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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Mars, 1826. Numero 4

Date of first publication: 1826

Author: Michel Bibaud (1782-1857)

Date first posted: January 20 2015

Date last updated: January 20 2015

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La Bibliothèque Canadienne.


Tome II. MARS, 1826. Numero 4.

HISTOIRE DU CANADA.

Cependant la Nouvelle France se peuplait de jour en jour, et la piété, dit Charlevoix, y croissait avec le nombre de ses habitans. Rien peut-être, continue-t-il, ne contribua davantage à cet heureux progrès, qu'un établissement qui y fut commencé vers la fin de l'année 1635. Dix ans auparavant c'est-à-dire lorsque les jésuites passèrent pour la première fois en Canada, René Rohault, fils ainé du marquis de Gamache, ayant obtenu l'agrément de sa famille pour entrer dans la Compagnie de Jésus, ses parens qui l'aimaient avec tendresse, et qui apprirent de lui-même qu'il souhaitait avec ardeur que l'on fondât un collège à Québec, voulurent encore lui donner cette satisfaction. Ils en écrivirent au P. Mutio Vitelleski, général des jésuites, et lui offrirent six mille écus d'or pour cette fondation. Le présent fut accepté avec reconnaissance, mais la prise de Québec par les Anglais suspendit l'exécution du projet.

Il fallut ensuite attendre que la capitale eût pris quelque forme, et que ses habitans fussent en état de profiter de ce secours. — Enfin l'affaire fut commencée au mois de Décembre 1635; mais la joie qu'on en ressentit fut bientôt troublée par la perte que la colonie fit, quelques jours après, de son gouverneur. Il mourut à Québec, vers la fin du même mois de Décembre, généralement regretté, et à juste titre. M. de Champlain fut sans contredit un homme de mérite, et peut être appellé à bon droit le père de la Nouvelle France. Il avait un grand sens, beaucoup de pénétration, des vues droites, et personne ne sut mieux que lui prendre son parti dans les affaires les plus épineuses. Ce qu'on admira le plus en lui ce fut sa constance à suivre ses entreprises, sa fermeté dans les plus grands dangers, un courage à l'épreuve des contre-tems les plus imprévus, un zèle ardent et désintéressé pour le bien de l'état, un grand fond d'honneur, de probité et de religion. On voit, dit le P. Charlevoix, en lisant ses mémoires, qu'il n'ignorait rien de ce que doit savoir un homme de sa profession; on y trouve un historien fidèle et sincère, un voyageur qui observe tout avec attention, un écrivain judicieux, un bon géomètre, et un habile homme de mer. Il ne manqua à M. de Champlain pour donner à la colonie du Canada des fondemens plus solides, que 122 d'être plus écouté de ceux qui le mettaient en œuvre, et d'être secouru à propos. Lescarbot lui a reproché d'être trop crédule; c'est, remarque joliment Charlevoix, le défaut des âmes droites, et dans l'impossibilité d'être sans défauts, il est beau de n'avoir que ceux qui seraient des vertus, si tous les hommes étaient ce qu'ils devraient être.

Pour revenir au collège de Québec, les jésuites ne différèrent pas à remplir les obligations qu'ils venaient de contracter en acceptant cette fondation. Ils en comprenaient toute l'importance, et rien en effet ne pouvait venir plus à propos pour l'avancement de la colonie. Un grand nombre de Français assurés de pouvoir procurer à leurs enfans une éducation qu'on ne trouvait pas alors dans bien des villes de l'ancienne France, se fixèrent dans la Nouvelle, et les sauvages auxquels on eut soin de faire envisager l'utilité qui pouvait leur revenir d'un tel établissement, se rendirent de toutes parts en grand nombre aux environs de Québec. On ne manquait jamais, lorsqu'ils venaient au collège, de les bien régaler, et on les disposait par là à confier leurs enfans à des personnes qui voulaient bien se charger de les nourrir et de les élever. Cependant ce ne fut qu'avec la plus grande peine qu'on réussit à en réunir un petit nombre.

M. de Champlain eut pour successeur dans le gouvernement M. de Montmagny, chevalier de Malte, ainsi que M. Delisle qui commandait aux Trois-Rivières. Ces deux hommes montraient, suivant l'histoire, pour le bon ordre un zèle dont leur fermeté et leur exactitude assuraient le succès.

Un des premiers soins du chevalier de Montmagny, quand il eut pris connaissance des affaires de son gouvernement, fut de mettre en règle le séminaire qu'on avait projetté l'année précédente, pour les enfans des sauvages dans le collège des jésuites; et on crut devoir commencer par ceux des Hurons, dont plusieurs familles venaient d'embrasser le christianisme. On jugea d'ailleurs que ce seraient autant d'otages qui répondraient de la fidélité de leurs parens : on invita donc les Hurons chrétiens à envoyer leurs enfans à Québec pour y être instruits des principes de la religion, et formés aux bonnes mas. Ils ne firent d'abord aucune difficulté; ils promirent tout; mais quand il fut question d'exécuter leurs promesses, d'un assez grand nombre d'enfans sur lesquels on avait compté, à peine le P. Daniel, qui s'était chargé de les conduire, en put embarquer trois ou quatre, dont les parens étaient absents : encore ne put-il les mener que jusqu'aux Trois-Rivières, où leurs pères les ayant rencontrés, les lui enlevèrent, quoiqu'ils eussent consenti à leur voyage.

Cependant les missionnaires continuaient leurs travaux parmi les Hurons, et avant la fin de cette année 1636, il y en avait déjà six de dispersés dans leurs différentes bourgades, où plusieurs Français les avaient suivis. 123

L'occasion était favorable pour faire dans ce pays un bon établissement; l'intérêt des sauvages et celui des Français le demandaient également : M. de Champlain n'avait rien eu tant à ça, et M. de Montmagny sur cela, comme sur tout le reste, était entré dans toutes les vues de son prédécesseur; mais il manquait d'hommes et de finances. Excepté le commerce des pelleteries, qui allait assez bien, mais qui n'enrichissait guères que les traitans et un petit nombre de colons, tout languissait faute de secours.

Il n'est pas aisé de comprendre par quelle fatalité une compagnie aussi puissante que celle qui régissait le Canada, et qui regardait ce grand pays comme son domaine, abandonnait ainsi une colonie dont on avait conçu de si grandes espérances, et où le merveilleux accord de tous les membres qui la composaient, le seul peut-être qu'on avait vu aussi parfait dans le Nouveau Monde, répondait du succès de toutes les entreprises qu'on y aurait tentées, si les cent associés avaient voulu faire les avances nécessaires. Ce qu'il y eut de plus triste, c'est que les espérances dont plusieurs tribus sauvages s'étaient flattées, que l'alliance des Français les mettrait en état de réduire leurs ennemis, fut ce qui les fit plutôt succomber, parceque comptant sur les secours qu'elles attendaient de leurs alliés, et qui leur manquèrent au besoin, elles ne furent pas assez sur leurs gardes. Les Iroquois, de leur côté, ne s'endormirent pas, et pour ne point donner aux Hurons le tems de profiter de leur union avec les Français, ils s'avisèrent d'un stratagême qui leur réussit. Ce fut de les diviser, pour les détruire ensuite les uns après les autres. Ils commencèrent par traiter de paix avec le corps de la nation; puis, sous différents prétextes, ils attaquèrent les bourgades les plus éloignées du centre, en persuadant aux autres qu'il ne s'agissait que de quelques querelles particulières où elles n'avaient aucun intérêt d'entrer. Celles-ci n'ouvrirent les yeux que quand elles virent pour ainsi dire à leur porte, un ennemi vainqueur, et dont le nom seul jettait l'alarme dans tout le pays. Alors les Iroquois levèrent le masque, et la frayeur augmenta de jour en jour parmi les Hurons : ils perdirent le jugement à un point que toutes leurs démarches étaient des fautes grossières.

Ce fut au commencement de l'année 1636 que les Iroquois cessèrent de feindre, et parurent en armes au milieu du pays des Hurons. Cette première irruption ne leur réussit pourtant pas autant qu'ils se l'étaient promis : le peu de Français qui avaient suivi les missionnaires dans ces quartiers firent si bonne contenance, que l'ennemi jugea à propos de se retirer. Cette retraite replongea les Hurons dans leur première sécurité, et les Iroquois en profitèrent pour continuer à suivre le plan qu'ils s'étaient fait d'abord dans cette guerre.

Sur la fin de l'année suivante, un renfort de jésuites arriva à St. 124 Joseph, et il s'en trouva assez pour les principales bourgades huronnes, et même pour des excursions chez les tribus voisines. Ces excursions se firent principalement du côté du Lac Nipissing; mais les PP. Garnier et Chatelain, qui en furent chargés, n'y trouvèrent guères que des fatigues et des privations extraordinaires. Cependant, sans se rebuter du peu de fruit qu'ils avaient tiré de leurs premières courses, les missionnaires les continuèrent les années suivantes, mais presque toujours avec aussi peu de succès.

Ce qui retardait principalement les progrès du christianisme dans ces contrées éloignées, c'est que les Iroquois infestaient tous les chemins, et tenaient toutes les tribus en alarmes. Quelques précautions qu'eut prises le chevalier de Montmagny pour leur cacher la faiblesse de la colonie, ils en furent bientôt informés, et non seulement ils n'appréhendaient plus que les Français les empêchassent de pousser à bout leurs ennemis, mais au mois d'Août de cette même année 1637, cinq cents de ces barbares eurent l'assurance de venir insulter le gouverneur, aux Trois-Rivières, où il était, et enlevèrent à sa barbe, sans qu'il lui fût possible de s'y opposer, trente Hurons qui descendaient à Québec chargés de pelleteries.

L'année 1638 commença pour les missionnaires des Hurons, de façon à leur faire espérer une abondante moisson qui les dédommagerait de la stérilité des années précédentes. Le pays fut affligé d'une maladie qui d'une bourgade se communiqua à toutes les autres, et menaça la tribu entière d'une mortalité générale. — C'était une espèce de dyssenterie, qui, en peu de jours, conduisait au tombeau ceux qui en étaient attaqués. Les Français n'en furent pas plus exempts que les sauvages; mais ils guérirent tous; ce qui produisit deux bons effets : le premier, que ceux d'entre les barbares qui persistaient à croire que tous les accidens qui leur arrivaient étaient causés par des maléfices dont ils soupçonnaient les missionnaires d'être les auteurs, se détrompèrent, en voyant qu'eux-mêmes n'avaient pas été préservés du mal : le second, que les sauvages apprirent à se gouverner mieux qu'ils ne faisaient dans les maladies, en observant que les Français en guérissaient facilement au moyen du régime qu'ils y observaient. Enfin, la charité et la générosité avec lesquelles ils virent les missionnaires se dépouiller de tout ce qui leur restait de remèdes et de rafraichissemens, pour les soulager, leur gagnèrent les cœurs de ceux-mêmes qui jusque-là s'étaient le plus hautement déclarés contre eux.

Ce n'était pas seulement en Canada qu'on s'intéressait à la conversion des naturels du pays; les jésuites, dans les lettres qu'ils écrivaient en France, avaient représenté que s'ils étaient en état de soulager la misère de quantité de sauvages, ils en convertiraient beaucoup au christianisme; que pour cela, il n'y avait qu'à 125 rassembler tous ceux qu'on pourrait résoudre à mener une vie plus sédentaire, afin de les accoutumer peu à peu à cultiver la terre, et à se procurer par leur travail et leur industrie de quoi vivre et se vêtir. Ces représentations des missionnaires eurent l'effet qu'ils en attendaient : tout ce qu'il y avait de plus grand à la cour, des princesses du sang, la reine même entrèrent dans leurs vues, et sur quelques propositions que firent ces religieux d'établir à Québec des Ursulines et des Hospitalières, un grand nombre de filles de ces deux instituts sollicitèrent, avec les plus vives instances, d'être préférées, quand on en viendrait à l'exécution d'une entreprise si capable d'effrayer les personnes de leur sèxe, et si nouvelle pour celles de leur profession. Mais nul autre ne seconda plus efficacement alors le zèle des prédicateurs de l'évangile, que le Commandeur de Sylleri. Ce seigneur gouta extrêmement le projet que les jésuites lui communiquèrent d'une peuplade sauvage qui ne fût composée que de chrétiens et de prosélytes, et où ils fussent également à l'abri contre les insultes des Iroquois, par les secours qu'ils pourraient tirer des Français, et contre la famine, par le soin que l'on prendrait de leur faire cultiver la terre. A cet effet, il envoya des ouvriers à Québec, en 1637, et il recommanda au P. Le Jeune, à qui il les adressa, de choisir un lieu avantageux pour les y placer. Le supérieur les conduisit, aussitôt après leur arrivée, à quatre milles de la ville, sur le bord septentrional du fleuve, et ils y travaillèrent d'abord à se loger. Ce lieu a toujours porté depuis le nom de Sylleri. Ces préparatifs, dont on n'avait pas jugé à propos d'apprendre aux sauvages quel était l'objet, firent d'abord naître à quelques Montagnais la pensée de profiter de ce nouvel établissement, et ils s'en ouvrirent au P. Le Jeune : celui-ci les assura que de sa part ils ne trouveraient aucune difficulté à obtenir ce qu'ils désiraient; mais il ajouta qu'il ne pouvait rien décider sans le consentement du maître de l'habitation. Le P. Le Jeune savait bien quelle était l'intention de M. de Sylleri; mais son expérience lui faisait juger cette réserve nécessaire avec les sauvages, qui se persuadent aisément qu'on leur doit, ou qu'on a quelque intérêt de leur accorder ce qu'on leur donne avec trop de facilité. Le consentement du commandeur arriva l'année suivante, par le retour des vaisseaux de France, et douze familles chrétiennes très nombreuses prirent possession de l'emplacement qu'on leur avait destiné, et s'y logèrent. Elles n'y furent pas longtems les seules, et en peu d'années, cette habitation devint une grosse peuplade, composée de chrétiens fervents, qui défrichèrent un assez grand terrain, et s'accoutumèrent peu à peu à la pratique de tous les devoirs de la société civilisée.

