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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 1, Juin, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 3, 2020

Date last updated: May 3, 2020

Faded Page eBook #20200507

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La Bibliothèque Canadienne


Tome V. JUIN, 1827. Numero 1.

Accueillie comme l’a été d’abord, la Bibliothèque Canadienne, par la partie éclairée et notable du public, nous osons nous flatter de voir ce journal prospérer de plus en plus, en autant que le nombre des personnes en état de souscrire doit s’accroître de jour en jour, dans la province, avec la population. Mais dans tous les pays, les goûts sont différents, et il y en a de difficiles à contenter. Il n’en est peut-être pas de la culture des lettres et des sciences comme de celle de la terre, où, suivant Virgile,

A force de travail, on vient à bout de tout,

parce qu’il n’y est pas question seulement du besoin, mais encore de la fantaisie des amateurs.

Pour parer à cet inconvénient, et vaincre cette difficulté, nous nous sommes étudiés, depuis le commencement, à varier, autant que possible, le contenu de chacun de nos numéros; de manière qu’en prenant le tout ensemble, on ne pût pas nous faire justement le reproche d’avoir préféré le goût des uns à celui des autres, ou le nôtre à celui de la généralité de nos lecteurs. Dans la persuasion que nous avons réussi, du moins jusqu’à un certain point, à joindre l’utile à l’agréable, nous continuerons comme nous avons commencé, et mieux encore, s’il nous est possible; comptant, pour l’augmentation du nombre de nos abonnés sur la bienveillance d’un public libéral et éclairé, ainsi que sur le zèle de nos agens et de nos amis.

Nous adressons, comme de coutume, ce premier numéro à quelques personnes notables dont les noms ne sont pas encore sur notre liste de souscription; priant celles qui ne voudraient pas s’abonner, de le remettre dans le plus court délai possible, soit à nous-même, soit à l’agent le plus proche de leur résidence.

L’Editeur.

HISTOIRE DU CANADA.

Cependant M. de la Barre, comprenant que la Nouvelle France se trouvait dans des conjonctures infiniment délicates, convoqua une assemblée à laquelle il invita l’évêque, l’intendant, plusieurs des membres du conseil supérieur, les principaux officiers des troupes, les chefs des juridictions subalternes, le supérieur du séminaire de Québec et celui des missions, et les pria de lui dire leurs avis sur la cause et la nature du mal, et sur les remèdes qu’il convenait d’y apporter.

On fit observer d’abord au gouverneur, que le but des Iroquois était d’attirer à eux tout le commerce du Canada, pour le transporter aux Anglais et aux Hollandais de la Nouvelle York; que ces barbares cherchaient à amuser les Français, tandis qu’ils travaillaient à débaucher leurs alliés, ou à détruire les uns par les autres, tous ceux qu’ils ne pouvaient détacher de leurs intérêts; qu’il était d’une grande importance d’empêcher que ces sauvages ne vinssent à bout de leur dessein; mais que la colonie ne pouvait mettre plus de mille hommes sous les armes sans faire cesser, presqu’entièrement, les travaux de la campagne.

On lui représenta, en second lieu, qu’avant de prendre ouvertement les armes, il fallait se pourvoir de magazins de vivres et de munitions, le plus près qu’il se pourrait du pays ennemi; que le fort de Catarocouy était le poste le plus convenable pour l’exécution de ce dessein; qu’il fallait avoir au moins trois ou quatre barques sur le lac Ontario, pour porter les munitions, les vivres et une partie des troupes où il serait nécessaire; que c’était chez les Tsonnonthouans qu’il convenait de porter d’abord la guerre, mais qu’avant de s’engager dans une pareille entreprise, il fallait demander au roi deux ou trois cents soldats, dont une partie serait mise en garnison dans le fort de Catarocouy, et dans celui de la Galette, bâti depuis quelque temps, pour garder l’entrée de la colonie, tandis que toutes les forces seraient dehors; et prier sa majesté de vouloir bien envoyer, en même temps, dans le pays, de mille à quinze cents engagés, pour cultiver les terres en l’absence des habitans, et en prendre ensuite eux-mêmes de nouvelles, et de fournir les fonds nécessaires pour la formation des magazins et la construction des barques; que pour engager le roi à faire cette dépense, il était besoin de l’instruire de la nécessité de la guerre, et de l’insuffisance de la colonie pour la soutenir; que sans la prompte arrivée de secours de France, le Canada s’attirerait de plus en plus le mépris de ses ennemis, et achèverait de perdre la confiance de ses alliés.

M. de la Barre fit dresser un acte de cette délibération, et l’envoya à la cour. Elle y fut fort approuvée, et le roi donna ordre de faire embarquer, au plutôt, deux cents soldats pour la Nouvelle France. Il écrivit en même temps au général une lettre où il lui mandait que le gouverneur de la Nouvelle York devait avoir reçu de son souverain l’ordre exprès d’entretenir une bonne correspondance avec les Français, et lui recommandait d’empêcher, autant qu’il lui serait possible, que les Anglais ne s’établissent dans la Baie d’Hudson, dont les Français avaient pris possession, quelques années auparavant.

La Baie d’Hudson et les pays qu’elle baigne étant présentement trop bien connus pour qu’il soit nécessaire de les décrire, nous passons de suite aux causes qui donnèrent lieu aux instructions transmises par Louis XIV à M. de la Barre.

On ignore en quel temps et par qui la Baie d’Hudson fut découverte pour la première fois; mais il est certain que ce fut Henry Hudson, navigateur anglais, qui donna son nom à cette baie, ainsi qu’au détroit par lequel il y entra, en 1611. Charlevoix prétend que les prises de possession de quelques parties de ces pays, faites en différents temps, par Nelson, pilote d’Hudson, Button et Luxfox, n’établissaient pas mieux les droits de la nation anglaise sur cette baie, que celles de Vérazani n’établissaient ceux de la France sur la Caroline, la Virginie, &c. puisque, dit-il, il est certain que les Anglais ne possédaient rien aux environs de celte baie, lorsqu’en 1656, le sieur Bourdon y fut envoyé du Canada, pour en assurer la possession à la France. Cette comparaison nous parait pourtant manquer d’exactitude, en ce qu’au temps dont parle notre historien, les Anglais avaient des établissemens dans la Caroline et la Virginie, et que les Français n’en avaient point dans les pays de la Baie d’Hudson. Aussi ajoute-il, par forme de correctif, qu’il est vrai de dire qu’en 1663, deux transfuges français, nommés Médard Chouart Desgroseilliers et Pierre Esprit de Radisson, pour se venger de quelque mécontentement qu’on leur avait donné, conduisirent les Anglais dans la rivière de Némiscau, et que ceux-ci bâtirent, à l’embouchure de cette rivière, un fort qu’ils nommèrent Rupert; qu’ils en construisirent ensuite un second chez les Monsonis, puis un troisième à Quilchitchouen.

Mais, à tort ou à droit, ces entreprises furent regardées, en France et en Canada, comme des usurpations; et pour empêcher la prescription, M. Talon, qui avait formé le dessein de chercher un chemin facile pour aller à la Baie d’Hudson par le Saguenay, profita d’une nouvelle députation des sauvages de ces quartiers-là, dont le motif était encore d’avoir des missionnaires. Il choisit, pour les accompagner, le P. Albanel, à qui il donna pour adjoints M. Denys de St. Simon, gentilhomme canadien, et un autre Français.

Ils partirent de Québec le 22 Août, 1671, et dès le 17 Septembre, ils eurent avis que deux navires anglais étaient mouillés dans le fond de la Baie d’Hudson, et y faisaient la traite avec les sauvages. Cette nouvelle les obligea d’envoyer demander des passeports à Québec, et ce retardement leur fit perdre la saison propre à naviguer sur la rivière, et les contraignit d’hiverner sur les bords du lac St. Jean. Ils se remirent en route, le 1er Juin de l’année suivante 1672, et le 13, ils rencontrèrent dix-huit canots remplis de sauvages mistassins, qui paraissaient vouloir leur disputer le passage. Ils n’en firent rien pourtant, et parurent même acquiescer à l’invitation que leur fit le P. Albanel de reprendre leur ancienne coutume de venir en traite au lac St. Jean, où il leur promit qu’ils trouveraient toujours des marchandises et un missionnaire, comme par le passé.

Le 18, nos voyageurs entrèrent dans le lac des Mistassins, et le 25, ils arrivèrent au bord de celui de Némiscau. Le 1er Juillet, ils se rendirent en un lieu nommé Miscoutenagechit, où les sauvages qui avaient demandé un missionnaire les attendaient, et les reçurent avec de grandes démonstrations de joie. Le P. Albanel s’apperçut néanmoins qu’ils craignaient qu’on ne voulût leur interdire de commercer avec les Anglais, qui s’étaient avancés jusque-là, et y avaient bâti une maison pour la traite; mais il les rassura, en leur disant que les Français ne songeaient qu’à assurer la tranquillité et la sûreté du pays contre les Iroquois.

Quelques jours après, le P. Albanel partit de ce village, avec ses deux compagnons, parcourut tous les environs du lac Némiscau, s’embarqua sur la rivière de même nom, et entra, par cette voie, dans la Baie d’Hudson. Il fit en plusieurs endroits, des actes de prise de possession, suivant l’ordre qu’il en avait reçu, les signa avec le sieur de St. Simon, et les fit signer par les chefs de dix ou douze tribus, qu’il avait eu la précaution de rassembler, pour être témoins de ces prises de possession et les rendre plus solennelles. Mais ces cérémonies n’empêchèrent pas les Anglais de continuer à s’enrichir par le commerce de la Baie d’Hudson.

Cependant Radisson et Desgroseilliers, soit par un retour d’affection pour leur patrie, soit en conséquence de quelque mécontentement particulier, étaient repassés en France, quoique le premier eût épousé la fille du chevalier anglais Kirke, et le roi leur avait permis de revenir en Canada, où il leur avait même accordé des faveurs qu’ils ne paraissaient pas avoir méritées. Quelques années après, il se forma à Québec une Compagnie du Nord, qui entreprit de chasser les Anglais de la Baie d’Hudson. Elle crut ne pouvoir employer des individus plus capables de faire réussir l’entreprise que Radisson et Desgroseilliers, qui s’étaient offerts d’eux-mêmes, qui connaissaient mieux que personne le pays, et qui trouvaient, suivant l’opinion publique, l’occasion de réparer leur faute, et peut-être de venger leurs injures particulières.

Ils partirent de Québec en 1682, avec deux vaisseaux, assez mal équippés pourtant, et allèrent droit au premier fort des Anglais; mais ils les y trouvèrent si bien retranchés qu’ils n’ôsèrent les attaquer. Ils rangèrent la côte occidentale, cherchant un poste où ils pussent établir avantageusement la traite des pelleteries, et le 26 Août, ils entrèrent dans le port Nelson, où se déchargent par la même embouchure deux rivières considérables, dont l’une avait été nommée rivière Bourbon, par le capitaine d’un vaisseau français, qui y avait hiverné en 1675, et l’autre fut appellée alors, par Desgroseilliers, rivière Ste. Thérèse, du nom de sa femme, sœur de Radisson.

A peine Desgroseilliers et son beau-frère étaient-ils sur les bords de la rivière Ste. Thérèse, qu’ils y virent arriver une barque de Boston, et ensuite un navire anglais, dont le commandant les somma de se retirer du pays. Il aurait fallu obéir, si ce navire n’eût pas été presque aussitôt brisé par les glaces.—Le commandant et ses gens eurent assez de peine à se sauver sur ces mêmes glaces, et loin d’être en état de faire la loi à leurs rivaux, ils se trouvèrent réduits à leur demander l’hospitalité. On leur fournit des vivres et on leur permit de construire des cabanes sur les bords de la rivière Bourbon, en tirant de leur commandant une promesse par écrit qu’il ne s’y fortifierait point, et qu’il ne ferait aucun acte qui pût préjudicier aux droits du roi de France.

Il y a apparence que cette promesse fut mal gardée; du moins est-il certain que la mésintelligence se mit bientôt entre les Français et les Anglais; car ces derniers, quoique beaucoup plus nombreux, furent tous faits prisonniers. Il parait qu’ayant tenté d’abord inutilement de surprendre les Français, ils furent eux-mêmes surpris ensuite, lorsqu’ils n’étaient pas sur leurs gardes, ou même lorsqu’ils étaient tous enivrés, comme il est marqué dans la relation du sieur Jérémie, qui eut, quelques années après, un commandement dans ces contrées.

