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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Janvier, 1826. Numero 2

Date of first publication: 1826

Author: Michel Bibaud (1782-1857)

Date first posted: January 18 2015

Date last updated: January 18 2015

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La Bibliothèque Canadienne.


Tome II.     JANVIER, 1826.     Numero 2.

HISTOIRE DU CANADA.

Peu de jours après leur arrivée, les PP. de Daillon et de Brébeuf s'embarquèrent pour les Trois-Rivières, où ils rencontrèrent des Hurons qui s'offrirent à les conduire dans leur pays. Les deux missionnaires qui n'étaient partis de Québec que dans ce dessein, se disposaient à profiter de l'occasion qui se présentait, lorsqu'on reçut une nouvelle qui les obligea de retourner sur leurs pas. Le P. N. Viel, récollet, qui était demeuré près de deux ans chez les Hurons, ayant témoigné le désir de descendre à Québec, des sauvages qui se disposaient à faire le même voyage, lui offrirent une place dans leur canot, et il l'accepta. Au lieu de prendre la route ordinaire, ils suivirent le canal qui sépare l'île de Montréal de celle de Jésus, et qu'on appelle la Rivière des Prairies. Arrivés au rapide qui se trouve au milieu de ce canal, les sauvages, au lieu de mettre à terre et de faire ce qu'on appelle un portage, voulurent sauter avec le canot. Soit qu'ils eussent pris mal leurs mesures, soit qu'ils le fissent exprès, le canot tourna, et le P. Viel et un jeune néophyte, qui l'accompagnait, se noyèrent. C'est cet accident qui a fait donner au rapide le nom de Saut au Récollet, qu'il a porté depuis. Comme tous les Hurons se sauvèrent, et qu'ils se saisirent d'une grande partie des effets du religieux, on eut de violents soupçons, que le naufrage n'avait pas été l'effet du hazard, et tout le monde fut d'avis, aux Trois-Rivières, que les PP. Daillon et Brébeuf différassent leur voyage pour quelque tems.

L'année suivante, 1625, trois jésuites, les PP. Philibert Noyrot et Anne de Noue, et un frère, arrivèrent à Québec, sur un petit bâtiment, qu'ils avaient fretté, et sur lequel ils avaient embarqué plusieurs ouvriers. Ce secours, joint à l'expérience et au talent du P. E. Masse pour les nouveaux établissemens, firent bientôt prendre à l'habitation de Québec une forme de ville; mais soit que les jésuites entreprissent de se mêler de trop de choses, et se montrassent intolérants, soit qu'il y eût dans la colonie des gens qui leur voulussent gratuitement du mal, il paraît qu'ils retrouvèrent sur les bords du St. Laurent une partie des contradictions qu'ils avaient essuyées en Acadie. M. de Ventadour instruit 42 par quelques catholiques de Québec, dit le P. Charlevoix, des mauvaises manières de Guillaume de Caen, à l'égard des jésuites, lui en écrivit sur un ton qui le mortifia beaucoup; il ne douta pas que ceux qui avaient été l'occasion et le sujet de ces plaintes, ne lui eussent attiré par eux-mêmes les reproches qu'il en recevait, et le contrecoup en retomba sur eux.

D'un autre côté, les sauvages causaient toujours de grandes inquiétudes; ils avaient encore assassiné quelques Français; et comme on ne s'était pas trouvé assez fort pour en tirer raison, l'impunité les avait rendus plus insolents; de sorte que pour peu qu'on s'écartât des habitations, on n'était pas en sûreté de la vie. Telle était la situation de la colonie, lorsque M. de Champlain revint à Québec, en 1627. Les bâtimens, les terres, tout avait été négligé durant son absence. Les associés des sieurs de Caen ne s'occupaient que de la traite des pelleteries, et les esprits s'aigrissaient de plus en plus au sujet de la religion. Tout cela représenté vivement au conseil du Roi, fit résoudre le Cardinal de Richelieu, alors premier ministre, à mettre le commerce de la Nouvelle France en d'autres mains, et à écouter la proposition qui lui fut faite de former une compagnie de cent associés, dont on lui avait donné le plan.

D'après le mémoire qui fut présenté au Cardinal par MM. de Roquemont, Houel, de Lattaignant, Dablon, Duchesne et Castillon, dès l'année suivante 1628, les associés devaient faire passer dans la Nouvelle France deux ou trois cents ouvriers de tous métiers; ils promettaient d'augmenter le nombre des habitans jusqu'à 16,000, avant l'année 1643, de les loger, nourrir et entretenir de toutes choses, pendant trois ans; de leur assigner ensuite des terres défrichées, autant qu'il serait nécessaire pour subsistance, et de leur fournir des grains pour les ensemencer. — Tous les colons devaient être Français et catholiques, et il devait y avoir dans chaque habitation des prêtres que la Compagnie s'engageait à défrayer de tout, pendant quinze ans; après quoi, ils pourraient subsister des terres défrichées qu'elle leur aurait assignées.

Pour dédommager la Compagnie de tant de frais, le Roi (Louis XIII,) concédait aux associés et à leurs successeurs à perpétuité, le fort de Québec, tout le pays de la Nouvelle France, tout le cours du grand fleuve St. Laurent et des rivières qui s'y déchargent, ou qui, dans cette étendue de pays, vont à la mer, avec les îles, ports, hâvres, mines, pêches, &c. sa Majesté ne se réservant que le ressort de la foi et hommage, avec une couronne d'or du poids de huit marcs, à chaque mutation de roi, et les provisions des officiers de la justice souveraine, qui seraient nommés et présentés par les associés, lorsqu'il serait jugé à-propos d'y en établir. Le Roi leur accordait le droit de concéder des terres, avec tels titres, honneurs, pouvoir, qu'ils voudraient, et à telles 43 charges et conditions, qu'il leur plairait; celui de bâtir et fortifier des places, de fondre des canons et fabriquer des armes de toutes sortes, le commerce des pelleteries pour toujours, et pour quinze années, tout autre commerce, à l'exception de la pêche des morues et des baleines, que sa Majesté laissait libre à tous ses sujets, révoquant toutes concessions antérieures et nommément celles qui avaient été faites aux sieurs de Caen et à leurs associés; à peine de confiscation des vaisseaux et marchandises au profit de la Compagnie. Le Roi voulut néanmoins que les Français habitués dans les mêmes lieux, et qui ne seraient ni nourris, ni entretenus aux dépens de la Compagnie, pussent faire librement la traite des pelleteries avec les sauvages, mais à la condition de ne vendre les peaux de castor qu'aux facteurs de la Compagnie, qui seraient obligés de les acheter à un prix fixe; à peine de confiscation. Le Roi s'engageait de plus à faire don aux associés de quatre coulevrines de fonte, et de deux bâtimens de deux à trois cent tonneaux, sous certaines conditions, et leur permettait d'embarquer dans ces vaisseaux, les capitaines, soldats et matelots qu'il leur semblerait bon, à condition qu'à leur recommandation, les capitaines prendraient leurs commissions de sa Majesté, ainsi que les commandans des forteresses déjà construites ou à construire dans l'étendue des pays concédés. Pour exciter ses sujets à se transporter dans la Nouvelle France, et à y établir des manufactures, le Roi voulait que tous les artisans qui y auraient exercé leurs arts pendant six ans fussent réputés maîtres, et pussent tenir boutique partout où bon leur semblerait; il exemptait de tous droits, pendant quinze ans, les marchandises qui viendraient du Canada, ainsi que les munitions de guerre, vivres, &c. qui y seraient envoyés. Il était permis à toutes personnes, de quelque état et qualité qu'elles fussent, d'entrer dans la Compagnie, sans déroger aux priviléges accordés à leurs ordres; et s'il se trouvait parmi les associés des roturiers, sa Majesté promettait d'en ennoblir jusqu'à douze, sur la recommandation de la Compagnie. Enfin il était déclaré que les descendans des Français établis dans le pays, et même les sauvages qui embrasseraient le christianisme, seraient sensés Français naturels, et comme tels pourraient aller habiter en France, et y acquérir, tester, succéder, &c., sans être tenus de prendre des lettres de déclaration ni de naturalité.

Les articles furent signés le 19 Avril 1627, par le Cardinal de Richelieu et par ceux qui avaient présenté le projet, et furent sanctionnés par un édit du Roi daté du camp devant La Rochelle, dans le mois de Mai suivant.

Cela fait, le Duc de Ventadour remit à sa Majesté sa charge de vice-roi. La Compagnie de la Nouvelle France se trouva bientôt composée de cent associés, dont le Cardinal de Richelieu et le Maréchal Defiat furent les chefs. Le Commandeur de Razilli, l'Abbé de la Magdeleine, M. de Champlain, et plusieurs 44 autres personnes de condition y entrèrent; le reste se composait de riches négocians et bourgeois de Paris et des autres grandes villes du royaume. Il y avait tout lieu d'espérer que la colonie allait faire des progrès rapides en tous genres, sous les auspices d'une aussi puissante association.

Cependant l'époque de son institution fut marquée par les circonstances les plus malheureuses : les premiers vaisseaux qu'elle envoya en Amérique furent pris par les Anglais, à qui le siège de La Rochelle fournissait un prétexte de commettre des hostilités contre la France, quoique les deux couronnes fussent en paix.

L'année suivante, 1628, David Kertk, Français natif de Dieppe, mais calviniste, et réfugié en Angleterre, sollicité, dit-on, par Guillaume de Caen, qui voulait se venger de la perte de son privilège exclusif, s'avança avec une escadre jusqu'à Tadoussac, d'où il envoya brûler les maisons et les bestiaux qu'il y avait au Cap Tourmente. Celui qu'il avait chargé de cette commission, eut ordre de monter ensuite jusqu'à Québec, et de sommer le commandant de lui livrer son fort.

M. de Champlain y était avec M. de Pontgravé revenu depuis peu de France, pour quelques intérêts de M. De Monts et de sa société. Après qu'ils eurent délibéré ensemble, et sondé les principaux habitans, ils prirent la résolution de se défendre; et Champlain fit à la sommation du capitaine anglais une réponse si fière, que celui-ci jugea à-propos de se retirer. Néanmoins il n'y avait plus que cinq livres de poudre dans le magazin, et chacun des habitans était réduit à sept onces de pain par jour. Kertk ignorait sans doute cette triste situation; autrement, il n'aurait pas manqué de venir lui-même de suite à Québec. Peut-être aussi crut-il qu'il fallait commencer par s'emparer d'une escadre de la nouvelle Compagnie, commandée par M. de Roquemont, un de ses membres, et dont il avait appris le départ, de Guillaume de Caen, ou selon d'autres, de Jean de Laët, autre calviniste mécontent, dont il a déjà été parlé. Cependant, suivant Charlevoix, toutes les apparences étaient qu'il échouerait dans cette entreprise, et M. de Roquemont ne dut son malheur qu'à sa propre imprudence. En arrivant à la rade de Gaspé, il avait détaché une barque pour donner avis à M. de Champlain du secours qu'il lui menait, lequel consistait en plusieurs familles et en provisions de toutes sortes, et pour lui porter un brevet du Roi, qui l'établissait Gouverneur et son Lieutenant-général dans toute la Nouvelle France, avec ordre de faire un inventaire de tous les effets qui appartenaient aux sieurs de Caen. Peu de jours après qu'il eut expédié cette barque, il apprit que Kertk n'était pas loin de lui, et sur le champ, il leva les ancres pour l'aller chercher, sans considérer qu'il exposait au hazard d'un combat dont le succès était douteux, parce que ses vaisseaux étaient extrêmement chargés et embarrassés, toute la ressource d'une colonie prête à succomber. 45 Il ne fut pas longtems sans rencontrer les Anglais; il les attaqua et se battit bien; mais outre que ses vaisseaux ne pouvaient pas manœuvrer aussi bien que ceux de Kertk, ils étaient moins forts; et ils furent bientôt tous désagréés et contraints de se rendre. De sorte que la barque, après avoir causé une courte joie à Québec, ne fit qu'augmenter, dit M. de Champlain, dans ses mémoires, le nombre des bouches pour manger ses pois.

La chasse, la pêche, et la récolte, qui fut très-modique, remirent pour deux ou trois mois, un peu d'aisance dans la ville et dans les habitations; mais cela épuisé, on retomba dans une disette pire que la première. Il restait encore une ressource sur laquelle on comptait beaucoup. Le P. Noyrot, supérieur des jésuites, et le P. Charles Lallemant, étaient allés chercher en France du secours, et avaient trouvé dans la générosité de leurs amis, de quoi fretter un bâtiment et le charger de vivres. Ils s'y étaient embarqués eux-mêmes, avec le P. Alexandre de Vieuxpont et un frère nommé Louis Malot; mais ce bâtiment n'arriva point jusqu'à Québec. Un vent forcé de sud-est le jetta sur la côte de l'Acadie où il se brisa; le P. Noyrot et le F. Malot y périrent : le P. de Vieuxpont alla joindre le P. Vimond, dans l'île du Cap Breton; et le P. Lallemant, s'étant embarqué sur un navire de Biscaye, pour aller porter en France la nouvelle de ce désastre, fit, auprès de St. Sébastien, un second naufrage dont il eut encore le bonheur de se sauver.