Le voisinage de Québec et la conduite exemplaire de ses citoyens ne contribuèrent pas peu à faire des nouveaux habitans de Sylleri des hommes religieux, et à leur inspirer une sorte de police 126 proportionnée à leur génie. Tout le monde sait de quelle manière se sont formées quelques unes des colonies de l'Amérique; mais on doit rendre cette justice à la Nouvelle France que la source de presque toutes les familles françaises qui sont venues s'y établir est pure, et n'a aucune de ses taches que l'opulence a bien de la peine à effacer. Ses premiers habitans ont été ou des ouvriers qui s'y sont toujours occupés de travaux utiles, ou des personnes de bonne famille qui s'y transportèrent dans la seule vue d'y vivre plus tranquillement, et d'y conserver plus surement leur religion. Je crains d'autant moins d'être contredit sur cet article, continue Charlevoix, que j'ai vécu avec quelques uns de ces premiers colons presque centenaires, de leurs enfans, et d'un assez bon nombre de leurs petits-fils; tous gens plus respectables encore par leur probité, leur candeur, la piété solide dont ils faisaient profession, que par leurs cheveux blancs et le souvenir des services qu'ils avaient rendus à la colonie.

Deux choses manquaient encore à une colonie si bien réglée; savoir, une école pour l'instruction des jeunes filles, et un hopital pour le soulagement des malades. Il y avait déjà quelques années que les jésuites se donnaient de grands mouvemens pour lui procurer ce double avantage; mais ils portaient leurs vues encore plus loin : en sollicitant la fondation d'un hopital, ils avaient bien dessein de soulager les colons, la plupart fort pauvres, et sans ressources dans leurs maladies, mais leur but était encore de s'attacher de plus en plus les sauvages par les soins qu'on prendrait de leurs malades, dans une maison toute consacrée à la charité; et dans le projet de faire venir des ursulines de France, ils songeaient autant à l'éducation des filles sauvages qu'à celle des filles françaises.

Le premier de ces deux projets fut presque aussitôt approuvé que proposé, et son exécution ne souffrit aucun retardement. — Madame la Duchesse d'Aiguillon voulut être la fondatrice de l'Hotel-dieu; et, pour avoir des sujets propres à une telle entreprise, elle s'adressa aux hospitalières de Dieppe. Ces religieuses acceptèrent avec joie et avec reconnaissance une si belle occasion de faire le sacrifice de tout ce qu'elles avaient de plus cher au monde, pour le service des pauvres malades du Canada. Toutes s'offrirent, toutes sollicitèrent d'être admises; mais on n'en choisit que trois, qui se tinrent prêtes à partir par les premiers vaisseaux.

A continuer. 127


Traduction libre et abrégée des LEÇONS de CHIMIE,

données par le Chevalier Humphrey Davy à la Société d'Agriculture de Londres; dédiée aux Sociétés d'Agriculture du Bas-Canada; par A. G. Douglas, Capitaine à demi-paie. Pp. 123, 8vo.

Si l'ouvrage ci-dessus était aussi connu et aussi répandu dans le pays qu'il nous semble mériter de l'être, nous n'en parlerions pas présentement, vu qu'il y a déjà cinq ou six ans qu'il a vu le jour : mais comme nous sommes persuadés que la plupart de nos lecteurs ne l'ont pas vu encore, il nous semble qu'il vaut mieux en parler tard que de n'en pas parler du tout, ou du moins qu'on ne trouvera pas mauvais que nous en fassions ici mention aussi brièvement que possible.

Le Capitaine Douglas, devenu depuis plusieurs années notre concitoyen, est un de ces hommes en petit nombre qui aux travaux de Mars ajoutent le soin de cultiver les Muses; qui, après avoir défendu la patrie l'épée à la main, savent prendre la plume et s'en servir habilement pour amuser ou instruire leurs compatriotes. Ce militaire devenu citoyen a d'autant mieux mérité du Bas-Canada, en lui donnant l'ouvrage dont on vient de lire le titre, qu'il ne pouvait guères espérer d'être dédommagé pécuniairement des peines qu'il lui a dû couter, ou même qu'il avait renoncé d'avance à tout dédommagement de cette sorte. Qu'on nous permette de répéter ici ce qui a été dit ailleurs, "qu'on doit à l'auteur de dire que son ouvrage est un présent digne de la reconnaissance des agriculteurs et de la jeunesse studieuse à qui il est principalement destiné." On doit dire aussi à la louange des Sociétés d'Agriculture de Québec et des Trois-Rivières, qu'aussitôt après l'annonce de l'impression et de la mise en vente de l'ouvrage, elles se sont empressées d'en acheter, la première, cinquante exemplaires, et la seconde, vingt-cinq.

On doit voir par le titre énoncé ci-dessus, que l'ouvrage traite de Chimie et d'Agriculture : peut-être même aurait-on pu l'intituler, "La Chimie appliquée à l'Agriculture." Le traducteur et abréviateur a dû rencontrer et s'efforcer d'applanir des difficultés que l'auteur original n'éprouvait pas à Londres, parcequ'il s'adressait à une société presque entièrement composée de savans : il lui a fallu, comme il le dit lui-même dans sa dédicace, conserver tous les principes scientifiques, pour ne pas dégrader l'excellent ouvrage du Chevalier Davy, et les présenter cependant de manière à être entendu du plus grand nombre des lecteurs. Ces difficultés, il les a surmontées, suivant nous, du moins suffisamment pour satisfaire les lecteurs raisonnables; car si quelques parties de l'ouvrage leur paraissent un peu abstraites, le reste les dédommagera amplement de leurs peines, comme il le dit dans une des notes dont il a enrichi sa traduction libre et abrégée. 128

Quant au style, il nous a paru clair et précis, autant qu'il pouvait l'être, bon, en un mot, à l'exception d'une tournure qui nous a semblé peu française, nous dirons même un peu choquante pour l'oreille et l'esprit, par sa fréquente répétition. Cette tournure consiste à se servir du gérondif avec le verbe employé dans le sens passif ou neutre; comme par exemple : "Les eaux de vie de Cognac contiennent de l'acide prussique végétal, et leur flaveur peut être imitée, en mettant", &c. pour, et on en peut imiter la flaveur &c. "Toutes les eaux de vie peuvent perdre leur flaveur particulière, en les faisant digérer", &c. pour, On peut faire perdre aux eaux de vie, &c. "L'éther se retire de l'esprit de vin, en distillant ensemble", &c. pour, On retire l'éther, &c. "L'acide carbonique se décompose aisément, en le faisant chauffer," &c. pour, On décompose aisément, &c. "Des sols qui contiennent trop de sable deviennent productifs, en employant l'argile et la marne", &c. comme si c'étaient les sols qui employaient, &c.

Quoiqu'il en soit de cette tournure, qui nous parait devoir être évitée, comme peu conforme aux règles de la grammaire, bien qu'on en puisse trouver, peut-être, des exemples dans des écrivains de mérite, nous croirions ne pas rendre suffisamment justice au Capitaine Douglas, et ne pas donner au public une idée assez juste de son travail, si nous ne joignions pas quelques courts extraits à cette notice.


"L'application de la Chimie à l'Agriculture, a pour objet tous les changemens possibles qui peuvent se présenter dans l'accroissement et la nourriture des plantes, la valeur comparative de la nourriture qu'elles fournissent, la constitution du sol, la manière d'enrichir les terres par différents engrais, et de les rendre fertiles par les meilleurs procédés de culture. Ces questions sont toutes essentielles à la théorie et à la pratique de l'Agriculture; la première y trouvera ses principes fondamentaux, et la seconde pourra par des expériences raisonnées s'assurer de l'efficacité de ses méthodes.

"Toutes les questions d'Agriculture dépendent plus ou moins de la Chimie : la cause de la stérilité d'une terre qu'on veut améliorer ne peut être connue que par l'analyse chimique de son sol. Les sels ferrugineux peuvent se détruire avec de la chaux; l'excès de sable siliceux se corrigera par la craie et autres matières calcaires. Cette terre manque-t-elle de matières végétales, on y suppléera par des engrais; enfin si la matière végétale est trop abondante, on employera le feu, &c. &c. &c.

"L'effet de la chaux ne peut se connaître qu'avec le temps, souvent après plusieurs années; son emploi pourrait donc être dangereux; mais la Chimie détermine à l'instant la nature de la pierre à chaux, et comment on doit s'en servir pour engrais et pour ciment. 129

"Quelques terrains tourbeux produisent un bon engrais; mais s'ils contiennent du fer, ils deviennent un poison pour les plantes; la Chimie vient encore ici à notre secours.

"On n'est pas d'accord si on doit employer le fumier nouveau, ou quand il a fini de fermenter : la Chimie résoud aussi cette question : elle prouve qu'aussitôt que le fumier commence à se décomposer, il perd ses parties les plus volatiles et qui étaient les plus utiles; réduit en masse molle et gluante il a déjà perdu un tiers ou la moitié de ces parties. Il est donc évident qu'il faut l'employer quand il commence à fermenter.


"Les Romains, dit Pline, employaient la chaux à demi-éteinte pour la culture des arbres fruitiers; les Gaulois et les Bretons étendaient de la marne sur leurs terres, mais on ne connaît pas l'époque où on employa la chaux vive pour la première fois. Les anciens écrivains sur l'Agriculture n'avaient pas une idée correcte de la chaux, de la pierre à chaux, ni de la marne, et cela parcequ'ils ne connaissaient pas la Chimie. Evelyn, Hartlibe, et après eux Lisle, l'appèlent un engrais chaud propre aux terres froides.

"Comme engrais, les craies, les marnes calcaires, la pierre à chaux pilée, sont utiles dans un sol qui manque de matières calcaires; matières qui semblent nécessaires à la fertilité du sol, et à la formation des organes des plantes. La chaux vive décompose d'abord les substances végétales et animales, et les dispose à devenir la nourriture des plantes. Elle est ensuite neutralisée par l'acide carbonique, redevient à l'état de craie, et se mêle mieux que la craie avec les autres ingrédiens du sol qu'elle tient mieux divisés.

"Les guérêts n'enrichissent pas le sol : ils ne servent qu'à fournir plus de matières décomposées, qui, dans le cours de la végétation, auraient été employées à mesure qu'elles se formaient. — Les guérêts ne servent guère qu'à détruire les mauvaises herbes.

"Il est évident qu'en se servant du feu, on doit détruire une certaine quantité de matière végétale : on pourra donc l'employer dans les cas où ces matières seraient trop abondantes. Le feu rend l'argile moins cohérente, et l'empêche de recevoir autant d'eau : il ruinerait un sol composé de sable et de terre siliceuse qui contiendrait peu de matières végétales et animales.

"Les arrosages étaient connus des anciens, et il y a plus de deux cents ans que lord Bacon disait, que l'eau ne sert pas seulement à donner de la fraîcheur aux plantes, mais qu'elle porte avec elle leur nourriture toute dissoute, et qu'elle défend leurs racines du froid.


"Quand les arbres fruitiers deviennent vieux, il n'y a pas d'autre moyen d'en conserver l'espèce que d'en semer la graine; ce qu'on 130 appelle faire des pépinières; et c'est le cas en Angleterre. On se les était procurés anciennement par des greffes, mais cette opération ne conserve pas long temps la vie des arbres; son avantage consiste à procurer plus de nourriture à la jeune plante, qui reçoit alors toute la nourriture de l'ancienne; elle pousse donc plus vigoureusement et produit plus de fleurs et de fruits, mais elle est sujette aux infirmités et même à la décrépitude du vieil arbre. — En vain a-t-on essayé de transférer des rejettons sains de bons vieux arbres sur des jeunes arbres, ils ont fleuri pendant deux ou trois ans, mais ils sont bientôt devenus aussi infirmes que les arbres auxquels ils devaient leur origine.


"Quand un terrain n'est pas employé à produire de la nourriture pour les animaux, il doit l'être à procurer des engrais au sol, ce qu'on obtiendra par le moyen des prairies artificielles : ces plantes en absorbant l'acide carbonique de l'air procureront de la nourriture au terrain. Enfin, un guérêt d'hiver est moins dangereux qu'un guérêt d'été, parce qu'il a l'avantage de soumettre le sol à l'action de la glace et de la neige, qui toutes tendent à le pulvériser, et ces parties essentielles ne se perdent point par l'évaporation".


Ce livre est à vendre à l'Imprimerie du Spectateur Canadien, et à la Librairie de Messrs. E. R. Fabre & Co.


Du Voyage de J. Lambert en Canada. (1810.)