Quoiqu’il en soit, les Français se trouvèrent bientôt embarrassés d’un si grand nombre de prisonniers, d’autant plus que les vivres commençaient à leur manquer: aussi dès que la saison permit de se mettre en mer, ils embarquèrent une partie des Anglais sur un de leurs vaisseaux, en leur permettant d’aller où bon leur semblerait; partirent eux-mêmes, avec le reste de leurs prisonniers, sur leur autre vaisseau et sur la barque de Boston, dont ils s’étaient emparés, et arrivèrent à Québec, où la conduite qu’ils avaient tenue à l’égard des Anglais ne plut pas aux intéressés de la Compagnie du Nord. On les chagrina ensuite sur plusieurs articles concernant la traite des pelleteries, dont ils avaient cependant apporté une cargaison considérable; ce qui les obligea de passer en France, où ils espéraient qu’on leur rendrait plus de justice. Mais, soit que leur conduite fût véritablement repréhensible, soit que leurs ennemis eussent prévenu le ministre contre eux, leur espérance fut trompée, et le désespoir les fit recourir une seconde fois aux Anglais. Milord Preston, ambassadeur à la cour de France, ayant été informé de leur mécontentement, leur persuada de passer en Angleterre. Radisson y passa en effet, et l’année suivante 1685, on lui donna deux vaisseaux, pour aller s’emparer du fort qu’il avait lui-même construit, à l’entrée de la rivière Ste. Thérèse, et où le jeune Chouart, son neveu, fils de Desgroseilliers, était resté avec huit hommes seulement. Arrivé à la vue du fort, et ayant fait les signaux dont ce jeune commandant était convenu avec son père et son oncle, il y fut reçu sans difficulté. Ainsi fut perdu temporairement pour la France et pour le Canada, le commerce de la Baie d’Hudson, évalué alors à quatre cent mille francs par année.

Pour revenir à M. de la Barre, ce général se préparait à la guerre contre les Iroquois, sans néanmoins avoir perdu tout espoir d’accommodement avec ces sauvages, et toujours disposé à traiter avec eux, s’il le pouvait faire avec honneur. Ayant appris qu’ils étaient sur le point de marcher contre les Outaouais et les Miamis, quoiqu’ils eussent publié qu’ils n’en voulaient qu’aux Illinois, il leur envoya un homme de confiance, qui arriva au principal village des Onnontagués, rendez-vous des guerriers, la veille du jour qu’ils en devaient partir pour se mettre en campagne.

Cet envoyé fut assez bien reçu des Iroquois, et il réussit à tirer d’eux la promesse de suspendre l’expédition, et de députer quelques uns d’entr’eux à Montréal, pour y traiter avec le gouverneur général; mais on s’apperçut bientôt qu’ils n’avaient pour but que d’endormir les Français. Ils avaient assuré que leurs députés seraient à Montréal avant la fin de Juin, et dès le mois de Mai, M. de la Barre eut avis que sept à huit cents hommes des cantons d’Onneyouth, d’Onnontagué et de Goyogouin étaient en marche, pour aller attaquer les Hurons, les Outaouais et les Miamis; et que les Tsonnonthouans devaient se répandre par troupes, vers la fin de l’été, dans les habitations françaises.

Le gouverneur, en faisant part de cette nouvelle au ministre de la marine et des colonies, lui manda que ce projet avait été formé à l’instigation des Anglais de la Nouvelle York, qui se servaient pour ces négociations de Français transfuges, dont ils favorisaient la désertion; qu’autant qu’il pouvait juger de la disposition des cantons iroquois, il fallait se résoudre à abandonner absolument le Canada, ou faire un effort pour détruire au moins les Tsonnonthouans et les Goyogouins, les plus animés de tous contre les Français, et qui pouvaient mettre aisément plus de deux mille hommes en campagne; qu’il le priait en conséquence d’engager le roi à lui envoyer, de bonne heure, quatre cents soldats, afin qu’au commencement d’Août, au plus tard, il pût entrer dans le pays des Iroquois, avec des forces suffisantes pour ranger ces barbares à la raison.

Quelque temps après le départ du vaisseau par lequel il envoya cette lettre, M. de la Barre crut devoir faire encore une tentative auprès des Cantons: il leur envoya demander en quel temps ils comptaient que leurs députés arriveraient à Montréal, pour dégager la parole qu’ils lui avaient donnée. Ils lui firent répondre qu’ils ne se souvenaient pas de lui avoir rien promis, et que s’il avait quelque chose à leur faire savoir, il pouvait les venir trouver chez eux. Il eut, en même tems, avis que les habitans de la Nouvelle York avaient donné depuis peu des marchandises à perte aux Iroquois, dans le dessein de rendre les Français odieux à leur nation, en lui persuadant qu’ils n’avaient en vue que de les dépouiller. Dans le fond, comme le remarque Charlevoix, les Iroquois trouvaient beaucoup mieux leur compte avec les Anglais et les Hollandais, qu’avec les Français, parce que les pelleteries ne payaient point de droits dans la Nouvelle York, et que le commerce en était permis à tous les particuliers. Cependant, comme ces sauvages craignaient plus les Français qu’ils ne le voulaient laisser paraître, des députés des cinq cantons arrivèrent au mois d’Août à Montréal; mais on ne put tirer d’eux autre chose que des protestations vagues d’un attachement sincère.

Tout le monde était convaincu que les Cantons ne cherchaient qu’à gagner du temps, pour empêcher le gouverneur de se tenir sur ses gardes. Ils parlaient ouvertement de la résolution qu’ils avaient prise de faire la guerre aux alliés de la colonie; l’on savait qu’un de leurs partis s’était approché du fort de Catarocouy, dans la vue d’en surprendre la garnison et de s’y cantonner; et les missionnaires qui étaient parmi ces sauvages avertissaient M. de la Barre de se méfier d’eux; mais il n’eut égard ni aux remontrances des uns ni aux avis des autres; il reçut très bien les députés, leur fit beaucoup de caresses, et les renvoya chargés de présens.

Peu après, et dans le temps même où M. de la Barre se reposait avec le plus d’assurance sur les protestations des Iroquois, ils mirent une armée en campagne pour aller enlever le fort St. Louis, où il avait envoyé M. de Baugy, lieutenant de ses gardes, en qualité de commandant. Ils rencontrèrent sur leur route quatorze Français, qui allaient en traite chez les Illinois, les chargèrent, les défirent, et leur enlevèrent pour une quinzaine de mille francs de marchandises. Ils parurent ensuite à la vue du fort, et l’attaquèrent; mais M. de Baugy et le chevalier de Tonti, ayant été avertis de leur approche, et s’étant préparés à la défense, les assaillans furent repoussés d’abord avec perte, et obligés ensuite de se retirer.

(A continuer.)

EXPÉDITION CONTRE LES RENARDS.

La Relation des Aventures de, M. de Boucherville publiée dans le Tome III. de la Bibliothèque Canadienne, commence ainsi:—

“Après le mauvais succès de l’entreprise contre les Renards, M. de Ligneris (ou Lignery) dépêcha sept Français et deux Folles-Avoines, pour me donner avis de tout ce qui s’était passé; afin que je prisse de justes mesures pour notre sureté, et que j’engageasse les Scioux à refuser leur protection aux Renards.”

Ce passage indique un événement, un fait, en apparence important, dont ni Charlevoix, ni aucun autre historien, à ce que nous croyons, ne font mention, et laisse conséquemment appercevoir une lacune dans l’Histoire du Canada. Cette lacune se trouve heureusement remplie par le Voyage du P. Crespel, Récollet, publié à Québec, il y a une vingtaine d’années. Dans une des lettres dont ce petit ouvrage se compose, le P. Crespel, choisi pour accompagner M. de Lignery, comme aumonier, donne ainsi, en substance, le détail de son expédition:

On me tira de ma cure (de Sorel) pour me faire aumonier d’un parti de 420 Français (ou Canadiens) que M. le marquis de Beauharnois avait joint à 8 ou 900 sauvages de toutes sortes de nations: il y avait surtout des Iroquois, des Hurons, des Nipissings et des Outaouais, auxquels M. Jezet, prêtre, et le P. de la Bretoniere, jésuite, servaient d’aumoniers. Ces troupes, commandées par M. de Lignery, avaient commission d’aller détruire une nation appellée les Renards, dont la principale habitation est éloignée de Montréal de 450 lieues, ou environ. Nous partîmes le 5 Juin, 1728, et nous montâmes près de 150 lieues de la grande rivière des Outaouais. Nous la quittâmes à Matäouan, pour prendre celle qui conduit au lac des Nipissings. Son cours est de 30 lieues, et elle se trouve coupée de sauts et de portages, comme celle des Outaouais. De cette rivière nous entrâmes dans le lac (Nipissing,) et de ce lac dans la rivière des Français, qui nous conduisit bien vite dans le lac Huron. Comme il n’est pas possible que beaucoup de personnes aillent ensemble sur ces petites rivières, on était convenu que ceux qui passeraient les premiers attendraient les autres, à l’entrée du lac Huron, dans un endroit nommé La Prairie. Le 26 Juillet, nous fûmes tous réunis, et le lendemain, nous partîmes pour Michillimakinac. Quoique nous eussions cent lieues à faire, le vent nous fut si favorable, que nous arrivâmes en six jours. On y resta quelque temps, pour raccommoder ce qui avait été endommagé dans les portages et dans les sauts. J’y bénis deux drapeaux, et j’y enterrai quelques soldats, que la fatigue ou la maladie nous avait enlevés.

Le 10 Août, nous partîmes de Michillimakinac, et nous allâmes dans le lac Michigan. Le vent qui nous y retint deux jours, donna le temps à nos sauvages d’aller à la chasse. Le 14, nous continuâmes notre route jusqu’au détour de Chicagou; et de là en prenant la traverse, nous reçûmes un coup de vent qui poussa contre la côte plusieurs canots, qui ne purent doubler une pointe pour se mettre à l’abri. Ils furent brisés dans ce choc, et on fut obligé de distribuer dans les autres canots les hommes qui, par le plus grand bonheur du monde, avaient échappé au danger. Le lendemain, nous traversâmes aux Folles-Avoines, afin d’en inviter les habitans à venir s’opposer à notre descente. Ils donnèrent dans le piège, et furent entièrement défaits. Nous allâmes camper, le jour suivant, à l’entrée d’une rivière nommée la Gasparde: nos sauvages entrèrent dans le bois, et en rapportèrent plusieurs chevreuils.

Le 17, vers midi, nous fîmes halte jusqu’au soir, afin de n’arriver que la nuit au poste de la Baie. Nous voulions surprendre nos ennemis, que nous savions être chez les Saquis (ou Sakis) leurs alliés, dont le village est auprès du fort St. François.—Nous nous mîmes en route dans l’obscurité, et arrivâmes à minuit à l’entrée de la rivière des Renards, où est bâti notre fort. Aussitôt que nous y fûmes, M. de Lignery envoya quelques Français au commandant, pour savoir s’il y avait en effet des ennemis dans le village des Saquis; et ayant appris qu’il devait y en avoir, il fit passer de l’autre côté tous les sauvages, avec un détachement de Français, pour environner l’habitation, et ordonna que le reste de nos troupes y entrât. Quelques précautions qu’on eût prises pour cacher notre arrivée, les ennemis en eurent connaissance, et tous se sauvèrent, à l’exception de quatre dont on fit présent à nos sauvages; lesquels, après s’en être bien divertis, les tuèrent à coups de flèches. Je fus avec peine témoin de cet horrible spectacle.

Après ce petit coup de main, nous montâmes la rivière des Renards, qui est toute pleine de rapides, et dont le cours est d’environ trente-cinq à quarante lieues. Le 21 Août, nous arrivâmes au village des Puants, bien disposés à détruire ce que nous y trouverions d’habitans; mais leur fuite avait prévenu notre arrivée, et nous ne pûmes que bruler leurs cabanes, et ravager leur bled-d’Inde, qui leur sert de nourriture principale.

