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Title: La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 23

Date of first publication: 1830

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Sep. 21, 2022

Date last updated: Sep. 21, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IX. 1er. JUIN 1830. Numéro XXIII.

HISTOIRE DU CANADA.

(CONTINUATION.)

Le général Murray ayant débarqué dans l’île de Montréal avec environ trois mille hommes, M. Dumas se rapprocha de la ville. L’armée du général Amherst, qui avait séjourné quelques jours sur l’Isle Perrot, débarqua à La Chine, le 6, vers 11 heures du matin. Les volontaires à cheval, qui étaient dans cette partie, se retirèrent devant elle, pied à pied: car elle se mit en marche vers la ville aussitôt après avoir débarqué. Toutes les troupes françaises entrèrent dans la ville. Tous les miliciens s’étant retirés, ainsi qu’un nombre de soldats mariés, elles ne se montaient, pas à plus de trois mille hommes, non compris cinq cents hommes qu’il y avait sur l’île Ste. Hélène, et la petite garnison du fort de Chambly; elles n’avaient presque plus de munitions, et les vivres ne pouvaient durer plus de quinze à vingt jours.

L’armée d’Amherst campa dans les plaines de St. Gabriel, à un quart de lieue de la ville: celle d’Haviland était arrivée à La Prairie. Pendant la nuit du 6 au 7, il fut tenu une assemblée chez le gouverneur: M. Bigot y lut un mémoire sur l’état de la colonie, et un projet de capitulation. Tout le monde fut d’avis qu’il convenait de préférer une capitulation avantageuse aux peuples et honorable aux troupes, à une défense qui ne pourrait retarder que de quelques jours la perte du pays. Le 7 au matin, le colonel de Bougainville, fut envoyé proposer à M. Amherst une suspension d’armes pour un mois: ce général s’y étant refusé, on lui envoya proposer par le même officier la capitulation dont on avait lu le projet dans l’assemblée de la veille. Il minuta à la marge ce qu’il voulait accorder, refuser ou modifier: il accorda presque tout, excepté les honneurs demandés pour les troupes françaises, voulant qu’elles missent bas les armes, livrassent leurs drapeaux et ne servissent pas durant la guerre. Cet article paraissant humiliant, on envoya d’abord M. de Bougainville, et ensuite M. de la Pause faire des représentations; mais elles furent inutiles, M. Amherst ne voulant rien changer à sa première détermination.

Sur cela, le Chevalier de Levis, au nom des troupes qu’il commandait, présenta un mémoire au gouverneur, le priant de rompre toutes négociations avec le général anglais; et de prendre la résolution de faire la défense la plus vigoureuse, quelque peu d’apparence qu’il y eût de réussir, ou de permettre aux troupes de se retirer dans l’île Ste. Hélène, pour y soutenir jusqu’à la dernière extrémité l’honneur des armes de France. Le marquis de Vaudreil répondit que l’état des affaires ne permettait pas de refuser les conditions du général anglais; qu’il devait les accepter pour l’avantage du pays dont le gouvernement lui avait été confie, et qu’il ordonnait au chevalier de Lévis de s’y conformer. Ce dernier, pour épargner aux troupes qu’il commandait une partie de l’humiliation qu’elles allaient subir, leur ordonna de brûler leurs drapeaux; ce qu’elles exécutèrent sur-le-champ.

Par la capitulation, Montréal et toutes les places occupées par les Français devaient être évacuées sans délai, et livrées aux troupes de sa majesté britannique; les troupes françaises devaient mettre bas les armes, et être transportées en France, pour ne pas servir durant la guerre; le gouverneur l’intendant et les employés du gouvernement devaient pareillement être transportées en France, aux frais de l’Angleterre; quelques uns de ces employés, qui avaient des affaires à régler dans la colonie, y pouvaient demeurer jusqu’à ce que ces affaires fussent terminées; les Canadiens devaient avoir le libre exercice de leur religion; aucun d’eux ne pouvait être inquiété pour avoir porté les armes comme milicien; les communautés de religieuses étaient maintenues dans la possession de leurs biens, privilèges et immunités; les séminaires et communautés de religieux continuaient à jouir de leurs revenus, et pouvaient vendre leurs seigneuries et autres propriétés foncières, s’ils le jugeaient à propos, et en transmettre le produit en France. Si par le traité de paix, le Canada restait à l’Angleterre, ceux des Français ou Canadiens qui voudraient basser en France, le pourraient faire en toute liberté. Il avait été demandé des choses qui ne furent point accordées et qui ne pouvaient pas l’être convenablement, telles que la neutralité perpétuelle des Canadiens, et la nomination de l’évêque de Québec par le roi de France.

La cour de France, faute de pouvoir faire davantage, avait tenté, au printems, de faire parvenir un secours de vivres et de munitions dans la colonie; mais la flottille française, qui consistait en une frégate et une vingtaine de bâtimens de transport, étant arrivée dans le St. Laurent après que l’escadre anglaise fut entrée dans le port de Québec, elle fut forcée de rebrousser chemin, et alla relâcher dans la baie des Chaleurs. Elle y fut attaquée et détruite par le capitaine Byron, venu de Louisbourg avec une escadre, quoique protégée par des batteries érigées sur le rivage; et le village acadien qu’il y avait en cet endroit fut livré aux flammes.

Quand même ce secours aurait réussi à remonter le St. Laurent, il n’aurait pas probablement retardé de beaucoup la reddition du Canada, et peut-être le retard n’était-il pas à désirer: la possession de ce pays devenait de jour en jour un fardeau plus pesant pour la France, et la misère et le mal-aise y augmentaient dans la même proportion; et cela en grande partie, en conséquence de la mauvaise administration, et du gaspillage des deniers publics. Les dépenses annuelles du gouvernement pour le Canada, dit Raynal, qui ne passaient pas quatre cent mille francs en 1729, et qui avant 1749, ne s’étaient jamais élevées au-dessus de dix-sept cent mille livres, n’eurent plus de bornes après cette époque. L’an 1750 couta deux millions cent mille livres: l’an 1751, deux millions sept cent mille livres: l’an 1752, quatre millions quatre-vingt-dix mille livres: l’an 1753, cinq millions trois cent mille livres: l’an 1754, quatre millions quatre cent cinquante mille livres: l’an 1755, six millions cent mille livres: l’an 1756, onze millions cent mille livres: l’an 1757, dix-neuf millions deux cent cinquante mille livres: l’an 1758, vingt-sept millions neuf cent mille livres: l’an 1759, vingt-six millions; et les huit premiers mois de l’an 1760, treize millions cinq cent mille livres.