Cependant l'extrémité où la colonie se trouvait réduite n'était pas ce qui inquiétait davantage le gouverneur. Les sauvages, depuis l'approche des Anglais, paraissaient fort aliénés des Français, et non sans quelque sujet, au dire de l'historien. Dans une si triste situation, le gouverneur jugea d'abord que le meilleur parti qu'il y eût à prendre, supposé, qu'il ne fût pas secouru à-propos, était d'aller faire la guerre aux Iroquois, et de vivre à leurs dépens. Les dernières excursions de ces barbares, et quelques hostilités qu'ils avaient commises tout récemment, lui en fournissaient un juste sujet; mais quand il fut question de partir, on ne put jamais trouver de poudre. Il fallut donc rester à Québec, où il n'y avait absolument rien pour nourrir cent personnes qui y étaient renfermées, et qui furent réduites à aller chercher des racines dans les bois, comme les bêtes, pour ne pas mourir de faim. En cet état, après la nouvelle de l'arrivée des navires de France, on n'en pouvait guère recevoir de plus agréable que celle du retour des Anglais. Aussi, lorsque sur la fin de Juillet 1629, c'est-à-dire, trois mois après que les vivres eurent manqué absolument, on vint annoncer à M. de Champlain qu'il paraissait des voiles anglaises derrière la Pointe de Levi, il ne douta plus que ce ne fût l'escadre de Kertk, et il regarda ce capitaine, bien moins comme un ennemi que comme un libérateur, auquel il aurait obligation de ne pas mourir de faim, avec toute sa colonie. Il n'y 46 avait que peu d'heures qu'il avait reçu cet avis, lorsqu'on vit venir une chaloupe avec un pavillon blanc. L'officier qui la commandait, après s'être avancé jusque vers le milieu de la rade, s'arrêta, comme pour demander la permission d'approcher : on la lui donna d'abord, en arborant un pavillon semblable au sien, et dès qu'il fut débarqué, il alla présenter au gouverneur une lettre de Louis et de Thomas Kertk, frères de l'amiral David.

Cette lettre contenait une sommation dans des termes extrêmement polis : les deux frères, dont l'un était destiné pour commander à Québec, et l'autre conduisait une escadre dont la meilleure partie était restée à Tadoussac, faisaient entendre à M. de Champlain qu'ils étaient informés du triste état de sa colonie; que cependant, s'il voulait leur remettre son fort, ils le laisseraient maître des conditions.[1]

Le gouverneur n'avait garde de refuser les offres qu'on lui faisait : il les accepta; mais il fit prier les deux frères de n'approcher pas davantage qu'on ne fût convenu de tout. L'officier s'en retourna avec cette réponse, et le soir du même jour, il revint à Québec pour demander les articles de la capitulation. Champlain les lui donna par écrit, et ils portaient, 1o. Qu'avant toutes choses, Messieurs Kertk montreraient la commission du Roi de la Grande-Bretagne, et la procuration de l'amiral David, leur frère. 2o. Qu'ils lui fourniraient un vaisseau pour passer en France, avec tous les Français, sans en excepter un seul, non pas même deux filles sauvages qui lui appartenaient. 3o. Que les gens de guerre sortiraient avec leurs armes et tous les effets qu'ils pourraient emporter, &c. &c.

Il y eut peu de difficultés sur les principaux articles; Louis Kertk répondit que Thomas Kertk, son frère, qui était resté à Tadoussac, avait la commission et la procuration qu'on demandait, et qu'il les produirait, lorsqu'il aurait l'honneur de voir M. de Champlain; qu'il n'aurait aucune peine à donner un vaisseau, et que s'il ne suffisait pas pour tous les Français, il y aurait place sur l'escadre pour quiconque voudrait s'y embarquer, avec l'assurance d'y être bien traité, et transporté en France, aussitôt qu'on aurait mouillé dans un port d'Angleterre. Il fut réglé que les officiers sortiraient avec armes et bagage, &c. les soldats, avec leurs armes, leurs habits, et chacun une robe de castor; et les religieux avec leurs livres; mais que tout le reste demeurerait dans la place. Champlain s'estima heureux d'avoir obtenu ces conditions, et ne crut pas devoir insister sur les autres.

(A continuer.)

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BOTANIQUE.

Angélique à fleurs blanches. Angelica lucida canadensis. — Dans les endroits découverts des forêts du Canada on trouve deux espèces d'Angéliques, l'une que Cornuti appelle lucida, et l'autre qui est d'un pourpre foncé. La tige de la première ne s'élève pas plus haut qu'une coudée, et elle n'a de moële qu'aux jointures de ses nœuds, d'où sortent ses feuilles. Ces nœuds sont couverts d'une espèce de membrane qui sert comme d'enveloppe à la tige, puis s'allonge et s'arrondit, et sert de pédicules aux feuilles, qui sont d'un beau vert, dentelées, et croissent tout autour de la tige. Ses fleurs blanches ne composent pas un bouquet round comme dans l'angélique d'Europe, mais une ombelle, comme dans l'anis. Elles sont bientôt suivies de semences qui ont moins d'enveloppes que l'angélique d'Europe. La racine de cette plante est assez grosse, et jette de toutes parts des fibres charnues. Dès que la semence est tombée, la plante se sèche et meurt. Quelques uns ramassent ces graines pour les semer au printems; d'autres se contentent de les couvrir de terre, et elles poussent assez tôt pour donner aux nouvelles plantes le tems de se fortifier contre la rigueur de l'hiver. Cette angélique a le même goût et les mêmes vertus que celle d'Europe, mais elle pique davantage la langue.

Angélique à fleurs pourprées. Angelica atro-purpurea canadensis. — La tige de cette plante, non plus que celle des autres angéliques, n'a tout son accroissement qu'au bout de trois années. Sa racine est plus grosse et plus charnue, et couverte d'une peau noire et environnée de fibres, qui sont aussi charnues. Ses feuilles sont plus longues et en plus grand nombre, que celles de la précédente, et montées sur de plus longs pédicules. La tige, au sortir de sa racine, est couverte d'une pellicule qui s'ouvre à mesure pour lui donner passage. Cette tige s'élève audessus de la hauteur d'un homme; chaque demi-pied est marqué par un nœud, comme le roseau, et de ces nœuds sortent les feuilles. Vers le milieu de sa hauteur, elle commence à pousser de petites tiges, qui sont couvertes de feuilles plus petites que les autres. Les fleurs qui viennent au haut de la tige, ne paraissent qu'en perçant une enveloppe, qui les couvre; elle forme un bouquet rond; la semence ne paraît qu'après qu'elles sont tombées. Les tiges et les pédicules des feuilles sont d'un pourpre foncé : les feuilles et les semences sont d'un vert obscur. Elle a moins d'odeur et de goût, et apparemment aussi moins de vertu que la précédente.

La Sarrasine. — Cette plante (dit M. Sarrasin, savant médecin français qui a demeuré longtems en Canada,) est d'un port fort extraordinaire; sa racine est épaisse d'un demi-pouce, garnie de fibres, du collet de laquelle naissent plusieurs feuilles, qui en s'éloignant forment une espèce de fraise; ces feuilles sont en cornets 48 longs de cinq à six pouces, fort étroits dans leur origine, mais qui peu à peu s'évasent assez considérablement. Ces cornets, qui commencent par ramper sur la terre, s'élèvent peu à peu, et forment dans leur longueur, un demi-rond, dont le convèxe est dessous, et le cave dessus; ils sont fermés dans le fond et s'ouvrent en gueule par le haut. La lèvre supérieure, quoique dessous, (car ces feuilles sont comme renversées,) est longue de plus d'un pouce, large de deux, arrondie dans sa circonférence; elle a une oreillette proche et à côté de l'ouverture; cette lèvre, qui est intérieurement velue et creusée en cuillère, est tellement disposée qu'elle semble ne l'être ainsi, que pour mieux recevoir l'eau de la pluie, que le cornet garde exactement. La lèvre inférieure, si l'on peut dire que c'en soit une, est fort courte, ou plutôt le cornet est comme coupé, simplement roulé dans cet endroit de dedans en dehors, d'une manière très propre pour affermir cette ouverture. Il rampe sur la partie cave du cornet une feuille qui n'en est qu'un prolongement; elle est étroite dans ses extrémités, plus large et arrondie dans son milieu, ressemblant assez bien à la barbe d'une poule d'inde. Du milieu de ces cornets il s'élève une tige longue d'environ une coudée, elle a la grosseur d'une plume d'oie, et elle est creuse : elle porte à son extrémité une fleur à six pétales de deux façons, dont il y en a cinq disposés en rond, soutenus sur un calice de trois feuilles : du milieu de cette fleur, qui ne tombe point que le fruit ne soit mûr, s'élève le pistil, qui devient le fruit, lequel est relevé de cinq côtés, et divisés en cinq loges, qui contiennent des semences oblongues, rayées et appuyées sur un placenta, qui l'est lui-même sur une continuation de la tige, laquelle, en se prolongeant, sort du fruit de la longueur d'environ deux lignes. C'est sur cette extrémité qu'est située la sixième feuille, laquelle est beaucoup plus mince que celles qui composent la rose; celles-ci sont dures, épaisses et oblongues, tirant sur le rouge, quand le fruit est mûr : cette sixième feuille forme un chapiteau de figure pentagone. Toute la partie convèxe regarde le dehors, et la concave, le fruit; chaque angle est incisé de la profondeur d'environ deux lignes. Elle croît dans les pays tremblants; sa racine est vivace et âcre.

(A Continuer.)


LE LUTH DE LA MONTAGNE.

(Conclusion.)

Je ne vous dirai point quels furent mes regrets, en m'éloignant de cette cabane chérie, quoiqu'elle ne fût plus mon héritage; et de Louise, que je commençais à aimer tout enfant qu'elle était. — Ma situation n'était pas heureuse, et toutefois je ne partis qu'en 49 versant des larmes amères. Je ne pouvais prévoir que c'était le moment où le bonheur de ma vie allait se décider. Oui, c'est à toi surtout que j'en suis redevable, homme bienfaisant, le généreux protecteur de ma jeunesse! tu sais auprès de Dieu combien je l'ai prié pour toi pendant ta vie, et avec quels transports de reconnaissance je bénis aujourd'hui ta cendre. Il se nommait Lafont, et touchait l'orgue d'une paroisse de la ville prochaine. On jugerait mal de ses talents par l'obscurité de son emploi. Les voyageurs se détournaient de leur route pour venir l'entendre; mais il recevait froidement leurs éloges, et n'en était que plus modeste. Je doute que dans le cours de vos voyages, vous ayez jamais trouvé un génie plus extraordinaire. Il avait reçu de son père, le plus habile médecin du pays, une éducation qui l'aurait mis à portée de se distinguer dans la même profession. Il aima mieux se livrer à la passion violente qu'il avait conçue pour la musique. Il s'était marié à la fille de l'organiste dont il occupait la place, et n'avait point eu d'enfants. Sa femme qu'il avait perdue depuis plusieurs années, vivait toujours au fond de son cœur. Cette image et ses livres étaient sa seule société dans la profonde mélancolie qui s'était emparée de lui. Mais en fuyant les hommes, il ne les haïssait point, et il faisait beaucoup de bien en secret. Il était âgé de quarante-cinq ans, lorsqu'il me reçut dans sa maison. Il m'apprit d'abord à lire et à écrire : il prit ensuite plaisir à cultiver ma voix; et à m'exercer sur le luth, son instrument favori. Il ne bornait pas ses leçons à la musique : il me donnait à apprendre par cœur des morceaux choisis de nos meilleurs poëtes, dont il faisait ses délices. Il s'étudiait à former à la fois, mon cœur, mon esprit et mon goût. C'est ainsi qu'il fut pendant cinq ans mon maître assidu; sans attendre de prix pour ses soins, que celui qui peut le mieux récompenser le bien que l'on fait à ses semblables.

Au milieu de toutes ces occupations, je n'avais pu bannir de mon esprit, ni le souvenir de ma cabane, ni celui de Louise, la compagne des jeux de mon enfance. J'en parlais quelquefois avec attendrissement à mon bienfaiteur. Un jour, c'était le premier de Mai 1778, je me le rappellerai toute ma vie, il se leva de bonne heure, et me dit de le suivre dans sa promenade du matin. Il me conduisit, en parlant de choses indifférentes, sur le sommet de cette montagne, où je l'avais vu la première fois. Valentin! me dit-il, j'ai rempli les devoirs dont je m'étais chargé devant le Ciel, lorsqu'il te remit sous ma conduite. Je sais combien, dans le fond de ton cœur, tu soupires après ta cabane. Je n'ai pas eu d'autre but dans ton éducation, que de te mettre en état de la recouvrer. Je viens te la faire voir. Regarde-la; mais je te défends d'y rentrer avant que tu puisses en devenir le maître. Je te fais présent de mon luth; je t'ai appris à le toucher : tu as de la voix. Voyage. Partout ou tu te feras entendre 50 sans autres prétentions que d'un musicien ambulant, tu seras le premier de ton genre. La nouveauté de la chose ne te laissera manquer ni d'auditeurs, ni d'argent; mais sois économe et sage. Lorsque tu seras assez riche, reviens dans ton pays, et rachète la cabane de ton père.

Le cœur me battait à ce discours; il s'enflait de joie et d'espérance. Monsieur Lafont me prit dans ses bras, et me serra contre son sein en pleurant. C'étaient les premières larmes que je lui avais vu répandre; elles me firent une impression singulière. Il me fit aussitôt retourner sur nos pas, et me ramena dans un profond silence à sa maison.