Nous traversâmes ensuite le petit lac des Renards, au bord duquel nous campâmes; et le lendemain, jour de St. Louis, nous entrâmes dans une petite rivière, qui nous conduisit dans une espèce de marais, sur le bord duquel est située la grande habitation de ceux que nous cherchions. Leurs alliés, les Saquis, les avaient sans doute avertis de notre approche: ils ne jugèrent pas à propos de nous attendre, et nous ne trouvâmes dans leur village que quelques femmes, que nos sauvages firent esclaves, et un vieillard, qu’ils brulèrent à petit feu, sans paraître avoir aucune répugnance à commettre une action aussi barbare.

On donna l’ordre de passer jusqu’au dernier fort des ennemis. Ce poste est situé sur une petite rivière qui se joint à une autre, que l’on nomme Ouisconsin, et qui se jette à trente lieues de là dans le Mississipi. Nous n’y trouvâmes personne; et comme nous n’avions pas ordre d’aller plus loin, nous employâmes quelques jours à ruiner la campagne, pour ôter à l’ennemi le moyen d’y subsister.

Après cette expédition, nous reprîmes la route de Montréal, dont nous étions éloignés d’environ 450 lieues. En passant, nous brûlâmes le fort de la Baie, parce qu’étant trop voisin des ennemis, il n’aurait pas été une retraite sûre aux Français qu’on y aurait laissés pour le garder. Les Renards, animés par les ravages que nous avions faits sur leurs terres, et persuadés que nous ne viendrions pas une seconde fois dans leur pays, dans l’incertitude d’y trouver des habitans, auraient pu obliger nos troupes à se renfermer dans le fort; les y auraient attaquées, et peut-être vaincues.

Lorsque nous fûmes à Michillimakinac, le commandant donna carte blanche à tout le monde. Il nous restait encore 300 lieues à faire, et les vivres nous auraient infailliblement manqué, si nous n’avions pas fait nos efforts pour arriver promptement.—Les vents nous favorisèrent dans le passage du lac Huron; mais nous eûmes des pluies presque continuelles, en remontant la rivière des Français, en traversant le lac Nipissing, et sur la petite rivière de Matäouan. Elles cessèrent lorsque nous entrâmes dans celle des Outaouais. Je ne puis vous exprimer avec quelle vitesse nous descendîmes cette grande rivière; l’imagination seule en peut prendre une juste idée. Comme j’étais avec des gens que l’expérience avait rendus habiles à sauter les rapides, je ne fus pas des derniers à Montréal. J’y arrivai le 28 Septembre.

CHUTE DE KAKABIKKA.

Cette chûte, nous apprend-on, dans un ouvrage intitulé: “Expédition du major Long,” est remarquable à raison du volume d’eau qu’elle présente, de la grande hauteur d’où elle tombe, de l’apparence pittoresque des rochers qui l’environnent, de la nature sauvage de la végétation qui l’accompagne, et finalement du grand bruit qu’elle produit, et qu’on croit supérieur à celui de la chûte de Niagara. Elle est pourtant inférieure à cette dernière sous un rapport, celui de la largeur; mais peut-être n’en est-elle que plus belle: car l’immense largeur de la chûte de Niagara diminue l’effet que produirait autrement sa grande hauteur; tandis que la chûte de Kakabikka, resserrée par les rochers dans une largeur de cinquante verges, présente une hauteur en apparence plus imposante. L’eau tombe d’un rocher perpendiculaire de 130 pieds de hauteur. La chûte de Kakabikka est par les 48° 30’ de latitude septentrionale, et les 89° 45’ de longitude occidentale. La rivière se décharge dans la partie septentrionale du lac Supérieur, vis-à-vis de l’Ile Royale. Le gouffre dans lequel l’eau tombe est bordé, l’espace de plusieurs milles, de rochers de 150 pieds de hauteur. Ils sont d’une couleur noire, qui contraste fortement avec l’écume blanche de l’eau. Tout vis-à-vis de l’endroit d’où l’on voit le mieux la chûte, il y a dans le roc une cavité que les sauvages regardent comme la demeure du mauvais esprit. L’entrée de cette caverne est à peine assez grande pour qu’un homme y puisse passer. L’épais brouillard qui s’élève autour de la chûte, et probablement aussi la nature du rocher, produisent un sol fertile, où abondent le coudrier, la pruche, l’épinette, le pin blanc, le sapin, le larix, le tamarisc, &c. L’herbe parfumée croît près du lieu, et ajoute au plaisir que l’on a à contempler la chûte, qui est encore augmenté par le frémissement du terrain, occasionné par la concussion de l’eau dans le gouffre. La montagne entière est composée de couches alternes: les unes sont d’ardoise argilleuse; les autres de pierres sablonneuses, formées de l’union des grains de quartz et de feldspath, cimentés par le spath argillo-calcaire. Le roc contient des nodules de silex, de couleurs variées depuis le cendré jusqu’au noir clair, ou brun foncé. Dans quelques endroits, ce roc prend le caractère de la pierre de Lydie. On trouve dans toute l’étendue de la montagne des pointes de pyrites de fer. Les jointures de l’ardoise sont bordées d’incrustations calcaires et ferrugineuses. Les dernières sont produites par la décomposition des pyrites de fer. Kakabikka, en langue chaouanaise, signifie les Rochers fendus.

MINÉRALOGIE.

(De l’Episcopal Watchman de Hertford.)

Les échantillons suivants de minéraux out été reçus, au Cabinet minéralogique du Collège de Washington, de J. Viger, Ecuyer, de Montréal.

1. Carbonate de chaux, compact et fétide, de couleur brunâtre, où se trouve, d’un côté, un nombre de cristaux limpides de spath calcaire. Ces cristaux étant décomposés en partie, il n’est pas aisé d’en reconnaître la forme exacte. Il ne faut qu’un petit degré de force pour les rompre en prismes rhomboïdes à angles très obliques.

2. Pierre à chaux compacte, de couleur grise claire, à gros grins, contenant des écailles de diverses espèces de poissons, ainsi que de petites branches et racines de végétaux, pétrifiées. Cette pierre de valeur se tire de la carrière à environ un mille de Montréal, où elle est beaucoup employée comme pierre à bâtir. La quantité en paraît inépuisable.

3. Trois échantillons de Jaspe, trouvés dans le district de Gaspé, dans le Bas-Canada, deux desquels ont été élégamment polis à Québec. Un de ces échantillons est joliment diversifié par des lignes et des points rouges de différente intensité, et par de petites taches brunes. Un autre offre un mélange de jaune et de blanc, et ressemble par ses caractères extérieurs, au porphyre pétrosiliceux. Le troisième échantillon est dans son état naturel, et offre différentes nuances de rouge et de vert.

4. Une Stalagmite de couleur de cendre, trouvée dans une caverne calcaire, sur l’île de Montréal.

5. Carbonate de chaux, de couleur grise, destitué de restes organiques, et tenant à-peu-près le milieu entre la pierre à chaux grenue et la pierre à chaux compacte. Il se montre à grains fins par la fracture. Ce carbonate travaillé pourrait imiter le marbre; mais nous pensons qu’il ne supporterait pas sans détérioration l’action d’une chaleur intense.

6. Souffre natif, extraordinairement pur, du Vésuve. Il paraît avoir été sublimé par la chaleur volcanique; mais il est maintenant en nodules de la grosseur de balles de mousquet, poreux, et facile à écraser sous les doigts.

7. Un superbe échantillon de Fluate de chaux, de couleur pourpre brillante, et parsemé, d’un côté, de particules de fer spathique, de couleur de perle. Il vient de Derbyshire, en Angleterre.

8. Deux échantillons de Marbre vert, très bien polis. La couleur verte provient évidemment de la Serpentine, dont un des échantillons contient une veine mince, précieuse et très transparente. La couleur de ce beau marbre n’est pas le vert pur, mais une belle combinaison de vert et de blanc. Il est moins dur, et conséquemment plus facile à travailler que le marbre de Milford; outre qu’il est plus beau, du moins à notre avis. On en pourrait faire de superbes tables, des colonnes, et enfin tous les articles d’ornement ou d’utilité auxquels on a coutume d’employer les meilleurs marbres. Il est à espérer que quelques messieurs du Canada, riches et entreprenants, feront bientôt explorer cette belle substance avec plus de soin, et l’exploiteront sur un grand plan: nous pensons que l’entreprise serait profitable pour les propriétaires, et ferait honneur à la province. Ce marbre se trouve dans le township de Grenville, sur la rivière des Outaouais.

9. Lave, rouge et blanche, de Stromboli, une des îles de Lipari. Elle est moins poreuse que la lave ordinaire de l’Etna ou du Vésuve.

10. Quartz hyalin pseudomorphique, et Fer sulphuré, de Derbyshire. L’échantillon est couvert, d’un côté, d’une légère couche de fluate de chaux, en cristaux blancs de forme cubique. Sur le côté opposé, sont des cavités de forme semblable, mais beaucoup plus grandes, où étaient indubitablement logés des cristaux de spath, qui se sont échappés, d’une manière ou d’une autre, et ont laissé leurs cellules vides.

11. Un nombre d’échantillons de Cornaline de diverses couleurs, savoir, blanche, jaune de deux nuances, rouge claire et foncée, et de couleur de chair. Ils viennent de Gaspé.

12. Oxide de fer, brun et jaunâtre, de la nature de l’hématite; de St. Maurice, près des Trois-Rivières. Le minerai n’est pas très riche: il donnerait probablement de quinze à vingt-cinq pour cent de fer métallique.

13. Ochre jaune, de Montréal, où se trouve une petite proportion de sable siliceux.

14. Un grand cristal cubique de fer sulphuré. Cette substance est jaune et brillante, et est souvent prise pour de l’or par les personnes qui ne connaissent pas le caractère distinctif des deux minéraux. Le fer sulphuré est de peu de valeur: on n’en tire point de fer métallique, mais quelquefois du souffre, par la sublimation. Lorsque par la décomposition il est converti en fer sulphaté, il acquiert quelque importance, en ce qu’on en tire alors de la couperose.

15. Une Siénite de Montréal, dont l’ingrédient prédominant est le feldspath de couleur de chair.

16. Plusieurs fragmens d’ambre jaune, dont la localité n’est pas connue.

17. Un petit groupe de beaux cristaux de roche, de Derbyshire, de couleur d’améthyste.

18. Pierre calcaire compacte, de Montréal, composée principalement de végétaux pétrifiés.

19. Plus de cent jolis cristaux de quartz, trouvés près de Québec. La forme de la plupart de ces cristaux est celle que prend ordinairement ce minéral, savoir, celle d’un prisme exagone tronqué, sur les six côtés, à une extrémité: mais plusieurs sont tronqués aux deux extrémités, et quelquefois si profondément, que le prisme disparaît entièrement, pour ne laisser voir qu’un cristal dodécaèdre, composé de deux pyramides exagones jointes par les bases.

On pourrait faire avec ces cristaux, ainsi qu’avec la cornaline No. 11, d’excellents cachets de montre, et autres petits ouvrages d’ornement.

L’institution se reconnait très redevable à Mr. Viger, pour ce don précieux. Les amis du Collège, et de l’histoire naturelle, seraient sans doute bien aises de voir son Cabinet enrichi par des présens semblables, de la part de leurs compatriotes, ou de messieurs étrangers. Le professeur de minéralogie rendra compte, comme il vient de faire, par le canal des papiers publics, de tous les minéraux et fossiles précieux, dont il sera fait don à l’institution.

VERS.

La pièce suivante n’a pas paru par morceaux détachés, comme celle qui a été republié dans le Tome III. No. I. de la Bibliothèque Canadienne; mais elle n’avait pas moins que cette dernière besoin d’être revue et corrigée; ce qui sera regardé, je l’espère, comme une raison valable pour la remettre ici sous les yeux du public.

M. D.

Satire contre l’Envie.

 

  Mal ou bien, mon début fut contre l’avarice.

Cheminant, l’autre jour, je rencontre Fabrice:

La canne sous le bras, un pamphlet à la main.

“L’avez-vous lu,” dit-il?—“Quoi?—Ce dur Chapelain.....

Que vois-je? vous riez! mais ce n’est pas pour rire,

Que ce malin esprit me tance et me déchire.

C’est bien à ce méchant qu’il faudrait du bâton.