Les pins s'élèvent jusqu'à la hauteur de 120 pieds et davantage, et ont de 9 à 10 pieds de circonférence, en plusieurs endroits du Bas-Canada, sur les frontières des Etats de Vermont et de la Nouvelle York. Ils donnent d'excellents mâts et bois de construction pour les vaisseaux; mais la quantité que fournit le Bas-Canada, est peu de chose comparée à celle qu'on tire du Haut-Canada et des Etats-Unis. En d'autres endroits, et particulièrement au nord et à l'ouest de Québec, les arbres des forêts sont presque tous d'une basse venue. Il y a plusieurs variétés de pins et de sapins, avec quelques uns desquels on fait une grande quantité de poix, de goudron et de térébenthine. Le défrichement des terres s'est fait depuis quelques années avec avantage pour ceux qui entendent la vraie méthode. Car il y a à peine un arbre dans les forêts qu'on ne puisse tourner à profit, et employer utilement, surtout si l'on fait de la potasse et de la perlasse, articles qui ont plus qu'aucun autre enrichi les cultivateurs américains. 131

Cependant avant de défricher des terres, il faut voir si l'on trouvera un marché pour ses productions, et si l'on aura pour les y porter quelque bon chemin, ou quelque rivière navigable; autrement il serait de peu de conséquence de pouvoir se procurer quatre ou cinq cents acres de terres pour quatre ou cinq louis. Tant de terre pour si peu d'argent est quelque chose d'imposant pour un Européen; mais les apparences sont souvent trompeuses, surtout à une grande distance.

Il y a quelques années, une demoiselle d'Angleterre qui avait obtenu un octroi de plusieurs centaines d'acres de terre à bois dans le Bas-Canada, avait conçu, après bien des calculs, une si haute idée de leur valeur et des richesses que devaient lui procurer un si grand nombre d'arbres, chacun desquels elle évaluait à ce qu'il aurait couté en Angleterre, qu'elle se décida à passer en Canada, pour s'établir sur sa propriété. Le patriotisme entrait aussi pour sa part dans l'entreprise, car la demoiselle se faisait un mérite d'enrichir les chantiers de la marine d'une si grande quantité de bois de valeur. Elle s'empressa donc de représenter aux commissaires des chantiers de sa majesté, les avantages qui résulteraient d'un tel établissement, et elle obtint, je pense, de leur part la promesse d'acheter tout le bois qu'elle enverrait en Angleterre. Fière de ce succès, elle se procura aussitôt à grands frais, tous les ustensiles d'agriculture, et tous les instrumens nouveaux auxquels elle pensa, avec une quantité de cordes et de machines pour abattre les arbres et arracher les racines. Ainsi équippée, elle s'embarqua seule pour l'heureuse terre qui dans son imagination échauffée, contenait des richesses bien supérieures à celles du Pérou et du Potosi.

Après un voyage fatiguant qui aurait peut-être ralenti l'ardeur d'un esprit moins enthousiaste que le sien, elle arriva à Québec, et fit voir les lettres qu'elle avait reçues des grands dans son pays. Mais elle apprit bientôt qu'il y avait des grands en Canada aussi bien qu'en Angleterre; car au lieu d'être reçue à bras ouverts, comme elle s'y attendait, après avoir fait tant de dépenses et s'être donné tant de peines, pour avancer les intérêts de la colonie et de la mère-patrie, autant que les siens propres, elle fut reçue avec froideur, et même traitée de cerveau fêlé. Cependant malgré la mortification que lui causaient le chuchotement et les souris moqueurs des bonnes gens de Québec, elle partit pour la campagne, afin de mettre son projet à exécution. Après avoir éprouvé sur la route plusieurs difficultés et plusieurs tracasseries, elle arriva à une journée de marche de ses terres, qui étaient à plusieurs milles derrière tout établissement. Elle arriva le soir à une misérable cabane, au milieu d'une sombre forêt, où Pan lui-même n'aurait jamais voulu se hazarder pour courir après une nymphe agreste; elle s'y arrêta pour passer la nuit; mais à peine y fut elle entrée, qu'elle entendit un coup de fusil; et un moment 132 après, deux ou trois hommes se précipitèrent dans la hutte. Ils parurent d'abord vouloir enlever la demoiselle, mais après y avoir réfléchi, ils suivirent leur seconde idée, qui quelquefois vaut mieux que la première, et la prièrent seulement de vouloir bien leur donner son argent, ainsi que quelques autres articles qu'elle avait apportés avec elle; et se retirèrent aussitôt.

Rien ne pouvait égaler l'effroi et la consternation de la pauvre demoiselle; quoiqu'elle fût plus courageuse et plus hardie que ne le sont ordinairement les personnes de son sèxe, elle fut si étonnée de se voir voler, dans un endroit où elle s'était attendue à ne rencontrer que l'innocence sans tâche, et la félicité pastorale des premiers tems, qu'elle repartit dès le lendemain matin pour Québec. Revenue dans cette ville, elle voulut vendre ses terres; mais dès qu'on sut où elles étaient, on les trouva si éloignées que personne n'en voulut rien donner. On ne pouvait s'y rendre que par des sentiers étroits : il n'y avait ni chemin ni rivière, pour en transporter le bois par terre ou par eau. La pauvre dame fut contrainte de s'en retourner en Angleterre, après avoir dépensé beaucoup d'argent, et essuyé les moqueries d'étrangers insensibles à son infortune. On disait que quelques uns de ses cordages et de ses nouveaux instrumens d'agriculture étaient encore dans le magazin d'un des marchands de Québec.


FRANKLIN.

Parmi les grands hommes qu'ont produits les Etats-Unis, aucun ne mérite plus le titre de grand que Franklin; à la fois politique, philosophe, poëte et bon citoyen, il a tout réuni pour fixer l'admiration.

Il naquit à Boston en 1706, d'un fabriquant de savon, et s'occupa dans sa jeunesse de la profession de son père; mais elle lui déplut bientôt; il entra chez un coutelier; puis chez un imprimeur. La nuit, il lisait les ouvrages qui s'imprimaient le jour, et satisfesait ainsi, aux dépens de son sommeil, la passion excessive qu'il avait pour la lecture.

Il fit un voyage en Angleterre pour se perfectionner dans son art. Les entrevues fréquentes qu'il eut avec Pemberton, Hans, Sloane et Collinson étendirent ses lumières et les élevèrent au-dessus du mécanisme de son art. De retour en Amérique, il s'établit à Philadelphie, et devint auteur d'une feuille périodique. — Il ne tarda pas à se faire connaître et à obtenir l'impression des actes du gouvernement. Dès lors ses connaissances en physique, en morale, en politique, lui acquirent l'estime des savans, et le respect de ses compatriotes.

En 1741, il fonda la première bibliothèque que l'Amérique ait 133 eue. C'est à lui qu'on est redevable des sciences qui aujourd'hui fleurissent avec tant de succès aux Etats-Unis.

L'année suivante, il publia son Almanach du bon homme Richard. Il eut un tel succès qu'on en vendit jusqu'à dix mille exemplaires dans l'année, nombre prodigieux, si l'on considère qu'à cette époque, l'Amérique était très peu peuplée.

En 1747, il adressa à son ami Collinson ses découvertes sur l'électricité. Par elle il expliqua la cause des aurores boréales, fit connaître celle de la foudre, et sut lui donner des lois. C'est lui qui en a prévenu les effets, en l'assujétissant à suivre les conducteurs de ses paratonnerres.

Le nom de Franklin, placé dans l'histoire des sciences, le fut bientôt dans celle des empires.

Lorsque les colonies américaines commencèrent à se plaindre de la mère-patrie, le gouvernement anglais effrayé de leur opposition à la promulgation de l'impôt du timbre, voulut intimider Franklin, et le manda à la barre de la chambre des communes. — Il y parut avec beaucoup de fermeté et de courage : il prédit aux Anglais que leur avarice allait rendre l'Amérique indépendante, prédiction qui s'est bien réalisée.

Quand la guerre fut déclarée entre les Etats-Unis et l'Angleterre, Franklin fut choisi pour aller suivre auprès du ministre de France, les négociations commencées par Sylas Deane.

Franklin débarqua au port de Nantes en 1776, apportant une cargaison de tabac pour payer ses dépenses, comme jadis au moment où la Hollande voulut être libre, ses députés vinrent à Bruxelles avec un convoi de harengs.

Rendu à la capitale, il logea à Passy. Tout en lui annonçait la simplicité des mœurs anciennes. La foule du peuple se portait sur son passage pour admirer son air noble et modeste.

L'intérêt qu'il sut inspirer pour ses concitoyens joint à ses talens, détermina le gouvernement français à soutenir leur indépendance. Elle fut reconnue par les Anglais eux-mêmes après la prise de Lord Cornwallis et de son armée. Le traité de paix fut signé le 3 Septembre 1783 par Franklin au nom des Etats-Unis. Il ne quitta point Paris qu'il n'eût assuré par d'autres traités d'alliance, avec la Prusse et la Suède, de nouvelles relations de commerce à son pays. C'est une grande question politique de juger si l'Amérique serait libre sans les efforts de son vaste génie pour la cause de l'indépendance.

A son retour dans sa patrie en 1785, il fut nommé gouverneur de la Pensylvanie : il vit cette province déchirée par les factions, et le gouvernement des autres sans force et sans dignité, le crédit anéanti, le commerce sans vigueur et très borné. Il jugea que pour remédier à ces maux, il fallait une convocation générale. — Les Etats-Unis s'assemblèrent en congrès à Philadelphie en 1788, et Franklin représentant de la province dont cette ville est la capitale, 134 y parla avec autant de raison que de courage. Il développa les maux, et indiqua et fit appliquer les remèdes.

Il mourut le 17 Avril 1790. Le congrès ordonna dans l'étendue des quatorze provinces confédérées deux mois de deuil. — L'assemblée nationale le prit pour quelques jours.

Voici l'épitaphe que ce philosophe se fit : "Le corps de Benjamin Franklin, Imprimeur, comme la couverture d'un vieux livre dont les feuillets sont arrachés et le titre effacé, gît ici, et devient la pâture des vers. Cependant l'ouvrage même ne sera point perdu; il doit, comme il le croyait, reparaître encore une fois dans une nouvelle et plus belle édition revue et corrigée par le souverain auteur".

On mit au bas de son portrait ce vers latin attribué au ministre Turgot;

Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis;

que l'on a traduit ainsi :

Par un double bienfait, de deux fléaux vainqueur,
Il éteignit la foudre et détrôna l'erreur.

Le 7 Avril 1792, la ville de Philadelphie fit élever la statue de Franklin sur le fronton de la bibliothèque. Il est représenté debout, revêtu de la toge romaine, un bras appuyé sur des livres, tenant d'une main un rouleau, et de l'autre, un sceptre renversé.


SINGULARITÉS.

Nous avons cru devoir faire précéder du présent article, que nous trouvons dans le livre intitulé, Singularités Anglaises, Ecossaises et Irlandaises, le morceau curieux qui suit, communiqué pour la Bibliothèque Canadienne.

"Edward Brigth, natif du comté d'Essex, (en Angleterre), épicier de profession, et mort à l'âge de 33 ans, fut un homme d'un embonpoint extraordinaire. Il descendait du côté paternel et maternel d'une famille de grosse et forte stature. Plusieurs de ses ancêtres avaient été d'un embonpoint remarquable, mais aucun n'a égalé le sien. Dès son enfance, quoique vigoureux et actif, il était déjà gras. Il avait cependant toujours fait beaucoup d'exercice jusqu'aux deux ou trois dernières années de sa vie, qu'étant devenu trop lourd, il ne put plus en prendre. — Comme il avait les muscles très-forts, il se promenait avec assez d'agilité, il montait à cheval, et galopait même assez bien. Il allait quelquefois à Londres à cheval, pour ses affaires, et faisait gaillardement ce trajet qui est de treize lieues. Lorsqu'il passait dans les rues de cette grande ville, il s'attirait les regards de tout le monde, et sa corpulence était un spectacle curieux pour le 135 peuple. A l'âge de douze ans et demi, le sieur Brigth pesait déjà cent quarante quatre livres; à vingt, il en pesait trois cent trente six; et sans doute, il a toujours augmenté dans cette proportion, car la dernière fois qu'il fut pesé, et c'était trois mois avant sa mort, son poids était de cinq cent quatre-vingt-quatre livres, en sorte qu'après sa mort, il pesait six cent seize livres. Sa taille était de cinq pieds neuf pouces et demi; son corps mesuré sous les bras, avait cinq pieds six pouces de circonférence, et autour du ventre, six pieds onze pouces; le gros du bras était de deux pieds deux pouces; et celui de la jambe de deux pieds huit pouces. Il ne mangeait et ne buvait pas plus qu'un homme ordinaire. Lorsqu'on le saignait, on lui tirait au moins deux livres de sang. Il laissa cinq enfans, et sa femme grosse du sixième. Son portrait a été gravé à Londres chez Hanslett."


Le Colosse Canadien et l'Hercule Français,

ou Modeste Maillot et le Major de Bersy.

Voyageant de Montréal à Québec avec le colonel F----, en 1823, nous quittâmes Ste. Anne à neuf heures et demie du soir, le 26 Mars, résolus de cheminer toute la nuit, par un superbe clair de lune, informés que nous étions que les chemins étaient beaux, c'est-à-dire sans cahots ni pentes.