Dès le lendemain au point du jour, il fallut me séparer de mon bienfaiteur; après en avoir reçu les plus tendres instructions, et deux louis pour commencer ma route. Pendant près de quatre ans, j'ai parcouru à pied la France, l'Allemagne et l'Italie; vêtu en paysan de la montagne, et les cheveux flottants en longues boucles comme je les porte aujourd'hui. J'ai observé que la singularité de cet habillement ajoutait beaucoup à l'effet de ma musique, surtout dans les capitales. Il est peu de seigneurs qui aient voyagé avec autant de plaisir que moi. Partout j'étais bien reçu, même au milieu des sociétés les plus brillantes. Dans les villes, on donnait des concerts pour m'entendre; et dans les villages, on faisait, je crois, tout exprès des noces, pour danser au son de mon instrument. En plusieurs endroits, on m'a fait les offres les plus avantageuses pour m'y retenir. J'en étais séduit un instant : mais lorsque je pensais à ma cabane, toutes ces idées de fortune s'évanouissaient aussitôt, et il n'en restait plus de traces dans mes projets. Je me rappelle encore de quels mouvements délicieux j'étais saisi, toutes les fois que, dans mes courses, une montagne se présentait à mes regards. J'y cherchais des yeux ce hameau. Il me semblait y découvrir ma cabane. L'esprit toujours occupé de cette image, j'essayais d'exprimer mes sentiments; et voici des couplets qu'ils m'ont inspirés :

Humble cabane de mon père,

Témoin de mes premiers plaisirs!

Du fond d'une terre étrangère,

C'est vers toi que vont mes soupirs.

J'ai vu, devant moi, sans envie,

S'ouvrir de superbes palais :

C'est toi, ma cabane chérie,

Qui peut remplir tous mes souhaits.

D'où vient cette joie inquiète

Dont ton nom seul saisit mon cœur,

Si dans ta paisible retraite

Le Ciel n'eût fixé mon bonheur!

51

J'y vivrais donc libre et tranquille

Après tant de pas incertains!

Et Louise, en ce doux asyle,

Viendrait partager mes destins!

O mon luth, qu'avec complaisance

Je te sens frémir sous mes doigts!

Si j'obtiens ma double espérance,

C'est à tes sons que je le dois.

(Valentin chanta les couplets avec tant de charme et de sentiment, que toutes les idées fabuleuses d'Apollon se réveillèrent dans mon esprit. Il me semblait entendre ce dieu exilé sur la terre, soupirant après l'Olympe dans les vallons de la Thessalie, Je voulais parler, m'écrier; ma langue demeurait immobile. Valentin comprit mon silence, et continua ainsi :)

Je vais maintenant vous apprendre comment j'ai recouvré cette cabane si désirée.

A la fin de l'année dernière, me trouvant à Turin, après avoir traversé deux fois toute l'Italie, j'examinai l'état de ma fortune. Je partis aussitôt; et marchant à grandes journées, au bout de dix jours j'arrivai dans la ville prochaine. J'y entrai le cœur plein de joie, demandant à toutes les personnes que je rencontrais des nouvelles de mon bienfaiteur. Hélas! je ne devais pas goûter le plaisir de lui témoigner ma reconnaissance, et de le voir jouir du prix de ses soins. Il n'était plus depuis deux mois. J'allai prier sur sa tombe; et j'y fis vœu, que mon premier enfant porterait son nom, si j'avais le bonheur de devenir père. Le même soir, j'arrivai dans le hameau. On m'y parla tendrement de moi sans me reconnaître. Bientôt mon luth et le souvenir de notre ancienne amitié me gagnèrent le cœur de Louise. Son père me donna sa main. J'achetai de lui la cabane et le champ de mon père pour deux cents écus, avec lesquels son fils aîné alla s'établir au fond de la vallée. Pour lui, je le fis consentir à rester dans notre ménage avec George, son plus jeune fils. C'est d'eux que j'apprends les travaux de l'agriculture. Aujourd'hui que je possède la cabane de mon père; toute mon ambition est d'être, comme lui, un bon père et un bon paysan. Je n'ai pas abandonné mon luth, ce précieux instrument de mon bonheur. Je le tiens suspendu à côté de ma bêche : et je le reprends quelquefois pour me délasser; ou pour réjouir, comme vous l'avez vu ce soir, ma famille et mes bons voisins.

Valentin s'était arrêté à ces mots, et je croyais l'entendre encore. Mon attention captivée par son récit, se tournait insensiblement sur lui aussitôt qu'il l'avait achevé. Sa physionomie ouverte et animée, le contraste de ses habits et de ses discours, son attachement pour la cabane de son père, et la mémoire de son bienfaiteur, la singularité de sa destinée, ses voyages et son talent; 52 tout en faisait à mes yeux une espèce d'être enchanté, supérieur aux hommes ordinaires. Louise me tira de ma rêverie par le mouvement qu'elle fit pour se jeter à son cou. Je me joignis à leurs embrassements, et ils me prodiguèrent les plus aimables caresses. Nous entrâmes dans la cabane; où je fus ravi de voir régner un air d'ordre, d'aisance et de propreté. Après un repas simple, où je savourai avec délices les fruits exquis de la montagne, George me conduisit vers un réduit étroit, mais propre et riant, et me montra le lit dont il voulait bien disposer en ma faveur. Je ne tardai guère à y trouver un sommeil profond, dans lequel venaient se renouveller, en une confusion agréable, les grandes images dont j'avais été frappé durant la journée, et les sensations douces que je venais d'éprouver. Hier, je ne quittai pas un instant cette heureuse famille, soit dans son travail, soit dans son repos. Valentin me raconta une foule de particularités de ses voyages, qui m'expliquent aisément comment il a pu acquérir cette politesse dans les manières et dans les expressions, qui m'avait tant surpris à son abord, et qui, malgré sa jeunesse, lui concilie les déférences et le respect de tous les habitants du hameau. Les grâces nobles de son esprit, l'ingénuité piquante de celui de Louise, le bon sens rustique du vieillard, la curiosité inquiète de George, répandent dans leurs entretiens un intérêt et une variété qui me charment, et qui les attachent plus étroitement les uns aux autres. Il me semble que je passerais une vie heureuse auprès d'eux. Mais pourquoi m'occuper de cette idée? C'est ce soir que je dois m'en éloigner. J'avoue que ne n'est pas sans une impression de tristesse, que je pense à notre séparation. Je crois apercevoir dans leurs yeux, qu'elle leur coûtera aussi quelques regrets. Si le destin me laisse disposer un jour avec plus de liberté de l'emploi de ma vie, je viendrai tous les ans faire un pélérinage sur cette montagne; pour y revoir mes amis, et remplir mon cœur des sentiments de paix et de contentement qu'inspirent à l'envi leur séjour et leur société.


LANGUE FRANÇAISE.

Ce fut après la paix de Vervins, que la Langue Française commença à fonder son empire, par un concours admirable de circonstances. Les grandes découvertes qui étaient faites depuis cent cinquante ans, avaient donné à l'esprit humain une impulsion que rien ne pouvait plus arrêter; et cette impulsion tendait vers la France. Paris fixa les idées flottantes de l'Europe, et devint le foyer où se réunirent les étincelles répandues chez tous les peuples. L'imagination de Descartes régna dans la philosophie; la raison de Boileau dans les vers. Bayle plaça le doute aux 53 pieds de la vérité, et Bossuet la mit aux pieds des rois. Les passions parlèrent leur langage sur la scène française, et l'on vit le grand Condé pleurer aux vers du grand Corneille, et Louis XIV se corriger à ceux de Racine. C'est alors que parurent ce Molière, plus comique que les Grecs, ce Télémaque, plus antique que les ouvrages des anciens, et ce La Fontaine, qui sans donner à la langue des formes si pures, lui prêtait cependant des beautés plus incommunicables. Les livres de ces écrivains, rapidement traduits en Europe, et même en Asie, devinrent les livres de tous les pays, de tous les goûts et de tous les âges. Les pièces fugitives qui volèrent de bouche en bouche, donnèrent des ailes à la langue française. Les premiers journaux qui circulèrent en Europe étaient français.

Aux productions de l'esprit, se joignirent encore celles de l'industrie. Des pompons et des modes accompagnaient ces livres chez l'étranger; parcequ'on voulait être partout raisonnable et frivole comme en France. Ses voisins, recevant sans cesse des meubles, des étoffes et des modes, qui se renouvellaient sans cesse, manquèrent de termes pour les exprimer. Accablés sous l'exubérance de l'industrie française, il leur prit une impatience d'étudier cette langue.

Depuis cette époque, la France a continué de donner un théâtre, des habits, du goût, des manières, une langue, un nouvel art de vivre, à la plupart des états qui l'entourent. Louis XIV contribua sans doute beaucoup à affermir et à étendre cet empire de la langue française; il la fit dominer avec lui dans tous les traités; et quand il cessa de dicter des lois, elle garda si bien l'empire qu'elle avait acquis, que ce fut dans cette même langue, organe de son ancien despotisme, que le prince fut humilié vers la fin de ses jours. Ses prospérités, ses fautes, et ses malheurs, servirent également à la langue : elle s'enrichit à la révocation de l'édit de Nantes, de tout ce que l'état perdait. Les réfugiés emportèrent dans le nord, leur haine pour le prince, et leurs regret pour la patrie; et ces regrets, et cette haine, s'exhalèrent en français.

Les succès brillants que la langue française avait acquis sous le règne de Louis XIV, par les ouvrages de ses écrivains célèbres qui l'ont illustré, ne furent pas interrompus dans le règne suivant. Fontenelle, qui tint les deux siècles comme par la main, accueillit la philosophie anglaise, et la fit aimer à l'Europe par son style clair et familier. Montesquieu, qui le suivit, ôsa montrer aux hommes les droits des uns, et les usurpations des autres. Buffon emprunta les couleurs et la majesté de la nature pour écrire son histoire. L'Encyclopédie parut, et ce vaste réservoir des connaissances humaines, tracé par des anglais, et creusé par des mains françaises, servit encore a faire triompher cette langue. Dans le même temps, le grand Frédéric lui fesait l'honneur 54 que Marc-Aurèle et Julien fesaient à celle des Grecs; le philosophe de Genève commandait aux hommes par son impérieuse éloquence, la morale qu'on n'avait fait que leur enseigner : Raynal traçait aux deux mondes, les crimes de l'un, et les malheurs de l'autre; appellait les puissances de l'Europe au tribunal de l'humanité, pour y frémir des barbaries exercées en Amérique; et Voltaire, en écrivant l'histoire fugitive des hommes, attachait son nom à toutes les découvertes, à tous les événements, et à toutes les révolutions de son temps, et joignait à l'universalité de sa langue, son universalité personnelle.

Ce n'est pas seulement au génie de ses écrivains que la langue française doit ses succès; elle les doit aussi à son propre génie. — L'ordre et la construction de la phrase, toujours directs et clairs, la distinguent des langues anciennes et modernes. Elle nomme d'abord le nominatif ou sujet de la phrase, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'accusatif ou l'objet de cette action. Voilà la logique naturelle à tous les hommes; voilà ce qui constitue le sens commun; voilà ce qui lui donne cette admirable clarté, qui l'a fait adopter des philosophes, parce qu'elle s'accommode également de la frugalité didactique et de la magnificence qui convient à la grande histoire de la nature. Lorsqu'elle traduit, elle explique véritablement un auteur; au lieu que les autres langues, abusant de leurs inversions, se jettent dans tous les moules que le texte leur présente; se calquent sur lui, et rendent difficulté pour difficulté.

Sa prononciation porte aussi l'empreinte de son caractère; elle est plus variée que celle des langues du midi, mais moins éclatante; elle est plus douce que celle des langues du nord, parcequ'elle n'articule pas toutes ses lettres.

Si elle n'a point les diminutifs et les mignardises de la langue italienne, son allure en est plus mâle. Dégagée de tous les protocoles que la bassesse inventa pour la vanité, elle en est plus faite pour la conversation, qui est le lien des hommes, et le charme de tous les âges. Aussi les puissances l'ont appellée dans leurs traités, où elle règne depuis les conférences de Nimégue; et l'on peut dire que lorsqu'on arrive chez un peuple, et qu'on y trouve la langue française, on doit se croire chez un peuple poli.


L'HIVER.

(Article Communiqué.)