Que lui peut importer que je sois chiche ou non?

Parbleu! que ne m’est-il donné de le connaître!

Que ne puis-je, à l’instant, le voir ici paraître!

Que j’aurais de plaisir à le bien flageller!....

—Peut-être ce n’est pas de vous qu’il veut parler.

—Si ce n’est pas de moi, c’est d’un qui me ressemble.

—Dans ce cas, mon ami, c’est de vous deux ensemble.”

 

  L’on voit que ma satire a fait un peu de bruit.

Oh! puisse-t-elle aussi produire un peu de fruit!

Il est temps d’en venir à ma seconde épitre:

Celle-ci roulera sur un autre chapitre;

Chapitre sérieux, et peu fait pour les vers;

Mais je dois attaquer tous les vices divers.

 

  On a beaucoup écrit et parlé de l’envie:

Mais dans tous ses replis l’a-t-on jamais suivie?

L’envie est un poison, a-t-on dit, dangereux;

Car l’arbre qui le porte est un bois vénéneux.

L’homme envieux ressemble au reptile, à l’insecte;

Car tout ce qu’il atteint de son souffle, il l’infecte:

Mais cet homme souvent fait son propre malheur,

Comme en voulant tuer, souvent l’insecte meurt.

 

  L’envie est fort commune au pays où nous sommes;

Elle attaque et poursuit très souvent nos grands hommes:

Nos grands hommes! tu ris, orgueilleux Chérisoi,

Qui crois qu’il n’est ici nul grand homme que toi,

Ou plutôt qui voudrais qu’on t’y crût seul habile.

Croyance ridicule et désir inutile!

On porte envie au bien, on porte envie au rang;

Assez souvent l’envie a méconnu le sang;

Elle règne souvent dans la même famille,

Et la mère, parfois, porte envie à sa fille.

Je sais, à ce sujet, un fait assez plaisant;

Ce fait-là ne fut point forgé par Lahontan:

Sans aller consulter un auteur qui radote,

Je trouve, au Canada, mainte et mainte anecdote.

 

  Une famille fut jadis à Montréal:

Le patron se disait issu du sang royal:

Il ne le croyait pas, mais le faisait accroire.

Il mourut à trente ans, si j’ai bonne mémoire,

Ou plutôt, si l’on m’a conté la vérité,

Laissant peu de regrets aux gens de sa cité,

Peu de biens aux enfans de son aimable épouse;

Épouse qui de lui jamais ne fut jalouse.

Elle avait vingt-cinq ans, quand son mari mourut.

Dès qu’on sut l’homme en terre, on vint, on accourut

Consoler, ranimer la jeune et belle veuve,

Qu’on croyait succomber sous la terrible épreuve.

Quand on sut que gaîment on pouvait l’aborder,

Chez elle de partout les galans d’abonder.

Que fit-elle avec eux? je ne le saurais dire;

Et ma muse, entre nous, n’aime point à médire.

Enfin, il en vient un qu’elle veut épouser;

Mais pour y parvenir, il lui fallut ruser.

De ses filles déjà l’ainée est femme faite,

Est belle, aimable, gaie, enfin presque parfaite;

Et la mère avait beau vouloir se l’attacher,

Le galant paraissait vers le tendron pencher;

La plus jeune à ses yeux semblait aussi plus belle.

“Que ferai-je? comment me débarasser d’elle?

Je ne vois qu’un moyen, c’est de la renfermer

En chambre, sous la clef, afin d’accoutumer

Mon amant à me voir et seule et sans ma fille.”

Quand l’amant arrivait, la mère de famille

Avait auparavant relégué dans un coin

L’objet de sa visite. Il ne se départ point;

Il devient patient: à tout on s’accoutume.

“Ma fille a la migraine,” ou bien, “elle a le rhume,”

Disait la mère; “hélas! son mal est radical,

De l’épouser, monsieur, vous vous trouveriez mal;

D’ailleurs elle devient de jour en jour moins belle;

Je suis, à dire vrai, beaucoup plus jeune qu’elle;

Plût à Dieu qu’elle fût de tout point aussi bien;

Car jamais, dieu-merci, je ne me plains de rien.”

Elle dit tant, fit tant, qu’à la fin, le compère

Laissa la fille en paix, pour épouser la mère.

Mais le fait dont je parle est passé de longtemps;

Citons plutôt, citons des exemples vivants.

 

Rarement la beauté fut exempte d’envie:

Les Grâces ont formé tous les traits de Sylvie:

J’admire, en la voyant, son front noble et serein;

De roses et de lis se compose son tein.

Elle a le nez, les yeux, et la bouche charmante,

Le port majestueux et la taille élégante;

Elle rit, elle chante, elle parle, elle écrit,

Avec grâce, dit tout, fait tout avec esprit:

A la voir, qui pourrait croire qu’on en médise?

Ecoutez cependant comment en parle Élise:

“Sylvie est belle; mais, on pourrait l’égaler;

Et sur son compte, je . . . . je n’en veux pas parler;

Si je vous le disais, vous en seriez surprise.

—Est-il vrai? qu’est-ce donc? que dites-vous? Élise:

Vous vous trompez, ma chère.—Oh! non, je le sais bien,

Je suis sûre du fait; mais je n’en dirai rien.”

Voila souvent à quoi porte la jalousie:

Ce n’est pas médisance ici, c’est calomnie.

 

  “Mon voisin Philaris s’enrichit,” dit Médor,

“Je ne sais pas, ma foi, d’où lui vient tout son or;

Autant ou mieux que lui j’entends la marchandise,

Et je n’ai pas cent francs comptés dans ma valise.

Il faut qu’il soit fripon, ou bien qu’il soit sorcier.

Autrefois, je l’ai vu pauvre et petit mercier:

Le voilà gros bourgeois, pouvant rouler carosse,

Pour le moins aussi fier qu’un enfant de l’Ecosse;

Tandis qu’il faut que moi je me promène à pié:

Philaris fait envie, et moi je fais pitié:

J’enrage de bon cœur, voyant l’or qu’il entasse.”

Médor, sais-tu pourquoi ton voisin te surpasse?

C’est que sans être avare il règle sa maison

Avec économie, et selon la raison.

Sa richesse par là promptement s’est accrue.

 

  Cet homme qu’on rencontre à chaque coin de rue,

Devant vous toujours prêt à vous faire plaisir;

A l’ouïr, vous diriez qu’il n’a d’autre désir

Que votre intention, votre dessein prospère:

“Oui, vous réussirez, je le crois, je l’espère;

Et si par quelque endroit je pouvais vous servir . . .”

Partez d’auprès de l’homme, ou laissez-le partir:

“Il croit venir à bout de sa folle entreprise,”

Dit-il, “fut-il jamais pareille balourdise?

C’est un homme sans fonds, sans appui, sans talens;

En vérité, je crois qu’il a perdu le sens.”

Cet homme qu’il noircit court la même carrière

Que lui-même, et le laisse assez loin en arrière.

 

  L’ignorant quelquefois porte envie au savant:

La chose a même lieu de parent à parent.

Cette sorte d’envie est quelque peu rustique:

Ecoutez sur ce point une histoire authentique,

Et dont tous les témoins sont encore vivants.

Philomathe n’eut point de fortunés parents:

Tout leur bien consistait en une métairie;

Même les accidens fâcheux, la maladie,

Le sort, l’iniquité d’un père à leur endroit,

Les réduisirent-ils encor plus à l’étroit.

Mais quoique Philomathe eût des parens peu riches,

Jamais à son égard il ne les trouva chiches,

Et de se plaindre d’eux jamais il n’eut sujet.

Rendre leur fils heureux était leur seul objet:

Ne pouvant lui laisser un fort gros héritage,

Ils voulurent qu’il eût le savoir en partage.

Un bon tiers de leur gain et de leur revenu

Passait pour qu’il fût bien logé, nourri, vêtu.

Mais que gagnèrent-ils? la haine de leurs frères:

Tous les collatéraux, et même les grands-pères,

De ces sages parens devinrent ennemis,

Et firent retomber leur haine sur leur fils.

Eux, pour toute réponse et pour toute vengeance,

Méprisèrent les cris de leur rustre ignorance.

 

  L’envieux quelquefois porte envie à l’habit.

Ce travers, il est vrai, marque assez peu d’esprit:

On peut trouver à dire à chose de la sorte,

Alors qu’on y met plus que son état ne porte;

Mais blâmer de l’habit la forme ou la couleur,

C’est être, à mon avis, ridicule censeur,

Se mêler un peu trop des affaires des autres.

Ce travers est pourtant commun parmi les nôtres.

J’ai vu, (l’on peut tenir le récit pour certain,)

Un jeune homme depuis quelques mois citadin,

Craignant de se montrer dans son champêtre asile,

Et pour y retourner laisser l’habit de ville,

C’est à dire quitter l’habit pour le capot.

 

  Le fait suivant est vrai, bien qu’il soit un peu sot:

Je le tiens d’un témoin que je sais véridique.

Un jour, un citadin d’origine rustique,

Fut prié d’un souper que devait suivre un bal:

C’était, s’il m’en souvient, un repas nuptial.

Le convive oublia de changer de costume:

(De ses nouveaux voisins il suivait la coutume:)

On le voit arriver, on ne dit rien d’abord;

Dès le commencement, on est assez d’accord;

Mais lorsque l’eau de vie est montée à la tête,

C’est alors qu’on se met à jouer à la bête.

De tomber sur notre hôte on cherche l’à-propos;

On le trouve, car l’hôte est fertile en bons-mots.

“Tu te moques de nous, morgué,” lui dit un rustre;

“Ton habit est fort beau, mais il a trop de lustre;

Nous sommes complaisants, nous allons l’éponger.”

Ils prennent l’hôte, et puis, tout droit, le vont plonger,

Vêtu comme il était, au bord de la rivière;

Et le roulent, après, dans un tas de poussière.

Le malheureux en fut malade quinze jours,

Et perdit son habit; mais il eut son recours:

Nos rustres, amenés par-devant la justice,

Payèrent médecin, habit, voyage, épice;

Apprirent, comme on dit, à vivre, à leurs dépens.

 

  Mais l’envie est parfois cause de maux plus grands.

Pourquoi nos gens heureux sont-ils en petit nombre?

C’est que plusieurs de nous sont jaloux de leur ombre.

Quelqu’un désire-t-il, comme on dit, s’arranger,

Aussitôt chacun cherche à le décourager:

Chacun le contredit, le tourne en ridicule;

Et même de lui nuire on ne fait point scrupule.

Econduits, jalousés, que d’hommes à talents

Ont quitté leur pays, ou sont morts indigents!

Est-ce ainsi qu’on en use en France, en Angleterre?

L’étranger qui s’en vient habiter notre terre,

Voyant chez nous si peu d’accord ou d’amitié,

S’indigne contre nous, ou nous prend en pitié.

L’envie entre-t-elle donc en des cœurs magnanimes?

Ici, Germains, Bretons sont toujours unanimes:

Nous ne les voyons point se nuire, s’affliger,

Pour un brimborion prêts à s’entr’égorger;

Plaider pour un brin d’herbe, une paille, une cosse.

Voyez surtout, voyez les enfans de l’Ecosse;

Comme ils s’entr’aident tous, du manant au marquis.

Voyez les Iroquois et les Abénaquis:

Nous ôsons les traiter de nations barbares;

Mais voyons-nous chez eux des jaloux, des avares?

De la simple nature ils suivent les sentiers;

Ils sont farouches, fiers, indociles, altiers;

Mais il faut voir entr’eux la conduite qu’ils tiennent,

Comme ils sont tous d’accord, et toujours se soutiennent.

 

  Toutefois, il faut être équitable et discret,

Et ne confondre point l’envie et le regret.

On peut, quand on est vieux, regretter la jeunesse;

Quand on est pauvre, on peut désirer la richesse:

On peut, quand on écrit d’un style trivial,

Sans crime souhaiter d’écrire un peu moins mal.

Il est même permis à qui raisonne et parle

Aussi vulgairement que Baroch et que Carle,

De vouloir être un peu moins sot et moins pesant.

Malheur à qui peut-être à tout indifférent.

Voit-on l’homme d’esprit réduit à la besage;

L’imbécile occuper une honorable place;

Ramper l’homme de bien, et le lâche régner;

On peut alors, on peut à bon droit s’indigner.