De ces sommes prodigieuses, continue le même historien, il était dû, à la paix, quatre-vingt millions. On remonta à l’origine de cette dette impure. Les malversations furent effrayantes. Quelques uns de ceux qui étaient devenus prévaricateurs, par d’abus du pouvoir illimité que le gouvernement leur avait accordé (et entre’autres l’intendant Bigot), furent flétris, bannis, dépouillés d’une partie de leurs brigandages. D’autres, non moins coupables, répandirent l’or à pleines mains, échappèrent à la restitution, à l’infamie, et jouirent insolemment d’une fortune, si criminellement acquise. Les lettres de change furent réduites à la moitié, et les ordonnances au quart de leur valeur. Les unes et les autres furent payées en contrats à quatre pour cent, qui tombèrent dans le plus grand avilissement.[1]

Dans la dette de quatre-vingt millions (c’est toujours Raynal qui parle), les Canadiens étaient porteurs de trente-quatre millions d’ordonnances et de sept millions de lettres de change: leur papier subit la loi commune; mais la Grande-Bretagne, dont ils étaient devenus les sujets, obtint pour eux un dédommagement de trois millions en contrats et de six cent mille livres en argent; de sorte qu’ils reçurent cinquante-cinq pour cent de leurs lettres de change, et trente-quatre pour cent de leurs ordonnances.

(A continuer.)


On afficha à cette occasion les vers suivants sur les murs de Paris:

Êtes-vous citoyens? l’occasion est belle:

Pour acheter la paix, vendez votre vaisselle:

On vous en payera le quart en argent sec,

Et les trois autres quarts en billets sur Québec.

LES DEVISES.

Si les étoiles, dit Cassiodore, voyaient dans un cadran au soleil leurs grands mouvemens imités par le petit mouvement d’une ombre, elles en auraient du dépit, et changeraient peut-être de route pour ne servir pas de jouet aux hommes.

La pensée est assez bizarre, et n’est pas trop vraie. Celles qui servent d’inscriptions pour les cadrans doivent être plus régulières et plus justes: elles sont d’ordinaire morales et instructives.

Un fort honnête homme, qui a l’esprit très délicat, a fait peindre au cadran de sa maison de la ville, deux figures dont l’une représente le travail, l’autre le repos, avec ces paroles, qui ont rapport aux heures:

Plures labori, dulcibus quædam otiis.

“La plus grande partie au travail, quelques unes à d’honnêtes amusemens.”

Le même a mis au cadran de sa maison de campagne:

Dum fugit umbra, quiesco.

“Tandis que l’ombre fuit, je me repose.”—C’est le style du cadran qui parle, et la pensée est qu’un homme sage jouit du repos de la solitude pendant que l’ombre de ce monde passe.

On voit au cadran de Chantilly.

Una dabit quod negat altera.

“L’une donnera ce que l’autre refuse.”

Cela marque bien que nous avons de bonnes et de mauvaises heures; et c’est ce que dit le cadran de la Versine, maison du comte de St. Simon près de Chantilly:

Le do buone, le do male.

J’ai vu sur le cadran d’une maison de campagne ce vers d’Horace:

Dona præsentis rape lætus horæ.

L’application est heureuse; et le sens des paroles n’est pas si profane ni si épécurien qu’il paraît: car c’est comme si on disait: “Prenez gaîment ce que l’heure présente vous donne.”

On pourrait bien se servir de ces paroles de Martial, par rapport aux heures:

Pereunt et imputantur.

“Elles s’échappent, elles périssent; mais elles demeurent sur notre compte.” Le sens est moral, et on peut le rendre chrétien, en y joignant et en y accommodant la pensée d’un poëte latin moderne, qui imagine heureusement que l’heure qui passe, et que nous laissons passer sans en profiter, s’envole au ciel, et va rendre compte devant le trône de Dieu du bien et du mal que nous avons fait.

Le mot du cadran d’un petit jardin solitaire, qui n’est pas éloigné de celui des plantes, est fort sage, et semble fait exprès pour le maître du logis, l’un des hommes du monde qui, avec de l’esprit et du savoir, a le plus d’honnêteté et de vertu.

Utere præsenti, memor ultimæ.

“Usez de l’heure présente, en vous souvenant de la dernière.”

Il y a sur divers cadrans d’autres inscriptions toutes morales ou toutes chrétiennes.

Ombra falla e che mentre s’appressa fugge.

“Ombre trompeuse, qui fuit à mesure qu’elle s’approche.”

  Più dell ’ombra è fugace

Questa vita mortal che tanto piace.

“Cette vie mortelle, qui plaît tant, fuit plus vite que l’ombre.”

Le ciel est ma règle; ou, me lumen, vos umbra regit.

“Je suis réglé par la lumière: vous l’êtes par l’ombre.”

C’est le cadran que l’on fait parler: et c’est ce que peut dire un homme de bien qui a pour règle de sa conduite les préceptes de l’évangile; tandis que les autres suivent dans la leur les fausses maximes du monde,

Dubia omnibus, ultima multis.

“L’heure présente est incertaine pour tous, la dernière pour plusieurs.”

Suprema hæc multis, forsan tibi.

“Cette heure que l’ombre marque est la dernière pour plusieurs, peut-être pour vous.”

Nostra lalet, ou, Latet ultima.

“La nôtre est cachée,” ou, “La dernière est cachée.”

Certaines paroles de l’Ecriture prises dans leur sens propre, conviennent parfaitement bien à un cadran, toutes simples qu’elles sont; comme celles-ci:

Umbræ transitus est tempus nostrum.

“Notre vie passe comme l’ombre.”

Dies mei sicut umbra declinaverunt.

“Mes jours se sont évanouis comme l’ombre.”

Toutes ces pensées me paraissent raisonnables, et ont a mon goût l’esprit quelles doivent avoir. (Bouhours, Pensées Ingénieuses.)

DIALOGUES DES MORTS.

Parménisque, Théocrite de Chio.

Théocrite. Tout de bon, ne pouviez-vous plus rire, après que vous eûtes descendu dans l’Antre de Trophonius?

Parménisque. Non, j’étais d’un sérieux extraordinaire.