Qu'entens-je? Ce n'est pas le tonnère! Non; mais c'est la tempête qui gronde au loin. Ce sont les vents en furie qui semblent se précipiter vers nous! Leur violence redouble! Ils s'approchent! C'en est donc fait, et l'univers va rentrer dans le néant 55 dont une main toute-puissante l'avait tiré! Mais quoi? La nue s'entrouvre! Il en sort un vieillard dont les cheveux couverts de frimas et dont le corps tremblant inspireraient le respect, si son œil hagard et son regard glaçant ne repoussaient ce sentiment, pour y substituer ceux de la crainte et de l'aversion. A sa vue la nature perd toute sa beauté. A son aspect le soleil couvre son orbe radieux d'un voile épais, et la terre se hâte de renfermer les trésors de son sein nourricier. Il franchit les montagnes, mais c'est pour dépouiller les arbres qui les couvrent de leur épais feuillages : il parcourt les vallées, mais c'est pour en dévorer l'herbe touffue. Il s'approche des ruisseaux, l'effroi les glace, leur doux murmure ne se fait plus entendre, et c'est en vain que la nymphe du rivage cherche son bain favori. Qu'est devenu ce berceau de verdure dans lequel ces deux amans à l'abri des feux de l'astre du jour, ne sentaient que celui de l'amour éternel qu'ils se juraient? Hélas! il n'en reste que les débris; le monstre a dévoré les feuilles et les fleurs dont il était naguères si élégamment paré. Où sont ces génisses qui paissaient tranquillement dans ces prairies verdoyantes? Où sont ces timides agneaux qui se hâtaient de chercher à la mammelle qui les nourrissait un asile contre le danger qu'ils croyaient les menacer?[2] Leurs jeux folâtres n'animent plus nos guérets : le vieillard envieux de leur gaité innocente, les a épouvantés de son regard courroucé. Il a secoué son épaisse chevelure; aussitôt la plaine luxuriante s'est changée en un désert aride, dont la blancheur, toute éblouissante qu'elle soit, dégoûte par sa monotonie. Parcourons les forêts! Nous n'y trouverons plus ces voûtes d'un verd rembruni, dont la solitude imposante aurait presque rempli l'âme de terreur, si elle n'eût été interrompue par les accords harmonieux de leurs habitans emplumés. A leurs concerts si touchans a succédé le sifflement des vents; leurs chants amoureux ont fait place aux hurlemens des bêtes féroces, qui, pressées par la faim, encore plus que par leur cruauté, ôsent sortir de leurs forts inaccessibles, et vont au loin chercher des victimes pour l'assouvir. Tout cède à cet ennemi redoutable; l'homme seul ôse lui résister et braver le courroux du vieillard malfaisant. Cet être le plus favorisé du créateur, en a reçu ces facultés qui le distinguent si éminemment. C'est au moyen de ces facultés que non seulement il peut se mettre à l'abri des rigueurs de la saison, mais que même il en sait tirer parti pour son bien-être et les assujétir à ses jouissances. Quand toute la nature semble être rentrée dans l'état d'inertie inhérent à la matière, l'activité de l'homme seul paraît redoubler. Il commande à la lumière de remplacer l'obscurité : une chaleur artificielle prend, 56 à sa voix, la place de celle que lui refuse l'astre du jour. Homme ainsi favorisé! reconnais donc cette main bienfaisante qui t'a en quelque façon soumis le reste de la création! Rends-lui l'hommage que tu lui dois, non par de vaines paroles, mais en imitant cette bienfaisance dont tu es l'objet, et en l'étendant sur tout ce qui t'environne. Jouis de la profusion des dons qu'il te prodigue, mais garde-toi d'en abuser. Car au nombre de ces dons, le plus inestimable, sans doute, est ce sentiment intérieur qui de notre ami le plus vrai et le plus sincère, tant que nous écoutons sa voix, devient l'ennemi le plus implacable, quand nous méprisons ses conseils.


Extrait d'un Rapport d'Agriculture pour le mois de Nov. 1824.

La première partie de ce mois termine ordinairement les travaux des champs, de toute espèce. Durant les six mois qui suivent, le laboureur n'a point, dans ce climat, le tems d'être oisif; mais son travail se borne à la conservation et la consommation. Il a sa maison et ses étables à préparer, pendant qu'il fait doux, contre le froid excessif de l'hiver; il a ses chemins à tracer pour l'hiver, et à entretenir, malgré la neige qui s'y entasse quelquefois à la hauteur de quatre ou huit pieds; ses clôtures et ses jeunes arbres à garantir de la pesanteur des neiges, qui pourraient les écraser; son bois de chauffage, dont la quantité est énorme, à traîner et préparer pour le poële, s'il a eu la précaution de le couper l'automne et le printems d'auparavant; il a son bois pour l'année suivante à couper et à mettre à l'abri; il a ses animaux à nourrir, à nettoyer, et souvent à abreuver dans les étables; la neige, qui tombe ou que le vent amoncelle autour de ses bâtimens, à enlever presque tous les jours; il a ses grains, à battre, à vanner, et à porter ou au moulin ou au marché; sa provision annuelle de matériaux de clôtures à couper, à tirer du bois, et à préparer avant le départ des neiges, qui auront immanquablement abattu et détruit tout ce que la vétusté ou les accidens pourraient avoir affaibli de ses clôtures. Dans la maison comme dehors, son tems est précieux. Le thermomètre entre 10 et 30 degrés au-dessous de zéro, la neige tombant et chassée par les vents, qui rend presque invisibles les balises ou perches garnies de branches, plantées le long du chemin à 30 pieds les unes des autres, ne doivent point l'effrayer. Il n'y a même dans aucune saison de relâche à ses travaux, à ses soins; et sa condition est souvent très-pénible. Cependant il a converti une forêt en des champs labourés; il s'est pourvu d'une habitation commode, avec toutes les dépendances nécessaires; il s'habille, se nourrit, élève une nombreuse famille, et même avec une certaine aisance, par son travail joint à la frugalité, l'industrie et l'économie de l'un et de l'autre. Les huit-dixièmes 57 des propriétaires du sol dans le Bas-Canada rentrent dans ce tableau.

Ces années dernières ont été extrêmement dures pour cette classe d'hommes si utile, et à laquelle, en effet, les autres classes doivent presque tous leurs avantages. Il est rare, néanmoins, qu'on entende un individu de cette classe proférer une plainte : ils conservent leur gaieté, augmentent leur frugalité, redoublent d'efforts, et obvient ainsi à la dureté des tems, toujours avec un cœur reconnaissant des biens dont ils jouissent. Tout ce qui peut rendre leur travail plus productif, leur applanir les difficultés, et faciliter leurs progrès, n'en mérite pas moins l'attention et la coopération générale. C'est là le vrai «bien-être du pays.»

Québec, 1er Décembre 1824.


La Glace, la Grêle, le Frimas, la Neige, &c.

(Extrait des Trois Regnes de la Nature de M. Delille.)

J'ai fait couler, monter, évaporer les eaux :

L'onde en glace, à son tour, appelle mes pinceaux.

De sa fluidité véritable principe,

Le feu seul la divise, et seul il la dissipe.

Mais souvent il la quitte, et ses flots épaissis

En givre, en neige, en glace, en frimas, sont durcis.

De là des mers du nord les immobiles masses,

Ces flots chrystallisés en montagnes de glaces :

L'onde aux vaisseaux surpris, n'offre que des rochers,

Et le froid en statue a changé les nochers.

Toutefois de l'hiver la rigueur intraitable

A la glace souvent prête un aspect aimable,

Et comme ses horreurs, l'hiver a ses beautés.

L'œil aime ces frimas, ces tapis argentés,

Ces rocs de diamans, ces aigrettes flottantes,

En mobiles chrystaux à nos arbres pendantes :

Même dans ces climats où l'astre des saisons

De ses rayons à peine effleure les glaçons,

Souvent ces blocs grossiers dont l'art fait la conquête

Deviennent l'ornement d'une superbe fête.

Le nord n'a-t-il point vu, transportés à grands frais,

Tes glaçons, ô Newa, se changer en palais?

La glace s'élevait en colonnes brillantes,

La glace vomissait des foudres innocentes.

L'hiver a ses plaisirs, son souffle rigoureux

Souvent est le signal des courses et des jeux.

C'est alors qu'emportés par un coursier rapide,

Court le traineau léger sur la neige solide;

58

Alors en se jouant des pieds armés de fer

Vont sillonnant les flots endurcis par l'hiver.

L'œil se plaît à les voir dans leurs joutes rivales,

Poursuivant à l'envi leurs courses inégales,

Se chercher, s'éviter et se croiser entre eux.

Souvent le fer glissant trahit un malheureux;

Il court, il tombe, on rit : lui, reprenant courage,

Se relève, repart et venge son outrage.

Mais c'est loin de nos yeux, aux plaines de l'éther,

Que s'exercent en grand les rigueurs de l'hiver :

Là, des molles vapeurs monte l'amas immense :

Son souffle les surprend, les saisit, les condense.

Quel magazin du ciel fournit ces froids amas

De globules glacés, de givre, de frimas?

Quand l'eau monte en vapeur à la céleste voute,

Si le froid la saisit déjà formée en goute,

Alors la grêle tombe, et ses grains bondissants

Battent à coups pressés nos toîts retentissants.

Quelquefois d'autres corps, en traversant l'espace,

Grossissent dans leur cours ces globules de glace.


Le givre, les frimas sont des brouillards durcis,

Et par d'autres vapeurs en tombant épaissis;

Mais avant que cette onde en goute se rassemble,

Si ces molles vapeurs sont surprises ensemble,

Alors des champs de l'air l'empire nuageux,

Nous verse à gros flocons tous ces amas neigeux

Qui comblent nos vallons, recouvrent nos montagnes.

Ah! que je plains alors l'habitant des campagnes!

Malheur au bûcheron, qui revenant des bois,

Retourne, sur le soir, à ses rustiques toîts.

Il ne reconnaît plus le fleuve, la vallée;

Sa vue est éblouie, et son âme est troublée.

Il s'égare, il s'enfonce en de mouvants tombeaux.

Dans un lointain obscur, à travers des rameaux,

Il croit voir sa cabane; à cette douce image,

Il rassemble sa force, excite son courage :

Mais soudain dissipé, le fantôme trompeur

Au lieu du toît chéri, lui montre une vapeur!

Il traverse en tremblant ces effroyables scènes;

Son œil y cherche en vain quelques traces humaines.

Autour de lui des vents la colère mugit,

L'air siffle, le loup hurle, et l'ours affreux rugit;

Le jour meurt, la nuit vient, des nuages plus sombres,

De moment en moment, s'épaissent les ombres,

Et son horreur ajoute à l'horreur du désert :

L'épouvante s'accroît, l'espérance se perd,

59

Et l'effroi, qui déjà lui peint sa mort prochaine,

Fait frémir chaque nerf et court dans chaque veine.

Dans un sentier perfide il craint de s'engager,

Il voit partout un piège, et partout un danger;

D'un terrain infidèle il peut être victime;

Sous ses pas tout-à-coup peut s'ouvrir un abîme;

Peut-être un noir marais recouvert de frimas,

Sous leur tapis trompeur lui cache le trépas :

Il se peint un étang, un lac dont la surface

Couvre des flots bouillants, sous sa voute de glace,

Un précipice affreux, des carrières sans fonds.

L'imagination dans ces gouffres profonds

Déjà le précipite; il tressaille, il s'arrête,

Devant lui le désert, et sur lui la tempête.

Enfin, tremblant de crainte, épuisé de vigueur,

A côté d'un glaçon il tombe de langueur;

La mort vient, et son âme à cette idée horrible

Joint les déchiremens de cet adieu pénible

Que la nature envoie, avec de longs regrets,

A des objets chéris et perdus pour jamais.

En vain, en l'attendant, sa femme prévoyante

Prépare du sarment la flamme pétillante,

Et de chauds vêtemens, et son sobre festin;

Par ses touchants regrets, le rappellant en vain,

De ses enfans chéris la troupe aimable pleure;

En vain, d'un air timide, entrouvrant leur demeure,

Ils avancent la tête, et, le cherchant de l'œil,

De frayeur et de froid frissonnent sur le seuil :

Sa femme, ses enfans, sa cabane chérie,

Il ne les verra plus!... Aux sources de la vie

Déjà du froid mortel le poison s'est glissé;

Tous ses nerfs sont roidis, tout son sang s'est glacé;

Le malheureux expire, et le vent qui l'assiège

Ne bat plus qu'un cadavre étendu sur la neige.


MES TABLETTES DE 1813.

Kingston ou Catarocoui. — La Ville de Kingston, à l'extrémité nord-est du lac Ontario, dans le comté de Frontenac, est par les 44° 8' de latitude nord; et les 75° 41' de longitude ouest de Greenwich; c'est la capitale du District du Milieu, (Midland District.) Elle est sur un terrain de roc et l'on n'y élève pas de maison, qu'il n'en faille creuser le fondement dans la pierre. "Cette pierre", remarque Liancourt, "a le double avantage d'être tendre à couper et de durcir à l'air sans jamais se fendre à la gelée;" néanmoins 60 les maisons qui y sont en grand nombre sont pour la plupart construites de bois.

Cette ville occupe le site de l'ancien Fort Frontenac, dont on voit encore quelques ruines : les sauvages donnaient à ce lieu le nom de Catarocoui, c'est-à-dire, à la terre glaise. La ville est bâtie avec goût sur une pointe; les rues en sont larges, alignées et se coupent à angle droit. A l'extrémité orientale sont les casernes et les magazins du roi. Les casernes, mi-partie bois, mi-partie pierre, forment un grand quarré : elles sont à deux étages. — Une tour servant de poudrière et un bâtiment triangulaire, auprès des casernes, occupé par l'artillerie, sont des restes de construction française. On voit aussi au même endroit les ruines d'un parapet élevé par le général Bradstreet, qui s'empara du fort en 1758. Deux grands bâtimens de bois vers le centre de la ville servent d'hôpital militaire.

Kingston est divisé en deux par une place publique, qui sert à y exercer les troupes et sur laquelle est une halle pour le marché; vis-à-vis est construite une église épiscopale anglicane; ces deux bâtimens sont en bois. A droite du quarré est le café et la maison de justice; ces deux bâtimens sont de pierre et à deux étages. Le café est une bonne maison sous tous les rapports, mais l'autre édifice est tout-à-fait de mauvais goût. Au rez-de-chaussée il y a une cuisine et les prisons; le haut est divisé en trois appartemens : le plus grand sert aux cours de justice; les sessions de quartier s'y tiennent en Avril et en Octobre annuellement. Dans une autre chambre, il y a une bibliothèque publique de 4 à 500 volumes : la souscription est de 20s. par an.

Un maître de réputation tient ici une école pour les enfans; elle est bien fréquentée.

