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Title: La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 17

Date of first publication: 1830

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Aug. 4, 2022

Date last updated: Aug. 4, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IX. 1er. MARS 1830. Numéro XVII.

HISTOIRE DU CANADA.

(CONTINUATION.)

Au commencement de Juillet, les Anglais, sous le commandement des généraux Prideaux et Johnson, se mirent en marche pour aller assiéger Niagara, où commandait M. Pouchot, comme on l’a vu plus haut. En passant à l’empouchure de la rivière de Chouaguen, ils y laissèrent un détachement de deux mille hommes, avec l’ordre de rebâtir le fort détruit d’Ontario. Le chevalier de la Corne s’avança du même côté, dans le dessein de harceler les Anglais, et de les empêcher, s’il était possible, d’avancer vers Niagara. Les Français et les Anglais se trouvèrent en présence les uns des autres, mais comme le combat allait s’engager, la terreur s’empara du détachement de la Corne, qui fut contraint de s’éloigner. Il croyait pouvoir renouveller la tentative le lendemain; mais il trouva l’ennemi sur ses gardes et trop bien retranché pour qu’il fût prudent de l’attaquer.

M. Pouchot ne fût averti qu’il allait être attaqué, que par la vue des Anglais, qui arrivèrent devant son fort le 6 Juillet. Dès le soir, Prideaux l’envoya sommer de se rendre. Pouchot lui fit réponse que sa garnison était brave, que sa place était forte, et qu’il comptait mériter l’estime des Anglais par la défense qu’il y ferait. Il dépêcha aussitôt des couriers à M. d’Aubry et à M. de Lignery, qui commandaient a l’ouest, pour leur mander de le venir joindre avec autant d’hommes qu’ils le pourraient.

Sur la réponse du commandant de Niagara, les Anglais mirent le siège devant en fort, et le poussèrent avec vigueur et habileté; mais la défense ne fut ni moins vigoureuse ni moins habile. Le 21, le général Prideaux fut tué, et remplacé dans le commandement par Sir William Johnson. Le 22, M. Pouchot reçut une lettre de M. d’Aubry, lui annonçant qu’il arrivait avec quinze cents hommes, Français et sauvages, assemblés du Détroit, du fort Le Bœuf, de la Presqu’île et de Vénango, et qu’il se proposait d’attaquer les Anglais, dans l’espoir de leur faire lever le siège de son fort. Le combat eut lieu, en effet, le lendemain: les Français commencèrent l’attaque, à leur ordinaire, avec beaucoup d’impétuosité; mais soit que leur commandant se fût laissé investir par des forces supérieures, comme il est dit dans les Mémoires du chevalier de Lévis, soit qu’il eût été abandonné par ses sauvages, comme le porte une autre relation, au bout d’une heure, ils se trouvèrent hors d’état de résister. Tous les officiers, au nombre de 17, y compris M. d’Aubry,[1] M. de Lignery, et M. Marin, officier canadien de mérite, et presque tous les Français ou Canadiens qui n’avaient pas été tué dans l’action, furent faits prisonniers. Le lendemain, Johnson envoya un trompette au commandant français, avec une liste des dix-sept officiers faits prisonniers, pour le convaincre de l’inutilité d’une défense prolongée. M. Pouchot se montra persuadé de cette vérité, et il fut signé une capitulation, en vertu de laquelle la garnison, forte de six cents hommes, sortit du fort avec les honneurs de la guerre, pour être ensuite emparquée sur le lac Ontario, et conduite à New-York. Les femmes et les enfans furent envoyés à Montréal.

La défaite du corps de d’Aubry et la prise du fort de Niagara firent une vive sensation dans la colonie, d’autant plus que la communication avec le Détroit se trouvait coupée, et qu’il devenait nécessaire d’évacuer plusieurs autres postes. On fut persuadé que les ennemis se présenteraient de suite, aux Rapides, d’où M. de la Corne avait écrit qu’il était hors d’état de résister, et qu’il serait contraint de se retirer à l’approche des Anglais. Le général Amherst arriva en effet, au commencement d’Août, a Carillon, qu’il trouva abandonné et détruit, en conséquence des ordres qu’avaient reçus M. d’Hébecourt, qui y commandait, de se replier de poste en poste, à l’approche de forces supérieures. M. d’Hébecourt se retira d’abord à la Pointe à la Chevelure, où il fit sauter le fort St. Frédéric, et ensuite à l’Isle aux Noix, où M. de Bourlamaque avait élevé des retranchemens, et avait une garnison de trois mille deux soixante hommes. Amherst ayant appris que le fort St. Frédéric avait aussi été abandonné, il s’y rendit avec son armée, forte d’environ dix mille hommes, y fit camper ses troupes, et y construisit un nouveau fort, qui prit le nom anglais de Crown Point.

Pour nous rapprocher de Québec, le général Wolfe despérant de pouvoir effectuer un débarquement au-dessus de cette ville, résolut d’attaquer le marquis de Montcalm, dans ses retranchemens, entre Beauport et la rivière Montmorency. Dans ce dessein, il fit échouer deux navires à fond plat vis-à-vis de la principale redoute, et fit placer un vaisseau de soixante pièces de canon entre ces deux bâtimens. Les brigades de Townshend et de Murray furent mises en bataille, pour tenter le passage du gué quand l’ordre leur en serait donné; et celle de Monkton eut ordre de traverser de la Pointe Lévy, pour soutenir les deux premières, s’il était nécessaire.

A une heure de l’après-midi, le 31 Juillet, le chevalier de Lévis fut informé que deux mille hommes de troupes anglaises étaient en mouvement du côté du gué; il fit aussitôt partir cinq cents hommes et les sauvages pour renforcer ce poste, et donna ordre au sieur Duprat, capitaine des volontaires, de suivre le mouvement des ennemis, et de l’informer de ce qui se passerait, S’étant apperçu que les troupes anglaises embarquées dans des berges et des chaloupes paraissaient se diriger vers le partie du camp retranché qui était vis-à-vis de la pointe de l’île d’Orléans, il y fit marcher le régiment de Roussillon, avec ordre de communiquer par sa droite avec les troupes qui s’avançaient du centre de l’armée vers les rédoutes du Sault. Le marquis de Montcalm, joignit M. de Lévis, vers deux heures, et approuva les dispositions qu’il avait faites.

