour pur, à la tendresse.
Es-tu rayon ou papillon?
Es-tu lumière ou luciole?
Toi, dont je veux savoir le nom
Tant je redoute un dieu frivole.
Papillon! fuis-moi, je te crains!
Je me soustrais à ton empire,
Je trouve tes charmes trop vains
Pour leur accorder un sourire.
Rayon! toi qui fais de velours
Le rêve d’une Sensitive
A toi d’illuminer toujours
Son Idéal... afin qu’il vive!

15

Nos Petits Souvenirs

Ils sont là, tout vivants, mes plus chers souvenirs,
Ils sont là relégués au fond de leur demeure,
Coffret aux vieux chiffons de regrets, de plaisirs,
Qui font qu’en les voyant, l’on sourit ou l’on pleure.
Reliques! doux trésors! que dites-vous tout bas
A la femme qui songe et près de vous soupire?
Des mots mystérieux qui ne s’expriment pas,
Mais provoquent toujours une larme, un sourire.
Vous dites qu’ici bas, tout se change en douleur,
Que le plus beau rêve est une pure folie,
Un mirage trompeur, et que de notre cœur
Tombe l’illusion, même la plus chérie.
Vous êtes là vivants, mes tendres souvenirs,
Je veux vous contempler, pieux débris que j’aime,
Vieux chiffons tout remplis de regrets, de plaisirs,
En chacun, je retrouve une part de moi-même!

16

A Botrel

L’âme de ta patrie a pénétré notre âme,
Et son cœur par tes chants a fait vibrer nos cœurs,
O poète breton! De ton souffle de flamme
S’échappent en rayons ses exquises senteurs.
Tous déjà, nous l’aimions ce pays qui t’est cher,
Avec sa lande verte et ses rudes montagnes,
Ses granits tant vantés et son étrange mer
Qui sanglote toujours le deuil de vos compagnes.
Combien nous aimerons les contes des lits-clos,
Les légendes des vieux de la côte bretonne,
Nous aimerons bien plus ce fier peuple en sabots
Que ta chanson nous dit avoir l’âme si bonne!
Déjà, tu veux partir!—Avec profond regret
Nous verrons s’éloigner de la France nouvelle
Le barde très gaulois, la fileuse au rouet
Dont le charme enchanteur rend ton œuvre plus belle.
O ta douce Bretagne où l’on chante, où l’on prie!
Il te tarde revoir le cher sol de Port-Blanc,
Son clocher et ses rocs embellissant ta vie
Avec les braves gens que ton cœur aime tant!
17Barde! j’évoque ainsi votre patrie absente,
Pardonnez-moi tous deux, ô gentils troubadours,
Car c’est bien elle enfin, que votre voix vibrante
Chante en accents émus. Beau pays de velours!
Mais tu verras Québec aux vieux murs lézardés,
La ville aux souvenirs te semblera bretonne
Peut-être, et si tu vas à la Côte Beaupré
Sainte Anne te dira qu’elle est notre patronne.
Trop tôt, vous partirez au pays de St-Yves
Humer l’air des ajoncs! A “Ti-Chansonniou”
Vous parviendront encor les parfums de nos rives
Doux pinson et fauvette, amis, souvenez-vous!

18

Le Don des Larmes

Pleurer est doux, pleurer est bon souvent.

(Hugo).

Madeleine, écrasée au pied du saint gibet,
Frémissante, éperdue y versait en silence
Des larmes de douleur. Ce langage muet
Toucha le Divin Maître expirant de clémence.
Son Ame en fut émue et trouva le secret
De consoler les cœurs, ne trouvant d’espérance
Qu’en Lui seul et sa Croix. O salutaire effet
De la pitié d’un Dieu qui vit cette souffrance!
Alors, se rappelant que la femme eut pour lot
La faiblesse et les pleurs, Il bénit le sanglot,
Il mit de la douceur dans ce vrai don des larmes.
Et l’âme au ciel obscur s’éclaira du pardon,
C’était après la pluie un effet de rayon,
Tout cœur qui se déchire en savoure les charmes.

19

Calendrier

Le vieux calendrier a fait place au nouveau,
Car de la nuit des temps naît une aube nouvelle,
Et ses premiers rayons brillent sur le berceau
De l’année au matin, qui veut paraître belle.
Toi, dont le seul aspect porte à nous recueillir,
Joli calendrier à la fine parure,
Quel est donc ton secret? Et ces jours à venir
Doivent-ils donc changer l’homme avec la nature?
Les arbres au printemps donneront leur feuillage,
Dans les nids reverdis les oiseaux reviendront,
Dans les bois, dans les prés, vibrera leur ramage,
Insouciants comme eux, les enfants chanteront.
A l’été, le soleil au ciel bleu qui rayonne
Réchauffera la terre et les fleurs rougiront
Sous cet ardent baiser; si la saison est bonne
Pour tous les amoureux, les belles souriront.
A l’automne doré, se courberont les branches,
Les feuilles en mourant des arbres tomberont,
Le ciel sera plus gris, les nuits seront plus blanches,
Et contemplant les fruits, les mères songeront.
20Puis quand viendra l’hiver, et sa neige éclatante,
Le froid glacera tout, les ondes se tairont,
Mais au fond des vieux cœurs une source brûlante
Ne saurait refroidir, les vieilles pleureront.