Théo. Si j’eusse su que l’Antre de Trophonius avait cette vertu, j’eusse bien dû y faire un petit voyage. Je n’ai que trop ri pendant ma vie, et même elle eût été plus longue, si j’eusse moins ri. Une mauvaise raillerie m’a amené dans le lieu où nous sommes. Le roi Antigonus était borgne: je l’avais cruellement offensé; cependant il avait promis de n’en avoir aucun ressentiment, pourvu que j’allasse me présenter devant lui. On m’y conduisait presque par force, et mes amis me disaient pour m’encourager: “Allez, ne craignez rien; votre vie est en sureté, dès que vous aurez paru aux yeux du roi.”—“Ah!” leur répondis-je, “si je ne puis obtenir ma grâce sans paraître à ses yeux, je suis perdu.” Antigonus, qui était disposé à me pardonner un crime, ne me put pardonner cette plaisanterie, et il m’en couta la tête pour avoir raillé hors de propos.

Par. Je ne sais si je n’eusse point voulu avoir votre talent de railler, même à ce prix-là.

Théo.—Et moi, combien voudrais-je présentement avoir acheté voire sérieux!

Par. Ah! vous n’y songez pas. Je pensai mourir du sérieux que vous souhaitez si fort: rien ne me divertissait plus; je faisais des efforts pour rire, et je n’en pouvais venir à bout. Je ne jouissais plus de tout ce qu’il y a de ridicule dans le monde; ce ridicule était devenu triste pour moi. Enfin, désespéré d’être si sage, j’allai à Delphes, et je priai instamment le dieu de m’enseigner un moyen de rire. Il me renvoya en termes ambigus au pouvoir maternel. Je crus, qu’il entendait ma patrie, j’y retourne; mais ma patrie ne put vaincre mon sérieux. Je commençais à prendre mon parti, comme dans une maladie incurable, lorsque je fis par hazard un voyage à Délos. Là, je contemplai avec surprise la magnificence des temples d’Apollon, et la beauté de ses statues. Il était partout en marbre ou en or, et de la main des meilleurs ouvriers de la Grèce; mais quand je vins à une Latone de bois, qui était très mal faite, et qui avait tout l’air d’une vieille, je m’éclatai de rire, par la comparaison des statues du fils à celle de la mère. Je ne puis vous exprimer assez combien je fus étonné, content, charmé d’avoir ri. J’entendis alors le vrai sens de l’oracle. Je ne présentai point d’offrandes à tous ces Apollons d’or ou de marbre; la Latone de bois eut tous mes dons et tous mes vœux. Je lui fis je ne sais combien de sacrifices; je l’enfumai toute d’encens, et j’eusse élevé un temple à Latone qui fait rire, si j’eusse été en état d’en faire la dépense.

Théo. Il me semble qu’Apollon pouvait vous rendre la faculté de rire sans que ce fût aux dépens de sa mère: vous n’auriez vu que trop d’objets qui étaient propres à faire le même effet que Latone.

Par. Quand on est de mauvaise humeur, on trouve que les hommes ne valent pas la peine qu’on en rie: ils sont faits pour être ridicules, et ils le sont; cela n’est pas étonnant: mais une déesse qui se met à l’être, l’est bien davantage. D’ailleurs Apollon voulait apparemment me faire voir que mon sérieux était un mal qui ne pouvait être guéri par tous les remèdes humains, et que j’étais réduit dans un état où j’avais besoin du secours même des dieux.

Théo. Cette joie et cette gaité que vous enviez est encore un bien plus grand mal. Tout un peuple en a été autrefois atteint, et en a extrêmement souffert.

Par. Quoi! il s’est trouvé tout un peuplé trop disposé à la gaieté et à la joie?

Théo. Oui, c’étaient les Tirinthiens.

Par. Les heureuses gens!

Théo. Point du tout. Comme ils ne pouvaient plus prendre leur sérieux sur rien, tout était en désordre parmi eux. S’ils s’assemblaient sur la place, tous leurs entretiens roulaient sur des folies, au lieu de rouler sur les affaires publiques; s’ils recevaient des ambassadeurs, il les tournaient en ridicule; s’ils tenaient le conseil de ville, les avis des plus gravés sénateurs n’étaient que des bouffonneries; et en toutes sortes d’occasions, une parole ou une action raisonnable eût été un prodige chez les Tirinthiens. Ils se sentirent enfin incommodés de cet esprit de plaisanterie, du moins autant que vous l’aviez été de votre tristesse; et ils allèrent consulter l’oracle de Delphes, aussi bien que vous, mais pour une fin bien différente, c’est-à-dire, pour lui demander les moyens de recouvrer un peu de sérieux. L’Oracle répondit que s’ils voulaient sacrifier un taureau à Neptune, sans rire, il serait désormais en leur pouvoir d’être plus sages. Un sacrifice n’est pas une action si plaisante d’elle-même; cependant, pour la faire sérieusement, ils y apportèrent bien des préparatifs: ils résolurent de n’y recevoir point de jeunes gens, mais seulement des vieillards, et non pas encore toutes sortes de vieillards, mais seulement ceux qui avaient ou des maladies, ou beaucoup de dettes, ou des femmes très incommodes. Quand ces personnes choisies furent sur le bord de la mer, pour immoler la victime, il fut besoin, malgré les femmes, les dettes, les maladies et l’âge, qu’ils composassent leur air, baissassent les yeux à terre, et se mordissent les lèvres; mais, par malheur, il se trouva là un enfant, qui s’y était coulé: on voulut le chasser, selon l’ordre, et il cria: “Quoi, avez-vous peur que je n’avale votre taureau?” Cette sottise déconcerta toutes ces gravités contrefaites: on éclata de rire; le sacrifice fut troublé, et la raison ne revint point aux Tirinthiens. Ils eurent grand tort, après que le taureau leur eut manqué, de ne pas songer à cet Antre de Trophonius, qui avait la vertu de rendre les gens si sérieux, et qui fit un effet si remarquable sur vous.

Par. A la vérité, je descendis dans l’Antre de Trophonius; mais l’Antre de Trophonius, qui m’attrista si fort, n’est pas ce qu’on pense.

Théo. Et qu’est-ce donc?

Par. Ce sont les réflexions: j’en avais fait, et je ne riais plus. Si l’oracle eût ordonné aux Tirinthiens d’en faire, ils étaient guéris de leur enjouement.