Les berges anglaises faisaient divers mouvemens propres à inquiéter les Français, en les mettant dans l’impossibilité de devenir dans quel endroit se ferait l’attaque principale, ou plutôt en leur donnant à croire qu’ils seraient attaqués en même temps en différents endroits. Ces mouvemens divers venaient en grande partie de ce que la plupart des berges s’échouèrent sur des bas-fonds; ce qui fit que les troupes ne purent débarquer aussitôt que le général l’aurait désiré. La brigade de Townshend attaqua la première, et contre l’ordre qui lui avait été donné, avant d’être à portée d’être soutenue par les deux autres, les retranchemens du Sault, et fut reçue par un feu si vif et si meurtrier d’artillerie et de mousqueterie, que dès l’abord, les grenadiers, qui s’étaient avancés assez en désordre, à la tête des autres troupes, perdirent un grand nombre d’hommes et surtout d’officiers. Le chevalier de Lévis s’étant apperçu que les Anglais s’étaient déterminés à ne faire qu’une seule attaque, fit renforcer le point attaqué des regimens de Cayenne et de Roussillon. Les Anglais redoublèrent d’efforts soutenus par le feu de leur vaisseau de soixante canons, mais toujours sans succès et en perdant beaucoup de monde. Vers cinq heures, la confusion se mit dans leurs rangs, il commencèrent à plier et à se retirer, et il survint une espèce de tempête qui les déroba pour quelque temps à la vue de leurs ennemis. Lorsque les Français les revirent, ils s’embarquaient dans leurs berges, derrière leurs navires échoués.

Le gain de la bataille de Montmorency, fut principalement dû aux judicieuses dispositions et à l’activité du chevalier de Lévis. La perte des Anglais fut de mille à douze cents hommes tués, blessés et prisonniers: celle des Français ne fut que d’une trentaine de soldats tués, et de quelques officiers blessés.

Aussitôt après cet échec, le brigadier Murray fut détaché avec douze cents hommes, afin d’aider l’amiral Holmes, qui avait été envoyé au-dessus de Québec avec quatre vaisseaux, pour tenter de détruire les deux frégates françaises. Murray tenta deux fois de descendre à la Pointe aux Trembles, et fut repoussé, chaque fois, par M. de Bougainville, qui y commandait. Le général anglais réussit néanmoins à effectuer une descente à Déchambault, où il brûla quelque bagage appartenant aux officiers de l’armée française; après quoi il se rembarqua.

Les Anglais passèrent tout le mois d’Août à canonner Québec et le camp de Montmorency, et à faire sur l’eau divers mouvemens propres à inquiéter les Français, ainsi qu’à faire plusieurs expéditions déprédatoires dans les campagnes. Le 1er. Août, un détachement, commandé par le capitaine Goreham, fut envoyé à la Baie St. Paul, pour y faire des vivres. Une corvette qui convoyait le détachement, ayant jetté l’ancre vis-à-vis de l’île aux Coudres, elle fut saluée par une décharge de mousqueterie, qui lui tua un homme et lui en blessa huit. Sur quoi le capitaine Goreham fit débarquer ses gens, chargea les habitans et les mit en fuite. Peu content de cette facile victoire, il brula toutes les maisons et ne laissa sur pied que l’église, sur la porte de laquelle il mit, suivant M. Smith, un écriteau portant qu’on en avait agi, et qu’on en agirait encore avec cette rigueur envers les Canadiens, en conséquence du peu de cas qu’ils avaient fait de la proclamation du général Wolfe, et de l’inhumanité avec laquelle ils avaient traité les Anglais, en plusieurs rencontres. Le même historien rend un compte détaillé du butin que fit le capitaine Goreham en cette occasion: il consista en vingt bêtes à cornes, quarante moutons, plusieurs cochons, une grande quantité de volaille, des livres, des meubles, des hardes, et autres objets de pillage.

Suivant le même Mr. Smith, le général Wolfe ayant appris, que le curé du Chateau-Richer s’était fortifié dans une grande maison, avec environ quatre-vingts de ses paroissiens, y envoya un détachement avec une pièce de canon et un obusier. Au premier coup de canon tirée sur la maison fortifiée, les Canadiens en sortirent pour aller au-devant de l’ennemi; mais ils tombèrent dans un embuscade qui leur avait été dressée à l’entrée du bois; il y en eut trente de tués, et les Anglais leur enlevèrent la chevelure, en conséquence, ajoute l’historien anglais, de ce qu’ils s’étaient déguisés en sauvages. Les Anglais n’eurent que cinq hommes blessés.

Un autre détachement anglais envoyé du côté de Beaumont, y surprit une vingtaine d’habitans occupés à faire la récolte. Ceux-ci prirent leurs armes, se retirèrent derrière un bois taillés, et tirèrent avant que les ennemis fussent à la portée du fusil. Sur quoi, l’officier anglais partagea ses gens en trois bandes, pour prendre les Canadiens en front et sur les deux flancs. Ces derniers tirèrent sur la bande du centre, qui s’avançait au petit pas; sur quoi les deux autres précipitèrent leur marche, et tombèrent à l’improviste sur les Canadiens, dont cinq furent tués et quatre faits prisonniers. Les Anglais n’eurent que deux hommes blessés légèrement.

Quelques jours après la bataille de Montmorency, M. de Lévis fut envoyé dans le gouvernement de Montréal. Il fit Une excursion jusqu’à Catarocouy, et ordonna sur la route, en allant et revenant, les travaux et les dispositions qu’il crut être les plus utiles pour la défense de cette partie de la colonie. De retour à Montréal, il alla à l’Ile aux Noix, où il trouva les ouvrages ordonnés presque achevés, et la garnison tenue en bon état par les soins de M. de Bourlamaque.

On avait formé le dessein de faire descendre les deux frégates pour attaquer les quatre vaisseaux (entre lesquels il y en avait un de ligne,) que des Anglais avaient fait passer au-dessus de Québec; mais cinq autres vaisseaux étant venus renforcer les quatre premiers, le 28 Août, et quatre autres, le 31, le projet d’attaque devint inexécutable:

Dans les premiers jours de Septembre, le général Wolfe voyant la saison avancée, et désespérant de pouvoir forcer les Français dans leurs lignes de Beauport et de Montmorency, résolut, d’après l’avis de son conseil de guerre, de changer de position, et d’essayer de combattre le marquis de Montcalm dans une situation moins désavantageuse, une victoire étant à peu près devenue pour les assaillans la seule alternative de salut. En conséquence, après avoir incendié les campagnes des environs, l’armée anglaise abandonna le Sault de Montmorency pour revenir à la Pointe Lévy.

(A continuer.)


C’est la première fois que nous voyons le nom de ce M. d’Aubry figurer dans l’histoire du Canada, et nous ne saurions devenir pour quelle raison il avait, en cette occasion, le pas sur M. de Lignery, qui avait déjà été chargé de commandemens importants, et qui s’était distingué en plusieurs rencontres, si ce n’est que le premier était Français, et le second Canadien.