Noces d’Or.

Avec cadeau à des vieillards-amis.

Bénis les cœurs aimants qu’un nœud sacré resserre
Au début de leur vie! Ils vont heureux sur terre
Sous le regard de Dieu, l’un pour l’autre, un trésor!
Et leur amour bien mûr rayonne aux Noces d’Or.

21

Départ d’Ange

A Madame Théo. Bourdeau.

Il s’est levé pour vous un jour plein de souffrance
Où vous avez pâli sous l’atroce douleur,
Ce morne jour a fui vous ôtant l’espérance
De ravir à la mort votre ange de bonheur.
Que vous avez souffert de ce brusque départ!
Du petit chérubin au regard si limpide,
Qui de votre existence avait pris une part
Et dont il reste hélas! un triste berceau vide!
Un pur et saint espoir calme la peine amère
Ces anges, Dieu les place en un heureux séjour,
Pourquoi lui préférer notre monde éphémère
Parsemé des chagrins qu’on cueille chaque jour?
Ne regrettez donc plus sa présence si chère,
Sur cette âme d’élite, ah! pourquoi tant pleurer?
Heureux l’être innocent qui n’a vu que sa mère
Et s’endort pour toujours sous son chaste baiser!

22

Idéales Sympathies

Un jour, le Rêve ailé planant dans le ciel bleu,
Tout comme un libre oiseau qui dédaigne la terre,
Songeait dans son envol au long regard de feu
Des étoiles du soir se voilant de mystère.
Le bonheur, pensait-il, doit se trouver ici,
Dans ce stellaire Eden, d’où s’échappe la flamme,
La clarté, la chaleur, le rayon adouci,
Qui pénètre le cœur, émeut l’esprit et l’âme.
Et dans l’immense éther où se déploient mes ailes,
Dans ce vol aérien où flottent mes désirs,
Le souffle de ma vie aux sphères éternelles
Porte en hommage à Dieu mes chants et mes soupirs.
Je ne descendrai plus dans ce pays des fleurs
Où les papillons fous chagrinent tant les roses,
Les perles de l’azur ne troublent pas les cœurs
Et les rayons du ciel ont la pitié des choses.
.    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    
23Ainsi pensait le Rêve enivré de délices,
Quand soudain de la terre, il monta des sanglots;
Et ces bruits douloureux étaient sans artifices,
L’amertume d’une âme en débordait à flots.
Le Rêve n’y tint plus, et vers cette souffrance
Il dirigea son vol. Quittant là l’idéal
Et ses charmes divins, vers la voix il s’élance,
Oubliant un moment le monde sidéral.
.    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    
Dans un buisson fleuri que longe un sentier vert
Errait seule en pleurant la Douleur éperdue;
Elle avait fui la foule et libre en ce désert
Confiait aux échos sa peine contenue.
La solitude est chère à qui voudrait pleurer;
Les regards indiscrets intimident les larmes,
Sur un frêle rameau que le vent fait trembler,
Les gouttes de cristal ont tout l’attrait des charmes.
La triste inconsolée, entière à son chagrin,
Goûtait peu la nature et son gai paysage,
Car pour elle les fleurs n’avaient plus de parfum
Et les oiseaux des nids n’avaient plus de ramage.
24Seule, la brise tiède en caressant son front,
Retrouvait dans son âme un écho de sa plainte,
Et les feuilles tout bas mêlaient leurs doux frissons
Aux émois violents dont elle était étreinte.
.    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    
Le Rêve sympathique à la pauvre Douleur,
Survint en soupirant, la toucha de son aile,
Un colloque expansif et de vibrante ardeur
Les enivra d’amour et LUI fut épris d’ELLE.
.    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    
Et, depuis lors, on voit dans toute solitude
Que le Rêve exilé recherche tristement
Une nymphe songeuse; Et sa morne attitude
Dit que c’est la Douleur qui l’appelle et l’attend.

25

Lis de Pâques

Au Dr et à Madame Camille Bernier.

Au doux jardin de vos amours,
Deux beaux lis avaient pris racine,
Deux lis du plus brillant velours
Balançaient leur grâce câline.
Vos soins délicats, caressants,
Devaient garder vos chères plantes,
Horticulteurs, zélés, aimants,
Contre les rafales méchantes.
Pour l’une, la brise glacée
Hélas! rendit vos efforts vains;
Et sa blancheur immaculée
Craignit le contact des humains.
Pour l’autre, un brasier effroyable
En un consumant tourbillon,
Fit en un jour inoubliable
D’un beau lis, un lambeau sans nom...
26Dans un rayon d’aube pascale,
Le souffle d’Adine monta,
Et sa corolle virginale
Sous vos chauds baisers se fana.
Thérèse, la fleur de martyre,
S’en alla parfumer les cieux
A l’heure où le luth et la lyre
Pour Pâques préparaient leurs jeux.
Les célestes alleluias
Ont donc des allegros étranges,
Puisque les beaux lis d’ici-bas
Se brisent aux accents des anges.
Au pays des fleurs immortelles
Vos lis pascals, toujours brillants,
Verseront en faveurs nouvelles
Leur parfum dans vos cœurs saignants.