A minuit, nous vînmes réveiller l'aubergiste Beaudry, à la Pte. aux-Trembles de Québec, pour donner à boire à nos chevaux, et nous entrâmes nous chauffer. La maison était pleine de voyageurs couchés tout uniment sur le plancher, parmi lesquels il en était un certainement extraordinaire par sa grosseur, sa hauteur et son poids. Il s'en retournait de Québec à St. Jean D'Eschaillons, sa paroisse, et se nommait Modeste Maillot. Il était étendu sur la dure comme les autres, en culottes d'étoffe blanchâtre. Couché sur le côté, et conséquemment une cuisse sur l'autre, il nous présentait, en entrant, (pour me servir d'un mot tout à la fois significatif et honnête,) son énorme postérieur, que, grâce à la faible clarté que jettait dans l'apartement la porte entre-ouverte du poële, nous prîmes pour une paillasse repliée sur elle-même : ceci est absolument à la lettre; ce ne fut qu'en nous approchant du colosse, la chandelle à la main, que nous reconnûmes que c'était un homme endormi. Craignant un revers de sa main, s'il se réveillait mécontent de notre curiosité importune, (la réflexion en fut vraiment faite,) nous nous retirâmes près du poële, désirant fort néanmoins qu'il se réveillât et se levât surtout. A notre grande satisfaction, il le fit bientôt. Il vint alors s'asseoir près de nous, et nous permit, de la meilleure grâce du monde, de lui marquer notre étonnement, de le questionner librement et de le tâter et 136 mesurer à volonté. En voici la topographie exacte, d'après mes notes.

C'est un homme de 6 pieds un pouce français (ou plus de 6 pieds et 7 pouces anglais,) de hauteur. Il a de circonférence ou pourtour, 6 pieds 7 pouces, au ventre; 3 pieds 6 pouces, à la cuisse; et 3 pieds 1 pouce au mollet ou gras-de-jambe : son pied a 13 pouces de long, et 22 pouces de tour : il pèse enfin 436 livres. Toutes ces mesures, prises à l'instant par moi, sont au pied et au poids français.

Ce modeste cultivateur est aussi charpentier. Sa tête est proportionnée à son corps, mais ses mains ne m'ont pas paru telles. — Sa physionomie est belle; elle respire la douceur, la bonté et la plus grande honnêteté.

Il nous a raconté qu'étant à Québec, l'an dernier, il alla s'asseoir sur les marches de la Halle au Marché, et que son immensité attira bientôt autour de lui une telle cohue de soldats et autres curieux, que le garçon de la Halle à qui un tel rassemblement en fermait l'accès, vint lui dire un peu brusquement de se retirer du Marché. Papa Maillot, un peu fâché du compliment, n'en voulut rien faire, et menaça même notre imprudent garçon de lui donner sur le nez pour son impertinence. Il ajouta, en riant : "Mon homme, nullement curieux de tâter de la pesanteur de mon bras, non plus que de baiser ma main, se retira en murmurant et me laissa tranquille." Nous le crûmes sur sa seule parole. Voici son histoire et celle de sa famille.

Son père, sa mère, deux de ses frères et une sœur, tous morts entre 60 et 70 ans de vie, étaient, si on l'en croit, tous d'à-peu-près la même ampleur que lui. Il a lui-même 56 ans, commence à être infirme et ne croit pas vivre bien vieux. Il a été marié deux fois, à deux petites femmes; et, de trois enfants qu'il a eus (une fille et deux garçons,) la fille seule était de moyenne taille : elle est morte, ainsi qu'un de ses garçons. Ce garçon, mort à 13 ans, avait alors 5 pieds 9 pouces de hauteur. Le garçon qui lui reste a 16 ans, est aussi grand que son père, et promet d'être plus robuste.

Le Papa Maillot nous a cité un autre Canadien, de ses connaissances, dont malheureusement je n'ai pas pris le nom, qu'il nous a dit exister dans le district de Montréal, et qui a quatre pouces de plus haut que lui; ou près de 7 pieds anglais.

La vue de cet homme si puissant, et que l'on devait croire proportionnément fort, nous fit tous raconter ce qu'on avait chacun vu de merveilles en ce genre; et, pour ma part, je parlai de Mr. de Bersy, Major durant la dernière guerre au régiment de Watteville. Je n'eus pas plutôt prononcé ce nom, que le Papa Maillot, qui connaissait cet Hercule Français, en prit occasion de nous raconter aussitôt ce trait de force.

"Messieurs, nous dit-il, en 1813, le régiment de Watteville montait 137 en bateaux à Montréal. Il s'arrêta à St. Jean d'Eschaillons, ma paroisse et le lieu de ma naissance, et quelques-uns des officiers vinrent chez moi boire du lait. Je me rappelle que le major de Bersy était du nombre; sa taille extraordinaire (il avait 6 pieds 2 pouces français de hauteur) me le fit d'abord remarquer, et son nom m'est resté par cet incident : Mr. d'Estimauville, notre Grand-Voyer, faisant alors sa tournée du district s'adonnait en même tems à ma maison, et ils se reconnurent pour parents. — Eh bien, je sortis à cheval, pendant que tout ce monde était chez moi; et à environ un arpent et demi de ma maison, mon cheval me renversa, et je tombai sans connaissance sur un caillou. La nouvelle en vint bientôt aux oreilles des officiers; le major de Bersy accourut où j'étais, me prit dans ses deux bras comme on prendrait, messieurs, un enfant, et me rapporta à la maison! Au-moins, on me dit qu'il l'avait fait, et avec aisance, lorsque je fus revenu à moi."

J'ai d'autant plus cru au récit du Papa Maillot, qu'il m'a interrompu à la seule mention du nom du major, et avant que j'eusse parlé de sa force; je n'avais encore fait mention que de sa stature extraordinaire. J. S. R.


MES TABLETTES DE 1813.

Dans les deux extraits que nous avons déjà publiés du petit Voyage d'un de nos compatriotes à Kingston, Haut-Canada, nous nous sommes bornés à donner son Itinéraire; c'était le moyen de voir comment il narre et comment il décrit. Voyons maintenant comment il conte et comment il peint.

Nous avons vu qu'il partit de Williamsburg, le 7, dans une voiture du capitaine Chrystler, et sous les soins de l'homme de confiance de cet excellent Hollandais. Voici comme notre voyageur rend compte d'un petit accident que lui et le Dr.---- éprouvèrent, cette journée, et qu'il intitule gaiment :

"Le Bain froid. — Nous avons cheminé aujourd'hui dans un grand sleigh, ou cariole-à-patins, tiré par deux chevaux. Rien de bien extraordinaire dans le trajet de ce jour, sinon que le Dr. prit un bain froid, et que je faillis me noyer à côté de lui. Quoique pût faire notre habile cocher, il lui fut impossible de parer le coup. Nous voyagions sur le bord de fleuve, par un chemin affreux : un gros arbre se trouva en travers, on ne pouvait éviter de passer dessus; la barque chavira, et nous voilà à l'eau. Il y en avait, certes, au moins deux pieds de hauteur! Le Dr. tomba debout, moi sur le dos, et notre bagage flotta à nos côtés. L'eau n'est pas tout-à-fait chaude quand la rivière charrie encore des glaces : je me trouvai donc tellement saisi, que je me sentis tout-à-coup 138 privé de l'usage de tous mes membres,......... celui de la langue excepté! — "Quel triomphe pour une femme, direz-vous!" "Oui, je dois l'avouer, la langue dans la bouche d'un homme a toujours son avantage... hem!" — Mon conducteur me retira de l'eau, trempé comme une soupe, et je fus contraint, à la maison voisine, de demander une chambre à-part, où, pour parler poliment, je me mis absolument en dalmatique.

Redingotte, habit, veste,
Culotte, et tout le reste,

tout,... tout, en un mot, était tordant; et, j'employai toute la maisonnée à me sécher. Le Dr. s'en était assez bien tiré; aussi riait-il de ma misère."


L'Abbé Gaulin. — "Il y a ici plusieurs familles du Bas-Canada, mais elles n'ont en partage ni le rang, ni la fortune : une ou deux, je crois, ont, tout au plus, de l'aisance. Le seul homme (Bas-Canadien,) avec qui l'on puisse, ici, s'associer avec agrément et profit, est le Missionnaire Gaulin; homme vraiment instruit, spirituel et aimable. Il est natif de Québec, et parle l'anglais avec la plus grande facilité. On ne peut être plus universellement estimé qu'il ne l'est, et il le mérite à plus d'un titre. Ses vertus, ses connaissances, ses manières, son patriotisme, tout chez ce digne prêtre et ce brave et loyal compatriote le rend recommandable, lui assure un accueil empressé et favorable partout où il se présente, et le fait désirer où il n'est pas. Il a suffi à nos soldats de le connaître pour l'aimer; et pour nous... exilés!... l'Abbé Gaulin est un homme précieux. Exilés, direz-vous! — quel mot étrange! — Oui; il ne faut que quitter sa famille, ses amis, son lieu natal, un instant; — il ne faut que s'en éloigner d'une soixantaine de lieues; — il ne faut surtout que rencontrer dans cet instant, à cette petite distance, un compatriote, pour éprouver qu'il est une patrie, et conséquemment un exil! — Oh! je me rappellerai longtems la rencontre que je fis à Québec, en 1808, de Mr. D----. C'était la première fois que je m'éloignais de Montréal, de ma ville natale...! J'y avais vu, j'y avais rencontré Mr. D---- un million de fois. Un froid, bon jour, Monsieur, une indifférente inclination de tête l'un vers l'autre, étaient les seuls mots qu'on s'adressait en passant, la seule politesse qu'on se faisait en se croisant. Certes! comme il en fut autrement, quand, pour la première fois, nous nous rencontrâmes dans les rues de la capitale! Comme on courut l'un à l'autre en se reconnaissant; comme nos yeux parlaient; comme nos mains se serraient; comme nous nous écriâmes en même tems : Eh quoi, c'est vous, mon cher monsieur! Toutes ces distances que l'âge, l'état, la société, mettaient entre nous à Montréal, disparurent à l'instant; nous étions des amis de collège, de l'enfance, dans ce moment délicieux! Et, dans notre enivrante joie, il nous sembla que le Cap Tourmente s'était affaissé, 139 que les murailles de la ville s'étaient écroulées, que le Cap au Diamant......! Nous nous quittâmes enfin, et je distinguai bientôt la batterie de Brock, où j'avais cru voir notre double et tant douce Colline de Montréal! — Il est donc une patrie, me dis-je encore, et l'exil est à sa porte."


Le Lieutenant-colonel Drummond.[1] — "La compagnie légère du 104e. régiment était campée à la Pointe Henry, vis-à-vis Kingston, quand nous y vînmes prendre nos quartiers; et le major Drummond, lieutenant-colonel provincial, y commandait. En écrivant le nom de ce brave officier, je ne puis me défendre de vous en faire le portrait.

Au mois d'Avril dernier, il montait à Kingston en même tems que moi, avec deux compagnies de son régiment. Nous nous arrêtâmes à la même auberge, à Cornwall, et j'eus l'honneur de diner avec lui. Le peu d'instants que je passai alors avec lui, m'en donnèrent l'idée la plus favorable. C'est un de ces hommes pour qui l'on se pénètre de je ne sais quel sentiment d'affection, en les voyant; et qui nous inspirent en même tems un respect mêlé de confiance, avant même de les bien connaître. J'ai éprouvé que ce sentiment n'était point trompeur; l'expérience et les liaisons que j'ai eues depuis avec lui, n'ont servi qu'à me confirmer dans l'opinion avantageuse que j'avais d'abord formée sur son compte.

Le colonel est un homme d'une taille audessus de la moyenne; d'un port majestueux; d'une physionomie des plus agréables, des plus régulières : ses traits sont fortement prononcés. Il a dans la démarche quelque chose de fier; ceux qui ne le connaissent point pourraient le croire un peu prévenu en sa faveur. Pour moi, je serais porté à lui pardonner cette faiblesse, s'il l'avait; car il a toutes les raisons du monde d'être content de sa personne. — Il parle très bon français, en a parfaitement l'accent, et joint à la pureté du langage beaucoup de douceur dans l'expression et de grâces dans la conversation. Vous l'approchez facilement et avec confiance. Il n'a point cet air repoussant que je remarque en tant d'autres officiers de son rang, et même d'un rang inférieur. Tout au contraire, qui que vous soyez, il vous reçoit avec bonté, il vous écoute attentivement, et la politesse ne le trouve jamais en défaut.

Aux grands talents qu'on lui donne, et qu'il possède en effet, le colonel Drummond réunit la connaissance de la médecine. Je l'ai vu soigner et panser de ses propres mains ses soldats et nos V----, quand le Dr. ne se trouvait pas à portée, ou qu'il était le premier à en rencontrer en besoin de secours. Ce qui rend ces soins si précieux de sa part, c'est la bonté avec laquelle il les donne aux malheureux qui se rencontrent sur son chemin.

Tant de belles qualités jointes à la réputation de bravoure 140 dont il jouit, et qu'il a si bien soutenue à l'affaire du Hâvre de Sackett, l'ont rendu l'idole de ses officiers, de ses soldats et de nos V----.


LE COLLEGE ET LE MONDE.

ANECDOTE PARISIENNE.

"Qui se douterait aujourd'hui, en voyant ma chétive personne, mon air modeste (malgré mes trois tragédies reçues depuis quinze ans à la comédie française,) et ma contenance embarrassée, si bien en rapport avec ma petite rente d'un millier d'écus, qui me permet de vivre tout doucement dans une aisance...... un peu gênée, et dans une honnête obscurité; qui se douterait que, pendant cinq années consécutives, j'ai vécu dans une atmosphère de gloire; que j'eus des prôneurs, une cour, des lauriers; que je tins sans rival le sceptre du génie et du talent?...... Heureux temps du collége, qu'êtes-vous devenus?