MÉMOIRES DE M. DE MONTLOSIER.

(Suite et fin.)

“Dans la Chambre de la noblesse, à Versailles, Cazalès n’avait eu que des bouffées d’éloquence. Au moment de la réunion des Ordres en assemblée nationale, il voulut bien s’essayer quelquefois; mais au milieu de cette vaste salle, ce qu’il avait de talent se trouva comme étouffé. Si on le laissait à sa place, il pouvait encore fournir avec distinction quelques périodes de suite. Mais si on lui criait à la tribune! (ce qu’on faisait souvent par malice), il n’y était plus. Comme il me le disait lui-même, la tribune le tuait. Extrêmement paresseux de son naturel, parce qu’il voulait peu de chose; mais très ardent pour tout ce qu’il voulait, ne pouvant consentir à la médiocrité, il préféra se donner de la peine. Voici comme il s’y prit: Il méditait d’abord son sujet; le tournant ensuite et le retournant sur tous les sens dans sa forte tête, il en dessinait les compartimens, les fixait; et alors, d’accord avec le baron de Batz et quelques amis, il prononçait tout haut son discours, se laissait ou se faisait interrompre exprès. S’il n’était pas content de lui une première fois, il recommençait une seconde, jusqu’à ce qu’il se sentit imperturbable, et qu’il aperçût ses amis satisfaits. Avec une persévérance étonnante pour un homme tout à la fois aussi paresseux et aussi violent, il a fait ce manège chez le baron de Batz environ trois mois. A la fin, il était parvenu à dessiner et à composer ses discours tout seul. Il paraissait moins heureux de ses succès auprès du public que de l’espérance de sa supériorité sur l’abbé Maury, qu’il a, en effet, souvent égalé, quelquefois surpasse.

“J’ai dit comment Cazalès s’était occupé, dans le principe, à soigner, à perfectionner ses dispositions oratoires, et comment il y était parvenu; ce n’était pas dans la pensée de quelque avantage personnel, encore moins de quelques petits éloges; il ne s’en occupait pas; il voulait passionnément le bonheur de son pays, et croyait fermement à l’établissement d’une Constitution qui l’opérerait. Cette foi dans le nouvel ordre de choses le poursuivit longtemps. Elle l’abandonna lors de la captivité du Roi à Varennes; et aussitôt, quoi que ses autres amis et moi nous pûmes faire, il renonça à la tribune et à la France. Du reste, en tout et pour tout, il est impossible de porter plus loin la négligence de soi. Jamais il ne lui est arrivé de s’informer comment ses discours étaient rapportés dans les journaux. Il ne lui importait en aucune manière qu’ils fussent altérés ou travestis.

“Il en était de même pour tout ce qui concernait sa personne. Je ne me souviens pas de lui avoir vu un habit passable; pour ce qui est de son chapeau, je ne sais si on peut appeler de ce nom un mauvais feutre percé de toutes parts; il avait soin de relever de temps en temps une culotte qui à chaque moment lui tombait sur les genoux. Dans cet accoutrement et une grosse figure assez laide, le feu de ses yeux et ce qu’il avait de noble dans son attitude commandaient le respect. Arrivé à Coblentz, il n’y rechercha aucune faveur. Il y subit, sans se plaindre, tout ce qu’on voulut lui faire subir d’injustice ou d’ingratitude; il vivait fort bien avec des compagnons ou des dévoués; mais des amis ou des ennemis il ne s’en occupait pas.

“Il n’en était pas de même de l’abbé Maury; s’il abandonnait franchement, quelquefois brutalement l’amitié qui ne pouvait plus le servir; il est impossible de cultiver plus soigneusement celle dont il pouvait attendre quelque service; au surplus, habituellement la plus brillante toilette d’abbé; il avait soin de ses succès comme de sa personne. Nous avons causé souvent ensemble de l’état des choses; mais lorsque je voulais savoir de lui ce qu’il entrevoyait de dénouement probable, je ne pourrais dire qu’il eût à cet égard telle ou telle vue; je puis affirmer qu’il n’en avait pas du tout. Je puis ajouter même qu’il ne s’en occupait pas. Voici ce dont il s’occupait; c’était de sa correspondance avec Rome; je voyais sur sa table plusieurs lettres de cardinaux, qu’il ne faisait aucune difficulté d’étaler. Je savais bien où cela devait le mener; il le savait encore mieux que moi.

“Je puis dire que l’abbé Maury n’avait aucune idée de l’avenir de la France; Cazalès en avait une idée fausse. Au surplus, sur ce point même, rien n’est plus singulier que l’état des esprits dans l’assemblée. Voilà un jeune homme qui nous arrive du Dauphiné à Paris, avec ces dispositions heureuses qui ne sont pas encore du talent, mais qui en donnent l’espérance. Ce jeune homme, c’est Barnave. Engagé dans les démêlés qui, dans sa province, avaient eu principalement de l’éclat, ne croyez-vous pas que ce jeune homme, accoutumé à suivre, à Grenoble et à Vizille, la ligne et les erremens de Mounier va continuer à les suivre à l’assemblée nationale? Pas du tout. Son premier procédé est de se séparer de son ami et de son patron. Cet ami est populaire, mais il veut être en même temps monarchique; la popularité ayant tout envahi, Barnave veut être d’abord populaire, il deviendra ensuite monarchique s’il peut. Mounier s’étonne, et lui demande la cause de cette scission.

“M. Mounier, vous avez votre réputation faite, je veux faire la mienne aussi:” ce fut sa réponse. Ainsi, ce n’est pas parce que les opinions de M. Mounier sont plus ou moins justes, plus ou moins vraies, qu’on les adopte ou qu’on les abdique, c’est que notre réputation n’est pas faite. En attendant qu’elle se fasse, il faut proclamer auprès du peuple enivré son indifférence, ou peut-être son approbation des massacres. Il faut prononcer ces paroles horribles: Le sang qu’on verse est-il donc si pur? Il faut provoquer de tout ce qu’on a de puissance et d’élan la subversion et les désastres de son pays. Quand la réputation sera faite, quand les avantages ou de fortune ou de célébrité seront assurés, alors on verra à les réparer. Commençons à percer notre pays avec la lance d’Achille, nous verrons ensuite si, comme on le dit, elle guérit les blessures qu’elle fait.