27

Paysage de Velours

A mes parents et amis de Vaudreuil.

Il est un coin charmant, à nul autre pareil,
Qui produit sur mon cœur un effet de soleil,
Quand mes regards ravis ont cette heureuse chance
De l’aller contempler aux lieux de mon enfance.
C’est une pointe fière au site merveilleux
Qui voit luire à midi trois clochers glorieux,
A ses pieds, un beau lac pleure, chante ou soupire,
En déroulant ses flots vers le point qui l’attire,
Tel un poète aimant qui promène, rêveur,
Un amour incompris qui torture son cœur.
Et je vais tous les ans revoir la pointe-reine
Dont la beauté m’émeut dans sa grandeur sereine.
Un groupe de vieux pins, vainqueurs d’âpres autans,
Dressent près du chemin leurs faîtes triomphants;
De leurs rameaux émane un parfum balsamique
Qui porté par le vent semble un encens mystique.
On communie alors aux purs baisers du ciel
Prodigués à la terre à ces banquets de miel,
Et notre idéal monte en cet endroit de rêve;
Plus haut que le ciel bleu doucement il s’élève,
Au royal Créateur de ce lieu favori,
28L’âme adresse tout bas son plus tendre merci!
Je voudrais vivre là, sous la douce caresse,
D’une nature belle, heureuse enchanteresse,
Qui calme nos douleurs en colorant nos jours
Du vert de l’espérance aux effets de velours;
Vivre son existence auprès des cœurs qu’on aime,
Et non loin du clocher où sonna son baptême,
Noyer tous ses soucis dans le grand lac profond
Qui nous sourit, quand même, ayant sa lie au fond;
Revivre ses bonheurs dans leurs rayons d’aurore,
Loin du souffle méchant qui nous les décolore,
Puis s’endormir un jour au doux chant des oiseaux
Qui bercent leurs amours à l’ombre des rameaux,
A l’heure où le soleil descend dans l’orbe rose
Derrière les monts bleus quand s’endort toute chose
Sur l’oreiller divin. Moi je trouve idéal
Ce joli coin d’Eden: la Pointe Cavagnal! (Vaudreuil).

29

Sur l’Eau

Le blanc bateau voguait sur le fleuve royal,
Gracieux comme un cygne,
Sa coque si jolie au mouvement égal
Bravait l’onde maligne.
Vers l’horizon lointain, l’astre d’or avait fui,
Jetant ses diaprures
Sur les plaines, les monts à l’aspect infini,
Dans toutes les ramures.
La pénombre déjà, sur le flot en éveil
Répandait son mystère,
La nature semblait préparer son sommeil
En disant sa prière.
Dans l’abîme entr’ouvert, il me semblait entendre
La Sirène du Mal,
Ses appels séduisants, sa voix qui se fait tendre,
Son triomphe final.
30Oui, le cœur sans appui roulant dans le noir gouffre
Périrait sûrement,
Si Dieu n’était pas là près de l’âme qui souffre
Pour l’aider doucement.
Puis je pensais encore: Et notre volonté,
Quelle est donc sa faiblesse?
Quand il s’agit de l’âme et de l’éternité
Plus grande est sa détresse!
O Dieu! délivrez-nous du péril qui fascine,
De ses appâts trompeurs,
Et sauvez du naufrage à votre voix divine
Nos âmes et nos cœurs!

31

A Deux

A une amie,

à l’occasion de son mariage.

Les vainqueurs de la vie
Sont ceux
Qu’un tendre chaînon lie
A deux.
Ils sont par sympathie
Heureux,
Leur amour est folie
A deux.
Car tout est ambroisie
Pour eux,
Leur bonheur s’édifie
A deux.
Point de mélancolie
Chez eux,
Quand on aime, on oublie
A deux.
32Ils vont bravant l’envie
Joyeux,
Le monde, on s’en soucie,
A deux.
Un nid—chose chérie
Par ceux
Qui partagent la vie
A deux.
Et l’on trouve jolie
Et mieux,
La chambrette embellie
A deux.
L’âme à l’autre âme unie
Doux nœud!
Existence ravie,
A deux.
Cœur à cœur qui s’allie
Tels vœux
Sont une garantie
A deux.
O joie épanouie
Aux lieux
Où l’on Te remercie
A deux.
33Lève ta main bénie
Sur eux,
Roi d’Amour, on t’en prie,
A deux.
Puis à l’heure infinie
Des cieux,
Tends une main amie
Aux deux!

34

Les “Voix Etranges”

Au Dr L. H. Roy, Lowell Mass.