On y a bâti dernièrement une église catholique de pierre avec l'aide des séminaires et citoyens du Bas-Canada; l'intérieur n'en est pas encore fini : le gouvernement l'occupe comme hôpital. — Une vieille maison de bois que l'on a transportée, il y a quelques années, d'une des îles voisines, est la maison du Commandant; elle est d'assez mauvais goût, mais joliment située.

On voit encore sur la place publique les restes d'un fossé et d'un glacis faits par les Français; plus haut est la pointe Mississagué; plus à l'ouest encore est la pointe Murney. Ces deux points importants sont fortifiés; on y a érigé des batteries; le parapet de la première est revêtu à l'intérieur de grosses pièces de bois équarri. Sur les derrières de la ville, et sur le flanc droit, on a construit, depuis peu, plusieurs redoutes de pierre ou de bois qui en rendent les approches difficiles, et l'on y a fait plusieurs autres ouvrages.

Le terrain derrière Kingston s'élève doucement en amphithéâtre. Au devant est une baie de cinq milles de profondeur, au fond de laquelle le gouvernement a de superbes moulins. Cette 61 baie fournit un hâvre excellent, où les vaisseaux hivernent en sureté et commodément. La côte opposée se termine en trois pointes; les deux plus éloignées sont extrêmement hautes; mais celle du milieu est de tous les environs de la ville le lieu le plus élevé.

La pointe la plus éloignée se nomme Hamilton; elle est couverte de bois. Vis-à-vis est l'île aux Cèdres, rocher considérable, dont on a rasé dernièrement tout les bois. On y tient un télégraphe qui correspond avec celui de l'île aux Serpents,[3] audessus et ceux en descendant jusqu'à Cananocoui. Celle du milieu s'appelle pointe Henri. On l'a désertée pour y construire des logemens pour un camp d'observation, et l'on méditait d'y faire des fortifications de conséquence. La pointe la plus près de la ville a d'abord eu le nom de Pointe Haldimand : elle a maintenant celui de Pointe Frédérick. C'est un terrain uni, fort peu élevé et bien fortifié. Cette langue de terre se nomme encore Navy Point, parce que c'est là que sont les chantiers de construction et les magazins de la marine. Il y a ici constamment des troupes; elles y ont de bons quartiers et un corps de garde séparé. Un vaisseau hors de service, étançonné dans la baie qui sépare cette pointe de la Pointe Henri, y sert d'hôpital. La sureté et le salut de Kingston du côté de l'eau, dépendent de la coopération des batteries des pointes Mississagué et Frédérick, et le canon de ces deux postes peut interdire l'entrée du port à toute force navale, si le feu est habilement dirigé.

Kingston est l'entrepôt des marchandises destinées pour le haut pays, et le principal dépôt des approvisionnemens et des munitions militaires. Tous ces articles y sont communément transportés de Montréal en bateaux; en conséquence les vaisseaux ne descendent presque jamais plus bas, quoique les plus gros vaisseaux du lac pussent aller sans obstacle jusqu'à Prescott; mais le canal étant étroit, ils ne pourraient monter sans un vent bien favorable. Les premiers vaisseaux français qui ont navigué sur le lac Ontario ont été construits à Catarocoui par Mr. de la Salle.

Ayant 1784, cette ville n'était proprement qu'un poste militaire, où le Roi et quelques marchands avaient des magazins; ce n'est que de cette époque peu reculée qu'elle a commencé à devenir ce qu'elle est à présent. Le commerce y est florissant.

Les terres auprès de la ville sont assez médiocres, mais elles sont bonnes à deux ou trois milles en profondeur, et les établissemens s'y augmentent journellement. Le climat y est sain. "On y trouve," dit Larochefoucault Liancourt, "de la pierre à chaux de l'espèce argilleuse, à grain fin et d'un gris foncé. Là ainsi que sur la plupart des côtes du lac, les cailloux sont de différentes 62 espèces, des schistes durs, des couches de quartz et de granit. On voit près du rivage de grosses pierres noires, roulées, ressemblant à des basaltes, et beaucoup de pierres sablonneuses, contenant des impressions d'animaux de mer."

A trois milles environ en arrière de la ville, il y a une petite rivière qui a retenu le nom de Catarocoui. Elle est passablement large, le lit en est extrêmement vaseux et les bords hérissés de brossailles. Elle traverse le chemin qui conduit à York; à la tête du pont on a élevé un petit retranchement percé pour du canon.


MODÈLES DE PARIS ET DE QUÉBEC.

En 1798, est-il dit dans le Choix de Curiosités, on montrait à Paris un modèle très-curieux de cette ville, qu'un artiste ingénieux avait été neuf ans à exécuter. Il ne s'était pas contenté de comparer et de corriger tous les plans de Paris, publiés jusqu'alors, il avait encore mesuré toutes les rues, les places, &c. en suivant dans ce procédé, le genre de mesurage géométrique le plus exact, et indiqué les inégalités du site de cette immense capitale, au moyen du nivellement. Le plus grand diamètre du modèle, dans son étendue de l'est à l'ouest, était de quinze pieds : la hauteur moyenne des maisons était de trois lignes.


Avant que je quitte (disait Mr. J. Lambert, en 1809,) le sujet des arts en Canada, pays plus capable, en apparence, de soutenir que de créer le génie, je ne dois pas omettre de faire mention d'un monsieur du nom de Duberger, natif de ce pays, et officier dans le corps des ingénieurs et des dessinateurs militaires, pour lui rendre le tribut d'éloge qu'il mérite à si juste titre. C'est un homme qui s'est créé lui-même son génie, (si l'on peut ainsi parler,) et qui n'a eu pour s'instruire d'autre avantage que celui que lui fournissait la province; car il n'est jamais sorti de son pays. Il excelle dans les arts mécaniques et dans les plans et dessins de mesurages militaires, &c. Il a eu la politesse de me montrer plusieurs de ses grandes esquisses du pays, et plusieurs de ses autres dessins, dont quelques uns sont d'une grande beauté, et sont déposés au bureau du génie. La seule carte correcte du Canada, qui a été publiée à Londres par Faden, au nom de Mr. Vondenvelden, a été dressée par Mr. Duberger et un autre monsieur (Louis Charland, Ecuyer,) dont les noms méritaient beaucoup plus de paraître sur l'ouvrage que celui qu'on y voit présentement.

Mais le plus important de ses ouvrages est un beau modèle de Québec, auquel il est occupé présentement, conjointement avec un de mes anciens compagnons de collège, le capitaine By des ingénieurs, 63 que j'ai eu le plaisir inattendu de rencontrer en Canada, après une absence de dix ans. Tout le modèle est ébauché, et une grande partie en est achevée, particulièrement les fortifications et les édifices publics. Il a plus de 35 pieds de long, et comprend une partie considérable des plaines d'Abraham, jusqu'à l'endroit où Wolfe a été tué. Ce qu'il y a d'achevé est d'une exactitude et d'un fini qui ne laissent rien à désirer; le tout est entièrement taillé dans le bois, et modelé sur une certaine échelle, de sorte que chaque partie sera d'une extrême exactitude, indiquant la forme même et la projection du cap, les élévations et les déclivités dans la ville et dans les plaines, particulièrement les éminences qui commandent la garnison. Il doit être envoyé en Angleterre, lorsqu'il sera achevé, et je ne doute pas qu'il ne soit reçu par le gouvernement anglais avec l'approbation qu'il mérite. (Ce modèle de Québec a été déposé à Woolwich en 1813.)


FIGURES DE RHÉTORIQUE.

J. J. Rousseau prétendait qu'il n'y avait qu'un géomètre et un sot qui parlassent sans figures. Marmontel s'est donné la peine de le prouver, en examinant la remontrance un peu vive qu'un homme du peuple adresse à sa femme. Ce morceau est assez curieux : "Si je dis oui, elle dit non; soir et matin, nuit et jour, elle gronde, (antithèse;) c'est une furie, un démon, (hyperbole.) Mais malheureuse, (apostrophe,) dis-moi donc, que t'ai-je fait? (interrogation.) O ciel! quelle fut ma folie, en t'épousant! (exclamation.) Que ne me suis-je plutôt noyé! (optation.) Je ne te reproche ni ce que tu me coûtes, ni les peines que je me donne pour y suffire, (prétérition;) mais, je t'en prie, je t'en conjure, laisse-moi travailler en paix; (obsécration.) Ou que je meure, si......, tremble de me pousser à bout, (imprécation et réticence,) Elle pleure! ah! la bonne âme! vous allez voir que c'est moi qui ai tort, (ironie.) En bien! je suppose que cela soit; je suis trop vif, trop sensible, (concession;) j'ai souhaité cent fois que tu fusses laide; j'ai maudit, détesté ces yeux perfides, cette mine trompeuse qui m'avait affolé, (astéisme, ou louange en reproche;) mais, dis-moi, si par la douceur il ne vaudrait pas mieux me ramener? (communication.) Nos enfans, nos amis, nos voisins, tout le monde nous voit faire mauvais ménage, (énumération;) ils entendent tes cris, tes plaintes, les injures dont tu m'accables, (accumulation.) Ils t'ont vue, les yeux égarés, le visage en feu, la tête échevelée, me poursuivre, me menacer, (description;) ils en parlent avec frayeur. Le voisin arrive, on le lui raconte; le passant écoute, et va le répéter, (hypotypose;) ils croiront que je suis un méchant, un brutal; que je te laisse manquer de tout, que je t'assomme, 64 (gradation.) Mais non; ils savent bien que je t'aime, que j'ai bon cœur, que je désire de te voir tranquille et contente, (correction.) Va, le monde n'est pas injuste; le tort est à celui qui l'a, (sentence.) Hélas! ta pauvre mère m'avait tant promis que tu lui ressemblerais. Que dirait-elle, que dit-elle? car elle voit ce qui se passe. Oui, j'espère qu'elle m'écoute, et je l'entends qui te reproche de me rendre malheureux. Ah! mon pauvre gendre, dit-elle, tu méritais un meilleur sort, (prosopopée.)"

Ainsi, voila dans le discours d'un homme de la dernière classe du peuple, qui querelle sa femme, les mouvemens de la plus haute éloquence, et toutes les figures de pensées que pourrait employer le plus habile rhéteur. La nature est ici, comme en beaucoup d'autres choses, supérieure à l'art; et l'on voit que, sans avoir fait sa rhétorique, cet homme met, sans y songer, dans son discours, autant d'adresse qu'un orateur.


LE LANGAGE DES COULEURS.

Puisque le dieu du jour en ses douze voyages,

Habite tristement sa maison du verseau,

Que les monts sont encore assiégés des orages,

Et que nos prés riants sont engloutis sous l'eau,

(ou plutôt ensevelis sous la neige;) en un mot, puisque les mois d'hiver nous offrent à peine, (dans nos demeures,) quelques fleurs décolorées, il faut y suppléer, en rappellant l'usage que nos bons ayeux savaient faire des couleurs.

Dans ces tems heureux de la chevalerie, où la beauté distribuait des couronnes, où toutes les fêtes étaient des jeux guerriers, où tous les jeux étaient un hommage rendu à la gloire et aux dames, on sentit la nécessité de créer un nouveau langage qui pût, en ne parlant qu'aux yeux, rappeller des sentimens que la bouche n'ôsait exprimer. Telle fut l'origine de cette ingénieuse union des devises et des couleurs qui distinguaient les chevaliers. Qu'un amant désespéré se présentât dans la lice, il prouvait son amour par des prodiges de valeur; mais le gonfalon et l'écharpe, mêlés de rouge et de violet, annonçaient le trouble de son âme : que si, après la victoire, la dame de ses pensées était décidée à mettre fin à ses tourmens, elle paraissait, le lendemain, avec le vert de l'épine blanche, liée de rubans incarnats, qui signifiaient l'espérance en amour.

La cotte d'armes, teinte d'un gris roussâtre indiquait le chevalier que la gloire éloignait de plus doux combats. Le jaune, uni au vert et au violet, témoignait qu'on avait tout obtenu de la beauté aimée, et ne devait jamais se rencontrer chez le guerrier modeste.

65 Mais nos pères allaient encore plus loin; et l'art de faire parler les couleurs avait été porté à un si haut point de perfection, qu'on avait été jusqu'à composer un habit moral de l'homme et de la femme, dont nous rappellerons ici quelques traits, d'après un livre gothique, aussi curieux que singulier.[4]


Habit moral de l'homme, selon les couleurs.

"Et, premièrement, la toque ou bonnet, doit être d'écarlate, qui signifie prudence; le chapeau doit être de couleur perse, qui démontre science, en signe que science vient de Dieu qui est au ciel, lequel ciel est couleur perse; et, par ainsi, science sera près de prudence. Le pourpoint sera noir, qui signifie magnanimité de courage, qui doit enclore le cœur et le corps de l'homme; les gants seront jaunes, qui dénote libéralité et jouissance; la ceinture doit être violette, qui signifie amour et courtoisie; la saye sera de tanne obscure, qui signifie douleur et tristesse, desquelles nous sommes toujours vêtus."


Habit moral d'une dame, selon les couleurs.

"Et, tout premièrement, dame ou damoiselle doit avoir ses pantouffles de couleur noire, qui dénote simplicité; ce qui démontre aux dames qu'elles doivent marcher en toute simplicité, et non en orgueil. Et, en après, la dame, de quelque état qu'elle soit, doit porter les jarretières, qui seront de blanc et noir, dénotant ferme propos de persévérer en vertu; et, ainsi que le blanc et noir, jamais ne changent naturellement. Après ces choses, la cotte doit être d'un damas blanc, qui démontre l'honnêteté et chasteté qui doivent être en une dame; idem, doit être la pièce de devant soi de couleur cramoisi, qui sera appellée la pièce de bonnes pensées ardentes envers Dieu.