“Tandis que le paresseux et violent Cazalès soignait, auprès de ses amis intimes, par des répétitions fréquentes, ses dispositions d’éloquence, Barnave, lié d’intimité avec les Lameth et la petite tourbe que Mirabeau signala en criant, silence aux trente voix, soignait de même auprès d’eux ses dispositions oratoires. L’art et la persévérance le portèrent, par la même méthode, au plus haut degré du talent de tribune. Aussitôt qu’un grand sujet était sur le tapis, il le méditait d’abord autant qu’il pouvait; il s’essayait ensuite en petit comité avec ses amis, se rendait de là à la tribune des jacobins; après toutes ces épreuves, il venait à l’assemblée faire couronner l’œuvre.

“J’ai dit exprès qu’il méditait son sujet autant qu’il pouvait. En général, il n’avait, ni comme Maury, ni comme Cazalès, encore moins comme Mirabeau, la faculté d’entreprendre et de traiter un grand sujet ex abrupto, il ne savait rien d’avance. Sa manière était de laisser discourir d’abord les orateurs, de se saisir de leurs pensées, et après y avoir fait un choix qui était toujours habile, il proposait comme à lui une opinion qui n’était le plus souvent qu’un résumé ou un amalgame.

“On l’a souvent appelé l’avocat-général de l’Assemblée. Dans une seule occasion, celle de la déchéance après le retour de Varennes, il a eu une opinion tout entière à lui et émanant de lui: son discours fut sublime. Cazalès m’a dit souvent qu’il le regardait comme le premier talent de l’Assemblée; je soupçonne qu’il y avait en cela de la générosité d’ennemi; ils s’étaient battus: Barnave, d’un coup de pistolet, lui avait mis en pièces quelques os du crâne. Après cela on est à tout jamais ami ou ennemi.”

(Journal des Débats.)

VOYAGE

A Temboctou et a Jenné, dans l’Afrique centrale,

par René Caillié.

Voici un sujet de gloire pour la France, et de jalousie pour son éternelle émule. Ce que l’Angleterre n’a pu faire avec le secours d’une foule de voyageurs et une dépense de plus de vingt millions, un Français l’a fait seul, avec ses faibles ressources personnelles, et sans rien coûter à son pays! L’originé d’un si étonnant succès mérite de fixer l’attention.

Passionné dès l’enfance pour les voyages, M. Caillié, âgé de seize ans, et ne possédant que 60 fr., s’embarque sur la gabarre la Loire qui allait au Sénégal de conserve avec la Méduse. Débarqué à Saint Louis, il prend partie dans une expédition de découvertes dont la mauvaise issue, loin de le rebuter, enflamme son courage. Malgré les remontrances paternelles de M. le baron Roger, il part de nouveau, avec quelques marchandises, pour le pays des Braknas, dans l’intention d’apprendre l’arabe, ainsi que la pratique du culte des Maures; il obtient un accueil favorable, en prétextant de se convertir à l’islamisme et de vivre chez un peuple dont il a entendu vanter la sagesse. Cette fable ne manquait pas d’adresse; mais quelle précaution, quel empire sur soi-même ne suppose pas le mérite d’avoir soutenu un rôle si difficile pendant dix-huit mois, en trompant les regards pénétrant et la jalouse défiance des Maures!

Maître enfin de la langue du pays, et assez familier avec le Coran, le jeune Caillié revient au Sénégal, et solicite les moyens de mettre son projet à exécution; mais son âge n’inspire pas assez de confiance; et M. le baron Roger n’était plus au Sénégal, M. Caillié éprouve un refus cruel; n’ayant rien pu obtenir, il amasse, pendant seize mois de pénibles labeurs, une somme de 2000 fr.; et, avec ce faible pécule, quelques médicamens, deux boussoles de poche, un costume arabe et le Coran, il part pour son grand voyage. A peine a-t-il fait une marche de deux heures, qu’il trouve les tombeaux du major Beddie et de ses compagnons, morts victimes d’une entreprise semblable. Mais il repousse un si funeste augure, et continué sa route.

On le voit, parti de Kakondy le 19 Avril 1827, reconnaître la position presque inconnue des sources du Bâfing, traverser cette rivière à Bafila, passer ensuite le Dhioliba (ou Niger;) de là, se rendre à Kankan, grande ville dans le pays de ce nom, et se porter jusqu’à deux cents milles dans l’Est, au delà du Soulimana, jusqu’à Timé, où il arrive le 3 Août. Là, il est retenu par le scorbut, et reste plusieurs mois entre la vie et la mort, couché sur la terre, privé des secours de l’art et des médicamens, n’osant pas reclamer la pitié de ses hôtes, effrayés des progrès de la maladie. Il ne trouve d’asile que dans la compassion d’une négresse qui lui prodigue les plus tendres soins. Comment ne pas frémir quand on voit cet intrépide jeune homme lutter cinq mois contre la mort, et arracher de ses propres mains les parties de son corps atteintes par la gangrène? Enfin, il entre en convalescence, et, sans attendre son rétablissement, commence une autre excursion.

Résolu de rejoindre le Dhioliba, il part le 9 Janvier 1828. Après avoir vu ou passé plus de cent villages, il revoit le fleuve le 10 Mars, à Galia, en traverse plusieurs bras pour se rendre à Jenné. Le 23 Mars, après une résidence de 13 jours. M. Caillié s’embarque sur le grand fleuve, et recueille des notions aussi positives que neuves sur son cours, sur ses affluens et ses îles et notamment sur le lac Debo. Enfin, il arrive le 17 Avril à Cabra, port de Temboctou; dès le lendemain il fait son entrée dans la ville célèbre, où nul Européen ne l’avait précédé.

Avec quel intérêt on suit M. Caillié pendant son séjour a Temboctou! Quelle prudence et quelle adresse il emploie! On croît le voir, enveloppé dans sa couverture de laine, principal vêtement des Maures, attentif à tout ce qui frappe ses regards, et le Coran sur ses genoux, tandis qu’il semble méditer la loi du prophète, prendre des notes et tracer à la hâte une image fidèle de la ville mystérieuse.

Possesseur de tous les renseignemens qu’il s’était proposé d’obtenir, l’infatigable voyageur s’associe à une caravane pour le Maroc, le 4 Mai, il entre dans l’immense désert de Sahara. Arrivé le 25 Juin au Tafilet, après les souffrances et les privations les plus cruelles, il traverse tout le Maroc; et s’arrête enfin à Tanger, où le généreux M. Delaporte, notre vice-consul, l’accueille et le préserve des périls qu’il aurait courus si sa fable eût été connue.