Théo. J’avoue que je ne sais pas trop ce que c’est que les réflexions; mais je ne puis concevoir pourquoi elles seraient si chagrines. Ne saurait-on avoir des vues saines, qui ne soient en même temps tristes. N’y a-t-il que l’erreur qui soit gaie, et la raison n’est-elle faite que pour nous tuer?

Par. Apparemment, l’intention de la Nature n’a pas été qu’on pensât avec beaucoup de raffinement; car elle vend ces sortes de pensées-là bien cher. Vous voulez faire des réflexions, nous dit-elle; prenez-y garde: je m’en vengerai par ta tristesse qu’elles vous causeront.

Théo. Mais vous ne me dites point pourquoi la Nature ne veut pas qu’on pousse les réflexions jusqu’où elles peuvent aller.

Par. Elle a mis les hommes au monde pour vivre, et vivre, c’est ne savoir ce que l’on fait, la plupart du temps. Quand nous découvrons le peu d’importance de ce qui nous occupe et de ce qui nous touche, nous arrachons à la Nature son secret: on devient trop sage, et on ne veut plus agir; voilà ce que la Nature ne trouve pas bon.

Théo. Mais la raison qui vous fait penser mieux que les autres, ne laisse pas de vous condamner à agir comme eux.

Par. Vous dites vrai: il y a une raison qui nous met au-dessus de tout par les pensées; il doit y en avoir ensuite une autre qui nous ramène à tout par les actions; mais à ce compte-là même, ne vaut-il presque pas autant n’avoir point pensé?

(Fontenelle.)

FETE DES AMES.

Cette fête se célèbre au Japon tous les ans, et dure ordinairement deux jours. A l’entrée de la nuit, on illumine toutes les maisons, comme pour une réjouissance publique. A la faveur de cette clarté, on sort de la ville, on va visiter les tombeaux des morts, et on leur porte des vivres. On s’imagine que durant cette fête, les âmes de chaque défunt reviennent sur la terre voir leurs parens et amis. Chaque Japonais s’entretient avec les morts qui le touchent de près. Il leur fait, des complimens sur leur retour en ce monde, et leur témoigne sa joie de les revoir. Après le repas, chacun invite les âmes de ses parens à venir se promener à la ville. On suppose que l’invitation est acceptée et on s’y transporte pour les recevoir dignement. Les préparatifs achevés, les Japonais, un flambeau allumé à la main, sortent une deuxième fois, vont à la rencontre des morts, qu’ils supposent s’être déjà mis en chemin, les éclairent, et rentrent avec eux dans la ville, où ils n’oublient rien pour les régaler. Le temps destiné pour la fête expiré, on chasse à grands coups de pierre ces mêmes âmes qu’on vient de traiter avec tant d’égards, et l’on prend toutes les précautions possibles pour qu’il n’en demeure aucune dans la ville, ce que les Japonais regarderaient comme le plus grand des malheurs.

Les Tonquinois de la secte des lettrés rendent un culte religieux aux âmes de ceux qui sont morts de faim. Les premiers jours de chaque semaine, ils leur présentent du riz cuit, qu’ils ont été mendier par la ville. L’objet de ce culte est d’obtenir, par le moyen de ces âmes, un esprit subtil et fin; superstition appuyée sur un principe qui paraît sensé; savoir que les gens sobres ont l’esprit beaucoup plus net et plus dégagé que ceux dont le cerveau est offusqué par les fumées de la bonne chère.

Les insulaires des Moluques croient que les âmes, durant les premiers jours qui suivent leur séparation d’avec le corps, reviennent souvent visiter la maison qu’elles habitaient pendant la vie; non par un motif d’affection pour leur ancienne demeure, mais pour satisfaire leur humeur malfaisante, et nuire surtout aux petits enfans, à qui elles en veulent particulièrement. Elles examinent encore si leurs parens songent à elles; et si elles s’apperçoivent qu’on les ait déjà oubliées, elles se vengent d’une manière cruelle. Dans cette idée, ils traitent les morts, durant quelques jours, avec autant de soin que s’ils étaient vivants. Ils préparent leur lit, leur présentent à boire et à manger, et poussent l’attention jusqu’à mettre à coté d’eux de la lumière pour les éclairer.

Dans le royaume de Laos, situé dans la presqu’île au-delà du Gange, quelques uns prétendent que l’anéantissement est la peine des âmes des méchants, et que les âmes des bons sont revêtues d’un corps subtil et lumineux, dont l’éclat égale celui du soleil. Dans cet état, elles vont habiter le plus élevé des cieux, et dans ce délicieux séjour, se livrait à tous les plaisirs imaginables. Lorsqu’elles en sont rassasiées, elles peuvent rentrer dans leurs corps, et revenir sur la terre, où elles jouissent de tous les biens en abondance, et s’élèvent même quelquefois jusqu’à la dignité royale. D’autres s’imaginent que les âmes séparées du corps, choisissent un asile en quelque endroit de la maison. En conséquence, les héritiers leur rendent de grands honneurs, et leur présentent des offrandes qui consistent en mets divers. Tombent-ils malades, ils ne manquent pas d’attribuer leur maladie au ressentiment des âmes qui n’ont pas reçu d’assez grands honneurs. Ils leur font alors préparer un magnifique festin, accompagné de musique, et la fête dure jusqu’à ce que le malade meure ou soit guéri. Ceux qui suivent cette opinion n’admettent ni peines ni récompenses, et se livrent sans remords aux plus grands désordres.

Les habitans de l’île de Ceylan croient que les âmes des méchants acquièrent dans l’autre monde un nouveau degré de méchanceté, par la même raison que les âmes des bons acquièrent un nouveau degré de bonté. Ils admettent des punitions et des récompenses graduées. Plusieurs sont persuadées que les âmes de ceux qui se sont distingués par une sainteté particulière, sont élevées jusqu’au rang de la divinité.

Dans le royaume de Loango, en Afrique, ceux de la famille royale pensent qu’il y a un nombre déterminé d’âmes qui ne sortent jamais de la famille, et que celles des morts passent dans les enfans qui naissent. D’autres regardent ces âmes comme des dieux domestiques et des esprits tutélaires. Ils leur rendent le même culte qu’à leurs démons, les placent dans leurs logis, au fond d’une petite niche, et leur offrent chaque jour les prémices des mets servis sur leurs tables.