Mais être malheureux par le bonheur d’un autre;

Croire du bien d’autrui qu’il amoindrit le nôtre;

C’est là ce que j’appelle être envieux, jaloux;

C’est à cet homme-là que je porte mes coups.

“Recommencez-vous donc? Ah! bon dieu! trêve! trêve!”

Oui, par pitié pour toi, jaloux P . . . . . r, j’achève.

———————

MOIS DE JUIN.

Juin, à juvenibus, des jeunes gens, ou de Junon, dont le temple fut consacré le 1er de ce mois; ou de Junius Brutus, qui marqua ce même mois par l’expulsion des Tarquins. Les Romains avaient mis ce mois sous la protection de Mercure. Voici comment Ausone le peint: “Juin va tout nu; il nous montre du doigt une horloge solaire, pour nous faire entendre que le soleil commence à descendre. La torche ardente qu’il porte est le symbole des chaleurs de la saison. Derrière lui est une faucille, parce que la moisson est proche.” Les modernes l’habillent d’un vert jaunissant et le couronnent d’épis encore verts. Le signe de l’écrevisse dénote que le soleil, parvenu au solstice d’été, semble, en commençant à s’éloigner de nous, marcher à reculons. C’est le temps de la tonte des brebis.

Dans un dessin de Cl. Audran, Mercure, son caducée à la main, est sous un pavillon, porté par un nuage: audessus, sont la sphère et les instrumens du jeu de paume. La houlette, les ciseaux et la bourse, les ballots et les festons de rubans, font reconnaître le dieu des bergers, des larrons et du commerce: le coq et le bouc lui étaient consacrés.

MATERIAUX pour l’HISTOIRE du CANADA, No. 6.

DU RÈGNE MILITAIRE.

Mr. Bibaud,—Dans ma communication du mois de Mars dernier, je vous avais promis quelques nouveaux extraits du Livre d’Ordre qui m’était tombé dans les mains: alors je pensais que cela pourrait être nécessaire pour compléter la preuve de la proposition que j’avais émise au sujet du tribunal qui jugeait des délits criminels, sous le Règne Militaire, dans ce gouvernement. Mais les extraits faits des Régistres des Cours des Capitaines par votre correspondant E. T. ayant mis hors de doute que ces cours jugeaient des affaires civiles, et les cours martiales des affaires criminelles, je crois inutile, ici, de grossir ma communication de nouvelles citations de jugements, qui, vu leur sévérité, ne pourraient qu’éveiller en nous des sensations désagréables et mortifiantes en même temps. L’esprit se révolte et s’indigne à la vue des deux domestiques du major Christie, condamnés à recevoir chacun 300 coups de fouet, pour s’être absentés une nuit de chez leur maître et avoir offert de s’enrôler dans les troupes. (Voyez La Bibliothèque; Mars, p. 151.)

 

Il n’est guère plus consolé, lorsqu’il voit un honnête Canadien, condamné à 400 coups, parce qu’un hazard, dont il ne peut rendre compte, fait trouver dans sa cour quelques chétifs outils du Roi, lesquels ne valaient peut-être pas autant de deniers qu’on le condamne à recevoir de coups de fouet. Eloignons donc notre vue et notre attention d’objets si propres à faire abhorrer ceux qui gouvernèrent Montréal durant cette époque, sous d’autres rapports si intéressante pour nous. Ne nous attachons qu’à l’examen des nouveaux documens que nous fournit S. R. dans votre dernier No.; et disons, avec les plus intelligents de vos lecteurs, qu’en même temps qu’ils font le plus grand honneur au zèle et au patriotisme de celui qui vient de les faire connaître, ils constatent un fait qui n’était guère que supposé par plusieurs, et nié par le plus grand nombre: ils nous découvrent la manière dont nous devons entendre le 42me Article de la Capitulation générale, en nous montrant le sens qu’y attachaient ceux mêmes qui l’avaient accordée; savoir, les généraux Amherst, Murray, Gage et autres qui commandèrent aux trois districts, dans les quatre années qui suivirent immédiatement la Conquête. Il est vrai que nous n’avons pas encore beaucoup de renseignemens sur le district ou gouvernement des Trois-Rivières; mais, comme le remarque très bien votre correspondant S. R., l’autorité de Raynal, qui est correct quant aux deux autres gouvernemens, doit suffire pour nous convaincre que les choses s’y passèrent comme dans celui de Québec; au moins, en ce que les officiers des troupes y furent les administrateurs de la justice, en respectant toutefois et en suivant même les procédures, les lois et les usages anciens de la Colonie, autant qu’ils les connurent, ou que le permirent les circonstances où elle se trouvait. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les tribunaux du pays, leur procédure et les lois qu’ils observaient avant la conquête, avec les tribunaux établis par M. Murray, leur procédure et les lois d’après lesquelles on y administrait la justice.

A Québec, la cour inférieure portait le nom de Cour de Prévôté, et se composait d’un Lieutenant-général, d’un Lieutenant-particulier, d’un Procureur du Roi, et d’un Greffier en chef.—Cette cour siégeait deux fois par semaine, le Mardi et le Vendredi, et la juridiction s’étendait au criminel comme au civil.

Aux Trois-Rivières, cette cour était connue sous le nom de Juridiction Royale, et siégeait aussi souvent qu’à Québec; mais elle n’avait point de ‘Lieutenant-particulier.’

Procédures dans les Cours inférieures.—Le Procureur du Roi donnait ses conclusions de vive voix dans les causes sommaires, et en écrit dans les autres. C’était pour lui un devoir de les étayer des points de lois, ou des ordonnances du royaume, ou du prononcé des édits, déclarations ou ordonnances du roi, signifiés par lui être en force en ce pays. Les jugemens de cette juridiction étaient rendus par le Lieutenant-général, conjointement avec le Lieutenant-particulier, qui pouvaient se conformer aux conclusions prises, ou en différer. Les causes plaidées le Mardi étaient jugées le Mardi d’ensuite: il fallait de grandes raisons, pour qu’il fût accordé de plus longs délais.

Devoirs des Procureurs.—Le Procureur-général dans le Conseil supérieur, et ses substituts les Procureurs du Roi dans les cours inférieures, étaient obligés de plaider gratuitement pour le pauvre, la veuve, l’orphelin et les mineurs. Chargés de faire administrer la justice criminelle, ils poursuivaient la condamnation des accusés; mais le Procureur-général avait droit d’appeler à minimâ au conseil supérieur, dans tous les cas qui entrainaient des punitions corporelles, ou la peine de mort.

“On appelait des juridictions inférieures de Québec et des Trois-Rivières, ainsi que de la Cour royale de Montréal au ‘Conseil supérieur de Québec,’ institué pour toute la province et composé de douze Conseillers (dont les deux tiers devaient être des gens de loi) et d’un Procureur-général. En sa qualité de chef de la justice, l’Intendant présidait cette cour, dans laquelle le Gouverneur et l’Évêque avaient droit de siéger.

Des Conseillers-assesseurs et des Rapporteurs.—On ajouta encore à cette cour suprême des Conseillers-assesseurs; hommes versés dans la connaissance des lois et qui n’avaient au conseil que voix consultative, excepté les cas où ils agissaient comme Rapporteurs, ayant alors une voix délibérative. Dans tous les cas qui n’étaient pas sommaires, les causes, parties ouies, se donnaient par le Président aux Conseillers ou aux Assesseurs, pour que, dans un temps fixé, ils fissent leur rapport par écrit au Conseil. Ces Rapporteurs devaient faire un extrait de tous les papiers produits dans la cause, ainsi que des plaidoyers des parties, et le communiquaient ensuite au Procureur-général pour lui faciliter les moyens de tirer ses conclusions. Quand ce Procureur le leur avait remis, ils y écrivaient leurs conclusions, autrement dit leur opinion—fondée sur les lois et autorités applicables à la question. On lisait alors publiquement le rapport et les conclusions tant du Rapporteur que du Procureur-général, et le jugement suivait,—conforme à leurs conclusions, ou en différant, suivant qu’il paraissait juste aux Conseillers chargés de le prononcer. Lorsque leur jugement s’accordait avec les conclusions du Rapporteur, celui-ci le signait à la minute; en différait-il? c’était le Président qui y mettait son nom. Le Conseil supérieur siégeait tous les Lundis, les vacances exceptées. Il fallait cinq juges pour les causes civiles et sept pour les criminelles, à part du Procureur-général, qui ne manquait jamais de donner ses conclusions.

“Outre les appels, qui lui venaient des trois cours inférieures de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières, le Conseil supérieur jugeait des causes où se trouvaient concernés le roi, les communautés et certains individus qui, ayant le droit de committimus au conseil, n’étaient pas tenus de comparaître en première instance dans les cours inférieures.

De l’Intendant.—L’Intendant, qui était toujours un homme de loi, comme ‘chef de la justice et police,’ pouvait évoquer ou amener devant lui toutes les causes, tant civiles que criminelles, commencées dans les tribunaux inférieurs; et prononçait (à l’exclusion de tous les autres) dans toutes les affaires où le Roi se trouvait intéressé, et qui n’avaient pas été portées devant le Conseil. Il réglait la police intérieure du pays, ainsi que toutes les difficultés qui s’élevaient entre les seigneurs, ou entre les seigneurs et leurs censitaires, et vice versâ. Comme chef de la justice, il établissait, par ses commissions, des subdélégués de son choix: il nommait de même, des juges inférieurs et des conseillers, qu’il chargeait de décider, d’une manière sommaire et sans frais, toutes les petites causes, depuis une livre (de 20 sols) jusqu’à cent, et aussi de maintenir la police. On appelait à lui de leurs jugemens.

“Dans les affaires de commerce l’Intendant pouvait, sur réquisition de l’une des parties, juger toutes les choses y relatives, à la manière du Juge-consul; et alors il s’entourait de quelques marchands instruits, qui lui servaient d’Assesseurs. S’agissait-il d’affaires de fief?—ce devoir était rempli par trois ou quatre des Conseillers, et le Procureur-général donnait ses conclusions.

“Toutes les juridictions de l’Intendant ne causaient aucuns frais aux plaideurs. Ces derniers exposaient eux-mêmes leurs causes, sans l’intervention d’aucun avocat, et les jugemens, que signait le secrétaire, se rendaient gratis.

“Du Conseil supérieur on pouvait appeler au Roi en son conseil d’état. Dans l’absence de l’Intendant, le Conseiller en chef présidait le conseil; et quand ce dernier manquait, c’était le premier Conseiller.”[1]

Passons maintenant à l’examen de ce qui se fit sous le gouvernement prétendu militaire de M. Murray; voyons quels rapprochemens on peut faire d’un état à l’autre; et si nous, trouvons que le Gouverneur Anglais se soit efforcé d’imiter les Français, tant dans l’établissement de ses cours, que dans la fixation de leurs procédures et des lois d’après lesquelles elles rendaient leurs jugemens, alors nous pourrons justement conclure que le gouvernement du Général Murray n’était rien moins que militaire; que l’opinion qu’on en a eue jusqu’ici est erronée, en même temps qu’elle fait injure à la mémoire de ce premier Gouverneur, dont nous sommes loin, au reste, d’avoir l’opinion défavorable que plusieurs personnes semblent en avoir. Il ne faut pourtant pas s’attendre à trouver l’ordre de choses qu’il établit parfaitement semblable à celui qu’il remplaçait: comment cela eût-il été possible, dans un pays que presque tous ses hommes de loi venaient de laisser, et où le Gouverneur put à peine trouver les greffiers et les procureurs nécessaires à l’administration de la justice, sur le plan qu’il le voulait, pour la satisfaction des nouveaux sujets de son maître?

Nous trouverons cependant qu’il fit beaucoup pour se rapprocher de la pratique française; et, si quelqu’un veut se donner la peine de faire l’examen des régitres de ses cours, il pourra, je pense, porter jusqu’à l’évidence les preuves de ce que j’avance ici sur l’autorité seule des trois pièces qui leur ont donné l’existence.[2]

(La fin au Numéro prochain.)


Smith's History of Canada. Vol. I. Appendix, pp. 8-11.

Voir Bib. Can. Mai dernier, pp. 229-233.