Le prix de 10,000 f. décerné à M. Caillié par la société géographique est un magnifique témoignage en faveur de sa découverte; mais l’ouvrage qui en renferme le résultat se distingue encore par de précieuses qualités. M. Caillié peint les choses et les hommes d’une manière si vive; il décrit les lieux d’une manière si exacte, qu’on croit les voir et les toucher. A l’absence de toute prétention, à la naïveté de langage, on sent que M. Caillié n’a pas le défaut tant reproché aux voyageurs. Sa candeur ajoute à l’attrait du récit, et, en effet, comme on ne craint pas d’être surpris par des peintures imaginaires; on l’associe vivement aux souffrances et aux paroles du voyageur. On admire son courage, on plaint sa jeunesse, on s’alarme pour sa vie, prodiguée tant de fois, on partage ses courts momens de repos de plaisirs ou de consolation. On fait enfin le voyage de Temboctou, comme il l’a fait lui-même, partagé par la crainte, l’espérance, la soif de connaître, l’ardeur de vaincre, et le bonheur du triomphe. Mais quand on le voit arriver sain et sauf à Tanger, aborder en France avec les fruits de sa précieuse conquête, on éprouve une joie pareille à celle du retour d’un ami; et en donnant des regrets à la perte de tant de voyageurs qui ont péri en Afrique avant le voyage de M. Caillié, on se sent heureux et fier du succès d’un Français qui a exécuté la glorieuse et difficile entreprise où ces illustres explorateurs ont tous succombé.

Journal des Débats.

MUSÉE COSMOPOLITE.

On vient de faire dernièrement l’ouverture d’une espèce de Musée Cosmopolite, dans lequel M. Mazzara se propose d’offrir successivement à la curiosité publique les lieux, les villes et les monumens les plus célèbres qu’il a visités et dessinés dans ses nombreux voyages. Dans ce moment, on voit une suite de tableaux représentant toutes les stations importantes du voyage de Naples à Alexandrie, en Egypte. M. Mazzara, en fournissant les dessins, a confié l’exécution de ces peintures à de jeunes artiste dont les noms sont déjà avantageusement connus. On distingue ceux de MM. Viard, Storelli, fils, Saint-Aulaire, et E. Isabey. On voit successivement, et comme cela pourrait se faire dans un bâtiment par l’ouverture des sabords, les Iles de Procida et de Capri, avec le Golfe de Naples; le volcan de Stromboli, au moment où douze ou treize trombes de mer menacent d’engloutir le vaisseau du Voyageur; le phare et le détroit de Messine; Malte et l’Ile de Calypso; l’Ile de Candie, et enfin une vue générale d’Alexandrie et de tous ses environs.—Ce dernier tableau et celui où est représenté l’étrange phénomène des trombes, fait le plus grand honneur au talent de M. E. Isabey. Dans la vue d’Alexandrie, les artistes et les savans auront l’occasion d’apprécier les effets singuliers et heureux que M. Mazzara a obtenus en combinant les lignes anamorphoses pour produire un genre d’illusion tout particulier. Jamais on n’a vu un tableau qui sur un espace donné représentât un espace aussi large.

Au surplus, on ne peut qu’engager M. Mazzara à faire passer ainsi en revue au public toutes les richesses qu’il a en portefeuille. Ce voyageur distingué a parcouru en antiquaire zélé presque tout l’ancien morde, et il possède particulièrement une suite de dessins faits d’après les monumens cyclopéens, qui pourrait jeter quelque lumière sur ces ouvrages si peu connus encore.

Le Musée Cosmopolite aura encore l’avantage de donner à nos jeunes paysagistes une excellente occasion d’employer leurs talens; et ceux même qui sont plus avancés dans la carrière y pourront paraître avec distinction. On remarque, parmi les tableaux du Musée de Mazzara, une Vue des Catacombes dite Bains de Cléopâtre, exécutée par MM. Cicéri et Tanneur.

Journal des Débats.

LIVRES.

Vous les méprisez les livres, vous dont toute la vie est plongée dans les vanités de l’ambition et dans la recherche des plaisirs ou dans l’oisiveté; mais songez que tout l’univers connu n’est gouverné que par des livres, excepté les nations sauvages. Toute l’Afrique jusqu’à l’Ethiopie et la Nigritie obéit au livre de l’Alcoran, après avoir fléchi sous le livre de l’Evangile. La Chine est régie par le livre moral de Confucius; une grande partie de l’Inde, par le livre du Veidam. La Perse fut gouvernée pendant des siècles par les livres d’un des Zorastres.

Si vous avez un procès, votre bien, votre honneur, votre vie même dépend de l’interprétation d’un livre que vous ne lisez jamais.

Robert le Diable, les Quatre fils Aimon, les Imaginations de M. Oufle, sont des livres aussi; mais il en est des livres comme des hommes, le très petit nombre joue un grand rôle; le reste est confondu dans la foule.

Qui mène le genre humain dans les pays policés? ceux qui savent lire et écrire. Vous ne connaissez ni Hippocrate, ni Boerhaave, ni Sydenham, mais vous mettez votre corps entre les mains de ceux qui les ont lus.

Les livres gouvernent tellement le monde que ceux qui commandent aujourd’hui dans certains pays ont voulu que les livres de leur loi ne fussent que pour eux. Dans d’autres pays on a défendu de penser par écrit sans lettres-patentes.

Il est des nations chez qui l’on regarde les pensées purement comme un objet de commerce. Les opérations de l’entendement humain n’y sont considérées qu’à deux sous la feuille. Si par hazard le libraire veut un privilège pour sa marchandise, soit qu’il vende Rabelais, soit qu’il vente les Pères de l’Eglise, le magistrat donne le privilège sans répondre de ce que le livre contient.

Dans un autre pays, la liberté de s’expliquer par des livres est une des prérogatives les plus inviolables. Imprimez tout ce qu’il vous plaira, sous peine d’ennuyer, ou d’être puni, si vous avez trop abusé de votre droit naturel.

Avant l’admirable invention de l’imprimerie, les livres étaient plus rares et plus chers que les pierres précieuses. Presque point de livres chez nos nations barbares jusqu’à Charlemagne, et depuis lui jusqu’au roi de France Charles V dit le Sage; et depuis ce Charles jusqu’à François I, c’est une disette extrême. Les Arabes seuls en eurent depuis le huitième siècle de notre ère jusqu’au treizième. La Chine en était pleine quand nous ne savions ni lire ni écrire.

Les copistes furent employés dans l’empire romain, depuis le temps des Scipion jusqu’à l’inondation des barbares. Les Grecs s’occupèrent beaucoup à transcrire vers le temps l’Amintas, de Philippe et d’Alexandre: ils continuèrent surtout ce métier dans Aléxandrie. Ce métier était assez ingrat. Les marchands payèrent toujours fort mal les auteurs et les copistes. Il fallait deux ans à un copiste pour bien transcrire la Bible sur du vélin. Que de temps et de peine pour copier correctement en grec et en latin les ouvrages d’Origène, de Clément d’Alexandrie, et de tous les autres écrivains nommés Pères? St. Jerome dit dans une de ses lettres centre Rufin, qu’il a épuisé toute sa bourse à acheter les ouvrages d’Origène dans Aléxandrie.