La préexistence des âmes est un sentiment généralement reçu chez les docteurs juifs. Ils soutiennent qu’elles furent toutes formées et formées pures dès le premier jour de la création, et qu’elles se trouvèrent toutes dans le jardin d’Eden. Dieu leur parlait quand il dit; “Faisons l’homme.” Il les unit aux corps à proportion qu’il s’en forme quelqu’un. Ils appuient cette pensée sur ce que Dieu dit, dans Isaie: “J’ai fait les âmes,” ...preuve que l’ouvrage doit être achevé depuis longtems. Ces âmes jouissent d’un grand bonheur dans le ciel, en attendant quelles puissent être unies aux corps. Cependant elles peuvent mériter encore: et c’est là une des raisons qui fait la grande différence des mariages dont les uns sont heureux et les autres malheureux, parce que Dieu envoie les âmes selon leurs mérites. Elles ont été créées doubles, afin qu’il y en eût une pour le mari et une pour la femme. Lorsque ces âmes faites l’une pour l’autre se trouvent unies sur la terre, leur condition est infailliblement heureuse, et le mariage tranquille; mais pour punir les âmes qui n’ont pas répondu à l’excellence de leur origine, Dieu sépare celles qui avaient été faites l’une pour l’autre, et alors il est impossible qu’elles fassent bon ménage. (Dict. Mythologique.)

LE VAISSEAU D’HIÉRON

C’était la manie d’Hiéron d’avoir de grands navires dans son port. Persuadé que personne n’était plus capable qu’Archimede de satisfaire son goût à cet égard, il le pria de lui donner le dessein du plus superbe bâtiment qu’on pût imaginer. C’est aussi ce que fit notre philosophe.

Ce bâtiment avait trois étages. Dans celui du milieu régnaient de chaque côté trente chambres qui renfermaient chacune quatre lits, sans compter la chambre des pilotes, qui en contenait quinze. Le tillac était pavé à la mosaïque. Des petites pierres de diverses couleurs y représentaient les événemens décrits par Homere dans l’Iliade. Au plus haut étage, ou pont, était une salle d’exercice pour les jeux ou pour la danse, d’où l’on entrait sur une vaste terrasse qui formait un jardin orné de plantes et de fleurs.

Il y avait encore dans ce bâtiment un appartement séparé pour les dames, où l’on trouvait tout ce que la galanterie la plus raffinée avait pu inventer: il était pavé d’agathes et d’autres pierres précieuses. Les plafonds de cet appartement, et les cloisons qui en séparaient les chambres, étaient d’un bois de cyprès travaillé avec beaucoup d’art, et une marquetterie d’ivoire sur un bois odoriférant formait les portes. Près de là était une grande salle pour l’étude des sciences, contigüe à une magnifique et nombreuse bibliothèque:

On avait pratiqué sur ce bâtiment dix écuries, des bains où rien ne manquait de ce que la mollesse pouvait désirer, et un réservoir d’eau très spacieux rempli de poissons.

Ce vaisseau extraordinaire était du port de douze mille tonneaux; et quoique ce fût un poids énorme, Archimède le mit à flot avec beaucoup de facilité. (Histoire des Anciens Philosophes.)

MÉDICAMENS SIMPLES.

Pour la Sciatique, (espèce de goutte ou de rhumatisme aux hanches). Mêlez trois onces d’huile de millepertuis avec une once d’eau de vie, et en frottez chaudement l’endroit attaqué de sciatique ou de rhumatisme.

Fomentez la partie avec une décoction chaude de baies de genièvre faite en vin.

Appliquez sur l’endroit malade les feuilles entières de tabac infusées pendant quelque temps dans du vinaigre.

Oignez la partie avec de l’huile de semence de chanvre chaude.

Frottez le soir devant le feu le mal avec de l’huile de térébenthine, mettant par-dessus des linges chauds, et réitérez plusieurs fois.

Battez cinq ou six blancs d’œufs frais ensemble; étendez-les sur de la filasse, saupoudrez dessus du poivre en poudre fine, et l’appliquez, pour la sciatique et pour le mal de côté sur l’endroit de la douleur, et pour la colique sur le nombril.

Faites bouillir des yèbles dans du gros vin rouge, puis appliquez le marc, sans l’exprimer, sur la partie affligée, et une serviette chaude en plusieurs doubles par-dessus.

Pour douleurs et enflures des genoux. Faites cuir ensemble du lait, de la mie de pain, un jaune d’œuf et un peu d’huile rosat, et l’appliquez sur le mal en forme de cataplasme.

Faites bouillir dans du vin blanc de la sauge, de la fleur de camomille, et de l’absynthe, de chacune une poignée, puis les appliquez sur le mal le plus chaudement que vous pourrez le souffrir.

Pour Crampes au gras des jambes et sous la plante des pieds. Il faut se lever dès que le mal se fait sentir, quand on est au lit, et se tenir sur ses pieds, ou se frotter promptement la partie attaquée. Pour s’en préserver, quand on y est sujet, il faut se frotter le soir la partie avec de l’huile de laurier, et l’envelopper chaudement; on dit que des jartières de peau d’anguille ont le même effet.

Pour Sueur des pieds et des aisselles. Broyez entre vos mains des feuilles de chanvre vertes; frottez-en vos pieds et vos mains; et ils ne sueront plus.

Pour Puanteur des pieds et des aisselles. Oignez soir et matin, les aisselles avec l’onguent fait de litharge d’or et l’onguent rosat.

Mettez de la litharge d’or en poudre avec douze onces du plus fort vinaigre dans une bouteille de verre, et après quelque temps d’infusion, frottez le soir les parties puantes.

Pour les pieds, mettez dans les chaussons de la poudre d’alun calciné ou d’écailles de fer fort menues, ou frottez-les de décoction d’alun calciné faite en eau.

Pour préserver les pieds du froid pendant l’hiver. Détrempez du jus de rhue avec de l’huile de noix, et vous en oignez les pieds une fois seulement au commencement de l’hiver.

Frottez vos pieds de jus d’ortie détrempé avec de l’huile et du sel.

JEUX DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE.

Rallumer une chandelle avec la pointe d’un couteau. Mettez au bout de la pointe d’un couteau, un petit morceau de phosphore d’Angleterre, de la grosseur d’un petit grain d’aveine; ayant mouché une chandelle, éteignez-là à dessein; prenez aussitôt votre couteau; posez sa pointe sur le lumignon de cette chandelle, en écartant la mèche; vous la verrez aussitôt se rallumer. Observez qu’il ne faut point la moucher de trop près, afin qu’il reste assez de chaleur pour animer les parties du phosphore.