Avant de t’en parler, j’ai voulu tout le lire
Ce livre de mystère où s’épancha ton cœur,
Et les touchants accords de ta vibrante lyre
M’ont fait rêver de gloire au front de son auteur.
Es-tu donc un oiseau? doux frère des mésanges,
Vocalisant en l’air des sons mélodieux?
Ton gosier se fait-il l’écho de “voix étranges”,
Qu’il glane en ton essor léger et gracieux?
Et ta plume secoue un trésor d’harmonie
Puisé dans le ciel bleu, dans l’onde ou le rayon,
Aux lèvres de la nuit, de la lune pâlie,
Quand descend sur les bois le silence profond.
Avec toi, j’ai monté sur l’aile de la brise,
Les étoiles d’argent m’ont doucement souri,
Et je ne voyais plus la triste terre grise,
Tant tu m’entraînais haut, dans ton envol hardi.
Ecoute, m’as-tu dit, les voix de la nature,
Voix de vague ou de vent, voix d’ombres dans la nuit,
Voix de fleurs, voix de nids, voix de la créature,
Voix de l’âme où s’entend la voix de Dieu, sans bruit.
Veuillez ouïr la voix pleine de sympathie
Qui vous dit: J’ai goûté. Vive la Poésie!

35

La Voix des Pins

A l’intention de Mesdemoiselles E. et A. Bourbonnière.

Souvenir d’une villégiature à Dorion.

Les vieux pins de l’île enchantée
Ont fredonné bien des refrains,
D’accord avec la gent ailée,
D’accord avec les cœurs humains.
Chantez, chantez, vieux pins!
Notez bien nos tendresses,
Avec des mots divins
Chantez nos allégresses.
Les vieux pins de l’île enchantée
Ont répété les doux propos
Des amoureux sous la feuillée,
Les pins sont d’indiscrets échos.
Parlez, parlez, vieux pins!
Chantez-nous ce ramage,
Pour les plus douces fins
Livrez-nous leur langage.
36Les vieux pins de l’île enchantée
Ont soupiré bien des regrets,
Vibrant la note inconsolée
Ils ont trahi de chers secrets.
Pleurez, pleurez, vieux pins!
Sympathiques aux grèves,
Sanglotez nos chagrins,
Le trépas de nos rêves.
Les vieux pins de l’île enchantée
Ont caressé bien des espoirs,
Leur sainte prière embaumée
A su ranimer les devoirs.
Priez, priez, vieux pins!
Modulez nos croyances,
Dieu bénit les destins,
Bercez nos espérances!

37

Le Parfum de Grand Prix

Dédiée à Madeleine de “La Patrie”.

Dis, Madeleine aimante, est-ce l’acte si doux
De verser sur le Christ de très purs aromates,
Qui te valut à toi, pauvre cible à courroux,
Le “regard” qui ravit tant d’âmes délicates?
Quand ton vase en albâtre eut vidé sa richesse
Sur la tête du Maître, en causant tant d’émoi,
Fallait-il encor plus pour gagner sa tendresse?
Etait-il suffisant ce tribut de ta foi?
Au Rabboni d’amour, il fallait davantage
Pour l’incliner vers toi. Pour l’oubli du passé
Il fallait à Jésus un ravissant hommage,
Ton repentir trouva le don d’un cœur brisé.
Des flancs ouverts de l’urne un parfum d’un grand prix
Monta comme un encens d’une douceur exquise
Vers le plus grand des cœurs! Ton amour fut compris
O femme! et par ces mots ta place fut conquise.
“Beaucoup lui sera pardonné
Parce qu’elle a beaucoup aimé”.

38

Sonnet

A “quelqu’un”.

Je ne suis qu’une oiselle à l’envol téméraire,
J’ai connu les festins de soleil et de fleurs,
Et si je prends ma part du zéphir littéraire,
C’est qu’avec lui, je ris du sort, de ses rigueurs.
Vous ne savez donc pas qu’il nous faut satisfaire
Cette soif de divin qui dévore nos cœurs,
Ce besoin d’idéal, nous ne pouvons le taire,
Il vibre en notre voix, il éclate en nos pleurs!
De l’aigle, vous avez l’étonnante envergure,
Mais son œil qui saisit dans sa rapide allure
Ce qui rend les oiseaux fiers et forts, l’avez-vous?
Ma plume est un duvet, la vôtre est une armure,
Si vous comprenez l’art de cette lyre pure
Qu’est la Muse des Vers, que n’êtes-vous... plus doux?

39

A la Reine du Printemps

Tous les parfums de Mai mêlent leur odeur brève
Aux effluves du Ciel qui nous font tressaillir,
Vers ton trône d’azur notre regard s’élève,
Douce Vierge royale, et te voit nous bénir.
Laisse monter vers Toi notre mystique rêve,
En ces jours de soleil, d’ardeur et de désir,
Le renouveau du cœur, c’est la vernale sève
Qui féconde notre âme et la fait refleurir.
Les tempêtes ont fui devant ton bel empire,
Ton suave regard et ton divin sourire
Ont rejeuni la terre, ô Reine du Printemps!
Tourne vers nous tes yeux, doux rayons de l’aurore!
Pour vaincre de nos cœurs le froid qui règne encore
Mère! à nous le baiser qui chasse tous les vents!

40

Madame de Champlain

(Tricentenaire de Québec).