"Je fus envoyé dès mon enfance dans une pension du pays latin. Le maître de cet établissement, pour éviter toute apparence d'inégalité entre ses disciples, ne les appelait, et voulait qu'ils ne s'appelassent entre eux, que par leurs noms de baptême; dès lors il n'existait entre ses écoliers d'autre distinction que celle d'un prénom plus ou moins heureux, que la différence de Félix à Nicodème, ou de Gustave à Boniface...... Plus de noblesse, plus de roture, égalité parfaite entre nous tous! Heureux temps du collége, que ne pouviez-vous durer toujours!

"J'avais quatre camarades de mon âge, qui suivaient les mêmes cours que moi au lycée voisin. Leurs noms étaient Alfred, Paul, Jacques et Nicolas. J'étais le plus fort (pour parler le langage ad hoc) non seulement des élèves de notre pension, mais de ceux du lycée. Chaque année, je pliais sous le poids des couronnes et de la basane. Après moi venait Alfred, qui était habituellement le second. Après Alfred, longo sed proximus intervallo, arrivait Paul, qui était d'une complète médiocrité; la place de Jacques variait alternativement du trente-cinquième au quarantième; c'était une vraie ganache, en termes de classe. Quant à Nicolas, ses parents le fêtaient lorsqu'il lui arrivait de n'être que l'avant-dernier.

"Alfred avait de la rectitude et de la pénétration dans les idées. Ce qui distinguait éminemment son caractère et son esprit, c'était la droiture. Quoique froid naturellement, il ne manquait pas d'imagination : c'était un esprit distingué, un homme consciencieux, fait pour être utile à la société, et pour occuper dignement la place qu'elle lui confierait. 141

"Paul n'avait aucune espèce de bon sens; il couvrait sa nullité par de la suffisance; il faisait le beau parleur, et sa faconde était d'autant plus insupportable qu'il avait un bégaiement horrible; on l'appelait Paul-le-fat, ou Paul-le-bègue.

"Jacques avait un mérite incontestable : c'était de larges épaules, et une voix qui aurait fait honneur à Stentor. Il montrait au plus haut degré l'amour de la justice et de l'ordre : aussi ne pouvait-il voir un couple de ses camarades se quereller de paroles le moins du monde, sans tomber à coups de poing sur tous les deux; c'était plus fort que lui : il voulait la paix avant tout.

"Nicolas était tout bonnement un imbécile qui se croyait fait pour les grandes choses, parce qu'il n'entendait rien aux petites : l'opacité de son intelligence était devenue proverbiale au collège; bête ou Nicolas étaient d'une synonymie parfaite au pays latin.

"Quand j'eus terminé mes études, me trouvant au milieu d'un monde tout nouveau pour moi, avec mon vilain nom roturier, je me hâtai de retourner près de ma famille, au fond de la Bretagne. Mon père ne pouvait me laisser qu'une fortune très modique; j'eus la philosophie de m'en contenter. Je ne fus ni avocat, ni médecin : je fus paysan; je cultivai la terre et les lettres; je fis de superbes laitues et d'assez beaux vers qui procureront peut-être un jour de la renommée à ma cendre, et de l'argent aux comédiens.

"Je passai dix ans dans cette douce retraite. A la mort de mes vieux parents, je vins m'établir à Paris, où ma présence était nécessitée d'ailleurs par quelques points contentieux dans les affaires de la succession.

"Mon premier soin en arrivant fut de m'informer de la demeure d'un huissier. J'avais besoin de savoir quelle marche il me fallait suivre pour mon procès. On m'indiqua M. Gobert comme un homme fort estimé dans sa profession; il demeurait dans une petite rue du Marais : j'y cours; je vois une maison de très mince apparence; j'enfile une allée sombre, étroite, sans portier : je monte, comme par instinct, les trois étages; je frappe; un petit clerc vient m'ouvrir; il me fait traverser une chambre meublée d'une longue table noire qu'entourraient des scribes de la même couleur, et me conduit vers un homme assis seul à un petit bureau, au milieu d'un chaos de papiers timbrés!... Je le regarde; quelle fut ma surprise! c'était Alfred!

"Alfred Gobert, né de parents peu aisés, se destinait à l'instruction publique; son titre de protestant fut un obstacle qu'il n'avait pas prévu. Il publia d'abord quelques productions littéraires fort estimables; mais, étranger à l'intrigue et à toute coterie, il renonça prudemment aux lettres, parce qu'il voulait vivre. Trop peu fortuné pour achever les études du droit qu'il avait commencées, il entra chez un huissier qui, au bout de quelques 142 années, lui légua sa charge et sa fille. Il sut rendre la plus stricte probité compatible avec son nouvel emploi, et montra cette intelligence qui n'est déplacée nulle part. On l'estimait généralement, et il se consolait le soir avec ses livres des exploits qu'il avait rédigés dans la journée.

"L'huissier m'avait engagé à voir un avocat. On me parla le jour même de M. Dubocage, comme d'un homme en réputation. Je me rendis rue de la Feuillade, à l'adresse que l'on m'avait désignée. J'entre dans une belle maison; le portier me dit de monter au second. Je sonne; un domestique m'ouvre; nous traversons plusieurs salles meublées avec élégance, et je suis introduit dans un cabinet garni de rayons couverts de cartons et de livres bien reliés. L'avocat, sans lever les yeux, m'indique du geste un siége et continue d'écrire. Il se tourne enfin vers moi; j'ouvre de grands yeux : c'était Paul-le-bègue.

"Paul Dubocage avait plaidé sa première cause devant un vieux président qui bégayait comme lui. Celui-ci trouva l'avocat fort éloquent, et sa prononciation très gracieuse. Dubocage gagna sa cause; le vieux président le mit en crédit, et sa fortune fut faite.

"M. Dubocage m'avait conseillé de me rendre directement chez un avocat-général. On m'indiqua M. le baron de Floricourt. Je me dirige vers la Chaussée-d'Antin; j'entre dans un magnifique hôtel; le concierge me dit, avec cette insouciance dédaigneuse qui caractérise les valets du bon ton : Au premier! Je fais antichambre vingt grandes minutes; un laquais en riche livrée me conduit enfin à travers un appartement somptueux. J'entre dans le sanctuaire où le magistrat donne ses audiences.... Miséricorde! c'était Jacques!

"Jacques Floricourt, qui avait une superbe basse-taille et cinquante mille livres de rentes, eut de puissantes protectrices. — Beaucoup de duels dont il se tira vaillamment le firent connaître comme un grand ami de l'ordre et des bienséances. Comme il avait fait son droit tant bien que mal, et qu'un de ses ancêtres avait brillé dans la robe, on le poussa dans la même carrière, et il fut promptement avocat-général. En parlant toujours de la morale publique en danger, du besoin de la paix parmi les hommes, etc., il se tira d'affaire tout comme un autre.

"M. le baron de Floricourt m'avait renvoyé à M. le comte de la Fardière, qui était alors à la tête d'une partie du ministère de la justice; mais ce fut une toute autre affaire que de parvenir jusqu'à cette puissance.... Enfin, après force sollicitations, force voyages en cabriolets au faubourg Saint-Germain, force bourrades de la part des suisses, garçons de bureau, et autres fonctionnaires, je fus introduit près de cette moitié d'excellence!.... Benin lecteur, comment te peindre ma stupéfaction? c'était Nicolas!

"Ayant de la naissance, de la fortune, et en outre une rare 143 incapacité, Nicolas de la Fardière eut l'esprit de se faire ambitieux. Il sollicita une place : je ne sais si la bêtise était un titre pour l'obtenir; mais il l'emporta d'emblée et sans ballottage.

"Mes anciens amis se trouvaient donc placés dans le monde en raison inverse de la capacité qu'ils avaient montrée au collége".

Bizarre déité, ce sont là de tes coups!

* * *


VARIÉTÉS.

Un gentilhomme pauvre s'étant présenté pour entrer au service de la Dauphine, femme de Monseigneur, fils de Louis XIV, fut refusé parce qu'il était louche, et que l'on craignait de présenter de pareils objets à la princesse qui était enceinte. Quelque tems après, ce pauvre diable ayant appris que les borgnes étaient admis, pourvu qu'ils n'eussent rien de dégoutant, s'avisa de se mettre un emplâtre sur l'œil droit, et obtint en qualité de borgne ce qu'on lui avait refusé lorsqu'il était louche. Peut-être entrait-il un peu de caprice dans cette préférence, mais le borgne volontaire fut charmé d'en profiter. Un jour qu'il servait la princesse à table, et qu'il s'empressait fort à remplir son devoir, il s'apperçut que son emplâtre allait tomber, et s'étant tourné pour le remettre, il lui fit faire demi tour à gauche, sans y penser. Lorsqu'il se fut remis à sa place, le Dauphin remarqua quelque différence dans ce visage, et demanda à son épouse quel était l'œil qui manquait à cet officier. La princesse répondit sans hésiter que c'était le droit. C'est présentement le gauche, dit le Dauphin. On questionna le pauvre gentilhomme, qui avoua le fait de bonne foi, et on lui pardonna l'invention à cause de son zèle qui parut grand, et surtout parce qu'il avait fait rire.


En 1739, un subdélégué de ****, en Normandie, ayant donné ordre au syndic du village de......., de rassembler les miliciens de son village; je viendrai les prendre, ajoutait-il dans sa lettre, et les conduirai au rendez-vous général des milices de la province : en m'attendant, vous voudrez bien les mettre en bataille sur trois de hauteur.

Dès six heures du matin, le syndic rassembla tout son monde, pour remplir les intentions de son supérieur, et le subdélégué étant arrivé à midi, il courut audevant de lui pour s'excuser de ce que tout n'était pas prêt comme il l'avait demandé. Ce n'est pas ma faute, lui dit-il, il y a au moins six heures que j'y travaille, mais j'ai beau faire, il y en a toujours qui culbutent, et jusqu'ici je n'ai pu les faire tenir que sur deux de hauteur. 144

Le subdélégué, fort surpris d'une pareille interprétation de ses ordres, se transporta sur le terrain, et ne trouva effectivement que très peu de miliciens qui pussent soutenir sur leur dos la charge de deux hommes, et fut obligé de faire comprendre au syndic, que trois de hauteur voulait dire trois les uns derrière les autres, et non pas les uns sur les autres.


Mademoiselle Auguste était une chanteuse d'une figure assez agréable, qui ne manquait pas de talent et qui avait surtout un caractère ferme et décidé. Elle fit un voyage en Pologne; passant par Berlin à son retour, elle se trouva dans un bal auquel assistait Frédéric II. Il fut curieux de l'entendre, et envoya un chambellan la prier de chanter. Mademoiselle Auguste répondit qu'elle n'était pas venue dans cette intention, et qu'elle ne le pouvait pas ce jour là. Frédéric contrarié dans ses désirs, oublia un moment qu'il était philosophe pour se souvenir qu'il était monarque; il renvoya le chambellan porteur de ces paroles : Mademoiselle, c'est le Roi qui vous demande une chanson; il n'est point accoutumé aux refus. — Monsieur, répondit la jeune Française, dites au Roi qu'il a mille moyens de me faire pleurer, mais de me faire chanter, pas un.


Timidité. — L'opinion la plus commune est que la timidité procède d'un manque d'amour-propre tel qu'un homme apprécie trop les autres et ne s'apprécie pas assez soi-même. Quoiqu'il en soit, il est vrai de dire que la timidité change, trouble, distrait, agite un homme, absorbe toutes les facultés de son âme, et l'enlève entièrement à lui-même; elle altère sa figure, disloque son maintien, fait disparaître ses grâces, obscurcit son esprit et dégrade ses talens. L'homme timide n'est plus en public tel qu'on l'a vu en particulier. La nature lui a-t-elle donné une belle figure, un maintien noble, une tournure agréable, il ne sait recueillir dans aucune occasion le fruit de ces avantages; en entrant dans une assemblée, son visage pâlit, se décompose; il se présente gauchement, oublie les positions, perd son maintien, et n'offre à la compagnie qu'un personnage capable de déparer le cercle. La timidité ne s'en tient pas là; elle rend aveugle, sourd et muet; l'homme timide ne s'apperçoit pas d'une honnêteté qu'on lui a faite, et manque aux attentions les plus usitées : on lui parle, il ne répond pas; on l'agace, il demeure interdit, et cherche inutilement sa repartie; il se flatte que ses talens feront oublier toutes les irrégularités, toutes les fautes qu'il vient de commettre; mais sa timidité le poursuit encore, et lui ôte ce dernier espoir de réparer ses torts. Quelqu'un vante sa voix et son gout; on lui demande une chanson, il l'entreprend, après s'être fait longtems prier; son gosier est en défaut; sa voix s'altère; il lui est impossible d'achever : il se met au piano pour accompagner une dame 145 qui va chanter à sa place; ses mains tremblent; un voile épais couvre ses yeux; il ne voit plus les notes, perd la mesure et fait manquer l'ariette. Ce malheureux enfin, qui est l'homme du monde le plus aimable dans le tête-à-tête, ou parmi des amis avec lesquels il est en liberté, sort désespéré de la maison dans laquelle on l'a introduit, et y laisse de lui l'idée d'un homme ennuyeux et mal élevé.