Couleur qui paraît et disparaît par le défaut d’air. Mettez dans un flacon bien bouché, de l’alkali volatil, dans lequel vous aurez fait dissoudre de la limaille de cuivre, et vous aurez une belle teinture bleue. Si l’on bouche le flacon, cette couleur disparaîtra aussitôt; ce qui peut se répéter un assez grand nombre de fois.

Inflammation et imitation du tonnerre. Prenez une bouteille de verre fort de la mesure d’environ un poisson (une roquille); renversez-y une once d’esprit de vitriol concentré; jettez par-dessus deux gros de limaille de fer; et bouchez la bouteille. Si l’on agite ensuite une chandelle allumée proche l’ouverture de la bouteille, qu’on doit un peu incliner, il se formera aussitôt une inflammation avec un bruit considérable, qui sera d’autant plus fort, que la bouteille aura été bouchée pendant quelques instans.

Rose changeante. Prenez une rose ordinaire, et qui soit entièrement épanouie; allumez de la braise dans un réchaud, et jettez-y un peu de souffre commun réduit en poudre; faites-en recevoir la fumée et la vapeur à cette rose; et elle deviendra blanche: si on la met dans l’eau, elle reprendra, cinq ou six heures après, sa couleur rose. On peut, par ce moyen, donner à une personne une rose blanche, qui se trouvera rouge le lendemain matin.

Former une écriture invisible, et la faire paraître quand on voudra. Ecrivez sur du papier un peu fort, avec une dissolution de vitriol de mars nouvellement faite, et laissez sécher l’écriture; elle disparaîtra absolument. Quand vous voudrez rendre lisible ce qui est écrit, sur le papier, vous passerez dessus, avec un pinceau de poil doux, un peu d’infusion de noix de galles, aussi nouvellement faite, et qui n’ait point bouilli.

C’est avec ces deux liqueurs mêlées ensemble qu’on fait l’encre commune; quand elles sont réunies, de quelque manière que ce soit, elles produisent du noir.

Encre sympathique d’or. Faites dissoudre dans l’eau régale; autant d’or qu’elle en peut dissoudre; et affaiblissez ensuite cette forte dissolution, avec deux ou trois fois autant d’eau commune distillée.—Faites dissoudre, à part, de l’étain fin dans l’eau régale; et lorsque le dissolvant sera bien chargé de cette substance métallique, ajoutez-y une pareille quantité d’eau commune distillée.—Ecrivez sur du papier avec cette dissolution d’or, et laissez bien sécher à l’ombre les caractères que vous aurez écrits, lesquels ne paraîtront pas pendant les premières sept ou huit heures; trempez un pinceau, ou une petite éponge très fine, dans la dissolution d’étain, et passez-la bien légèrement sur cette écriture invisible; elle paraîtra aussitôt île couleur de pourpre foncé.

L’écriture dans la poche. Prenez plusieurs petits quarrés de papier, et écrivez en tête, avec de l’encre ordinaire, différentes questions, telles que vous jugerez à propos; au bas de chacune de ces questions, écrivez leurs réponses avec l’encre sympathique d’or, dont nous venons de donner la composition; conservez ces papiers, en les tenant dans un livre ou porte-feuille; et lorsque vous voudrez vous en servir, présentez-les à une personne; dites-lui de choisir telle question qu’elle désirera, de mettre ensuite ce papier dans sa poche, et de le poser chez-elle sur sa cheminée ou dans tout autre endroit où il ne soit pas renfermé; et le lendemain, il se trouvera qu’on aura écrit au bout de ce papier la réponse à la question qu’elle aura faite.

Encre sympathique jaune. Prenez des feuilles de la fleur qu’on nomme communément souci, et mettez-les tremper sept à huit jours au moins, dans de bon vinaigre blanc distillé; passez le tout et en tirez une eau claire, que vous garderez dans une bouteille bien bouchée. Si vous voulez une couleur plus pâle, en vous en servant, vous y mettrez alors un peu plus d’eau.

Encre sympathique rouge. Prenez de l’esprit de vitriol, ou bien du nitre noyé dans huit à dix fois autant d’eau, pour avoir une encre plus ou moins rouge.

Encre sympathique verte. Faites dissoudre, dans une suffisante quantité d’eau de rivière du sel de tartre blanc, et le plus sec que vous pourrez trouver.

Encre sympathique violette. Exprimez le jus d’un citron, et le conservez autant qu’il se pourra dans une bouteille bien bouchée. Tout ce que vous écrirez sur du papier, et tous les corps blancs, tels que la toile et la soie, que vous aurez trempés dans ces encres, paraîtront dans les couleurs ci-dessus désignées, lorsqu’on les aura trempés dans une infusion de tournesol.

Le bouquet magique. Faites faire par des ouvriers qui font des fausses fleurs, une certaine quantité de feuilles faites avec du parchemin blanc, et des petites fleurettes de toile ou coton blanc, tels que des roses, des œillets, des jonquilles, enfin toutes autres fleurs que vous jugerez convenables; trempez les roses dans l’encre sympathique rouge, les jonquilles dans l’encre sympathique jaune, les œillets dans l’encre sympathique violette, et les feuilles dans l’encre sympathique verte; laissez sécher le tout, et les assemblez ensuite pour en former plusieurs bouquets, qui paraîtront tout blancs.

Si vous trempez un de ces bouquets dans un vase rempli d’eau, dans laquelle on aura fait tremper du tournesol, toutes les feuilles différentes se coloreront aussitôt, eu égard aux différentes espèces d’encres sympathiques dans lesquelles elles auront été trempées. (Mes Souvenirs.)

LE MATHÉMATICIEN AVEUGLE.