DECOUVERTES, &c.

Un voyageur anglais, M. Bank, a découvert, en 1817, un monument fort curieux, dans la ville d’Eski-Hissard,en Natolie, qu’on croit être un reste de l’ancienne Laodicée, dans la Carie. C’est une inscription sur marbre, contenant une ordonnance romaine, relative aux vivres. Il en porta un fac-simile à Rome. M. Cardinali l’ayant examinée, la jugea digne de l’attention des antiquaires, et en fit le sujet d’un mémoire qu’il lut dans l’Académie Romaine archéologique. On trouva ce travail si important que l’auteur crut nécessaire d’en faire part à tous les amateurs de ce genre de recherches. Il l’a publié sous les auspices de Mgr. Thomas Bernetti, aujourd’hui cardinal. L’auteur donne le fac-simile de ce monument en deux grandes tables. Le mémoire est divisé en quatre chapitres: le premier contient l’histoire du monument; dans le second, l’auteur présente l’inscription telle qu’il l’a vue; dans le troisième, il cherche à en déterminer l’époque et à connaître l’auteur d’un tel édit; le dernier chapitre se compose de diverses conjectures sur les lois des Romains, concernant la police des vivres. Les antiquaires n’avaient pas encore rencontré un monument de ce genre aussi détaillé; on y trouve les prix des vivres, des habillemens, de beaucoup d’ustensiles, &c. Les observations ingénieuses de M. Cardinali ne sont pas dépourvues de probabilité. Il rapporte cette loi au temps de Dioclélien. Il examine si, pour les Romains eux-mêmes, le prix des vivres était laissé à leur liberté, ou s’il dépendait de l’autorité des magistrats; il s’étudie à mettre d’accord Suétone et Tacite, qui paraissent quelque part en contradiction sur ce sujet. L’auteur promet de donner dans un autre mémoire les corrections et les supplémens que laisse à désirer cette précieuse inscription.

Découverte d’anciens manuscrits.—Une louable émulation fait explorer aux patriciens de la Grande-Bretagne les archives de leurs familles, pour y chercher des documens dont l’histoire de leur pays puisse s’enrichir. Le comte d’Aberdeen vient de découvrir et de communiquer aux archéologues un livre fort curieux, qui fait connaître l’état de la société en Ecosse, il y a trois siècles. C’est un volume in-folio, lisiblement écrit, contenant le compte détaillé de la dépense du Roi d’Ecosse, Jacques V., de 1538 à 1539. La première partie est relative à la consommation générale, et à la dépense de la maison du Roi; la seconde traite des épices; la troisième des vins, et la quatrième des écuries. Chaque partie est divisée en plusieurs sections, qui présentent les comptes de la pannèterie, de la boucherie, des caves et de la cuisine, avec de singuliers détails sur les mets alors en usage, leur prix, leur préparation, et l’importance qu’on y mettait. M. Henri Ellis, le secrétaire de la Société des antiquaires de Londres, a éclairci, par de savantes observations, plusieurs passages obscurs. La publication de ce manuscrit jetterait des lumières utiles sur la vie civile et l’économie domestique, en Ecosse, au commencement du XVIe siècle.

Le savant Angelo Mai, encouragé par le succès de ses recherches, explore maintenant les bibliothèques du royaume de Naples, pour tâcher d’y retrouver, dans la poussière et dans l’oubli, quelque précieux ouvrage de l’antiquité. On avait annoncé qu’il avait découvert un classique latin, dans la collection de l’abbaye de Saint Colombe de Bobbio; mais on vient d’apprendre que c’est un Traité d’Agriculture dont le manuscrit semble du Ve. siècle. L’ouvrage, qui est encore plus ancien, est écrit en latin très-pur. On y trouve cités Columelle, Celse, Diophanes, Dioscorides, Julius-Atticus, Nicesius, et des auteurs grecs inconnus à notre temps.

Découverte d’un ancien atelier d’armes des Gaulois.—M. le comte d’Abzac, juge de paix du canton de Terrasson, vient de découvrir, au bord de la nouvelle route de Lyon à Bordeaux, entre Terrasson et Azerac, vis-à-vis du hameau de la Boissière, les restes d’un de ces ateliers où les anciens façonnaient des armes et des instrumens de silex. M. Jouannet, de Bordeaux, qui a si bien fait connaître cette branche d’industrie des anciens habitans du Périgord, avait déjà trouvé dans le Sarladais deux de ces ateliers antiques, et ce dernier, comme les deux autres, est caractérisé par une grande quantité de débris de silex, par une multitude de dards ébauchés, par le voisinage d’une petite grotte naturelle qui servait probablement de retraite aux ouvriers, et surtout par un amas considérable d’ossemens d’animaux domestiques, qui conservent encore les traces du feu qui les carbonisa sur plusieurs points.

On fait remarquer que les silex ne se trouvent en place qu’à deux lieues de la Boissière, et qu’il fallait en ébaucher beaucoup avant d’obtenir des armes ou des instrumens parfaits, comme on peut en juger par le grand nombre de ceux qui ont été manqués et abandonnés; mais, à quoi servaient ces amas d’os? C’est un problème qui peut-être ne sera jamais résolu.

M. d’Abzac, à qui l’on doit cette découverte intéressante, est l’auteur d’une entreprise utile et trop peu connue, d’un grand défrichement qu’il a fait exécuter aux portes de la petite ville de Sarlat, et au moyen duquel il est parvenu à convertir une bruyère sans produit en un canton fertile et peuplé. Ce défrichement, qui est au bord de la grande route, fait l’admiration de tous ceux qui ont vu naître cette petite colonie, et le bonheur de cent familles indigentes.—Journal Français de Février 1827.

Alphabet Chéroquis.—Une espèce d’alphabet, inventée par un Chéroquis du nom de Guyst, qui ne parle ni ne lit l’anglais, a attiré beaucoup d’attention, depuis quelques temps.—Ayant acquis la connaissance du principe de l’alphabet européen, savoir, que certaines marques, ou caractères, peuvent être les symboles des sons, cet homme, tout illétré qu’il était, conçut l’idée de représenter les syllabes de la langue chéroquise par des signes, ou caractères distincts. En rassemblant toutes les syllabes de cette langue, qu’après beaucoup d’étude et de réflexion, il put rappeller à sa mémoire, il trouva que le nombre en était de quatre-vingt-deux. Pour les exprimer, il prit pour une partie les lettres de notre alphabet, et pour le reste, des modifications de ces lettres, ou des caractères de son invention.—Avec ces symboles, il se mit à écrire des lettres, et il s’établit bientôt une correspondance régulière entre les Chéroquis de Will’s Valley et leurs compatriotes d’au-delà du Mississipi, à 550 milles de distance. Cela fut fait par des sauvages qui ne savaient lire en aucune langue, et qui ne connaissaient aucun alphabet, si ce n’est l’alphabet syllabique que Guyst avait inventé, qu’il enseigna à d’autres, et qu’il mit en pratique.

L’intérêt excité par cette invention s’accrut au point que de jeunes Chéroquis entreprirent de longs voyages pour être instruits de cette méthode facile de lire et d’écrire. Il leur suffit d’apprendre l’alphabet pour pouvoir lire. Au bout de trois jours, ils peuvent écrire des lettres, et ils s’en retournent chez eux en état d’enseigner à d’autres ce qu’ils ont appris. Guyst lui-même, ou quelqu’autre individu de sa nation, a découvert quatre autres syllabes dans la langue chéroquise; ce qui fait en tout quatre-vingt-six syllabes. C’est un fait d’autant plus curieux que la langue chéroquise est très abondante sur certains sujets, un seul verbe subissant jusqu’à des milliers d’inflexions différentes.—Observer de N. Y.

ADRESSE DES ECOLIERS DE NICOLET

A SON EXCELLENCE LE COMTE DE DALHOUSIE,
GOUVERNEUR-EN-CHEF.

Qu’il plaise à votre Excellence,

Nous, les élèves du collège de Nicolet, approchons humblement de votre Excellence, pour lui offrir l’hommage de notre profond respect, et de notre vive reconnaissance pour le bienfait récemment accordé à cette maison, par la munificence royale, en octroyant des lettres-patentes qui en assurent l’existence légale, précieux gage de la faveur d’un gouvernement paternel.

Si des privilèges conférés à une famille, soit comme récompense de services rendus, soit en considération de ceux qu’on attendait d’elle, sont un sujet de joie pour chacun de ses membres, comment serions-nous insensibles à une faveur qui semble donner à notre éducation un relief et une publicité qui lui manquaient?

Grâces en soient donc rendues à notre auguste souverain, qui a bien voulu étendre sa protection royale jusques à nous, et nous assurer le bienfait d’une éducation saine et conforme à nos besoins, en la confiant à des mains sûres et expérimentées! Grâces soient rendues à votre Excellence de sa bienveillante sollicitude dans l’exercice de cette royale prérogative!

Quand, pénétrés du sentiment de tant de faveurs, nous eussions eu la pensée d’en porter le témoignage au pied du trône, comment nos timides accens auraient-ils pu être entendus? Comment aurions-nous pu faire porter la voix de notre reconnaissance dans cette auguste enceinte, qui n’est accessible qu’aux premiers corps de l’état? Mais ce à quoi nous n’eussions pas osé aspirer sans présomption, ne nous devient-il pas un devoir facile par la confiance que nous inspire votre démarche gracieuse au milieu de nous?

Deux fois ce modeste asile des muses a été honoré de la présence du représentant de sa Majesté dans cette province; mais si la visite d’un de vos illustres prédécesseurs a été pour nous le présage des grâces que nous pouvions attendre, c’est vous qui nous les avez obtenues; la protection dont il nous donnait l’assurance et la promesse, c’est votre Excellence qui nous l’a confirmée...... et quel bonheur pour nous de pouvoir déposer dans votre sein l’expression de notre vive gratitude!.......... Nous le sentons: s’il est un moyen d’acquitter cette maison, notre berceau littéraire, des grandes obligations qu’elle contracte envers ses bienfaiteurs, c’est de réaliser l’attente des progrès que le public semble anticiper pour elle; c’est qu’elle soit, dans tous les temps, une pépinière de sujets utiles, et propres à remplir les différentes places de la société; c’est que tous ceux qui sont ou seront admis dans cet établissement, répondent aux soins des maîtres zélés qui y enseignent, et consolent la tendre sollicitude de son illustre chef, qui les choisit.

Un autre devoir nous presse en ce moment; celui de payer le tribut de notre admiration pour les hautes qualités qui distinguent votre Excellence. Ce n’est ni comme guerrier, ni comme homme d’état, que nous essayerons de la louer. Les beaux faits d’armes que la renommée nous a appris, la confiance que notre grand monarque a mise en votre Excellence, en l’élevant aux postes les plus éminents, fourniraient, il est vrai, une ample matière à de justes éloges...... Mais un mérite qu’il nous convient mieux d’apprécier, c’est l’encouragement que vous donnez à tous les genres des arts utiles, en vous déclarant le protecteur de toute société particulière dont le but est de procurer l’avantage de la société en général.

Ainsi l’agriculture, cet art si nécessaire au soutien de la société, avait besoin d’être éclairée et encouragée par de grands exemples........ et des sociétés formées sous vos auspices, vont en étendre les progrès, en la fondant sur des principes et sur l’expérience. Ainsi l’éducation, qui fait la base et l’ornement de la société, ne peut répandre ses bienfaits si elle n’est protégée par ceux qui en sont les chefs..... et votre Excellence veut bien accorder son patronage à toute institution fondée sur des principes avantageux à la morale, à la justice, et à la loyauté.

Oui, voilà la gloire de votre Excellence. C’est d’exciter une noble émulation parmi tous les membres de la société: c’est d’assurer le bien-être de tous les sujets de sa Majesté, sans partialité ni prévention; c’est de faire bénir le règne de notre auguste monarque, en vous montrant partout le défenseur de l’innocence, le vengeur du vice, l’appui du faible et le père de tous.

Et voilà ce qui gravera de plus en plus dans nos cœurs l’amour envers notre roi, la fidélité à son gouvernement, la confiance envers son digne représentant; sentimens auxquels la présence de votre Excellence imprime plus d’énergie, en y ajoutant ceux de la joie la plus vive et de la reconnaissance la plus parfaite.