Quelqu'un présenta, il y a peu d'années, dans une bonne maison de Paris, un gentilhomme de province, qui avait toutes les qualités propres à le faire paraître avec distinction dans le monde, mais qui était malheureusement d'une extrême timidité. L'introducteur entre le premier, le provincial le suit; au premier pas que ce dernier fait dans l'appartement, la timidité s'en empare, l'aspect d'une brillante assemblée le déconcerte; il enfonce maladroitement son pied entre le tapis et le parquet; il sent un obstacle, il le force pour avancer; il emporte le tapis avec lui, renverse tous les siéges qui l'arrêtent, et arrive à la maîtresse de la maison avec le tapis au cou, en forme de cravate : en saluant, il glisse et tombe sur elle; il se relève, et fait ses excuses. Les laquais réparent au plutôt ce désordre : on lui offre un siége; il se méprend, s'assied sur un autre, sur la guitarre de Madame qu'il met en pièces; il se lève tout effrayé, se jette dans un fauteuil, et écrase la petite chienne. Qu'on juge de sa confusion; c'en est fait, il perd contenance et ne voit d'autre parti que celui de se sauver sans rien dire. En fuyant avec précipitation, il coudoie le valet de chambre, lui fait tomber des mains le cabaret de chocolat qu'il allait servir à la compagnie, casse toutes les tasses, et renverse le chocolat sur les robes de toutes les dames du cercle. — L'ami sort après lui, pour tâcher de le ramener et de raccommoder les choses; mais son homme a disparu. La honte de cette aventure empêche l'introducteur de rentrer lui-même, et le force à renoncer pour jamais à une maison dans laquelle il a eu le malheur de présenter cet ami destructeur, qui fait en un clin d'œil autant de ravage, qu'en aurait pu faire une troupe ennemie qui serait entrée à discrétion.


Anecdote.Pope, quoique petit et contrefait, était très-orgueilleux, ce qui lui attirait souvent des disputes; car on était quelquefois bien aise d'humilier cet amour-propre excessif; c'est ce qui lui attira un jour une réponse assez plaisante. Il se disputait contre quelqu'un, et dans sa vivacité il lui demanda, d'un ton de mépris, s'il savait seulement ce que c'était qu'un point d'interrogation? Oui, lui répondit-on, c'est une petite figure tortue, bossue, qui fait souvent des demandes impertinentes.


Trait littéraire. — En 1762, lorsque l'académie, dans sa séance publique, annonça que le prix de l'année d'ensuite serait accordé 146 au meilleur éloge du Duc de Sully, tout le monde battit des mains à cette annonce, et l'un des spectateurs s'écria : "Voilà l'éloge fait".


Cause extraordinaire. — On plaida en 1761, à la salle de Westminster, une cause fort extraordinaire. Il s'agissait d'un legs considérable, spécifié dans un testament en faveur d'une certaine compagnie célèbre, mais qui ne devait être payé que lorsqu'une personne, dénommée dans ce testament, serait morte, pourrie et damnée. La mort de cette personne fut aisément prouvée à la cour, et l'on jugea qu'elle devait être pourrie, puisqu'elle était morte depuis trois ans; mais la troisième clause de la volonté du testateur étant plus difficile à établir, on fut obligé de renvoyer l'affaire à un plus ample informé.


Extrait littéral du testament d'un homme marié, mort à Londres au mois de Juin 1791. — Vu que j'ai eu le malheur d'avoir pour femme Elisabeth M****, qui, depuis notre mariage, m'a tourmenté de toutes les manières; que, non contente de se moquer de mes avis, elle a fait tout ce qui lui était possible de faire pour me rendre la vie à charge; que le ciel ne semble l'avoir envoyée dans ce monde que pour m'en faire sortir plutôt; que la force de Samson, le génie d'Homere, la prudence d'Auguste, l'adresse de Pyrrhus, la patience de Job, la subtilité d'Annibal, la vigilance d'Hermogenes, ne suffiraient pas pour dompter la perversité de son caractère; que rien dans le monde ne pourrait la faire changer, puisque nous avons vécu séparés pendant huit ans, sans que j'y aie gagné autre chose que la perte de mon fils qu'elle a corrompu et qui m'a totalement abandonné par ses conseils; pesant murement et attentivement toutes ces considérations, j'ai légué et je lègue à ladite Elisabeth M****, ma femme, un schelling.


Oholoaïtha. — C'est près de la rivière des Cypewais (dit M. Beltrami,) que commence le lac Pepin, qui n'est qu'une vallée profonde remplie par le Mississipi. Mais avant d'y entrer, arrêtons-nous un instant pour fixer notre attention, et réveiller notre tendresse sur un point qui est d'autant plus intéressant, qu'il distingue une belle âme parmi les sauvages.

Un rocher qui se projette sur les eaux du lac, à l'est, là précisément où il commence, représente les mêmes traits physiques et historiques que celui de Leucade.

Là, la Muse de Mitylène, plus savante que belle, se précipita pour guérir d'un amour que son Phaon méprisait : ici, Oholoaïtha, plus belle qu'heureuse, trancha le cours d'une vie qui lui était devenue insupportable, séparée de son Anikigi, qui l'aimait.

Si je n'écrivais pas des lettres en me promenant, je m'occuperais volontiers d'écrire son histoire, et je pourrais aussi faire le romancier; 147 mais deux mots de faits valent quelquefois mieux que des volumes mendiés.

Une bande ennemie surprit la tribu d'Oholoaïtha, dont son père est encore chef. (en 1823.) Epargnée dans le massacre, elle fut faite prisonnière.

Elevée dans la maison du chef vainqueur depuis l'âge de 10 ans, jusqu'à celui de 18, âge des plus vives impressions, elle se sentit touchée de reconnaissance et d'amour pour son fils, qui lui avait lui-même sauvé la vie, et payait vivement de retour ses affections.

A l'occasion d'une de ces paix que les sauvages et non sauvages font de bouche et démentent du fond de leur cœur, elle fut rendue, et demandée en même tems comme épouse. Son père, Sioux barbare et ennemi irréconciliable, la refusa opiniâtrement au bon Cypewais qui, de bonne foi, tout en satisfesant sa tendresse, voulait mieux consolider, par cette alliance, et la paix des deux familles et celle des deux nations. La pauvre Oholoaïtha se livra à son désespoir, et fit le saut fatal, le jour même où son père cruel voulait la sacrifier à des nœuds qu'elle détestait.

Dieu sait combien d'âmes bien faites se cachent sous cette écorce sauvage! mais le contact des peuples civilisés a déjà jetté de grandes racines vicieuses dans leur cœur.

Les sauvages ont voué sa mémoire à l'infamie; chez eux, c'est un mérite de tuer, et un des plus grands crimes de se tuer.


FUSIL A VAPEUR.

Les journaux anglais contiennent des détails curieux sur la dernière épreuve qu'on vient de faire à Londres du nouveau fusil à vapeur inventé par M. Perkins.

Le 6 Décembre, dès le matin, des brigades d'agens de police accompagnés d'hommes portant des placards écrits en gros caractères furent postés sur toutes les routes qui avoisinent la manufacture de M. Perkins, pour inviter toutes les personnes à cheval et toutes celles qui conduisaient des voitures à faire un grand détour, afin d'éviter des accidens semblables à ceux qui étaient déjà résultés plusieurs fois de la frayeur causée aux chevaux par les détonations du fusil à vapeur. A neuf heures, plusieurs ministres, quantité de généraux et officiers distingués par leur instruction, se rendirent à la manufacture pour examiner les étonnans effets de ce nouvel instrument de destruction. Les décharges de vapeur commencèrent alors et durèrent presque sans interruption pendant deux heures, avec un bruit semblable aux plus forts coups de tonnerre. Pendant ce temps, le fusil de M. Perkins déchargea une immense quantité de balles avec une force et une 148 rapidité incroyables. D'abord elles furent tirées à de courts intervalles, comme une salve d'artillerie, et dirigées contre un but en fer placé à la distance de trente-cinq verges (100 pieds français environ). La force de projection était telle qu'elles étaient littéralement réduites en atomes. Dans la seconde expérience on les lança contre un but en bois, et elles traversèrent onze planches du sapin le plus dur, épaisses d'un pouce et placées à la distance d'un pouce l'une derrière l'autre. On les dirigea ensuite contre une plaque de fer d'un quart de pouce d'épaisseur qui fut traversée par la première balle. Tout le monde déclara que c'était le maximum d'effet de la poudre à canon. Le fait est que cette plaque avait été apportée exprès de l'arsenal de Woolwich pour obtenir une notion comparative de la force de la poudre et de celle de la vapeur. Il parait que la pression au moyen de laquelle on obtient ces résultats étonnans n'excède pas 65 atmosphères ou 900 livres par pouce quarré, et M. Perkins assura plusieurs fois qu'il pouvait élever cette pression jusqu'à 200 atmosphères sans le moindre danger.

Toutes les personnes présentes s'étant montrées satisfaites pour ce qui regardait la force de la vapeur, M. Perkins s'occupa de démontrer avec quelle rapidité ce moteur extraordinaire pouvait lancer une immense quantité de balles d'un seul canon de fusil. Pour cela il adapta au canon de son arme un tube rempli de balles qui par le seul effet de leur poids s'y introduisaient une à une. Ces balles furent lancées successivement avec une assez grande promptitude pour démontrer qu'au moyen de plusieurs tubes de ce genre fixés à une roue dont M. Perkins montra le modèle, un seul fusil pouvait décharger milles balles par minute. Les autres expériences eurent pour objet de faire voir la facilité avec laquelle le fusil à vapeur pouvait, au moyen d'un pivot, être pointé dans toutes les directions. Pour première épreuve on lui communiqua un mouvement de rotation horizontale, et les balles percèrent d'un bout à l'autre une planche longue de douze pieds qu'on avait présenté pour but. On répéta la même épreuve en donnant au fusil un mouvement de rotation horizontale, et une planche pareille présentée debout fut également percée du haut en bas. On en dut conclure que le fusil de Perkins, établi devant un bataillon, peut en quelques secondes lancer des balles sur toute l'étendue de son front : ainsi cette arme qui projette des balles avec une force égale et même supérieure à celle de la poudre, peut agir dans toutes les directions presqu'au même instant; et d'après la vitesse de mille balles par minutes, il en résulterait que tirée contre un bataillon de 600 hommes sur trois rangs, ou de 100 files, il y aurait cinq balles pour chaque file par minute. Les épreuves suivantes augmentèrent encore la surprise des assistans. Une volée de balles lancées contre un mur de briques de 18 pouces d'épaisseur y fit un trou très large qui pénétrait jusqu'à la 149 moitié de cette épaisseur. Les officiers d'artillerie présens déclarèrent que si les balles avaient été de fer le mur aurait été percé d'outre en outre.

Le journal auquel nous empruntons ces détails ajoute : "Cette expérience nous a extrêmement satisfait, non-seulement parce que l'invention de M. Perkins va ouvrir une nouvelle ère à l'art de la guerre, et conduira vraisemblablement à une paix universelle, (car quelle population pourrait réparer les pertes causées par de pareilles armes?) mais encore parce que nous voyons avec plaisir les immenses avantages que retirera l'industrie des machines à haute pression semblables à celles adaptées au fusil de M. Perkins. — Elles consomment infiniment moins de combustible et d'eau, et ne présentent aucun danger, ce qui les a fait surnommer machines de sûreté".


Analyse d'un Entretien

sur la Conservation des Etablissemens du Bas-Canada, des Lois, des Usages, &c. de ses Habitans; par un Canadien, dans une Lettre à un de ses amis. Pp. 46. 8vo.

Tel est le titre d'une brochure qui vient d'être imprimée chez Mr. J. Lane, et qui est à vendre chez Messrs. E. R. Fabre & Co. Ce titre annonce assez clairement la nature de l'ouvrage pour qu'on puisse se dispenser de l'expliquer. Le sujet est le même que dans la Lettre à l'Honorable Edward Bowen, avec cette différence qu'il est ici plus développé et présenté sous un plus grand nombre de points de vue; que dans le premier de ces deux ouvrages on appuie principalement sur la question du droit, et dans le dernier, sur celle de la saine politique.

On écrit si peu dans ce pays, qu'il semble qu'on mérite bien du public par cela seul qu'on le fait, surtout si en le faisant on se montre mû par de bons motifs, tels que le zèle du bien public, l'amour de la patrie, la loyauté, &c. Ces qualités se font éminemment remarquer dans l'Entretien analysé; mais on n'en est pas réduit à ne pouvoir louer que les bonnes intentions, les vues droites de l'auteur; on est forcé de lui reconnaître encore des talens et des connaissances rares en fait d'histoire, de politique et de gouvernement. Quoique la matière fût elle-même assez sèche, ou du moins le sujet assez sérieux, il a su lui donner des formes assez variées, et le présenter sous des jours assez différents, pour intéresser le lecteur depuis le commencement jusqu'à la fin. Ce qui donne surtout du relief et de l'intérêt à l'ouvrage, ce sont des citations nombreuses, et des maximes politiques plus nombreuses encore, et qui pour n'être pas toutes originales, peut-être, n'en sont ni moins vraies ni moins bien placées là où elles se trouvent. La nature du sujet, ou plutôt la forme de l'écrit, ne permettait pas que le style fût partout le même, partout également soutenu 150 mais on peut dire qu'il est parfois d'une force et d'une précision peu communes. Enfin l'ouvrage nous a paru mériter non seulement d'être lu une fois, mais d'être conservé pour être lu encore, par tout Canadien ami des lettres, de son pays et de son gouvernement, et nous osons espérer qu'il ne restera pas inutile dans les librairies de la province, ou sur les tablettes de l'auteur. Pour donner une idée plus juste du fond et du style de cet ouvrage nous mettons les extraits suivants sous les yeux de nos lecteurs.