Quoique Sanderson eût perdu la vue dans son enfance, il devint un des premiers savans de son temps. La connaissance des objets extérieurs fut principalement due chez lui au sens du toucher, qu’il possédait à un degré éminent de perfection. Il ne pouvait pourtant par ce moyen distinguer les couleurs, comme on assure qu’il est arrivé à quelques aveugles de le faire, et après divers efforts pour y parvenir, il demeura convaincu que la tentative était inutile. Mais il pouvait distinguer les fausses médailles des véritables avec une grande exactitude, même dans des cas où d’habiles connaisseurs y étaient trompés. Il sentait toujours sur les pièces de nouvelle fabrique une rudesse, souvent imperceptible à l’œil ou au toucher des autres. Les sensations, que lui faisaient éprouver les changemens de l’atmosphère, étaient aussi, comme on le peut supposer, extrêmement délicates. “Je me suis trouvé avec lui dans un jardin, faisant des observations sur le soleil,” dit l’auteur de la notice biographique mise en tête de son Algèbre, et qui avait été un de ses amis intimes, “et il remarquait chaque nuage qui troublait notre opération, avec presque autant d’exactitude que nous le pouvions faire. Il pouvait dire quand on tenait un objet près de son visage, ou quand il passait à quelque distance d’un arbre, pourvu que le temps fût calme, qu’il n’y eût que peu ou point de vent, et cela par les différentes impulsions de l’air sur sa face. Le sens de l’ouie était aussi chez lui de la plus grande délicatesse, et il aurait très probablement pu devenir un musicien éminent, si son goût et son talent pour la géométrie n’avaient pas dirigé ses occupations sur d’autres sujets. Il jouait de la flûte avec beaucoup d’habileté; mais le principal avantage qu’il tirait de la justesse et de la finesse de son oreille, c’était la faculté qu’elle lui procurait, en l’absence d’un sens plus élevé, de distinguer non seulement les personnes par le son de leur voix, mais les lieux, les distances et les différentes dimensions des chambres, par l’écho qu’elles rendaient de sa voix ou de son marcher. Il avait porté à une telle perfection l’art d’interpréter ces signes, qui sont si vagues pour des observateurs ordinaires, en conséquence du peu d’attention qu’ils y font, qu’on nous dit qu’il n’était presque jamais mené en un endroit où il avait été une fois, sans qu’il le reconnût aussitôt.” (Library of entertaining knowledge.)

VERS.

Portrait de l’Envie.

 

Au pied du mont où le fils de Latone

Tient son empire, et du haut de son trône

Dicte à ses sœurs les savantes leçons

Qui de leurs voix régissent tous les sons,

La main du Temps creusa let voutes sombres

D’un antre noir, séjour des tristes ombres,

Où l’œil du monde est sens cesse éclipsé,

Et que les vents n’ont jamais caressé:

Là, de serpens nourrie et dévorée

Veille l’Envie honteuse et retirée,

Monstre ennemi des mortels et du jour,

Qui de soi-même est l’éternel vautour,

Et qui, trainant une vie abattue

Ne se nourrit que du fiel qui le tue:

Ses yeux cavés, troubles et clignottants,

De feux obscurs sont chargés en tout temps;

Au lieu de sang, dans ses veines circule

Un froid poison qui les gèle et les brule,

Et qui de là porté dans tout son corps,

En fait mouvoir les horribles ressorts:

Son front jaloux et ses lèvres éteintes

Sont le séjour des soucis et des craintes:

Sur son visage habite la pâleur,

Et dans son sein triomphe la douleur,

Qui, sans relâche, à son âme infectée

Fait éprouver le sort de Prométhée.

Le Monde comme il va.

 

Le monde a de fort grands défauts,

Ne craignez pas que je l’excuse:

Il est méchant, léger et faux;

Il trompe, il séduit, il abuse,

Il est auteur de mille maux.

Mais tel qu’il est il nous amuse;

Sans cesse il fournit à nos yeux

Mille spectacles curieux.

La scène mobile et changeante

Plaît même par son changement:

L’un rit, et l’autre se lamente,

Tous deux trompés également;

L’un arrive au port surement,

L’autre est encor dans la tourmente;

L’un perd son bien, l’autre l’augmente;

L’un poursuit inutilement

La fortune toujours fuyante;

L’autre l’attend tranquillement,

Ou pervient sans savoir comment,

Et presque contre son attente.

L’un fait un bon contrat de rente,

Et l’autre fait son testament.

L’un meurt dans son lit tristement,

L’autre se fait tuer gaîment,

Et deux jumeaux, au même instant,

Remplissent la place vacante.

On rencontre indifféremment

Un baptême, un enterrement:

Enfin, c’est une comédie

Qui se répète tous les jours,

Où la fortune s’étudie

Sans cesse à varier son cours.

Le gout des voyages.

 

Dans un grand cercle hier, un mince auteur

Pompeusement lisait sur les Voyages

Discours très-long. Au bout de quelques pages,

Chacun, bâillant, décampe...Et mon lecteur,

Qui s’est flatté d’avoir tous les suffrages,

Comme on peut croire, est bien coi, bien contrit.

Oh! oh! dit-il, serrant le manuscrit,

Oh! oh ma prose, ici, paraît déplaire...

Non, lui répond un ami, point du tout!

Votre succès est certain, au contraire:

De voyager vous inspirez le goût.

ANECDOTES ET BONS-MOTS.

Après la bataille de Salamine, tous les capitaines grecs ayant été obligés de déclarer par des billets pris sur l’autel de Neptune, ceux qui avaient eu plus de part à la victoire, chacun se donna la première, et adjugea la seconde à Thémistocle. Le peuple ne balança pas à décerner la première récompense à celui que chacun des capitaines avait jugé le plus digne après lui.

Le Lacédémonien Pedarete se présente pour être admis au conseil des trois cents; il est rejetté. Il s’en retourne joyeux de ce qu’il s’est trouvé dans Sparte trois cents citoyens valant mieux que lui.

Un homme en place, qui s’était rendu coupable de plusieurs concussions chez les Macédoniens, souffrait impatiemment qu’on l’appellât concussionnaire. “Les Macédoniens, lui répondit Philippe, sont si grossiers qu’ils appellent les choses par leur nom.”

Un censeur, fort content de son mérite, vint présenter à Auguste un ouvrage critique contre Virgile. Ce prince fit aussitôt apporter un boisseau de froment, et après qu’il fut vanné, il en fit donner les criblures pour récompense au censeur.

Le fils d’Aaron Veschide vint se plaindre à son père d’un homme qui avait calomnié sa mère, et en demander vengeance. “Oh! mon fils, lui répond Aaron Veschide, tu vas faire plus de tort à ta mère que le calomniateur; tu vas faire croire qu’elle ne t’a pas appris à pardonner.”

Un peintre, qui connaissait le sort de ceux qui plaident, pour l’avoir éprouvé lui-même, avait deux plaideurs à représenter: l’un avait réussi dans son procès; l’autre l’avait perdu. Il y représenta le premier en chemise, le second nu.