Les poëmes d’Homere furent longtemps si peu connus, que Pisistrate fut le premier qui les mit en ordre, et qui les fit transcrire dans Athènes, environ cinq cents ans avant l’ère dans nous nous servons. Il n’y a peut-être pas aujourd’hui une douzaine de copies du Veidam et du Zenda-Vesta dans tout l’Orient. Vous n’auriez pas trouvé un seul livre dans toute la Russie en 1700, excepté quelques Missels et quelques Bibles, chez les papas.

Aujourd’hui on se plaint de trop; mais ce n’est pas aux lecteurs à se plaindre; le remède est aisé; rien ne les force à lire: ce n’est pas non plus aux auteurs; ceux qui font la foule ne doivent pas crier qu’on les presse. Malgré la quantité énorme de livres, combien peu de gens lisent? et si on lisait avec fruit, verrait-on les déplorables sottises auxquelles le vulgaire se livre encore tous les jours, en proie?

Ce qui multiplie les livres, malgré la loi de ne point multiplier les êtres sans nécessité, c’est qu’avec des livres on en fait d’autres; c’est avec plusieurs volumes déjà imprimés qu’on fabrique une nouvelle Histoire de France ou d’Espagne, sans rien ajouter de nouveau. Tous les dictionnaires sont faits avec des dictionnaires; presque tous les livres nouveaux de géographie sont des répétitions de livres de géographie. La Somme de St. Thomas a produit deux mille volumes de théologie.

Les livres sont aujourd’hui multipliés à un tel point, que non seulement il est impossible de les lire tous, mais d’en savoir même le nombre et d’en connaître les titres. Heureusement, on n’est pas obligé de lire tout ce qui s’imprime, et le plan de Caramuel, qui se proposait d’écrire cent volumes in-folio, et d’employer le pouvoir spirituel et temporel des princes pour contraindre leurs sujets à les lire, est resté sans exécution. Ringelberg avait aussi formé le dessein d’écrire environ mille volumes différents, mais quand il aurait assez vécu pour les publier, il n’eût pas encore approché d’Hermès Trismégiste, lequel, selon Jamblique, écrivit trente-six mille cinq cents vingt-cinq livres. Supposé la vérité du fait, les anciens n’avaient pas moins de raison que les modernes de se plaindre de la Multiplicité des livres.

Ecrive qui voudra, chacun à ce métier

Peut perdre impunément de l’ancre et du papier.

EPITRES, SATIRES, CHANSONS, &c.

Comme auteur de l’ouvrage ci-dessus, l’Editeur de la Bibliothèque Canadienne n’en peut convenablement parler ni en bien ni en mal: c’est pourquoi il se borne à donner la table des matières contenues dans le volume, et à mettre ici les vers suivants extraits de l’Epitre II; en supprimant les notes, afin d’être plus court.

  Encor, quant aux écrits, convient-il d’être juste;

De ne point voir Octave, alors qu’on lit Auguste;

De ne point ressembler à ces écrivailleurs,

Marteleurs du bon-sens, éternels criailleurs,

Qui, sans discernement et sans critique aucune,

Semblent, comme les chiens, aboyer à la lune;

Trempent, pour un ami, leur plume dans le miel,

Et pour un ennemi, la remplissent de fiel;

Sur un mot du premier sottement s’extasient,

Et, sans entendre l’autre, impudemment s’écrivent:

“Mensonge! absurdité!” Dans l’âge dit moyen,

Un prêtre est accusé d’être manichéen;

A jour fixe, il parait; parle pour sa défense:

Du langage qu’il tient le tribunal s’offense;

Refusant d’écouter plus longtems son discours,

Et se faisant pour lui volontairement sourds,

Les juges, de leurs mains, se bouchent les oreilles,

Pour décrier, après: “Faussetés sans pareilles!”

Ainsi font des écrits nos ignorants brailleurs;

Ce sont aveugles-nés décidant des couleurs:

Leur critique est risible, autant qu’elle est commode.

 

  L’exagération, chez-nous, trop à la mode,

Est encore un défaut que doit fuir, éviter,

L’auteur qui vent se faire applaudir, respecter,

Des gens instruits, s’entend. Parlant à l’ignorance.

Tel, d’un ton triomphant, crie à l’extravagance,

Au crime, au déshonneur, pour des opinions,

S’exténue et s’épuise en exclamations,

Sur des faits ambigus, des questions abstruses.

Donnant ses notions pour sciences infuses,

Tel autre maintiendra que penser autrement,

C’est mériter la hart, ou du moins le carcan.

 

  Et d’où vient, réponds-moi, cette étrange manie,

Ce fol emportement, cette énerguménie,

Ce langage en crîrie, en fureur converti?

C’est, à n’en point douter, de l’esprit de parti;

Esprit qui fait que l’homme, au lieu de parler, beugle,

Pour le vrai, pour le juste, est sourd, devient aveugle;

Foule aux pieds le devoir, l’honneur, la vérité,

Et, parfois, est conduit jusqu’à l’absurdité;

Surtout, quand, jusqu’au bout voulant pousser sa pointe,

Il se prend à quiconque à droit le contrepoints:

Comme il ne peut, alors, vaincre en argumentant,

Son recours est d’aller en gros-mots s’emportant.

 

  Si ce travers se change en esprit de famille,

Pour l’auteur étranger évoquant la Bastille,

S’il peut, sur ses écrits, qu’il vous peint tout en noir,

L’écrivain familier portera l’éteignoir.

Omar, pour son Koran, met le savoir en cendre.

 

  C’est encore un travers, selon moi, de prétendre.

Ainsi qu’un Turc pourrait faire en son bachalic,

Sur son goût, quel qu’il soit, régler ceux du public;

Proclamer qu’un braillard avec goût se fait lire;

Si l’on goûte Cherbois, vouloir que je l’admire;

Dire, non pas, “Je sens,” mais, “Messieurs, vous sentez,”

Ou, “d’admiration vous êtes transportés;

Vous tressaillez de joie:” ou, dans le sens contraire,

“Ce maussade écrivain vous met tous en colère.”

Nous goûtons! détestons! Eh! mais, qu’en savez-vous?

Pensez pour vous, monsieur; nous penserons pour nous.