Lorsque ce fier marin d’héroïque mémoire,
Samuel de Champlain, s’embarquait pour les mers,
Et venait sur nos bords commencer notre histoire,
Ne songeant qu’aux succès, ignorant les revers,
Dans ce port de Honfleur qui marqua l’heure sainte
D’un départ périlleux aux horizons nouveaux,
Une femme, une enfant, exhalait dans sa plainte
Le regret de ses jours les plus doux, les plus beaux.
Et maintes fois depuis, dans ces grands ports de France,
L’épouse de Champlain déversa sa douleur,
En soupirant longtemps de sa désespérance
A donner libre essor aux ailes de son cœur!
Et lorsqu’enfin vaincu par la vive prière,
Le cher explorateur se rendit aux raisons
D’une âme généreuse, ardente auxiliaire,
La France, d’une perle, enrichissait ses dons!
Madame de Champlain, à son vœu fut fidèle,
Et l’enfance sauvage, apprivoisée au bien,
A travers la forêt, par des chants appris d’elle
Rendit hommage à Dieu sur le sol canadien.
Le Canada sourit à la Vertu féconde
Qui venait sous son ciel prier à son berceau,
Modeler dans ses plis l’âme du Nouveau Monde
Lui promettre la vie au-delà du tombeau.
Les fils des preux français, fiers de leurs origines,
Au seul nom de Champlain tressaillent de plaisir,
Filles du St-Laurent, fêtons nos héroïnes,
A sa Compagne, offrons la fleur du Souvenir!

41

La Tête et le Cœur

Deux puissants souverains, depuis longtemps hostiles,
Résolurent un duel. L’émoi fut général,
Car les deux rois rivaux ayant prestige égal,
Rêvaient la palme d’or pour leurs causes subtiles.
Moi, dit la Tête fière, à mon appoint j’aurai
Tous les traits lumineux des savants et des sages,
Tous les actes d’éclat qui marquèrent les âges
D’un sillon glorieux et par eux, je vaincrai!
Et le Cœur aimant dit: Pour mon support, j’aurai
Des mères tout le zèle et les soupirs des vierges,
Le sang pur des martyrs et tombant sous les verges
Une Chair adorable et par eux, je vaincrai!
Les monarques luttaient, lorsqu’entre eux deux tomba
Une femme éperdue et poussant dans sa chute
Un long cri douloureux paralysant la lutte,
Un cri doux et profond... et le Cœur l’emporta.
Envoi

Pour vous, mon noble ami, qui trouvez l’équilibre
Si facile à garder de la tête et du cœur,
Sachez que chez la femme, il est à son honneur
Le triomphe du Roi qui si puissamment vibre!

42

La mort du Poète

A la mémoire de Louis Fréchette.

Si les cœurs qui t’aimaient t’ont fait un lit de roses,
Et consolé ton âme avec leurs dons de foi,
Leur tendresse à ta gloire a prodigué ces choses
D’espoirs et de regrets, dans un élan d’émoi.
La Nation en deuil voit sur tes lèvres closes
Expirer les doux chants de son poète-roi!
La Nature en amie, avant que tu reposes
Quand tu brisas ton aile, a sangloté sur toi.[2]
Tes accents se sont tus, mais ta sublime lyre
Aura son noble écho dans nos cœurs en délire
Aux heures de triomphe, aux jours d’adversité.
Du grand sommeil tu dors! mais ton esprit demeure
Bien vivant dans ton œuvre, et ne crains pas qu’il meure;
Ton nom brille au soleil de l’Immortalité!

43

Les Ombres

1er Novembre.

Dédiée à ma mère.

Ombres! que nous voyons errer dans la demeure
Où jadis vous goûtiez le doux bonheur d’aimer,
Revenez, revenez, en ces jours où l’on pleure,
Ecouter nos propos à l’ombre du foyer.
Ombres! que nous voyons flotter dans les ténèbres,
Les soirs où tout se tait, quand le vent seul gémit,
Revenez, revenez, et dans vos chants funèbres,
Dites-nous vos secrets, à l’ombre de la nuit.
Ombres! que nous voyons planer sur nos misères,
Nos ennuis, nos chagrins, nos regrets, nos douleurs,
Revenez, revenez, nos pleurs sont des prières,
Car l’oubli ne croît point à l’ombre de nos cœurs.
Ombres! que nous voyons s’agiter et se plaindre
A travers les cyprès, je reconnais vos voix!
Revenez, revenez, qu’auriez-vous donc à craindre
Chers hôtes de la tombe à l’ombre de la Croix?
Ombres! que nous aimons, vous revenez sur terre
Réclamer de nos cœurs un tribut immortel,
Montez, montez, dès lors, vers le Dieu de Lumière
Vivre une éternité à l’ombre du beau Ciel!