"Enfin, la robe pour une grande dame, doit être de drap d'or, qui représente beau maintien, car, tout ainsi que l'or plaît à la vue des gens, à soi pareillement le beau maintien d'une dame est cause qu'elle est prisée et regardée."

Voila des vêtemens dont la morale est parfaite; mais notre siècle les trouvera-t-il assez galants? N'inspireront-ils aucun effroi à nos belles? en un mot, la mode ôsera-t-elle jamais leur présenter des habits qui les environnent de tant de vertus sévères? Voila ce que nous n'ôsons dire. Il y a bien longtems qu'on vante la bonhommie de nos pères, et cependant n'avons point encore vu qu'on se soit empressé de l'imiter.

66


LETTRE DE HENRI IV.

Tout intéresse dans les grands hommes, dit M. l'Abbé Brottier; et personne n'a jamais inspiré plus d'intérêt que Henri IV. Le meilleur des Rois de France est toujours présent à l'esprit et au cœur des Français, où l'a été du moins jusqu'à l'époque de la révolution. Ils aimaient, ils recherchaient tout ce qui pouvait rappeller les détails de sa vie, son esprit, ses sentimens, son héroïsme. La lettre suivante, fidèlement copiée sur l'original de la main du Prince, fait connaître son style, son orthographe, sa gaité naturelle, ses égards pour la Reine Marguerite, après leur séparation. Si l'on rapproche les jours de chasse de la date de la lettre, on voit que Henri IV l'écrivit à Monceaux, maison royale près de Meaux, le Dimanche, 10 d'Août 1603.

"A ma seur la Royne Margueryte.

"Ma seur, jay ete byen ayse daprandre de vos nouvelles par le sr. de suyjac par le quel vous aprandres des myennes & come la goutte mayant quyte aus pyes ma prys au genoux mes mayntenant je man porte myeus & espere demayn coure un cheureuyl & mardy un cerf & sy de la au hors je vays en amandant come je lespere je sere pour vous voyr dans la fyn de la semene cependant je vous dyre que cest la moyndre chose que vous pouves atandre de moy que le comandemant de lespedysyon du don que je vous ay fet pour le rapt quy a ete fet de la petyte fylle dudyt sr. de suyjac encore que avant la receptyon de la vre jy eusse pourveu de façon quyl an aura tout contantement sy est ce que conoysant que vous lafexyones yl vera come pour lamour de vous je lafexyone & ce resantyra de lefet de vore pryere & recomandasyon come vous par tout ce quy depandra de moy quys suys

vre byen bon père

"HENRY

"ce xe aut a monceau"


EXTRAITS.

(Du Voyage de Franchère.)

Quelques jours après le départ de Mr. Hunt, le vieux chef Comcomlé vint nous annoncer qu'un sauvage de Gray's Harbour, qui s'était embarqué sur le Tonquin, en 1811, et qui avait seul échappé au massacre des gens de ce vaisseau, était revenu chez sa nation. Comme la distance de la rivière Columbia à Gray's Harbour 67 n'était pas bien grande, nous envoyâmes chercher ce sauvage. Il fit d'abord beaucoup de difficulté de suivre nos gens; mais à la fin il se laissa persuader. Il arriva à Astoria, et nous relata les circonstances de cette malheureuse catastrophe, à peu près comme suit :[5]

"Après," nous dit-il, "que je me fus embarqué sur le Tonquin, ce vaisseau fit voile pour Noutka.[6] Arrivés vis-à-vis d'un grand village, appellé Nouhity, nous jettâmes l'ancre. Les naturels ayant invité Mr. M'Kay à aller à terre, il y alla, et fut reçu de la manière la plus cordiale : on le retint même plusieurs jours au village, et on le fit coucher, chaque nuit, sur des peaux de loutres de mer. Pendant ce tems-là, le capitaine (Thorn) s'occupait à faire les échanges avec ceux des naturels qui fréquentaient le navire; mais ayant eu quelques difficultés avec un des principaux chefs, sur le prix de certaines marchandises, il finit par le mettre hors du vaisseau, et lui frotta le visage, en le repoussant, avec les peaux que celui-ci avait apportées pour l'échange. La chose fut regardée par ce chef, et par ses gens, comme une insulte des plus graves, et ils résolurent d'en tirer vengeance. Pour venir plus surement à bout de leur dessein, ils dissimulèrent leur ressentiment, et vinrent, comme à l'ordinaire, à bord du vaisseau. Un jour, de très bon matin, une grande pirogue, contenant une vingtaine d'hommes, vint le long du navire : les sauvages qui étaient dedans tenaient chacun, à la main, un paquet de fourrures, et ils dirent qu'ils venaient pour trafiquer. Les gens qui faisaient le quart, les laissèrent monter. Peu après, il arriva une seconde pirogue, portant à peu près autant d'hommes que la première. Les matelots crurent que ceux-ci venaient aussi pour échanger des fourrures, et les laissèrent monter comme les premiers. Bientôt, les pirogues se succédant ainsi l'une à l'autre, l'équipage se vit entourré d'une multitude de sauvages, qui montaient sur le navire, de tous côtés. Alarmés de la chose, ils furent en prévenir le capitaine et Mr. M'Kay, qui s'empressèrent de monter sur le tillac. J'y montai aussi; et craignant, par le grand nombre de sauvages que je vis sur le pont, et par les mouvemens de ceux qui étaient à terre, et qui s'empressaient d'embarquer dans leurs pirogues, pour venir au vaisseau; craignant, dis-je, qu'il ne se tramât quelque mauvais dessein, je fis part de mes soupçons à Mr. M'Kay, qui lui-même en parla au capitaine. Celui-ci affecta un grand air de sécurité, et dit, qu'avec les armes à feu qu'il y avait à bord, on ne devait pas craindre même un plus grand nombre de sauvages. Cependant, 68 ces messieurs étaient montés sans armes, et n'avaient pas même sur eux leurs poignards. Je les pressai de mettre en mer; et voyant le nombre des sauvages augmenter à chaque instant, le capitaine se laissa enfin persuader : il ordonna à une partie des gens de l'équipage de lever l'ancre, et aux autres de sauter sur les vergues, pour déferler les voiles. Il avertit, en même tems, les naturels de se retirer, parce que le vaisseau allait gagner la pleine mer. Aussitôt ceux-ci se levèrent, en poussant un grand cri, tirèrent les couteaux qu'ils avaient cachés sous leurs paguchons de fourrures, et fondirent sur les gens du vaisseau. Mr. M'Kay fut la première victime qu'ils immolèrent à leur fureur. Deux sauvages, que j'avais vus, du couronnement du tillac, où j'étais assis, suivre pas à pas ce monsieur, se jettèrent sur lui, et lui ayant donné un grand coup de potumagane (espèce de sabre,) sur le derrière de la tête, ils le renversèrent sur le pont, le prirent ensuite, et le jettèrent à la mer, où les femmes, qui étaient restées dans les pirogues, l'achevèrent. Une autre troupe se jetta sur le capitaine, qui se défendit longtems avec son couteau; mais qui périt aussi sous les coups de ces meurtriers, accablé par le nombre. Je vis ensuite, et c'est la dernière chose dont je fus témoin, avant de quitter le navire, je vis les gens qui étaient au haut du mât, se glisser par les cordages dans les écoutilles. L'un d'eux reçut, en descendant, un coup de couteau dans le dos. Je sautai alors à la mer, pour éviter un sort pareil à celui du capitaine et de Mr. M'Kay : les femmes m'attrappèrent, et me dirent de me cacher vitement sous des nattes qu'il y avait dans les pirogues; ce que je fis. Bientôt après, j'entendis le bruit des armes à feu : les sauvages s'enfuirent du vaisseau, et regagnèrent le rivage. Le lendemain, ayant vu quatre hommes s'éloigner du navire, dans une chaloupe, ils envoyèrent quelques pirogues à leur poursuite; et j'ai tout lieu de croire que ces quatre hommes furent rattrappés et massacrés; car je n'ai vu aucun d'eux ensuite. Les sauvages se voyant maîtres absolus du Tonquin, se rendirent en foule à son bord, pour le piller. Mais bientôt, lorsqu'il y en avait entre quatre et cinq cents, tant dessus qu'alentour, le navire sauta avec un fracas horrible. J'étais sur la grève, quand l'explosion eut lieu, et je vis des bras, des jambes, et des têtes, voler en l'air et de tous côtés. Cette tribu perdit près de 200 de ses gens, en cette rencontre. Quant à moi, je demeurai leur prisonnier, et j'ai été leur esclave pendant deux ans."


(De la Découverte des Sources du Mississippi, &c. P. J. C. Beltrami.)

Marietta, 48 milles plus bas que Welling sur le bord septentrional (de l'Ohio,) ne date pas de bien loin; néanmoins elle est le chef-lieu du comté de Washington dans l'état de l'Ohio. Cette 69 place ne comptait que peu de familles en 1800; maintenant elle brille de beaux édifices publics et privés. Une académie y encourage l'instruction, et une bibliothèque assez bien choisie, invite ses habitans à la lecture. Une imprimerie n'y est jamais oisive; car dans les Etats-Unis, les papiers publics occupent les petits villages comme les grandes villes, la chaumière comme le palais. — Une église presbytérienne, quoique vaste, ne suffit plus à contenir toute cette population, qui déjà monte à près de 2000 âmes, et qui augmente prodigieusement toutes les années avec la ville. Sa situation est des plus belles, des plus riantes, et le Muskingum qui se jette dans l'Ohio, lui offre l'avantage d'une longue navigation dans les terres.

La situation de Belpré, sur le même bord et dans le même comté, est très agréablement d'accord avec son nom. Il lui fut donné par des Français, qui, après avoir combattu pour l'indépendance américaine, s'établirent dans cet endroit, pour jouir aussi en paix des fruits de leur valeur. Quand on pense que les Français ont tant fait pour la liberté des autres; qu'ils ont immolé leur bon roi au vain fantôme de la leur, et que maintenant ils forgent des fers à l'Espagne et au Portugal, et peut-être à eux-mêmes, avec la même alacrité qu'ils offraient des victimes au terrorisme des Sans-culottes, on est frappé de mille sentimens opposés et choquants.

L'île de Blamerhasset, (ou Blennerhasset,) arrête l'intérêt du voyageur, et par sa longueur, qui est de trois milles, et par sa beauté qui enchante, et par le souvenir qu'elle rappelle de la catastrophe malheureuse qui lui donna ce nom.

Un gentilhomme irlandais, fuyant les horreurs dont la révolution ensanglantait sa patrie en 1801, se réfugia en Amérique, et vint s'établir dans cette île avec toute sa famille. Riche et amateur du beau, il en fit un Tivoli, un Paphos. En Décembre 1810, un terrible incendie ensevelit sa fille unique sous les ruines du beau palais qu'il y avait bâti. Il abandonna aussitôt ce séjour de douleur; et cette île ne rappelle maintenant sa splendeur que par le nom de l'infortunée qui y périt : et tout y périt après elle. Ciel! combien on sent ce que ce père malheureux a dû éprouver à cette perte cruelle. Ayant ensuite trempé dans une conspiration tendant à renverser la grande Union, il fut obligé de quitter aussi l'Amérique.

Gallipolis, fondée aussi par des Français fuyant aux approches des premières terreurs de la révolution, également dans l'état de l'Ohio, est aujourd'hui chef-lieu d'un comté, quoique cette ville existât seulement dans le livre des destinées en 1780. Mais ce qu'il y a vraiment d'étonnant, c'est Burlington, qui, à l'âge seulement de cinq ans, est chef-lieu du comté de Lawrence, et le siège d'une cour de justice.

L'enfance de Cincinnati paraît promettre beaucoup pour sa maturité. Quoique Columbus soit la capitale de l'état de l'Ohio, néanmoins 70 Cincinnati en est la première ville, et la plus commerçante, ne le cédant qu'à Pittsburg, en richesses, et en manufactures; mais elle est beaucoup plus jolie et plus charmante. Sa situation brille, pour ainsi dire, sur un plateau, qui surmonte le bord de l'Ohio; des côteaux l'environnent au nord, et l'Ohio la baigne en demi-cercle au sud. C'est notre Gênes en petit; et ses environs sont également décorés de riantes maisons de campagne. Ses bateaux à vapeur parcourent l'Ohio et le Mississippi. L'activité et l'industrie se montrent partout. Une académie et un musée annoncent son amour pour les sciences et la littérature; et cinq cents écoliers que j'ai trouvés, réunis dans une institution d'enseignement mutuel, sont une preuve que l'instruction y est générale. J'ai été surpris d'y voir les jeunes filles mêlées avec les garçons. Nonobstant le respect dû aux mœurs des Américains, il est toujours à craindre que l'occasion l'emporte sur l'austérité, et j'ai toujours vu que là où la malice se tait, la nature parle un langage encore plus séduisant. On m'a dit que c'est à Mr. Wergenton, qui fut le premier à s'y établir, vers la fin du dernier siècle, et dont la vertu lui mérita peut-être le surnom de Cincinnatus, qu'elle doit le nom illustre qui la distingue. Je suis tenté de croire que le nom d'un Romain si illustre et si républicain, peut avoir contribué, parmi un peuple nouvellement républicain, à la rendre si promptement florissante. Elle compte déjà environ 12,000 âmes de population, pour la plus grande partie émigrés de la Nouvelle Angleterre.