 

  Le critique devient un censeur ridicule,

S’il veut, bizarrement, donner de la férule

A son contemporain, qui peut, sans le savoir,

Redire un vers, un mot, qu’ailleurs il a cru voir.

Avant de prendre en main la plume pour écrire,

Faut-il donc avoir lu tout ce qui s’est pu dire;

Devrais-je crier: blanc, quand on a crié: noir,

Ou dire trébucher, parce qu’on a dit choir;

Et lorsque je pourrais m’exprimer avec grace,

Joindre ensemble des mots qui se font la grimace?

Où tel autre fut doux, faut-il que je sois dur;

S’il parla clairement, que je devienne obscur;

Ou, de peur de puiser, boire à la même source,

Qu’à tout moment, j’arrête ou détourne ma course?

“Un autre a dit la chose avant vous.”—Je vous croi;

Mais c’est que, par hazard, il vécut avant moi:

Je l’eusse dite avant, avenu le contraire.

Faut-il donc approuver l’écrivain plagiaire?

Non, mais qui nomme-t-on plagiaire écrivain?

Celui qui pille, prend et dérobe sous main;

Qui pendant son larcin, avant, après, se cache.

Cet homme, à mon avis, est un poltron, un lâche;

Un pauvre, paresseux et digne de mépris,

Qui ne possède rien que ce qu’il a surpris.

Mais faut-il, entre nous, appeller plagiaire

L’auteur parlant, parfois, de la même manière

Qu’un auteur plus ancien, traitant mêmes propos?

Des plumes ce serait ordonner le repos;

Et, si pour quelques uns l’ordre était salutaire,

Il n’en serait pas moins à la raison contraire.

Est-ce plagiat, si, rarement, ingénu,

J’imite ou reproduis un écrivain connu?

Non, de mon procédé quiconque, alors, s’offense

Est fâché que je fasse honneur à sa science;

Que je le croie, au moins, un érudit lecteur.

Qu’au Canada, soudain, apparaisse un auteur,

Libre de préjugés, modéré, véridique,

Guidé par l’amour vrai de la chose publique:

Je dirai que son livre, admiré des lecteurs,

Est chez Fabre, souvent, entourré d’acheteurs’;[1]

Et ma muse sera, pour la chose, honnie,

Et dite plagiaire, à bon droit! Je le nie.

Je conseille, pourtant, au moderne écrivain,

Copiant de mémoire, ou le livre à la main,

De dire à son lecteur, par des lettres penchées,

Des choses qu’il transcrit: Là, je les ai cherchées.

Il fera mieux encor, si ses extraits sont longs,

De nommer ses auteurs par leurs noms et surnoms.

Mais, lui chercher chicane, ou lui faire la niche,

Si d’un autre, chez lui, l’on trouve un hémistiche,

Ou deux, et pour cela vouer son livre aux vers,

C’est se rendre lisible, en jugeant de travers.


Il y avait dans mon manuscrit, qui date de 1814: «Est souvent chez Bowman entourré d’acheteurs.»

PROGRES DE LA SOCIÉTÉ.

Extrait desEntretiens d’une Mere avec ses deux Filles.

Lucie.—Quel motif a déterminé hommes à se réunir, puisque, en vivant séparément, chacun était libre et possesseur de tout ce qui l’environnait? Il n’en fut pas de même lorsqu’ils se formèrent en corps de nation. Les lois leur commandèrent; il leur fallut obéir et partager avec d’autres le fruit de leurs peines et de leurs travaux.

Mme Dimsdale.—L’homme est fut pour vivre en société; il devait naturellement chercher à se rapprocher de ses semblables. La difficulté de vivre seuls, et de repousser les attaques des bêtes féroces fut aussi une raison déterminante qui engagea quelques habitans d’un même district à former entre eux une association. Dans la suite, à mesure que leurs familles se multiplièrent, ils formèrent des tribus plus nombreuses; alors, ils jugèrent convenable, pour l’intérêt de tons détablir certaines règles qui empêchassent que les uns ne nuisissent aux autres. Tous les biens avaient d’abord été en commun; mais lorsqu’on eut appris à cultiver la terre, on reconnut l’inconvénient de ce système; c’est que les paresseux se nourrissaient de la substance de l’homme actif et laborieux. La justice exigeait qu’on réformât cet abus; rien n’était plus propre à le faire disparaître que d’obliger chacun à soutenir sa famille du fruit de son travail. Les terres furent partagées; chacun devint exclusivement possesseur du coin qu’il avait à cultiver, et, selon toute probabilité, en transmit la possession à son fils, qui hérita également de sa chaumière et de ses instrumens aratoires.

Emilie.—Si les terres étaient divisées en portions égales, comment se fait-il que les uns soient devenus riches et les autres pauvres?

Mme. Dimsdale.—Ignorez-vous que dans tous les pays il y a des hommes plus industrieux et plus prudents les uns que les autres, et qui par conséquent réussissent mieux dans leurs entreprises?

Emilie.—Cela est vrai; mais encore la division des terres devait-elle rester toujours la même.

Mme. Dimsdale.—Oui, si tous les hommes eussent été également sages et industrieux. Mais un paresseux, qui craignait le travail et avait négligé de mettre de l’ordre dans ses affaires, n’était pas fâché de trouver un homme à qui ses champs bien cultivés raportaient une moisson abondante, qui voulût acheter une partie ou même la totalité de sa terre. Celui qui avait ainsi doublé ses propriétés n’était pas en état de les cultiver lui seul; d’un autre côté, la nécessité obligeait celui qui avait eu l’imprudence, de se défaire de son champ à se soumettre à un service mercenaire pour soutenir son existance; de là cette distinction de maître et de serviteur. Les talens ne restèrent pas non plus sans récompense; ils donnaient à ceux qui en étaient doués une supériorité marquée sur les esprits grossiers que leur pesanteur retenait dans l’ignorance. Les travaux les plus pénibles retombaient sur la classe la moins éclairée; on n’a guère besoin que de la force du corps pour bêcher la terre et porter des fardeaux.

Lucie.—Je vois parfaitement que le plus sage, parmi les sauvages, sera toujours le plus puissant, mais qu’ils aient consenti à se laisser gouverner par un seul, c’est ce que j’ai de la peine à concevoir. Il faut que le premier roi ait été bien adroit pour persuader aux autres hommes de lui sacrifier leur volonté en toute circonstance.