44

Compensation

Lorsque le Créateur, de son geste sublime,
Eût tiré du néant la Nature et son Roi
Il dit “Faisons la Reine” et que nul sombre abîme
Ne les sépare point; c’est ma vivante loi.
Dès lors, Il verse aux Uns, puis Il prodigue aux Unes
Les charmes et les dons qui les feront s’aimer
D’un amour mutuel; mais Il rendit communes
Leurs peines avant tout, les priant de s’aider.
Il façonna les cœurs, inventa la parole,
Sourit à leur penchant et comprit leur amour,
Puis voulut consacrer par un double symbole
Leurs meilleurs sentiments, nés dès le premier jour.
Et pour mieux compenser la Force et la Faiblesse,
Pour se moquer du Diable et de sa lâcheté,
Fit aux futurs vaincus un don plein de tendresse
Aux femmes la Douceur, aux hommes la Bonté!

45

Les Lettres

Peut-on jamais savoir ce que vaut une lettre,
Comment apprécier ses mystérieux plis?
Tous les mignons péchés qu’elles ont fait commettre
Quand s’exalte parfois la folle du logis.
On peut bien en parler, puisque c’est chose sûre,
Pour deux lettres d’affaire, il en est dix d’amour
Que la poste promène en sa tournée obscure,
Billets écrits la nuit, billets livrés le jour.
Les grands esprits virils font fi des douces choses,
“Time is money” d’abord... Que leur calcul est froid!
Les chiffres épineux, valent-ils bien les roses
Qu’on sème au vent léger, sans trop savoir pourquoi?
46On dit si bien qu’on aime, on croit pouvoir l’écrire,
Si l’âme des affaires est vraiment le secret,
Tous les secrets de l’âme, ah! pourquoi donc les dire?
Mais le cœur est si fou qu’on le voudrait muet.
Le délicieux refrain de la Vieille Romance
Est écrit sur nos fronts, est écrit dans nos yeux,
Son décalque en principe est de divine essence,
Buriné dans nos cœurs par l’Artiste des Cieux!

47

Les Ruines

Madame Chas W. Duckett)

Souvenir d’une excursion à Rigaud.

Nous longions un chemin, non loin de la montagne,
En savourant à deux l’air pur de la campagne,
Nous avions cru tout voir du village charmant
Et nous nous en allions, sans regret, en causant;
Nous discutions nos goûts sur nos fleurs favorites,
Tu cueillais les muguets et moi les marguerites,
Nous parlions du passé, de nos chers souvenirs,
De notre enfance heureuse et de ses doux plaisirs;
Et notre intimité faisait cause commune
De mes soucis présents, de ta bonne fortune,
Nous devisions aussi sur le grand mot “Bonheur
Qui sert à définir les mystères du cœur.
Nous pressâmes le pas—la chaleur était grande—
Des ruines! m’écriai-je, et nulle autre demande
Ne t’allât supplier; nos goûts s’étaient compris,
Nous gravîmes la côte, et les agneaux surpris
Fuyaient le vert sentier pour bondir dans la plaine,
Nous pardonnant ainsi d’envahir leur domaine.
De l’antique château, les vieux murs sont debout,
Un air de vétusté se répand sur le tout,
Et l’encens du silence émanant de ces pierres
Se mêle aux bruits confus qui semblent des prières.
48Les marronniers en fleurs ont gardé le cachet
Des amoureux propos échangés en secret,
Et ces rameaux noués sont toujours les symboles
Des tendres cœurs épris se liant sans paroles.
Tout nous parle sans voix! Seul le babil des nids,
En cet endroit désert confond son gazouillis
Aux ondes du ruisseau qui, près de là, murmure
Un air dans l’hymne doux de la grande nature.
Et notre esprit songeur peuple de souvenirs
Ce lieu tout saturé des plus riants plaisirs.
Vous réveillez la mort, âmes douces des choses!
Au soleil de la vie, en des apothéoses,
Les âmes des aïeux viennent se ranimer,
Les cœurs vibrent encor du doux bonheur d’aimer!
Et notre rêve ému, sous l’effet de ces charmes,
Croit voir tous leurs regrets se noyer dans leurs larmes!
C’était déjà le soir—Nous songeons au départ,
Tout le déclin du jour se dessine avec art
A l’horizon vermeil. Par toute la colline,
Tout être fait mystère et doucement s’incline.....
.    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    
Je t’offre ce camée où j’ai mis de mon cœur,
Ne vas pas t’attrister de sa morne couleur
Car son relief est fait sur fond de sympathie
Et je ne l’ai sculpté qu’à ta demande amie.

49

Chante!

Si le doute en ton âme a jeté son poison,
S’il distille en ton cœur sa fièvre consumante,
Combats en ton esprit l’étreinte du frisson,
Et bois à forte dose un lait d’espoir et chante!
Si le doute en ton âme est devenu volcan,
Si de ton cœur jaillit une lave brûlante,
Arrache ton esprit au soufre suffocant,
Etouffe ton chagrin sous cette cendre et chante!
Si le doute en ton âme est un affreux cancer,
Qui va prendre en ton cœur sa racine souffrante,
Défends à ton esprit d’éterniser... l’enfer,
Assourdis ta douleur, trompe ton mal, et chante!

50

Le Prêtre

A mon frère l’abbé H. Valois.