ANECDOTE CANADIENNE.

Il arriva dans ce pays, il y a une quarantaine d’années, un événement singulier, et qui aurait pu faire le sujet d’un roman assez intéressant, s’il eût été traité par une main habile.

Une jeune fille Canadienne, de la campagne, se maria à un soldat, et passa aux Iles, où son mari mourut. Elle s’embarqua sur un bâtiment qui faisait voile pour New-York, dans le dessein de revenir en Canada par la voie des Etats-Unis. Ayant été obligée de s’arrêter quelque temps à New-York, elle y fit connaissance avec un Français, chaircuitier de son métier, auquel elle se maria. Au bout de quelques années, l’époux tomba malade; on le crut mort. Sa veuve trouvant une occasion favorable pour revenir dans le sein de sa famille, abandonna à ceux qui entourraient son mari le soin de ses funérailles, et se mit en route pour le Canada. Le mari, qui n’était tombé qu’en léthargie, revint cependant, et apprit à son réveil que sa moitié était partie pour son pays natal. Il fut longtemps à se rétablir; mais ayant enfin recouvré sa santé, il prit le parti de mettre ordre à ses affaires, pour entreprendre un voyage en Canada, où il comptait retrouver sa femme. Celle-ci, en arrivant dans sa paroisse natale, à St. Sulpice, avait, comme on pense bien, été fêtée: on l’avait crue morte; parens, amis, voisins, tous s’empressèrent de la voir: elle excita l’attention de tout le voisinage par le récit de ses aventures.

Sur les aîles du temps la tristesse s’envole,

comme l’observe un poëte; le temps ramène les plaisirs: la prétendue veuve eut bientôt oublié le second époux, comme elle avait oublié le premier. Elle était encore jeune; un parti se présenta; il était sortable; elle songea aussitôt à former de nouveaux liens: la famille secondait ses vœux; on eut bientôt réglé les conditions, et l’on porta les bans à l’église.

Cependant l’époux, revenu des sombres bords, s’était acheminé vers Montréal, où il arriva dans le temps qu’on faisait dans la paroisse des fiancés la publication de leur bans. Son premier soin fut d’aller trouver un marchand de même nation que lui, établi dans cette ville, et qui ayant demeuré à St. Sulpice pendant quelques années, connaissait tous les habitans de la paroisse, et en voyait presque tous les jours quelques uns, qui venaient à Montréal pour leurs affaires. Le voyageur s’empresse de demander au marchand s’il n’y avait pas dans la province une famille du nom de sa femme, et s’il la connaissait. Le marchand lui dit qu’oui, et lui demande la raison de cette question. Le voyageur lui raconte ingénuement son mariage et l’accident qui avait éloigné sa femme de sa maison. Le marchand lui raconte à son tour l’étrange nouvelle des fiançailles de son épouse, qui était sur le point de contracter un nouveau mariage avec un homme de sa paroisse. On peut juger de la surprise de notre voyageur, qui partit aussitôt pour St. Sulpice, et y arriva, si je ne me trompe, la veille d’un dimanche. Il jugea à propos de ne pas se faire connaître d’abord aux parens de sa femme, et de se loger dans une maison étrangère. Le lendemain, il se rendit à l’église, pour voir s’il ne reconnaîtrait pas son épouse parmi les assistans. S’étant assuré qu’elle y était, il l’attendit près du bénitier. Qu’elle ne fut pas la surprise de la prétendue veuve, quand elle aperçu son mari, décédé à son compte depuis longtemps, qui lui offrit galamment de l’eau bénite? Elle resta presque immobile d’étonnement, et recula d’effroi, croyant voir un homme revenu d’entre les morts. Le mari s’avança vers elle, et lui persuada qu’il n’était pas un revenant. La femme de son côté, s’étant remise un peu, prit le parti de l’emmener chez son père, où ils se remirent ensemble de la meilleure foi du monde, au grand chagrin du futur, pour qui cette aventure heureuse fut un sujet de tristesse amère.

Les deux époux restèrent quelques jours au sein de la famille, et s’en retournèrent ensuite joyeusement à New-York, où ils vécurent encore ensemble quelques années, après lesquelles le mari mourut enfin tout de bon. La femme devenue veuve, revint en Canada, où elle contracta encore un nouveau mariage, mais non avec celui qu’elle avait été sur le point d’épouser, et mourut, à son tour, quelques années après.

D. R.

EXTRAITS DE BLACKSTONE.

Comme il est nécessaire à l’existence même du parlement, que les élections soient absolument libres, toute influence indue sur les électeurs est illégale et fortement prohibée.

Régulièrement, le parlement doit être sommé par le writ, ou la lettre du roi, émanée de la chancellerie, de l’avis du conseil privé, au moins quarante jours avant qu’il commence à siéger. C’est une branche de la prérogative royale que le parlement ne peut se convoquer de sa propre autorité, ou être convoqué par l’autorité de qui que ce soit, excepté le roi seul: et cette prérogative est fondée sur une très bonne raison. Car en supposant que le parlement pût s’assembler de lui-même, sans être convoqué, il est impossible d’imaginer que tous les membres, et que chacune des chambres pussent s’accorder unanimement sur le temps et le lieu de l’assemblée; et si la moitié des membres s’assemblait, et que l’autre moitié demeurât absente, qui pourrait déterminer laquelle de ces deux moitiés serait le corps législatif? Il est donc nécessaire que le parlement soit convoqué dans un temps et dans un lieu fixe et déterminé; et il est très convenable à sa dignité et à son indépendance, qu’il soit convoqué par une de ses parties constituantes: et des trois parties constituantes, le roi est la seule à laquelle cet office puisse appartenir; parce qu’il est la seule personne dont la volonté soit uniforme et déterminée, et la première personne de la nation, supérieure en dignité à l’une et à l’autre des deux chambres; la seule, en un mot, des branches de la législature, qui ait une existence séparée, et qui soit capable d’agir dans un temps où il n’y a pas de parlement existant.

Quant aux oppressions publiques qui tendent à dissoudre la constitution, ou à renverser les fondemens du gouvernement, ce sont des cas que la loi, par décence, ne suppose pas, étant incapable de montrer de la défiance envers ceux qu’elle a revêtus de quelque partie du pouvoir suprême; puisqu’une telle défiance rendrait l’exercice de ce pouvoir précaire et impraticable. Car lorsque la loi exprime la défiance d’un abus de pouvoir, elle met toujours, quelque part, une autorité supérieure pour le réprimer; et la seule notion d’un tel pouvoir répugne à l’idée de souveraineté. Si donc, par exemple, les deux chambres du parlement, ou l’une d’entr’elles, étaient reconnues avoir le droit de faire des réprimandes au roi, ou à l’une d’elles, ou si le roi avait le droit de faire des réprimandes à l’une ou à l’autre des deux chambres, la branche de la législature qui serait ainsi sujette à être réprimandée, cesserait dans l’instant d’avoir part au pouvoir suprême: la balance de la constitution serait renversée: et la branche, ou les branches qui auraient un tel pouvoir, seraient seules souveraines. La loi suppose donc que ni le roi, ni aucune des deux chambres prises collectivement, ne sont capables de faire aucun mal, puisque, dans ce cas, la loi se trouve incapable de fournir aucun remède. Par cette raison, toutes les oppressions qui viendraient d’une des branches du pouvoir suprême, doivent nécessairement être hors de l’atteinte de toute loi ou règle écrite: mais si malheureusement un pareil cas arrivait jamais, ce serait à la prudence des temps à pourvoir des remèdes nouveaux pour des maux nouveaux.

AEROLITHES,

OU PIERRES TOMBÉES DU CIEL SUR LA TERRE.

Ces phénomènes, qui d’après toutes les observations faites récemment, ont une grande affinité avec les globes de feu, sont toujours précédés de l’apparition d’un corps lumineux, qui, éclatant avec explosion, près de la terre, après avoir suivi dans l’air une direction à peu près horisontale, lance des pierres plus ou moins grosses, d’une forme sphérique et d’une odeur sulphureuse. Ces pierres sont couvertes d’une espèce de croute, qui ressemble, en quelques endroits, à un vernis ou à du bitume. La partie intérieure de la masse est d’une couleur grisâtre, et d’une contexture grossière et grenue. L’analyse chymique a démontré qu’elles se composent principalement de fer, de souffre, de magnésie, de chaux et de silex. Il est tombé de ces pierres dans toutes les parties du globe, et elles se sont trouvées de toutes grandeurs, depuis celle d’un pois jusqu’à celle d’un corps de plusieurs verges de diamètre.

Les anciens parlent de deux pluies de pierres tombées à Rome; la première sous le consulat de Tullus Hostilius, et la seconde sous ceux de Caïus Marcius et de Marcus Torquatus. Pline dit aussi que plusieurs pierres sont tombées en Thrace. Enfin, le comte Marcellin assure, dans ses annales, que vers l’an 450 avant l’ère chrétienne, trois pierres énormes tombèrent du ciel dans cette même contrée.

Mais, pour nous reporter à des temps plus modernes, nous rapporterons, d’après M. Howard, célèbre chymiste anglais, que le 7 Novembre 1492, un peu avant midi, un coup terrible de tonnerre s’étant fait entendre à Ensisheim, dans la Haute-Alsace, un moment après, une pierre énorme, du poids d’environ deux quintaux, à la forme arrondie, presque ovale, et d’un aspect terne et terreux, tomba du ciel dans un champ de bled.

Le célèbre astronome Gassendi cite, comme témoin oculaire, la chûte d’un aérolithe qui eut lieu le 23 Novembre 1623, près de Nice. Ce fut par un temps clair que se manifesta ce phénomène. Tant qu’il resta en l’air, il parut avoir quatre pieds de diamètre, et être renfermé dans un cercle lumineux, dont les couleurs étaient semblables à celles de l’arc-en-ciel. Une explosion aussi forte que celle d’un canon précéda sa chûte. La pierre qu’il lança pesait 59 livres. Elle était dure, d’une couleur métallique chargée, et sa gravité était beaucoup plus considérable que celle du marbre.

L’an 1672, deux pierres, dont l’une pesait 300 livres et l’autre 200, tombèrent près de Vérone, en Italie. La chûte de ces pierres, qui eut lieu par un temps clair, fut accompagnée d’une forte explosion: elles étaient brulantes, et elles labourèrent la terre dans les places où elles tombèrent.

Paul Lucas rapporte qu’étant à Larisse, près du golfe de Salonique, lors d’un voyage qu’il fit en Grèce, une pierre du poids de 72 livres, tomba dans le voisinage de cette ville. Elle vint du côté du nord, enveloppée dans un petit nuage, et un sifflement très fort annonça sa présence. Elle ressemblait à de l’écume de mer, et avait une odeur de souffre.

En 1753, par un temps clair et une température chaude, deux pierres tombèrent à Pont de Veyle et à Liponas, en Bresse, lieux distants de neuf milles l’un de l’autre. Une explosion violente et un sifflement remarquable furent également entendus dans ces deux endroits, ainsi qu’à plusieurs milles à la ronde. Ces pierres, qui se ressemblaient parfaitement, étaient d’une couleur sombre, et ne laissaient aucun doute sur le grand degré de chaleur qu’elles avaient éprouvé. La plus grande, qui pesait 20 livres, s’enfonça, en tombant, de six pouces dans la terre.

L’an 1768, trois pierres tombées dans diverses parties de la France, occupèrent l’attention publique, et fixèrent celle de l’Académie des Sciences de Paris. La chûte de l’une avait eu lieu à Lucé, dans le Maine; celle d’une autre à Aire, en Artois, et la troisième avait été trouvée dans le Cotentin.

Le 20 Août 1786, une pierre dont le diamètre était d’environ quinze pouces, tomba sur le toît d’une chaumière située dans le voisinage de Bordeaux, l’enfonça, et tua un pâtre ainsi que plusieurs bestiaux.