Mme. Dimsdale.—Lorsque les divisions d’intérêt eurent enfanté les guerres, chacune des tribus ennemies fut obligée de se créer un chef qui la conduisît au combat; on donna naturellement la préférence à celui qui jusque là s’était fait remarquer par son courage et son habileté: s’il était assez heureux pour réussir dans son entreprise, il arrivait quelquefois qu’il conservait son autorité; ce qui lui donnait une grande influence dans les conseils tenus par les anciens de la nation. L’histoire des premiers temps nous fournit une foule d’exemples de gens qui, soit par ambition, soit par le désir plus noble d’être utiles à leurs concitoyens, s’élevèrent à la souveraineté, en dictant des lois qu’ils disaient tenir du ciel. Ce fut là le moyen qu’employa Numa pour persuader aux Romains d’observer ses institutions religieuses.

Lucie.—Toutes les nations furent-elles d’abord gouvernées par des rois?

Mme. Dimsdale.—Non; différentes circonstances produisirent différentes formes du gouvernement. Quelques uns, comme nous l’avons remarqué, choisissent pour les gouverner un général habile, un sage législateur, celui enfin qui par ses services et ses actions s’était acquis des droits à leur estime. D’autres confièrent leurs intérêts à des assemblées de vieillards vénérables, qui discutaient en plein conseil les affaires de la nation, c’était le règne de l’aristocratie; elle dégénéra bientôt; car, à mesure que la société fît de nouveaux progrès l’honneur de siéger dans ce nouveau sénat devint le prix de l’intrigue et de la faveur. Ce qui devait être réservé exclusivement à la sagesse et à la vertu, passa entre les mains de la noblesse. D’autres enfin ne voulant pas renoncer à leur indépendance, délibérèrent dans des assemblées du peuple; c’est ce qu’on appelle lu démocratie: celui-là est le pire de tous les gouvernemens.

Emilie.—Cependant il ne me paraît pas juste d’exclure le peuple du maniement des affaires, puisque le seul but du gouvernement est de protéger ses intérêts.

Mme. Dimsdale.—Le gouvernement le plus sage est le gouvernement représentatif où le peuple choisit des hommes éclairés qui agirent en son nom. Si ceux-ci abusent du pouvoir qui leur est confié, il a la faculté de les rejetter à la prochaine élection. Ce gouvernement peut être aristocratique ou monarchique, c’est à dire que comme en France et en Angleterre, il peut avoir un monarque à sa tête; ce qui lui procure une foule d’avantages, dont par la suite vous pourrez mieux apprécier la valeur.

BONS-MOTS.

Cyrus le Jeune étant sur le point de combattre, Clearque lui conseillait de se tenir derrière les Macédoniens, afin d’être hors du danger. Quoi! répondit Cyrus, vous me conseillez de me rendre indigne de la couronne, au moment où je combats pour la posséder.

Un des amis de Socrate, s’étonnait de ce qu’ayant quelques personnes à recevoir dans sa maison, il avait fait si peu de préparatifs pour cela: Si ce sont, dit-il, d’honnêtes gens, ce que j’ai préparé doit leur suffire; s’ils sont vicieux, je n’en ai que trop fait.

Alexandre offrait la paix aux Athéniens à condition qu’ils lui livreraient huit de leurs orateurs: la-dessus Demosthene dit: Alexandre fait comme le loup de la fable, qui promettait aux brebis de faire la paix avec elles, pourvu qu’elles lui livrassent les chiens qui les gardaient, et qui causaient, disait-il, toutes leurs divisions.

Crates, philosophe Grec, disciple de Diogène, déposa entre les mains d’un banquier son argent, avec ordre de le remettre à ses enfans, en cas qu’ils fussent fous; car, dit-il, s’ils sont philosophes, ils n’en ont pas besoin.

Quelqu’un dit de Pline le jeune qu’il faisait une description si belle et si exacte de sa maison, qu’il semblait qu’il voulait la vendre.

On demandait à Diogène de quelle manière Denys le Tyran en usait avec ses amis: il les regarde, dit-il, comme bouteilles; il les prend quand elles sont pleines et les rejette quand elles sont vides.

Les députés d’une province accusant leur gouverneur de concussion, en demandaient un autre à Tibere: Gardez, dit cet empereur, cette sangsue remplie, et n’en prenez pas une affamée.

Un duc de Savoie exigeait dans ses états des contributions extraordinaires. La Savoie gémissait sous le poids de tant d’impôts. Un paysan eut le noble courage de lui dire: Sire, je vois dans votre royaume la passion du Sauveur renversée. Comment l’entends-tu, lui demanda le roi? (Le duc de Savoie portait le titre de roi de Chypre.) C’est que dans la passion, répondit le paysan, un seul meurt pour tous, et nous mourons tous pour un seul.

Le mot de ce paysan est le même, en d’autres termes, que cette pensée énergique de Lucain: Humanum paucis vivit genus. Le genre humain ne vit que pour un petit nombre d’hommes.

RÉGISTRE PROVINCIAL.

Mariés:—A Québec, le 16 Février dernier, H. S. Huot, écr. Avocat, à Dlle. Josephte Clouet;

A Berthier, le 17, P. H. Panet, écr. Avocat, des Trois-Rivières, à Dlle. Marie-Anne, fille de feu l’hon. P. L. Panet;

A Champlain, le 20, A. Polette, écr. Avocat, de Québec, à Dlle. Henriette Dubuc;

A Montréal, le Michel Borne, écuyer de Québec, à Dame Charlotte Munro, veuve de feu le Dr. J. Leduc;

Au même lieu, le même jour, Mr. J. O. A. Turgeon, Étudiant en Droit, à Dlle. Louise Rosalie Dezery;

Dernièrement, à St. Martin, Mr. N. Prevost, de St. Vincent de Paule, à Dlle. Fleurie Papineau, fille d’André Papineau, M. P.


Décédés.—A Montréal, le 16 Février dernier, à l’âge de 45 et 6 mois, Dame Elizabeth Verreau, épouse de Mr. Joseph Robitaille.

A St. Hyacinthe, le 16, à l’âge de 24 ans, Dame Eugenie Papineau, épouse du Dr. T. Bouthillier.

A Québec, le 4, Dame Charlotte Desbarats, épouse du Dr. C. N. Perrault.

A St. Roch, le même jour, Dame Marie Louise Pétrimoulx, épouse de Bmg. Rocher, écuyer.

A Montréal, le 23, T. Porteous, écuyer, âgé de 64 ans.

Au même lieu le 21, à l’âge de 3 ans et 6 mois, Dlle. Aurélie, fille de l’hon. L. J. Papineau.

Le même jour, à l’Ile du Milieu, paroisse de Berthier, à l’âge de 23 ans et 8 mois, Dame Julie Roussin, épouse de Wm. Morrison, écuyer.

A St. Gervais, le 25, Lazarre Buteau, écuyer, Major de milice, âgé de 85 ans.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 17 edited by Michel Bibaud]