J’ai le profond respect du grand mot Sacerdoce,
Je m’incline à ces mots: “Le Verbe s’est fait chair”.
Ils contiennent la paix, la lumière et la force,
Sont le symbole pur d’un Credo ferme et clair.
Le Prêtre! on le vénère; en toi je le contemple,
Lorsque devenu Christ, tu parais à l’autel,
Mais je prie et j’ai peur pour le héros du temple,
Il doit être divin pour nous ouvrir le Ciel.
Que tu sois l’âme ardente au noble sacrifice,
Puisque l’âme d’un prêtre en lui prend sa valeur,
C’est être moins indigne en buvant au Calice
Et d’un sang généreux, tu rempliras ton cœur.
Que tu sois l’esprit juste, éclairant de sa flamme
Les esprits recherchant la route du devoir;
Sois le soldat du Bien; tu sais le prix d’une âme,
Fais que ta voix l’arrache au Mal, au Désespoir.
51Que tu sois le cœur bon qui soulage et console,
Que de secrets jetés en ce profond tombeau!
Il est si bon d’entendre une sainte parole
Qui pardonne et relève en un geste si beau!
Sois béni dans ton œuvre, et qu’elle soit féconde,
Le Christ a dit: “C’est Moi qui suis la Vérité,”
La Voie, aussi la Vie, et Nautoniers du Monde,
Vous avez la clef d’or de notre Eternité!

52

Les Midinettes

Midi! c’est l’Angelus qui sonne,
Les abeilles ont sursauté,
Saisissant le temps qu’on leur donne,
Un cher moment de liberté!
Les voyez-vous s’envoler toutes,
Le pas agile et gracieux,
Enfiler dans les grandes routes,
Le nez au vent et l’air joyeux?
Les midinettes sont gentilles,
La ruche n’est pas sans attrait,
Sont de laborieuses filles,
Celles dont je fais le portrait.
Elles ont un joli sourire,
La mine douce aux bons passants,
Qui d’elles n’oseraient médire
Ni de leurs petits airs vaillants.
Par désagréable aventure,
Si d’aucuns se font trop humains,
Fort impassible est leur figure
A tous ces honnêtes “trottins.”
53Petites sœurs, chères abeilles!
A vous le soleil du Bon Dieu,
Qui met sur vos lèvres vermeilles
De quoi vous contenter de peu.
Des chansons pleines d’allégresse,
Des propos badins et rieurs,
Des rayons pour votre jeunesse,
Des amours pour vos tendres cœurs.
Midinettes! vives abeilles!
Butinez donc! et sans regret,
Donnez le miel de vos corbeilles
Sans en attendre le bienfait.
Si la chance vous favorise,
Aimez bien ceux qui vous sont bons,
Si devant vous, on les méprise,
Défendez-les!.... sur tous les tons!

54

Marguerite

(Page d’album)

A ma petite amie, Marguerite Bélanger.

Fleur de grâce et d’amour, touchante en ton mystère,
Petite reine blanche en qui brille un cœur d’or,
En ton charme secret repose une prière
Où tous les cœurs ardents vont chercher un trésor.
Le trésor d’un amour qui n’a rien d’éphémère,
“Il m’aime, un peu, beaucoup” mais je veux plus encor,
“Passionnément” Non, c’est mieux que l’on espère
“A la folie” alors, ce n’est pas assez fort.
“Au mariage” donc. Soit, mais en la matière,
Il faut, petite amie, être toujours d’accord,
“Point du tout” n’est hélas qu’une réponse amère
Il faut la supprimer, l’autre est vraiment le port!

55

Le Trait-d’union cordial

A mes amis anglais.

Au combat de Québec qui nous prit à la France,
Wolfe et Montcalm là, s’admiraient,
Leur sang fut répandu dans la même espérance,
Pour même sol, leurs cœurs battaient.
Le vainqueur, le vaincu, eurent même courage
Et montrèrent même valeur,
Leur gloire fut la même, et même témoignage
Leur découvrit un même cœur!
Les Français, les Anglais, dans même apothéose,
Associèrent leurs deux noms,
Firent mêmes honneurs pour même noble cause,
Pour eux confondirent leurs dons.
56Il faut bien convenir qu’une race vaut l’autre
Sous le soleil du Canada,
Le sang de notre héros valait celui du vôtre,
Un même idéal le versa.
Mains saxonnes et mains latines se croisèrent
Depuis, dans un geste loyal,
Lèvres françaises, lèvres anglaises, marquèrent
Le trait-d’union cordial.