"Si cette espèce de manutention politique par laquelle une nation tend à modeler un autre peuple à son gré, était si propre à opérer l'effet que vous lui attribuez, si elle avait celui de resserrer les liens de la fraternité entr'eux, pardessus tout de concilier à la nation qui a la suprématie politique, l'affection de ceux qui sont soumis à cette épreuve, enfin de faire régner parmi eux, l'ordre, la paix et le bonheur, en leur faisant part de tous les avantages dont elle jouit elle-même, et d'affermir par là l'autorité de son gouvernement, l'Irlande travaillée en ce genre depuis des siècles devrait être un exemple à citer. Les lumières de ses habitans, leur félicité, leur prospérité toujours croissante auraient dû marcher de pair avec celles de leur métropole. Comment se fait-il que la population de ce pays ait été au contraire en proie à tous les genres de souffrances, qu'elle soit si fort en arrière de celle de la Grande-Bretagne, peut-être de celle de la plus grande partie de l'Europe? Un écrivain respectable de ces derniers temps va jusqu'à dire qu'une partie de ces habitans est audessous de l'état sauvage; un autre, que ses cultivateurs sont plus malheureux que le paysan russe. — Son histoire présente une suite non interrompue d'actes de tyrannie, d'un côté, de révoltes, de l'autre : de brigandages, de spoliations, de meurtres de la part des vainqueurs; de vengeances atroces de la part des vaincus. On a dit que l'histoire de ce pays n'aurait dû être écrite qu'avec de la fange détrempée dans le sang, que son peuple était un malade dans les convulsions de la mort. Cependant là on a réduit en pratique le système de conduite qui est l'objet de cette discussion. On n'a négligé aucun moyen de succès, on a tout tenté pour le faire triompher. On n'a jamais mis plus de constance dans l'exécution d'un projet que dans celui d'anglifier l'Irlande. Quel résultat plus propre à démontrer la fausseté de la théorie dont on a suivi les principes en gouvernant cette contrée infortunée!

"L'Irlande fut conquise à une époque où l'ignorance couvrait l'Europe de son voile de ténèbres. Les principes de la politique devaient tenir de la barbarie qui régnait encore sur les débris des sciences et des arts, sur les ruines de l'ancienne civilisation. Les erreurs d'un gouvernement une fois appuyées sur ces bases résistent longtemps aux progrès des lumières et à 151 ceux de la morale publique. Combien il faut de temps et de peines pour les dissiper! C'est l'ouvrage des siècles. Les abus, les crimes seuls, se propagent avec la rapidité de l'incendie.

"Il faut remarquer à ce sujet que l'on se tromperait étrangement d'attribuer à la diversité du culte les maux de ce pays dévoué. Ses habitans n'éprouvèrent-ils pas les mêmes injustices avant la naissance du protestantisme, et quand les deux nations étaient également composées de catholiques? C'était comme Irlandais et à ce titre, qu'ils étaient, avant le changement de religion qui s'opéra depuis en Angleterre, l'objet d'une persécution qui n'a connu de relâche que dans ces derniers temps. Le but et les motifs qui les allumaient, qui en nourrissaient la flamme, étaient les mêmes. Le prétexte seul a changé; et comme l'a observé un des plus beaux génies qui ait brillé en Angleterre, ceux qui voudraient continuer de nos jours à écraser les Irlandais, s'occupent en réalité fort peu de les amener à un changement de religion. Ce zèle leur est étranger. Ils seraient même extrêmement fâchés de n'avoir pas toujours ce prétexte pour colorer des injustices dont ils recueillent le fruit. Ils en trouveraient un autre toujours prêt au besoin pour continuer d'exploiter cette mine, s'il était possible que celui-ci leur manquât."


"Ce serait une erreur grave, dis-je, d'imaginer que le changement de nos lois et de nos usages, celui de notre religion, et de notre langue surtout, pût opérer quelque chose en faveur de l'Angleterre. C'est exactement le contraire. Dans l'état ou nous sommes, supposé que nous n'eussions pas pour l'Angleterre un sentiment d'affection bien profond, admettant même que nous eussions des préjugés contre son gouvernement, ce que les faits démentent, au moins ne saurait-on nous attribuer des motifs bien puissants de prédilection pour les Etats-Unis. Ce que vous regardez comme une source d'opposition de vues et d'intérêts entre nous et l'Angleterre doit par la même raison établir une ligne de démarcation bien plus fortement empreinte entre nous et nos voisins.

"Je dois pourtant dire ici que dans le Bas-Canada, nous avons le bonheur de ne guères connaître le fanatisme politique plus que le fanatisme religieux. Cette heureuse disposition est le fruit de la tolérance qui règne dans le pays. On n'y déteste pas un homme parce qu'il est né sur le bord de la Tamise ou de la Seine, qu'il est enfant de l'église catholique ou disciple de Luther ou de Calvin. On a de l'affection ou du mépris pour lui à proportion de son mérite et de ses vertus, ou de ses vices. Mais aussi chez nous comme ailleurs, et peut-être plus qu'ailleurs, on aime son pays, on le préfère à tout autre; et on a dit, peut-être avec quelque raison, qu'on ne pouvait trouver 152 d'hommes pénétrés d'un sentiment d'affection plus intime pour le pays qui les a vus naître que les Canadiens. On pourrait en dire autant quant à leurs établissemens religieux et civils".


"Quelle crainte au reste pourrait inspirer au gouvernement anglais l'attachement qu'on attribue aux Canadiens pour la patrie de leurs ancêtres? Ils sont séparés par douze cens lieues de mer de cette nation qui ne peut jamais devenir une puissance maritime, pas même à proprement parler une nation commerçante. Ils le sont encore davantage par la cessation de toute communication entre les deux pays, depuis plus d'un demi siècle. Les habitans actuels du Bas-Canada ont remplacé deux générations successivement descendues dans le tombeau depuis la conquête. Les lois que nous tenions de la France, la France les a effacées de son code, et lui en a substitué un autre entièrement nouveau. La révolution qui s'est opérée tant dans les mœurs de ses habitans que dans son gouvernement, celle que ce laps de temps a dû amener, en a fait un autre peuple. D'un autre coté, les Canadiens avaient dès avant cette séparation, un caractère et des mœurs qui les fesaient distinguer des Français. On conçoit que cette différence doit être aujourd'hui, comme elle est en effet, beaucoup plus sensible. Ajoutons que la génération actuelle s'est formée sous un autre gouvernement à de nouvelles habitudes, a adopté des opinions, s'est pénétrée de sentiments qui s'éloignent de plus en plus de ceux de ses ancêtres. Cet effet est le résultat d'institutions publiques qui n'ont pas seulement agi sur des individus ou sur quelques portions particulières de la province, mais bien sur la masse entière du peuple qui l'habite. Tous ces changemens graduels joints à la position géographique, au climat, à une foule d'autres causes de ce genre, ont dû rendre encore plus frappant le contraste qui se trouvait déjà si marqué entre les Canadiens et les Français, dès le temps où ils étaient réunis sous le même empire."


CORRESPONDANCE.

Nous venons de recevoir d'un de nos respectables et estimables compatriotes, Médecin et Chirurgien à New-york, la lettre suivante, accompagnée d'un écrit que nous nous empressons de mettre sous les yeux de nos lecteurs.

New-York, 21 Février 1826.

Mr. Bibaud.

Monsieur. — Je reçois à l'instant de Paris un Mémoire du Docteur Marochetti, membre de la Société de Médecine de 153 Moscou, sur l'Hydrophobie. Le sujet qu'il développe est de la plus grande importance. Je ne doute pas que vous ne receviez l'analyse que je viens d'en faire, toute imparfaite qu'elle soit, avec plaisir; vu que si ses observations sont justes, il doit en résulter un grand bien pour l'humanité.

J'ai l'honneur d'être, &c.
T. O. D.

Observations sur l'Hydrophobie; sur les indices certains de l'existence du virus hydrophobique, et sur les moyens de prévenir le développement de la maladie, en en détruisant le germe. Par le Docteur Marochetti, Médecin et Chirurgien de la grande Amirauté de Saint Petersbourg; Chevalier de l'ordre de Ste. Anne de Russie, &c.

L'Hydrophobie, suite de la morsure d'animaux enragés, est parmi les funestes accidens auxquels l'homme est exposé, une maladie d'autant plus cruelle, que tous les moyens employés jusqu'à ce jour pour en sauver les victimes, paraissent insuffisants. Malgré quelques cas particuliers, tous les praticiens non prévenus s'accordent à dire qu'il n'existe point de spécifique contre le virus hydrophobique, lorsque l'absorption en est faite, et que les symptômes sont déclarés. Malgré toutes les recherches faites par tous les médecins savants de tous les pays, on a ignoré jusqu'en 1820, le véritable siège de la maladie. Une foule de médicamens ont été mis en usage; les uns, parce qu'ils avaient sans doute été employés chez des individus non affectés de cette maladie, acquirent une réputation éphémère; les autres furent simplement employés comme prophylactiques. Mais un point très-important en médecine, et que l'on a vainement cherché à éclaircir, c'est la cause de cette maladie; ses effets sont malheureusement trop connus.

Le Dr. Marochetti observe qu'il a vécu pendant huit années dans les gouvernemens méridionaux de la Russie, où il y a une grande quantité de chiens, et que l'hydrophobie y est très fréquente; qu'il a vu périr un grand nombre de malades; qu'il s'est appliqué à faire beaucoup de recherches, et qu'il n'est parvenu à ses connaissances que comme on le verra par la suite de cette analyse. Il remarque que sur plusieurs personnes blessées, les unes après les autres, par un animal hydrophobe, chez la première, le développement de la maladie s'accompagne de symptômes plus graves, plus violents que chez la seconde; que celle-ci est plus affectée que la troisième, et ainsi de suite, le virus agissant toujours en raison inverse du nombre; si bien que la dixième, ou la quinzième personne pourrait être considérée comme hors de danger. Ce cas se présente quelquefois : — que le virus ne séjourne pas constamment dans la gueule de l'animal hydrophobe; 154 il ne s'y accumule qu'au bout d'un certain tems; la morsure, dans cet intervalle, ne saurait être venimeuse : — qu'une abondante suppuration résultant d'un abcès phlegmoneux, ou d'une plaie à grande surface, fait ordinairement disparaître le virus : — qu'il est certain que le poison ne séjourne pas longtems dans les morsures; qu'il se porte dans son intégrité à une partie du corps, qui sera désignée plus loin, et dans cette partie il agit comme un astringent des plus puissants; et que ce virus en s'accumulant enflamme, ou irrite et bouche les voies par lesquelles la nature tente de l'expulser de l'économie animale.

Après plusieurs autres observations préliminaires, le Docteur s'exprime ainsi : "Il n'existe qu'un seul et unique moyen de prévenir le développement de l'hydrophobie dans l'individu qui va en être atteint. Je l'avance hardiment, dit-il, et l'expérience confirmera de plus en plus cette assertion; c'est d'évacuer le virus hydrophobique, lorsqu'il se présente : nous dirons donc où il réside et comment l'évacuer."

Les glandes sublinguales sont au nombre de deux, une de chaque côté, audessous de la langue, entre les muscles génio-glosses, l'os maxillaire inférieur, et la membrane interne de la bouche qui les couvre immédiatement. Ces glandes donnent naissance à deux ou trois canaux sécréteurs qui s'ouvrent dans ceux des glandes sous-maxillaires, et ceux-ci s'ouvrent vers l'un et l'autre côté du frein de la langue. C'est là précisément au bout de ces canaux, qu'après la morsure d'un animal enragé, et au bout d'un certain nombre de jours, le virus hydrophobique se porte, et où il se renferme temporairement, formant vers les deux points que nous venons d'indiquer, une ou deux petites tumeurs, ou vésicules, d'un volume inégal. Par l'exploration que l'on fait avec la sonde, l'on sent quelquefois qu'il y réside une humeur qui est précisément, comme l'observation le prouvera, le virus hydrophobique : c'est là que la nature livre son ennemi. L'époque à laquelle ces petites tumeurs deviennent évidentes, ne peut être exactement précisée : ordinairement, lorsqu'elles doivent se former, c'est du troisième au neuvième jour après la morsure. Si le virus n'est pas évacué dans les vingt-quatre heures, généralement il disparait au moyen de la réabsorption. Une double métastase parait se faire vers le cerveau après la disparition de ces tumeurs; les symptômes de l'hydrophobie commencent à se manifester par degrés jusqu'au plus haut dégré, et le malade succombe dans un accès.