Je ne puis m'empêcher de vous arrêter un instant aussi au petit village de Rising Sun, (Soleil Levant,) situé sur une petite hauteur : il brille vraiment comme lui, et les sites pittoresques qui l'environnent justifient parfaitement son nom. Il est dans l'état de l'Indiana, sur le bord septentrional.

Et Vévay! Ce nom qui rappelle la Nouvelle Eloïse, où le grand Citoyen de Genève, en peignant les faiblesses de l'humanité fait connaître de combien la vertu leur est supérieure; où il montre que l'amour peut être aussi pur et irréprochable qu'énergique et élevé; où l'homme montre des caractères extraordinaires et en même tems très naturels; où Julie est le modèle à la fois des épouses, des amies et des mères. Cette petite ville, quoique dans le sein de l'Amérique, est habitée par des Suisses, comme celle du pays de Vaud. Ils y prospèrent dans l'agriculture. Ces Suisses cultivent aussi la vigne. Ils sont les seuls qui aient, jusqu'à présent, obtenu quelque succès dans ce genre de culture.


Louisville est la clef principale du commerce de l'état du Kentucky. Si Pittsburg est la Tyr de l'Ohio, et Cincinnati la Carthage, Louisville en est la Syracuse.

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VERS.

DÉFINITION DE L'ESPRIT.
(Par J. B. Rousseau.)

Qu'est-ce qu'esprit? Raison assaisonnée :

Par ce seul mot la dispute est bornée.

Qui dit Esprit, dit sel de la raison;

Donc, sur deux points roule mon oraison.

Raison sans sel est fade nourriture;

Sel sans raison n'est solide pâture :

De tous les deux se forme esprit parfait;

De l'un sans l'autre, un monstre contrefait.


RÉPONSE A UNE DAME qui demandait d'où provient l'Esprit.
(Par feu M. Q......l.)

Quand on a de l'esprit, c'est que l'on n'est pas bête :

Qui dira ce que c'est ne sera pas un sot :

C'est...comme...une chaleur que l'on a dans la tête;

Comprenez-bien...qui fait...comme dit Aristot...

Que l'intellect s'entr'ouvre, et puis se met en quête

De l'objet qu'il poursuit, et qu'il saisit bientôt :

De façon que ce feu...cet éclair...en un mot...

Quand on a de l'esprit c'est que l'on n'est pas bête.


AIR.

Les aquilons par leurs ravages,

Détruiront-ils toujours les beautés du printems?

Ne reverrons nous plus dans nos charmants bocages

Les innocents plaisirs conduits par les amans?

Non, non, la saison dégénère.

Les ris, les jeux, les folâtres amours,

De dépit et d'effroi retournés à Cythère,

Ont quitté nos champs pour toujours.


MADRIGAL.

Tircis voudrait cacher le beau feu qui l'enflamme;

Ses yeux et ses soupirs, tout trahit son secret.

Quand l'Amour règne dans une âme,

L'Amour, le tendre Amour est toujours indiscret.

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AUTRE.

Redoublez-vos fureurs, terribles aquilons,

Jusqu'au retour du berger que j'adore,

Que par vous la charmante Flore

Disparaisse de ces vallons :

Que la nature languissante,

Sensible à mes ennuis, vienne les partager;

Que tout aujourd'hui se ressente

De l'absence de mon berger.


LE RÉPIT.

C'est trop en des vœux superflus

Perdre les jours de mon bel âge;

C'est trop par des soins assidus

D'un ingrat mendier l'hommage :

Dès ce moment ne l'aimons plus;

C'est le seul parti qui soit sage.

Mais ce soir, en secret, il demande à me voir...

Son cœur, peut-être, a su m'entendre;

Peut-être que ce soir l'entretien sera tendre...

Aimons l'ingrat jusqu'à ce soir.


LE COLIMAÇON.

Sans amis, comme sans famille

Ici bas vivre en étranger;

Se retirer dans sa coquille

Au signal du moindre danger;

S'aimer d'une amitié sans bornes,

De soi seul emplir sa maison;

En sortir, suivant la saison,

Pour faire à son voisin les cornes;

Signaler ses pas destructeurs

Par les traces les plus impures;

Outrager les plus tendres fleurs

Par ses baisers ou ses morsures;

Enfin chez soi, comme en prison,

Vieillir, de jour en jour plus triste;

C'est l'histoire de l'égoïste :

Et celle du Colimaçon.


FABLE. L'AIGLE ET LE COQ.

"Tais-toi," disait au Coq un Aigle audacieux;

"Ton chant ne me plaît pas." — "Joins tes hautes demeures,"

73

Lui répondit le Coq, "ne trouble pas ces lieux;

"J'y vis pauvre et content, et j'y chante les heures."

Grands, soyez vains et fiers, le ciel vous punira;

Mais cessez d'insulter l'habitant des chaumières;

Moins élevé que vous, de même il vous dira :

"Laissez-moi vous nourrir et chanter mes misères."


SUR UN AVARE.

Ci-gît dessous ce marbre blanc,

Le plus avare homme de Rhennes,

Qui mourut la veille de l'an,

De peur de donner des étrennes.


Chanson, par Mr. P. L........., ci-devant R. du C.

O Nicolet, qu'embellit la nature,

Qu'avec transport toujours je te revois!

Sous les frimas comme sous la verdure,

Tu plais autant que la première fois.

L'air tempéré, l'horrison sans nuage,

Pour t'embellir tout s'unit à la fois :

Le front paré d'un éternel feuillage,

Ne peux-tu pas plaire comme autrefois?

Je le revois ce modeste hermitage,

Où m'ennivra le plaisir autrefois :

Quand, protégeant tous les jours le jeune âge,

Je fus heureux pour la première fois.

Mais quel revers loin de cette retraite

A dispersé les amis de mon choix?

En vain mon cœur y recherche et regrette

Ce que j'aimai pour la première fois.


A MLLES. ADELE ET CAMILLE DE * * *,

Qui avaient demandé à l'auteur une chanson pour le jour de l'an.

N'espérez pas que ma muse sincère

Fête ce jour par un joyeux accent :

Les heureux seuls peuvent sur leur carrière

Avec plaisir voir naître un nouvel an.

Célébrez-le comme un jour d'allégresse,

Vous qui croissez en charmes, en talent :

74

Il n'est pour moi qu'un signal de tristesse;

Il m'avertit que j'ai vieilli d'un an.

Je n'offre point les dons que veut l'usage;

Vous seriez trop audessus du présent;

Et les baisers ne sont qu'un froid hommage,

Lorsqu'on les doit au premier jour de l'an.

Quant à ces vœux, du jour fade cortège,

Ah! je sais trop qu'on en fait vainement,

Et pour prier que le ciel vous protège,

Je n'attends pas le premier jour de l'an.

P.


ZOOLOGIE DU BAS-CANADA.

Le présent article est la traduction d'un morceau qui a paru en anglais dans un journal de Québec, au commencement du mois dernier.

"Mr. Chasseur, sculpteur et doreur de cette ville, a employé, depuis le mois de Juillet 1824, ses momens de loisir à former une collection de nos animaux indigènes. Jusqu'à cette heure, cette collection se borne presque entièrement aux oiseaux et aux quadrupèdes. Le nombre des oiseaux se monte déjà à environ quatre cents, préservés avec beaucoup d'habileté et de goût, et quelques uns perchés sur des arbres ou autrement, de manière à donner l'idée la plus juste de leurs habitudes. Il y a dans cette collection quinze variétés de hérons, bécassines, et autres espèces semblables. De ce nombre est la grande cigogne qui mesure trois pieds et six pouces de haut, et qu'on voit quelquefois nageant dans l'eau, sur les rivages de Beauport et de l'Ange-Gardien. C'est probablement l'oiseau qui a donné à l'Ile aux Grues le nom qu'elle porte. Une grande espèce de grue, qui a plus de cinq pieds de hauteur, pond dans quelques uns des lacs situés au nord de cette ville.

Il y a environ vingt-cinq variétés d'oies ou canards, parmi lesquelles on remarque l'anas candida, l'oie blanche du Canada, très-bel oiseau, fort commun à l'Ile aux Oies; le cormoran, qu'on voit souvent perché sur des rochers escarpés, vers le bas du fleuve; l'espèce de canard plongeur appellé vulgairement huard, grand oiseau solitaire, dont le chant élevé, et quelquefois lugubre, se fait entendre sur la brume, ou à la pointe du jour, sur les bords inhabités de nos lacs; le canard brancheux, remarquable par la beauté de son plumage, et qui se juche et fait son nid dans des arbres. Nos variétés de canards sont presque innombrables et excèdent probablement deux cents : ils l'emportent par l'élégance de leurs formes et la beauté de leur plumage sur tous nos autres oiseaux.

75 La collection comprend treize variétés d'oiseaux de proie, parmi lesquels on distingue les plus grands aigles; une rare et belle espèce de faucon, et quelques beaux hiboux ou chahuans. Les variétés de pies sont au nombre de dix ou douze; notre grand pic-bois à tête rouge, et notre pie commune, sont les plus remarquables.

Parmi les passereaux, ou petits oiseaux, dont il y a probablement dans la collection quarante ou cinquante variées, sont notre roitelet, oiseau assez rare; l'oiseau-cardinal de Charlevoix, joli oiseau de la grosseur de notre robin, de couleur écarlate, rouge et noire foncée; il habite les parties montueuses de nos forêts, et on le voit quelquefois en volier, pendant l'hiver, près des maisons et des granges de nos fermiers; un petit oiseau du genre des moineaux, de couleur bleue de ciel foncée, à l'exception de la fale, qui est grisâtre; notre coucou, dont le chant diffère un peu de celui du coucou d'Europe et est moins distinct, et qu'on entend dans le mois de Juin : il arrive vers la fin de Mai, et repart ordinairement vers la fin d'Août.

La plus grande curiosité dans cet ordre de la collection est un robin blanc. Notre robin est un oiseau distinct de celui d'Angleterre; il lui ressemble par la couleur, mais il en diffère par toutes les autres habitudes. Il paraît appartenir au genre des grives, et a quelque chose de leur chant fort et plein. Ceux qui ont entendu les contes du coin du feu en Canada, doivent se rappeller d'y avoir ouï parler du merle blanc; on supposait que c'était un oiseau fabuleux; mais il est très vrai qu'il existe. Celui de la collection a été tué parmi une troupe de robins, et il avait sa compagne, qui s'est échappée.

La perdrix de savannes et la perdrix commune que l'on rencontre journellement sur nos tables, sont les seules variétés de leur genre, celui des poules, &c.

Il y a dans la collection deux poissons extrêmement curieux, qui ont été pris dans le St. Laurent, aux îles de Sorel. Ils sont armés d'un long museau pointu, ressemblant un peu à l'épée du poisson armé, et formant la mâchoire qui est pourvue de deux rangées de dents aiguës, — Il y a aussi quelques quadrupèdes très bien préservés.

La collection d'oiseaux du Canada, toute imparfaite qu'elle est, est probablement la meilleure qu'il y ait dans le pays. Elle promet de devenir beaucoup plus étendue; car Mr. Chasseur se propose de rassembler un aussi grand nombre que possible de nos animaux indigènes, pour en offrir l'exhibition au public. Si l'on considère que Mr. Chasseur est natif de Québec, qu'il a pu difficilement puiser à la source des connaissances, et que ses moyens ont dû être bornés, cette collection lui fait certainement beaucoup d'honneur. Sans être très-versé dans l'histoire naturelle, il communique un grand nombre de renseignemens exacts et utiles."

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PROJET D'UN OBSERVATOIRE EN AMÉRIQUE.

Extrait du Message du Président des Etats-Unis.

"Conjointement avec l'établissement d'une Université, ou séparément de cet établissement, on pourrait entreprendre d'ériger un Observatoire Astronomique, et de pourvoir en même tems au maintien d'un Astronome toujours présent pour observer les phénomènes du ciel, et à la publication périodique de ses observations. Certes, comme Américain, ce n'est pas avec le sentiment de l'orgueil, que je dois faire remarquer que sur la surface territoriale comparativement petite de l'Europe, il y a plus de cent trente de ces phares du firmament, tandis qu'il n'y en a pas un seul dans toute l'Amérique! Si nous faisons un moment réflexion aux découvertes qui, depuis quatre siècles, ont été faites dans la constitution physique de l'univers, au moyen de ces édifices et des observateurs qui y ont été placés, pourrons-nous douter qu'ils ne soient utiles et honorables à chaque nation? Et quand à peine il se passe une année sans qu'il se fasse quelques nouvelles découvertes astronomiques, que nous sommes obligés de recevoir d'Europe de seconde main, ne nous ôtons-nous pas à nous-mêmes le moyen de rendre lumière pour lumière, en autant que nous n'avons ni observatoire, ni observateur, et que la Terre dans ses révolutions n'offre que des ténèbres perpétuelles à nos yeux indifférents."


LA PIERRE BRANLANTE DE SAVOY DANS LE MASSACHUSETTS.