57

La Coquette

On dit que Madame est coquette,
Est-ce donc là si grand défaut?
“Pas si complexe est ma toilette,
Je n’en mets pas plus qu’il en faut.”
La camériste qui l’habille
Suffit à peine à ses besoins,
Elle en suinte la pauvre fille
Et s’évertue aux petits soins.
Brigitte, j’en suis à ma robe,
Il me faut mon chapeau fleuri,
Celui sur lequel se dérobe
Un “coq” que l’on dit si joli!
58Je veux ma plus riche ceinture,
Avec mon collet de satin
Couvert d’une fine guipure,
Vite! apporte aussi mon écrin.
Choisis ma broche de topaze,
Toutes mes bagues à mes doigts!
Et fais un joli nœud de gaze
Comme tu le fais chaque fois.
Mouille mes cils de liqueur d’ombre,
Mets sur ma peau du rouge fin,
Mon regard en sera plus sombre,
Sur ma lèvre, un peu de carmin.
Tiens mon écharpe de dentelle,
Allons! mon collier de corail,
Je ne trouve plus mon ombrelle,
Qu’as-tu fait de mon éventail?
Il me faut aussi ma sacoche,
Mets du parfum, le plus discret,
Dans mon mouchoir, là, dans ma poche,
Ah! j’oubliais mon bracelet!
59Ainsi, suis-je assez élégante?
Pourtant, j’aimerais mon manchon,
Mais, ce serait mode charmante
Le porter en toute saison!
Madame ne tient plus en place,
Elle est sûre de son effet,
Jetant un coup d’œil sur la glace,
Sourit au fidèle reflet.
C’est une idole en sa chapelle
Et digne de tous les encens
Et pour qu’on la trouve plus belle
Elle y consacre tout son temps.
Et c’est ainsi que la coquette
Parvient chaque jour tristement
A cet âge où l’on se regrette
Et qu’elle atteint en soupirant.[3]

60

Caresses

A mes nièces et neveux.

Dans cette œuvre où j’ai mis le meilleur de moi-même,
Comment ne pas parler de vous, petits que j’aime.
Par tous ceux qui jamais n’ont appris à bercer,
Chers anges, bruns et blonds, laissez-vous caresser!
Donnez-nous à baiser vos pures lèvres roses
Où va s’évanouir la tristesse des choses.
Dans vos grands yeux sereins, laissez plonger nos yeux,
Afin qu’on y retrouve une trace des cieux.
Laissez nos doigts errer dans vos boucles soyeuses
Pendant qu’on vous contemple, âmes délicieuses!
Riez, chantez, sautez, ô mes tendres mignons,
Tandis que brille encor, la candeur sur vos fronts.
Trop tôt, nous apparaît le passé de la vie
Jouissez de votre aurore et sans qu’on vous l’envie.
Chéris! soyez heureux du bonheur qu’on vous donne,
Si plus tard vous n’aviez que celui qui pardonne!
Et quand les jours mauvais vous auront vu pleurer,
Que vos Mamans soient là pour toujours consoler.

61

Aviation

(Impromptu)

Mon Ame, à ton tour, prends tes ailes
Et monte au pays des oiseaux,
Crois aux vérités éternelles,
Tes élans en seront plus beaux.
Que la foi guide ta nacelle,
Crois pouvoir atteindre les cieux,
Espère en Dieu, noble Immortelle,
Et tu n’en voleras que mieux.
O mon Ame! aime, ah! surtout aime!
Ce que Dieu fit de grand, de beau,
Aime en Lui l’Idéal suprême,
Vole au but! monte encor plus haut!

62

Profession de foi

A Monsieur le Professeur R. du Roure.

Je veux être moi-même, et je suis canadienne!
Je suis fière du sang de l’aïeul maternel,
Vieux soldat à l’ardeur napoléonienne
Et du nom des Valois, c’est un legs paternel.
Ces choses vous diront mon orgueil de la France
De ses mots rayonnant “d’azur et de cristal”
Mais au fond de mon cœur, j’aime de préférence
Mon pays vert ou blanc, j’y suis née... est-ce un mal?
Si de Châteaubriand, l’âme sonore et tendre
En vous trouve un écho, notre beau Canada
Vous saurez l’admirer, mieux encor, le défendre!
Vous comprendrez mon cœur, je me nomme

Atala.
Atala un nom purement canadien.

NOTES

[1] Cette poésie a été écrite peu de temps après la mort de mon père.

[2] On se rappelle que M. Fréchette a été trouvé sous une averse, foudroyé par le mal dont il est mort.

[3] L’auteur demande pardon pour cette boutade, à toutes celles qui se reconnaîtront dans ce portrait.


TABLE DES MATIÈRES


  Pages
Offrande 7
Réveil 9
Migration d’oiseaux 10
Un rêve 12
L’Envol de Gabrielle 13
Rayons, papillons et fleurs 14
Nos petits Souvenirs 15
A Botrel 16
Le don des larmes 18
Calendrier 19
Noces d’or 20
Départ d’ange 21
Idéales sympathies 22
Lis de Pâques 25
Paysage de velours 27
Sur l’eau 29
A deux 31
Les “Voix étranges” 34
La Voix des pins 35
Le parfum de grand prix 37
66Sonnet 38
A la Reine du Printemps 39
Madame de Champlain 40
La Tête et le Cœur 41
La Mort du poète 42
Les Ombres 43
Compensation 44
Les lettres 45
Les ruines 47
Chante! 49
Le Prêtre 50
Les Midinettes 52
Marguerite 54
Le trait-d’union cordial 55
La Coquette 57
Caresses 60
Aviation 61
Profession de foi 62

Au lecteur

Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version originale.


[La fin de Fleurs sauvages par Léonise Valois]