Méthode curative. — La première chose à exécuter, c'est d'appliquer un emplâtre vésicatoire sur la morsure, et de l'y entretenir, si toutefois le cautère actuel n'a pu être employé à l'instant même; de donner une décoction du genista tinctoria préparée dans la proportion d'une once dans deux livres d'eau, réduite à moitié. La dose pour l'adulte est de deux livres par jour. Il peut en 155 continuer l'usage pendant les quarante jours que dure le traitement. La poudre des feuilles et fleurs de la même plante doit être employée intérieurement à la dose de deux jusqu'à trois dragmes par jour, en trois ou quatre fois : il faut examiner le dessous de la langue deux fois par jour, et dès que les pustules commencent à paraître, il faut les ouvrir avec une petite lancette, ou avec des petits ciseaux courbés, et ensuite cautériser, en appliquant aussitôt sur l'endroit un petit bouton de feu, comme ceux dont les dentistes se servent pour brûler la carie. Il est essentiel de bien faire attention aux symptômes précurseurs de la formation des tumeurs ou pustules sublinguales, qu'un hazard heureux a fait connaitre; en voici les principaux : vers cette époque, la paupière se dilate et devient fixe, le regard est mélancolique, le malade est inquiet, il souffre des maux de tête plus ou moins forts : ce sont presque les seuls symptômes qui aient été observés; ils précèdent presque toujours le développement de la maladie.

Découverte de la méthode. "J'habitais l'Ukraine, dit le Docteur, en 1813, en qualité de Médecin de S. E. M. le Comte Meczenski, lorsque dans un village de ce seigneur appellé Rigarcza, pendant une soirée d'automne, à l'heure à laquelle les paysans reviennent de leurs travaux, un chien enragé mordit quinze personnes d'âge et de sèxe différents. Je fus appellé le lendemain, et je fis placer les malheureux dans la même maison, et plaçai près d'eux des gens pour les garder et les servir. Dans ce moment, une députation de vieillards vint me prier de laisser traiter ces gens par un paysan des environs qui en faisait son état avec un succès constant. Ce paysan était un Cosaque caparostza, dont la famille établie depuis longtems dans ces contrées, faisait depuis un tems immémorial, de père en fils, un état de traiter les personnes mordues. Ces vieillards m'assurèrent qu'ils pouvaient rendre témoignage que cet homme avait sauvé plusieurs centaines d'individus dans ce gouvernement".

Je lui donnai quatorze malades, et je pris sous mes soins une jeune fille de six ans, à laquelle je fis subir un traitement médical, sans négliger la cautérisation des plaies. Elle fit usage du calomel, du camphre, et de l'alisma plantago, et même d'opium; mais quoique je suivisse avec la plus grande exactitude le traitement conforme à celui que nous avons coutume d'employer, elle fut victime de cette expérience.

J'étais convenu avec le Cosaque qu'il ne ferait rien auprès des malades sans que je fusse présent : il commença par leur administrer la décoction de genista tinctoria; il appliqua le vésicatoire sur les morsures, et tous les jours il visitait le dessous de la langue. Ayant apperçu des boutons, il les ouvrit et les cautérisa avec une espèce de grosse aiguille rougie à la chandelle; ce qu'il fit successivement à chaque individu à mesure que les boutons paraissaient. Des quatorze personnes qui restaient, douze 156 subirent l'ouverture des tumeurs et furent sauvées; les deux autres, qui avaient peut-être été mordues les dernières, n'eurent pas de boutons et furent également sauvées, après avoir fait usage, pendant six semaines, de la décoction de genista, et les plaies qui avaient été maintenues dans un état de suppuration pendant tout ce tems, ayant été cautérisées. Toutes ces personnes furent renvoyées bien-portantes."

Le Dr. M. rapporte à la suite de ces observations, un grand nombre de cas qu'il a traités de la même manière avec le même succès, depuis 1813 jusqu'à 1823. Une commission formée dans le sein de l'Académie Royale de Médecine à Paris, et une seconde commission formée sous les auspices de l'autorité administrative, vont s'occuper avec zèle et persévérance de recherches sur la rage.

New-York, 21 Février 1826.


VERS

Communiqués pour la Bibliothèque Canadienne.

Les Femmes du.........

A MONSIEUR.........

Toi qui dans ce pays donnes le rare exemple,

D'élever aux beaux arts, comme aux muses un temple,

D'enchainer la fortune au char de la vertu,

Daigne accepter des vers dont l'hommage t'est dû :

J'en conçus le projet dans l'aimable hermitage,

Où, loin de nos cités, tu vis heureux et sage,

D'où tu chasses l'ennui par la variété

Des plaisirs que l'on goûte en ta société.

Pour les multiplier la prodigue nature

Y déploya partout sa plus riche parure.

Sur des côteaux brillants, des arbres toujours verds

Y bravent les fureurs de nos cruels hivers.

Dans les feux de l'été, leur couleur rembrunie,

Contraste avec l'éclat de la molle prairie

Et des dons de Cerès, quand leur or éclatant

Ajoute ses espoirs à ce tableau riant.

Dans le creux des vallons, quel doux ruisseau murmure!

Il serpente à travers des tapis de verdure,

Et faisant dans les cœurs naître l'émotion

Par ses sons vous invite à la réflexion.

Dans le fond du tableau de ces belles campagnes,

Des montagnes au ciel portent d'autres montagnes;

157

Leur pied s'ennorgueillit de ce rivage heureux

Qu'orne du St.-Laurent le cours majestueux.

Aspects délicieux! Ils nourrissent dans l'âme

Les plus doux sentimens et la plus pure flâme.

Là souvent contemplant sa sublime grandeur,

J'ai senti la nature, elle inondait mon cœur.

Mortel chéri des cieux! la paix la plus parfaite

Veint encor embellir ta charmante retraite;

Et souvent dans son sein, j'y goûtai d'heureux jours.

Hélas que n'ai-je pu m'y fixer pour toujours!

Heureux les laboureurs! l'ambition, l'envie

N'empoisonnent jamais le bonheur de leur vie.

L'innocence des champs règne dans tous les cœurs;

Les déserts sont chez eux simples comme les mœurs.

Que ne puis-je avec eux, loin du bruit et du vice,

Aller vivre à l'abri de l'humaine injustice!

Ici, loin d'envier l'éclat de la vertu,

Le sage est trop heureux de n'être pas connu.

Ose-t-on se montrer à ses devoirs fidèle?

Bientôt au lieu d'amour une haine cruelle,

Qui flétrit parmi nous le mérite et les arts,

S'allume contre lui, brûle de toutes parts.

Dans ces champs fortunés, ah que n'ai-je un asile!

Là maître de moi-même, enfin libre et tranquille,

Je voudrais sous les lois de la douce amitié,

Chercher uniquement la pure vérité.

Dégagé de ces soins, de cette inquiétude

Qui pèsent sur mon cœur, me livrer à l'étude;

Partageant mes loisirs, donner à mes amis

L'une des parts, et l'autre, à mes livres chéris.

Tels ont été mes vœux depuis ma tendre enfance...

Inutiles désirs! chimérique espérance!

Au moins il est un bien que les cruels humains

Ne peuvent pas toujours arracher de nos mains.

Un succès trop constant peut couronner l'injure;

Mais, malgré leurs efforts, leur jalousie impure

N'a pas pu m'enlever les vertueux amis

Que la conformité des goûts m'avait unis.

De mes persécuteurs j'ai puni l'insolence,

Et goûté le plaisir d'une noble vengence.

En servant ma patrie en zélé citoyen,

A qui me fit du mal j'ai su faire du bien.

Pour m'imposer silence, ils ont voulu me nuire,

Et moi, j'ai redoublé d'efforts pour les instruire.

C'était pour leur apprendre à soutenir leurs droits

Que j'ai fait retentir le langage des lois,

158

Suivant dans ses détours sa route politique,

De dépit fait pâlir l'Ecossais fanatique.[2]

On a dit d'un bienfait qu'il n'est jamais perdu;

Il plaît à son auteur, ce prix je l'ai reçu.

J'ai dédaigné l'intrigue et méprisé l'outrage,

De l'injuste puissant bravé l'aveugle rage;

Et dans tout son éclat montrant la vérité,

L'ai forcé de rougir de sa méchanceté.

Heureux dans ces efforts d'avoir pris la défence

Du faible et d'avoir fait briller son innocence!

Je me fais gloire encore en faisant quelque bien,

D'avoir fait respecter le nom de Canadien.

Mais les rudes travaux d'une austère jeunesse

Ont déjà sur mon front sillonné la vieillesse.

Trop tôt, trop constamment en proie à la douleur,

Des souvenirs cruels ont déchiré mon cœur;

De leur activité sans éteindre la flamme,

Le temps s'envole seul, et les laisse en mon âme,

C'est pour en adoucir les profonds sentimens

Que je veux me livrer à de plus doux accens.

. . . . . . . . . . . . . . . .

LE PATER TRADUIT EN VERS FRANÇAIS.

Grand Dieu, souverain maître, inconcevable père,

Que toujours ton saint nom l'on bénisse et révère;

Qu'au rang de tes élus nous soyons dans les cieux,

De ton règne éternel les témoins glorieux;

Que ta volonté sainte et ton pouvoir suprême

Sur terre et dans les cieux s'accomplissent de même;

Que propice à nos vœux, ta secourable main

Nous daigne chaque jour accorder notre pain :

Pardonne les péchés, et ne sois point sévère

A celui qui veut bien pardonner à son frère;

Et que ta grâce enfin, notre appui, notre paix,

Des pièges de Satan nous délivre à jamais.

L'expérience.

Jeune, je crus que les talens,

De l'esprit, de grands sentimens,

159

De nobles goûts, de la finesse,

Des graces et de la sagesse

Devaient de tous gagner les cœurs,

Conduire à la gloire, aux honneurs :

Que d'une brillante fortune

C'était là la route commune.

Le prestige s'est dissipé,

Et je suis enfin détrompé.

Une funeste expérience

M'a convaincu que la science,

Les lumières et le talent

Ne produisent le plus souvent

Que des maux pour qui les possède.

L'envie en tout lieu le précède;

La haine ne cesse jamais

Sur lui de décocher ses traits.

On persécute un homme habile,

Et l'on caresse un imbécile.

Presque toujours, tranchant le mot,

Au grand homme on préfère un sot.

LE MEDECIN CONSOLANT.

Joufflu, gros, gras, vermeil, Mondor a la manie

De croire à tous momens faire une maladie.

L'esprit plein, l'autre jour, de sa prochaine fin,

Il accourt tout tremblant dire à son médecin :

Je mange, bois, dors, bien; mais que je suis à plaindre,

Docteur; je suis malade, et j'ai tout lieu de craindre.

Lors le grave Docteur lui dit, ne craignez rien,

Tout cela, mon ami, je vous l'oterai bien.

Portrait d'Hippocrate.

C'est un homme assez peu sévère,

Et surtout un ami d'un joyeux caractère.

Mysis, comment à peu près est-il fait? —

Hippocrate n'est pas de bien haute stature;

C'est un petit homme propet,

Courteau, ramassé, guilleret.

Assez content de sa figure,

Qui fait un peu le dameret,

Et qui malgré sa barbe grise,

160

Pour cacher ses ans, s'adonise;

Un beau petit jeune vieillard,

Que l'on ne prendrait point pour homme de son art,

Si ce n'est que sa main se familiarise.

LE PECHER EN ESPALIER ET LE PEUPLIER D'ITALIE.

Que je plains ton triste partage,

Disait, un jour, l'orgueilleux Peuplier

Au modeste Pêcher, enfant du voisinage.

A quatre pieds, au plus, s'élève ton feuillage;

Bientôt un cruel Jardinier,

Guidé par son avarice,

Te taille, te mutile, et, suivant son caprice,

Fait fléchir tes rameaux sous des liens d'osier.

Je suis indépendant; ma tête fortunée

Touche presque les cieux; à mes pieds, j'apperçois

Les chênes, les ormeaux, ces souverains des bois.

Pauvre petit! L'injuste destinée

T'a placé dans un coin où tu gis sans honneur.

Le Bocage me doit sa fraicheur

Sa grâce, sa gaîté, sa plus belle parure;

Tout, dans ces heureux dons que me fit la nature,

D'un enfant d'Italie annonce la splendeur.

Examinons un peu ces brillans avantages,

Lui répond l'Arbrisseau. Vous avez la hauteur;

Mais ce front qui touche aux nuages,

N'en est que plus près des orages.

Je vis du moins tranquille, en mon obscurité.

Cette apparente liberté,

Dont tant faites le fier, me paraît une honte,

Car elle nait de l'inutilité.

Je n'en suis point jaloux, et vaut mieux, à mon compte,

Une heureuse fécondité.

Ce Jardinier qui me veille sans cesse,

M'adoucit les rigueurs de l'arrière-saison,

Et raffermit ma faiblesse

Contre les coups de l'Aquilon :

Au bout de l'an, il a sa récompense.

Pour tout dire, en deux mots, voici la différence

Que le destin met entre nous :

On recherche mes fruits, et vous êtes stérile;

Du vent votre ennemi je crains fort peu les coups;

Vous brillez, j'en conviens; mais moi je suis utile.

DELÉTAND. (DE NEW-YORK)


NOTES

[1] Tué à l'assault du Fort Erié, Haut-Canada, le 15 Août, 1814.

[2] Le Poëte parle ici particulièrement, et non universellement; non de tous les Ecossais comme étant fanatiques, mais seulement de ceux d'entr'eux qui le sont.


TABLE DES MATIÈRES.

Page
Histoire du Canada. 121
Traduction libre et abrégée des leçons de chimie... 127
Du Voyage de J. Lambert en Canada. (1810.) 130
Franklin. 132
Singularités. 135
Mes tablettes de 1813. 137
Le college et le monde. 140
Variétés. 143
Fusil à vapeur. 147
Analyse d'un entretien... 149
Correspondance. 152
Vers. 156

Note sur la transcription : Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Une table des matières a été ajoutée.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Mars, 1826. Numero 4 by Michel Bibaud]