Cette pierre est de granit et couverte des mousses communes dans cette partie du pays. On peut aisément l'ébranler de manière à lui faire décrire un segment circulaire d'environ cinq pouces, soit avec les mains ou l'épaule, ou bien en se tenant debout dessus, et portant alternativement le poids du corps sur une jambe et sur l'autre. Du moment qu'elle fut dégagée du sol environnant, le vent la mit en mouvement, et tel est encore vraisemblablement le cas, quoiqu'on suppose qu'elle ne pèse pas moins de dix à douze tonneaux. En se balançant elle fait si peu de bruit, qu'à peine s'en apperçoit-on. Le rocher sur lequel elle repose est un granit grossier, curieusement tortillé, et a l'apparence d'être stratifié, les couches étant inclinées vers l'ouest sous un angle d'environ 45 degrés. La pierre branlante repose sur la cime du rocher qu'elle paraît toucher à trois points presque en ligne droite en travers des couches. La forme de cette pierre ressemble à un cône de peu de hauteur dont la base sur laquelle elle repose est convèxe.

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ANECDOTES, &c.

Aucun prince n'a reçu plus d'adresses de son peuple que Charles II, Roi d'Angleterre. Elles étaient remplies d'assurances d'un dévouement sans bornes, mais c'était tout. Satisfait de ces vaines démonstrations dont il était prodigue, le peuple anglais laissait son roi dans une indigence continuelle, et lui donnait à peine de quoi fournir aux dépenses indispensables du gouvernement, ce qui mit ce prince dans la nécessité de devenir, contre son gré, pensionnaire de la France. Killegrew, son bouffon, se moqua un jour assez plaisamment des offres stériles de la nation anglaise. Il recommanda au tailleur du roi de faire au premier habit qu'il lui fournirait, une poche très-grande, et l'autre extrêmement petite. Charles, étonné de cette disproportion, et ayant appris qu'il la devait à Killegrew, lui en demanda la cause. La grande poche, répondit le bouffon, servira à contenir les adresses de vos sujets, et l'autre à recevoir l'argent qu'ils ont envie de vous donner.


J'habitais, a dit dernièrement un Français, dans le Journal Inutile, une petite ville du Connecticut, lors du passage du général Lafayette dans cette province. Je ne chercherai pas à décrire la réception qui lui fut faite; on sait qu'elle a été la même dans tous les Etats-Unis. Je dirai seulement, que me trouvant, quelques jours après, dans une société, on me présenta à une jeune demoiselle qui, voyant la difficulté que j'avais à m'exprimer dans sa langue, voulut bien m'adresser la parole en français. La conversation s'engage; un seul sujet intéressait; Lafayette fut bientôt celui de la nôtre. "Avez-vous vu le général?" lui demandai-je. "Oui, monsieur; j'ai même eu le bonheur de lui être présentée la première. — Et que lui avez-vous dit? — Que pouvais-je lui dire? Etais-je en état de parler? Mon émotion n'eût pas été plus forte, si j'eusse vu Washington lui-même. — Vous aimez donc bien Lafayette? — Comment ne pas l'aimer? n'est-il pas l'ami de nos pères, de nos frères, de tous les Américains, et le défenseur de notre liberté?"

La candeur avec laquelle cette aimable personne s'exprimait, jointe à la douceur de sa figure, formait, avec la force des ses expressions, un contraste rempli de charme.

J'ai su depuis, qu'ayant été présentée à Lafayette, elle s'était précipitée sur sa main, qu'elle avait mouillée de ses larmes. Quelle harangue eût été plus expressive?


Un entrepreneur de jeu invita M. D**** à lui rendre visite, en lui disant, "quand viendrez-vous me voir?" — " Mais," répondit M. D****, "quand j'aurai votre adresse."

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Un paysan ayant été admis à prêter serment, répondit au juge qu'il ne savait pas jurer; mais, ajouta-t-il, j'ai mon fils, le grenadier, qui s'en acquitte à merveille : je vais le chercher.


Une troupe de comédiens de campagne représentait la tragédie de Richard III, dans une écurie, à Henley, comté d'Oxford : au moment où Richard furieux crie, un cheval! un cheval! mon royaume pour un cheval! une troupe de palefreniers accourut, et força les portes, en criant à tue-tête, qui demande un cheval? Il y en a quarante tout sellés à la porte. Les éclats de rire furent si universels et si prolongés, que la pièce en resta là.


NÉCROLOGIE.

Du Quebec Mercury du 6 Décembre 1825.

Dimanche dernier, 4 du présent mois, à trois heures de l'après-midi, Sa Grandeur, Monseigneur Joseph-Octave Plessis, Evêque Catholique de Québec, a terminé sa carrière mortelle. Dans la mort de ce pieux Prélat, son Eglise a à regretter un chef habile, modéré, et cependant zélé et infatigable; ses ouailles, un pasteur humain, bienfaisant et charitable, dont le cœur était toujours sensible à leurs besoins, et la main toujours prompte à les soulager; et le Roi, un sujet loyal et éprouvé; en un mot, toutes les classes de la société et toutes les communions religieuses se réunissent pour déplorer la perte de Monseigneur Plessis, et pour rendre à sa mémoire le juste tribut de respect et de vénération dû à cette bienfaisance véritablement chrétienne et exemplaire qui le caractérisait.


De la Gazette de Québec publiée par autorité du 8 Décembre 1825.

C'est un devoir pénible pour nous d'avoir à annoncer la mort de cet excellent Prélat, Monseigneur Joseph-Octave Plessis, Evêque Catholique de cette Province; et c'est avec vérité que nous ôsons dire qu'il est rarement arrivé à notre connaissance de voir un homme revêtu d'un caractère public dont le décès ait causé des regrets plus universels et plus sincères. Cet événement a eu lieu à l'Hôpital-Général, Dimanche dernier, et le corps a été de là transporté, Mardi, en grande pompe, à la chapelle de l'Hôtel-Dieu. Le chemin et les rues étaient remplis de monde durant cette cérémonie. Le corps était revêtu des habits pontificaux, et était placé dans un cercueil ouvert, ayant la mitre sur la tête et un crucifix entre les mains : il était précédé d'environ cent cinquante enfans de chœur, tous dans leurs habillemens d'office, 79 et avec leurs camails, ceux de St. Roch en écarlate, et les autres en noir. Il était escorté par une garde d'honneur composée de la compagnie des grenadiers du 79e. Montagnards, avec la bande du régiment qui, de tems à autre, jouait la marche funèbre.


De la Gazette de Québec du 8 Décembre 1825.

Les obsèques de feu Monseigneur Joseph Octave Plessis, Evêque catholique de ce diocèse, ont été célébrées, hier, 7 de ce mois, avec les cérémonies dues au rang de l'illustre mort, et en présence d'une multitude immense.

Dès Lundi dernier, Son Excellence le Gouverneur-en-chef offrit à Monseigneur l'Evêque actuel de faire assister les troupes de la garnison sous les armes, au convoi funèbre, et lorsque le corps du défunt prélat fut transféré, Mardi dernier à deux heures, de l'Hôpital-Général à l'Eglise de l'Hôtel-Dieu de cette ville, une garde d'honneur accompagna le convoi, composé du clergé et des habitans de cette ville assemblés en aussi grand nombre qu'aux offices des principales fêtes de l'année. Hier à neuf heures et demie du matin, les boutiques et les atteliers de cette ville étaient fermés, et les citoyens de Québec, pour ainsi dire en masse, occupaient l'espace entre la Cathédrale catholique et l'Eglise de l'Hôtel-Dieu. L'artillerie royale et les 71e. et 79e. régimens sous les armes, avec leurs drapeaux déployés, bordaient les rues entre les deux églises et gardaient, entre deux lignes, un passage libre pour la procession funèbre.

Le cortége était composé d'un clergé nombreux qui précédait le corps du défunt Evêque exposé dans sa bierre, suivi de Son Excellence le Comte de Dalhousie, Gouverneur-en-chef, et de son état-major, des conseillers législatifs, des principaux officiers du gouvernement, du barreau en corps, et des marguilliers de Québec aussi en corps; puis suivait la foule immense des citoyens de Québec, de tous les états et de toutes les croyances, également empressés à manifester leur respect pour la mémoire du digne pasteur.

L'Eglise Cathédrale était tendue de noir, mais le deuil était exprimé d'une manière bien plus éloquente par la tristesse et la douleur empreinte sur tous les visages.

Le vénérable Evêque Panet, successeur du défunt au siége de Québec, a célébré le service funèbre, et vers le milieu de cette triste cérémonie, M. Demers, grand-vicaire de ce diocèse, a monté en chaire, où avec une vive émotion il a rappelé à sa nombreuse assistance, les vertus sublimes et les bienfaits signalés du digne pasteur dont nous déplorons la perte; son zèle pour le salut des âmes, ses prédications et ses instructions fréquentes, son voyage en Europe pour l'avantage de son Eglise, ses visites pastorales, multipliées dans toutes les parties de ce vaste diocèse, malgré le poids des ans et des infirmités; sa charité et son désintéressement 80 manifestés par la fondation de l'Eglise de Saint-Roch, où les habitans de ce faubourg populeux reçoivent avec plus de facilité les sacremens de l'Eglise et les instructions religieuses, et trouvent pour leurs enfans l'avantage signalé d'une bonne éducation; par l'établissement du collége de Nicolet, séminaire précieux aux yeux de la religion et sous le rapport des sciences; par plusieurs écoles qu'il a établies et soutenues, enfin par des bonnes-œuvres infinies dont ce pays a été le théâtre, et dont nous sommes les témoins.

Le simple récit des actions de cet illustre Evêque fait son plus bel éloge, et justifie pleinement les paroles du texte adopté par M. Demers : "Il était chéri de Dieu et des hommes."

A la suite du service et après les cérémonies imposantes prescrites pour la sépulture des Evêques, le corps de Monseigneur Joseph-Octave Plessis, Evêque catholique de Québec, un des plus grands prélats qui aient gouverné l'Eglise canadienne, a été inhumé dans la Cathédrale, et son cœur a été déposé le même jour à l'Eglise de Saint-Roch.


Mr. Jean Baptiste Broussard, Acadien, est décédé à la Louisiane, dans la paroisse de Lafayette, le 28 Octobre dernier, à l'âge avancé d'environ 103 ans. Mr. Broussard se trouva avec les Français aux deux sièges de Louisbourg, dans l'île du Cap Breton, et servit sous Montcalm, à Québec, où il fut fait prisonnier par les Anglais. Il émigra à la Louisiane en 1763, et y demeura jusqu'à sa mort. Mr. Broussard laisse après lui une réputation sans tache, et une nombreuse postérité. A l'exception d'une légère surdité, il conserva intactes, jusqu'à ses derniers momens, toutes ses facultés mentales et corporelles.


Longévité. — Le dernier Annuaire Mortuaire de l'Empire Russe, publié à St. Petersbourg, fait mention d'un homme décédé près de Pollosk, sur les frontières de la Livonie, à l'âge extraordinaire de 168 ans. Il avait vu sept souverains sur le trône de Russie, et se rappellait la mort de Gustave Adolphe. Il avait été soldat dans la guerre de trente ans, et à la bataille de Pultowa, livrée en 1709, il était âgé de 51 ans. A l'âge de 93 ans, il se maria à sa troisième femme, avec laquelle il vécut 50 ans. Les deux plus jeunes fils issus de ce mariage, étaient, âgés, en 1796, l'un de 86 ans, et l'autre, de 62 : les plus vieux de ses autres fils avaient cette même année 1796, l'un 95 ans, et l'autre, 93. Toute la famille de ce patriarche moderne comprenait 138 descendants, qui vivaient tous ensemble au village de Pallatzna; village que l'impératrice Catherine II avait fait bâtir exprès pour eux, leur accordant en même tems une étendue de terre considérable pour leur maintien. Dans la 163e. année de son âge, ce nouveau Nestor jouissait de la santé la plus parfaite.

NOTES

[1]Ce qui avait si bien instruit les Anglais de la situation de Québec, c'est que le Sieur Boulé, lieutenant de Champlain, et son beau-frère, que ce gouverneur avait fait partir pour aller représenter à la Compagnie le besoin pressant qu'il avait d'être secouru, était tombé entre leurs mains, et qu'ils avaient tiré par adresse de quelques matelots le sujet de leur voyage.

[2]Il n'est peut-être pas inutile de dire ici que les agneaux se jettent avec avidité sur la mammelle de la brebis, à la vue d'un chien ou de tout autre objet qui les effraie.

[3]Snake Island. — C'est une petite île plus haut que Kingston, absolument déserte, et d'où la vue s'étend fort au loin sur le lac; on y a construit une redoute, et l'on y tient un petit détachement qui a soin du télégraphe.

[4]Le Langage des Couleurs, en armes, livrées et devises, livre très-utile et subtil, pour savoir et connaître de chacune couleur, propriété et vertu.

[5]Bien entendu que je francise un peu le langage de ce barbare, et que je rends par des mots et des phrases les choses qu'il ne pouvait nous faire entendre que par gestes ou par signes.

[6]Grande peuplade de sauvages, parmi lesquels les Espagnols avaient envoyé des missionnaires, sous la conduite de Signor Quadba; mais d'où ils furent chassés par le capitaine Vancouver, en 1792.


TABLE DES MATIERES

pages
Histoire du Canada 41
Botanique 47
Le luth de la montagne 48
Langue française 52
L'hiver 54
Mes tablettes de 1813 59
Modèles de Paris et de Québec 62
Figures de rhétorique 63
Le langage des couleurs 64
Lettre de Henri IV 66
Extraits 66
Vers 71
Zoologie du Bas-Canada 74
Projet d'un observatoire en Amérique 76
La pierre branlante de Savoy dans le Massachusetts 76
Anecdotes, &c. 77
Nécrologie 78

Note sur la transcription : Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Une table des matières a été ajoutée.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Janvier, 1826. Numero 2 by Michel Bibaud]