Louis XIV disait à la dauphine Marie-Anne-Victoire de Bavière: “Vous ne m’aviez pas dit que vous aviez une sœur d’une grande beauté.—Il est vrai, Sire, j’ai une sœur qui a pris toute la beauté de la famille; mais j’en ai eu tout le bonheur.”

“Je ris de tous ceux qui me blâment, disait un homme gonflé d’amour-propre.—Eh! bien, lui dit-on, personne au monde ne rit donc plus souvent que vous.”

Une demoiselle jolie et vertueuse avait inspiré une passion très vive à un grand seigneur, qui lui dit: “C’est à cause de votre vertu que je vous aime.—Ne m’exposez donc pas,” dit-elle, “au danger de perdre ce qui fait que vous m’aimez.”

Une dame parlait d’affaires à M. Colbert, qui ne lui répondait rien: “Monsieur, lui dit-elle, faites au moins quelques signes que vous m’entendez.”

Un borgne rencontrant le matin un bossu, lui dit pour le bailler sur sa bosse: “Mon ami, tu as chargé de bon matin. Tu penses,” répartit le bossu, “qu’il est bon matin, parce que le jour n’entre chez toi que par une fenêtre.”

On demandait à un Gascon, qui allait à l’armée comme fantassin, pourquoi il ne s’était pas mis dans la cavalerie. “C’est, répondit-il, que je ne vais pas à la guerre pour fuir.”

Une dévote avait fait une neuvaine à St. Ignace, pour obtenir la conversion de son mari. Huit jours après, celui-ci mourat. “Que ce saint est bon, disait-elle, et que je lui ai d’obligation? Il accorde plus qu’on ne lui demande.”

Un valet se présentait pour entrer en condition chez un mousquetaire qui passait pour un grand dissipateur: celui-ci lui demanda s’il avait un répondant?—“Comment l’entendez-vous, dit le valet? c’est moi qui vous en demande un.”

On exagérait devant une dame l’esprit d’un homme fort borné: “Oh! oui,” dit-elle, “il doit en avoir beaucoup, car il n’en dépense guère.”

Un enfant entendait dire que sa mère venait de perdre son procès: “Ah! maman, dit-il, que je suis aise que vous ayez perdu un procès qui vous tourmentait tant.”

Une dame voyant une de ses filles en danger de mort, s’écriait, en fondant en larmes: “Mon Dieu, rendez-la moi, et prenez tous mes autres enfans.” Un homme, qui avait épousé la sœur de la moribonde, s’approcha de la dame, et la tirant par la manche; “Madame, lui dit-il, les gendres en sont-ils?” De sang-froid avec lequel il prononça ces paroles fit faire un grand éclat de rire à la mère, à la malade, et à toute la compagnie.

Un officier devenu borgne à la guerre, portait un œil de verre, qu’il avait soin d’ôter lorsqu’il se couchait. Se trouvant dans une auberge, il appelle la servante, et lui donne cet œil pour qu’elle le pose sur une table, Cependant la servante ne bougeait point. L’officier lui dit: “Eh bien, qu’attends-tu-là.—Monsieur, répondit-elle, j’attends que vous me donniez l’autre.”

Un homme se plaignant d’avoir été volé plusieurs fois, dans les rues de Paris, on lui conseilla de porter des pistolets: “Les voleurs,” dit-il, “me les prendraient.”

Un financier avait amassé de très grands biens aux dépens du public, et il disait à un philosophe: “Il faut, je crois, beaucoup de force d’esprit pour mépriser les richesses.—Vous vous trompez,” lui répartit le sage; “il suffit de considérer en quelles mains elles passent.”

Un grenadier de l’armée du maréchal de Saxe ayant été pris en maraude, fut condamné à être pendu. Ce qu’il avait volé pouvait valoir environ six livres. Le maréchal le voyant conduire au supplice, lui dit qu’il fallait qu’il fût bien misérable pour risquer sa vie pour six francs. “Parbleu, mon général, répondit le grenadier, je la risque bien tous les jours pour six sous.” Cette répartie lui valut sa grâce.

On demandait à Fontenelle qu’elle différence il y avait entre le bon et le beau? “Le bon,” répondit-il, “a besoin de preuves: le beau n’en demande pas.”

Un Limousin, maître-maçon, voyant son petit manœuvre tremper un morceau de pain trop sec dans un sceau de mortier, pour l’attendrir: “Qu’est-ce dont,” s’écria-t-il, “je crois que tu donnes dans la friandise.”

RÉGISTRE PROVINCIAL.

Mariés:—A Maskinongé, le 10 de Mai dernier, Mr. O. B. Peltier, Marchand, de l’endroit, à Dlle. Éloïse Mayrand, de la Rivière du Loup;

A Montréal, le 11, Mr. Éloi Chagnon, de Verchères, à Dlle. Justine Élise Brousseau, de Montréal;

A Québec, le même jour, Mr. Maurice Scott, Marchand, à Dlle. Marie Émilie Dasilva;

A Montréal, le 18, Wm. Hamilton, écr. Collecteur de la douane à Stanstead, à Dlle. Margaret M’Millan;


Décédés:—A Québec, le 10 de Mai dernier, à l’âge de 88 ans, l’hon. Carleton T. Monkton, capitaine au 24e. régiment d’infanterie;

A St. Damase, le 14, à l’âge de 55 ans, Joseph Porlier, écr. Juge de paix et Major de milice;

A Montréal, le 15, Dlle. Louise Delisle, âgée de 18 ans;


Commissionnés:—J. Robinson Hamilton, écr. Avocat et Procureur;

Mr. J. D. Vallée, Notaire Public;

Mr. Éric, S. Fournier, Arpenteur;

Wm. Fraser et Louis Tremblay, écrs., Commissaires pour le jugement des petites causés dans la Seigneurie de la Malbaie;

T. Wilson, W. Holmes, Louis Massue, écuyers, le révd. Archidiacre Mountain, et Mgnr. l’Évêque de Fussala, Commissaires pour les personnes aliénées et les enfans trouvés, dans le district de Québec;—I. G. Ogden, R. J. Kimber et Chs. Lafrenaie, écrs. Commissaires pour les mêmes dans le district des Trois-Rivières;—Geo. Selby, R. Nelson et P. de Rocheblave, écrs. Commissaires pour les mêmes dans le district de Montréal.

TRANSCRIBER NOTES

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[Fin de La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 23 par Michel Bibaud]