Le 24 Juillet 1790, entre neuf et dix heures du soir, une pluie de pierres tomba près d’Agen en Guienne. Ce phénomène se manifesta d’abord par la présence d’un corps lumineux qui, traversant l’atmosphère avec une rapidité extrême, et laissant après lui une longue trace de lumière, dura environ cinquante secondes. Immédiatement après, une forte explosion se fit entendre, et des éteincelles parurent dans toutes les directions. Au même instant, une pluie de pierres couvrit une étendue considérable de terrain. Quoique de différentes grandeurs, ces pierres étaient toutes semblables en apparence; leur poids le plus fort était de deux onces. Les plus grosses s’enfonçaient dans la terre, tandis que les plus petites restèrent sur la surface. Le seul dommage qu’elles causèrent, fut de briser quelques tuiles des maisons sur lesquelles elles tombèrent. Deux choses remarquables frappèrent ceux qui furent témoins de ce phénomène; c’est que les pierres qui retombèrent des toîts sur la terre, loin de produire le son d’une substance dure et compacte, ne donnèrent que celui d’un corps à moitié réduit à un état de mollesse, et que celles qui s’arrêtèrent sur la chaussée, s’y attachèrent d’une telle manière, qu’on eut beaucoup de peine à les en ôter, et qu’on crut même s’appercevoir qu’elles étaient, en quelque sorte, en fusion.

Le 18 Décembre 1795, plusieurs personnes qui étaient chez le capitaine Topham, dans le comté d’York, en Angleterre, entendirent une forte détonation, suivie d’un sifflement; et quelques secondes après, le bruit d’un corps qui tomba sur la terre, frappa leurs oreilles. Une de ces personnes, qui était dans un champ voisin de la maison, aperçu distinctement ce corps, lorsqu’il n’était qu’à vingt-cinq pieds de la terre, et remarqua la place où il s’ensevelit, en tombant, à une profondeur de vingt et un pouces. Tout le monde étant accouru, pour observer ce phénomène, la pierre, qui était encore chaude, fut déterrée; on la pesa, et on trouva que son poids était de 56 livres.

Le 19 Décembre 1798, vers huit heures du soir, les habitans de Bénarès et des environs, dans l’Inde, observèrent dans le ciel un météore très lumineux, sous l’apparence d’une grosse boule de feu. Cette apparition fut accompagnée d’un grand bruit ressemblant au tonnerre, et il s’en suivit la chûte d’une quantité de pierres, près de Krakhut, à environ quatorze milles de Bénarès.

Le 17 Mars de la même année, un corps enflammé, traînant après lui une longue queue lumineuse, passa près de Villefranche, dans le voisinage de Lyon, et ayant éclaté avec un fracas épouvantable, à une distance d’environ douze cents pieds de la terre, il tomba dans une vigne où il s’enfouit à 20 pouces de profondeur. Il fut à l’instant aperçu; son diamètre était de deux pieds.

Le 26 Avril 1812, dans le voisinage de l’Aigle, en Normandie, entre trois et quatre heures après midi, on aperçu dans l’air un corps lumineux, qui le parcourait avec une rapidité étonnante. Une détonation de quatre coups semblables à ceux du canon, se fit d’abord entendre, et fut bientôt suivie d’un bruit qu’on ne peut mieux comparer qu’à un feu roulant d’artillerie. Cette explosion, qui dura cinq à six minutes, fut répétée par les échos, dans un rayon de plus de trente lieues. Le dernier résultat de ce phénomène fut une pluie, ou une grêle, de plus de trois mille pierres, dont la plus grosse pesait vingt livres. Quelques jours après leur chûte, elles furent friables; mais elles acquirent ensuite, en peu de temps, la dureté ordinaire à ces sortes de pierres.

Le 17 Juillet 1818, entre neuf et dix heures du soir, un météore igné, d’une grandeur et d’un éclat extraordinaire, fut aperçu dans l’air par des habitans du village de Middlebury et des environs, dans l’état de Vermont. Ce météore parut de différentes grandeurs à différents individus: quelques uns dirent que son diamètre apparent était égal à celui de la pleine lune, qui se levait alors. La célérité de son mouvement était si grande que personne ne put dire combien de temps il fut visible. Suivant les uns, il avait la même apparence qu’a le fer dans le fourneau, lorsqu’il commence à se fondre; suivant les autres, il avait une couleur différente et plus brillante que celle du fer en fusion. Il y eut trois explosions, tandis que le météore était dans l’air: le bruit en fut si grand que les maisons en furent ébranlées, comme elles le sont par une secousse de tremblement de terre. Un peu avant les explosions, ou plutôt avant que le bruit en eût été entendu, on apperçut dans le météore une lumière vive et étincelante: il se détacha de la masse des particules brillantes, qui continuèrent à luire jusqu’à une certaine distance, mais dont la lueur allait toujours en diminuant jusqu’à sa disparution.

Un monsieur de Whiting, qui a observé le phénomène depuis son départ d’auprès du zénith jusqu’à sa disparution, rapporte qu’il le vit trois fois violemment agité et comme tournant sur lui-même; qu’à chaque agitation, le volume diminuait, et qu’après la troisième, il disparut entièrement; et que quelques minutes après les agitations, il entendit trois différentes explosions. En supposant qu’il se soit écoulé cinq minutes entre l’éclair et le son, le météore était au moment de son explosion, à soixante cinq milles de Middlebury.

Le professeur F. Hall, en rendant compte de ce phénomène, plus au long que nous ne venons de le faire, parle d’un météore igné qui creva audessus de la ville de Weston, dans le Connecticut, en 1807, et dont le corps, par supputation, n’avait pas moins de douze ou treize pieds de diamètre, avant l’explosion.

ANECDOTES ET BONS-MOTS.

Henri IV ayant dit, un jour, au P. Cotton, son confesseur: “Révéleriez-vous la confession d’un homme résolu de m’assassiner?” “Non, Sire,” répondit le religieux, “mais j’irais me mettre entre vous et lui.” C’est le mot de Zaïre à Orosmane:

. . . . . . . . . Eh! peut-on vous trahir?

Seigneur, entr’eux et vous, vous me verriez courir.

Le mot de Zaïre est tendre; celui du confesseur est sublime.

Un officier très âgé, et qui s’était trouvé à plusieurs actions importantes, suppliait Louis XIV, avec beaucoup de vivacité, de lui accorder le grade de lieutenant-général. “J’y penserai,” dit le roi. “Que votre majesté se dépêche,” répartit ce brave officier, en ôtant à demi sa perruque; “elle doit voir à mes cheveux blancs, que je n’ai pas le temps d’attendre.” Cette hardiesse ne déplut point au prince, et elle fut suivie d’un prompt succès.

Lord Marlborough étant à la tranchée, avec un de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami, et en couvrit le visage du jeune homme, qui recula d’effroi. Marlborough lui dit intrépidement: “Eh! quoi, monsieur, vous paraissez étonné!” “Oui,” dit le jeune homme, en s’essuyant la figure, “je suis surpris qu’un homme qui avait autant de cervelle restât exposé gratuitement à un danger si inutile.”

L’avare Cuttler, dont parle Pope, dans ses Epitres morales, croyant donner un excellent avis au prodigue Villiers, duc de Buckingham, lui disait: “Que ne vivez-vous comme moi?” “Vivre comme vous, chevalier Cuttler!” répondit le duc, “j’en serai toujours le maître, quand je n’aurai plus rien.”

Un flagorneur importunait, un jour, le grand Frédéric, par un discours où il s’efforçait de peindre ses grandes qualités et l’amour de son peuple pour lui: à la fin ennuyé, le roi reculant de deux pas, enfonce son chapeau, se place dans une position tragique, et répond en Mithridate de théâtre:

Croyez-moi, les humains que j’ai trop su connaître,

Méritent peu, monsieur, qu’on daigne être leur maître.

Le harangueur, obligé de rengainer son compliment, se retira tout confus.

Un boucher, maigre de corps comme d’esprit, étant entré, un jour, dans la boutique d’un libraire où était Johnson, prit un volume du poëme de Churchill, et se mit à répéter, comme par affectation, et pour faire preuve de goût, le passage suivant:—“Quiconque commande à des hommes libres, doit être libre lui-même.” Puis, se tournant vers le docteur: “Que pensez-vous de cet adage, monsieur,” lui dit-il? “Il n’a pas le sens-commun,” reprit Johnson; “c’est comme si l’on disait: Quiconque tue des bœufs gras, doit être gras lui-même.

SOCIÉTÉ pour l’ENCOURAGEMENT des ARTS et
des SCIENCES en CANADA.

Nous avons vu avec plaisir nos concitoyens de Québec travailler depuis quelque temps à la formation d’une Société, dont le but est d’encourager le génie naissant en ce pays. Un pareil projet, s’il est sagement mis à exécution, ne peut qu’être suivi des plus heureux résultats, et formera une des époques les plus heureuses de nos annales littéraires.

Il est de fait qu’il existe déjà dans le pays nombre de sujets, qui pour briller dans l’arène scientifique, ou dans les arts purement d’agrément, ne demandent qu’une occasion favorable, ou les aiguillons d’une noble émulation. Ici vient se placer tout naturellement une de ces circonstances mémorables, qui a donné au monde lettré un de ces génies étonnants, qui, sans ses erreurs, aurait été un des plus beaux diamans à la couronne du dix-huitième siècle. Rousseau était un humble scribe dans un bureau de Paris; l’Académie de Dijon propose un prix; Rousseau sort de son assoupissement, et son premier pas est une merveille. Voilà un fait qui n’a pas besoin de commentaire; nous ajouterons seulement, qu’ayant devant nous le plan d’organisation de la Société, nous le croyons en tout propre à faire sortir de l’obscurité, ceux de nos concitoyens que la nature a doués des talens nécessaires.

Il n’entre pas seulement dans le plan de cette Société de profiter des lumières et des informations de ses différents membres; elle fait un pas de plus, et de ce pas dépend l’heureuse influence que sa formation doit avoir sur toute la communauté; elle appelle encore le génie de toutes les parties de la province, et promet à ses efforts la seule récompense qui lui convienne, des marques d’honneur, l’approbation d’un corps éclairé, de la gloire, en un mot; ce qui fut toujours la passion des grandes âmes!

Le plan de la Société est on ne peut plus libéral; toute personne peut devenir membre, et est admise au ballotage. Tous les membres des clergés reconnus par la loi du pays et ceux des corps législatifs seront membres, aussitôt qu’ils en auront témoigné le désir au secrétaire général; et cela sans ballotage, et les dames ont le même privilège. La contribution annuelle est de la modique somme d’une guinée.

On nous écrit de Québec que le plan a été finalement adopté à une assemblée récente, tenue à l’Hôtel de Malhiot, et que la Société est actuellement en pleine opération. Elle invite par ses règles les différentes parties de la province, et ceux de ses membres qui ne résident pas à Québec, de se former en comités pour recommander des prix sur divers sujets, décernés par tels comités sous la sanction de la Société.

Nous apprenons que le Dr. Tessier est un de ceux qui ont le plus travaillé à l’établissement de la Société, dont il a été élu Secrétaire-Général. Nous ne pouvons laisser passer cette occasion, sans donner à ce jeune et zélé patriote, le tribut d’éloges qu’il mérite à tant de titres. Ce jeune Monsieur est déjà connu dans le monde médical par un Journal, qui a reçu plus d’un éloge, tant chez l’étranger que dans son propre pays. Sous ses soins s’est aussi formée la Société de Médecine de Québec, dont il est aussi Secrétaire. Les derniers efforts qu’il a fait en faveur de la nouvelle Société font autant d’honneur à son zèle qu’à ses lumières, et lui méritent la reconnaissance de tous ses concitoyens.

La Minerve.

A l’exemple voisin des dix-huit républiques,

Vit-on jamais ici des corps académiques?

Privé d’un tel secours, ce qu’on apprit enfant,

On l’oublie et le perd souvent, en vieillissant;

Surtout quand, à cet âge, étudiant par force,

On n’a pu du savoir attrapper que l’écorce.

Quand se réveilleront tous nos esprits cagnards?

Quand étudîrons-nous la nature et les arts?

Satire contre la Paresse.

Les Messieurs suivants out été nommés Officiers de la Société pour la présente année, savoir:—Joseph Bouchette, père, Président; Ls. Plamondon, W. Sheppard, J. R. V. de St. Real, et A. Stuart, Vice-Présidents; le Dr. Tessier, Secrétaire-général; R. S. M. Bouchette, Assistant-secrétaire; M. Clouet, Trésorier.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome V, Numero 1, Juin, 1827. edited by Michel Bibaud]